No°6 – Après 10 : Shima

Disclaimer : Les personnages et l’univers de No°6 appartiennent exclusivement à Atsuko Asano.

Un chapitre en cadeau pour vous en l’honneur de mes 32 ans !!!

Le Concours continue ! Une seule chanson cette fois-ci, que j’ai dû pas mal modifier pour que ça colle à la fic. J’ai par contre gardé le refrain, j’espère que ça vous aidera ^^’ !

Rappel des règles : Le but du jeu pour vous sera de retrouver ces chansons, poèmes, tout ça, et de me donner les titres et interprètes, UNIQUEMENT PAR MP OU MAIL. Ceci pour permettre à tout le monde de jouer, aux trois endroits où je poste cette fic. Toute réponse publique, non seulement ne donnera pas de point à son auteur, mais en plus annulera le round pour tous les suivants de partout. Sinon je noterai bien les réponses de tout le monde à part et à la fin de la fic, vous aurez les réponses et les résultats. Les gens qui ont déjà mon roman ont le droit de jouer, par contre je ne leur réoffrirai pas. Ça fera 1 point pour le titre, 2 pour le titre et l’interprète ou auteur, et à la fin la personne qui aura le plus de points recevra mon roman.

Sinon ça se fait encore pas mal de câlins ^^ !

S’il y a des gens intéressés par mon roman (héroic fantasy yaoi), allez voir sur mon site, le lien est dans mon profil ! Deux tomes maintenant ^^ !

No°6 – Après

Chapitre 10 : Shima

Les journalistes attendaient anxieusement, dans la salle de conférence du Palais présidentiel. Après que la nouvelle se soit répandue, une vague d’angoisse avait parcouru la ville, pour ne pas dire le monde. La diffusion de la vidéo avait déclenché un flot de réactions aussi diverses que passionnées. Les journalistes avaient donc afflué en masse au Palais, où Shion, son bain fini et avant le dîner, travaillait un peu avec Yui, Adrian et Kaoru, lorsqu’on vint l’en avertir.

« Ah, cool, même pas de temps perdu à les faire revenir… Installez-les dans la salle de conférence, on finit ça et j’y vais. »

Il bâilla et se remit à l’œuvre. Une quinzaine de minutes plus tard, il rejoignit la salle de conférence.

L’ambiance y était très tendue et il s’assit à la table dans un silence pesant. Il regarda l’assistance avec calme avant de commencer :

« Bonsoir à tous. Avant de répondre à vos questions, j’ai une annonce à faire. »

Il marqua une pause.

« J’appelle ce soir tous les habitants de cette ville, quels qu’ils soient, au calme. Je tiens à présenter toutes les condoléances de l’État, et au-delà, mes excuses personnelles, aux proches des deux victimes de ce matin. »

Il inclina la tête en silence un instant. Le silence régnait lorsqu’il la releva :

« … Quoi qu’il en soit, comme je l’ai déjà dit, aucune excuse ne les ramènera à la vie. Il nous appartient par contre à tous de tout faire désormais pour que plus personne n’ait à souffrir de ces dissensions d’une autre époque que nous voulons tous aujourd’hui révolue. Il nous appartient aujourd’hui de donner tort aux extrémistes de tous les bords et d’avancer ensemble en surpassant cette crise comme nous en avons surmonté d’autres, de laisser ce qu’a été N°6, ce qu’a été Bloc Ouest, derrière nous une fois pour toutes et aller de l’avant. »

Il marqua une nouvelle pause.

« Les mesures que nous avons adoptées en urgence sont les suivantes et ne souffriront aucune exception. Toute personne incitant à se battre ou appelant à la haine sera immédiatement interpellée et jugée. Toute personne portant une arme se la verra confisquée. Les services d’enquête de l’armée sont par délégation spéciale chargés de mener une enquête globale sur l’ensemble des forces de police de la ville. Nous sommes parfaitement conscients que les fauteurs de troubles représentent une minorité des policiers, de même que certains ont pu agir sous la pression. Tous les policiers qui ont commis des actes répréhensibles ont jusqu’à demain, jeudi 4 juin 2020, 23 h 59, pour se rendre auprès des enquêteurs de l’armée et avouer ces actes. Aucune amnistie ne sera accordée, cependant, leur bonne volonté sera prise en compte lors de leur procès. Tout policier tentant de dissimuler ses méfaits ou entravant l’enquête sera purement et simplement radié de la police et interdit d’exercer tout poste d’autorité. Toute personne ayant des informations est priée de joindre les enquêteurs. Toute personne leur apportant de faux témoignages est également passible d’une condamnation immédiate. Il s’agit d’un nettoyage, pas d’une chasse aux sorcières. Toutes les personnes cherchant à faire justice elles-mêmes seront également jugées. En ce qui concerne les policiers de ce matin, sachez qu’ils ont tous les trois été interpellés et sont interrogés en ce moment même. Voilà. J’attends vos questions. »

Il regarda les journalistes. Ces derniers étaient partagés entre la gêne, un certain énervement, de la surprise, mais la majorité était grave et sérieuse.

L’un d’eux demanda enfin :

« Monsieur le Président, combien de temps comptez-vous garder les pleins pouvoirs ?

– Aussi longtemps que ce sera nécessaire.

– Est-il vrai que le Conseil a perdu plusieurs de ses membres ?

– Oui. Il reste cinq Conseillers, à l’heure où nous parlons.

– Pouvons-nous savoir lesquels ?

– M. Himitsu à la sécurité, de M. Blacksteel à l’armée, M. Shihô à la justice, Mme Gaikôkan à la diplomatie et M. Yosan au budget. Mlle Koé reste également notre porte-parole.

– Qu’allez-vous faire pour les autres ?

– Les gens compétents ne manquent pas pour les remplacer… Contrairement à ce que certains pensaient.

– M. Kyôiku a déclaré avoir été insulté par votre compagnon ? »

Shion eut un sourire.

« Si Aki avait sa langue dans sa poche, ça se saurait… »

La voix de Nezumi cria alors de derrière lui :

« J’ASSUME ! »

Shion jeta un oeil par-dessus son épaule, puis ajouta tranquillement :

« Voilà… Autre chose ?

– Euh !… Que pensez-vous de la déclaration de N°2 ?

– Comme quoi le masque tombe et que je me révèle enfin pour l’affreux méchant dictateur que je suis ? Un truc comme ça ?… Que je ne suis pas sûr qu’un homme au pouvoir depuis une trentaine d’années ait beaucoup de leçons à donner… Mais bon, je ne le fais pas par plaisir et je n’ai pas l’intention de faire traîner les choses. »

Il y eut un silence. Puis Shion reprit avec calme :

« Je ne veux ni ne souhaite de mal à qui que ce soit. Mais tant que je serai à ce poste, je ne laisserai personne, jamais, détruire ce que nous avons commencé à construire ici. »

*********

Nezumi était couché depuis longtemps lorsque Shion le rejoignit. Le président entra silencieusement. La lumière était éteinte, mais comme il n’y avait pas de volet, mais juste un rideau devant la grande fenêtre, la lune éclairait le lit. Nezumi dormait à poings fermés, replié en boule comme un bébé. Shion sourit doucement. Il s’assit au bord du lit pour se déshabiller lentement, puis se coucha avec un soupir.

Il n’eut pas le temps de fermer les yeux, qu’il sentit un grand corps chaud se blottir contre son flanc. Il sourit et l’enlaça :

« Désolé de t’avoir réveillé…

– Hmmm… L’est quelle heure ?…

– Presque 4 h.

– … T’es malade…

– Je sais. Rendors-toi…

– Hmm… »

Nezumi soupira.

« S’ion…

– Houla, tu te mets à parler comme Haru ?

– Hmm… Vi… Veux un câlin… »

Shion gloussa et se tourna. Nezumi se blottit contre son torse en couinant avant de pousser un gros soupir d’aise.

Kaoru les trouva comme ça, au matin, en venant réveiller Shion à 8 h, comme il lui avait demandé. Elle toqua à la porte et entra timidement quand Shion l’y invita.

« … Lâche-moi, mon cœur, il faut que j’y aille… » entendit-elle.

Elle découvrit alors la pièce éclairée par le soleil naissant, le grand lit contre le mur de droite, dans lequel se trouvaient encore Shion et contre lui, Nezumi qui le serrait dans ses bras en grommelant.

« Nezumi, lâche-moi…

– Hmmm… ‘Core câlin…

– Nezumi, je dois me lever…

– Naaaaaaaan… ‘Core câlin…

– Nezumi, ne me force pas à utiliser des méthodes coercitives…

– Hmmm… » grogna encore Nezumi.

Shion essayait de se dégager, sans succès.

Kaoru fit un pas alors qu’il disait :

« Tu l’auras voulu. »

Omae se leva pesamment pour venir saluer l’arrivante alors que sur le lit, Nezumi se mettait à rire et que Shion en profitait pour se lever.

Il était en boxer et sourit à sa secrétaire :

« Bonjour, Kaoru. »

Derrière lui, Nezumi se calma et le pointa du doigt :

« Méchant ! »

Sur le lit, les souris se réveillaient et commençaient à se promener. Dans leur carton, les deux oisillons commencèrent à piailler.

« Bonjour, Shion. Bien dormi ?

– Très bien ! J’ai retrouvé mon oreiller. Du nouveau ? » s’enquit-il en enfilant sa robe de chambre.

Kaoru regarda Nezumi qui reprit, toujours en gloussant :

« Tu sais ce qu’il te dit, l’oreiller ? ! »

Kaoru rigola, puis répondit :

« Non. La nuit a été calme… Yui vient d’aller se coucher. Adrian dort, les autres seront là vers 9 h, comme prévu.

– Parfait ! Je vais me prendre une douche, déjeuner et j’arrive… »

Shion se tourna vers le lit en entendant Nezumi s’écrier pour les souris qui couinaient :

« Non, mais ça va, oui ? !… Oui, je vais vous donner à manger ! C’est pas vrai, ça ! »

Kaoru et Shion rirent ensemble. Puis Kaoru reprit :

« Oh, sinon, on a quand même une très bonne nouvelle qui n’a rien à voir du tout : le Sperare est revenu cette nuit.

– Sérieux ? sursauta Shion, ravi.

– Oui, et apparemment, ils ont trouvé des trucs sympas. Bon, je te laisse te doucher. À tout à l’heure. »

Elle ressortit et Nezumi se leva enfin. Il ne l’avait pas fait plus tôt, car comme à son habitude, il était nu. Il rejoignit Shion :

« C’est quoi ça, le Sperare ?

– Notre titanesque navire d’exploration et de sauvetage maritime… Il était en mer depuis l’été dernier. »

Ils gagnèrent la salle de bains et Shion enleva sa robe de chambre et son boxer en continuant :

« … Il doit explorer et ramener toutes les espèces qu’il trouve, mais il en trouve assez peu… Enfin, pas mal de micro-organismes ont survécu, mais il n’y a plus masse de poissons… Et ils sont souvent dans des états dramatiques. Quand tu sais que ce bateau est théoriquement capable de garder une baleine en captivité deux mois, tu te dis que c’est un peu con qu’il en soit à ramener des sardines. »

Nezumi alluma l’eau en demandant :

« Mais les poissons qu’on mange, ce n’est que de l’élevage ?

– Oui et non. Ça dépend. On a réussi à dépolluer une zone maritime assez importante pour commencer à y réimplanter des espèces… Et comme on manque de prédateurs, on pioche un peu dedans. Cela dit, oui, le plus gros de la consommation vient de nos élevages.

– Tu me ferais un lavage en profondeur ?

– Dès le matin ?… Mais t’es vraiment un obsédé…

– Mais tu m’as trop manqué… » chougna Nezumi.

Shion sourit et vint le prendre dans ses bras. Ils s’embrassèrent.

« Pôv petit rat abandonné…

– Voui ! Je suis malheureux.

– Je vais devoir te consoler alors… souffla Shion en se mettant à bécoter sa mâchoire et son cou.

– Owi console-moi…

– En profondeur…

– Oui très profond…

– Tourne-toi… »

Il ferma les yeux en sentant une main se glisser entre ses fesses alors qu’une autre venait caresser son sexe qui se dressa vite.

« … Dépêche-toi…

– Laisse-moi te préparer un peu.

– Tu sais bien que je suis pas douillet… »

Shion continua à le titiller un peu avant de se frotter entre ses fesses. Nezumi gémit :

« Shion… »

Il tremblait et Shion sourit en se serrant dans son dos. Il le pénétra enfin. Nezumi se mit à crier. Ça faisait si longtemps… Était-ce pour ça que c’était si bon ?

Ils jouirent rapidement.

Nezumi tomba à genoux. Shion s’appuya sur le mur, essoufflé.

« Ah putain… Ça m’avait manqué… » soupira Nezumi.

Shion sourit.

Ils se lavèrent pour de vrai, puis s’habillèrent pour ensuite descendre au rez-de-chaussée, au réfectoire, suivis de toute la ménagerie. Nezumi avait même emmené les corbeaux.

Ils s’installèrent à une table. Nezumi posa le carton. Les oisillons se mirent à piailler virulemment.

Les autres tables étaient presque vides, seuls quelques employés de l’entretien étaient là, et les personnes qui avaient été de garde dans la nuit, qui mangeaient un bout avant de rentrer chez elles.

Une femme aussi forte qu’énergique vint à la table sur laquelle les souris gambadaient joyeusement.

« Bonjour, on vous sert quoi ?

– Vous avez quoi, ce matin ? demanda Shion, aimable.

– On se calme, dit Nezumi aux souris.

– Salé ou sucré ?

– Salé ?

– Eh, j’ai dit on se calme !

– Œufs au bacon, répondit-elle.

– Ah, j’en veux bien, dit Shion.

– Avec des toasts ?

– Plein, je meurs de faim ! Et du jus de fruits et un thé, s’il vous plaît.

– Pareil… dit Nezumi. Et si vous aviez un pain pour les souris et un peu de viande hachée crue pour les oiseaux…

– Euh, sûrement… Je vais voir tout ça… »

Un peu plus tard, les deux jeunes gens déjeunaient tranquillement ou presque, sans du tout se formaliser des regards intrigués ou franchement inquiets qu’on leur jetait régulièrement lorsqu’ils parlaient aux animaux. Surtout à Nezumi qui répondait le plus naturellement du monde, soit aux couinements des souris, soit aux cris des oiseaux.

Omae, pour sa part, s’était couchée sur la table.

Shion finit de manger sans se presser et se leva.

« Bon, j’y vais, mon cœur.

– Oui, à tout à l’heure. Bon courage. »

Ils se firent un petit bisou et Shion partit. Nezumi prit le temps de nourrir soigneusement les oisillons. Si Kage, repu, s’endormit, Yami se fit le plaisir de se promener un peu sur la table.

Nezumi finit donc son thé en le regardant s’amuser avec les souris. Vite fatigué cependant, il alla se coucher contre son frère.

Nezumi quitta le réfectoire. Il fallait qu’il appelle le pub… Il avait certes pris deux jours pour le retour de Shion, mais il était censé retourner bosser le lendemain.

Comme il faisait beau, il alla se promener dans le parc avec toutes les bestioles, et finit par s’installer au soleil, pas très loin du bâtiment, dans l’herbe.

Les souris et les corbeaux se mirent à jouer près de lui. Omae se coucha avec un bâillement contre sa cuisse. Il se mit à caresser sa tête d’une main en prenant son téléphone de l’autre. La chienne ferma les yeux en se mettant à remuer la queue.

« Allô… Salut, chef. Ouais, ouais, ça va. Ouais, rit-il, j’ai super bien dormi !… Bon, ça a pas vraiment rattrapé les deux semaines, mais c’est un début. Et vous, ça va ? Ouais… Pas trop de monde, pas étonnant… Non, mais ça va se calmer, là. Ça ira mieux ce week-end. Vous comptiez pas fermer ? OK. Non, juste pour être sûr… Oui, normalement, je reviens demain. Tu peux compter sur moi, il y a peu problème. Je te garantis pas qu’ils me laisseront venir sans deux ou trois gardes du corps, mais je viens. D’accord. Bises à ta douce et à Manon. À demain. »

Il raccrocha et se coucha dans l’herbe.

Il siestait, Omae toujours contre lui, comme les poussins et Cravate, lorsque la voix de Shion le réveilla : il l’appelait du balcon de son bureau, au-dessus de lui.

« Eh ben Nezumi ? C’est pas l’heure de dormir ! »

Nezumi sourit et se redressa.

« Ta réunion est finie, mon ange ?

– Non, je passais chercher un truc dans mon bureau et je t’ai vu par la fenêtre. Mais va plutôt te recoucher, si tu veux ? Tu vas prendre froid, là dans la rosée…

– Bon, pas bête… Tu me réveilles pour midi ?

– Pas de souci ! »

Nezumi se leva mollement et remonta dans la chambre en bâillant, les oisillons dans les bras. Il les réinstalla dans un plaid bien douillet et se recoucha, les souris se dispatchant entre le plaid et le lit.

Il se réveilla cependant de lui-même en fin de matinée. Il prit le temps de se rincer le visage avant de descendre voir où c’en était.

Il se pointa donc innocemment du côté de la salle du Conseil. Omae était restée dans la chambre, les poussins et les souris aussi. Il sursauta dans le couloir en entendant :

« JE M’EN FOUS ! »

Par ma déesse, mais Shion crie ? ! Houla, houla, qu’est-ce qui se passe… songea le jeune homme en accélérant le pas.

La porte de la salle était entrouverte.

« … Je m’en tamponne que ces mecs menacent de retirer leurs fonds si on ne reconstruit pas le Mur ! Vu ce qu’ils respectent la loi, de toute façon, ça serait une perte pour personne et ‘faut arrêter, ils auront jamais le courage de le faire ! Bon, reprit le président plus calmement. On a fait le tour ? »

La voix fatiguée de Yui répondit :

« De mon côté, on est bon.

– Pareil, répondit une autre voix masculine.

– Bien. Kaoru, je peux te laisser rédiger la déclaration et la transmettre à la presse ?

– Bien sûr !

– Je dois passer à Atlantis cet après-midi… Je vais essayer de pas trop y traîner, mais apparemment, ils ont vraiment ramené du lourd, et je dois tenir informé les autres sanctuaires au plus vite. S’il y a quoi que ce soit, vous me prévenez, que je rentre en urgence.

– T’en fais pas, ça ira… dit encore Yui. Bloc Ouest est presque calmé, on a arrêté la plupart des mecs soupçonnés, ça devrait aller.

– OK, alors c’est bon pour maintenant. »

Les entendant se lever, Nezumi toqua à la porte et se permit de l’ouvrir un peu plus. Shion lui sourit :

« Bien dormi, mon joli rat ?

– Oui, oui… Très bien… Je te dérange pas ? Vous avez fini ?

– À l’instant. J’allais manger un morceau en allant à Atlantis… Tu veux venir ?

– C’est quoi ?

– Notre grand sanctuaire de sauvetage maritime… J’ai reçu un message de la capitaine du Sperare qui veut absolument montrer ce qu’ils ont trouvé. Elle a l’air de jubiler comme un gosse de cinq ans à Noël… »

Nezumi sourit et entra, autant pour rejoindre Shion que pour dégager la porte et laisser partir les Conseillers. Ceux-ci avaient l’air grave et las, mais le saluèrent aimablement. Yui lui serra la main.

« Ah, oui, je veux bien voir ça. »

Ils passèrent aux cuisines récupérer les bentôs qu’on leur avait préparés et ils sortirent.

Un hélicoptère les attendait dans la cour. Kanshi et Hogosuru les escortaient.

Ils mangèrent rapidement pendant le trajet, qui fut assez bref.

Shion sourit lorsque Nezumi sursauta et se colla le nez au hublot, les yeux ronds, en découvrant tant l’immense complexe qui s’étendait au bord de l’océan que ce dernier.

Sur quelques kilomètres depuis le sanctuaire, une grande zone était bleue et limpide, et contrastait presque étrangement avec les eaux grisâtres qui s’étendaient au-delà jusqu’à l’horizon, les deux eaux séparées par une ligne rouge qu’on devinait depuis leur appareil.

« C’est la première fois que tu vois l’océan en vrai, mon joli rat…

– Ouais…

– Il paraît qu’il était complètement bleu, avant.

– J’avais lu ça, oui…

– On a commencé à le nettoyer, tu vois. Mais ça va être très long…

– Vous faites quoi des déchets ?

– On filtre, on recycle… On isole ce qu’on ne peut pas recycler… On cherche des nouveaux procédés pour faire mieux… Enfin, bref, il y a du boulot… Mais on progresse, petit à petit. »

L’hélicoptère se posa et ils descendirent. Ils étaient sur le toit du plus grand bâtiment du complexe qui était aussi en son centre. Quelques personnes les attendaient. Shion les salua, alors que Nezumi regardait autour, les bâtiments et les bassins de toutes tailles. Le complexe était vraiment gigantesque.

« Bienvenue à Atlantis, Shion ! s’exclama un jeune homme de leur âge.

– Salut, Akira. Alors, beaucoup de neuf, il paraît ?

– Oh oui, oh oui ! Désolé d’avoir insisté, mais il faut vraiment que tu voies ça !… »

Nezumi s’était approché et il serra la main des deux hommes et trois femmes, en notant que le plus jeune avait bien l’air d’être le responsable, ce que lui confirmèrent les paroles de Shion :

« Nezumi, je te présente Akira Suisô, le directeur d’Atlantis et accessoirement, figure-toi, un de mes anciens camarades de classe. Akira, mon compagnon, Aki Kazemori.

– Enchanté, le salua ce dernier.

– De même ! Venez, venez… »

Ils rentrèrent dans le bâtiment. Nezumi suivait distraitement, regardant les cadres qui décoraient les murs, des vieilles photos d’avant les guerres qui avaient changé la Terre en un immense désert… Des photos de poissons multicolores nageant dans une eau claire…

« … Jusqu’à l’Australie ?

– Oui !… Ils ont ramené 147 spécimens marins, dont 35 qu’on avait pas, et 19 spécimens terrestres. Là, on les avait tous, sauf deux, mais c’est pas des moindres. L’un des deux est décédé, mais son matériel génétique est nickel !

– Il est clonable ?

– Oui, on va le donner au Centre de Sauvegarde des Animaux Terrestres.

– C’est quoi, c’est quoi ?

– Attends, on va descendre au labo. »

Et ils prirent un grand ascenseur.

« Pour le moment, tous les spécimens vivants sont en quarantaine. On passe au labo et on va voir les aquariums d’accueil derrière… »

Nezumi demanda :

« Vous les gardez à part longtemps ?

– Ça dépend de leur état, répondit aimablement le scientifique. Il faut les garder isolés le temps de vérifier qu’ils ne sont pas malades, ni contagieux ou mutants, et surtout les dépolluer et les remettre en bonne santé avant de les mêler à leurs cousins. »

Akira s’ouvrit une porte et précéda ses subordonnés et Shion dans une salle blanche. Vaguement mal à l’aise, Nezumi prétexta qu’il avait envie d’aller aux toilettes pour s’en tenir éloigné. Shion le laissa faire et suivit son ami qui lui montra, sur une des tables, le cadavre du spécimen.

« … C’est pas vrai ?!… »

Il regardait sans y croire le corps à fourrure, les pattes palmées et le bec… L’animal était petit et très maigre, et sa fourrure était en piètre état.

« Un ornithorynque ?… Il en restait encore ?

– Ben, au moins un. »

Deux laborantins arrivèrent en courant :

« Monsieur le directeur ! Mani a disparu !

– Quoi ? !

– On l’a laissée deux secondes et elle a filé… »

Shion laissa son vieux camarade de classe les engueuler et demanda discrètement à une des femmes :

« C’est qui, Mani ? »

*********

Nezumi soulagea sa vessie avec bonheur. Très confortables et pratiques, ces toilettes. Il en sortit en sifflotant. Alors, c’était à droite… se dit-il avant de sursauter en voyant passer une petite ombre sur sa gauche.

Il fronça un sourcil et alla voir, intrigué. Il sentait une petite âme affolée. Il tourna dans un couloir et s’approcha tout doucement du banc qui se trouvait là. Il s’accroupit lentement et regarda la boule de poils qui tremblait. Il sourit.

Ce petit corps trapu, aux membres assez courts, cette tête pourvue d’un gros nez noir et de grandes oreilles velues lui disaient quelque chose. Il avait déjà dû croiser cet animal dans un de ses livres. Il tendit la main sans geste brusque vers la boule de poils qui le regardait.

« Salut, toi… Oh, pardon, salut à vous deux. Qu’est-ce que tu fais cachée ici ? »

La boule de poils attrapa sa main avec ses pattes pour la rapprocher de son nez et la flairer. Nezumi se laissa faire :

« Tu as eu peur ? Dis-moi ?… »

*********

Shion se gratta la tête. Une koala échappée dans le bâtiment… Autant chercher une aiguille dans une botte de foin…

Akira ne décolérait pas. L’animal devait être apporté aux services de sauvegarde des animaux terrestres d’Utopia et il s’était esquivé à 1h de son transfert…

Shion se tourna vers la porte, souriant, et tous se turent après lui en entendant chanter dans un dialecte inconnu, puis sursautèrent en voyant Nezumi revenir, avec dans ses bras la petite koala agrippée à lui.

Seul Shion osa approcher.

« Ah, ben la voilà, on s’inquiétait.

– Elle n’était pas loin… »

Shion caressa tout doucement la petite tête grise :

« Qu’est-ce qu’elle a eu ? Elle nous a fait peur…

– Elle a eu peur aussi… Apparemment, quelqu’un a eu un geste un peu brusque vers sa poche, elle a cru qu’il en voulait à petit… »

Les scientifiques se regardaient, incrédules.

« … Alors je lui ai dit que personne ne leur voulait de mal et qu’on allait faire attention. »

Akira s’approcha à son tour :

« Vous voulez dire qu’elle porte un petit ?

– Ah, si vous ne saviez pas, ça explique. Il n’est pas gros, mais il va bien. Il faut juste faire attention, mais maintenant qu’elle sait qu’on veut juste s’occuper d’elle, elle devrait être plus calme. »

Les deux chercheurs qui avaient laissé s’enfuir l’animal s’approchèrent. Elle était effectivement très calme, rien à voir avec la furie terrorisée qu’ils avaient quittée pour aller chercher de quoi l’endormir. Nezumi sourit.

« Je vous la laisse ? Elle a très faim. »

Le plus jeune des deux chercheurs la prit dans ses bras sans qu’elle résiste.

« Viens, on t’a préparé une jolie cage de transport avec plein d’eucalyptus pour le voyage. »

Shion et Nezumi échangèrent un sourire attendri.

« Merci beaucoup de l’avoir retrouvé, dit Akira.

– Oh, de rien… répondit Nezumi avant de sursauter en voyant le cadavre sur la table : Qu’est-ce que c’est que ce truc ? »

Shion lui sourit :

« Un ornithorynque.

– Mais il est mort ?

– Il n’a pas survécu au changement de milieu, confirma Akira. Mais sa base génétique et impeccable… »

Le jeune scientifique sourit à son tour :

« Il va avoir beaucoup de descendants.

– Vous pouvez faire ça ? »

Shion sourit aussi et Akira et lui expliquèrent à Nezumi le processus. Il s’agissait de croiser les clones de cet individu avec ceux d’une femelle retrouvée empaillée dans un vieux musée d’Europe.

« Après, on fait se reproduire les clones en surveillant de près, pour que les petits n’aient pas de tares, on stérilise ceux qui en ont, pour que seuls les individus sains puissent avoir des petits à leur tour, et comme ça, petit à petit, on peut faire repartir l’espèce. »

Ils arrivèrent en bas, et Nezumi regarda ça avec encore de grands yeux. Les aquariums étaient juste gigantesques. Des centaines de poissons nageaient là, de toutes les couleurs. Ils étaient rarement très grands et gros.

« … On a gagné quelque thons, pas mal de poulpes, plusieurs crustacés, énuméra Akira, mais regarde, le plus beau est là ! »

Shion et Nezumi regardèrent le grand aquarium qu’il leur désignait.

Un seul poisson nageait à l’intérieur. Il était, de loin, le plus gros qu’ils avaient vu jusqu’ici. Bien que maigre, il semblait en forme, nageant assez vite, comme nerveux.

« C’est pas vrai ! » s’exclama Shion, avant de courir se coller au verre comme un gosse.

Cela fit rire les autres qui le rejoignirent plus lentement.

« C’est un requin ? s’enquit Nezumi, intrigué.

– Tout à fait, lui répondit Akira. Je vous présente Morfal, c’est un grand requin blanc, mâle, qui aurait dans les trois ans, d’après nos tests.

– Il n’a que la peau sur les os…

– Et encore, dit une voix féminine, vous l’auriez vu quand on l’a pêché… »

Akira sourit à la quadragénaire qui avait dit ça :

« Ah, Funanori, tu tombes bien.

– Salut, Morfal va bien ?

– Aussi bien que possible… Ça va être l’heure de le nourrir, si vous voulez voir ça ? »

Shion et Nezumi opinèrent.

« Félicitations, Funanori-san, dit Shion en serrant chaleureusement la main à la femme. Vous avez encore fait de l’excellent travail !

– Merci, mais de rien, c’est notre boulot. On a trouvé Morfal au sud de l’Australie. On allait repartir, il a eu du bol… Il a englouti nos appâts à une vitesse incroyable, on a eu que le temps de lui en balancer d’autres pour l’occuper le temps qu’on l’attrape, mais là, croyez-moi, il a déjà bien regrossi…

– On le nourrit par petites doses pour qu’il ne se rende pas malade, expliqua le chercheur. Il a été dénutri toute sa vie… C’est dingue qu’il ait survécu. Mais il va bien, il supporte bien les traitements… C’est vraiment une chance pour nous, d’avoir retrouvé un des plus grands prédateurs des mers… »

Ils virent alors le grand poisson foncer à toute allure vers une énorme pièce de viande qui n’eut pas le temps de couler, car il se fit engloutir en une bouchée par une grande gueule pourvue de très nombreuses dents.

« … Ah ouais, quand même… finit par lâcher Nezumi.

– Il porte bien son nom, reconnut Shion.

– Oui, rigola Funanori. On a été obligé de le rationner à la fin du voyage, on avait pas assez de réserve… »

Le requin se remit à tourner rapidement dans son grand bocal.

« Il a l’air énervé… » remarqua Nezumi.

Ils continuèrent leur visite tranquillement, jusqu’à faire un tour dans le long tunnel qui circulait dans la zone d’océan dépolluée. Nezumi regardait ça avec un sourire doux. C’était joli, cette eau limpide pleine de poissons multicolores, d’algues et de coraux tout aussi chatoyants. Il écoutait d’une oreille ce que racontaient Shion et les chercheurs.

« Si, si, les croisements avec les poulpes d’Amsterdam, ça a super bien marché !

– Et on leur a filé des crabes, ils en manquaient.

– Par contre, le clonage de leur orque a planté… Ils doivent réessayer bientôt. »

Puis ils retournèrent dans le bâtiment central. Shion se mit à organiser les détails des annonces officielles avec l’équipe et, au bout d’un moment, ils s’aperçurent que Nezumi n’était plus avec eux. Le cherchant machinalement du regard, Shion sourit en le voyant devant l’aquarium du requin.

Nezumi était debout, les mains dans les poches, face au grand poisson qui se tenait curieusement immobile. Seule sa queue ondulait lentement.

Nezumi regardait le requin pour ainsi dire dans les yeux. Il finit par dire :

« Ça va comme tu veux ? »

Le requin ondula.

« Tu dois te faire chier, non ? »

Tu es quoi ?

« Un truc qui vit hors de l’eau. »

Hors de l’eau ?…

« Cherche pas… »

Tu as une drôle d’allure.

« Cherche pas, je te dis. »

C’est bizarre. Je pensais que les eaux n’avaient pas de fin et je me retrouve dans une eau claire, vide et fermée.

« Tu n’es plus dans l’eau que tu connaissais. »

Voilà autre chose…

« On t’a amené ici pour te soigner. Tu es dans une eau qui te fait du bien, on te surveille, on te nourrit, bref, on s’occupe de toi. »

Toi ?

« Non, d’autres comme moi. »

Je me disais bien que c’était étrange, un endroit où la nourriture arrive toute seule.

Nezumi sourit.

« Tu ne sens pas que tu vas mieux qu’avant ? »

Si, si… Mais c’est très vide, ici.

« Quand tu iras vraiment bien, on te mettra dans une autre eau pas vide du tout. »

Le requin ondula à nouveau.

J’ai faim.

Cette fois, Nezumi rigola :

« Tu portes vraiment bien ton nom. »

Mon quoi ?

« Ceux qui s’occupent de toi t’appellent Morfal. »

Ça veut dire quoi ?

« Que tu as beaucoup d’appétit.

– Nezumi ? »

Nezumi sourit à Shion qui venait de le rejoindre.

« Vous faites connaissance ?

– C’est ça.

– On va rentrer.

– D’accord. »

Nezumi regarda le requin qui avait l’air de regarder Shion :

« Je vais devoir te laisser. »

Tu reviendras ?

Restés un peu plus loin, les scientifiques virent avec stupeur le requin se mettre à nager lentement pour suivre Nezumi quand ce dernier se mit à marcher :

« J’essaierai. Prends bien soin de toi en attendant. Plus vite tu iras bien, plus vite tu iras dans une autre eau. »

Dis-leur que j’ai faim…

« D’accord. À bientôt. »

Porte-toi bien aussi.

Arrivé à l’angle de l’aquarium, le requin donna un grand coup de queue et repartit plus loin.

*********

Shion sifflotait en remplissant sa valise. Il était repassé chez lui, car il avait besoin de quelques dossiers laissés dans son bureau et en profitait pour refaire un tour, prendre d’autres vêtements, quelques affaires, des livres, entre autres choses.

Kanshi, son garde du corps, qui l’avait accompagné, le regardait faire sans oser l’aider ni rien dire, honoré d’avoir était autorisé à le suivre à l’intérieur, mais tout aussi intimidé.

Hamlet gambadait sur le lit et Shion sifflotait. Il ferma la valise :

« Voilà, on est bon. On peut rentrer. »

Kanshi voulut porter la valise, mais Shion refusa et le précéda au rez-de-chaussée.

« Omae est restée dehors ?

– Oui, oui… La dernière fois que je l’ai vue, elle se dorait la pilule dans l’herbe.

– J’espère qu’elle ne va pas mettre bas ici… »

La chienne avait absolument voulu venir, mais elle pouvait désormais avoir ses petits d’un moment à l’autre.

Lorsqu’ils sortirent, Omae ne se dorait plus la pilule dans l’herbe : elle grattait dans la haie qui séparait leur jardin de celui des voisins.

Intrigué, Shion posa la valise et alla la rejoindre.

« Omae ? Tu viens ? »

La chienne le regarda et jappa avant de se renfoncer sous la haie en gémissant.

Encore plus intrigué, Shion s’accroupit :

« Omae ?… »

Un minuscule cri le fit se pencher un peu plus. Omae essayait d’attraper quelque chose. Il la caressa :

« Tu veux que je t’aide ? »

Omae se poussa et il s’agenouilla et tendit la main, un peu en aveugle.

« Euh… Shion ?… l’appela Kanshi.

– J’arrive… Chargez la voiture, s’il vous plaît. »

Hamlet descendit le long de son bras et couina. Shion lui dit :

« Tu vois ce que c’est ?

– Squik ! »

La souris saisit délicatement le petit doigt de Shion pour guider sa main. Il sentit enfin quelque chose de petit, chaud, très doux, qu’il attrapa très délicatement aussi. Ça piqua un peu et ça bougeait, mais il parvint ne pas lâcher.

Il regarda alors avec surprise, puis attendrissement, le minuscule chaton qui miaulait dans sa main, terrorisé.

« Eh ben, t’es pas vieux, toi… »

Ses yeux étaient encore fermés. Shion le caressa et dit :

« Qu’est-ce qu’on va faire de ça… »

Hamlet grimpa sur l’épaule de Shion alors qu’Omae flairait attentivement le chaton. Hamlet couina et Omae prit très délicatement le petit dans sa gueule.

« … Bon, OK… céda Shion. Mais je vous préviens, c’est vous qui expliquez ça à Nezumi. » ajouta-t-il en se levant.

Ils rentrèrent au Palais. Shion décida de rester travailler dans son bureau en attendant que Nezumi rentre du pub. L’appel au calme avait été entendu. Aucun autre heurt n’avait été signalé. Les ordres avaient, il faut dire, été très strictement appliqués et toutes les personnes qui avaient tenté de relancer les hostilités avaient été immédiatement arrêtées, jugées et les amendes avaient été assez sévères pour calmer d’éventuels autres trublions.

Shion se fit un thé. Il regarda avec un sourire la ménagerie installée du côté du canapé : Omae qui léchait tendrement le chaton blotti contre elle, les souris qui gambadaient par-ci par-là et les deux poussins endormis dans leur carton. Il sourit à Hamlet qui venait de grimper sur son épaule.

Il s’installa tranquillement à son bureau pour se mettre à lire le rapport final de Sperare.

Les choses avançaient aussi sûrement que très lentement. L’humanité survivrait sans doute, en reconquérant lentement la Terre qu’elle avait failli détruire, mais il se demandait combien de décennies, voire de siècles il faudrait pour retrouver les mers et les océans tels que les montraient les vieux films d’avant la Grande Guerre…

Il en était à la partie sur les éventuelles traces d’activités humaines lorsque son téléphone sonna. Il posa sa tablette, prit l’appareil en bâillant et décrocha :

« Salut, Ahmed.

– Bonjour !… Pas encore renversé, Monsieur le dictateur en herbe ? lança Ahmed avec amusement.

– Nan ! rigola Shion. Je m’accrocherai jusqu’au bout à mon fauteuil !… commença-t-il avant d’ajouter après un silence : Non, mais sérieux, il est trop confortable, ce fauteuil. C’est décidé, d’ailleurs, je l’emmène en partant. »

Il attendit que son ami reprenne son calme et demanda :

« Comment vas-tu ?

– Ça va, ça va. Et toi, sérieusement, ça va ?

– Ça va. La situation est stable, je pense qu’on n’est pas passé loin, mais ça devrait aller.

– Comme quoi, mine de rien, tu as une sacrée autorité chez toi…

– Je suis très bien entouré. Tu as des infos ?

– Ouais, devine ?

– Sullivan, avec ses ambassadeurs, dans le bureau de ton père… »

Ahmed rit à nouveau :

« Bien vu.

– Prévisible. Et as-tu noté la liste des noms d’oiseaux divers dont ces braves gens m’ont gratifié ?

– Noté, non, mais je peux de mémoire t’en citer pas mal : graine d’autocrate, mégalomane, pervers, prétentieux, narcissique, immature, sourd aux conseils de ses aînés…

– Tout un programme.

– N’est-ce pas…

– Comment ton père a-t-il réagi ?

– Il ménage la chèvre et le chou, comme d’habitude… Par contre, je ne vais pas pouvoir empêcher la vente des avions.

– Hmm, c’est noté.

– Désolé.

– C’est pas grave. Juste une donnée de plus dans l’équation… »

Il y eut un silence.

« Sullivan va développer ses avions militaires dès qu’il aura les vôtres.

– Je sais.

– Il va quand même falloir prévoir une parade… soupira Shion.

– Tu es une idée ?

– Peut-être… Je te dirai. »

Shion sourit en voyant Nezumi entrer dans son bureau. Il lui fit un signe de la main. Nezumi lui sourit, s’étira en bâillant et enleva sa veste.

« … Je te dirai. Est-ce que tu peux venir à Dakar cet été, alors ?

– Ouais, je vais essayer. »

Nezumi alla pour poser sa veste sur le canapé. Il se figea soudain et de l’autre côté de la terre, à Téhéran, le prince Ahmed Ibn Ibrahim sursauta brusquement en entendant crier :

« QU’EST-CE QUE C’EST QUE ÇA ! »

Il regarda son téléphone avec inquiétude avant de le rapprocher prudemment de son oreille :

« Shion ? Ça va ?

– Oui, oui, ne t’en fais pas.

– Qu’est-ce que cette saloperie fait là ! entendit encore Ahmed.

– Je te disais, pour cet été ?

– Il ne devrait pas y avoir de problème…

– Comment ça, perdue toute seule ? Ah mais je m’en fous, il est hors de question qu’elle reste là !

– Euh…

– J’aimerais bien que tu viennes, repris Shion, imperturbable. Ça te mettrait en bonne position sur la question de la sauvegarde des animaux…

– Ah, sur un autre ton, Cravate !

– Oui, oui, répondit Ahmed, j’ai bien noté les dates… C’est vrai que la rencontre de Dakar est fondamentale sur ces questions.

– Non, mais vous êtes suicidaires, ou quoi ? ! Vous croyez quoi ? Qu’elle vous bouffera pas en grandissant ? !

– Oui, c’est pour ça que ce serait bien que tu viennes, opina Shion en gloussant.

– La ferme, Encre ! Putain, mais c’est pas possible, cette merde !

– Shion… Qu’est-ce qui se passe ?…

– Rien de grave, répondit Shion en retenant très péniblement son fou rire. Je t’explique dans une minute… »

Ahmed entendit comme un aboiement et des espèces de petits cris minuscules, mais multiples, puis il y eut un silence, et la voix finit par crier :

« OK, ça va, j’ai compris, gardez-la, cette saleté ! Vous aurez pas intérêt à la ramener le jour où qu’elle viendra vous bouffer ! »

Ahmed entendit encore une porte claquer et Shion explosa de rire. Il est mis un moment à se calmer, puis reprit :

« La vache, j’en pleure… Désolé, Ahmed, qu’est-ce qu’on disait ?

– On parlait de la rencontre de Dakar… Mais il s’est passé quoi, là ? C’était qui qui criait comme ça ?

– Aki… hoqueta Shion en essuyant ses yeux. Tout à l’heure, notre chienne a récupéré un chaton perdu… Et il déteste les chats…

– Je comprends mieux… pouffa Ahmed. Bon, bref, je vais devoir te laisser. Je te tiens au courant pour cet été.

– OK. À bientôt ! »

Shion raccrocha et se leva. Il regarda les animaux et sourit :

« Bon, je vais essayer de le calmer… Soyez sages. »

Il sortit et remonta à l’étage supérieur en regardant sa montre. Le temps de le récupérer et ce serait l’heure de dîner.

Comme il le pensait, Nezumi se douchait. Il entra dans la salle de bains :

« Mon cœur ? Tu as passé une bonne journée ? »

Un regard sombre lui répondit. Shion ne s’en formalisa pas et continua :

« Il y a de la tourte à la viande comme tu aimes, ce soir. »

Nezumi se rinça et se mit à s’essuyer sans répondre. Shion s’approcha tranquillement :

« … Ça te dit qu’on aille manger chez Inukashi, demain ? Haru me manque… »

Il enlaça Nezumi :

« Tu arrêtes de faire la gueule ou je me fâche ? »

Nezumi voulut se dégager et Shion soupira tendrement en maintenant son étreinte :

« … Tu l’auras voulu… »

Nezumi se raidit en sentant les mains de Shion commencer à gigoter contre sa peau. Il tenta, encore en vain, de se dégager alors qu’il se mettait à rire malgré lui :

« Non ! Shion ! Arrête !… Eh, les chatouilles, c’est pas du jeu ! »

Trois minutes plus tard, Nezumi, sur le sol et à deux doigts de s’étouffer, rendait les armes. À genoux près de lui, Shion cessa de le chatouiller :

« Ça va mieux ?

– Oui hi hi hi… Ah bon sang, tu as failli me tuer eh eh…

– Dépêche-toi de t’habiller, j’ai faim. »

Un peu plus tard, ils redescendaient.

« … Non, mais pas un chat, quoi…

– Tu connais Omae, quand elle adopte, elle ne fait pas semblant.

– Oui non, mais pas un chat…

– Les corbeaux aussi, ça mange les souris, tu sais.

– Oui non, mais c’est pas pareil… Pis elle l’a trouvé où, d’abord ?

– Sous la haie du jardin. Ça doit être une survivante de la portée de la minette des voisins… D’habitude, ils ne font pas long feu, les chatons.

– Bien fait. Saletés. »

Shion sourit.

« Ce que tu es mauvais !

– J’aime pas les chats.

– Je sais.

– Elle va bouffer mes souris.

– Mais non. On la nourrira bien.

– Même. C’est méchant, les chats, ça tue pas que quand ça a faim.

– Ne t’en fais pas, les souris ne se laisseront pas faire. »

Ils passèrent dans le bureau récupérer la ménagerie et eurent la surprise de constater qu’Omae avait mis bas pendant ce temps et que deux petits chiots couinaient contre son ventre à côté du chaton.

Shion sourit et alla s’accroupir près de la chienne.

« Oh ils sont trop mignons… »

Nezumi s’approcha :

« Elle a assez de ses propres petits, non ? On peut peut-être la soulager du chat ? »

Shion lui jeta un oeil goguenard alors qu’Omae grondait et que les souris se remettaient à couiner virulemment. Nezumi grogna :

« Mais quoi ! À son âge, elle a assez de deux chiots, non…

– Squik ! Squik squik !

– En plus, c’est n’importe quoi d’élever un chat avec deux chiens…

– Nezumi…

– Non, mais c’est n’importe quoi, sérieusement ! »

Shion se releva :

« Allez, on va manger. Prends les poussins.

– Vous êtes sûrs qu’on emmène pas le chat ?… Non parce qu’on peut peut-être trouver quelqu’un d’autre pour le garder, aussi…

– Prends les poussins, Nezumi. »

Nezumi prit le carton à chaussures réparties en grommelant. Shion et les souris suivirent.

Je sens qu’on n’a pas fini de se marrer… pensa Shion.

*********

Nezumi était au comptoir. Il faisait la vaisselle en regardant, face à lui, le grand écran télé du pub. Il était grave. Manon posa un plateau près de lui :

« Ça commence ?

– Ouais, après la pub, normalement.

– C’est rare, un débat au journal de 13 h…

– On est pris, ce soir. Shion a accepté le débat, mais pas à 20 h comme l’autre voulait… »

Jeff rejoignit ses deux employés :

« Vous voulez du pop-corn ? Je sens que ça va en valoir…

– Tu es sérieux ? sourit Nezumi.

– Ah, ben la dernière fois qu’il a eu un débat avec Shion, Hantaisha s’est fait latter. Un grand moment de rigolade… C’était juste avant le vote de confiance. Tu te souviens, Manon ?

– Oui, oui… Ma mère râlait comme pas permis.

– Allez, je vais faire du pop-corn… »

Nezumi se mit à essuyer ses verres. Le débat avait été largement annoncé, bien qu’improvisé suite à la lettre ouverte de Sagishi Hantaisha, un des leaders de l’opposition et le principal actionnaire de La Libre Parole, à la Une de l’édition spéciale du journal, titrée : « STOP ! ».

Puisque le magnat de l’industrie criait à la dictature et au musellement de la presse, et appelait à un débat avec le président en sous-entendant que ce dernier ferait la sourde oreille et même que le journal serait rapidement saisi et censuré, Shion l’avait très officiellement invité à venir en discuter avec lui, mais à 13 h, car il ne voulait pas renoncer à aller chez Inukashi voir sa mère, son fils et son frère le soir.

Il va sans dire que le journal n’avait été ni saisi, ni censuré. Yui aurait bien aimé, pourtant…

Le jingle du journal de 13 h retentit.

Manon monta le son de la télé. Dans le pub, les clients se turent, curieux de suivre le débat eux aussi.

Les deux journalistes, un homme et une femme, étaient un peu nerveux et regardaient avec une légère inquiétude à leur droite Shion, paisible, qui caressait doucement Hamlet assise sur la table devant lui, et à leur gauche, Sagishi Hantaisha, la cinquantaine dégarnie, costard de luxe et l’air profondément supérieur.

« Bonjour à tous et à toutes, commença la journaliste, et merci de nous avoir rejoints.

– Tout de suite, les principaux titres de l’actualité que commenteront avec nous nos invités. Bonjour, Monsieur le Président.

– Bonjour, et bonjour à tous ! répondit tranquillement Shion en souriant aux présentateurs, puis à la caméra.

Bonjour, M. Hantaisha. Je rappelle que vous êtes le président du groupe de métallurgie H, et que vous représentez aujourd’hui le parti Tradition, dont vous êtes un des fondateurs et leaders.

– Bonjour, répondit sèchement le susnommé.

Tout d’abord, reprit la journaliste, les titres de l’actualité.

– Et pour commencer, le point sur la situation de notre ville, enchaîna son collègue.

La nuit et la matinée ont été calmes, aucune violence n’a été signalée, nulle part dans la ville. L’armée reste cependant mobilisée, les patrouilles n’ont pas cessé et l’enquête se poursuit.

– Le porte-parole des enquêteurs a annoncé que le nombre d’arrestations s’élevait maintenant à 57, dont les 6 personnes ayant appelé à la haine depuis hier.

– Les procès de ces dernières ont eu lieu ce matin… »

Jeff revint avec un grand saladier de pop-corn et Epona le suivait.

Les nouvelles défilèrent sans que les deux invités n’interviennent trop. Shion suivait sagement, paisible et souriant, alors que face à lui, Hantaisha faisait toujours à moitié la gueule et était visiblement de plus en plus nerveux. Nezumi nota les tics de son visage et qu’il gigotait pas mal sur son fauteuil.

Enfin, les journalistes se tournèrent vers leurs invités. Comme Shion ne disait rien, Hantaisha attaqua :

« Jusqu’où allez-vous continuer ?

– Jusqu’au bout, probablement, répondit Shion, souriant. En tout cas, j’en ai bien intention.

– Malgré l’opposition de nos concitoyens !

– Malgré l’opposition de certains de mes concitoyens.

– Au nom de quoi osez-vous !

– Au nom de tous les autres. »

Nezumi sourit.

Shion était parfaitement calme, tranquille, face à un Hantaisha beaucoup trop nerveux. Nezumi piocha dans le pop-corn. En fait, l’agressivité évidente de cet homme glissait sur le calme de Shion et était, du coup, aussi voyante que ridicule. Nezumi regardait Shion et Epona, lui jetant un oeil, lui trouva un air doux, juste amoureux, qui la fit sourire aussi.

Shion expliquait poliment et clairement sa position :

« … La situation exigeait donc des mesures rapides et fermes, j’ai pris la responsabilité de les prendre, pour le bien de tous, dans cette ville.

– Faire régner une politique de terreur et de censure est scandaleux !

– Tout à fait, c’est bien pour ça que j’ai rétabli les libertés individuelles, tout comme la liberté de la presse, dès que je suis arrivé au pouvoir. »

Hantaisha resta bête et la journaliste gloussa.

Shion attendit, l’air doucement interrogatif, et sourit lorsque Hamlet, après un long bâillement, grimpa tranquillement sur son épaule pour venir se coucher dans le creux de son cou. Il la caressa du bout des doigts, alors que son adversaire reprenait :

« Les arrestations de ces derniers jours relèvent pourtant de l’arbitraire le plus révoltant !

– Les arrestations de ces derniers jours sont soit le fruit de l’enquête, soit concernent des personnes ayant été prises en flagrant délit.

– Exprimer son opinion est donc un délit pour vous ?

– Exprimer son opinion, non. Se promener en bandes armées en appelant à la haine et la violence, oui. A fortiori en période de crise et après un appel au calme des autorités.

– Il est fort, quand même ! commenta Jeff.

Votre tentative de manipuler et museler l’opinion publique ne passera pas !

– Ouais, comment fait-il pour rester aussi calme ? souffla Manon, admirative.

M. Hantaisha, j’ai très largement autre chose à faire que manipuler et museler l’opinion, ce que je n’ai pas fait et formellement interdit de faire. Et je vous mets au défi de prouver le contraire. »

Shion était grave et soutenait sans ciller le regard de son vis-à-vis. Comme ce dernier ne répondait pas, le jeune président reprit :

« Je respecte tous les avis et toutes les opinions, mais je me dois de faire régner l’ordre et respecter la loi, d’assurer la sécurité de tous, au-dessus des clivages. De tous les clivages. Et laisser des personnes armées et très agressives aller insulter d’autres personnes armées et pas moins agressives était les mettre toutes en danger, ce que je ne peux pas tolérer. »

Nezumi alla prendre une commande à la table de clients arrivés entre-temps. Lorsqu’il revint au comptoir, il entendit Shion demander avec un air franchement dubitatif :

« … Mais pourquoi vous me parlez de la centrale géothermique ?…

– Vous dilapidez l’argent de l’État dans des extensions inutiles !

– … Euh… Je ne vois pas le rapport avec la situation dont nous parlions, mais je vous répondrai qu’on la fait parce qu’on le pouvait financièrement, et après pas mal de réflexion et de retard, parce que justement, on a dû payer d’autres choses avant, l’hôpital Ouest, par exemple.

– La centrale suffit amplement aux besoins de la ville !

– Pour le moment, effectivement,mais les prévisions laissent penser que la consommation est appelée à augmenter dans les décennies à venir. Donc, puisque nous avons les moyens, nous préférons agrandir tout de suite, ce qui nous permettra d’être tranquilles et de voir venir. Sans compter que ça facilitera l’entretien de la centrale elle-même, en permettant le fonctionnement des sections à tour de rôle. »

Nezumi alla servir la table. Le pub était très calme. De fait, tout le monde suivait le débat. Lorsque le serveur revint au comptoir, il sourit. Hantaisha s’était visiblement lancé dans un discours véhément. Shion écoutait sagement, et le journaliste et sa collègue oscillaient entre l’amusement et la lassitude.

« … Mépriser ainsi l’opinion publique et censurer les personnes qui osent se lever contre vous est absolument scandaleux !

Pouvez-vous me citer un exemple de censure ? demanda doucement Shion.

Nous savons très bien que vous rêvez de voir disparaître certains journaux, comme La Libre Parole !

Euh, non.

Qui pensez-vous convaincre ?

Non, mais comment dire… commença Shion et il reprit en haussant les épaules : Je ne partage pas les opinions de La Libre Parole… Après, je ne veux pas le censurer, ni censurer personne, la preuve étant que vous êtes là, face à moi, et ce journal en vente libre. Je vais me répéter, mais j’ai l’habitude, en disant que j’ai largement autre chose à faire que jouer à abattre les journaux qui ne me soutiennent pas. Les procès d’intention que vous me faites sont dénués du plus petit fondement. Mais bon, puisque je conçois l’inquiétude d’un certain nombre de mes concitoyens et que j’admets tout à fait que ma décision de prendre les pleins pouvoirs n’a pas du tout été concertée, je vous proposerais, afin de régler, encore une fois, la question de ma légitimité, l’organisation d’un référendum afin de savoir si, oui ou non, les citoyens et citoyennes de cette ville me soutiennent. Et je m’engage très officiellement, devant vous et toutes les personnes qui nous regardent et nous écoutent, à démissionner immédiatement si ce n’est pas le cas. »

Un silence suivit. Les deux journalistes étaient stupéfaits et Hantaisha aussi. Shion sourit :

« Bon, je crois qu’il va être temps de conclure ?

– Tout à fait ! sursauta le journaliste.

Nous sommes d’ailleurs déjà un peu en retard, ajouta sa collègue. Si vous n’avez rien à ajouter, messieurs ?

– Rien, à part au revoir et bon après-midi à tous, répondit Shion.

Soyez sûrs que nous veillerons à ce que ce référendum se passe sans irrégularités !

– Je n’en attends pas moins de vous. »

Jeff rebaissa le son de la télé. Epona hocha la tête :

« On va en être quitte pour aller voter.

– Ouais… Ça promet… J’espère qu’ils ne vont pas traîner, sinon ces idiots vont avoir le temps de se déchaîner, soupira Jeff.

– Vous en pensez quoi de cette idée de référendum ? demanda Nezumi, sceptique.

– Il fait bien. À mon avis, ça va passer tout seul, comme l’autre fois. » répondit Jeff.

Nezumi le regarda, puis Epona qui reprit :

« Ah, c’est vrai… Tu n’étais pas encore. Ils avaient organisé ça, je dirais,… L’automne qui a suivi la chute du Mur ? Tu te souviens, Jeff ?

– Oui, on venait juste d’arriver. On avait même pas encore ouvert…

– Bref, comme ça que des qu’il avait pris le pouvoir sans concertation, ni élections, ni rien, ils ont mis en place ce vote. Ça a été l’horreur, avec les trois quarts de Bloc Ouest qui ne savait pas lire… Du coup, les bulletins étaient en couleur ! Verts et rouges.

– Ils vont sûrement remettre ça, là.

– Il avait obtenu combien ?

– 61 %, répondit Jeff.

– À mon avis, il va faire beaucoup mieux. » conclut Epona.

L’après-midi se tirait et Nezumi commençait à se dire que Shion n’allait pas tarder à venir le chercher pour qu’ils aillent passer la soirée chez Inukashi avec Haru, Shinobi et Karan, lorsqu’un groupe de jeunes gens entra, joyeusement bruyants. Nezumi soupira. Allez, encore un peu de courage… pensa-t-il avant de se figer, exactement à la même seconde qu’une des jeunes filles du groupe.

Ils restèrent cons tous les deux, puis il balbutia :

« … Muzai ?…

– …Nezumi ?… »

Il tendit avec un immense sourire les bras vers la jeune fille qui lui sauta au cou et il la serra très fort.

« Ma petite puce ! Tu vas bien ? »

Elle regarda, les larmes aux yeux :

« Oui, oui… Ça va… Ça alors, pour une surprise ! Freedom m’avait dit que tu étais revenu, mais je ne pensais pas te retomber dessus comme ça !

– Ben j’allais te le dire… Il m’avait dit que tu étais au conservatoire ?… »

Le reste du groupe échangeait des regards intrigués, à part un jeune homme qui faisait une drôle de tête et s’avança vers les deux amis qui s’étreignaient une nouvelle fois :

« Euh… Muzai ? Tu connais… ?… »

Muzai présenta alors son petit ami à Nezumi. Ce dernier tendit une main aimable au garçon qui la serra sans vraiment perdre sa grimace.

« Tu bosses ici ? demanda Muzai.

– Ouais !… Allez vous asseoir, je vais venir vous servir. »

Le groupe s’installa autour de deux tables qu’ils rapprochèrent. L’une était sale et en venant pour la débarrasser et l’essuyer, Nezumi entendit sa jeune amie expliquer :

« … Mais si, L’Arc-En-Ciel, je vous en ai déjà parlé plein de fois !…

– Le cabaret de Bloc Ouest ?

– C’est ça ! Ben lui, continua-t-elle en montrant Nezumi, il y chantait.

– Et on se faisait des duos avec ton violon, intervint Nezumi en essuyant la table.

– Et des trios avec Momo et sa guitare… »

Lorsque Shion arriva un peu plus tard, il trouva son compagnon hilare à une table avec une bande de jeunes gens, visiblement dans une ambiance joyeuse. Intrigué, le jeune président sourit. Jeff le salua du comptoir. Shion alla lui serrer la main alors que Nezumi se levait après avoir fait la bise à Muzai :

« À bientôt, alors !

– Pas de souci, je vois avec lui et je te rappelle. »

Nezumi rejoignit Shion en sifflotant et l’enlaça par derrière :

« Coucou, mon ange.

– Bonsoir, toi. Ça va ?

– Très bien… Je récupère mes affaires et j’arrive. »

Nezumi fila derrière le comptoir sans cesser de siffloter. Shion le regarda faire en souriant et demanda à Jeff :

« Pourriez-vous me donner un peu d’eau, s’il vous plaît ? Je sens que j’ai une migraine qui pointe, je voudrais prendre un comprimé.

– Bien sûr, tout de suite. »

La tablée était soudain très silencieuse et regarda Nezumi revenir, sifflotant toujours, alors que Shion avalait son cachet.

« Houla, encore ta tête ?

– Moui… »

Nezumi prit doucement le visage de Shion dans ses mains et embrassa son front :

« Va-t’en, vilaine migraine, laisse mon Shion tranquille… »

Il l’embrassa doucement.

« Allez, on y va ?

– Moui, moui.

– Bonne soirée tout le monde ! salua Nezumi à la cantonade. À bientôt, Muzai ! À demain, Jeff ! »

Les deux jeunes gens partirent tranquillement. Ils rejoignirent la voiture et Nezumi demanda :

« Tu veux que je conduise ?

– T’as toujours pas ton permis…

– Ah merde, c’est vrai… Mais ça ira ?

– Oui, ne t’en fais pas. C’était qui, les gens avec qui tu étais ? demanda Shion en montant.

– Des élèves du conservatoire… Tu te souviens, la petite violoniste de L’Arc-En-Ciel, Muzai ? répondit Nezumi en s’installant aussi. On t’en avait parlé avec Freedom.

– Oui ?

– Ben elle venait boire un coup avec sa bande et voilà !

– Ça doit te faire plaisir de l’avoir retrouvée.

– Oui, très. Et ses amis ont l’air sympa aussi. »

Shion démarra et sortit doucement de sa place de stationnement.

« En plus, ils cherchent un chanteur pour leur groupe…

– Ah, ça pourrait être très bien, ça.

– Ouais… Ils en avaient une, mais elle les a lâchés pour se la jouer solo. Muzai doit me rappeler, le leader du groupe n’était pas avec eux, là. C’est leur batteur, apparemment. »

Shion les conduisit au nord de la ville, dans une zone aussi verdoyante que peu habitée, car principalement agricole. C’était la zone d’élevage de la ville, de grands prés pleins de fleurs en cette saison.

Il se gara juste après le portail. La maison était un peu plus loin, on longeait un grand champ pour y accéder. Une vaste cour pleine de chiens se trouvait devant la grande bâtisse à un étage. La porte de cette dernière s’ouvrit :

« S’IOOOOOOOOOOOON !!! »

Shion s’accroupit, tout sourire, pour recevoir Haru :

« Coucou mon bébé ! »

Il se releva avec le petit garçon dans les bras, alors que Nezumi riait :

« Ah ben bonjour le favoritisme !

– Il a bon goût, c’est tout ! » lui cria Inukashi en sortant à son tour.

Shion tendit un Haru tout excité à Nezumi :

« ZUMIIIIII !!! »

Le jeune serveur reprit l’enfant dans ses bras :

« Coucou, poussin !

– Désolé de t’avoir imposé tout ce petit monde, Inukashi, dit Shion.

– Pas de souci ! Je te devais bien ça. Tout le monde va bien et euh… Ton frère est super doué pour laver les chiens. »

Shion sourit :

« Ça doit être de famille… »

*********

Shion travaillait, concentré, seul dans son bureau, ce dimanche soir là, lorsqu’on frappa à sa porte et que Nezumi entra.

« Mon ange ? Ça va ? »

Shion soupira et lui sourit, fatigué :

« Oui, oui…

– On t’attend ? On va être en retard.

– Ah, déjà ?… Zut, je voulais finir ça et j’ai pas vu l’heure… Zut, zut… »

Il passa ses mains sur son visage en grommelant. Nezumi sourit tristement. Il vint se placer derrière Shion et passa ses bras autour de ses épaules pour lui murmurer à l’oreille :

« Allez, ça va aller… Je suis sûr qu’ils vont te soutenir. »

Shion soupira encore et se redressa. Ils avaient organisé le vote le plus rapidement possible, et seulement quelques jours étaient passés entre l’annonce et le référendum. Laps de temps qui avait suffi à l’opposition pour se déchaîner, surtout après que Shion ait officiellement refusé d’aller aux funérailles des deux victimes, savamment organisées en même temps dans le but clair de le « forcer » à ne pouvoir aller qu’à une et ainsi à prendre parti. Shion avait fait porter une lettre de condoléances aux deux familles, prenant soin qu’elles le reçoivent au même moment, et avait interdit à tous les membres du Conseil de se rendre aux funérailles. Les quelques tentatives de manifestations avaient été dispersées sans violence, mais avec fermeté. L’état d’urgence n’était pas levé.

Ce soir-là, ils étaient attendus à la télé pour les résultats du vote. Shion avait passé la journée à travailler, seul dans son bureau. Enfin, seul avec la ménagerie, les corbeaux qui commençaient à voleter partout, les souris qui gambadaient et les chiots et le chaton qui gambadaient un petit peu aussi…

Shion avait refusé qu’on l’informe des estimations de vote. Nezumi l’avait laissé tranquille. Il était repassé chez eux faire un peu de jardinage, au calme lui aussi.

Il avait rejoint le Palais à temps pour partir à la télé avec Shion. La principale chaîne d’informations organisait une soirée spéciale. Mais personne n’avait osé entrer dans le bureau avant l’arrivée de Nezumi qui s’était dévoué.

« Bon, allons-y… » soupira le jeune président en se levant.

Le studio n’était pas loin. Shion et Nezumi s’y laissèrent conduire par leurs gardes du corps.

Le résultat du vote allait être annoncé à 20 h, et plusieurs personnalités de la ville, de tout bord, avait été invitées : Shion, bien sûr, Kenmeena, le doyen de Bloc Ouest, Dorei Hantaisha, envoyée par son père Sagishi qui ne voulait visiblement pas d’un nouveau débat avec Shion, Tomodachi en représentant des associations culturelles et des partenariats internationaux, entre autres. Nezumi, pour sa part, prit place dans le public, derrière Shion. Yui arriva juste avant le lancement du jingle, à 19 h 45, et s’assit à côté de Nezumi.

« Tu ne débats pas ? murmura ce dernier.

– Non, non, je m’énerve vite, ces connards savent trop bien taper avec moi. »

Ils se turent tous deux pendant le jingle et la présentation des journalistes.

« … Nous aurons les résultats dans une dizaine de minutes, le temps de faire un rapide tour de table avec nos invités. M. le Président, bonsoir.

– Bonsoir et bonsoir à tous, répondit aimablement Shion.

– Comment vous sentez-vous ?

– Je fais confiance à mes concitoyens, j’espère qu’eux me font toujours confiance, mais je respecterai leur décision si ce n’est pas le cas.

– Les sondages vous donnaient largement gagnant…

– On va voir ça. »

Le tour de table se poursuivit. Le vieux Kenmeena assura tranquillement que le calme était revenu à Bloc Ouest et que l’ensemble de sa population avait été satisfait des mesures prises et de la rapidité avec laquelle la crise avait été réglée. Tomodachi assura de même que lui et ses partenaires, nationaux et internationaux, restaient totalement confiants envers le gouvernement. Hantaisha fils se fit un plaisir de râler un peu, mais bien plus maladroitement que son père : il n’avait ni son assurance, ni son éloquence. D’autres émirent des réserves plus ou moins lourdes de sous-entendus sur la politique du jeune dirigeant.

Puis ce fut 20 h, le résultat tomba et fut suivi d’un silence éloquent.

La population d’Utopia renouvelait sa confiance à son président à 79 %, avec un taux de participation de 86 %.

Shion resta bête, muet et les yeux ronds.

Yui et Nezumi se regardèrent, se sourirent et commencèrent à applaudir, rapidement suivis par la majorité du public.

Comme Shion ne réagissait pas, vraiment sidéré, Nezumi se permit de se lever pour aller poser ses mains sur ses épaules et se pencher pour lui murmurer :

« Ça va ? »

Shion sursauta, puis se tourna pour lui sourire :

« Oui, oui… Juste euh,… Je suis un peu surpris.

– “Un peu” ? sourit encore Nezumi.

– Une réaction, M. Kazemori ? » l’interpella une journaliste.

Nezumi hocha la tête sans perdre son sourire :

« Je ne vous cacherai pas que d’un point de vue strictement égoïste, j’aurais largement préféré qu’il doive démissionner. »

Intriguée, elle le relança :

« Vous n’approuvez pas sa politique ?

– Si, si. Pleinement.

– Alors quel est le problème ?

– Un peu marre de le récupérer crevé à 3 h du matin ou plus souvent 4 ou 5 depuis une semaine… Je me permettrai donc de conseiller aux habitants de cette ville d’être vigilants, s’ils ne veulent pas le faire mourir d’épuisement. »

Nezumi retourna s’asseoir à sa place.

Le reste du débat fut assez paisible. L’opposition écrasée par le résultat tenta bien de grogner un peu ou de sous-entendre que le vote n’avait pas été régulier, mais ils ne réussirent qu’à se faire un peu huer du public, que Shion finit par appeler au calme avec amusement. À la fin de la soirée, le journaliste demanda :

« Un petit mot pour conclure, Monsieur le Président ? »

Shion opina et chercha un instant ces mots.

« Je suis très honoré, et très touché, de la confiance que m’ont témoignée mes concitoyens aujourd’hui. Très honoré et très touché, mais aussi et surtout conscients de leurs espoirs et de la responsabilité qui m’incombent, maintenant, qui nous incombe, de travailler de toutes nos forces pour continuer à construire, tous ensemble, un avenir pour chacun. »

*********

Une heure plus tard, dans la chambre, Nezumi sortait de la salle de bains, en tenue d’Adam. Il rejoignit Shion qui lisait sagement dans le lit, s’y glissa et vint subrepticement se coller à lui. Shion sourit et continua de lire en caressant la tête brune d’une main, puis son sourire s’élargit alors qu’une autre main caressait doucement ses cuisses, remontant jusque son entrejambe et son boxer.

« Mon joli rat a une poussée d’hormones ?

– Méchant que tu es, à bosser jusqu’au matin, on n’a rien fait depuis le jour de ton retour !

– Comme le temps passe… »

Shion posa son livre, éteignit la lampe de chevet et s’allongea plus confortablement. Nezumi se serra contre son flanc, embrassant doucement son épaule et son cou en le prenant dans ses bras.

« Mon Shion, mon Shion… Je vais bouder, tu me délaisses…

– Mon pauvre petit rat chéri d’amour… Fais-moi un gros câlin !

– Je vais te dévorer tout cru, oui ! »

Shion rit doucement.

Il ferma les yeux lorsque la main de son amant se glissa sous son boxer.

« Shion… Dis… Tu me fais un bébé ?

– Il me semblait que tu étais un garçon comme moi… Ça va rendre la reproduction difficile… »

Shion se mit à haleter alors que Nezumi le caressait, sortant son sexe du boxer en murmurant :

« Ça coûte rien d’essayer… »

Il se mit à embrasser le torse de son amant, sans cesser de le caresser. Shion gémit, laissa Nezumi lui enlever le boxer, puis s’allonger tête-bêche à lui pour le prendre en bouche. Avisant le phallus de son ami pas très loin de sa propre tête, Shion, entre deux frémissements de plaisir, se mit à le caresser, puis se tourna pour le lécher également. Il sourit en sentant Nezumi trembler et prit ses fesses à pleines mains, les pressant, les caressant avec force.

Nezumi finit par lâcher murmura, à bout de souffle :

« Prends-moi… Vite…

– Hmm… »

Shion sourit. Nezumi le regarda se redresser et venir l’enlacer et l’embrasser doucement :

« Tu veux faire ça comment ?

– Comme tu veux… Mais vite… »

Shion l’embrassa encore en l’incitant à se tourner sur le côté. Nezumi se laissa faire, et sourit en sentant Shion se serrer dans son dos et glisser ses cuisses entre les siennes avant de le pénétrer lentement.

Il gémit avant de se mettre à crier quand son amant se mit en mouvement en lui. Shion y allait lentement, tendrement, savourant son plaisir autant que celui de Nezumi tremblant dans ses bras. Il l’enlaça, caressant son corps, son torse, accélérant ses coups de reins. Nezumi se mordit les lèvres. Shion glissa sa main entre ses cuisses pour se mettre à le masturber avec force. Nezumi cria plus fort. Il se raidit, comme secoué de spasmes, avant de jouir, en sentant Shion se libérer en lui et en jouissant dans sa main.

Puis, il resta amorphe alors que Shion se libérait avant de se réinstaller dans son dos, l’enlaçant encore. Ils s’endormirent rapidement.

Les semaines qui suivirent furent juste démentielles pour les membres du Conseil, obligés de suivre le rythme inhumain que leur imposait un Shion en mode « marche ou crève ». Les réformes et les décrets tombaient à une vitesse que le journal officiel peinait à suivre et Nezumi dut venir quatre fois en plein milieu de la nuit interrompre une réunion pour emmener Shion se coucher, dont une fois de force, pour le plus grand bonheur des autres participants épuisés.

Nezumi n’était pas vraiment moins occupé. Recontacté par le théâtre pour un nouveau rôle, cette fois plus important, dans une nouvelle pièce, et aussi par Muzai, avec le groupe de laquelle il avait commencé à répéter, il courait pas mal entre le pub, le théâtre et le conservatoire.

Les deux amants se voyaient donc assez peu et étaient souvent aussi fatigués qu’énervés. Ils avaient donc pris le parti de ne pas trop se parler pour éviter de se disputer pour rien. Ils vivaient toujours au Palais, Shion attendant la fin de l’enquête pour lever le plan de protection de sa famille.

Lorsque Shion s’envola pour Dakar, mi-juillet, tous les membres du Conseil restant à Utopia partirent dormir…

Pris par sa pièce et son nouveau groupe, Nezumi ne put l’accompagner, pour le plus grand désespoir des autres participants de la rencontre internationale.

Les deux amants s’étaient quittés en froid et, suite à un changement de dernière minute dans l’organisation de son départ, Shion n’avait pas pu dire au revoir à Nezumi.

Resté donc seul, ce dernier décida de se réinstaller dans leur maison avec leurs animaux, ne voyant pas l’intérêt de rester au palais présidentiel sans Shion.

Le jeune président ne donnait aucune nouvelle, ne répondait pas à ses messages. La maison était désespérément vide et un soir, Nezumi vida un peu trop de canettes du Guiness et s’installa à son piano, complètement ivre. Il passa la nuit à composer dans un état second.

La sonnerie de son téléphone lui vrilla les tympans en même temps qu’elle le réveillait en sursaut, tard dans la matinée.

Espérant que ce soit enfin un appel de Shion, il bondit du canapé pour saisir l’appareil… Mais ce n’était que Jeff, inquiet de ne pas le voir arriver au pub. L’entendant épuisé et malade, il lui dit :

« Non, mais repose-toi, reste tranquille, on va se débrouiller. Il faut que tu sois en forme pour accueillir Shion demain.

-Euh… Ouais… »

Nezumi raccrocha avec un soupir et retomba sur le canapé. Il avait horriblement mal au crâne. Bon,… Au moins, cette fois, je me suis mis minable à la maison… songea-t-il. Il reprit son téléphone et envoya un énième « Tu me manques, mon ange. Bisous. » …

Pas de réponse… C’était dingue. Shion ne pouvait pas lui en vouloir à ce point d’une telle bricole ?… Bon, certes, il avait eu la main un peu lourde sur le chaton, mais elle lui avait vraiment fait mal aussi, et il ne pensait pas que ne rien répliquer après avoir été mordu au sang était une bonne idée.

Mais Shion ne pouvait pas lui en vouloir au point de ne pas répondre à ces messages quatre jours ?…

Il se leva, pas très stable sur ses jambes. Il se dit qu’il allait aller finir sa nuit dans son lit, ça serait plus confortable… Il monta les escaliers en titubant, manqua de se vautrer sur le parquet de la chambre, atteint le lit et soupira en s’allongeant sous le drap.

Il en avait marre du Palais… Il avait envie de revenir vivre ici, tranquillement, avec Shion, Haru et les bestioles, envie de jardiner avec les souris qui gambadent autour de lui, les corbeaux qui volent…

Il se réveilla en début d’après-midi, assoiffé, mais un peu moins vague. Il prit une bonne douche, mangea, nourrit les animaux, même le chat, fit un peu de ménage et retomba, au salon, sur les feuilles et les partitions qu’il avait noircies dans la nuit.

Il les relut avec attention, fredonnant l’air. Ça pouvait être une base intéressante pour faire une vraie chanson… Il faudrait qu’il en parle aux autres.

Il continua la journée en jardinant, ce qui l’apaisait toujours. Puis, il passa, juste pour faire un petit coucou, chez Inukashi qui l’engueula d’être venu sans prévenir en ajoutant qu’il n’avait pas intérêt à râler si le repas du soir ne lui allait pas.

Il passa donc une agréable soirée, collée par un Haru très calme et désireux de rentrer à la maison, lui aussi.

Le lendemain, il réserva dans un bon restaurant de la ville pour le soir, bien décidé à kidnapper s’il fallait Shion pour passer une soirée en amoureux avec lui.

Il attendait à l’aéroport, un peu nerveux, mais l’avion avait du retard.

Soudain, son portable se mit à vibrer avec insistance. Le prenant, il sourit : enfin un message de Shion… Non, deux… Trois… Six… ?

Les yeux de Nezumi s’élargirent lorsque le portable cessa enfin de vibrer : 37 messages et 13 appels en absence?… Il prit le message plus ancien :

« Je serai là dans cinq jours, mon joli rat. Tu me manques déjà. Je t’aime. Prends soin de toi. »

Les larmes lui montaient aux yeux et il plaqua sa main sur sa bouche, en faisant défiler les messages : « Voilà, je suis bien arrivé. ^^ »… « Pourquoi tu réponds pas ? »… « C’est vilain de bouder. :p »… « Je t’aime. »… « Réponds, tu me manques… »… « Je suis crevé, mais j’ai vu plein de fauves. Hâte de te montrer les photos. Bisous. »… « Tu boudes encore ? »… Jusqu’au dernier : « On décolle, mon cœur. À très vite. »

Il sourit lorsqu’un des employés de l’aéroport vint lui signaler que l’avion présidentiel venait d’atterrir.

« Je vous suis. »

Il eut un petit sourire en voyant les journalistes retenus par un cordon de sécurité, qui attendaient sagement, et derrière eux, pas mal de curieux.

Un tonnerre d’applaudissements et de cris joyeux accueillit le jeune président et les personnes qui l’accompagnaient lorsqu’ils s’apparurent.

Nezumi croisa le regard fatigué de Shion et le sourire qui passa sur ses lèvres fit s’envoler ses derniers doutes.

Il attendit sagement, un peu à l’écart, que Shion réponde à quelques questions. Puis, enfin, Shion le rejoignit. Ils se regardèrent un instant, puis Shion dit doucement :

« Je viens d’avoir tes messages…

– Ouais… Je viens d’avoir les tiens.

– Je me sens très con de ne pas avoir compris que c’était juste un problème de réseau.

– Pareil. »

Ils se mirent à rire tous les deux et s’étreignirent avec force.

« Je suis rentré, mon cœur…

– Bon retour, mon ange. »

Nezumi et Shion filèrent. Ils passèrent chez eux le temps que Shion se lave et se change, avant d’aller dîner tranquillement au restaurant, puis ils rentrèrent passer une nuit délicieuse, toujours chez eux, désireux d’un peu de calme. Il serait bien temps de rentrer au Palais le lendemain.

Le matin les trouva blottis l’un contre l’autre. Il faisait un temps superbe, alors ils s’installèrent dans le jardin pour prendre leur petit déjeuner.

La ménagerie, qui les avait laissés tranquilles jusque-là, vint leur tenir compagnie.

Les souris trottaient sur la table, les corbeaux voletaient, pas encore très adroits, Omae et ses « trois » petits étaient couchés dans l’herbe, un peu plus loin.

Shion finissait son thé, tranquillement, lorsque Nezumi se pencha pour se redresser avec, dans la main, le chaton qu’il tenait par la peau du cou.

« Je trouve quand même qu’elle pique un peu.

– Si tu as du temps à perdre, tu peux essayer de lui tailler les griffes. »

Le chaton remua en feulant.

« Shion, mon amour ?

– Oui, mon chéri ?

– Me permettrais-tu de déroger à la tradition de notre foyer et de baptiser à ta place cette adorable petite saloperie ? »

Shion gloussa.

« Je t’en prie, fais donc.

– Merci. »

Nezumi se leva solennellement, saisit son verre d’eau et le renversa sur la tête du petit animal en déclarant d’un ton très sérieux :

« Par les pouvoirs qui me sont conférés, je te baptise Méphisto. Bonne chance dans la vie. »

Il reposa le chaton furieux par terre :

« Allez, dégage. »

Méphisto fila en miaulant, outrée, pour retourner se cacher derrière Omae. Shion riait de bon cœur.

Le jeune président se remit au travail un peu moins frénétiquement et, fin juillet, l’état d’urgence fut officiellement levé et Haru et Shinobi rentrèrent donc à la maison.

L’enquête avait abouti à la mise en examen d’une cinquantaine de personnes. Les peines furent très variables, car chaque cas examiné avec soin par les juges.

Le mois de septembre arriva sur ces entrefaites et Shion fit semblant de ne pas voir que Nezumi et les autres préparaient une fête pour leurs 20 ans.

Le soir du 7 septembre, il se laissa conduire au Paddy’s innocemment. Tout le monde l’y attendait. Karan et Shinobi avaient bien sûr fait largement trop de gâteaux.

La soirée était très sympathique et Shion parlait avec Adrian et Marianne, son ancienne assistante toujours en congé parental, lorsque les lumières du pub s’éteignirent.

Après quelques secondes, la scène s’alluma. Tous découvrirent alors Nezumi au piano, Muzai et son violon et leurs deux amis, le filiforme Gitoa à la guitare et le très baraqué Dagakki à sa batterie, derrière eux.

Nezumi se racla la gorge et dit d’une voix pas très assurée :

« Alors euh,… Ça, c’est mon cadeau d’anniversaire pour toi, Shion… J’espère que ça va te plaire… Merci à Gitoa pour son aide sur les accords, et à Muzai et Dagakki pour leur coup de main sur le texte… »

Il se tut et commença à jouer. Les autres suivirent et après quelques accords, la voix de Nezumi s’éleva :

Peut-être que tu trouveras un meilleur endroit où t’endormir

Tu appartiens un monde que je ne peux pas être

L’avenir est hanté de souvenirs que je ne pourrais pas avoir

Et l’espoir est juste un étranger que je connais mal

Moi, je meurs chaque fois que tu regardes ailleurs

Mon âme, ma vie ne seront jamais pareilles

Cet amour m’engloutira complètement

Chaque souffle, chaque caresse sera ma fin

Toi, tu es le dernier lien qui m’attache à ce monde

Même si partout, on t’aime comme tu le mérites

J’aimerais trouver un moyen d’effacer le passé

Sachant que si mon cœur se brise

Au moins la douleur restera

Moi, je meurs chaque fois que tu regardes ailleurs

Mon âme, ma vie ne seront jamais pareilles

Cet amour m’engloutira complètement

Chaque souffle, chaque caresse sera ma fin

Peut-être que tu trouveras un meilleur endroit où t’endormir

Ou peut-être que tu m’embarqueras sur l’océan de tes rêves

Ou de ton amour

Ou de ton amour…

Le silence revint et il y eut un petit flottement avant que l’assistance ne se mette à applaudir à en faire trembler les murs.

Nezumi sauta de la scène pour rejoindre Shion, le seul à ne pas applaudir, occupé à pleurer avec un sourire très bête sur les lèvres.

« Eh, ça va, mon ange ?… »

Ils s’étreignirent avec force. Nezumi entendit Shion murmurer d’une voix tremblante :

« … Jamais ailleurs que dans ses bras… C’est le seul endroit où je veux m’endormir… »

Quelques heures plus tard, ils rentrèrent tranquillement chez eux. Shinobi et Haru sommeillaient à l’arrière de la voiture. L’adolescent monta se coucher sans demander son reste et Shion coucha Haru, le borda en lui chantant une berceuse, le regarda s’endormir et se leva, pour sortir en silence et rejoindre Nezumi qui se douchait.

Il se déshabilla pour aller le prendre dans ses bras, sous l’eau chaude. Nezumi sourit :

« Comment tu te sens, Monsieur le Président ?

– Bien…

– Seulement bien ?… »

Nezumi se tourna et lui susurra à l’oreille :

« Et si je te faisais sentir encore mieux ?

– Hmmm… » ronronna Shion.

Ils s’embrassèrent longuement. Shion passa ses bras autour des épaules de Nezumi, fourrageant dans ses cheveux noirs. Nezumi embrassa sa joue, sa gorge, son épaule. Shion gémit. Les mains de Nezumi caressaient lentement son dos, du bout des doigts, le faisant frémir.

« Dis-moi, Shion… Comment tu me veux…

– Aah…

– Réponds… »

Nezumi saisit les fesses de Shion à pleines mains :

« Réponds.

– Nezumi… Je… Fais-moi… Aah…

– Hmm… ? souffla Nezumi en remontant lentement ses mains au creux de son dos.

– … Tout ce que tu veux… Je veux… Je veux que tu me fasses tout ce que tu veux…

– À tes ordres, Monsieur le Président. »

Nezumi reprit les fesses de Shion dans ses mains et se serra pour frotter longuement leurs sexes l’un à l’autre.

« Aaah… Nezumi… Nezumi… »

Nezumi haletait, il s’agenouilla devant Shion et prit son sexe en main, se mettant à le caresser doucement. Shion se mordit les lèvres et s’appuya dos au mur. Nezumi se mit à sucer ses bourses avec appétit, puis lécha sa verge longuement. Shion tremblait, gémissant. Ses jambes finirent par le lâcher. Nezumi le rattrapa et le tira sur ses genoux. Shion passa à nouveau ses bras autour de ses épaules.

« J’ai envie que tu me chevauches, Shion… »

Ils s’embrassèrent, puis Shion se positionna et s’empala lentement sur lui. Il se mit à le chevaucher lentement, puis accéléra tranquillement le rythme. Ils se mirent à crier ensemble.

Sentant Shion faiblir, Nezumi le poussa doucement sur le carrelage, et saisit ses hanches pour se mettre en mouvement en lui. Shion trembla et se mit à crier plus fort. Il resserra ses jambes autour de la taille de Nezumi et tendit ses bras vers lui.

Nezumi sourit et se pencha. Ils s’enlacèrent et s’embrassèrent encore. Nezumi accéléra ses coups de reins et Shion cria plus fort encore.

Nezumi sourit, à bout de souffle lui aussi. Il embrassa encore la joue et la gorge de Shion et ce dernier se raidit dans un cri, secoué de tremblements alors qu’il jouissait. Nezumi ne put pas davantage se retenir et jouit en serrant Shion fort dans ses bras.

Ils s’embrassèrent longuement, Shion fourrageant dans ses cheveux mouillés.

Un peu plus tard, couchés dans leur lit, les deux amants se câlinaient tendrement. Nezumi finit par se blottir contre Shion, souriant doucement.

« Nezumi ?

– Hm ?

– Ça fait huit ans… Tu te souviens ?

– Ouais… Une grosse tempête… Et un garçon qui criait à sa fenêtre… »

Shion sourit et se mit à caresser sa tête :

« Un garçon blessé et trempé qui est entré dans ma chambre par le balcon… Je crois… Je crois que je t’ai aimé tout de suite… Dès que je t’ai vu… Il n’y a plus eu que toi.

– Mon Shion… J’ai dormi avec toi, cette nuit-là… Tout contre toi… J’étais bien. Ça me paraît si loin, quand j’y repense… »

Il se redressa pour embrasser Shion :

« Ensemble jusqu’en enfer ?

– Quoi qu’il arrive. »

*********

L’automne, délicatement coloré, passa paisiblement. Nezumi récolta les feuilles de ses plantations et les mit à sécher dans un coin de la cave. Méphisto était aussi câline avec Shion qu’insupportable avec Nezumi. Les deux corbeaux, parfaitement éduqués, volaient aussi bien dans le jardin que dans la maison. Ils ne volaient ailleurs que lorsqu’ils accompagnaient quelqu’un à l’extérieur. Régulièrement, en effet, ils partaient avec Shion ou Nezumi pour la journée, ensemble ou pas selon l’humeur. Les deux petits d’Omae, Kimi le noir et Anata la rouquine, avaient hérité du caractère tranquille de leur mère. Haru était tout fier d’être à la maternelle. Shion avait enfin pu l’adopter pour de vrai. Shinobi, qui avait dû arrêter de travailler à la boulangerie lorsque Karan s’était mis en congé maternité, prenait quelques cours par correspondance et passait régulièrement aider Inukashi, entre deux entraînements d’arts martiaux entre autres.

La pièce sans grande prétention dans laquelle Nezumi avait joué avait eu un grand succès et avait été reprogrammée pour janvier. Parallèlement, lui et ses trois amis musiciens avaient donné quelques petits concerts au pub, recevant à chaque fois un très bon accueil.

Shion commençait à organiser les Annuelles, désireux de faire un sans-faute.

Et c’est ainsi que la fin de l’année arriva. Le 22 décembre, Karan accoucha sans souci d’une petite fille qu’ils baptisèrent Akane. Les fêtes passèrent paisiblement.

L’année 2021 débuta tout aussi tranquillement, sous la neige. Nezumi vaquait entre le théâtre, le groupe et le pub, et ça lui allait bien. Il avait trouvé son rythme et ne souhaitait lâcher aucune des trois activités. Il ne pensait sincèrement pas que la musique, ni le théâtre, ne lui assureraient jamais de revenu décent, alors que le pub, si, et y travailler lui plaisait toujours autant.

Il était de très bonne humeur lorsqu’il quitta le Paddy’s, le lundi 11 janvier. Il frissonna dans l’air froid de cette fin d’après-midi, et sourit en voyant Encre s’enfouir dans un repli de son étole. Yami trembla aussi sur son épaule et croassa, râleur. Nezumi rigola et le regarda :

« On était mieux dedans, hein ?

– Crôa ! approuva le volatile.

– Allez, on se dépêche, on va être en retard au théâtre.

– Crôa. »

Le jeune corbeau s’envola. Nezumi souffla dans ses mains gantées. Il se mit à marcher en les mettant dans ses poches. Son téléphone sonna alors qu’il attendait le tram. Numéro inconnu ?… Il décrocha, un peu sceptique :

« Allô ?

– Bonjour, M. Kazemori, dit une voix curieusement déformée qui l’alerta immédiatement. Nous excusons de vous déranger, nous aurions besoin de votre aide…

– Euh… Mon aide… Pour ?

– Il se trouve que votre ami le président a des documents qui nous intéressent beaucoup. »

Nezumi fronça les sourcils et répondit sèchement :

« Et pourquoi je vous les donnerais ?

– À vous de voir si vous tenez à la vie de votre fille. »

Nezumi répondit avec un sourire :

« Mes excuses, mais je ne crois pas avoir de fille… »

La voix ricana, mauvaise, avant de répondre :

« T’as la mémoire courte. T’as déjà oublié la pute que t’as baisée il y a neuf mois ? »

*********

Shion lisait avec soin le rapport sur le clonage des petits ornithorynques, tout attendri par les photos, lorsque Yui entra brusquement, sans frapper, dans son bureau, la faisant sursauter et réveilla en sursaut Kage, Hamlet et Iago qui dormaient sur son bureau :

« Shion ! Dieu merci, tu es là !

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Shion.

– Est-ce que Nezumi a essayé de te joindre, depuis une demi-heure ?

– Non… ?

– Merde…

– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Shion, plus insistant.

– Ben, il a disparu…

– Quoi ?! Comment ça, il a disparu ? !

– Ben… On sait pas… Il a quitté le pub normalement, il est allé jusqu’au tram… Il a l’air d’avoir reçu un coup de fil, il s’est éloigné et après, volatilisé. »

Shion était stupéfait. Il resta silencieux, hagard, un petit moment. Puis, il se redressa et regarda Yui :

« Il a semé ses gardes du corps ?

– Oui.

– Combien de temps ont-ils mis à s’en rendre compte ?

– Entre 5 et 10 minutes. Apparemment, il est entré dans une impasse, ils attendaient et ils ont fini par voir qu’il n’y était plus.

– Depuis combien de temps l’ont-ils perdu ?

– Euh… Exactement 34 minutes, répondit Yui après avoir regardé sa montre.

– Est-ce que vous avez localisé son portable ?

– C’est en cours… On a essayé d’appeler, mais il est éteint.

– C’est quoi, ce coup de fil qu’il a reçu ?

– Le numéro est celui d’une cabine du centre commercial Est. On est en train d’essayer de récupérer les enregistrements vidéo. »

Shion resta encore silencieux et Yui répondit. Lorsque Shion avait cette tête-là, c’est que ces neurones allaient bien trop vite pour lui. Enfin, les yeux rouges se posèrent sur lui :

« Essayez de retrouver les auteurs du coup de fil. Localisez son portable. Rien du côté de Shinobi et Haru ?

– Non, ils sont tranquilles chez toi, rien du côté de ta mère non plus. »

Shion se leva et soupira :

« Nezumi a planté ses gardes du corps volontairement, et s’il ne veut pas qu’on le retrouve, on ne le retrouvera pas. Reste à espérer que ce ne soit pas trop grave… Il nous joindra quand il voudra.

– Shion, il a pu être enlevé par n’importe qui…

– S’il s’est laissé enlever, c’est qu’il avait une bonne raison. Et si c’est le cas, on aura vite des nouvelles. »

Zento arriva, sans frapper non plus :

« Yui, Shion !… On a un problème !

– Quoi, encore ? ! sursauta Yui.

– Euh…

– Qu’est-ce qui se passe, Zento ? demanda Shion avec sérieux.

– On a réussi à tracer le portable de Nezumi, mais on vient de le perdre…

– Où ça ? Tu as un plan ?

– Oui, regardez, on a tout enregistré. »

Zento projeta un plan du quartier du pub sur le mur.

« Donc, on parle ici, c’est le Paddy’s… dit-il alors qu’un point rouge se mettait à bouger sur le plan. Là, le tram, et le coup de fil… On le voit donc aller dans cette impasse, il y est resté sept minutes… Et il a filé par le fond de l’impasse, on ne sait pas comment. On le suit après jusqu’aux quais,… Là, pareil, il piétine un moment… Et là, il rebouge un peu et on perd le signal. »

Yui grimaça. Shion réfléchit et murmura :

« Les égouts… ? »

*********

Nezumi avait négocié âprement, pendant un moment, se concentrant pour garder un ton calme désinvolte alors que son cœur battait à s’en rompre.

« Non, mais je veux bien y mettre de la bonne volonté, les gars, mais là comme ça, ça va pas être possible. Je vais pas courir voler mon mec juste parce qu’un inconnu qui s’amuse avec un modulateur vocal me dit qu’il va tuer un bébé dont je n’ai jamais entendu parler et qui est soi-disant de moi. Alors, vous me filez le lardon et après, je vous chercherai vos trucs, point. »

Son interlocuteur avait fini par céder, visiblement de très mauvaise grâce. Il avait dit à Nezumi de le rejoindre sur les quais, plus au nord.

« OK, j’arrive. »

Il avait raccroché et réfléchit un instant.

S’il prévenait Shion ou qui que ce soit, il risquait de mettre cet enfant en danger, enfin, plus en danger qu’il n’était déjà… Il fallait mieux qu’il règle ça tout seul. Il éteignit son portable et fila par le fond de l’impasse, ses gardes du corps allaient mettre un petit moment à donner l’alerte, ce qui lui laisserait suffisamment de temps… Du moins, il l’espérait.

Il marchait rapidement alors que les questions se bousculaient dans sa tête. Un bébé ?… Son bébé ?… Ça faisait bien neuf mois, mais si c’était vrai, pourquoi Shima ne l’avait-elle pas recontacté ?… Elle n’avait pas pu le trahir, pas pu s’allier à leurs ennemis ? Et puis qui c’était ce mec ?… Comment avait-il su ? Qu’est-ce qu’il voulait ? S’adresser à lui pour voler des documents à Shion était loin d’être une idée stupide…

Mais un bébé ?… Pourquoi n’avait-il rien senti ? Pourquoi rien ne l’avait averti…

Mère… Pourquoi ?

Il arriva sur le lieu du rendez-vous en se concentrant pour reprendre un air calme et débonnaire. II vit Yami qui se posait sur un muret, à quelques mètres de là. Il n’y avait pas un chat. Le fleuve coulait à quelques mètres de lui. Au bout du quai se trouvait un grand déversoir, une de ces grandes entrées des égouts de la ville.

Il attendit un peu. Puis, une grosse voiture se gara au bord du quai. Deux hommes descendirent. Nezumi observa : cagoulés, mais manteaux longs et visiblement chers. L’un d’eux portait quelque chose. Nezumi se concentra. Il allait devoir jouer serré.

Deux hommes vinrent vers lui. Il se dit qu’il avait déjà vu le plus grand, et le deuxième grogna.

Nezumi les regardait, mains dans les poches et l’air goguenard.

« J’ai failli attendre… »

Sa main droite était serrée sur son couteau.

« Alors, vu le temps, si on pouvait faire vite, ça serait cool. »

Le plus grand des deux hommes parla enfin :

« On t’a apporté ta fille, alors maintenant, t’as intérêt à nous obéir ! »

Nezumi était sûr d’avoir déjà rencontré cet homme. Le paquet se mit à pleurer. Le deuxième pesta et Nezumi eut un sourire et lâcha :

« Ça se porte pas comme ça, un bébé. Donne. »

L’homme se tendit lorsque Nezumi se rapprocha de lui et lui prit d’autorité le paquet les bras.

« Bonjour, toi… »

Il regarda la petite bouille encore fripée et la berça doucement :

« Du calme, du calme… Ça va aller. »

Le bébé se tut. Il était mal emballé dans une couverture, mais au moins, ça le tenait au chaud. Nezumi le serra doucement contre sa poitrine en demandant sans le quitter des yeux :

« Qu’est-ce que vous voulez, alors ?

– La puce que le vieil éclopé a filée à ton pote. »

Des yeux de Nezumi se glissèrent, mais, comme il avait toujours la tête penchée vers le bébé, ils ne le virent pas. Il demanda encore :

« Où est sa mère ?

– Oh, elle est morte… »

Nezumi dut faire un effort surhumain pour se contenir. Il serra le bébé un peu plus fort et jeta un oeil faussement sceptique à son vis-à-vis :

« … Vous l’avez tuée ?…

– Non, non ! se défendit vivement l’autre. C’est juste que l’accouchement a merdé… »

L’homme tremblait. Visiblement, ce n’était pas un bon souvenir… Nezumi hocha la tête. Il assura sa prise sur le bébé de sa main gauche, il n’avait pas droit à l’erreur.

Il donna un violent coup de pied dans le genou du premier homme qui tomba et profita de la surprise pour envoyer voler le second d’un crochet du droit bien senti en pleine tempe.

Il détala. Il entendit le premier homme lui crier de s’arrêter et une seconde plus tard, entendit un bruit qu’il n’eut pas le temps d’identifier, car une douleur intense éclata dans son dos.

Il s’écroula sur le sol.

L’homme, qui s’était redressé, abaissa son revolver et se releva péniblement en pestant. Il s’approcha de Nezumi visiblement inconscient au sol. Le bébé pleurait.

L’homme jura en se penchant, puis cria en sentant une lame se planter dans son mollet. Il tomba à nouveau au sol alors même que Nezumi enfonçait encore plus son couteau, puis se relevait d’un bond pour repartir en courant, porté par sa seule rage de vivre.

Cours, petit rat, cours… Ne les laisse pas prendre ta vie…

Les mots de la vieille résonnaient dans sa tête alors qu’il arrivait au déversoir et entrait sans hésiter… Son seul salut, il le savait. Son ancien domaine.

Il ne vit pas, derrière lui, l’homme qui tentait de lui tirer à nouveau dessus se faire violemment agresser par Yami qui lui griffa sans ménagement le visage et la main avant de s’envoler vers les égouts en croassant.

*********

Shion regardait le plan sur le mur :

« Il a filé dans les égouts… répéta-t-il.

– Hmmm… Pas con… Il les connaît sans doute encore par cœur… »

Sur le bureau, Kage se redressa soudain et croassa vivement en rejoignant la fenêtre en deux coups d’aile. Les trois hommes avaient sursauté, puis Shion rejoignit le corbeau, avant d’en voir un autre au-dehors :

« Yami ? »

Et il ouvrit aussitôt pour laisser l’oiseau rentrer. Yami gagna le bureau en râlant. Il déposa délicatement Encre, qu’il tenait dans ses serres, sur la table avant de s’ébrouer. Son frère vint se poser à côté de lui. Shion referma la fenêtre.

Yami croassait toujours. Shion sursauta en voyant Encre couverte de sang…

« Encre, où est Nezumi ? ! demanda-t-il anxieusement.

– Squik !… »

La souris grimpa sur l’épaule de Shion en couinant désespérément.

Zento et Yui se regardèrent, stupéfaits, alors que la souris se mettait à sautiller sur l’épaule de Shion sans cesser de crier.

Ce dernier comprit très bien le message.

« J’y vais.

– Quoi ? ! sursauta Yui.

– C’est moi qu’il l’a envoyée chercher. »

Devant l’air sceptique de ses deux amis, il expliqua rapidement en allant chercher son manteau :

« Il a coupé son portable, s’est mis dans un endroit où on ne capte pas le signal et a envoyé Encre me chercher. Je ne sais pas ce qu’il y a, mais il est dans une situation où il juge qu’il ne peut avoir confiance qu’en moi et en moi seul. J’y vais.

– Shion ! protesta Yui.

– Zen, vieux frère, le calma Zento d’un geste de la main. On a jamais dit qu’on le laissait y aller tout seul. »

Shion prit son mal en patience, laissant Yui appeler du renfort, il en profita pour essuyer Encre avec un mouchoir en papier, puis, voyant les traces sur la feuille sur laquelle Yami s’était posé, il fit de même avec sa patte. L’oiseau se laissa faire en râlant un peu pour le principe.

Shion le caressa.

« Merci, Yami, ça va beaucoup nous aider. »

Un peu plus tard, six voitures des services de sécurité arrivaient sur les quais. Dès qu’il eut confirmation de l’endroit exact où le signal avait été perdu, Shion y déposa Encre qui se précipita à l’intérieur du déversoir. Shion, suivi de Yui, Zento et de trois autres agents, eux bien armés, la suivirent. Ils virent avec surprise un des corbeaux passer en rase-mottes saisir délicatement la souris épuisée entre ses serres pour guider les humains en volant devant eux. Seul Shion n’avait pas tiqué et les suivait, grave, sans la moindre hésitation, dans les grands conduits humides et puants. Les deux corbeaux finirent par se poser à l’entrée d’un conduit trop étroit pour qu’ils puissent y voler confortablement. Yui braqua sa lampe à l’intérieur et ils aperçurent un corps visiblement couché au sol et serrant quelque chose.

Shion s’engagea dans le conduit en un battement de cils :

« NEZUMI ! »

Il manqua de s’aplatir au sol en dérapant dans l’eau, mais arriva rapidement vers son amant inconscient, couché en chien de fusil sur le sol, replié autour de quelque chose qu’il avait emballé dans sa veste.

Shion inspira un grand coup pour garder la tête froide et commença par vérifier l’essentiel : Nezumi respirait. Faiblement, mais il respirait. Il prit doucement ce qu’il serrait si fort contre lui, et sursauta en sentant remuer : un bébé… ?

Yui arrivait derrière lui :

« J’ai fait appeler des secours, Shion… »

Shion lui mit le paquet dans les bras et enleva son propre manteau. Il se pencha pour prendre Nezumi dans ses bras et sursauta en sentant de l’humidité dans son dos. Il trembla en voyant son gant plein de sang.

« Merde… »

Il l’emballa dans son manteau et le prit dans ses bras, se mettant le frictionner pour le réchauffer.

« C’est quoi, ce bébé, Shion ? bredouilla Yui.

– J’en sais rien… »

Un peu plus tard, les secours arrivèrent. Shion les suivit, le bébé pleurant dans ses bras. Il confia le reste des recherches à Yui, puis monta dans l’ambulance.

Nezumi fut conduit à l’hôpital Nord, le plus proche, et immédiatement pris en charge. Shion confia de même le bébé à des personnes compétentes.

Mais qu’est-ce qui se passe…

Il se prit un café au distributeur, dans la salle d’attente. Perchés sur le dossier une chaise, les corbeaux étaient tranquilles. Encre dormait avec Hamlet et Iago, couchée sur son manteau, posé sur une des sièges.

Enfin, on vint lui dire que Nezumi était hors de danger et un peu plus tard, que le bébé aussi s’en tirerait sans dommage.

« … C’est vraiment un nouveau-né, apparemment, elle a quelques heures à peine… »

Shion ne bougea pas de l’hôpital, attendant le réveil de Nezumi. Yui le rejoignit vers 22 h. Ils restèrent dans le couloir, le temps que le Conseiller lui fasse part des premiers éléments : les traces de lutte et de sang dans la neige, sur le quai, une grosse voiture luxueuse qui avait été aperçue partant en trombe, après plusieurs voisins aient entendu de probables coups de feu…

Shion hocha la tête.

« Le sang qui était sur Encre et le corbeau va être analysé, comme celui qui se trouvait dans la neige et sur le couteau de Nezumi.

– Bien.

– T’en fais pas, Shion, on les retrouvera et vite. »

Ils furent interrompus par un cri venant de la chambre. Shion s’y précipita.

Nezumi avait repris conscience et, totalement désorienté, tant par les médicaments que par tout le reste, avait visiblement une vraie crise de panique. Shion le prit dans ses bras en une seconde :

« Ça va, ça va, tout va bien… »

Nezumi mit quelques secondes à l’identifier, puis l’étreignit à le broyer :

« Shion…

– Oui, c’est moi. Tout va bien, c’est fini, tu es à l’abri… Calme-toi, ça va… »

Nezumi se mit à trembler, alors que ses souvenirs revenaient :

« Mon bébé… »

Il regarda tout autour de lui, affolé :

« Mon bébé ?… Où est mon bébé ?

– Les médecins s’occupent d’elle, elle va bien…

– … Où elle est ?… Ils vont revenir… Il faut que je la protège… »

Shion l’empêcha de se lever :

« Nezumi, calme-toi, tout va bien. Il faut que tu te reposes, tu es blessé.

– … Ils ont tué sa mère… Il ne faut pas que je la laisse toute seule…

– Je vais leur dire de l’amener ici. Calme-toi. »

Le médecin de garde, qui se trouvait être le Dr Isha, arriva. Il échangea un regard avec Yui. Shion demanda qu’on amène bébé dans la chambre de son amant, le médecin opina, puis Shion demanda à Nezumi :

« Qu’est-ce qui s’est passé, raconte-moi ?

– Je sais pas, j’ai rien compris… J’allais au théâtre quand ce mec a appelé, il voulait que je te vole des docs contre ce bébé… Il disait que c’était ma fille… Merde… C’est vrai que ça fait neuf mois, mais… Ils ont dit aussi que sa mère était morte en accouchant… »

Nezumi se mit à pleurer et Shion le prit dans ses bras. Nezumi sanglota :

« … Shima… Comment ça a pu arriver… C’est pas possible… »

Il pleurait encore lorsqu’on apporta le berceau. Le pédiatre le regarda renifler et expliqua très gentiment :

« Elle va bien, ne vous en faites pas. Vous l’avez bien emballée, elle n’a pas souffert du froid. Elle a bien mangé, elle a des réflexes normaux. On va quand même attendre les résultats du test de caryotype et le bilan sanguin pour en être sûr, mais a priori, elle est en excellente santé. »

Le bébé couina dans son berceau. Voyant Nezumi se pencher, mais grimacer de douleur, Shion la prit doucement pour la lui donner.

Nezumi regarda ce petit humain tout rose qui remuait maladroitement et il eut un petit sourire. Shion sourit aussi et pensa qu’elle était toute mignonne, mais il ne dit pas, ne voulant pas briser le silence et ce lien qui se nouait sous ses yeux.

Le bébé bâilla et s’endormit. Nezumi le garda dans ses bras, le berçant doucement. Au bout d’un moment, il dit :

« Tu crois vraiment que c’est ma fille ?…

– Pourquoi pas…

– Qu’est-ce qu’on va faire…

– Repeindre la chambre d’amis en rose ? »

Nezumi le leva enfin les yeux vers Shion :

« Ça te va… Comme ça… ?

– Oui. »

Shion caressa sa joue et l’embrassa doucement :

« Oui, ça me va. »

Le bébé dormait paisiblement dans son berceau et Nezumi sommeillait dans les bras de Shion, lorsqu’un peu plus tard, une infirmière vint leur demander comment s’appelait la nouvelle née. Les deux amants se regardèrent un moment, puis Nezumi répondit d’une voix épuisée :

« Shima. Shima Kazemori. »

À suivre dans le chapitre 11…

(14 commentaires)

  1. Hellow ^^

    A y est j’ ai enfin tout lu, alors je vais sagement attendre la suite avec impatience ^^ Et regarder tes autres histoires 🙂
    Un grand merci pour cette magnifique fiction… et un grand bravo ! Que de suspense, que de rebondissements!
    Et tous ces nouveaux personnages sont bien intéressants, j’aime beaucoup Shinobi 😉 Et je crois que j’adore Shion encore plus qu’avant, si c’est possible ^^

    Et… j’ai une question extrêmement importante : au niveau des espèces animales… rassure moi s’il te plaît.. il reste encore des Pandas n’est ce pas ?… ^^

    1. @Shomei : Merci ! Contente que ça te plaise et désolée de ne pas aller plus vite pour le suite…

      Pour les pandas, euh, ça va dépendre de ce qu’Ame me promet comme représailles si j’en mets… 😉 ! Bizoux !

  2. Aaaw mais elle est trop bien cette suite ! La famille s’agrandit encore, va falloir que je prenne des notes avec tous ces nouveaux noms xD J’ai beaucoup aimé la partie à Atlantis, le débat télévisé et le coups des textos sans réponse (ça c’était vraiment trop mignon :3), j’apprécie toujours autant ton style et la tournure que prend l’histoire est vraiment inattendue. Vivement la suite !

  3. Ah tant mieux 🙂 me reste plus qu’a souhaiter bonnne inspiration
    même si je suppose que ce n’est pas necessaire 😉
    encore merci 😉

  4. Felicitation,
    cela fait un bon moment que je vous suit et la j’me decide enfin a poster des remerciements tardif mais vraiment mérité.
    j’adore je suis vraiment devenue fan !! le stule d’ecriture et le réel des histoires
    je regarde souvent voir s’il n’y a pas de nouvelles publications ,j’adore merci!!!

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