Cadeau pour mon anniversaire 🙂 ! Aujourd’hui 1er avril 2016,  j’ai 35 ans ^^ !
Synopsis : Un flic un rien blasé se voit obligé d’enquêter sur la mort d’un milliardaire américain… Public averti ! Présence d’un lemon !Â
Et attation c’est long. Prévoyez les provisions en conséquence.
Enjoy 🙂 !
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Long is the road…
« C’est une blague ? »
C’est sorti sans que je puisse le retenir.
Je regarde ces deux enfoirés avec des yeux ronds. Je sais qu’ils veulent que je dégage, mais là , franchement, ça tient du sketch.
Le commissaire Bibard, vieux rondouillard dégarni et le commissaire divisionnaire Captieux, gravure de mauvaise pub aux dents qui rayent le plancher, et qui lui tente de dissimuler sa calvitie naissante, me regardent avec de grands sourires aussi vomitifs que satisfaits.
Ah, ils sont contents d’eux. Persuadés qu’ils vont avoir ma tête sur un plateau.
« Allons, Commandant Perdreau… me dit Captieux. C’est une excellente opportunité !
– Ben voyons. ‘Faut vous le dire en quelle langue d’arrêter de me prendre pour un con ? Ça devient franchement lourd. »
Je les toise, je dois avoir mon air des mauvais jours et ça les refroidit un peu.
« Vous vous imaginez déjà , soit me virer parce que je vais me planter, soit aller récolter tous les fruits de mon boulot au ministère en oubliant soigneusement de les prévenir que vous aurez rien glandé.
– De toute façon, c’est un ordre, Commandant ! » aboit Bibard.
Ça serait cool pour ce gars qu’un jour il apprenne à parler sans hurler. Sérieux, ça doit être sacrément handicapant au quotidien.
Ma théorie est que sa famille doit soit être sourde, soit porter en permanence des boules Quiès. Mais je me demande vraiment comment il fait quand il va acheter son pain…
Bref je m’égare.
Captieux se lève et vient me tendre le dossier :
« Voyons, ça ne devrait pas être si difficile, surtout pour un policier aussi brillant que vous. »
Je lui prends sèchement, me lève à mon tour, et je le domine quasi d’une tête :
« Allez vous faire voir, bonne journée. »
Et je pars sans attendre en démolissant à moitié la porte en la claquant.
La mienne n’est pas beaucoup mieux traitée quand j’arrive dans les combles où on m’a gentiment installé. Je jette le dossier sur le bureau et m’allume une cigarette sans attendre, allant la fumer au velux. Il pleut, alors je n’ouvre pas trop.
Pourquoi je m’obstine, bordel. Pourquoi je me barre pas de ce commissariat de merde… Pourquoi je reste à me casser le cul dans ce grenier gelé, à traiter des dossiers pourris dont personne ne veut, quand je me fais pas carrément insulter par n’importe qui, même les crétins qui font la circulation…
J’ai pas fait l’école de police pour ça.
Je finis ma clope et retourne à mon bureau.
Je soupire en m’affalant sur mon siège. Récapitulons.
Je m’appelle Erwan Perdreau. J’ai 34 ans. Je suis un beau blond aux yeux bleus, ouais je sais, c’est pas très original. Je suis assez grand, aussi, et plutôt baraqué. Je suis commandant de police criminelle à Lyon, mis au placard depuis près de deux ans. J’en ai sérieusement plein le cul. J’adorerais m’en foutre, démissionner et me casser, faire un sac à dos pour partir faire le tour du monde, mais j’ai pas envie de céder. Parce que j’avais raison. Même s’ils me haïssent pour ça, j’avais raison. Et ça leur ferait beaucoup trop plaisir que je me casse. Mais on en parlera plus tard.
Je me redresse et prends le dossier. C’est clair que c’est la merde, cette affaire, et que si je la plante, je suis foutu. Mais bon, au moins je pourrais faire mon sac à dos sans remords…
Un Amerloc, Win S. Callahan, de son petit nom, a trouvé moyen de se planter sur l’A7, au virage de La Mulatière, tôt ce matin. C’est triste pour lui. RIP, condoléances, tout ça.
Le souci, c’est que ce brave homme pesait un beau tas de milliards en bourse, que du coup, les USA, en bons paranos, se demandent s’il s’agit vraiment d’un accident, qu’ils ont voulu récupérer l’enquête, que le quai d’Orsay l’a très très mal pris, que le ministre lui-même a appelé Lyon pour que l’enquête soit faite par des Français, et que comme personne n’en veut, ben c’est tombé sur ma gueule. C’est vrai qu’enquêter avec les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur au cul, c’est pas le rêve de grand monde. Mais que par contre, refourguer ça à un pédé mis au placard dont la quasi-totalité du gratin de Lyon veut la tête, ça, ça dérange personne.
Je me demande ce qu’ils en diraient, à Paris, s’ils savaient ça, que le « super enquêteur très doué » qu’on leur a vendu est la bête noire de service…
Je sors un sac en papier de mon tiroir. Ce sont des noisettes que je me mets à grignoter en lisant le dossier plus attentivement.
Les expertises sont en cours, tant celles des médecins légistes que celles des mécanos. Mon milliardaire n’était pas seul, mais l’homme qui l’accompagnait, James Followay, est dans le coma. A priori, c’est son garde du corps. C’était bien Callahan qui conduisait, par contre.
Callahan était marié, père de deux fils, dont, tiens, l’aîné vit à Lyon ? Ça peut expliquer ce qu’il faisait dans le coin. Je vais aller voir à son domicile…
Son épouse, Tiffany P. Lincoln-Callahan, a été prévenue. J’imagine qu’elle va débarquer assez vite… Y a aussi le nom d’un associé, Peter R. MacKenning… Je vais essayer de les joindre… Le fiston pourra sans doute m’aider.
Je vais aller voir ce jeune homme, Sean W. Callahan, Boulevard des Belges.
L’avantage de ce bordel, c’est que j’ai carte blanche. Et je vais pas me gêner.
Je prends quand même le temps de jeter un œil à Internet.
Callahan père était un bel homme, châtain roux, très propre sur lui, toujours costard impeccable. Fortune familiale établie dans l’agriculture, puis le pétrole, et il avait lui-même reconverti ça en production d’énergie propre et renouvelable. Ça me le rend d’entrée plus sympathique. Beaucoup de caritatif, aussi. Avec sa femme, ils forment un parfait petit couple plus blanc que blanc, bien propret, quasi caricatural…
Je me demande un moment pourquoi mes recherches sont sans arrêt parasitées par des articles sur un jeune acteur américain très en vogue que je ne connais pas vraiment, Shane Dean, jusqu’à ce que, ouvrant un article pour voir, je ne comprenne…
« Shane Dean, de son vrai nom Sean Win Callahan, est un artiste américain, initialement mannequin, mais aujourd’hui chanteur et acteur… »
Plutôt mignon, le petit. Je m’en souviens maintenant, j’ai dû le voir dans un film, il y a quelque temps… Ah donc, ce joli jeune homme vit à Lyon… J’aurais jamais cru qu’il avait des origines irlandaises, par contre… Il est plutôt très brun, cheveux longs bouclés, au teint mat, aux yeux sombres… Sacrément bandant à mon goût, mais si c’est vraiment le fils des deux que j’ai vus en photos, y a une aberration génétique quelque part.
Je mets mes noisettes, ma bouteille d’eau, mon bloc-notes, ma trousse et le dossier dans mon sac à dos et je quitte mon bureau, non sans bien fermer la porte à clé, parce qu’il est hors de question que je le retrouve encore avec des Playboy sur mon bureau, des posters porno de blondasses jambes écartées sur mes murs, et une poupée gonflable mode bondage sur mon fauteuil.
Pour info, tout ce bordel avait fait la joie de mon petit frère. Et je vous vois venir, oui, il est majeur.
Je redescends et arrive dans le hall quand mon téléphone sonne. Numéro caché… Je décroche quand même…
« Perdreau, j’écoute.
– Mes amitiés à mon oiseau préféré.
– Atmen ?
– Comment tu vas ?
– Bien, mais pourquoi tu… »
Une ampoule s’allume dans ma tête. Je me hâte de sortir dehors :
« C’est toi le juge qu’ils ont collé à ce dossier de merde ?
– Bingo. »
Je rigole malgré moi en allant à ma voiture et je soupire :
« Enfin une bonne nouvelle…
– Mouais, ça reste la merde, mais j’avoue que je préfère aussi t’avoir toi là -dessus qu’un autre… »
Atmen Suleyman est juge d’instruction, on a bossé ensemble plusieurs fois, et comment dire, il est à la magistrature lyonnaise ce que je suis à sa police, un mouton noir qu’on tente de faire tomber. Du coup, on s’entend plutôt bien.
« T’as lu le dossier ?
– Ouais, je partais commencer le boulot…
– Tu commences par où ?
– Institut médico-légal, experts mécano, hosto pour le témoin, et après aller voir le fils, en attendant que les autres débarquent de New York ou je ne sais où. Ça te va ?
– Ouais. Je crois qu’il y a un souci chez les légistes, l’autopsie va peut-être être retardée… J’en sais pas plus, j’ai juste entendu des collègues râler.
– OK, je verrais, merci.
– Si t’as besoin d’une commission rogatoire pour un truc, tu me sonnes quand tu veux.
– Pas de souci, c’est noté. Merci.
– De rien. T’as un avis, a priori ?
– Ben là , non, pas vraiment. Ça peut vraiment être un bête accident, mais s’il était drogué, bourré, ou que la voiture a été trafiquée, on le saura vite.
– Ouais, je suis pas inquiet. Les gars de la technique sont plutôt très bons. Ah au fait, on a pour consigne, je cite, de ménager les personnes proches de la victime.
– Ben voyons.
– Non, mais je sais que c’est même pas la peine qu’ils le rêvent avec toi, mais je te transférais l’info. »
Je m’installe au volant, pose mon sac à côté avant de répondre :
« C’est gentil, merci, mais autant je sais rester poli, autant le premier qui me cherche, il va entendre parler du pays.
– Tu parles anglais, au fait ?
– J’ai des bases pas trop pourries.
– Bon, ben on fera avec… Je te laisse, tiens-moi au courant.
– Yep, compte sur moi. Bonne journée, Atmen.
– Toi aussi, Erwan. »
Je raccroche, pose le téléphone sur mon sac, et démarre.
Ça roule bien, j’arrive à l’institut médico-légal rapidement. C’est effectivement un peu le bazar à l’accueil. J’attends tranquillement qu’une secrétaire m’interpelle :
« Monsieur ?
– Commandant Perdreau. Je venais aux infos concernant le ressortissant américain qu’on a dû vous apporter ce matin, je lui réponds en montrant ma carte.
– Euh… Ah oui !! Oui, oui, attendez… »
Elle se met à farfouiller anarchiquement dans les papiers qui couvrent la banque d’accueil.
« Je peux savoir ce qui se passe… ? je tente gentiment.
– Houlala, une panne informatique, c’est la cata ! On a plus accès à nos ordinateurs depuis 9h, à cause d’une mise à jour qui a planté…
– Ouch, je compatis.
– Bref, attendez… Ah, voilà … Win Callahan, c’est ça ? Un accident de voiture ?
– C’est ça.
– Alors, on l’a bien, il est au frais. C’est le docteur Aslanov qui va s’en occuper, mais il risque d’y avoir du retard. Je peux vous laisser voir avec lui ?
– Oui, volontiers…
– Je l’appelle… »
Elle prend son téléphone et pianote trois chiffres :
« Oui, Docteur Aslanov, bonjour, c’est l’accueil… Non, toujours rien, on attend des nouvelles du service info. Pas avant cet après-midi ou demain, ils ne savaient pas. Dites voir, j’ai là le commandant chargé du dossier Callahan, l’Américain de l’accident de voiture… Il voudrait faire un point avec vous ?… D’accord, je vous l’envoie. Bonne journée, Docteur ! »
Elle raccroche et me sourit :
« Alors ça va être au 6e étage, couloir de gauche.
– Merci. »
Heureusement que la panne est informatique et pas électrique, j’aurais pas aimé monter six étages à pattes.
Je trouve sans souci le bureau du docteur Alexander Aslanov, dont je connais l’excellente réputation. C’est un grand homme frêle, blond, aux yeux très pâles, et à l’accent russe aisément identifiable, même si très doux.
« Docteur Aslanov ?
– Oui, lui-même.
– Commandant Perdreau. Enchanté. »
Il se lève de son bureau pour venir me serrer la main.
« C’est vous qui enquêtez sur cet Américain, alors ? Il se passe quoi ? J’ai examiné le cadavre, il n’y a pas l’air d’avoir quelque chose de spécial. »
Je rigole et hausse les épaules :
« Quelques milliards de dollars en bourse, les USA suspicieux, Orsay en rogne, l’Intérieur sur les dents.
– Je comprends mieux.
– Vous l’avez examiné ?
– Oui, et j’ai fait les premiers prélèvements pour analyse. Mais sans ordi, on va être retardé. J’ai eu interdiction de faire l’autopsie tant que tout n’est pas rétabli.
– Vous avez besoin d’ordinateur pour faire les autopsies, maintenant ? »
Je fais la moue. Il rit et m’emmène à la morgue.
« Non, mais ils veulent que celle-là soit filmée, et nos caméras fonctionnent sur le réseau informatique.
– Aïe.
– Bah, si ça les amuse… Moi, tant qu’il est au frais, je suis pas à une journée près.
– Ouais… Et donc, rien de suspect ?
– Non, de premier abord, rien du tout. Je pense que c’est un choc à la tête qui l’a tué, pas de traces particulières sur le corps de rien d’autre, à part les hématomes classiques dans ce genre de cas. Reste à savoir ce qu’il a pu ingérer.
– OK. »
Il ouvre un tiroir des frigos pour me montrer le corps. C’est bien l’homme que j’ai vu sur la toile.
« Il a dû être tué sur le coup. » dit encore Aslanov.
J’hoche la tête. Il referme le tiroir. Je lui laisse ma carte.
« J’attends de vos nouvelles, alors ?
– Vous pouvez. À mon avis, je ne pourrais rien faire avant demain. Vu la pression, je vais le passer en priorité, mais ça dépendra de combien de temps dure cette panne.
– Pas de souci. Faites comme vous pouvez… »
On se serre la main et je repars. L’hôpital où est l’autre homme est à côté. J’y vais à pied, pas la peine de me casser la tête à reprendre la voiture.
Le personnel de l’hôpital ne peut pas grand-chose pour moi. James Followay est toujours dans le coma. Cela dit, ils m’assurent que ses jours ne sont pas en danger et qu’il est probable qu’il reprenne connaissance rapidement.
Je laisse aussi ma carte… Ils m’appellent dès qu’il sera en état de me parler.
Et c’est reparti…
Les experts des tutures sont à l’œuvre, eux, leurs ordis marchent.
Trois personnes sont sur la voiture en question, une belle grosse caisse noire que je devine très chère, après j’y connais rien en voiture, moi. Ça a des roues, un volant, ça me conduit où je veux, j’ai jamais essayé d’en savoir plus. La taille de mon sexe me va très bien.
Les deux mécanos et leur chef, une rousse que je connais et que même moi, je trouve magnifique, sont donc au boulot.
« Ça va comment, Commandant ? me salue-t-elle aimablement.
– Ça va pas mal, madame l’experte. »
Elle m’aime bien parce que la première fois qu’on a bossé avec elle, j’ai été le seul à la croire quand elle nous a accueillis en disant qu’elle était la nouvelle experte. Mes collègues l’ont charriée quasi cinq minutes pour qu’elle arrête de blaguer et qu’elle nous présente « le nouvel expert »… Non parce que les voitures, c’est un truc de mecs.
Pas que j’attendais grand-chose d’autre de gars qui essayent de me rendre hétéro à coup de piles de Playboy et de poupées gonflables, moi, cela dit…
Mais bon, du coup, elle m’aime bien.
Elle m’explique qu’ils ont commencé à dépiauter la bête, une super voiture apparemment, ça je les crois sur parole. L’avant est complètement défoncé. Je demande :
« C’est le pilier de béton qui a gagné ?
– C’est ça. Tu veux voir les photos ?
– Je veux même bien les récupérer sur ma jolie clé USB.
– Pas de souci, viens, c’est sur mon ordi. »
Je la suis dans les couloirs.
« Je te fais le rapport le plus vite possible, Erwan.
– T’as un avis ?
– Ben, écoute, pas encore. On a rien trouvé de flagrant, en tout cas.
– D’accord. »
Les photos qu’elle et son équipe ont prises sur place ne montrent effectivement rien de flagrant. La voiture s’est bel et bien pris un pilier.
Je les récupère et elle me dit :
« Tu as récupéré les vidéos ?
– Non… Y en a ?
– Y a les caméras de la sécurité routière sous le pont, tu sais ? Pour vérifier la circulation et réguler le trafic.
– Ah oui, exact… J’y avais pas pensé. Merci, ma belle.
– De rien, j’allais les contacter de toute façon pour les avoir. On m’a demandé un rapport très précis… Je te les filerai.
– Merci, Rosanna, t’es la meilleure.
– De rien, Erwan. Ça va, cette enquête ? Pas trop la pression ?
– Non, t’inquiètes. Y en faut plus que ça ! »
Elle sourit et me tend une main que je serre en souriant aussi :
« Je te tiens au courant dès que j’ai du nouveau, Commandant.
– Merci, madame ! »
Je la laisse et repars. Cette fois, direction Boulevard des Belges.
Je commence à avoir la dalle. Je regarde l’heure. Ah ouais… Pas loin de midi, déjà …
Bon allez, je vais voir si je peux choper Sean Callahan et après miam.
Ça roule toujours bien. Je cherche le numéro un moment et finis par me garer, quand je trouve une place, pour continuer à pied. Pour finir par m’arrêter devant un grand hôtel particulier du XVIIIe ou un truc du genre. Le genre de baraque dont je ne veux même pas envisager le prix.
Milliardaire, hein…
Pas que ça me fasse envie, mais bon…
Je vais sonner à la porte. Un majordome en livrée vient m’ouvrir. Je me retiens de rigoler et lui montre ma carte :
« Bonjour, Commandant Perdreau. J’aurais voulu voir Sean Callahan, s’il vous plaît.
– Ah… »
C’est un homme très droit d’une cinquantaine d’années qui me regarde avec tristesse :
« C’est à propos de monsieur son père, j’imagine… Je suis navré, Commandant, mais monsieur Sean n’est pas ici. Il est à la Halle Tony Garnier, pour répéter son concert de ce soir. Nous avions été prévenus qu’il allait y avoir une enquête… Il s’est dit disposé à y répondre.
– D’accord, je vais aller voir là -bas. Puis-je quand même vous poser quelques questions à vous, puisque je vous tiens ?
– Bien sûr, Commandant. Je suis à votre disposition, comme mon épouse et le reste du personnel… Entrez, je vous en prie. »
Je découvre avec autant de surprise que d’intérêt que pas moins de six personnes bossent dans cette maison immense. Cet homme, son épouse et une jeune femme s’occupent directement du maître des lieux, de son fils et des autres personnes quand elles passent. Trois autres personnes, deux hommes et une femme, logent ici et sont des Compagnons du Tour engagés pour la restauration de meubles d’époque pour l’une et la remise aux normes des réseaux électriques et d’eau, pour les deux autres. Tous sont français.
Tous semblent sincèrement affectés du décès de leur patron. Le majordome, Louis Servient, reste digne, mais son épouse est en larmes, et la troisième domestique n’en est pas loin. Les trois autres n’en mènent pas plus large. Et tous me dressent le portrait d’un homme aimable, bon patron, sincère amoureux de cette maison, qui y vivait le plus qu’il pouvait depuis près de sept ans.
Louis Servient et son épouse m’expliquent qu’ils travaillent ici depuis toujours. Employés par la précédente propriétaire, une vieille dame qui ne gérait plus grand-chose et a fini par perdre la tête et laisser les lieux se dégrader, c’était avec une réelle inquiétude qu’ils avaient appris que la maison était vendue à un Américain. Mais dès son arrivée, ce dernier s’était révélé très heureux de pouvoir compter sur deux personnes qui connaissaient les lieux, tant la maison que la ville et le pays, et il les avait gardés à son service avec autant de soulagement que de plaisir. Son fils était venu un peu plus tard, et avait fait de l’endroit sa résidence principale. Un peu craintifs de prime abord, les Servient avaient rapidement compris que Sean était comme son père, un homme simple et très respectueux des personnes qui travaillent pour et avec lui.
Je comprends à demi-mot que l’épouse et le second fils ne sont pas de ce genre-là , qu’ils les ont peu vus et que ça se passe plus mal. Mais ils n’en disent pas plus.
J’apprends dans la conversation que Sean est né d’un premier mariage, d’une femme qu’eux n’ont pas connue. Ils n’en savent pas plus, n’ayant jamais osé questionner ni Sean ni son père sur cette histoire. Ils me disent juste que Sean a 27 ans et son frère 6.
Concernant l’emploi du temps de leur patron, ils sont plus gênés. J’apprends que Win Callahan venait en France avec une régularité d’horloge suisse, une semaine par mois environ, et qu’il découchait au moins une fois à chaque séjour, comme la nuit précédente. Personne ne savait où il allait, lui-même leur avait fait comprendre que ça ne les concernait pas, mais qu’il ne faisait rien qui posait problème. Le fait que James Followay l’accompagne toujours les rassurait. Ils n’avaient jamais cherché à en savoir plus. Ils ne pensaient pas qu’il avait une maîtresse, sincèrement, ce n’était pas son genre. Ils ne comprenaient pas trop. Il pouvait aussi bien négocier un gros contrat ou autre en secret. Ça durait depuis plus de deux ans, avant ça, il venait régulièrement, mais pas de façon aussi réglée, et il ne découchait pas.
Estelle Servient est une femme très organisée, elle me fournit sans discuter les emplois du temps de son patron. Elle a gardé tous les calendriers, je sais donc les dates de tous les séjours de Win Callahan en France. Ils ignorent où est son portable, et sa tablette, qui lui servait d’agenda.
Les autres ne m’en apprennent pas beaucoup plus, me dressant le même portrait de patron aussi aimable que généreux, dès lors que le boulot était fait. L’un des compagnons me raconte que, lorsque Win Callahan a su que sa compagne était enceinte, et qu’il y allait avoir un souci de voiture trop petite (c’était le 3e bambin), il leur a offert une plus grande voiture en cadeau de naissance…
Je repars avec tout ça en tête, rappelle Rosanna pour lui demander si elle a trouvé un portable et une tablette dans la voiture, ça ne lui dit rien, mais elle va chercher.
C’est vrai qu’en y repensant, personne ne m’a signalé une sacoche, un sac, un truc contenant les affaires du mort… Je rappelle aussi l’hôpital qui m’informe que les affaires de James Followay sont sous clé, en attendant qu’il se réveille ou qu’un proche passe les prendre. Je leur conseille de les garder, mais eux non plus ne voient pas d’autres affaires.
D’où venaient-ils, c’est toute la question…
Du sud de Lyon, et pour avoir pris l’autoroute, peut-être d’un peu loin…
Je prends un kebab dans un petit resto que je connais bien vers Jean Macé, sur le chemin, prenant le temps de manger tranquille en essayant de faire un premier bilan sur mon bloc-notes.
Win Callahan avait l’air d’être un gars bien. Pété de thunes, mais généreux et sympa. Il venait en France très régulièrement et découchait tout aussi régulièrement. Le plus logique serait de penser qu’il avait une maîtresse… Mais cette régularité dans ces séjours et absences est super bizarre. Faudrait être sacrément psychorigide pour aller voir quelqu’un une nuit par mois avec un rythme aussi strict. Sa femme a l’air d’une bonne grosse riche bien chiante, son second fils d’un sale gosse pourri gâté. Je verrai de visu… Sean a plus l’air d’un homme du genre de son père, né donc d’un premier mariage, et je me doute donc maintenant que sa mère ne devait pas être irlandaise.
Rien de suspect sur le corps a priori, rien de flagrant sur la voiture non plus… On verra les rapports finaux, mais la piste du simple accident est aussi crédible, après tout, quand on ne sombre pas dans le complotisme ou la parano.
Je reprends ma voiture pour aller à la Halle Tony Garnier. En ce début d’après-midi, le parking est quasi vide. Je prends un chewing-gum à la menthe parce que le kebab était bien chargé en oignon, et j’y vais.
Le personnel de la Halle me laisse entrer sans souci, m’indiquant même gentiment par où passer pour arriver à la scène. Je suis déjà venu à des concerts ici, mais en journée, avec les équipes techniques, c’est une toute autre ambiance.
Houla. Et ambiance orageuse sur scène. M’approchant, j’entends mieux, c’est en anglais :
« Putain, mais je m’en fous, je veux juste que tu fasses ton boulot ! »
Je crois que je reconnais Sean et il a l’air d’en avoir après un de ses musiciens. Ce dernier ne sait pas trop où se foutre et Sean finit par crier :
« OK ! C’est bon, pause pour tout le monde ! »
Avant de partir dans les coulisses d’un pas aussi rapide que furieux.
J’oubliais. Ça a du caractère, il parait, les Irlandais.
« Pardon… C’est vous le policier qui vient d’arriver ? »
Je me tourne vers la minuscule gonzesse qui vient de m’interpeller. Sacré modèle de poche visiblement indienne, un chignon brun tenu de travers par une pince à cheveux et un porte-bloc serré contre sa poitrine.
Elle a l’air un peu nerveuse.
« Oui, je suis le commandant Perdreau. J’aurais voulu m’entretenir avec monsieur Sean Callahan ?
– Oui, oui, Louis m’a appelée pour nous prévenir… Shane vous attendait. Je me présente, je suis Lily Frame, son assistante. »
Nous nous serrons la main. Elle a l’air plus détendue.
« “Shane” ? » je note.
Elle sourit :
« Oui, tout le monde appelle Sean par son surnom, ne vous inquiétez pas. Venez, c’est par là . »
Je la suis jusqu’à la loge de notre star, qui se rince le visage à l’eau froide quand nous entrons après qu’elle ait frappé :
« Shane ? Le policier est là …
– Oh… »
Il se redresse et nous regarde, tout mouillé, ses longues boucles noires goûtant un peu, et argh putain, mais, mais, mais…
J’avais vu des photos et des vidéos d’un beau gosse, mais en vrai il est juste…
MIAM.
Il a du bol qu’on soit pas dans une boite de nuit…
Il me regarde, regarde Lily, me regarde à nouveau, prend une serviette et s’essuie en avançant vers nous.
« Bonjour… J’avais peur que vous ayez eu un souci, Louis a appelé il y a un moment…
– Je me suis permis de m’arrêter manger en route. »
Il sourit. Il est magnifique. Mais il a l’air épuisé.
« Manger, ça, c’est une super idée… »
Lily hoche la tête, souriante :
« C’est vrai, on y a pas pensé avec tout ça… Je vais te chercher quelque chose ?
– Ça serait gentil. La pizza d’avant-hier m’irait bien.
– D’accord, Shane. Bon, je vous laisse ! »
Elle ressort. « Shane » se noue rapidement les cheveux en un chignon haut un peu anarchique, garde la serviette autour de son cou, et me regarde interrogativement. Je me reprends et lui souris en lui montrant ma carte :
« Commandant Perdreau. »
Il me la prend, visiblement curieux, et hoche la tête en me la rendant.
« Toutes mes condoléances pour votre père. »
Il hausse tristement les épaules.
« Merci. J’avoue que je n’ai pas encore réalisé… Mais… Excusez-moi, je ne sais pas trop comment ça se passe ici, mais… C’est un accident de voiture… Pourquoi il y a une enquête ? »
Il a l’air un peu perplexe. Je hausse les épaules :
« Vu la position de votre père, certaines personnes craignent que ça ne soit pas un accident. »
Il reste stupéfait, puis prend une chaise pour s’asseoir lentement. Il prend son visage dans ses mains un instant. Il se redresse rapidement :
« C’est ridicule…
– Votre père n’avait pas d’ennemis ?
– Si, bien sûr que si ! »
Il a un geste d’impuissance, fataliste :
« Qui n’en a pas, dans notre milieu… Des ennemis, des jaloux… Vos annuaires ne pourraient pas tous les contenir !
– Mais ?
– Mais pourquoi ici, comme ça et maintenant… Ça n’a aucun sens…
– Savez-vous où était votre père, cette nuit ? »
Il soupire, fait la grimace, puis me regarde :
« Non.
– On m’a dit qu’il découchait tous les mois ?
– C’est exact.
– Mais vous ne savez pas où il allait.
– Non. Il m’a dit de ne pas m’en faire, que c’était quelque chose qu’il devait gérer seul. »
Je fronce un sourcil :
« Il a dit gérer ?
– Oui.
– Et vous ne vous êtes pas posé de question ?
– J’avais confiance en lui. »
Il soupire encore :
« James nous expliquera sûrement tout ça à son réveil.
– J’espère. »
Il me regarde et ajoute :
« Non, il n’avait pas de maîtresse. »
Je souris :
« Les Servient m’ont dit la même chose.
– J’imagine que vous y avez pensé…
– C’est une hypothèse, mais rien de plus. Il s’entendait bien avec votre belle-mère ? »
Il hausse à nouveau les épaules.
« Ça allait…
– Et vous ?
– Ça va… Nous les avons avertis, elle et Peter. Peter m’a rappelé, il sera là dans la soirée. Elle et Jack seront là demain.
– C’est l’associé de votre père, c’est ça ? Peter MacKenning ?
– Oui. C’était le meilleur et le plus vieil ami de mon père. Je pense qu’il pourra vous aider… Si mon père avait des ennemis qui en voulaient vraiment à sa vie, il le saura.
– D’accord.
– Mais je vous maintiens que c’est absurde. Qui est-ce qui pense ça, d’ailleurs ?
– Ah, ça, qui précisément, je l’ignore. Des gens suffisamment puissants chez vous pour essayer d’imposer à la France des enquêteurs américains, ce que mon gouvernement a très mal pris, mais qui l’a forcé à lancer sa propre enquête. »
Il a un petit rire triste :
« Je vois…
– Votre père avait l’air d’être un homme bien. »
Il sourit, perdu dans ses pensées, des souvenirs, probablement :
« Il disait que faire le bien quand on le peut est le premier devoir d’un homme envers Dieu. Alors il essayait… Et moi aussi, j’essaye…
– Vous faites bien. »
Il me regarde et sourit plus sincèrement :
« Merci… »
Il y a un petit silence. On se regarde, je me reprends et demande :
« Nous n’avons pas retrouvé le téléphone et la tablette de votre père. Savez-vous où ça pourrait être ?
– … Oh, non, je ne vois pas ? Normalement, il avait un petit sac avec lui…
– Vous pourrez regarder si, à tout hasard, il ne l’a pas oublié chez vous ?
– Je ne vois pas comment il aurait pu, mais oui, je chercherai… Mais je ne serai pas à la maison avant assez tard ce soir…
– Ce n’est pas grave. Il faudra juste être vigilant, pour le cas où ça aurait été volé.
– Ah… Oui, bien sûr. »
On toque à la porte. Shane crie d’entrer. C’est un homme un peu dégarni, l’air un peu inquiet, qui entre :
« Excusez-moi de vous déranger…
– Il y a un souci, André ? demande aimablement Shane.
– Non, non, enfin pas vraiment… Nous nous demandions juste si tu étais sûr que tu voulais maintenir le concert de ce soir ?… Personne ne t’en voudra, tu sais… ? »
Shane se lève avec un nouveau soupir :
« Je serai sur scène ce soir. Ça ne me pose pas de problème. Merci beaucoup, André. C’est très gentil de vous inquiéter pour moi, mais ça va, je tiendrais bon. Je tiens à ce concert.
– Mais même eux ne t’en voudraient pas, tu sais ?
– Ce n’est pas la question. Je n’ai pas peur qu’on m’en veuille. Ce concert est prévu de longue date, ça fait longtemps que je voulais chanter ici, et je me dois à mon public. Ça fait très longtemps que je n’ai pas fait de concert en France, et je ne pourrais pas en faire avant un bon moment, alors je le maintiens. De toute façon, ma belle-mère et mon frère ne seront là que demain… Et Peter est prévenu, il me rejoindra après le concert. Il n’y a pas de problème, André, sincèrement.
– Bon, comme tu veux… »
Lily revient avec la pizza et je me propose d’en rester là pour le moment. Shane me serre la main avec énergie et m’invite à venir le voir ce soir, même avec des amis. J’opine et le laisse après que nous ayons échangé nos cartes, lui me disant bien de le joindre quand je voulais.
Je repars, guidé par le fameux André, qui se révèle être un des régisseurs de la Halle.
Il me dit qu’il est désolé pour Shane, que c’est vraiment un mec bien et un grand artiste. Il m’explique que ce soir, tout un groupe de handicapés, d’une des associations que les Callahan soutiennent, est attendu, et qu’il pense que c’est en priorité pour eux que Shane a voulu maintenir son concert. Il est admiratif, mais ça ne m’étonne pas vraiment du mec que je viens de rencontrer… Si faire le bien est son premier devoir.
André me laisse aussi son numéro, en me disant de le joindre si je viens avec des amis, qu’ils prévoient un petit coin pour nous. Il préfère que je l’embête lui plutôt que Shane. J’opine.
Je repars et retourne au commissariat. Je remonte dans mon grenier, demeuré vierge de toute intrusion, et allume mon ordi. Pendant qu’il démarre, ce qui va prendre de longues minutes, car bien sûr, j’ai un vieux truc pourri qui rame plus qu’une finale d’avirons, je rappelle Atmen.
Je lui fais un bilan de mes premières investigations. Il m’écoute attentivement et me dit :
« Bon, ben t’as bien dégrossi. Beau boulot.
– Yep, je comptais finir l’aprèm en mettant tout ça au propre, enfin si mon ordi veut bien… Je pense que le bureau va pas tarder à s’afficher…
– Fais ce que tu peux et envoie-moi tout ça par mail. Et ne t’en fais pas trop, c’est Vallois, le procureur qui nous chapeaute, tu le connais, il nous fera pas chier.
– Ah, oui. Eh, super si c’est lui !
– Oui, ça m’a soulagé aussi. Tout à l’heure, j’ai reçu un coup de fil du ministère, ils sont tombés sur mon répondeur, j’étais occupé… Mais le message était vraiment euh… On va dire pas très sympa… Il était avec moi quand je l’ai écouté, il m’a dit : « Je vois ça, concentrez-vous sur votre travail, je m’occupe du reste. », il les a rappelés illico et il les a incendiés.
– T’es sérieux ?…
– Oui. Je suis resté con, je te jure ! « Vous allez tout de suite vous calmer et laissez mes enquêteurs faire leur boulot ! Ils sont tout à fait compétents et n’en pas besoin d’être emmerdés ! »… Je crois qu’on va avoir la paix… De toute façon, il leur a interdit de nous contacter sans passer d’abord par lui. Apparemment, ils pensaient à nous envoyer un autre enquêteur pour t’épauler.
– Ah ben sympa, je grogne, la confiance règne…
– Ah ben, ils ont dû vite se rendre compte que le super juge et le super enquêteur qu’on leur a vendus se collent des bonnes réputations de merde ici suite à des affaires foireuses. Paradoxalement, tu sais que ça peut jouer pour nous.
– Tu penses vraiment que Paris en aura quoi que ce soit à foutre et nous réhabilitera ?
– Nos dossiers sont propres, on a toujours fait notre boulot, Erwan. Trop bien fait parfois, et c’est ça le souci. Si quelqu’un le réalise, ça peut pas nuire. »
Je suis sceptique, comme la fosse du même nom.
« Mouais… »
Il rigole :
« Allez, hauts les cœurs, Commandant. Sinon, sympa alors la star ?
– Ouais, sympa. Bon, il était concentré sur son concert, là , sans doute en état de choc. Je verrais ce soir et demain, quand l’associé de son père, sa belle-mère et son frère seront là .
– Tu le revois ce soir…Â ?
– Il m’a invité au concert. Tu veux venir ?
– Euh, j’avoue que je ne connais pas des masses… J’ai dû le voir dans le film avec les robots, là … Mince comment ça s’appelait ?
– Ah ça me dit rien. Moi je l’ai vu dans un truc historique… Une histoire de pirates, je crois…
– Ah oui, moi ça me dit quelque chose… Je demanderai à Sasmira, je crois qu’elle l’aime bien.
– Elle va bien, ta douce ?
– Très bien !! »
Atmen est un fiancé heureux.
« Tu lui fileras mon bonjour. Et sérieux, si vous voulez, venez, hein, il m’a bien dit que je pouvais venir avec des amis.
– Pourquoi pas… Je lui en parle, je te rappelle. Tape tes rapports en attendant, Commandant !
– Oui, Monsieur le Juge. »
Je remets tout au propre tranquillement après m’être lancé une playlist de Shane sur YouTube.
C’est plutôt sympa, il a une belle voix. Mélodiquement, ça va du basique au très bon. Bref, s’il tient le coup, le concert va être bien.
J’ai bien avancé et je me dis que je me boirais bien un petit thé lorsque mon téléphone sonne.
« Commandant Perdreau.
– Erwan ? C’est Rosanna.
– Rebonjour, madame.
– Rebonjour aussi, Commandant.
– As-tu du nouveau ?
– Alors oui, mais non.
– C’est-à -dire ?
– Ben, je t’appelle pour te dire que j’ai toujours rien à te dire. On continue de dépiauter la bête, mais y a toujours rien de suspect. Et aussi, on a tout fouillé, aucun téléphone, ni tablette, y a rien de rien dans la voiture. On a juste trouvé une trousse de mécano et un kit de survie dans le coffre.
– D’accord.
– J’ai eu les vidéos, rien à signaler, je te les ai envoyées par mail.
– Merci bicoup bicoup.
– De rien, Erwan. Tu as du nouveau, toi ?
– Rien de précis… À part que tous mes témoins sont d’accord : c’était un mec bien, et c’est complètement invraisemblable que ça soit un meurtre.
– Ben écoute, jusqu’ici, j’approuve au moins la seconde idée. Essieux intacts, freins nickels, moteur à étudier, mais RAS à vue d’œil, et la vidéo ne montre rien d’extérieur…
– Mouais. On verra l’autopsie… »
On se salue et on raccroche. Je vais voir mes mails. Les vidéos sont lourdes, avec ma co de merde, je vais y passer la nuit… Je lance quand même avec un soupir. Au pire si ça avance pas, je les récupérerai chez moi ce soir.
Je me remets à tapoter mes notes, et mon téléphone re-sonne.
« Commandant Perdreau ?
– Erwan, c’est Atmen.
– Que puis-je pour toi, Monsieur le Juge ?
– Sasmira est super emballée par le concert… J’en serais presque jaloux, dis donc. Elle m’a dit qu’il était à 21h, elle voulait savoir si on mangeait ensemble avant ?
– Ah oui, volontiers !
– OK. Alors rendez-vous à 19h30 au Ninkasi Gerland, si ça te va ?
– C’est la meilleure idée de la journée, ça.
– C’est ce que je me suis dit. Rien de neuf ?
– Non, rien. La voiture a rien dit de plus… Ce qui m’étonne pas, cela dit, ça parle pas une voiture… »
Atmen rigole :
« Erwan…
– Oui, je sais, ‘faut que j’arrête avec cette blague.
– Oui, il faut. Vraiment !
– Mais du coup, rien de neuf, non.
– D’accord.
– Et toi, le ministère t’a vraiment lâché ?
– Oui, mais on a une réunion demain.
– Eux, toi et Vallois ?
– Oui.
– Fais gaffe à ce qu’il en bouffe pas un.
– Ben, j’avoue que j’hésite. Selon les circonstances, possible que je le laisse faire, voir que j’en bouffe un aussi… »
On raccroche peu après. J’envoie un message à André pour le prévenir qu’on sera trois. Je reçois sa réponse un peu plus tard, il n’y a pas de souci, on vient direct à l’entrée, il va prévenir les personnes qui y seront.
L’après-midi se tire, les fichiers ne sont pas arrivés. Je coupe tout et je m’en vais, je verrais ça chez moi.
Bibard et Captieux essayent de me choper pour avoir mon premier rapport, je les envoie paître en leur disant qu’il est transmis au juge et que j’ai déjà fait 20 minutes de rab’.
Je passe chez moi, lance l’ordi et récupère les vidéos en 4’37 minutes. Je les regarde, rien de spécial effectivement, la voiture dévie et se prend un pilier. Pas de souci avec un animal, un truc sur la route ou une autre voiture, et le pilier n’a pas bougé non plus. C’était avant l’heure de pointe, il n’y a quasi pas d’autres véhicules. Bon. Noté. Puis je prends une bonne douche brûlante et très longue avant de rejoindre mes amis à la grande brasserie de Gerland.
Sasmira est comme toujours magnifique, radieuse, dans une belle robe sombre très classe. Atmen a l’air un peu fatigué, mais il est souriant aussi. Elle est toute contente. Je comprends qu’elle n’avait pas pu avoir de places pour ce concert et qu’elle était très déçue.
On se commande à boire, une bière pour moi et deux jus de fruits pour eux, et à manger, salade pour Atmen, hamburger-frites pour Sasmira et moi, et on commence à parler.
Sasmira est notaire, associée à deux autres, et la renommée de leur cabinet n’est plus à faire. J’aime beaucoup cette jeune femme pour un tas de raisons. C’est un petit rayon de soleil, une vraie battante, une femme de cœur autant que d’esprit, qui renvoie tous les clichés de la femme musulmane soumise et brimée au sanibroyeur sans sommation. Et rien que ça, ça fait du bien. Sérieux, le couple qu’elle forme avec Atmen est absolument fabuleux : amour et respect. C’est lui qui a envoyé ses parents à elle promener lorsqu’ils ont voulu qu’elle arrête de bosser pour l’épouser. Et il lui a interdit de le faire, ou tout au moins de le faire pour ça. Exactement comme elle lui avait interdit de se tuer en heures supp’, vu les salaires qu’ils avaient, surtout elle.
Non, franchement, je les aime bien, tous les deux.
Sasmira se révèle être une grande fan de Shane Dean, et elle a été très surprise d’apprendre qu’il vivait à Lyon.
Comme on s’est mis dans un petit coin, on peut en parler tranquillement.
« Maintenant que tu me le dis, l’article de Wikipédia était assez succinct… je remarque.
– C’est quelqu’un de très discret sur sa vie privée… Il y avait eu quelques articles quand il a commencé, des tentatives de scandales… Apparemment, c’était un jeune assez libéré, on va dire.
– Du genre ? demande Atmen, amusé.
– Ben, du genre à se faire choper un matin, dans un hôtel, avec un mec et une fille avec lui dans le lit.
– Il est bi ? » je demande.
Et oui, c’est totalement intéressé. Sasmira glousse avant de répondre :
« Clairement. Ça, il l’assume tout à fait, d’ailleurs. Mais les articles n’ont pas duré… Il faut dire qu’il a assez vite arrêté de traîner avec les habitués des tabloïds et eux se sont donc désintéressés de lui, surtout vu les millions qu’il leur a coûtés en dommages et intérêt pour atteinte à la vie privée… Il fait sa musique, ses films, il répond aux interviews quand il faut faire des promos, mais c’est vrai qu’on ne le voit pas plus.
– Il te plaît ? me demande Atmen, amusé aussi.
– Ben il est ni moche ni con…
– Attends la fin de l’enquête, si possible.
– T’es pas drôle… »
On finit de manger tranquillement avant de partir à la Halle. La file est longue, l’ambiance plutôt cool. On contourne donc le problème, enfin la file, et comme convenu, à l’entrée, nous sommes attendus. Un homme passe un appel interne et un peu plus tard, André vient nous chercher. Il nous conduit directement dans l’espace, juste devant la scène, aménagé pour accueillir le groupe de handicapés dont il m’a parlé, et qui est déjà là , d’ailleurs, ainsi que quelques autres personnes, invitées par Shane pour un couple et leur jeune ado, les derniers étant des journalistes. C’est à côté de l’un d’eux que nous nous retrouvons. Sasmira nous fait un clin d’œil et engage la conversation avec lui, et nous apprenons donc qu’il a eu pour stricte consigne de faire un compte-rendu du concert, mais rien de plus, car il est très connu dans le milieu journalistique que Shane Dean n’aime pas du tout qu’on se mêle de sa vie privée et que ceux qui ont essayé l’ont payé très cher, au sens propre.
J’échange un regard entendu avec Atmen. La nouvelle de la mort de Win Callahan n’a pas encore atteint les médias, et sa parenté avec Shane Dean reste pour le moment un secret. Pourvu que ça dure… Ça pourrait salement compliquer la donne.
La salle se remplit. Toujours bonne ambiance, a priori. Le reste du public est donc derrière nous, séparé par des barrières, et à 21h pile, les lumières s’éteignent. Quelques secondes passent, le public commence à appeler, un petit rire se fait entendre. Le public crie plus fort. Et Sasmira et nos voisins ne sont pas en reste.
Quelques notes de piano… Et une voix s’élève, chaude, magnifique, et elle subjugue tout :
« Come and share this painting with me
Unveiling of me, the magician that never failed
This deep sigh coiled around my chest
Intoxicated by a major chord
I wonder
Do I love you or the thought of you?
Slow, love, slow
Only the weak are not lonely… »
Un projecteur s’est allumé au bout de quelques mots, découvrant Shane assis à un piano, et la lumière s’est progressivement élargie à toute la scène, les musiciens, au fur et à mesure qu’ils commençaient à jouer.
Mais moi, je ne vois vraiment que lui.
La chanson finie, Shane se lève et s’incline, souriant doucement, avant de rejoindre le micro sur pied sur le devant de la scène.
« Bonsoir, messieurs-dames… Comment ça va ? »
Le public crie, siffle et applaudit.
Shane sourit.
« Moi aussi, ça va bien. Je suis très heureux d’être ici, avec vous, ce soir. »
Il laisse la foule applaudir et crier encore :
« Bon, ben on devrait passer une bonne soirée, alors… »
Il sourit, laisse encore le public applaudir et crier, puis dit :
« En tout cas, c’est gentil d’être venu, merci. »
Le concert commence vraiment, les chansons s’enchaînent. Shane assure, c’est une vraie bête de scène. Il a un charisme dingue, il est superbe, et je suis totalement sous le charme.
Ah putain il se met torse nu…
Pourvu que je me mette pas à bander…
« Run away with me
Lost souls and reverie
Running wild and running free
Two kids, you and me
And I say
Hey, hey hey hey
Living like we’re renegades
Hey hey hey
Hey hey hey
Living like we’re renegades
Renegades, renegades… »
Je dois avoir l’air très con… Il me semble entendre Sasmira et Atmen se foutre de moi. Mais là j’ai déco, je suis vraiment subjugué…
Veuillez laisser un message. Je vous rappelle plus tard si j’atterris.
Je suis pas sûr d’avoir envie d’atterrir.
Je ne sens pas vraiment le temps passer. Je me laisse emporter par ses chansons, souriant sur certaines, riant sur d’autres, ou sur les blagues qu’il sort avec ses musiciens entre deux, sentant les larmes me monter aux yeux à d’autres :
« … So goodbye for now
And I’ll see you again
Some way, somehow
When it’s my time
To go to the other side
I’ll hold you again
And melt at your smile
Now all I have
Are the ones that I’m with
And you taught me not
To take for granted
The time that we have
To show that we care
Speak into their minds
And their hearts
While their here
And say I love you »
Celle-là , je sens comme elle lui fait mal. Et je ne suis pas le seul. La salle est assez étrangement silencieuse pendant quelques secondes quand la musique s’arrête. Puis, les applaudissements se font entendre, plus fort que jamais, et le public entier se met à crier d’une seule voix :
« Shane ! Shane ! Shane !… »
Je vois, sans doute possible, que Shane est au bord des larmes. Il regarde la salle, sourit, essuie ses yeux et prend une grande inspiration :
« Merci. Merci beaucoup. »
La salle se tait. Il a l’air d’hésiter un peu, puis sourit encore :
« J’ai une annonce à faire… J’ai… »
Il cherche ses mots un instant :
« J’ai vraiment beaucoup de plaisir à être avec vous ce soir. Ça faisait très longtemps que je voulais faire un concert à Lyon. »
La foule applaudit et siffle et Shane attend sagement que le silence revienne avant de continuer :
« Vous êtes probablement les derniers à profiter d’un de mes concerts avant un bon moment… »
Ça crie un peu, déception, mais il continue sobrement :
« J’ai perdu, ce matin, une personne qui comptait beaucoup pour moi. »
Silence surpris.
« Du coup, je vais avoir pas mal de choses à régler à énormément de niveaux. Je vais devoir prendre un peu de recul, le temps de tout réorganiser, de faire le point, bref… Ça va être compliqué. Alors, qu’on soit clair, je ne compte pas arrêter de chanter. Et je reviendrais chanter ici, c’est promis. Mais je sais pas encore quand. »
Il ajoute avec un sourire :
« Vous m’attendrez ? »
Le public siffle et crie plus fort que jamais.
« C’est gentil. Merci ! »
Il s’incline sous les applaudissements de la foule, se redresse et reprend, souriant :
« Désolé si j’ai un peu cassé l’ambiance… Allez, on continue ? »
Le public approuve énergiquement.
Le concert reprend sur une chanson très joyeuse et énergique :
« Brothers of the mine rejoice!
Swing, swing, swing with me;
Raise your pick and raise your voice!
Sing, sing, sing with me;
Â
Down and down into the deep
Who knows what we’ll find beneath?
Diamonds, rubies, gold and more,
Hidden in the mountain store!
Â
Born underground, suckled from a teat of stone,
Raised in the dark, the safety of our mountain home!
Skin made of iron, steel in our bones,
To dig and dig makes us free
Come on brothers sing with me!… »
Â
L’ambiance est fabuleuse et je plane toujours, perso.
Je suis déçu quand ça s’arrête. Il y a un rappel, il revient et un tonnerre d’applaudissements accueille les premières notes, je crois me souvenir que c’est son premier grand succès.
Un autre rappel. Cette fois, il revient juste avec son guitariste, et dit doucement :
« Bon, d’accord, mais celle-là , c’est vraiment la dernière ! »
Le public crie et siffle, et le guitariste commence à gratouiller. Et le public entier applaudit lorsqu’il commence à chanter :
« Le ciel bleu sur nous peut s’effondrer
Et la terre peut bien s’écrouler
Peu m’importe si tu m’aimes
Je me fous du monde entier
Tant que l’amour inondera mes matins
Tant que mon corps frémira sous tes mains
Peu m’importent les problèmes
Mon amour puisque tu m’aimes
J’irais jusqu’au bout du monde
Je me ferais teindre en blonde
Si tu me le demandais
J’irais décrocher la lune
J’irais voler la fortune
Si tu me le demandais
Je renierais ma patrie
Je renierais mes amis
Si tu me le demandais
On peut bien rire de moi
Je ferais n’importe quoi
Si tu me le demandais
Si un jour la vie t’arrache à moi
Si tu meurs que tu sois loin de moi
Peu m’importe si tu m’aimes
Car moi je mourrais aussi
Nous aurons pour nous l’éternité
Dans le bleu de toute l’immensité
Dans le ciel plus de problèmes
Mon amour crois-tu qu’on s’aime
Dieu réunit ceux qui s’aiment »
Je crois que je suis amoureux…
D’un chanteur américain milliardaire sur lequel je dois enquêter…
Il salue et cette fois, c’est fini pour de bon.
Les lumières de la salle se rallument. Lily apparaît comme par enchantement près de nous et me sourit :
« Bonsoir, Commandant. Shane voudrait vous saluer, si vous avez un petit moment ?
– Volontiers, on est pas pressés. »
Elle opine et va voir les autres VIP. Les journalistes sont satisfaits, aucun n’ose poser de question. Les handicapés et la petite famille sont très heureux. L’ado a l’air de planer à peu près autant que moi.
La salle se vide. Un petit moment passe avant que Shane arrive. Il a visiblement pris le temps de se rincer un coup et de se changer. Il a l’air crevé. Ses musiciens suivent. Sasmira est aux anges et Atmen demeure un rien contrarié.
Shane commence par le groupe de handicapés, voulant être sûr que tout s’est bien passé. Ça a l’air d’être le cas. Le personnel encadrant comme le groupe lui-même sont ravis et le remercient chaleureusement. Lui et ses musiciens prennent le temps de leur dédicacer des trucs très gentiment avant de les laisser filer. Les journalistes prennent quelques photos, posent quelques questions d’une banalité affligeante, un se permet de présenter ses condoléances à Shane qui le remercie. Il précise qu’ils ont le droit de diffuser son annonce et que lui-même donnera plus d’infos dès qu’il en aura. Les journalistes le remercient encore et eux et les handicapés partent.
La jeune ado ne tient plus et lui saute au cou. Il a un petit rire et ils se font la bise. Ses parents sont un peu gênés et la grondent, mais Shane leur dit que ce n’est pas grave.
Je comprends de la conversation qui suit que la petite, Lola, et Shane sont amis et qu’il a aidé son père à retrouver un boulot, car ils étaient en grosse galère, en entendant son père se répandre en remerciements. Shane lui dit avec gentillesse que c’était totalement intéressé, puisqu’il cherchait un bon comptable. Là -dessus, la demoiselle ayant école demain, la petite famille se retire, non sans que Shane ait invité Lola à passer chez lui quand elle voulait.
Enfin donc, Shane vient vers nous. Il me tend la main et sourit :
« C’est gentil d’être venu, Commandant.
– C’est gentil de m’avoir invité. » je lui réponds en la serrant.
C’est moi ou son pouce m’a caressé la main, là  ?
Je me fais des films ou bien … ?
S’il continue de sourire comme ça, je promets pas de rester neutre, moi.
Reprends-toi Erwan, reprends-toi.
Je lui désigne Atmen et Sasmira :
« Je vous présente mes amis, Atmen Suleyman et sa compagne Sasmira Aboud. Pour votre information, Atmen est aussi le juge qui chapeaute mon enquête. »
Shane a l’air un peu surpris, mais les salue aimablement.
« Toutes nos condoléances, monsieur Callahan, lui dit Atmen en lui serrant la main.
– Merci beaucoup, monsieur le juge. Ça tombe bien que vous soyez là , en fait… Je voulais vous dire que Peter est arrivé. Il m’a rejoint pendant le concert, il est dans les coulisses. Il est tout disposé à vous rencontrer tout de suite, si vous le souhaitez ?… »
J’échange un regard avec Atmen.
« Alors, le saluer, volontiers. Après, je ne voulais pas forcément l’interroger tout de suite, il doit être épuisé ?
– Ça peut attendre demain. » confirme Atmen.
Shane hoche la tête, souriant, salue Lily et ses musiciens qui vont partir, et nous précède dans les coulisses. Sasmira se faufile jusque lui. Atmen fronce un sourcil. Je me retiens de rire et lui tapote le bras.
« Merci beaucoup d’avoir maintenu votre concert !
– Oh, de rien. Ça vous a plu ?
– Oui, vraiment, merci ! »
Elle hésite un peu, puis demande :
« Je peux vous poser une question ?
– Je vous en prie ?
– Est-ce qu’il va y avoir une suite à Perles Noires ? »
Shane a un petit rire et se penche :
« Début du tournage au printemps, mais chut, c’est un secret ! » dit-il en posant un index sur ses lèvres.
Elle sourit et tapote ses mains, radieuse.
« Promis ! Merci ! »
Il a l’air amusé. Nous arrivons à une petite salle de pause avec une table.
À cette table est assis un homme qui a l’air épuisé.
Peter MacKenning est encore bel homme, grisonnant et souriant, et a l’air d’un quinquagénaire aussi riche que crevé. C’est-à -dire qu’il a un costume qui doit être hors de prix, mais qu’il a une gueule de déterré, un peu comme s’il avait fait la fiesta toute la nuit, ce qui n’est définitivement plus de son âge.
Shane nous présente donc, tous les trois, à Peter MacKenning.
Peter s’excuse, en se levant pour nous saluer, il est trop fatigué pour arriver à parler français décemment. Je souris en serrant fermement la main qu’il me tend et en répondant en anglais :
« Ce n’est pas un souci, je ne comptais pas vous questionner ce soir. Merci beaucoup d’être venu si vite. »
Les deux Américains ont l’air un peu surpris, et ça monte d’un cran lorsqu’Atmen ajoute à son tour en lui serrant la main, dans un anglais très fluide aussi :
« Oui, merci beaucoup. Le commandant Perdreau et moi pensions plus intéressant de vous laisser dormir et de vous interroger demain. Pouvez-vous l’informer d’où et quand vous conviendrait ? »
Je crois que le cliché du Français nul en langue étrangère vient d’en prendre un coup. Shane a l’air amusé. Il nous répond en français :
« Peter va loger chez nous. Nous espérions pouvoir aller nous recueillir un moment sur le corps de mon père, si c’est possible ? Mais à part ça, nous ne comptions pas quitter la maison. Vous avez du nouveau sur le moment où sera faite l’autopsie ? »
Je hausse les épaules avec un geste d’impuissance.
« Aux dernières nouvelles, la panne informatique n’était pas réglée. Le plus simple serait sûrement que vous appeliez l’institut demain matin pour le savoir.
– Je vois, merci… De toute façon, nous voulions attendre Tiffany et Jack, ils ne seront pas là avant midi. Vous pouvez donc passer quand vous voudrez demain matin.
– D’accord, j’opine. Merci. Je vous appellerai avant pour que nous soyons tranquilles.
– Merci. » me répond Shane avec un sourire gentil.
Argh, mais il arrête oui !
On les laisse sans plus attendre. Atmen leur laisse sa carte, leur disant bien qu’il reste joignable si besoin, mais que c’est moi leur interlocuteur premier.
Une fois dehors, je me roule une clope.
« Ton avis ? je demande.
– Je vois pas trop ces mecs avoir tué ou fait tuer notre homme…
– Moi non plus, j’opine, et je vois surtout pas pourquoi ils l’auraient fait… »
Sasmira hoche la tête :
« Si je puis me permettre de donner mon avis, je ne vois pas non plus pourquoi Shane aurait tué son père…
– J’ai le droit de douter de ton impartialité ? lui lance Atmen.
– Tout à fait, rigole-t-elle.
– Qu’est-ce qu’il a de plus que moi ? fait-il encore, mi-goguenard, mi-bougon.
– Hmmm… fait semblant de réfléchir Sasmira. Il est milliardaire, c’est une star internationale, il a une voix superbe et un corps à tomber… compte-t-elle sur ses doigts et j’approuve en hochant la tête. Mais tu devrais plutôt te demander ce que toi, tu as de plus que lui. »
Je glousse en devinant la suite, alors qu’Atmen fait la moue :
« Ah, quoi ?
– Moi. »
Atmen reste bête alors que Sasmira et moi éclatons de rire. Puis il rit aussi, la prend dans ses bras et ils s’embrassent tendrement.
« OK, admet-il. Là , tu m’as eu. »
On reprend ma voiture, je les lâche chez eux avant de rentrer tranquillement. Je me couche sans attendre. Je suis au milieu d’un rêve bizarre que j’oublie aussitôt quand le téléphone me réveille. C’est Atmen.
« Hmm ?
– Houla, toi, tu dormais encore.
– Moui… Kess y a ?
– La nouvelle a filtré… »
Je grogne en passant ma main dans mes cheveux :
« Merde…
– Non, mais ça va, c’est pas encore trop pire. Ils savent juste qu’un milliardaire américain est mort à Lyon dans un accident de voiture.
– Ils ne savent pas qui c’est ?
– Non, ni sa parenté avec notre star.
– Bon, cool. C’est déjà ça… Mais à mon avis, ils ne vont pas tarder à choper son nom au moins…
– Tu penses qu’on prévient nos Américains ?
– Bonne question. C’est sur quoi comme médias ?
– C’est sur BFM et LCI, l’AFP va sûrement pas tarder à suivre et après, ben ça peut partir très vite…
– Aïe aïe aïe… »
Je me redresse :
« Vois avec Vallois. Moi, j’appelle Shane si tu permets ? Je pense que lui et MacKenning sauront gérer ça.
– Ils ont combien d’avocats, à ton avis ?
– Des hordes… Tu me laisses faire, Monsieur le Juge ?
– Oui. Je te tiens au courant quand j’ai vu avec Vallois.
– OK. A plus !
– A plus, Erwan. Prends le temps de boire quelques cafés, hein.
– Ouais, un litre ou deux, ça devrait le faire… »
On rigole et on raccroche. Je me lève en grognant et je m’étire.
Mon appart’ est minuscule et bordélique, mais je l’aime bien. Je mets de l’eau à chauffer pour ma cafetière italienne et ne prends que le temps d’enfiler un pantalon avant d’appeler mon chanteur.
« Sean Callahan, j’écoute ? »
Il a l’air essoufflé.
« Commandant Perdreau. Je vous dérange ?
– Oh ! Morning ! Désolé, je courais dans le Parc… Je suis nerveux quand je ne fais pas de sport le matin… »
Si j’étais avec toi mon grand, tu ferais un autre genre de sport !
…
Je viens vraiment de penser ça moi ?
…
La journée va être longue.
« Pas de souci !… Je voulais vous avertir qu’apparemment, la nouvelle du décès de votre père commence à apparaître dans les médias… »
Je lui explique et il m’écoute gravement.
« Merci beaucoup, Commandant. Merci. Je vais faire le nécessaire.
– Vous pouvez arrêter ça ?
– Un ou deux coups de fil de mes avocats suffiront. Il est hors de question que des journalistes viennent nous importuner et risquer de déranger votre enquête. »
Je souris. Mon eau est chaude.
« Merci, Monsieur Callahan.
– Vous pouvez m’appeler Shane, vous savez… »
J’ai vraiment entendu un petit ton un peu hésitant, là … ?
Non non reste zen Erwan, tu as du boulot !
« Euh, merci, je réponds en regardant ma pendule, mais bon, avec l’enquête euh… Bref, je peux passer d’ici disons, deux heures ?… Vers 9 h, ça vous irait ?
– Quand vous voulez, nous ne bougeons pas. Tiffany et Jack seront là vers midi, nous verrons avec eux comment nous faisons, si nous pouvons aller voir le corps ou pas… Au fait, j’ai cherché hier soir en rentrant, je n’ai pas retrouvé la pochette de mon père…
– D’accord, c’est noté. Merci…
– Vous croyez qu’on l’a volée ?
– Aucune idée, mais c’est possible. Il faudra poser la question à James Followay.
– Oui… »
Il soupire :
« Poor James… J’espère qu’il va vite revenir avec nous…
– Il y a longtemps qu’il travaille pour votre père ?
– Oui, mon père l’a embauché quand je suis entré à l’école, pour s’occuper de moi. C’est un vétéran de l’armée qui avait dû revenir dans le civil après une blessure au genou… Il avait très mal à cause de la pluie, d’ailleurs, quand ils sont partis avec mon père… »
Je sens sa voix trembler. Il inspire un grand coup et se reprend :
« On vous attend pour 9h, alors ?
– Oui, n’hésitez pas à m’avertir s’il y a un souci.
– Non, non non ça ira… Ne vous en faites pas. Merci beaucoup, Commandant.
– De rien… A tout à l’heure, alors, je réponds gentiment.
– Oui, à tout à l’heure… »
On reste un petit moment comme des cons jusqu’à ce que je réussisse à raccrocher.
Je pose mon téléphone et prépare mon café.
J’ai essayé de croire que je me faisais un film, mais non, il a l’air dans un état très semblable au mien…
Reste la possibilité qu’il me manipule pour détourner d’éventuels soupçons. Mais pourquoi ?
Je reste debout devant la fenêtre de ma cuisine, regardant l’avenue en bas, les gens qui roulent, les voitures qui marchent, à moins que ça ne soit l’inverse.
Shane a tout pour lui. Il est riche, mais au-delà de ça, c’est un artiste à la carrière bien lancée. Même s’il tient remarquablement bien le choc, j’ai bien senti combien la perte de son père lui faisait mal, quand il l’a chanté. Il tient bon parce qu’il a été élevé, sûrement, dans cet état d’esprit : être fort, tenir le coup. Il m’a l’air sincèrement croyant. Ça doit aider.
Je prends le temps de déjeuner tranquillement et de prendre une bonne douche. Lorsque je reprends mon téléphone, c’est pour voir un message de Captieux qui veut savoir où j’en suis. Je lui envoie un texto en bon gros langage SMS bien illisible pour lui dire que ça avance et que je gère avec le juge. Je repasserais ou pas dans la journée selon si besoin.
Allez démerde-toi avec ça connard, bonne journée, cordialement !
Je renvoie un message à Atmen pour lui dire que Shane est prévenu et que je pense que les journalistes vont vite lâcher l’affaire.
De mon côté, je prends le temps de faire des recherches sur mon ordi.
Win S. Callahan était à la tête d’un immense conglomérat. Dans les faits, si c’est avec son associé Peter MacKenning qu’il gérait tout ça, le nom de son fils apparaît régulièrement. Shane fait partie de pas mal de conseils d’administration et est depuis longtemps très impliqué dans la gestion du groupe. Ça doit être pour ça qu’il n’est pas un artiste si prolifique.
Je me balade sur son article Wikipédia et son profil Allociné. Apparemment, il a d’abord été mannequin avant de décrocher un petit rôle dans une série. Il a attiré l’attention du milieu, mais il a l’air très attaché à la qualité de ses œuvres. Il a même produit un petit film indé dans lequel il ne jouait pourtant qu’un second rôle, parce que le propos lui avait plu.
‘Faudra que j’essaye de trouver ça…
Perles Noires, le film qui l’a vraiment fait connaître du grand public l’an dernier, est une fresque historique sur fond d’histoire de piraterie, très plaisante et plutôt bien documentée. Il semblerait qu’il l’ait en partie produit. Il va donc y avoir une suite, mais effectivement, elle n’est pas encore annoncée.
Shane n’a clairement pas besoin de son travail d’acteur ni de chanteur pour vivre. Ni même vraiment de ses salaires dans les conseils d’administration. Son portefeuille d’actions personnel ferait quasi vivre la moitié de l’Afrique subsaharienne tout seul.
Et idem pour Peter MacKenning, qui lui, a largement de quoi s’occuper entre le groupe et ses propres affaires… C’est un vieux célibataire qui ne semble vivre que pour elles, et avoir un talent certain pour régler ses problèmes et éliminer ses rivaux à coup d’OPA.
Je reste donc persuadé que ces deux-là sont hors de cause.
L’épouse ? Bof…
Tiffany Lincoln-Callahan a épousé Win il y a sept ans. Le petit Jack est né éh éh éh, tiens donc ? Sept mois plus tard ? Hm, bon à savoir.
Cette chère Tiffany vient d’une vieille famille bien tradi qui prétend descendre d’Abraham Lincoln, sauf que peut-être pas vraiment… Surtout qu’ils viendraient de Virginie… ?
Elle est plutôt jet-set, belle vie et fiesta, et doit faire du caritatif plus pour le principe d’avoir sa jolie gueule de poupée dans une revue pour se la péter au milieu de petits Africains que par véritable altruisme. Je dis pas ça par pur mauvais esprit, enfin pas que, mais parce qu’elle est moins discrète que son mari et son beau-fils là -dessus, et plus souvent dans de grands diners mondains où on récolte des fonds que sur le terrain. Enfin, si le pognon récolté va bien aux associations derrière, après tout, c’est un mal pour un bien.
Je note tout ça et voyant l’heure, j’appelle l’institut médico-légal. Je n’ai pas de mal à avoir Aslanov qui ne peut toujours rien pour moi. Il attend les résultats des premières analyses et espère que les ordis seront en marche dans la matinée. Je le remercie et je finis de m’habiller pour retourner voir du côté du Boulevard des Belges si j’y suis. Si j’y suis, je vais sans doute y rester un peu.
J’y suis pas très vite parce que ça roule pas mal, à cette heure-ci. À 9h15, alors que je cherche désespérément une place en grognant, mon téléphone sonne et tiens ?
« Rebonjour, monsieur Callahan, un problème ?
– Euh, non, juste je m’inquiétais un peu de ne pas vous voir ? Il y a un souci ?
– Non, juste pas de place pour me garer.
– Oh… Il y a de la place dans notre cour arrière, si vous voulez ?
– Ah, je dis pas non… Je reviens… »
Un petit tour de pâté de maisons plus tard, j’avise, sur le trottoir, Louis Servient qui me fait signe. Il me montre le grand portail ouvert et m’indique de longer le mur de la maison, il y a de la place derrière.
Et de fait, il y a une grande cour entre deux hangars, enfin un hangar et une vieille grange. Je me gare et descends. Louis vient me serrer la main :
« Bonjour, Commandant.
– Bonjour, monsieur Servient. Désolé pour le dérangement.
– Pas de problème. Venez, monsieur Sean était inquiet. Il sera content de vous voir.
– À ce point ?
– Oui… Il n’a pas l’air bien, ce matin.
– Ça ne va pas ?
– Non, nous pensons qu’il commence à réaliser. »
Pas étonnant. Hier, il a pu se concentrer sur son concert, mais là , il n’y a plus rien. La réalité le rattrape.
« Et de votre côté ? » je demande.
II hausse les épaules.
« Estelle et moi tenons bon… Manon a un peu plus de mal, mais les autres, ça va, ils connaissaient moins monsieur Win que nous… Monsieur Peter est très aimable. La préparation des chambres et du reste nous permet de ne pas trop nous morfondre… Avez-vous du nouveau pour l’autopsie ?
– Non, le médecin légiste doit me rappeler.
– J’espère que ça ne tardera pas trop…
– J’espère aussi… »
C’est toujours moche quand ça traîne, ça.
Il me précède à l’intérieur par la porte arrière. Hier, je n’ai vu que l’entrée et la cuisine. Là , nous remontons un couloir pour retourner à l’entrée. Louis m’y prend ma veste et me conduit au salon, en me disant qu’il va chercher Shane et Peter.
Le salon est grand, clair, meublé de jolis trucs que je devine très vieux et surtout très confortables. La cheminée est magnifique. Shane arrive et sourit :
« Commandant ! Désolé, j’aurais dû vous dire pour la cour… »
Il serre fort ma main dans les deux siennes, souriant, mais il a vraiment une petite mine. Je note que ses cheveux, relevés en un chignon ébouriffé, sont un peu humides. Il doit avoir pris une douche après son footing.
« Il n’y a pas de mal, monsieur Callahan. Vous avez d’autres choses à penser. »
Il retient un petit tremblement quand je l’appelle encore par son nom de famille. Il lâche ma main lentement et bredouille :
« Je euh… Vous avez du nouveau ?
– Non, rien de précis. »
Je lui souris. J’ai super envie de lui faire un gros câlin pour le consoler, là . Mais il ne faut pas.
En tout cas, s’il me joue la comédie, à cet instant, il mérite un Oscar.
« Encore merci pour hier soir. Sasmira était ravie, elle aime beaucoup votre travail.
– Oh, merci à elle… »
Peter arrive alors, mettant fin à ce malaise.
Il me serre la main. Il a l’air triste, mais reposé, et parle français, cette fois. Il a un sacré accent :
« Bonjour, Commandant Peedrow.
– Monsieur MacKenning. Remis de votre voyage ?
– Yeah ! Pouvez-vous me dire où en est votre enquête et surtout comment je peux vous aider ?
– Bien sûr. »
Manon arrive alors. La petite domestique est gênée et a l’air défait. Elle dit à Shane qu’Estelle lui a fait des œufs avec des haricots en sauce et des saucisses. Vrai petit-déj’ irlandais, miam. Shane soupire et hoche la tête :
« Désolé, je vous laisse un moment… Je n’ai pas faim, mais Estelle s’est donné du mal, je ne vais pas gaspiller…
– Pas de souci, prenez votre temps, je lui dis avec un sourire. Il faut faire attention à vous.
– Merci…
– Take your time, boy. Good lunch !
– Thanks, Peter. »
Il sort et Peter soupire :
« Poor, poor boy… »
Il se retourne vers moi et me fait signe de m’asseoir. Je me pose sur un fauteuil et lui sur un autre, et sors mon bloc-notes. Il y a une petite table basse entre nous.
« Shane m’a dit que vous pensiez que Win avait été assassiné ? »
Je le toise un instant. Il a l’air grave.
« Moi, personnellement, non. »
Je lui explique posément le pourquoi de l’enquête.
Il soupire et réfléchit un moment :
« Ridiculous…
– À peu près tout le monde a l’air d’accord sur ce point.
– Je ne vois pas qui aurait pu vouloir le tuer et encore moins qui l’aurait fait comme ça !
– Je n’ai pas encore tous les résultats, et l’autopsie a été retardée. Mais jusqu’ici, il n’y avait rien de suspect. Shane a reconnu que son père avait des ennemis, vous êtes d’accord ?
– Of course ! Nous en avons tous. Mais Win était comme moi, on les rachète, on les menace de les envoyer sous les ponts, s’ils se calment on les garde, sinon, on les vire, mais tuer, my god, ça non !
– Et au-delà de vos affaires, il n’aurait pas pu avoir d’autres ennemis ? Des soucis disons, plus liés à sa vie qu’à ses affaires ?
– Non, ça ne me dit rien… Il ne m’a rien dit de particulier… C’est vrai qu’il était soucieux… Il avait modifié son testament il y a hmmm… Deux-trois ans ans, je dirais… »
Je fais la moue. Au moment où il a commencé à découcher tous les mois.
« Est-ce que vous savez pourquoi il venait en France tous les mois avec une régularité pareille ? »
Il grimace :
« Pas vraiment… »
Il soupire :
« Il disait qu’il devait gérer ça tout seul… Mais je pense que James est au courant.
– James Followay ?
– Yeah.
– C’était son homme de confiance, plus que vous ?
– Hmmm, pas pareil. Win et moi, on se connaissait depuis toujours, mais on était très occupés tous les deux. Au quotidien, on se voyait assez peu, finalement… Win a connu James en Irak, pendant la guerre. Il avait été voir les soldats très gravement blessés avec une association, ceux qui ne pouvaient vraiment plus se battre, pour aider à les réinsérer. Ça a bien accroché entre lui et Win, du coup Win l’a engagé pour veiller sur Shane. Et croyez-moi, Win n’aurait pas confié Shane à n’importe qui !!
– Les Servient m’ont dit que Shane était né d’un premier mariage ?
– Tout à fait.
– Le remariage de son père n’a pas causé de tensions ?
– Non. On était tous très heureux que Win refasse sa vie… Même si on savait que Tiffany ne remplacerait jamais Inès…
– Il était veuf ?
– Yeah… soupire-t-il tristement. Inès était de santé très fragile, elle est morte jeune. Shane avait 9 ans.
– Vous non plus, vous ne pensez pas que Win Callahan avait une maîtresse en France ?
– Non. Ça, je l’aurais su.
– Vraiment ? je souris.
– Win n’est pas resté 15 ans à se morfondre entre Inès et Tiffany, Commandant, si vous voyez ce que je veux dire. Et il ne me l’a jamais caché. Alors, je ne vois pas pourquoi il ne m’en aurait pas parlé.
– Je vois.
– Il va sans dire que je ne vous ai rien dit… »
Je souris encore. Je n’ai pas noté ça et je hoche la tête :
« Je n’ai rien entendu… On parlait de quoi ? Ah oui, Shane avait 9 ans à la mort de sa mère. Et donc, pas de tension au remariage…
– Pas de notre côté. »
Je souris encore :
« De l’autre si ?
– Tiffany ne l’a jamais dit ouvertement, mais il semblerait qu’une partie de sa famille trouve Shane un peu trop brun et bronzé pour un “vrai” Américain… »
Je souris encore et soupire :
« Ah, que voilà un débat intéressant…
– Stupidement stérile.
– Voilà un point sur lequel nous avons l’air d’accord…
– Sure ! J’ai assez travaillé et voyagé de partout pour savoir que ni la compétence ni l’incompétence n’ont de couleur ! »
J’opine.
« Pareil, même si j’ai sûrement moins voyagé que vous.
– Cela dit, personne n’a jamais attaqué ouvertement ni Win, ni Shane là -dessus, mais il y a eu quelques pitoyables tentatives de coups fourrés…
– Du genre ?
– Histoires d’escroquerie, tentatives de corruption ou je ne sais plus quoi… Rien que Shane n’ait pu régler seul. Win était très fier de lui, il en a fait un homme d’affaires aussi honnête que redoutable.
– Ça marche vraiment, les affaires, en restant honnête ? je souris.
– Oui, je vous assure que oui, ça peut juste prendre un peu plus de temps. »
Nous rions un peu tous deux. Puis je reprends :
« Donc, il pourrait y avoir quelques tensions entre Shane et Tiffany ?
– Rien d’insurmontable… Jack et Shane s’adorent. Tiffany how can I say… Elle n’a jamais beaucoup aimé Shane, mais elle n’est pas méchante… Pas forcément très fine, mais pas méchante… Je crois que je craindrais plus son secrétaire et sa psychiatre… Je les ai toujours trouvés à la limite de la politesse avec Shane.
– Concrètement, savez-vous comment va se passer la succession ?
– Sans entrer dans les détails, le plus gros va être réparti entre Shane et Jack, mais c’est Shane et moi qui gérerons la part de Jack jusqu’à ce qu’il puisse le faire lui-même.
– Volonté testamentaire de Win Callahan ?
– Oui, tout a été très clairement réglé avec ses avocats.
– Vous m’avez parlé d’un testament il y a deux ans ?
– Oui, une remise à jour, rien de majeur n’a été changé. Il a juste renforcé notre contrôle sur les actions de Jack.
– Ah ? »
Peter hausse les épaules :
« Ça m’a un peu surpris, mais après tout, Jack est un peu tête en l’air… Et puis, ça nous permet de contrôler et réguler, mais s’il fait les choses comme il faut, nous n’aurons pas à nous en servir. »
Je fais la moue. Mouais, à ce degré de responsabilité, rien de déconnant à laisser des adultes qui ont montré leurs compétences encadrer un jeune homme en attendant qu’il fasse ses preuves, en leur donnant les moyens de réguler si besoin.
« Shane a été surveillé comme ça ?
– No. Mais pas besoin. Shane a toujours été très sérieux et… Well, il a fait ses preuves très vite. En fait, quand Shane a eu 18 ans, Win lui a comment dire offert une entreprise en faillite avec pour consigne de la redresser.
– Sérieusement ? je sursaute.
– Yeah. Il y est arrivé en moins de cinq mois. Ça a calmé à peu près tous ceux qui doutaient de lui et Win a pu le prendre comme bras droit tranquillement.
– Ah ouais… Pas mal. »
Peter a un petit rire :
« Yeah, yeah ! Mais Win l’avait fait exprès. Il savait que Shane y arriverait. D’ailleurs, on avait parié…
– De quoi vous parlez ? »
Shane est revenu et nous regarde, interrogatif. Il sourit doucement. Il a toujours l’air aussi fatigué.
« Oh, pardon… sursaute-t-il. Vous aviez fini ? Je peux vous laisser… ?
– Non, non, c’est bon, pas de souci. Asseyez-vous, je vous en prie… »
Shane se pose sur le petit canapé.
« Good lunch ? lui demande Peter.
– Sure ! Very good. Estelle is the best !… Mais c’est quoi cette histoire de pari ?
– Tu te souviens de la CBM Corps ?
– Houla, tu me files un coup de vieux…
– Quand ton père te l’a confiée, on a parié tous les deux sur combien de temps il te faudrait pour la remonter.
– Oh, really ?
– Yeah. Lui avait dit six mois, moi neuf. Autant dire que tu nous avais bluffés !
– Dad ne m’avait jamais dit ça… Il m’avait même dit que j’aurais pu faire mieux.
– Il ne voulait sans doute pas que vous baissiez votre garde en vous croyant trop fort. » je dis gentiment.
Peter opine et tapote l’épaule de Shane :
« Yeah. Il voulait que tu restes le meilleur. »
Shane a un petit sourire, perdu dans des souvenirs qui m’échappent.
« Bon, je reprends, vous m’avez dit que le testament répartissait le plus gros des parts entre Shane et Jack, et le reste ?
– Beaucoup de dons à des associations, me répond Peter. Tiffany hérite de deux propriétés, c’était dans le contrat de mariage… Ah, elle va avoir une belle rente aussi, et elle garde tous ses biens propres bien sûr, mais rien de plus en ce qui la concerne. Moi, je devais récupérer une voiture… Un vieux pari stupide que nous avions fait au lycée, never mind… Il avait prévu beaucoup de petites choses pour beaucoup de monde, mais là , j’avoue que je ne sais plus… Il faudrait relire en détail. Il n’en parlait pas, d’ailleurs. Je pense que beaucoup de gens vont avoir une belle surprise.
– Tant mieux pour eux. »
Mon téléphone sonne. Ah, Rosanna… Je m’excuse et décroche :
« Oui, Rosanna, bonjour ?
– Salut, Erwan. Ça va ?
– Oui, oui, et toi ?
– Super. Je t’embête pas longtemps, j’ai une réunion, là … Juste pour te dire qu’on a fini de décortiquer la bête.
– Bien, et ?
– Aucune trace du moindre souci technique. Sérieux, même la lentille du lecteur CD était nickel.
– D’accord, merci.
– Je te tape tout ça et je te l’envoie dans l’aprèm.
– Ça serait super. Merci beaucoup.
– De rien, bonne journée et bon courage, Erwan !
– Bon courage pour ta réunion. »
On raccroche et je note vite fait l’heure de son appel sur mon bloc-notes en disant :
« C’était l’experte en mécanique. Elle est formelle, la cause de l’accident n’est pas liée à la voiture. »
Ils me regardent tous deux, Peter croise les bras et Shane me regarde et demande :
« Rien pour la voiture ?
– Ni déficience mécanique ni sabotage.
– Alors, la cause … ? commence-t-il.
– … semble être humaine, je finis.
– C’est Win ou James qui conduisait ? demande Peter.
– Win, je lui réponds.
– Oh, really ? Strange…
– James avait mal à la jambe, lui dit Shane. La pluie, tu sais ?
– I see… »
Peter hoche la tête.
« Win conduisait très bien…
– Il n’était pas particulièrement malade, ou fatigué ? »
Shane dénie lentement du chef :
« Non, rien de spécial… »
Je réfléchis un peu en tapotant mes lèvres avec mon stylo.
« On en revient à l’autopsie et à ce qu’ils ont fait pendant la nuit… Donc au témoignage de James Followay. »
Shane et Peter se regardent encore. Je replie mon bloc-notes avec un soupir :
« Bon, ben de mon côté, je ne vois rien de plus pour le moment… Qu’en pensez-vous ?
– Moi non plus… What do you think, boy ? »
Shane hausse les épaules :
« Non… Je ne vois rien de plus…
– D’accord… Bon, je vais vous laisser, dans ce cas. Je vais refaire un point et je repasserai dans l’après-midi voir votre belle-mère.
– Okay… N’hésitez pas à nous joindre avant si besoin… »
Shane me raccompagne jusqu’à ma voiture. Il a l’air de vouloir me dire quelque chose, mais hésite. Il finit par bredouiller :
« Commandant… J’aurais voulu savoir si euh… Vous seriez d’accord pour m’accompagner au Parc euh… J’aurais bien voulu qu’on se voit… Un peu plus tranquillement… »
Je regarde ce magnifique jeune homme que je crève d’envie de prendre dans mes bras, d’embrasser jusqu’à l’étouffement, de porter jusqu’au premier truc suffisamment plat pour l’y coucher, auquel je voudrais faire l’amour jusqu’à l’épuisement ou la fin du monde, ou l’épuisement du monde ou ma propre fin, je n’en sais même plus rien, et je ne peux que lui sourire, enfin grimacer un truc qui ressemble à un sourire, et répondre :
« Monsieur Callahan, j’aimerais beaucoup vous dire oui, mais… L’enquête n’est pas finie et je ne suis pas en position de rien faire qui risque de la compromettre. »
J’ai l’impression de lui briser le cœur et dans son état, il ne doit plus en rester grand-chose. Il a tremblé, hoche la tête et essaye de sourire :
« Je comprends… C’est pas grave… De toute façon, vous avez raison… Je devrais pas penser à ça… »
Et moi donc…
Je repars vite. Je vais craquer si je reste une seconde de plus avec lui.
J’ai envie de gerber, je me sens dégueulasse. Je veux tout sauf faire du mal à qui que ce soit, lui désormais moins que tout autre… Mais je joue juste ma carrière sur cette enquête de merde, ce délire d’Amerlocs parano et de ministres tatillons… Je ne veux pas flinguer ça. Je dois garder la tête froide…
Je monte dans mon grenier sans saluer personne et personne ne m’interpelle, ils le sentent très bien quand je suis pas d’humeur.
Je reprends tout au propre, laisse un message à Atmen qui doit être à sa réunion, pas de nouvelles des autres. Aslanov ne m’a pas rappelé, l’hôpital non plus.
Je suis crevé, j’en ai marre. J’ai envie de rentrer chez moi, me lancer sur Mass Effect pour partir très loin de cette planète de merde et oublier les yeux noirs remplis de douleur de Shane…
Les heures passent et je relis tout, recoupe tout, et rien à faire, à part si l’autopsie révèle quoi que ça soit d’anormal, tout porte à croire que c’est un simple accident…
Mais où étaient-ils, bon sang…
Je repasse presque à contrecœur Boulevard des Belges vers 15h. Mais Shane n’est pas là , il est parti prendre l’air. Ça me fait un peu mal, mais je l’ai cherché. J’espère juste qu’il ne va pas faire de connerie.
Le petit Jack dort, vidé par les émotions et encore plus le voyage, mais Estelle m’apprend que Tiffany est au salon. Je note que la gouvernante est bien plus tendue que le matin, visiblement, elle retient pas mal de colère.
Elle me dit que le repas de midi a été très tendu entre Peter, Shane, Tiffany et ses deux acolytes, son secrétaire et sa psy. Je me souviens de ce que Peter m’a dit d’eux.
« Je n’ai pas tout compris, parce qu’ils n’ont parlé qu’en anglais, mais apparemment, ils n’avaient pas posé leurs valises qu’ils râlaient après la lenteur de l’enquête, qu’il était scandaleux qu’on laisse traîner l’autopsie, et même le fait qu’on n’ait pas encore organisé la lecture du testament… Monsieur Peter leur a dit que le contenu du testament était connu, mais ils n’avaient pas l’air d’accord… »
Elle me conduit au salon où je découvre trois individus qu’on croirait sortis d’une série américaine : la quadra décolorée et à moitié refaite, assise sur le canapé, le secrétaire à la mâchoire carrée et la brune mode femme de tête glaciale. Je vous passe les tailleurs et costume sur mesure hors de prix…
Estelle me présente dans un anglais fort correct et se retire.
Je n’ai pas le temps de saluer les individus que l’homme me jette avec un mépris évident et dans un français exécrable :
« Nous avons pas temps, vous devez prévenir pour voir madame. »
OK, connard. On va mettre les choses au point. Je croise les bras et lui rétorque en anglais, droit dans les yeux :
« Je n’en ai pas pour longtemps et c’est moi, ici, qui décide de quand j’ai besoin, pour mon enquête, d’interroger les gens que je veux interroger. Maintenant, encore une remarque de ce genre et l’interrogatoire se fera dans mon bureau et dans le cadre d’une garde à vue. C’est clair ? »
Il reste con et je rejoins la blonde pour lui tendre la main :
« Toutes mes condoléances pour votre époux, madame Callahan. »
Elle la serre avec hésitation.
« Je suis navré de vous déranger dans ces moments, mais comme je viens de le dire, je n’en ai pas pour longtemps.
– Je euh… Je suis un peu fatiguée par le voyage…
– Je comprends, il n’y a pas de souci. Jusqu’ici, aucun élément de l’enquête ne m’a permis d’étayer la thèse du meurtre.
– Vous en êtes sûr ? » intervient alors la brune.
Elle reste froide, mais je n’ai rien perdu de l’échange silencieux qu’elle a eu avec le brun pour lui signifier de la fermer.
« Oui, mais je n’ai pas encore tous les éléments. Comme vous le savez, l’autopsie a été retardée. Sauriez-vous, de votre côté, si quelque chose pourrait justifier qu’on ait attenté à la vie de monsieur Callahan ? »
Il y a un silence pesant, et c’est encore une fois la brune qui parle :
« En fait, Commandant, c’est un peu gênant… Nous nous sommes bien sûr posé la question, et en fait… Nous nous demandons si Sean n’est pas à l’origine de ce drame… »
Je reste neutre et demande :
« Madame ?
– Oh, pardonnez-moi. Je suis Brenda Bellodini, la psychiatre de madame Callahan. Elle m’a prié de l’accompagner pour la soutenir dans cette épreuve. »
Ben dis donc, on rigole pas chez les psys US… Ça tient de la fusion ce type de thérapie… Elle la torche quand elle a la turista, aussi ?
« Je vois. Et donc, qu’est-ce qui vous ferait croire que Sean Callahan ait voulu tuer son père ?
– Eh bien, nous avons la quasi-certitude que Sean n’est pas le fils biologique de Win, et récemment, Win avait dit à Tiffany qu’il avait modifié son testament… Nous nous demandons s’il n’avait pas découvert que Sean n’était pas son fils, et si ce dernier n’a pas eu peur d’être déshérité. »
Je note ça en hochant la tête.
« Sur quoi vous basez-vous exactement ?
– Sean est né seulement sept mois après le mariage de Win et Inès.
– Hm hm… Comme Jack. »
J’attends la réaction qui ne tarde pas. Mais c’est l’homme qui craque :
« Vous n’allez quand même pas comparer madame Callahan à cette Portoricaine qui sortait d’on ne sait où ! »
Je le regarde et je lui souris :
« Inès Callahan était Portoricaine ?
– Bien sûr ! Et impossible de savoir d’où elle venait ! Ni Win, ni Peter n’en disent rien ! À se demander s’ils le savent eux-mêmes ! »
Je hoche la tête et note.
« Et comment Sean s’y serait pris ? Il y a une nuit entre le moment où Win Callahan a quitté cette maison et le moment où l’accident a eu lieu. Vous non plus, d’ailleurs, vous ne savez pas où Win se trouvait ? »
Ils grimacent tous trois sans répondre. Il y a un silence, puis Brenda répond :
« Sean a largement les moyens de faire agir d’autres personnes.
– Ça, je vous crois… Bien, merci de ces informations. Je vais continuer mes recherches et nous verrons bien… »
Je n’ai que le temps de refermer mon bloc-notes avant que la porte ne se rouvre sur Peter qui nous regarde avec l’air grave que je commence à lui connaître :
« Est-ce que tout va bien ?
– Oui, ne vous en faites pas. » je lui réponds gentiment.
Je serre la main de Tiffany, toujours fuyante, et de Brenda, bien plus ferme, et je sors. Estelle n’est pas loin et me rejoint :
« Tout va bien, Commandant ?
– Oui. Merci d’avoir envoyé Peter.
– Ah, vous avez deviné… De rien… J’avoue qu’il était aussi inquiet que moi de vous savoir avec ces trois-là … »
Peter sort et me rejoint, toujours grave :
« Ça va, Commandant ?
– Je voudrais vous parler, monsieur MacKenning. Ces trois intéressantes personnes m’ont dit des choses que je voudrais éclaircir au plus vite avec vous. »
Leur histoire me parait peu crédible, mais je dois en avoir le cœur net.
Il a un sourire rapide et me fait signe de le suivre. Je lui emboite le pas jusqu’à une autre pièce, visiblement la salle à manger. Nous nous asseyons à la table et je rouvre mon bloc-notes.
« Estelle m’a dit que vous, Shane et ces trois individus vous étiez disputés au repas de midi.
– C’est exact.
– À quel sujet ?
– Ils contestent déjà le testament…
– Ils savent ce qu’il contient ?
– Savoir que Shane et Jack héritent à parts égales et que c’est Shane et moi qui aurons le contrôle sur les affaires de Jack leur suffit.
– Que voudraient-ils ?
– Gérer les parts de Jack et si possible le mettre seul à la tête du consortium.
– Lui seul ?
– Oui. Alors qu’il est établi que Shane et moi le gérerons en attendant sa majorité, puis que nous le gérerons tous les trois.
– Je vois… »
Je note et reprends :
« Miss Bellodini prétend que Shane a tué, ou plus probablement fait tuer son père.
– WHATÂ ?!
– Apparemment, Win Callahan aurait été sur le point de découvrir que Shane n’était pas son vrai fils. Parce qu’il est né sept mois après le mariage. »
Peter reste coi, puis serre les poings, furieux :
« What a treacherous snake… »
J’ai un geste d’apaisement.
« Est-ce que vous pouvez m’expliquer ça ? »
Il soupire et opine du chef :
« Bien sûr. Ça n’a jamais été un véritable secret…
– Quoi ?
– Effectivement, Shane n’est pas le fils biologique de Win. Mais Win l’a toujours su… »
Je fronce les sourcils. Il sourit, amusé :
« Vous n’aviez pas remarqué ?
– J’avais pensé en voyant les photos que Shane n’avait pas trop la tête du fils de Win et Tiffany. Après, quand j’ai su qu’il était né d’un premier mariage et que sa mère s’appelait Inès, je me suis dit qu’il tenait d’elle et puis voilà . »
Je hausse les épaules. Il sourit :
« Vous êtes vraiment un homme intriguant, Commandant.
– Nous ne sommes pas là pour parler de moi, monsieur MacKenning.
– Sure ! »
Il a un petit rire.
« Well, pour revenir à Shane, en fait, il faut remonter assez loin. Nos mères, à Win et moi, nous ont lancés dans le caritatif très tôt, et au lycée, on a fait un pari. Si on ne finissait pas major, on prenait un an avant la fac pour aider une association. On a fini troisième et cinquième, et ma mère nous a envoyés à San Juan, pour aider à la construction et la gestion d’un centre d’accueil et de réinsertion de femmes délinquantes ou prostituées. On s’est retroussé les manches et on y est allé. Ça s’est bien passé, on était très content, et à quelques semaines de notre départ, Inès est arrivée. Une jeune prostituée qui fuyait des proxénètes violents. Et Win et elle sont tombés fous amoureux l’un de l’autre. Vraiment. Vous croyez au coup de foudre, Commandant ?
– C’est ce qui s’est passé ?
– Oui. I swear ! Je l’ai vu de mes yeux ! C’était tard un soir, on jouait aux cartes avec les religieuses qui géraient le centre… Elles nous aimaient bien… On était dans le réfectoire, et une sÅ“ur est arrivée avec Inès… Elle n’avait rien, juste la robe qu’elle portait, elle était toute tremblante et choquée, son regard et celui de Win se sont croisés et il n’y a plus eu moyen de les décoller ! »
Il raconte ça avec un grand sourire et des yeux brillants. Sa joie est communicative, je souris aussi.
« Et donc ? je le relance.
– Ben, ils roucoulaient tranquillement, et Win faisait ce qu’il fallait pour qu’elle puisse venir vivre avec nous à New York, lorsque ses proxénètes ont fait une descente pour le centre et l’ont enlevée, elle et d’autres filles. On a été voir la police, mais bon, ils s’en foutaient un peu, alors Win et moi, on a pris notre courage à deux mains et on a été voir le gros chef mafieux du coin. Le deal a été clair : on récupère toutes les filles et on continue à aider le coin, ou on passera tous les millions voire milliards nécessaires à l’éradication complète de son gang, aussi longtemps qu’il restera un seul membre en vie. Le gars n’était pas idiot, il savait très bien qui on était, et ce dont on était capable. Si nous, on décidait de payer des tueurs ou de soudoyer la police, il n’aurait jamais les moyens de faire face.
– Corrompre la police plus cher que les mafieux pour qu’elle fasse son boulot et les arrête, ça aurait pu être très drôle.
– Sure ! Mais il n’y a pas eu besoin. On a récupéré Inès et les autres avant l’aube.
– Et donc, Win l’a ramenée à New York et l’a épousée.
– Yeah. Mais les choses étaient claires au mariage. En fait, Inès s’est sentie malade quelques semaines après son arrivée, alors qu’on était en pleins préparatifs. La mère de Win avait été surprise quand on a débarqué avec elle, mais elles se sont très vite très bien entendues. Ça allait, elle en a fait une vraie lady très vite.
– Pas de souci de la part du père de Win ?
– Déjà mort, il a été tué au Viet Nam.
– Ah, c’est moche…
– Oui, surtout quand on sait que son propre père était mort chez vous, pendant le débarquement.
– Ah oui, moche aussi.
– Oui, la mère de Win l’a très tôt dégoûté de l’armée.
– On peut la comprendre.
– N’est-ce pas ?
– Et donc, Inès ?
– Oui, pardon ! Eh bien, Inès a été voir un médecin et en rentrant, elle a annoncé à Win qu’elle ne pouvait plus l’épouser et souhaitait rentrer à San Juan. Elle était enceinte, et elle pensait que l’enfant avait été conçu cette fameuse nuit, où ses anciens patrons l’avaient enlevée.
– Ouch…
– Yeah… Mais Win a refusé. Il l’a prise dans ses bras, il l’a embrassée, il lui a dit qu’il s’en moquait, que cet enfant serait leur enfant, qu’il en soit vraiment le père ou pas, qu’elle serait sa femme, et qu’il ne laisserait personne s’opposer à ça. Inès a pleuré toutes les larmes de son corps. Ils se sont mariés, ça a été magnifique, et quand Shane est né, il n’a pas fallu être très doué pour comprendre que, oui, il n’était pas le fils de Win. Mais Win a tout verrouillé, avec trente-six avocats, pour que personne, jamais, ne puisse remettre en cause le fait que Shane était son fils. Et les quelques idiots qui ont essayé s’en sont mordu les doigts !
– Donc, Shane aussi le sait ?
– Of course ! Ils ne lui ont jamais caché. Ça aurait été stupide. Et entre nous, je crois que c’est ça qui a toujours poussé Shane à se dépasser, comme à faire ce qu’il veut quand il le veut. Il sait ce qu’aurait pu être sa vie. Si sa mère n’avait pas rencontré Win, ou si Win n’avait pas voulu de lui, il sait ce qu’il aurait pu devenir. Il a fait pas mal de voyages à San Juan, il est très actif là -bas. Il a vu assez de garçons mourir avant 20 ans d’un coup de couteau ou d’une overdose.
– Bref, aucun risque, même avec le remariage et la naissance de son frère, que Win ait brusquement changé d’avis et ait voulu le déshériter.
– Aucun. Absolument aucun.
– Donc, notre chère Brenda, puisque je pense que c’est plus elle et son copain le secrétaire qui mènent la danse, essaye de discréditer Shane et de lui faire porter le chapeau d’un homicide encore fictif… Sans doute en espérant pouvoir le faire déshériter.
– How stupid.
– Il y a longtemps qu’ils travaillent pour Tiffany ?
– Tiffany a fait une dépression très sérieuse après la naissance de Jack. Brenda s’est mise à la soigner à ce moment. Bill est arrivé il y a well …disons trois ou quatre ans… Et avec Brenda, ils forment un duo aux dents très, très longues. À l’heure actuelle, Tiffany ne prend pratiquement plus de décisions sans eux. »
Je note tout ça et demande encore :
« Ils ont une réelle influence ? Des relations puissantes, des moyens de pression ?
– Rien qui puisse vraiment nous gêner. Win fermait les yeux. Mais je ne pense pas que Shane sera aussi patient, surtout s’il estime que Jack peut en pâtir. »
Une petite voix nous interrompt alors :
« Uncle Pete?
– Tiens, quand on parle du loup, comme on dit chez vous… »
Un petit bonhomme approche en se frottant les yeux.
« Where is Shane? Did he come back?
– Not yet, boy. »
L’enfant me regarde et me contourne prudemment pour rejoindre Peter :
« Who is he?
– A man who wants to help us to understand what’s happened to your father. Don’t worry, he’s kind. »
Je lui souris :
« Hello, Jack.
– Hello, mister… Say, Uncle Pete, where is Shane? He looked very angry! Is he right?
– Don’t worry, he just needs to stay alone for a moment. I’m sure he will come home soon and make you a big hug! »
Je souris. Il a l’air tout choupi, ce petit. Pourvu que l’autre grognasse déteigne pas sur lui…
Je range mon bloc-notes et repars, non sans demander à Peter de me tenir informé du moindre souci. Il me remercie et me dit de ne pas m’en faire, qu’il va aller s’expliquer avec nos trois larrons sans tarder.
Toujours rien du côté de l’hôpital, ni rien ailleurs. Aslanov ne répond pas, je lui laisse un message. Idem pour Atmen. Je retourne au bureau. Rosanna ne m’a pas encore envoyé son rapport. Je remets mes dernières notes au propre.
J’ai envie de dormir.
De préférence, si je suis complètement honnête, tout nu avec Shane…
J’espère qu’il ne m’en veut pas…
On toque à ma porte et un illustre inconnu, que j’estime un peu plus âgé que moi entre. Il regarde mon antre avec surprise, puis inquiétude, et lâche :
« Non, mais c’est quoi ce grenier ? »
Je me vautre contre mon dossier et croise les bras. Je ne connais pas ce type, mais il n’a pas l’air antipathique, plus vif et énergique.
« À qui ai-je l’honneur ?
– Oh pardon ! »
Il rentre, rejoint mon bureau en trois enjambées – énergique, je vous dis – et me tend la main :
« Commandant Pierre Bobillo ! »
Je me redresse et la serre, dubitatif :
« Commandant Erwan Perdreau.
– Je sais, je sais ! Désolé, mais euh, personne t’a prévenu ?
– De ?
– Ah les cons, ils devaient t’appeler… Bon, j’ai été chargé de te filer un coup de main sur ton enquête, l’accident de voiture, là . »
Je recroise les bras, encore plus sceptique :
« Paaaardon ?
– Euh, je peux m’asseoir ? »
Je lui fais signe que oui.
« Alors cool, commence-t-il, je suis pas un bœuf-carotte et j’ai pas été envoyé pour te plomber.
– Hm hm.
– Je suis pas non plus un Parigot qui vient vous apprendre la vie.
– Hm hm.
– Bon, j’ai un pote au ministère et c’est lui qui leur a proposé de me demander ça, mais vraiment, personne ne veut ta tête, là -haut. Ils ont juste très vite su ton histoire et celle du juge, du coup ils ont pigé que Lyon s’était un peu foutu d’eux et ils ont préféré me demander de regarder si ça allait. Mais si tu veux juste me filer tes rapports et continuer le taf seul, y a pas de souci. J’ai rencontré Suleyman et Vallois ce midi, ils ont toute confiance en toi, et y a aucune raison que moi, je te fasse pas confiance.
– Hm hm…
– Tu sais dire autre chose ? »
Je souris :
« Hm hm. »
Il rigole.
« Bon sérieusement, t’en es où ?
– En attente de l’autopsie. Mais tout porte à croire que c’est bien un simple accident. Après, je peux t’imprimer mes notes et tout si t’as la soirée…
– Pourquoi la soirée ?
– Ah ben, entre mon ordi qui est encore sous Windows 2000 et l’imprimante qui me fait quatre pages par heure quand elle est en forme… »
Il me regarde, effaré :
« T’es encore sous 2000 ?! »
J’opine en silence.
« Ils t’en veulent à ce point ? »
J’opine encore en silence.
« Mouais. Tu peux me filer ça sur une clé USB ? Je vais aller emprunter l’imprimante toute neuve de ton commissaire divisionnaire. Il a pas intérêt à me dire non. »
J’ai un grand sourire mauvais :
« Tu m’en fais une copie ?
– Plus une pour le juge et une pour le procureur. »
Je souris et lui tends la main :
« Plaisir de bosser avec toi. »
Il sourit et la serre avec force :
« Compte sur moi, on va les mater ces cons ! »
Je lui file la clé et il repart.
Je sens qu’on va bien s’entendre !
Je passe la fin de la journée à me mettre au point avec lui. Il est d’accord avec moi, sauf si l’autopsie dit le contraire, on a bien affaire à un accident. Il me dit qu’il fera un petit tour du côté de ses propres sources demain matin, on se donne rendez-vous pour manger en fin de matinée.
Je rentre chez moi assez satisfait. Je fais un point avec Atmen, me commande une pizza que je mange devant une petite série sympa et je me couche tranquillement.
Pour être réveillé par mon téléphone vers 1h du matin. Numéro inconnu ?… Je fais la moue et décroche quand même :
« Perdreau, j’écoute ? je bâille.
– Euh bonsoir, désolé de vous déranger, mais euh… Vous connaissez un certain Sean Callahan ? » me bredouille une voix masculine aussi grave que gênée.
Oh putain.
« Oui… Oui, oui, il y a un souci ?
– Ben… Désolé vraiment… En fait, il est chez nous là , on arrive pas à le faire partir…
– Vous êtes ?
– Oh pardon ! Luc Renaut, je tiens un bar Rue du BÅ“uf, vous voyez ?
– Oui, c’est vers le palais de justice, derrière le musée…
– Oui, voilà . Votre ami est arrivé vers 21h et il a bu comme un trou… On a essayé de l’arrêter, mais y a rien eu à faire… On savait qu’il allait continuer ailleurs, alors on a préféré le garder… Y a des gars louches en plus dans le coin ces temps-ci… Mais bon là , il ne comprend plus rien de ce qu’on dit, il baragouine on sait pas trop quoi, ma femme dit que c’est en espagnol et en anglais… Et bon, son téléphone est verrouillé et euh, la seule carte de visite qu’il avait en français, c’est la vôtre… Vraiment désolé, hein… »
Je me masse les tempes un moment. Je n’ai pas le droit d’aller le chercher pour le ramener chez lui. Ça outrepasse clairement mes fonctions. Il faudrait que je leur donne l’adresse de sa maison et que je leur dise de lui commander un taxi…
Merde.
Merde merde merde merde…
« … Ah putain, voilà qu’il se remet à chialer… »
Je soupire. Si jamais qui que ce soit le reconnait… C’est des coups à ce que sa photo, bourré et en larmes, fasse le tour de web avant l’aube.
« Bon, vous êtes à quel numéro ? je demande.
– Le 27…
– Vous me le gardez ? J’arrive. Je suis là dans 1/4h. »
Son soupir de soulagement est tel qu’il me décoifferait presque malgré le téléphone.
« Merci ! On vous attend. »
Je me rhabille en quatrième vitesse et file. Dieu merci les rues sont vides, j’arrive rapidement. La grille du bar est à moitié fermée, je me faufile dessous :
« Y a quelqu’un ? C’est moi que vous avez appelé tout à l’heure… »
Un grand homme très costaud, mais à l’air crevé, vient à ma rencontre :
« Ah, merci d’être venu. Vraiment désolé, hein… Mais on avait pas envie de lui faire de problème en appelant les flics, il a l’air gentil… »
Je souris. Visiblement, il a lu ma carte de visite un peu vite.
« Il n’y a pas de souci. Où est-il ?
– Là au fond, venez. »
Shane sanglote à une table. À côté de lui, une femme tapote son dos et me sourit. Elle se penche et lui dit :
« Votre ami est là , ne vous inquiétez pas… »
Shane lève un œil aussi larmoyant que vague vers moi. Il sanglote sans parvenir à rien dire.
Bon sang, mais dans quoi je me suis fourré, moi…
J’inspire un coup et m’approche :
« Eh boy, what’s going on?
– … Leave me alone…
– No way. These guys want to sleep, and you need to sleep too. I will take care of you, trust me. Can walk?
– … Don’t want to go home…
– Okay, we can go where you want. Bon, come. It’s really late. »
Il renifle, essuie ses yeux et essaye de se lever. Je l’attrape avant qu’il ne tombe. Il s’accroche à moi et je soupire :
« Good boy…Come, come…
– Eh! tente-t-il de protester. I’m not a dog!
– No you’re not, you’re just a silly drunk young man. »
Je passe son bras autour de mes épaules.
« Son portefeuille est dans sa poche, il n’avait rien d’autre, me dit la femme.
– D’accord, merci. Vous avez une carte ? Je pense qu’il voudra vous remercier.
– Ah oui, tenez… »
Je récupère ça et pars avec mon petit fardeau qui tangue et pleure encore en grommelant à moitié, effectivement en anglais et en espagnol. Je ne comprends pas tout, mais il a l’air très remonté contre une femme qui l’aurait traité de bâtard.
Ma main à couper que c’est une psychiatre brune.
Je l’installe à la place du passager et reprends le volant. Je démarre lentement.
« Where do you want to go, boy?
– Not home.
– Ça laisse beaucoup de possibilités.
– Don’t mind. Leave me alone…
– Non, ça, ça va pas être possible. »
Il se remet à sangloter.
« She had no right… I’m not a bastard… I am his son… He always said I am his son… »
Mouais c’est pas gagné.
« Dad… Dad… »
Je soupire.
Le laisser à un hôtel ne me parait pas plus sûr que le laisser à un taxi…
Tant pis.
J’espère qu’il ne m’en voudra pas trop à son réveil.
Je l’emmène donc chez moi sans qu’il proteste. Je suis en fait persuadé qu’il ne s’en rend même pas compte. Je renonce à le laver, il ne tient vraiment pas debout. Il pleure toujours, répète les mêmes phrases en boucle. Je le couche en me disant que je vais squatter le canap’ pour cette nuit, parce que je n’ai qu’un lit une place, mais je n’ai pas le temps de me lever de là où je me suis assis pour bien l’installer qu’il couine :
« Commander ?
– Yeah?
– Want a hug. »
Je le regarde comme un con, séché, jusqu’à ce qu’il me tende les bras en répétant :
« Hug hug hug! »
Je rigole :
« Non, mais sérieux, Shane, ça va pas ?
– Don’t love me? couine-t-il encore.
– Comme si c’était le problème… »
Le voyant se remettre à pleurer, je cède et m’allonge près de lui. Il se bouine aussitôt contre mon torse. Je le prends dans mes bras et caresse son dos. Il pleure très longtemps avant de s’endormir enfin, et je m’endors un peu après.
C’est son sursaut qui me réveille, manquant de me faire tomber du lit.
« What the…?! »
Je me rattrape comme je peux et râle en ouvrant les yeux :
« Eh, mais faites gaffe, merde ! »
Il me regarde avec stupéfaction, ses beaux yeux sombres tout ronds, en bredouillant :
« But… What… Where…?
– Vous êtes chez moi. Vous étiez ivre hier soir, les patrons du bar ont trouvé ma carte et m’ont appelé. Je n’ai pas voulu déranger Peter ni personne chez vous, vu l’heure, et puis vous ne vouliez pas rentrer. J’ai eu peur que dans votre état, vous ayez des soucis si je vous laissais avec des inconnus, alors je vous ai emmené ici. Comment vous vous sentez ? »
Il reste silencieux un moment, cherchant dans sa mémoire. Puis il me regarde, gêné, et bredouille :
« Je suis vraiment désolé…
– Y a pas de mal. Ça arrive à tout le monde de se prendre une bonne murge des fois, y a pas de honte à avoir. Sérieusement, vous vous sentez bien ? Vous étiez vraiment pas frais, et vous avez une mine de déterré, là …
– Je sais pas trop…
– Mal de tête ?
– Euuuh… Ouais…
– Il faut vous réhydrater. Mal au ventre ?
– Pas terrible…
– On va éviter le petit-déj’ irlandais ce matin, ça passera pas, et de toute façon j’ai pas de saucisses… Je peux vous faire une soupe à l’oignon si vous voulez…
– Euh, non merci… J’ai pas faim, en fait… »
Je pose ma main sur son front. Il se laisse faire, mais rosit.
« Ça va, pas de fièvre, au moins.
– Commandant…
– Hm ?
– Je suis vraiment désolé… J’ai été idiot, à aller me saouler comme ça… J’étais furieux…
– C’est mieux d’être parti de chez vous plutôt que de l’avoir étranglée. »
Il sursaute :
« Mais comment… ?
– Vous râliez après une femme qui vous avait traité de bâtard, hier soir. C’est Brenda Bellodini, je me trompe ?
– Non… ? »
Je soupire en me redressant.
« Je l’ai rencontrée hier après-midi, avec votre belle-mère et son secrétaire. Pitoyable tentative de manipulation visant à vous accuser de la mort de votre père.
– WHAT?! »
Je me lève et m’étire :
« Aucune crédibilité. Mais j’ai bien cerné le personnage. »
Shane se redresse à son tour :
« Elle dit que c’est moi qui ai tué Dad ?!
– Ne craignez rien. Ça ne tient pas, et j’ai mis Peter au courant tout de suite. Il était furieux. Il a dû vite aller s’expliquer avec eux… »
Shane se lève lentement. Il me suit à la cuisine d’un pas peu sûr et s’assoit vite à la petite table. Il regarde autour de lui avec curiosité.
« Nice little home…
– Merci.
– You really are a kind man…
– Il en faut.
– Sure… Vous auriez plu à Dad…
– Ça avait l’air d’être un homme bien. »
Je mets de l’eau à chauffer et me tourne pour le regarder, m’appuyant sur l’évier.
« Peter m’a raconté comment vos parents s’étaient connus, toute leur histoire… Win Callahan n’était peut-être pas votre géniteur, mais je n’ai aucun doute sur le fait qu’il était votre père. »
Shane sourit et rosit encore.
« Il me le disait tout le temps. Qu’il était fier d’être mon père. Que j’étais un bon fils. Que j’étais digne des Callahan.
– Et vous, vous en faisiez encore deux fois plus pour lui montrer qu’il avait raison, je dis avec un sourire.
– Vous n’auriez pas fait ça, vous, pour votre père ? me demande-t-il.
– Quel enfant ne le ferait pas ? »
L’eau est chaude.
« Je voulais vous faire une tisane pour la digestion, ça vous va ?
– Oh, yes, thanks… »
J’ouvre un placard pour regarder mes sachets d’herbes :
« Menthe, réglisse, fucus et fenouil, si ça vous va ?
– Euuuh… Why not…?… Je ne m’y connais pas trop, j’avoue… Ce ne sont pas des sachets tout prêts que vous avez ?
– Non, ça vient du jardin de ma mère… »
Je me tourne pour le regarder et le vois accoudé à ma table, la tête posée dans ses deux mains. Il a des petits yeux bouffis et un petit sourire curieux.
Il est craquant…
« Your mummy?
– Oui. »
Je pose les sachets sur la table, avec un mug. Je le remplis d’eau fumante et vais chercher un sachet à infuser. Je m’assois et commence à verser un peu de menthe séchée dedans :
« Dites-moi, s’il y en a une que vous n’aimez pas… Ça serait dommage que vous ne puissiez pas la boire… »
Il flaire les sachets sans perdre son petit sourire mignon.
« Smell good…
– Garantie bio, à part ce qui traîne dans l’air.
– What?
– C’est ce que ma mère dit à propos de son potager. »
Comme il n’a rien contre essayer le mélange, je lui prépare et lui mets à infuser.
« Thanks!
– De rien… Bon, moi je vais me faire un café… »
Je me relève pendant qu’il prend son mug fumant dans ses mains et respire l’odeur. Il me dit encore :
« Je ne voulais vraiment pas vous déranger, Commandant…
– Erwan.
– What? »
Je me fais un café soluble, trop la flemme, là .
« Erwan, je répète en revenant m’asseoir avec mon mug. C’est bon, vous avez passé la moitié de la nuit à pleurer dans mes bras, dans mon lit, je pense qu’on peut raisonnablement considérer qu’on a atteint un degré d’intimité suffisant pour s’appeler par nos prénoms. À part si c’est vous que ça gêne ? »
Il sourit, radieux.
« No! Of course not! Thanks! »
Là , je crois que c’est moi qui rougis. Je détourne les yeux et me gratte la tête :
« Non, mais bon c’est normal… Juste, ‘faudra pas le faire devant d’autres avant que l’enquête soit finie… »
Il opine vivement :
« Pas de souci ! »
Je le regarde à nouveau. Il a l’air tout content. Je souris aussi, amusé de la situation.
« Shane ?
– Hm ?
– Je vais vous ramener, par contre, je vais vous déposer suffisamment loin pour qu’on ne puisse pas nous voir. Vous pourrez marcher un peu ?
– Oui, ça ira, merci.
– Je suis désolé, mais bon, comme vous devez vous en douter, je n’avais absolument pas le droit de vous emmener chez moi, et je risque très gros à l’avoir fait.
– Really? Vous n’avez rien fait de mal… »
Je soupire et fais la moue.
« Ma hiérarchie n’attend que de pouvoir me virer, Shane. Ils ne passeront pas à côté de ça s’ils l’apprennent.
– Ils veulent vous virer ? »
J’opine du chef.
« Vous m’avez plutôt l’air d’un bon enquêteur ?
– Trop bon. Et trop têtu. »
Je le regarde :
« Je peux vous faire confiance, Shane ?
– Of course you can!
– Yes I can? »
Il rigole :
« Silly!
– J’assume.
– Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
– Quand j’ai été nommé à Lyon, je me suis retrouvé sous les ordres d’un commissaire à six mois de la retraite et avec pour coéquipier un dénommé Abdallah Massaoud, un enquêteur aussi excellent qu’il était invivable. On s’est retrouvé à enquêter sur une affaire assez sordide de prostituées assassinées. Et on a très vite compris que c’était un autre policier qui les tuait. Ca a pas plu à nos chefs, le commissaire voulait pas d’emmerdes avant sa retraite, et Abdallah l’a joué cavalier seul. Moi, j’écopais comme je pouvais… J’avoue, c’était vraiment un sale con, mais on était d’accord sur un point : il fallait arrêter ce type. »
Shane m’écoute sans m’interrompre.
« Un matin, on a retrouvé Abdallah mort pas loin d’un nouveau cadavre de prostituée, et là , on m’a clairement fait comprendre que ça serait super cool si je m’arrangeais pour conclure mon enquête assez vite en découvrant qu’en fait, c’était lui le meurtrier. »
Shane sursaute, surpris.
« Sauf que je savais que c’était pas lui, ou au moins pas que lui, parce qu’on avait été de garde ensemble plusieurs fois au moment des meurtres. Alors j’ai pas cédé. Tout le monde m’a lâché, le commissaire et les autres, mais j’ai pas cédé. Abdallah était un connard, mais c’était pas un meurtrier, et c’était un bon flic, qui faisait son boulot, qui y croyait, qui croyait en ce pays, en sa justice, et je ne pouvais pas accepter que sa mémoire soit salie. Il avait trois gosses, merde !… Mais bon, ah ça arrangeait bien tous ces connards de tout foutre sur le dos d’un Arabe réputé pour son sale caractère… Et tout ça pour couvrir les miches d’un sale petit con qui n’avait jamais rien eu à foutre pour se la couler douce parce que papa était copain avec le préfet ! »
Shane me regarde, navré.
« Ça a fait un scandale dingue. Monsieur s’est permis de jouer les victimes, heureusement j’avais assez de preuves, il a pris 25 ans. Mais ils ne me l’ont jamais pardonné. J’ai été mis au placard et ils font tout pour que je craque et que je me casse… Et cette affaire avec votre père, c’était une occasion en or pour ça. »
Il sursaute :
« Dad? Why? »
J’hausse les épaules :
« Votre pays qui met suffisamment en rogne le mien pour qu’une enquête soit lancée sous contrôle quasi direct de deux ministères, vous imaginez la pression si je fais un centimètre de travers ? »
Il me regarde avec gravité, puis hoche lentement la tête.
« I see… »
Il me sourit à nouveau :
« Vous croyez vraiment que c’était un accident ? »
Je soupire et j’opine lentement du chef :
« Sincèrement, à part si l’autopsie nous apprend que votre père a été drogué ou empoisonné, aucun élément à l’heure actuelle ne permet de dire que ce n’est pas un accident. »
Il hoche la tête et sourit encore, épuisé :
« On attend l’autopsie alors… »
Il goûte son infusion et fait la moue, dubitatif :
« Strange… Not bad…But strange… »
Nous finissons nos mugs. Je prends le temps de me doucher et de m’habiller, lui non, il dit que ça ne sert à rien vu qu’il n’a pas de vêtements propres, qu’il fera ça chez lui. Je le trouve en train de feuilleter mes BDs. Il me sourit :
« Funny!
– Vous reviendrez le lire si vous voulez…
– Je pourrais ? Merci ! »
On part et Dieu merci, on ne croise personne. Ça roule tranquillement. Je vais laisser Shane à l’entrée principale du Parc, il n’aura qu’à le traverser pour rentrer. Il m’assure que ça ira :
« Ne vous en faites pas ! Je me sens mieux, votre infusion m’a fait du bien, je n’ai presque plus mal au ventre… Je peux marcher un peu, ça me fera du bien… »
Je hoche la tête et me gare devant le grand portail. Shane me regarde et me sourit :
« Merci pour tout, Erwan.
– De rien, rentrez vite vous reposer. Je vous appellerai dès que j’aurais du nouveau.
– D’accord. Merci. »
Il ouvre la portière, hésite, puis se retourne brusquement vers moi pour saisir mon visage dans ses mains et m’embrasser. Le temps que je réagisse, il a filé.
Je reste con, caresse machinalement mes lèvres, avant d’avoir un petit rire et de repartir.
Toi, tu perds rien pour attendre !
Il n’est pas très tôt avec tout ça, mais j’ai le temps de repasser au commissariat. J’esquive habilement la tentative d’alpagage de mes chefs bien-aimés et grimpe dans mon antre, pour passer quelques coups de fil. Rosanna m’a envoyé son rapport. Elle s’excuse, sa réunion a traîné toute l’aprèm, elle n’a pu s’y mettre que vers 16h. Elle a fini tard, elle espère qu’il n’y a pas trop de fautes, surtout sur la fin.
Pierre m’envoie un texto pour me proposer un burger à la Part Dieu. Je valide et appelle Atmen. Pas dispo, je laisse un message. Décidément, il touche pas terre ces jours-ci…
Je suis sur le point de partir rejoindre Pierre lorsque mon téléphone sonne. C’est Aslanov.
« Allo ?
– Commandant Perdreau ?
– Oui, lui-même ! Bonjour, Docteur. Comment allez-vous ?
– Bien, bien. Figurez-vous que nous devrions avoir des ordinateurs dans quelques heures, et que tout le système, vidéo compris, devrait être opérationnel dans l’après-midi.
– Waouh, champomy !
– N’est-ce pas !
– Vous pensez pouvoir vous occuper de notre ami aujourd’hui, alors ?
– Oui.
– Oh super ! Merci !
– Votre enquête avance ?
– Ben, elle est un peu au point mort, là . En fait, on attend plus que vous.
– Ah, je vois. Bon, ben je vais faire de mon mieux, alors.
– Je compte sur vous !… Vous avez eu les premiers résultats d’analyse ?
– Alors, oui et non. Rien de flagrant, mais ils ont trouvé trace d’un médicament particulier, ils voulaient creuser. Je devrais en savoir plus dans l’après-midi aussi.
– OK. Ah, pendant que j’y pense, je crois que les proches voulaient se recueillir sur le corps. Ça serait mieux de vous les envoyer avant l’autopsie, non ?
– Oui, ça serait mieux. Vu l’heure, si vous pouviez me les envoyer vers 14-15h, ça serait impeccable.
– D’accord. Je vais les appeler et je leur dirais ça.
– N’hésitez pas à leur dire de m’appeler directement s’ils veulent qu’on se mette d’accord sur l’heure.
– D’accord. Merci pour eux, Docteur.
– De rien, Commandant. Bonne journée à vous, et on se tient au courant.
– Merci, bonne journée à vous aussi ! »
Je raccroche, content. Je croise les doigts et touche mon bureau en bois avec mes doigts croisés : si tout va bien, ce soir, on sera fixé.
Je reprends mon téléphone pour appeler Shane. Il décroche rapidement :
« Morning, Commandant !
– Bonjour, monsieur Callahan. Je hm, je ne vous dérange pas ?
– Non, non… Nous avons commencé à trier les affaires de Dad avec Peter… Nous sommes dans son bureau. Il y a du nouveau ?
– Oui. Je viens d’avoir le médecin légiste. Il pense pouvoir s’occuper de votre père cet après-midi. Du coup, si vous voulez aller voir le corps, il faudrait que vous y alliez avant.
– Oh… I see. Merci, je vais voir ça.
– Il a aussi dit de ne pas hésiter à le joindre si vous vouliez, pour vous mettre d’accord sur l’heure.
– Oh, c’est gentil de sa part. »
Je lui donne son numéro et reprends :
« Puis-je passer en début d’après-midi ? Un collègue a été nommé pour m’aider et il souhaitait vous rencontrer.
– Bien sûr, Commandant, avec plaisir ! Passez vers 13h pour boire le café, si vous voulez, comme on fait chez vous ?
– Ah ben parfait ! À tout à l’heure, alors !
– À tout à l’heure ! »
Je raccroche, content. Il a l’air d’aller mieux.
Je file à la Part Dieu et retrouve Pierre à un petit resto de burgers qui se trouve au rez-de-chaussée du centre commercial, tout au fond du couloir. On commande et on se pose dans un coin.
« Du neuf ? me demande-t-il.
– Autopsie dans l’aprèm, si tout va bien. Et toi ?
– Recoupé un peu tout. Rien de plus que ce que tu savais déjà . T’as fait du super boulot, respect.
– Merci, je réponds avec un grand sourire. Je suis le meilleur, je sais.
– Non, mais je suis sérieux, rigole-t-il. T’es vraiment bon. Pas que j’en doutais après avoir eu ton dossier, mais franchement, tu m’as impressionné de réussir à aller si loin si vite et tout seul.
– Oh, charrie pas, nos équipes techniques sont super bonnes !
– Clair que Rosanna Dart et ses mecs ont assuré comme rarement. Et j’ai aucun doute sur Aslanov, la Russie a perdu un homme très brillant en le faisant chier. »
J’opine du chef. Si ce n’est pas un secret qu’Alexander Aslanov a quitté la Russie parce qu’il était gay. Lyon y a gagné un excellent légiste.
Une jolie petite serveuse nous apporte nos plateaux. On trinque avec nos canettes de soda et Pierre reprend :
« Bref, je vais être totalement franc avec toi. Mon supérieur, en vrai, c’est le commissaire Coreyban. Ça te parle ?
– Très grand flic, je réponds en déballant mon burger.
– Il déteste qu’on gaspille des potentiels. Quand il a su qu’on m’envoyait t’aider, il m’a demandé de te jauger. »
Je mords dans mon burger et lui mange une frite avant de continuer :
« Si ça te dit, on peut demander ta mutation avec nous. »
Je prends le temps de mâcher et d’avaler avec de répondre :
« J’aurais un ordi qui rame pas ?
– Ouais, mais faudra pédaler, sourit-il.
– Mouais, bon tant pis, je survivrais. »
On rit et on trinque encore.
« On finit ça et on se mangera un burger tous les trois pour valider ça, dit-il encore.
– Ça pourrait être cool. »
On mange tranquillement, en se mettant assez vite à parler de choses et d’autres. On s’entend vraiment pas mal, et il a un humour aussi tordu que le mien.
Ouais, bosser avec ce gars-là , ça pourrait être très cool.
On prend ma voiture, puisque Pierre est venu en bus, et à 13h pile, nous sonnons à la porte des Callahan. Estelle vient nous ouvrir. Elle a l’air un peu mieux. On la suit jusqu’au salon où se trouve Shane, Peter et un autre homme. Shane sourit, radieux, et se lève pour venir m’accueillir :
« Commandant ! Welcome!
– Bonjour, monsieur Callahan. »
Nous nous serrons la main. Je leur présente Pierre. Shane le regarde, curieux, et nous fait signe de venir nous asseoir. Peter nous serre la main aussi. L’autre homme nous regarde avec une certaine gêne, et Shane nous le présente :
« Monsieur Bruno Albert, journaliste à Paris Match. Il vient de nous apporter des choses qui devraient aussi vous intéresser, messieurs. »
Nous nous installons et Bruno Albert soupire.
Il a été envoyé là par la direction de son journal. Ce matin, un homme les a contactés pour leur vendre les photos de Shane, sortant de sa maison ou courant au Parc. Elles sont posées sur la table basse et nous les regardons. Il y en a quelques-unes avec la petite Lola, d’autres avec les Servient, d’autres encore avec son père ou James Followay.
« Nous connaissons l’attachement de monsieur Dean au respect de sa vie privée, j’ai donc été prié de venir lui parler de ces clichés, pour savoir s’il acceptait ou pas que nous en publiions certains… explique encore le journaliste.
– Jolies photos, je note et Pierre opine. Vous avez les coordonnés de l’homme qui vous les a envoyées ?
– Oui, et nous avons fait quelques recherches… Il s’agit d’un détective privé lyonnais, Serge Potin.
– Un homme bien indiscret, grogne Peter.
– Sure, soupire Shane. Mais le commandant a raison, certaines photos sont très jolies. »
Esther arrive alors avec une petite table à roulettes pour nous servir à tous du café. Elle pose également quelques assiettes de biscuits secs au chocolat ou aux noisettes. Pierre sourit :
« Tiens ? »
Il en prend un, goûte et sourit :
« Eh, des biscuits Martinau ! Je savais pas que ça existait encore, ça !
– Vous connaissez ? sourit Shane.
– Oui, c’est de vers chez moi. Mais je croyais que ça avait fermé, ils avaient de gros soucis la dernière fois que j’en ai entendu parler.
– Ils avaient, sourit Shane. Mais ça va mieux. »
Je goûte un biscuit aux noisettes, curieux. C’est franchement pas dégueu. Par souci d’exactitude scientifique, j’en goûte un au chocolat.
Hmmm…
Va falloir que j’en mange plus, ça mérite une étude approfondie.
Shane sourit et reprend :
« Monsieur Albert, j’apprécie grandement la démarche de votre journal d’être venu me parler de ces photos. Je ne peux pas permettre qu’elles soient publiées, je tiens à ma tranquillité ici. Mais j’aurais autre chose à vous proposer.
– Mais je vous en prie ! s’empresse le journaliste, très intéressé.
– Le commandant Bobillo a raison. L’entreprise qui fabrique ces biscuits a failli fermer l’an dernier suite à de gros soucis financiers. Elle se porte très bien aujourd’hui… Parce que figurez-vous que j’adore ces biscuits et que quand j’ai su qu’ils étaient en faillite, j’ai couru la racheter pour qu’ils continuent à en fabriquer. Est-ce que ça vous paraitrait un reportage digne des pages de votre revue ?
– Ma foi… Vous accepteriez d’apparaître dans l’article ?
– Bien sûr. Si l’histoire de l’acteur américain rachetant la petite entreprise française parce qu’il adore ses gâteaux vous parait vendeuse ?
– Hmmm… Il me faut l’accord de mes rédacteurs en chef, mais il me semble que oui, oui, ça pourrait être très intéressant. »
Shane sourit et hoche la tête. Il se penche et pose sa main sur les photos, sur la table basse :
« Oubliez ça et nous pourrons prendre date pour l’autre. »
Bruno Albert part sans tarder, laissant les photos et nous laissant, à nous, les coordonnées de notre indiscret détective. Shane le raccompagne poliment.
Peter soupire :
« Tu ne perds pas le nord, boy. »
Shane, qui revient, a un petit rire.
« Il n’y a pas d’heure pour faire des affaires, ce n’est pas à toi que je vais l’apprendre.
– Win a vraiment fait de toi un homme redoutable…
– Il a fait de moi un Callahan. »
Je finis ma tasse de café, et avec elle une des assiettes de biscuits (j’arrive vraiment pas à me décider si je préfère chocolat ou noisettes, ‘faudra absolument que j’étudie ça), et je demande :
« Ça ne vous gêne pas, cet article ?
– Cet homme vient de m’économiser une campagne publicitaire. Ça vaut quelques photos dans une revue…
– Que voulez-vous dire ? demande Pierre.
– Que les entreprises Martinau sont aussi douées en pâtisserie que nulles en communication, répond Shane. Leurs biscuits sont divins, mais ils ne savent pas se vendre. J’allais engager une campagne publicitaire pour les aider, Paris Match va la faire pour moi. Le buzz que va créer l’article suffira pour leur assurer une sacrée pub pendant un moment.
– Pas bête, reconnait Pierre. Et merci de les avoir aidés… Ces biscuits m’auraient manqué. »
J’opine du chef. Clair que ça aurait été très dommage que ces petits délices disparaissent.
Mon téléphone sonne et je décroche. Surprise : c’est l’hôpital. James Followay s’est réveillé, il a toute sa tête et il souhaite me parler au plus vite. Shane sourit à nouveau, immensément soulagé, et Peter également.
« Parfait, j’arrive, merci beaucoup. » je dis à l’infirmière qui me confirme qu’ils m’attendent.
Shane échange un regard avec Peter et c’est ce dernier qui reprend :
« Commandant, pourriez-vous dire à James que nous passerons le voir plus tard ? Shane et moi attendons une amie pour aller nous recueillir sur le corps de Win. Nous irons à l’hôpital après.
– Pas de souci, monsieur MacKenning. Je transmettrai le message. Bien, nous allons y aller sans tarder, si vous n’avez rien de plus à nous dire ? Nous vous tenons au courant, je pense que nous serons fixés d’ici ce soir. »
Nous nous saluons, Shane prenant un malin plaisir à encore caresser ma main en douce en la serrant, et nous partons.
Alors que nous allons à la voiture, Pierre me dit :
« Eh, tu sais quoi ? J’irais bien choper notre ami détective pendant que t’es à l’hosto. »
Je souris :
« OK ! Je te le laisse, le premier qui trouve un truc paye une bière à l’autre !
– Vendu ! Tu me lâches au commissariat, que je rameute deux-trois copains ?
– Mais volontiers, c’est sur ma route ! »
On grimpe et c’est reparti. Je remarque avec un sourire :
« Je vais demander à être payé au kilomètre sur cette affaire.
– Pas con !
– Ton avis sur nos larrons ?
– Ma foi, ils font bonne figure, mais leurs expressions quand tu as parlé de l’autopsie et quand ils ont dit qu’ils allaient aller voir le corps ne me laissent pas trop de doute.
– Oui, ils tiennent bon, mais ça fait mal.
– Hm, hm. »
Il y a un silence. Puis il remarque avec un sourire :
« C’est moi ou le fils te fait du gringue ?
– C’est pas toi.
– Comment tu gères ? »
Je m’arrête à un passage piéton pour laisser passer quelques poussettes et je réponds en haussant les épaules :
« Ben, pour tout t’avouer, au début, je me suis un peu demandé s’il essayait pas de détourner mon attention pour me cacher des trucs… Mais puisque ça a pas l’air, je me dis que j’ai l’air de lui plaire pour de vrai.
– Et ? rigole-t-il.;
– Ben il est quand même sacrément bandant ! »
Il éclate de rire. Quand il a repris son sérieux, il hoche la tête :
« Je suis pas de ce bord, mais clair qu’il est pas mal.
– Tu me le laisses ? C’est cool, merci !
– Attends quand même la fin de l’enquête.
– T’en fais pas. Je connais mon boulot. »
Et je pense sans l’ajouter : il y serait déjà passé, sinon.
Pierre appelle Atmen et, miracle !, réussit à l’avoir.
J’en sortirais presque une deuxième bouteille de champomy dites donc.
Il met le haut-parleur et nous faisons un rapide point tous les trois.
« Et ben vous avez pas chômé, nous dit mon ami le juge. C’est parfait, pourvu que l’autopsie confirme qu’il n’y a rien, que Paris nous lâche !… »
On pousse tous les trois un soupir, oh oui pourvu !
« … Vallois parlait de prendre un TGV pour aller en étrangler deux ou trois, là … continue Atmen.
– C’est à ce point ? je demande.
– Ah ben, il parait que certains Américains ont fait remarquer qu’avoir un juge d’instruction musulman, une femme comme experte technique et un Russe pour l’autopsie tenait d’une plaisanterie douteuse.
– T’as oublié le pédé en enquêteur, je rigole. Eh, Pierre, t’es pas Juif ou franc-maçon, qu’on ait la team complète ? »
Nous rions alors que Pierre répond :
« Non, désolé.
– Ah, dommage, on est pas passé loin !
– Bon, plus sérieusement, reprend Atmen. Vallois est furieux, mais il parait qu’ils nous envoient quelqu’un pour calmer le jeu. J’en sais pas plus. Commandant Bobillo, je vous envoie immédiatement le mandat d’amener pour Serge Potin. Allez me le cueillir et qu’il nous explique pourquoi, et surtout pour qui il surveillait cette maison. Erwan, file à l’hôpital. J’espère que James Followay pourra nous éclairer. C’est bien que vous vous soyez réparti les tâches, on va gagner un peu de temps. Vallois comptait passer voir les Callahan en fin d’après-midi, avec un peu de chance, on pourra conclure.
– J’espère ! soupire Pierre. J’avoue que c’est lourd, tout ce bazar. »
Je laisse mon collègue au commissariat et repars.
J’arrive rapidement à l’hôpital. Le personnel m’attend et on me conduit sans attendre à mon témoin. Le médecin qui me guide m’explique qu’il a commencé à reprendre conscience tôt ce matin.
« Il va aussi bien que possible. Il a toute sa tête et toute sa mémoire. Il est un peu abattu, mais il va se remettre, à mon avis. C’est un homme très positif… Enfin, vous allez voir ça. »
Nous arrivons dans la chambre.
James Followay est un homme que je ne m’amuserais pas à défier au bras de fer. On le voit bien, l’ancien soldat. Il a l’air épuisé, mais il est effectivement souriant. Il a un bras cassé, mais se redresse comme il peut quand nous rentrons.
Le médecin nous présente et nous nous serrons la main. Sa poigne est ferme. Je m’assois et sors mon bloc-notes. Le médecin nous laisse, en me disant bien d’appeler si besoin. James Followay parle très bien français.
« Toutes mes condoléances pour le décès de votre patron, monsieur Followay.
– Merci, Commandant.
– Sean Callahan et Peter MacKenning viendront vous voir tout à l’heure, ils souhaitaient voir le corps avant l’autopsie. »
Il hoche la tête :
« Comment va Shane ?
– Il tient plutôt bien le choc. »
Il sourit :
« C’est un garçon courageux. Il va vite rebondir. »
J’opine.
« … Mais j’avoue que je n’ai pas bien compris le pourquoi de cette enquête ? » me demande-t-il.
Je lui explique gentiment la crise de parano de ses compatriotes. Il soupire, navré :
« C’est idiot. C’est vraiment juste un accident.
– Que s’est-il passé, monsieur Followay ?
– J’avais très mal au genou, les médecins m’avaient donné un antidouleur assez costaud, par intraveineuse. Du coup, Win m’a proposé de prendre le volant. On le faisait souvent, il n’y avait pas de souci. J’étais dans le cirage. Peu dormi, plus ce médicament… Je suppose que je n’ai pas réalisé que lui non plus n’était pas vraiment en état de conduire. Je sommeillais, j’ai réalisé trop tard que lui aussi… La pluie et le virage ont fait le reste.
– Il s’est endormi au volant ?
– Je ne peux pas vous le jurer… Mais c’est l’impression qui me reste, en tout cas. »
Je note ça et demande :
« Où étiez-vous, avec Win Callahan, la nuit qui a précédé sa mort, monsieur Followay ? »
Il soupire et me sourit :
« Je n’ose pas imaginer tout ce que les gens ont pu fantasmer sur ça…
– Oh, la plupart des gens pensent qu’il avait une maîtresse, j’imagine. Ou n’en savent rien et se demandent.
– Et vous ?
– Moi, vous venez de me donner un indice de taille.
– Ah ?
– Un antidouleur par intraveineuse. Vous étiez dans un hôpital ? »
Il sourit et hoche la tête.
Je le laisse sans trop m’attarder quand il a fini son récit. Il est fatigué, et je n’ai pas à l’embêter plus, il m’a dit ce que j’avais besoin de savoir. En retournant à ma voiture, j’appelle Pierre. Répondeur :
« Je te dois une bière, vieux. Rappelle-moi dès que possible, sinon j’arrive. »
Je reprends le volant…
Non, mais je vais leur faire ma note de frais kilométriques, pour de vrai !
… Et j’arrive au commissariat juste au moment où je reçois un texto de Pierre :
« Castel rouge aux Fleurs du Malt. J Je t’attends. »
Mon nouveau et j’espère futur collègue est dans une salle d’interrogatoire avec un lieutenant dont j’oublie toujours le nom, face à un quinquagénaire aussi bedonnant que dégarni qui n’a pas l’air d’en mener très large.
Pierre me sourit et me tend quelques feuilles :
« Tu tombes à pic, on a fini !
– Super timing, je souris en les prenant. On est bon, décidément. »
Je survole le texte en l’écoutant d’une oreille :
« Merci beaucoup de vos informations, monsieur Potin. Et désolé pour vous que madame Callahan refuse de vous payer, mais on lui en reparlera. Ceci dit, je vous conseille vraiment d’oublier Shane Dean et de ne pas vous amuser à essayer de diffuser vos photos. C’est un homme qui a beaucoup de moyens et qui a couté très cher à ceux qui ont déjà essayé de jouer avec son image. Je doute que vous ayez les moyens de tenter un procès face à lui, et aucun journal ne prendra le risque de publier vos photos. »
Potin grommelle. Je souris en lisant sa déposition. Tout se tient. Je rends les feuilles à Pierre :
« Tu penses à ce que je pense ?
– Castel rouge !
– Oui, ça d’accord. Mais sinon, ça te dit un petit tour à Lyon-Sud ?
– J’en rêvais ! »
Il se lève :
« Bon, allez, filez, Potin. Mais tenez-vous à carreau. »
Le détective file sans demander son reste et Pierre et moi repartons.
« Tu veux que je conduise ? me demande Pierre.
– Ah, volontiers. Je commence à saturer, là … »
En route donc pour l’immense hôpital Jules Courmont, aussi appelé Centre Hospitalier Lyon-Sud, car il se situe, fort justement, au sud de Lyon. Sur le trajet, Pierre et moi recoupons nos infos, et il rigole, j’avais encore une longueur d’avance sur lui.
« T’es fort, Erwan ! Sérieux t’es fort !
– Arrête, si c’est toi qui avais été à l’hosto, c’est toi qui aurais gagné ! »
Il s’arrête à un feu et fait la moue :
« Tout ça pour ça, n’empêche !
– Ouais…
– T’es soulagé ? Tu vas pouvoir aller draguer ton petit acteur ! »
Il me donne un petit coup de coude et je rigole :
« Après l’autopsie.
– Hmmm… Mouais, t’as raison, glousse-t-il encore. Imagine que son garde du corps l’ait empoisonné avant de simuler un accident de voiture.
– En se cassant lui-même un bras avec une masse.
– Parce qu’en fait, c’est l’amant de la psy et qu’ils ont tout manigancé pour tuer le père en accusant le fils pour récupérer tout l’héritage au nom de la deuxième épouse.
– C’est ça, parce qu’ils ont besoin de l’argent pour financer leur base secrète en Alaska où ils fabriquent une armée de clones cyborgs pour conquérir le monde.
– Mais c’est machiavélique !
– On prévient le Pentagone tout de suite ?
– Non, ‘vaut mieux attendre l’autopsie. »
Il redémarre et soupire :
« Je crois qu’on a besoin de dormir.
– Clair… »
On arrive à Lyon-Sud et on se perd un petit moment avant de trouver le bon bâtiment. On trouve un peu plus facilement le service et on demande donc à voir les deux professeurs que James Followay nous a cités. Chance, ils sont là tous les deux.
Nous voilà donc en présence de Nadia Desmonts, jeune trentenaire énergique, et Albrecht Morstein, plus près de la retraite, petit bonhomme rond et barbu, un vrai Père Noël en blouse blanche. Tous deux sont aussi surpris que bouleversés par la raison de notre venue.
« Oh, pauvre Win… soupire Albrecht Morstein. C’était vraiment quelqu’un de bien… Nous étions un peu inquiets, pour tout vous dire, messieurs. Il avait oublié sa sacoche ici en partant avant-hier matin… Nous avons laissé plusieurs messages sur le portable de James, nous voulions appeler chez lui, mais impossible de trouver le numéro.
– Le corps a déjà été embaumé, je suppose ? demande Nadia Desmonts.
– Non, il va être autopsié tout à l’heure. » lui répond Pierre.
Les deux médecins échangent un regard :
« Dans ce cas… Ah, c’est très gênant… soupire Albrecht Morstein.
– Sauriez-vous si nous pourrions récupérer son cerveau ? nous demande Nadia Desmonts, avant d’ajouter avec un sourire navré : Il devait nous le léguer en cas de décès prématuré… Et c’est primordial pour nos recherches. »
Pierre et moi échangeons un regard à notre tour.
« Expliquez-nous tout ça, s’il vous plaît ? »
Cette fois, le puzzle est quasi complet et tout s’imbrique parfaitement. Nous prévenons Aslanov qui accepte d’attendre qu’Albrecht Morstein le rejoigne. Les deux médecins veulent en effet nous accompagner. Nous laissons Papa Noël à l’institut médico-légal. Nous croisons Aslanov, il nous apprend que ses visiteurs sont repartis et confirme les résultats d’analyse. Nous repartons avec Nadia Desmonts, qui, elle, nous accompagne chez les Callahan. Nous prenons le temps de passer au commissariat, et je prends proprement la déposition de Nadia Desmonts pendant que Pierre appelle Atmen et Vallois, puis chez les Callahan, pour trouver une heure où tout le monde puisse être là pour qu’on explique tout. Nadia Desmonts est en train de relire ses déclarations quand il revient :
« Erwan, on peut y aller quand on veut. Ils sont rentrés direct après avoir vu le corps. Et Vallois et Suleyman sont en route.
– Peter et Shane ne sont pas allés voir James ?
– Non, ils ont appelé avant d’y aller et apparemment, James a eu des maux de tête, les toubibs l’ont envoyé passer une IRM. Rien de grave au final, mais ils ont préféré le laisser se reposer.
– D’accord. Bon, ben OK, on y va alors. Si la déposition vous va, madame ?
– Oui, c’est parfait. Même pas une coquille, vous êtes fort en dactylo, dites donc !
– J’ai pas mal de pages dans les doigts. »
On repart et je laisse encore le volant à Pierre. Il conduit bien. On arrive vite. C’est Louis Servient qui nous accueille. Il a l’air très fatigué :
« Bonsoir, madame et messieurs… Bienvenue. Monsieur le juge et monsieur le procureur sont là … Tout le monde vous attend… Ils sont installés dans le grand salon, je vais vous conduire.
– On vous suit, merci. »
Il nous guide jusqu’à une belle grande pièce. Tout le monde est là , de fait : Atmen et Vallois, qui parlent avec Peter et une autre femme blonde que nous ne connaissons pas, la veuve et ses deux acolytes, assis dans un coin, et Shane assis dans un autre, en train de câliner son petit frère serré dans ses bras. Jack a l’air de chougner.
C’est Peter qui vient à notre rencontre, suivi de la blonde et de Vallois.
« Bienvenue, messieurs et euh, madame … ?
– Rebonjour, monsieur MacKenning.
– Permettez-moi de vous présenter madame Jane Hartley, une amie de la famille et aussi hm, l’ambassadrice des USA en France… »
Nous serrons poliment la main de la dame. Si c’est elle, la personne que Paris a envoyée pour calmer le jeu, ils n’ont pas fait les choses à moitié. Vallois nous serre la main aussi :
« Alors, il parait que vous savez tout ?
– Oui, Ã part ma table de 8.
– Erwan… soupire Atmen, désespéré, en s’approchant à son tour.
– Quoi, c’est vrai. Je l’ai jamais retenue la table de 8… Bref, moi, je vous présente madame la professeur Nadia Desmonts, une très éminente neurochirurgienne de l’hôpital Lyon-Sud. »
Shane s’est levé et approché lentement, son frère toujours dans les bras.
« Une ‘neurochirurgienne’… ? What’s that? »
Il est épuisé. Il a l’air d’avoir pleuré, lui aussi.
« Un médecin qui s’occupe des maladies du cerveau, je lui dis doucement. Mais on va tout vous expliquer, ne vous en faites pas. Tout est clair, maintenant. Et tout va bien. »
Il a un petit sourire et hoche la tête.
« Je te laisse leur expliquer en anglais, me dit Pierre avec un sourire.
– Lâcheur ! »
Je laisse tout le monde s’asseoir :
« Nous sommes en mesure d’affirmer, à cette heure, que Win Sean Callahan est bien mort accidentellement, je commence. Les expertises mécaniques, bien que confiées à une femme, sont formelles : aucune déficience technique, ni sabotage d’aucune sorte. Les vidéos ont montré qu’aucun obstacle ne s’est trouvé sur la route. Les analyses biologiques, même dirigées par un Russe, sont formelles : Win Callahan n’a pas été ni drogué, ni empoisonné. Enfin, le témoignage de James Followay est le suivant : Win Callahan se serait endormi au volant, et la pluie et le virage ont fait le reste, comme il me l’a dit lui-même. Pour finir sur l’accident en lui-même… »
Jack s’est remis à pleurer, Shane est au bord des larmes. Les autres me regardent avec gravité. J’hésite un peu puis me lance :
« … Si ça peut être un soulagement pour certains d’entre vous, James m’a également dit que lui-même avait perdu connaissance un peu après l’accident, et qu’il est certain que Win était déjà mort. Bref, … »
Je regarde les deux frères :
« … votre père a été tué sur le coup. Vous pouvez être sûrs qu’il n’a pas souffert. Il ne s’est peut-être même rendu compte de rien. »
Jack renifle en se blottissant plus fort encore contre Shane qui, lui, me sourit à travers ses larmes :
« Merci, Commandant… »
Tiffany, elle, semble très triste, et si la psy et le secrétaire ont l’air grognons, face à l’ambassadrice, ils n’osent pas la ramener. Jane Hartley hoche la tête :
« Merci beaucoup, Commandant. Vous et vos équipes avez fait un travail remarquable en très peu de temps.
– C’est notre boulot, madame.
– Mais ça ne m’explique pas la présence de cette chirurgienne ? »
Je souris :
« Ca, c’est la réponse à la question que l’enquête nous a indirectement posée. Où était Win Callahan la nuit qui a précédé sa mort, et par extension, où allait-il dormir, une fois par mois, sans faute, lors de ses séjours en France. Et je laisse madame Desmonts y répondre. »
La neurologue me sourit et prend la parole. Habituée aux colloques internationaux, elle parle elle aussi très bien anglais. C’est d’ailleurs parce qu’elle le parle mieux que lui qu’Albrecht Morstein lui a demandé à elle d’aller voir la famille.
« La réponse est : dans un lit de notre service pour des examens mensuels.
– Dad était malade ? » demande le petit Jack.
Nadia lui sourit et hoche doucement la tête :
« Oui. Ton papa avait une maladie du cerveau. Elle n’était pas encore trop grave, mais elle aurait forcément fini par le rendre fou, puis par le tuer. »
Nadia Desmonts raconte tout très sobrement. C’est un peu par hasard que Win, qui souffrait de migraines récurrentes et de troubles de l’humeur passagers, a fini par aller voir un médecin français, lors d’un séjour ici, médecin qui l’a expédié chez un neurologue. C’est ce neurologue-là l’a mis en contact avec Nadia Desmonts et Albrecht Morstein, après une IRM.
Il n’avait pas fallu très longtemps à ces derniers pour identifier le problème, et Win avait ce jour-là appris deux mauvaises nouvelles : qu’il allait mourir dément autour de 65-70 ans au plus tard, mais pire que tout pour lui, que cette maladie était héréditaire. Son père et son grand-père étaient tous deux morts trop jeunes pour en souffrir, mais en faisant des recherches, Win avait découvert que son arrière-grand-père était bien mort « aliéné », tout comme un de ses grands-oncles.
Dès lors, Win avait fait des dons conséquents au laboratoire et était devenu leur cobaye pour étudier l’évolution de sa maladie, avec un seul but pour lui : qu’un traitement soit trouvé à temps pour son fils Jack.
Alors qu’un silence plus que significatif pèse sur la pièce, je reprends :
« Et oui, désolé pour les personnes que ça aurait pu arranger, mais non, Win n’avait pas de maîtresse. C’est dommage, n’est-ce pas, miss Bellodini ? »
La psy me regarde avec colère :
« Que voulez-vous dire ?
– Que vous faire passer pour madame Callahan pour engager un détective, pour faire suivre Win afin de trouver des preuves de son adultère, et négocier une belle pension lors du divorce, ce n’était pas très fair-play.
– QUOIÂ ?! sursautent ensemble Shane et Peter.
-… J’ignore si c’est Tiffany Callahan qui vous a demandé de monter cette mascarade, mais Serge Potin était très fâché contre une madame Callahan définitivement trop brune pour ne pas être vous. »
Elle disparaitrait bien dans un trou de souris, là , la psy.
« Et pour finir, les dernières modifications que Win a faites à son testament ne concernent pas un éventuel deshéritage de Shane, puisque Win savait parfaitement que ce dernier n’était pas son fils biologique, mais la mise en place d’une rente pour les recherches de madame Desmonts et de ses collègues. Quant au fait que Win ait veillé à mettre Jack sous la surveillance de son frère et de monsieur MacKenning, ça tient qu’il y a trois ans, il ne voulait pas prendre le risque que Jack, s’il perdait la tête trop tôt, ne nuise au groupe.
– Exact, confirme Nadia Desmonts. Win avait pris cette décision à l’époque, suite à des discussions avec nous, car il y avait eu quelques cas rarissimes de démence juvénile, et qu’il ne voulait prendre aucun risque. Mais depuis, nous avons pu trouver un certain nombre de traitements préventifs. Il devait vous en parler pour que nous les mettions en place pour Jack cette année. »
Elle sourit au petit bonhomme bouiné plus fort que jamais contre son frère :
« Ne t’en fais pas. On sait déjà comment retarder cette maladie, et on saura la soigner à temps pour toi. »
Shane sourit et câline son petit frère :
« Ça va aller, je suis là … Ne t’en fais pas. Tu as entendu la dame ? On va bien te soigner. Tout va bien se passer. »
Vallois et Atmen échangent un regard entendu, et le procureur prend la parole :
« Bien. Affaire classée, donc, me semble-t-il ? »
Il regarde l’ambassadrice qui hoche la tête :
« Sure. Je ne vois pas grand-chose à ajouter… »
Mon téléphone sonne. Ah, Aslanov ? Je décroche et mets le haut-parleur :
« Oui, on vous écoute, docteur ?
– Nous avons fini, commandant.
– Ah, et ?
– Cause du décès : choc à la tête, confirmé par un hématome conséquent à l’intérieur du crâne. Le professeur Morstein et moi avons recoupé avec les photos et les vidéos de l’accident, aucun doute possible. Sa tête a pris le coup quand la voiture s’est écrasée. Il est mort immédiatement. Je vous prépare mon rapport, je devrais vous le boucler d’ici demain. Le professeur Morstein juge que le cerveau est tout de même en état d’être étudié. Si la famille est d’accord ?
– Ah, on en a pas encore parlé… »
Je jette un Å“il à Nadia Desmonts qui grimace et explique pudiquement la nécessité pour son équipe d’étudier le cerveau du défunt, ainsi que l’accord qu’avait donné ce dernier de le leur léguer. Shane opine sans hésiter :
« Faites tout ce que vous pouvez pour avancer vos recherches. »
Je reprends mon téléphone :
« Aslanov ? C’est bon, la famille est d’accord.
– Parfait. Merci. »
Je rejette un Å“il vers la veuve, mais elle et ses deux sbires n’osent définitivement plus la ramener. Je sens que les prochains repas de famille vont être tendus.
Eh eh bien fait, grognasse.
Vouloir divorcer en manigançant en plus d’attaquer son mari pour adultère, juste pour obtenir encore plus de fric, c’est franchement gerbant.
Je suis content pour Win qu’il soit mort sans savoir ça. Je sais pas ce qu’il lui trouvait à cette bonne femme, mais sérieux…
L’ambassadrice et Peter nous remercient et nous félicitent. Jane Hartley nous fait comprendre qu’elle va transmettre les conclusions de l’enquête à qui de droit et que les choses vont s’arranger. Peter approuve. Les rumeurs ne vont pas durer, ils y veilleront.
Vallois, Atmen, Pierre et Nadia Desmonts se proposent de repartir. L’avant-dernier dépendant de ma voiture, je me vois proposer de repartir aussi. Nadia Desmonts va prendre un taxi. Pierre emprunte les toilettes, la neurologue reste à papoter avec l’ambassadrice, le juge et le procureur, moi je me dis que je vais poser ma journée de demain pour souffler un coup, voir soyons fous, celle d’après-demain, parce que j’ai vraiment envie de faire un break, là .
Je me roule une ‘tite clope en sifflotant, tranquillum dans un coin, lorsque Shane, qui a laissé son frère à Peter, s’approche de moi innocemment :
« Thanks for all, Commander.
– It’s my job, mister Callahan. »
Il sourit et se penche pour murmurer :
« Si vous avez un moment demain, j’aimerais beaucoup vous inviter à manger…
– Ah ?
– Yeah… Pour vous remercier de ce qui ne s’est pas passé la nuit dernière… »
Je rigole :
« Oh, je vois… Le coup de fil que je n’ai pas reçu pour venir vous chercher, tout ça.
– Yeah… Et hmmmm… Je n’aurais rien contre, non plus, continuer notre discussion de ce matin… »
À mon tour de lui répondre tout bas :
« La commencer, vous voulez dire… Vous êtes un peu parti avant le début.
– Sorry, no time…
– Je suis tout à vous demain si vous voulez. Je comptais prendre ma journée.
– Oh, nice… »
Je me penche pour lui souffler à l’oreille :
« Et quand je dis tout à vous, c’est pas qu’une expression. »
Il a un petit rire :
« Vous avez une idée précise ? »
J’opine du chef avec un grand sourire :
« Plein, et ça se passe dans un lit.
– Naked ?
– Oooh yeah ! »
Il rit encore :
« Hmmm… Je regretterais presque de ne pas être disponible ce soir… »
Je souris et me redresse :
« Occupez-vous de votre frère, il a besoin de vous. Et pour le reste, vous avez mon numéro. »
Il sourit aussi :
« Vous passez me prendre demain vers midi ?
– En voiture ?
– What?
– Vous prendre en voiture ?
– Euh, oui ? »
Il n’a pas l’air d’avoir compris. Je glousse tout seul. Il y a quelques subtilités de la langue française que je vais me faire un plaisir de lui apprendre.
« D’accord.
– Et on va où vous voudrez, je vous invite.
– Merci. »
Je vous raconte pas la force qu’il me faut pour ne pas lui rouler la pelle du siècle, là . À la place, je souris encore et je lui dis :
« Prenez soin de vous, en attendant, Shane.
– Vous aussi, Erwan. Reposez-vous bien. »
Il hoche la tête et je rejoins les autres. Peter, Pierre et Atmen se marrent doucement, Vallois est clairement dubitatif, tout comme l’ambassadrice. Nadia Desmonts n’a rien remarqué, elle est au téléphone. Je souris, tout innocent :
« Quoi ?
– Non, non, rien… me répond Atmen alors que Pierre rit un peu plus fort.
– Affaire classée, je lui dis encore.
– Tout à fait. Et on y va. »
On sort. Nadia Desmonts nous salue, son taxi est là . Nous la remercions. Restés seuls tous les quatre, Vallois, qui vient de s’allumer une cigarette, me tend son briquet et dit :
« Félicitations, commandant Perdreau.
– J’ai fait mon job, monsieur le procureur, je réponds avant d’allumer ma clope.
– Avec zèle et talent, commandant. De quoi moucher tous les idiots qui vous ont collé au placard. Le commissaire Coreyban va récupérer un homme très compétent, et ça sera très bien pour la police de Lyon. »
J’aspire une bouffée et lui rends son briquet :
« C’est officiel ?
– Coreyban nous attend pour boire une bière et si ça colle entre vous, les démarches seront lancées demain, et lundi tu commences avec nous. » me dit Pierre.
J’ai un sourire et je hoche la tête :
« Hmmm… Ça tombe bien, je comptais poser ma fin de semaine… »
Je regarde Pierre avec un sourire en coin :
« Aux Fleurs du Malt, la bière ?
– Ben évidemment ! »
Il hausse les épaules :
« T’as de ces questions ! Tu fatigues ?
– Un peu, ouais. »
Vallois sourit :
« Bien, on va vous laisser. Mes amitiés au commissaire Coreyban. Reposez-vous bien, commandant.
– Merci, monsieur le procureur. »
Je lui serre la main, puis à Atmen qui me dit, goguenard :
« On a dit, tu te reposes. Fais pas trop de folie de ton corps !
– Je suis majeur et vacciné et je t’embête, Atmen.
– Moi aussi, je t’aime, Erwan.
– La bise à ta douce.
– OK ! »
On les laisse et j’entends Vallois demander à Atmen :
« On peut savoir ce qui se passe ?
– Je vais vous expliquer… » glousse mon ami.
Pierre me laisse le volant.
« On repasse au commissariat vite fait que je pose mes jours, et on file boire notre bière, ça te va ? je propose.
– Pas de souci, je préviendrai Coreyban pendant ce temps. »
Je passe en coup de vent au poste, passer aux RH pour poser mes jours. J’en ai en rab’ et comme de toute façon, personne n’en a rien à foutre de moi ici, le collègue me les valide sans problème. Mes chefs chéris sont en réunion, ça tombe bien. J’en profite pour récupérer deux-trois trucs sur mon ordi. Je ferais mon rapport final après-demain, tranquille. Là , envie d’une soirée tranquille et d’une bonne nuit.
Pierre est au téléphone quand je remonte dans la voiture.
« … Pas de souci, chef ! Il est là , on arrive. À tout de suite ! »
Il raccroche et je démarre :
« Ça fait un moment qu’il attend, non ? Ça ira ?
– T’inquiète ! Le connaissant, il a un bon bouquin et il ne sait même pas depuis quand il est là -bas… »
Je galère moins que je ne craignais à me garer, et on arrive. Il est encore tôt, le bar est calme. Pierre avise son chef dans un coin, et me fait signe de le suivre.
Même assis, Coreyban est impressionnant. Je savais que c’était un colosse, mais quand même. Cela dit, voir ce grand homme bien brun qui doit peser son quintal de muscles ou pas loin sagement assis devant une chope, pépère, en train de lire un vieux bouquin de SF élimé, ça fait tout de suite moins peur.
Il pose le livre en nous voyant et se lève pour nous serrer la main.
Wahou.
C’est rare que je me sente aussi minuscule…
Pierre nous présente et on s’assoit. Je commande deux Castel rouges, oui parce que j’aime ça aussi, et en les attendant, Coreyban demande :
« Ça y est, c’est bouclé, cette histoire avec les Américains ?
– L’enquête oui, la suite non. » rigole Pierre.
Ce qui lui vaut une amicale petite tape sur la tête de ma part. Coreyban prend sa chope et demande, interrogatif :
« La suite ?
– La suite c’est privé, commandant Bobillo ! je fais semblant de râler.
– Privé et interdit aux mineurs ? »
Il s’en prend une deuxième. Il se marre et devant le regard aussi intrigué qu’amusé du commissaire, je réponds à sa question muette :
« Il se trouve que j’ai bien accroché avec le fils du défunt.
– Le jeune acteur, là  ?
– Oui.
– Pas mon genre, mais vous avez bon goût.
– Vous aussi, vous me le laissez ? C’est gentil.
– Oh, je vous en prie. On se connaît à peine, je ne vais pas briser votre idylle. Ça ne se fait pas. »
Le serveur nous apporte nos bières et nous trinquons.
« Toutes mes félicitations pour la résolution de cette enquête, commandant Perdreau.
– Oh, c’était pas si dur… Beaucoup de bruit pour rien. Paris et Washington vont pouvoir dormir en paix…
– J’ai jeté un Å“il aux médias, rien n’a filtré, ni ici, ni aux États-Unis. Il y a eu une très vague tentative de Fox News de lancer l’info hier, mais ça a tourné court.
– Sûrement une tentative de scandale avortée par les avocats des Callahan, je soupire.
– Possiblement alimentée par la veuve et ses potes, ajoute Pierre.
– Plus que probable, opine Coreyban. Il n’y a rien eu d’officiel, mais apparemment, officieusement, ça commençait à jaser, et pas si dur d’imaginer qui lançait les rumeurs. Les vieux délires parano-nationalisto-policito-bordelo habituels auraient fait le reste. Sur le coup, tout le monde s’est enflammé, mais au fur et à mesure que votre enquête avançait et que rien n’en sortait, Paris et Washington ont compris qu’ils devaient calmer le jeu tout de suite. C’est pas pour rien que Jane Hartley elle-même a été envoyée.
– Circulez, y a rien à voir… opine Pierre.
– C’est ça. Mais ça n’enlève rien à votre mérite, Perdreau.
– Je maintiens que j’en ai peu, de mérite, commissaire. Y avait rien à trouver… J’ai jamais vraiment douté que ce n’était qu’un accident, et toutes les infos sont allées dans ce sens… La tentative d’accusation de la psy était ridicule… Et le coup du détective, sérieux ? Engager un mec comme ça, refuser de le payer et espérer qu’il va la fermer, ça montre le niveau…
– Clair que j’ai rarement vu un privé aussi bavard, sourit Pierre.
– Vous êtes modeste, à ce que je vois. » sourit encore le commissaire.
Je bois une gorgée de bière en haussant les épaules avant de répondre :
« Non, je suis réaliste. Sérieusement, cette enquête était super facile.
– Plus facile que de coincer un tueur de prostituées ? »
À mon tour de sourire :
« Clairement.
– Là , vous n’allez pas me dire que vous aviez pas tout défoncé ?
– À la masse, j’opine. Et là oui, j’y ai passé des semaines et des nuits blanches à plus les compter.
– Tout seul.
– On a commencé à deux. J’ai fini tout seul. C’était un crétin, mais il était hors de question que sa mémoire soit traînée dans la boue.
– Un crétin ?
– Il aurait jamais dû y aller tout seul. Je sais pas ce qu’il voulait prouver ni à qui, mais s’il m’avait sonné, ce soir-là , il serait toujours en vie, l’autre serait en tôle quand même, on aurait gagné un mois d’enquête, et surtout, surtout, deux victimes et il aurait pas laissé une veuve et trois orphelins. »
Il y a un silence. Coreyban sourit :
« Abdallah Massaoud a beaucoup souffert de discrimination durant sa carrière. Il en voulait au monde entier, surtout à ses collègues.
– Vous l’avez connu ? »
Il opine du chef :
« Ouais. Et franchement, je le plains. Il était très brillant. S’il était pas tombé sur des cons qui l’ont cassé à cause de ses origines, il serait pas devenu ce crétin de rageux obsédé par l’idée de prouver qu’il valait mieux que les autres.
– Il aurait aussi pu s’en foutre… » je soupire.
Pierre boit en nous écoutant. Coreyban sourit à nouveau :
« Comme vous vous en foutez d’être traité de pédé ?
– Ouais. Et comme Atmen Suleyman et sa compagne s’en foutent d’être traités de sales Arabes et de fanatiques ou d’islamistes… À un moment désolé, je sais qu’on vit dans un monde de merde et un pays beaucoup plus raciste et con qu’il ne l’admettra jamais, je sais que passer son temps à s’en prendre plein la gueule à cause de ce qu’on est, c’est lourd et c’est chiant, mais y a qu’en se foutant des cons qu’ils finissent par la fermer, parce qu’à un moment ils en ont marre de parler tous seuls. Sérieux, si j’avais fracassé tous ceux qui m’ont insulté depuis mon coming out, je serais en tôle pour une bonne centaine d’homicides. Qu’est-ce que j’en ai à foutre de ces cons ? C’est leur vie à eux qu’ils pourrissent avec la merde qu’ils ont dans la tête. Ma vie à moi, elle me va. J’ai rien à leur prouver. »
Pierre fait la moue et Coreyban lève sa chope avec un sourire. Nous retrinquons alors que Pierre remarque :
« Je sais pas ce qui est le plus impressionnant entre tes paroles ou la zénitude avec laquelle tu les sors.
– “Personne ne peut vous faire vous sentir inférieur sans votre consentement“, dit Coreyban.
– Joliment dit, j’approuve.
– C’est d’Eleanor Rooselvelt. »
Je rentre chez moi, quelques heures plus tard, aussi fatigué que satisfait. Coreyban et Pierre sont vraiment des hommes comme que je les apprécie : bien dans leurs pompes, rigolos et ouverts, et l’idée de continuer ma carrière à leur côté me va bien.
Je me mets en survêt, me prépare une bonne petite salade composée et me pose devant la télé. C’est inepte, comme souvent, et je décide de me lancer un film. Je vais voir mes téléchargements et tiens, les films de Shane sont arrivés ? Je me les mets sur ma clé USB et retourne la brancher sur ma télé.
Je regarde donc ce fameux film indé qu’il a produit, une histoire de gangsters assez bien foutue. Il y joue un second rôle, un jeune dealer aussi pervers que sadique, qui s’amuse avec certains de ses clients, et surtout clientes, trop dépendants de sa came. Le héros est un peu blasé d’être obligé de faire appel à lui, mais bon, pas trop le choix… Shane est aussi impressionnant que flippant.
Comme ce film n’est pas long et que de toute façon, je ne suis pas obligé de me coucher tôt, je m’en lance un second. Là , on est dans du polar ésotérique. Une fliquette sexy enquête sur un meurtre étrange dans une petite ville américaine étrange et rencontre, une nuit de pleine lune, un jeune homme étrange aussi et bref, le jeune homme est en fait un vampire, mais un gentil vampire, le meurtre un délire de satanistes, et tout se termine dans un bel incendie dont nos deux héros réchappent bien sûr de justesse.
Je soupire avec un grand sourire lorsque le film montre Shane, au clair de lune, qui se déshabille pour prendre un bain de minuit sous le regard médusé de la fliquette, qu’il se tape ensuite en sortant de l’eau.
Toi demain, tu y passes… Et ça sera pas du cinéma !
Je dors comme un bébé et me réveille de très très bonne humeur. Je déjeune en réfléchissant à où emmener manger mon jeune ami. J’aimerais bien un truc qui le change un peu, qu’il connaisse pas… Je trouve et me prends une bonne douche, puis m’habille avant d’appeler pour réserver. Ils sont souvent complets. Je me prépare tranquillement. Je suis moins fébrile que je l’aurais cru.
Je sonne à la porte des Callahan à midi pile. C’est Estelle qui m’ouvre, amusée :
« Ponctuel, commandant !
– Toujours, madame Servient. Comment allez-vous ?
– Ça va, ça va. Monsieur Shane et monsieur Peter ont passé la matinée à organiser le rapatriement du corps et les funérailles. Monsieur Shane est un peu secoué, alors prenez bien soin de lui !
– C’est prévu. »
Elle hoche la tête :
« Je vais vous le chercher. Vous voulez entrer une minute ? »
J’opine et rentre. J’attends sagement dans le hall et un peu plus tard, Shane et Peter arrivent. Shane me sourit, mais il a une petite mine.
« Hello, Erwan.
– Bonjour, bonjour ! »
Je serre la main de Peter alors que celles de Shane se referment sur mon autre main et qu’il se colle à moi.
« Nice to see you… » murmure-t-il.
Peter nous regarde, aussi amusé qu’attendri, et me dit :
« Tout est réglé, donc amusez-vous bien. Je m’occupe du reste.
– N’hésite pas à me téléphoner si besoin… lui dit Shane.
– No need. Prenez bien soin de lui, Erwan.
– Comptez sur moi, Peter. »
Il s’éclipse. Je caresse la tête de Shane et lui murmure :
« Nice to see you too. You’re ready ?
– Yeah. »
Je garde sa main dans la mienne et nous sortons. La voiture n’est pas loin, mais le resto non plus, alors je lui propose d’y aller à pied. Il accepte. Le début du trajet est silencieux. Nous avons lâché nos mains. Je finis par demander :
« Tu aimes la cuisine japonaise ?
– Oh, yeah, sure. Where do we go ?
– Surprise. J’espère que tu connais pas. »
Il ne connaît pas, de fait. Il n’est apparemment jamais trop allé de ce côté du Parc.
Charpennes est animée, le MacDo déborde, et le petit resto, dans la rue d’à côté, est déjà bien plein. On a droit à deux places au comptoir. Pas très intime, mais au moins, on tourne le dos à la salle, donc on devrait être tranquille.
L’Okawali est un petit resto à ramen très sympa, dont je suis un client fidèle et dévoué. Dévoué à finir mes plats, hein. La déco est simple, le chef français, mais sa femme est japonaise. Elle aide en salle ce jour-là , d’ailleurs. Elle vient me saluer gentiment et nous apporte baguettes, serviettes en papier et verres, puis une petite carafe d’eau fraîche. Shane regarde le menu, curieux. Moi non, je le connais par cœur. Je lui explique ce que sont quelques plats, d’ailleurs.
Je prends une bière, lui aussi, et je commande des gyozas au porc, un karaagué, et lui des gyozas au fromage et un ramen frit au poulet. On grignote des edamame en apéro.
« Vous avez quand même passé une bonne soirée ? je demande.
– Oui, oui… me répond-il. Les explications avec Tiffany ont été un peu délicates, mais elle a compris… Ils sont repartis ce matin, avec Jack… Ça ne servait à rien qu’ils restent… Ils doivent être sur le point de décoller, là . Jack va aller chez notre grand-mère… Tiffany ne veut plus vraiment s’occuper de lui… Et entre nous, je préfère. C’est un peu dur pour lui… Mais elle ne sait pas le gérer, apprendre sa maladie l’a affolée et ce n’est pas sa fichue psy ou l’autre crétin qui vont faire de lui un homme bien et gérer ça comme il faut. Mais ma grand-mère le peut et le veut. Je ne suis pas inquiet, à nous deux, on saura s’occuper de lui. »
Je hoche la tête. Le repas arrive. Nous mangeons tranquillement en parlant de choses et d’autres. Ce garçon est incroyablement curieux. Le repas le ravit, il goûte tout ce qu’il peut. Nous nous partageons un dessert, un délicieux tiramisu au thé vert. Les portions sont toujours très copieuses, ni lui ni moi n’aurions pu en avaler une part seul.
Sa main se pose sur la mienne, sur ou sous le comptoir, à plusieurs reprises, et je la sens même sur ma cuisse à la fin du repas. Je le regarde et j’ai à nouveau très envie de lui.
On se boit un petit thé et je lui souris :
« On y va ? »
Il me sourit aussi, caresse encore ma cuisse et répond :
« Oui… »
Il demande la note, glisse un billet bien trop important au serveur en lui disant de garder la monnaie. Le serveur reste bête, et moi, je me marre. Le patron vient voir, surpris aussi, pour s’assurer qu’il n’y a pas de malentendu. Shane les rassure, il a les moyens et ça lui fait plaisir de laisser un gros pourboire dans les endroits qu’il apprécie. Je les rassure aussi.
Nous sortons. Shane s’étire, content.
« Et maintenant, on va où ? » je lui demande.
Il me regarde, gourmand :
« J’ai envie de faire un gros câlin à quelqu’un.
– Moi aussi, et tout de suite.
– Viens… »
Il prend ma main et me tire :
« Je sais où on sera tranquille. »
Il me ramène boulevard des Belges, devant un hôtel aussi discret qu’il a l’air hors de prix. Nous entrons. Je suis dubitatif, mais Shane y est connu. Il n’a aucun mal à obtenir une chambre.
Un groom droit comme un I nous y emmène et nous y laisse. Je regarde la pièce, grande, claire, aussi joliment au sobrement meublée. Shane laisse un bon pourboire au groom avec la consigne de ne pas nous déranger et la promesse d’un pourboire encore meilleur si on a la paix. Il reste sérieux, mais à l’œil qu’il me jette, je crois qu’il n’en pense pas moins.
Je regarde par la fenêtre, pas de vis-à -vis, lorsque je sens deux bras passer autour de moi et un corps se blottir dans mon dos.
« Erwan… »
Je pose mes mains sur les siennes.
« Comment tu te sens ? je lui demande.
– Want a hug…
– Encore ? »
Je me retourne, passe mes bras autour de lui et le serre contre moi.
« Hug hug hug… » murmure-t-il encore en enfouissant son visage contre mon torse.
Il frémit quand je caresse son dos, et je lui murmure :
« Ne t’en fais pas. Je suis là . »
Il soupire encore et reprend :
« Erwan ?
– Oui ?
– J’ai un peu de mal à comprendre ce qui se passe…
– Rassure-toi, moi aussi.
– Mon père est mort… Il a fallu ça pour que je te rencontre… »
Je le berce doucement.
« … Quand je t’ai vu aux répétitions, je t’ai trouvé très attirant tout de suite… Et plus je te voyais, plus tu me plaisais… Et je me disais que je ne devais pas penser à ça, que mon père était mort, que de toute façon, je ne devais pas t’intéresser… Mais… Tu ne me repoussais pas vraiment… »
Il y a un silence.
« Quand je me suis réveillé dans tes bras, hier matin, j’y étais bien…
– J’étais bien aussi. »
Il relève la tête et me sourit :
« Tu crois qu’on s’aime vraiment ?
– Possible… Mais là je serais tenté de te dire… On se sent bien tous les deux… On est pas obligé de chercher plus loin tout de suite. »
Je caresse son visage et me penche vers lui :
« On peut juste prendre ce qu’on a à prendre, vivre ce qu’on a envie, et réfléchir au reste plus tard… »
Je l’embrasse. Il passe ses bras autour de mes épaules.
« On publie pas les bans tout de suite, right ?
– T’as tout compris. »
Le baiser dure, se fait profond. Je joue avec sa langue. Il gémit. Il est craquant.
« Dis, Shane ? »
Il me regarde, intrigué :
« What?
– Y a une baignoire, ici ?
– Want a bath?
– Qu’est-ce que tu en penses ?
– Hmmmm… Why not… »
Je l’embrasse encore et le lâche pour ne prendre que sa main et l’emmener dans la salle de bain. Belle pièce vaste, claire, avec une grande baignoire. Je mets l’eau à couler. Quand je me relève et me retourne, je le vois qui a commencé à se déshabiller en chantonnant. Il me tourne le dos. Il n’est encore que torse nu… Mais…
Comme hypnotisé, je le rejoins et fais lentement glisser ma main le long de sa colonne vertébrale. Il frémit et se cambre. Je passe mes bras autour de lui et me serre dans son dos à mon tour. Je le regarde dans le miroir. Il est magnifique. Franchement, aucune photo, aucun film ne rend grâce à ce corps tel qu’il est réellement. Il sourit et penche la tête en arrière.
Je tiens dans mes bras un homme superbe sur lequel des milliers de gens doivent fantasmer.
Ça, c’est bon pour le moral !
« How do you feel, honey?
– Merveilleusement bien… Et toi, sweetheart ? »
Il sourit.
« C’est une bonne idée, le bain…
– Je n’ai que des bonnes idées. »
J’embrasse son cou en commençant à caresser son torse. Je le vois sourire et fermer les yeux :
« Make me feel better, Erwan…
– Your wishes are my commands, sweetheart… »
Je continue mes baisers et mes caresses. Soudain il sursaute :
« Oh god !
– Non moi, c’est Erwan… »
Il met quelques secondes à comprendre, puis rigole.
« Qu’est-ce qu’il y a ? j’ajoute à son oreille avant de la mordiller.
– Forget condoms… »
Je souris :
« Don’t worry. I have. Many many many condoms to be safe aaaaaall afternoon and even aaaaaaall night if you want too… je murmure en caressant sa poitrine plus fort.
– Very cool… halète-t-il.
– I knew you’ld like it… »
Je le retourne, le presse dans mes bras. Le baiser est profond direct, cette fois. Je saisis ses fesses, l’assois sur le bord du lavabo. Il écarte ses cuisses, ses mains agrippent mon t-shirt et le tire. Je l’enlève sans attendre, pour le reprendre aussitôt dans mes bras. Il frotte son entrejambe au mien. On commence à être bien chauds tous les deux.
La baignoire est presque pleine. Je m’écarte un peu de lui, il redescend au sol, s’approche de moi, caresse ma braguette, commence à la défaire et me dit :
« C’est vraiment une bonne idée, le bain… »
Il descend pantalon et boxer ensemble en m’embrassant. Je caresse encore ses fesses. Je sens sa main sur mon sexe et ce dernier en gonfle de joie.
« Nice dick…
– Nice ass. »
Il rit encore en me laissant le déshabiller à son tour.
Un instant plus tard, nous voilà nus et je me glisse dans la baignoire. Il vient aussitôt dans mes bras, s’installant confortablement contre ma poitrine. Je suis un dossier très confortable, il parait. Il soupire d’aise et penche la tête en arrière, l’appuyant sur mon épaule.
« C’est bien un bon bain, ça détend…
– Sure.
– Tu es magnifique, Shane…
– Tu n’es pas mal non plus. »
Petit bisou.
« Caresse-moi encore… »
J’obéis tout doucement. Il soupire encore :
« Tu es bizarre, Erwan…
– Ah ?
– … Les gens m’adorent ou me haïssent sans me connaître, ils envient la star, ou ils craignent l’homme d’affaires… Toi, on dirait que tu t’en fous…
– C’est pas faux…
– Tu te fous de mon argent, ça j’ai compris…
– Moui. Et si j’admire ton talent, je n’envie rien… Tu es un grand artiste, mais c’est pas pour ça que tu m’intéresses.
– So what ?… »
Encore petit bisou.
« Tu es juste un mec fabuleux. »
Je le caresse du bout des doigts. Il tremble et ferme les yeux.
« Tu es tout sauf con, tu as un pouvoir qu’un gars comme moi ne peut même pas imaginer, tu t’en sers pour faire des trucs bien, sans te prendre la tête et sans te prendre pour le roi du monde… Quand je t’ai vu, j’ai été très impressionné. Pas de rencontrer une star, de voir un jeune homme ravagé par la mort de son père tenir bon contre tout pour être là , ce soir-là , pour des gens qu’il ne connaissait même pas, mais qui comptaient sur lui. »
Je le serre dans mes bras :
« C’est plus pour ce genre de trucs que tu me plais. Parce que tu es capable de chanter devant des handicapés malgré tout, parce que tu peux racheter une petite fabrique de biscuits juste parce qu’ils te plaisent, parce que tu peux t’inquiéter pour un gamin qui n’est pas ton vrai frère et dire que tu ne le laisseras jamais tomber, alors que combien de connards en auraient profité pour l’évincer… »
Mes caresses se font plus appuyées et sa respiration s’accélère :
« … Et t’as un corps à tomber que j’ai envie de faire jouir jusqu’à la fin du monde…
– Erwan…
– … Et je vais commencer tout de suite… »
Il tourne à nouveau la tête pour m’embrasser. Mes mains se perdent sur sa poitrine, mes doigts taquinent des tétons déjà durs. Mon excitation était un peu calmée, mais ça repart. Ma main glisse entre ses cuisses, il les écarte. Je saisis son sexe et je le caresse lentement. Il est bien membré aussi… Je note ça pour plus tard.
Il répète mon nom et ses hanches bougent pour suivre ma main quand elle accélère. Il a un râle de frustration quand j’arrête, puis sursaute quand je le prends dans mes bras comme une princesse pour sortir de l’eau en le soulevant lentement. C’est qu’il pèse son poids l’animal !
Il se laisse faire, surpris, et je vais doucement le déposer sur le grand lit blanc. Il sourit et attend sagement que j’aille chercher ma sacoche. Je la pose sur la table de nuit et en sors ce qu’il faut. Il me tend les bras quand je m’agenouille sur le lit. Je souris, me penche et l’enlace. Un long baiser suit, tendre et caressant, nous roulons sur le lit. Il finit sur moi et ses lèvres quittent les miennes pour descendre dans mon cou, ma poitrine où elles s’attardent, mon ventre où sa langue joue dans mon nombril un moment. Ses mains se baladent sur mes cuisses longtemps avant que l’une ne saisisse mon sexe qui se sent à nouveau tout gonflé de bonheur.
Je ferme les yeux et me laisse faire. Je le sens se pencher et je l’entends rire.
Je rouvre un œil. Il a pris un préservatif. Je souris :
« Eh bé ? T’aimes pas le chocolat ? »
Il se réinstalle à cheval sur mes cuisses :
« Si, si… Don’t worry… »
Il déchire le petit sachet proprement et déroule le latex sur moi. Puis il se penche en riant :
« Easter dick ! »
Je ris aussi :
« Ben quoi, c’est de saison… »
Je retiens un sursaut en sentant une langue remonter le long de mon sexe. Je referme les yeux en me cambrant. La vache, il sait y faire l’enfoiré ! Je me mords les lèvres et ai rapidement le souffle court. Je rouvre les yeux, nos regards se croisent, et le sien est si brûlant que j’en frémis. Ça m’excite presque plus que le reste… Je vois sa langue s’enrouler, gourmande, et je me cambre à nouveau en retenant un cri, quand je sens un doigt se glisser en moi. Doigt qui trouve rapidement ce qu’il cherche… Bon, pas qu’il y ait grand-chose d’autre là , contrairement à certaines rumeurs. Et je crie sans parvenir à me retenir. Sa bouche quitte mon sexe, une main prend le relais. Je sens la langue commencer à s’amuser avec mes bourses et…
Argh…
Entre la bouche, la main et le doigt, je me sens perdre la tête. Là je crie sans me retenir, répétant à mon tour son nom.
Les cons qui disent que la prostate ne sert qu’au cancer ne savent définitivement pas de quoi ils parlent !!!
Je sens mon plaisir monter, je serre les dents et parviens à me redresser pour l’arrêter juste à temps.
Il se redresse et me regarde, l’air profondément satisfait.
« Do you liked?
– Ah oui, oui oui, t’en fais pas… »
Je le fais basculer sur le dos et m’allonge sur lui :
« My turn.
– Yeah… »
Il caresse mon visage et lève la tête pour m’embrasser :
« Make me forget all of this… »
Je souris, me penche et lui réponds juste avant de l’embrasser avec force :
« Challenge accepted! »
Le baiser dure. Je frotte ma cuisse entre les siennes. Mes lèvres glissent jusqu’à son oreille :
« I want you to forget all except me…
– Erwan…
– I want you to be only mine for that moment…
– Yeah…
– Will you?
– I will… »
Il passe ses bras autour de mes épaules, ses jambes autour de ma taille, nos sexes se frottent. On a le souffle court. Il gémit encore :
« I want to be yours… »
Je souris, et je couvre son corps de baisers, de caresses, longtemps, évitant soigneusement son sexe jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus. Je prends alors une capote, et je mets délicatement dans ma bouche et que je déroule avec soin sur son sexe raide, m’aidant de mes lèvres et ma langue, en profitant pour me mettre à sucer le dit sexe avec gourmandise.
Shane se cambre, écarte ses jambes, haletant et sublimement alangui. Il ferme les yeux, se mord les lèvres et se met à gémir. Puis rapidement, ce sont des râles de plaisir qui sortent de sa bouche.
Je prends une autre capote, la déroule sur deux de mes doigts, rajoute du lubrifiant et vais glisser ça entre ses fesses. Il écarte encore un peu plus ses jambes.
Je le pénètre lentement. Ses râles deviennent des cris. Ses doigts se referment sur la couette, il semble perdre tout contrôle. Son bassin bouge au rythme de ma bouche et de mes doigts. Un troisième rejoint la danse. Je le sens se mettre à trembler. Pas eu à chercher longtemps la zone à titiller.
Ses poings se resserrent brutalement sur le tissu. Il serre les dents, mais une ultime pression de mes doigts en lui, alors que ma langue appuie encore plus sur son gland, fait céder le barrage. Il jouit en criant mon nom.
Je me redresse, regardant avec satisfaction, tout en continuant à le caresser de mon autre main, son sperme jaillir à travers la capote. Je lui enlève ça, retire mes doigts et l’essuie, et je me rallonge contre lui, l’enlace et l’embrasse tout doucement. Il se serre contre moi, câlin :
« You’re damn good, honey…
– T’as encore rien vu, sweetheart… »
Je frotte mon sexe toujours raide contre sa peau :
« … Parce que j’ai encore ça pour toi… »
Il sourit. Nous nous embrassons encore longuement. Puis il me dit doucement :
« Comment tu veux faire ?
– Comment tu me veux ? »
Il sourit encore.
« Je suis bien, dans tes bras… »
Je hoche la tête, l’embrasse encore en le rallongeant sur le dos. Il passe encore ses bras autour de moi, de ma poitrine, cette fois, ses jambes autour de ma taille. Je me frotte un peu, coquin, et il couine et finit par souffler :
« Take me, honey…
– As you wish, sweetheart… »
Je saisis ses fesses et le pénètre lentement. Il sourit, se mord les lèvres en gémissant. J’attends un peu et quand il resserre ses jambes pour me pousser plus profondément en lui, je prends ça pour un feu vert, et je me mets doucement à bouger. Je le sens frémir. J’embrasse ses lèvres, puis son cou. Ses mains se perdent dans mes cheveux, puis s’agrippent à mes épaules alors que j’accélère mes coups de reins. C’est bon d’être là … C’est chaud et serré… Il murmure mon nom et je souris. Je l’embrasse encore. Je le sens se resserrer sur moi par à -coups. Il a le souffle court, et moi aussi. Je ris contre ses lèvres en l’entendant :
« So good… Easter dick… »
Il joue avec son corps pour jouer avec mon plaisir… Et j’aime ça. Il se met à crier en se resserrant sur moi, je crie aussi. C’est bon. Mes mains se serrent sur ses fesses alors que je me perds de plus en plus fort, de plus en plus loin en lui. Un spasme le traverse. Il enfonce son visage dans mon cou, répétant mon nom, à nouveau, de plus en plus vite et fort, et moi je lutte pour tenir quelques secondes de plus, mais une pression de lui déclenche la tornade en moi. Je jouis et je le sens se tendre et jouir aussi contre moi.
Je reste amorphe sur lui. Lui a le réflexe de se dégager, mais il me garde dans ses bras. Je sens nos cœurs battre fort, puis reprendre lentement un rythme normal, l’un contre l’autre.
C’est la sonnerie de mon portable qui me réveille, quelques heures plus tard, alors qu’après avoir testé très consciencieusement un certain nombre d’autres positions du Kâma-Sûtra, nous avons fini par nous assoupir, au chaud sous la couette, Shane sur le côté et moi serré contre son dos, nos mains entremêlées.
Je grogne, me retourne avec regret et vais prendre mon téléphone dans sa sacoche, restée sur la table de nuit :
« Ouais ?
– Commandant Perdreau ? »
Oh putain, mon commissaire divisionnaire préféré…
« Ouais… je bâille.
– Nous n’avons pas eu votre rapport ! »
Shane tremble de froid, privé de sa bouillotte dorsale, et se retourne pour venir aussitôt se blottir contre mon flanc, mode câlin du réveil.
« Coucou, sweetheart… je lui murmure. J’ai posé mes jours. Vous l’aurez demain, je reprends plus fort pour l’autre.
– C’est inadmiss… Mais à qui parlez-vous ? »
Mode câlin coquin, sa main s’étant glissée sans attendre entre mes cuisses. Je souris en le voyant prendre une capote et se glisser sous la couette :
« Un ami milliardaire…
– Quoi ?…
– Et sur ce, je vous laisse, ce qui se passe entre mes cuisses est beaucoup plus intéressant que vos salades. »
Je raccroche, mets le portable en silencieux, le repose, et me rallonge en fermant les yeux.
On est encore loin d’avoir tout essayé… Et on est bien décidés à ne pas s’arrêter là  !
*********
C’est un coup de coude qui me réveille en sursaut. Un peu vague, je regarde Sasmira, à ma droite, puis l’hôtesse de l’air, aussi amusées l’une que l’autre :
« Euh, désolée de vous réveiller, monsieur… Nous voulions savoir si vous souhaitiez plutôt des pâtes carbonara ou un pavé de saumon au riz ?
– Euh, saumon, merci… »
Elle repart. Sasmira rit pendant que je bâille et m’étire. Atmen, assis de l’autre côté de son épouse, remarque :
« Eh ben, tu dormais bien !
– Ben j’avais un peu trois dossiers à boucler avant de partir, là … J’ai pas beaucoup dormi cette semaine… »
À ma gauche, Lola regarde par le hublot et dit :
« C’est trop beau les nuages !!! »
Nous volons au-dessus d’un océan de chantilly.
« Allez courage, plus que cinq heures… soupire Atmen.
– Arrête de râler ! le houspille Sasmira.
– J’aime pas l’avion… grogne-t-il.
– Je plussoie, je bâille encore, 14h de vol c’est long.
– Non, mais de quoi vous vous plaignez, les mecs ? nous dit-elle encore. Bon toi Erwan, je comprends que tu fasses ton blasé, les States tu connais, mais sérieux, Atmen ? Être invités à Los Angeles, aux Oscars, par un des nominés, moi je dis quand même, c’est la classe !
– Non, mais ça oui, d’accord, mais j’aime pas l’avion et 14h c’est long. »
J’opine du chef.
« Ça fait un bail que tu l’as pas vu, ton homme, d’ailleurs ? » me demande Atmen.
Je lui montre cinq doigts.
« Cinq mois ? »
J’opine encore du chef et je soupire :
« Entre l’affaire Martoni et son tournage en Argentine qui a traîné, on a même pas pu se voir à Noël… Mes parents l’attendent au tournant pour qu’on fête ça à notre retour. »
Sasmira et son mari échangent un regard, et elle soupire :
« Eh ben je sais pas comment vous faites !
– Beaucoup de textos, de mails, et un forfait international illimité. »
Je hausse les épaules :
« De toute façon, ça a été d’entrée le deal entre nous : on lâchera pas nos boulots. Donc, on fait avec. »
Shane et moi nous aimons assez pour nous respecter l’un l’autre et vivre nos vies sans interférer. On se voit quand on peut, on sature les réseaux de comm’ de messages le reste du temps. Mais dans les faits, c’est la première fois qu’on restait si longtemps sans se voir. Il me manque pour de vrai…
Les hôtesses nous apportent à manger. Lola demande :
« Vous croyez que Shane, il va l’avoir, son Oscar ? »
La demoiselle est toute excitée. Shane l’a invitée avec nous et a offert à ses parents 15 jours de vacances en thalasso.
« Il y croit pas, mais il parait qu’il a ses chances, je lui réponds.
– C’est vrai qu’il était hallucinant dans ce rôle… reconnait Atmen.
– Combien de kilos il avait perdus ? demande Sasmira.
– On l’a arrêté à 12… L’équipe avait été obligée de m’appeler pour que je le raisonne.
– Ah ouais, quand même…
– J’ai rarement vu une interprétation si convaincante de la dépression… soupire encore Atmen.
– Heureusement que ça se finissait bien… Parce que la scène d’intro était vraiment éprouvante… » soupire Sasmira.
Lola fait la moue :
« Papa et Maman ont pas voulu que je le vois…
– C’est normal, c’est un peu violent pour toi. »
L’histoire d’un homme dévasté par la mort de son épouse et de son enfant, qui se reconstruit doucement. Le film commence aux urgences après sa TS… Et finit à Thanksgiving, au milieu de sa famille, sur un texto tout mimi de sa potentielle future.
Je l’avais sommé de revenir en France dès la fin du tournage et il avait passé un mois à se reposer tranquillement, à la campagne, chez mes parents.
Ma mère, qui l’adore, l’avait bichonné et gavé de bons petits plats. Et mon père, lui, n’avait rien dit, bourru comme d’hab’, mais je sais qu’il avait passé pas mal de temps à lui ramener des livres et des films de la médiathèque du village.
L’avion atterrit à 11h, heure locale, et nous sommes récupérés par James, qui est tout content de nous voir. Une fois dans la voiture, moi à l’avant et les trois autres derrière, il nous demande :
« Le vol s’est bien passé ?
– Long… Cool, mais long. Tout va bien ici ?
– Oui ! Shane est aux répétitions de la cérémonie, puisque c’est lui qui remet l’Oscar du meilleur rôle féminin. Jack est avec lui, ils vont nous rejoindre tout à l’heure. En attendant, moi je dois vous nourrir et vous emmener trouver vos tenues pour ce soir. »
Sasmira et Lola regardent par la vitre, aussi émerveillées l’une que l’autre. Atmen les regarde avec tendresse et se penche pour me murmurer :
« À se demander laquelle a 14 ans… »
On mange dans un excellent restaurant et c’est parti pour aller se chercher des tenues de gala. Heureusement, Shane a ses entrées partout. Nous allons de sa part dans une boutique où nous sommes attendus, deux charmantes dames s’occupent de Sasmira et Lola et un charmant jeune homme de nous, et si nous, nous ne nous cassons pas trop la tête, prenant des costumes aussi beaux que confortables et cools, nous attendons un moment nos deux amies avec James. Lola finit par venir nous chercher, dans une très jolie robe bleue. Elle attrape les mains d’Atmen : Sasmira veut absolument qu’il vienne la voir.
Nous suivons donc, dans les salles d’essayage, l’adolescente et Atmen reste juste séché. Et moi-même, je reste coi. Ils lui ont trouvé une robe rouge sublime. Manches longues, évasée, tirant sur le bordeaux en bas, ni décolleté outrancier, ni dos nu, juste belle.
En voyant la tête de son mari et la mienne, elle sourit :
« I’ll take this one. »
James approuve.
Je reçois un coup de fil de Shane comme nous sortons. Il a fini, il retourne à sa villa avec Jack, on peut les y rejoindre un moment en attendant de repartir pour la cérémonie, qui commence à 18h.
James nous y emmène. La baraque est superbe, j’y ai déjà séjourné. Dans les faits, Shane y est peu, à part quand il est en tournage, mais il a ralenti son boulot d’acteur. Il reprendra quand Jack sera en âge de gérer sa part du consortium. Ce qui ne devrait pas trop tarder, il en veut déjà , le petit…
Nous arrivons à la villa et en entrant, nous entendons Jack dire :
« You swore! Don’t forget!
– Yeah yeah… »
Shane, qui est visiblement fatigué, sourit et se lève de son fauteuil pour venir à notre rencontre :
« Bienvenue, tout le monde ! »
Il embrasse Lola et Sasmira, serre la main d’Atmen et se jette à mon cou pour me rouler une pelle. Et c’est bien qu’il fasse ça dans cet ordre, sinon ils auraient attendu son salut un moment.
Je le serre dans mes bras avec bonheur, très fort, très longtemps :
« I miss you sweetheart…
– I miss you too honey… »
On s’embrasse encore, pendant que les autres saluent Jack. Ce dernier a l’air très en forme et tout excité.
L’après-midi passe vite. À 16h30, nous repartons. Shane tient à ce que nous montions le tapis rouge avec lui. Apparemment, il a eu des remarques sur son amitié pour la France, un affreux pays plein de terroristes, comme sur sa relation avec moi, et monter les marches avec moi et un couple de musulmans français est une réponse qu’il a jugée adéquate à ça.
La montée des marches se fait sans souci, nous ne restons pas très longtemps sous le feu des photographes. Lola et Jack sont émerveillés, Sasmira aussi et Atmen et moi sincèrement impressionnés. Nous nous installons tous les six à nos places.
La cérémonie commence à l’heure alors que je commençais à piquer du nez. C’est rigolo, mais j’avoue que ce n’est clairement pas mon monde. Mais c’est le monde de l’homme que j’aime… Alors je suis curieux de voir ça.
Shane ne lâche pas ma main, il n’a pas l’air stressé du tout. Il me l’a dit plusieurs fois, il y a d’autres lauréats bien plus méritants, juge-t-il, face à lui. Il ne pense vraiment pas avoir sa statuette, et il s’en fout un peu.
Il part un moment, le temps de remettre la récompense à une très belle Black que je me rappelle avoir vue dans le rôle d’une juge, dans une série, il y a longtemps. Là , elle reçoit l’oscar pour son rôle dans un biopic de Joséphine Baker. Faudra que je le regarde…
Shane revient, ça continue, et vient enfin le moment de la nomination du meilleur acteur. Y a du très lourd, cette année, mais j’ai pas tout vu. Je remarque avec un sourire que Sasmira, Lola et Jack croisent les doigts, et sur scène, Whoopi Goldberg a rejoint George Clooney pour remettre le prix. Suspens…
« And the winner is… Shane Dean for Never hopeless ! »
La salle applaudit et Shane reste con. Je le secoue un peu. Il se lève, vraiment surpris, et son frère lui dit :
« Don’t forget, you swore!
– Damn you, Jack… »
J’applaudis avec les autres, le regardant monter sur scène. Il serre la main de George Clooney et embrasse Whoopi Goldberg. Il se gratte la tête et prend la parole, remerciant les personnes d’usage, le réalisateur, l’équipe, les collègues, puis il bredouille un peu :
« Thanks for this, hmmm… I really don’t hope win this year… Hmm… I’m sorry, I loose a bet, I have to do something, if I can?
– Oh sure, répond George Clooney. We’re in time! »
Shane le remercie d’un sourire et reprend, beaucoup plus nerveux que cinq minutes plus tôt, quand il attendait le prix :
« Honey, can you come here, please? »
Houla.
Là , c’est moi qui stresse…
Je me lève sous des applaudissements surpris, je vois du coin de l’œil Jack qui se marre avec Lola et Sasmira, Atmen qui hausse les épaules en signe d’ignorance. Je rejoins la scène. Qu’est-ce qu’il me veut ?…
George Clooney me serre gentiment la main, Whoopi Goldberg me fait la bise. Je regarde la salle, immense.
« Good evening, everyone… » je salue poliment.
Puis je regarde mon amoureux. Je lui souris, il a vraiment pas l’air bien.
« Oh, French? remarque Whoopi Goldberg.
– Yeah, j’opine. Bonsoir Maman, j’ajoute. Si tu me regardes, Maman, file te coucher, t’as rien à faire devant la télé à cette heure-ci ! »
La partie francophone de la salle se marre, Shane aussi, et il s’approche de moi et prend mes mains :
« I swore to ask you something right here right now if I won…
– What’s up, sweetheart?
– … Hmm… Would you marry me? »
Je reste aussi con que lui quelques minutes plus tôt alors que la salle applaudit avec énergie. Je passe ma main dans mes cheveux :
« Wahou… What a surprise…
– Would you?
– Sure I would!… »
Je le tire dans mes bras pour l’embrasser.
« T’es cinglé… » je lui dis encore en le serrant dans mes bras.
Il rit doucement :
« That’s why you love me…
– Oh ça c’est sûr… »
Je crois que la cérémonie continue, derrière, mais je suis sur un petit nuage. J’en suis un peu tirée par un texto de ma mère :
« Félicitations !!! Gros bizoux à vous deux et je file me coucher. 😉 »
Le matin suivant, je me réveille avant Shane. Il est blotti contre mon flanc, comme souvent. La nuit a été courte, comme toujours quand on se retrouve.
Il a l’air tranquille.
Je vais l’épouser, alors…
Ça serait bien qu’on fasse ça tranquille chez mes parents… Y a la place et on serait bien…
Je souris, on verra ça plus tard.
Il dort tranquillement, il a l’air heureux.
Il y a pas si longtemps, j’étais un flic au placard…
Aujourd’hui, je suis l’un des deux bras droits d’un des meilleurs commissaires de Lyon, et je vais épouser un acteur milliardaire. Mais pour moi, ça sera toujours un beau jeune homme au cœur d’or, rencontré un jour de pluie.
FIN
Pour info,
Les quatre chansons du concert :
Slow, love, slow, de Nightwish
Renegades de X-Ambassadors
Things left unsaid de Disciple
Diggy Diggy Hole de Simon Lane
Et bien sûr l’Hymne à l’amour d’Edith Piaf, mais ça vous aviez évidemment tous reconnu ! :p
Si l’histoire et les personnages sont fictifs, la géographie lyonnaise est réelle et la plupart des lieux cités existent. Après j’y ai pas forcément mis les pattes en vrai. Y en a aussi que j’ai inventés ! J’espère que ça vous a plu 🙂 !
Comme j’avais un peu (complètement (totalement)) oublié leur petite histoire, je l’ai redécouverte avec grand plaisir !
@Pouika : Mais pas de souci 🙂 !
vraiment j’ai adoré
cela me rappelle les polars dans le temps et je regrette des fois
et là me dis je le souhaiterais bien en livre pour l’ouvrir à des amis qui le polar et vraiment merci que j’ai pu le lire
adorable erwan, des flics comme lui il lui en faudrait comme lui
@Joelle Samyn : Merci 🙂 !! J’aime bien les polars, j’en lis pas assez lol 🙂 !! Merci beaucoup de ce gentil retour. ^^
Long is the Road existe en livre, oui, c’est une version plus longue, tout public, avec une seconde partie reprenant le point de vue de Shane et racontant le suite de leur histoire. Je le vends par correspondance (voir page Vente en Ligne”) ou sur les salons. 🙂
salut
trés bon récit, j’ai pas vu le temps passer, j’ai passé un tres bon moment.
félicitation
@Haelya : Merci 🙂 !
Nouvelle très agréable à lire, comme toujours! Je n’ai pas vu les 92 pages passer.
Dès les premières lignes, j’ai adoré Erwan, et j’ai eu envie de le suivre jusqu’au bout. Il est direct, et il n’a pas peur des mots, sans pour autant tomber dans le vulgaire bauf. Il s’accroche malgré sa situation, sans s’en plaindre H24, et il tient bon. Vraiment, je m’y suis accrochée dès le début. La première personne le rend d’autant plus attachant qu’on le suit jusque dans ses pensées. (Il m’a énormément fait rire, par ailleurs xD)
Concernant Shane, au début, je le trouvais moins complexe, presque trop parfait du fait de sa bonté, mais finalement on découvre aussi ses faiblesses – comme quand il décide d’oublier ses problèmes à coup de bouteille d’alcool – et un homme d’affaire impitoyable avec ses ennemis, que j’ai aussi beaucoup aimé.
Les autres personnages se démarquent, ils ne se ressemblent pas, quand bien même ils sont moins présents (c’est ce que j’aime avec tes histoires d’ailleurs, tout le monde a sa place, les personnages secondaires ne sont jamais de trop.)
Pour l’histoire, ça avance doucement, on se doute de la finalité de l’enquête au même titre qu’Erwan, mais on sent quand même que quelque chose ne va pas du coté du père, et on se pose des questions jusqu’au bout. Pour une nouvelle, même longue, on a quand même beaucoup de personnages et d’événements qui mettent en place, et qui sont, je trouve, bien exploité pour un format pourtant court, aucun passage ne donne l’impression d’être de trop.
Et pour la fin, j’ai beaucoup aimé la manière dont tout s’est mit en place, et je ne me doutais de rien avant que Shane n’appelle finalement Erwan. Ça fait toujours plaisir de terminer là dessus! (Et le lemon aussi il était bien :D)
J’aurais peut-être aimé en apprendre un peu plus sur certains personnages, mais ce n’est pas un roman non plus, comme je disais, c’est déjà bien développé sur une nouvelle. Et sinon, je n’ai pas vraiment de reproche à faire, rien qui ne m’ai dérangé ou sauté au yeux pendant la lecture.
Merci encore pour cette nouvelle, ça donne envie de voir ce que tu pourras encore faire par la suite! 🙂
@Leloir : Merci beaucoup 🙂 ! Pour te répondre : j’aime beaucoup Erwan aussi, quoi que j’en dise (hi hi), c’est un battant qui tient bon, lui aussi, droit dans ses pompes, et ça tombe bien qu’il t’ait fait rire, c’était un des buts ^^ ! La 1e personne, c’est à la fois génial dans ce que ça permet d’immersion dans la tête du perso et très frustrant car on ne peut pas en sortir. :p
J’ai essayé de ne pas faire Shane trop lisse, mais je pense qu’il aurait quand même gagné à un peu plus d’ambiguïté…
L’histoire est un peu prétexte, même si j’ai essayé de ménager le suspens. J’ai écrit des polars plus complexes hi hi hi. Et content que la fin t’ait surprise. ^^
Merci à toi d’avoir lu, et on verra la suite, oui ^^ !
J’ai adoré, je l’ai dévoré en un soir :!!!!!!!!
Encore un joyeux anniversaire ma déesse !! Tu écris toujours des histoires aussi captivantes et prenantes .
Merci pour ce moment de liberté et d’évasion !!
@Pouika : Merci, mais j’interdis formellement tout culte de ma personne :p ! Contente que ça t’ait plu ^^ !
@Pouika : lui construis pas de suite un piédestal, elle aurait la tête qui enfle et pourrait plus écrire XD
@Ninou : et toi RIP ! XD
@Armelle : J’interdis les piédestaux aussi.
@Ninou : et par ta faute ça fait une heure, ou peu s’en faut, qu’on délire sur le pied de la pauvre Estale… RIP Ninou ! RIP !
@Armelle : Laisse Estale en dehors de tout ça :p !!
RIP Rest in Peace , repose en paix, j’avais demander à ma prof d’anglais ce que rip voulait dire.
@Pouika : Yep, ou requiescat in pace en latin… Ce qui veut dire pareil… C’était la minute latiniste. ^^ (on me signale en français “retourne illico pioncer” mais ça me semble hors sujet…)
et je pose un copyright sur la version française de RIP ! XD
@Armelle : Tutafé !!
Tutafé quoi ? Tutafé enguirlander ?
Allez Ninou, file ! RIP XD
@Armelle : Kwa kwa kwa tu connais pas “tutafé” ? C’est le cousin de “naméo”…
Et vas pioncer aussi naméo !
@Ninou moi c’est moi et toi tais toi XD c’est toi qui dois dormir pour nous pondre de belles histoires ^^ RIP Ninou !
@Armelle : Méeuh… *Boude*
hihi vous êtes trop mesdemoiselles,
Mais laissez ses damoiseaux roucoulé voyons, les poussins imaginaires ne pourront éclorent si nous “zieutons” l’ébat et le gazouillement de leur “futur” créateur ùBref je m’arrête et je vais me coucher comme la maman d’Erwan !
@Pouika : On reste dans le trip de Pâques, ça me va :p !
@Pouika : joliment dit ^^
@Ninou : RIP Ninou ! va rêver la suite XD
@Armelle : Piou.
Ahhhhh chouette c’était pas une vilaine blague…. super comme d’hab, tu y a mis des pages mais on voit pas le temps passé car c’était très bien écrit comme d’hab !
Pas de news pour du boulot ?? C’est vache ça quand même. On crie pour la culture mais on donne pas de travail à ceux qui en font leur métier…
biz à toi et bon dimanche, je passerais pas trop avant fin de mois, je prépare mon concours.
bisous
@Amakay : Non, la blague c’est moi, mais j’écris sérieusement. 😉 Merci beaucoup et contente que ça t’ait plu 🙂 !
Non, rien de précis pour le taf, mais je reste au taquet ^^ !
Bon courage pour ton concours !! 🙂
Bon… moi t’a eu mes commentaires en direct… alors bon… Je ne dirais que deux choses :
1/ GAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHH !!!!!!!!!!
2/ A quand la suite ? XD
Gros bisous et merci pour ce “petit” bijou. Dors bien, tu l’as mérité ! ^^
@Armelle : Zzzzzz… Merci… Et merci pour les encouragements (même intéressés) et la relecture. Sinon pour te répondre :
1/ ga gou gué gué. mais c’est en réflexion.
2/ Un jour peut-être… ^^
j’adore votre échange !
@Pouika : 😀