Salut les gens !
Alors après avoir perdu un moment à me demander de quoi vous causer, j’ai fini par repenser à un roman lu il y a quelques temps et qui m’avait laissé une impression bien trop mitigée pour que j’aie envie de vous en parler. Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais j’évite de vous parler des choses que je n’aime pas, parce que j’estime, surtout en ce moment, qu’il faut mieux se focaliser sur du positif.
Le livre en question, c’est Je ne suis pas un gay de fiction de Naoto Asahara, publié chez Akata (qui devrait vraiment être plus minutieux sur la correction de ses romans, bon sang ! Lire des textes aussi cafi de coquilles, ça fait mal pour une maison d’édition aussi qualitative). Livre qui m’a vraiment dérangée.
Sauf qu’en réalité, en y réfléchissant, ce n’est pas parce que je trouve ce roman mauvais que je ne l’ai pas aimé. C’est beaucoup plus compliqué et ça mérite peut-être, du coup, que je vous en parle.
Par contre, vous êtes prévenus, pour vous expliquer le fond de ma pensée, je vais devoir spoiler comme une bâtarde. Arrêtez-vous donc là si vous voulez vous faire votre propre avis avant de connaître le mien. ^^
Cette histoire est celle de Jun, un lycéen de 16 ans, gay bien enfermé dans son placard, et qui partage sa vie entre ses potes (dont son meilleur ami qui adore lui tâter les parties (si, si, au sens propre)), son amant (un homme qui pourrait être son père et qui lui demande d’ailleurs de l’appeler “papa” quand ils s’envoient en l’air (paye ta relation saine)) et son seul “vrai” ami, qu’il ne connait que d’internet (un étudiant (?) séropositif qui se fait appeler Mister Farenheit, référence à un titre de Queen, groupe dont ils sont fans tous les deux).
A ce sujet, petit aparté : le récit est bourré de références à Queen, groupe que je ne connais personnellement pas plus que ça, donc, j’admets tutafé avoir loupé tout ce subtext dans le récit. Fin de l’aparté.
On va dire que ça ne respire déjà pas la joie de base.
C’est un beau jour qu’il a rendez-vous avec son amant qu’il va croiser une de ses camarades de classe achetant un yaoi et donc “fan des homos” de ces fictions, qui n’ont donc rien à voir avec sa vie à lui (ni la réalité de beaucoup de gays, on sait). De fil en aiguille, les deux jeunes gens se rapprochent et elle finit par tomber amoureuse de lui et lui demander de sortir avec elle, ce que lui, rongé par son désir d’être “normal”, accepte.
Second aparté : la différence entre la fiction yaoi et la réalité ne sera pas vraiment plus exploitée que ça. Dommage… Mais reprenons ! Fin du second aparté. ^^
Suite à divers évènements, cependant, entre autres le suicide de Mister Farenheit, le jeune homme se retrouve outé. Harcelé par ses camarades, il finit lui aussi par tenter de se suicider. Cet évènement calme les esprits et il se retrouve finalement accepté ainsi par son entourage. Il décide tout de même de changer de lycée pour continuer sur de nouvelles bases. On ne saura malgré tout pas s’il se présente directement comme gay à ses nouveaux camarades, le récit s’achevant juste à ce moment.
Alors il y a énormément de choses qui me pose problème dans ce texte. Je ne vais pas en faire une liste exhaustive, déjà parce que je n’ai plus tout en tête et ensuite parce que ça n’aurait pas grand intérêt.
Et on pointe là mon plus gros biais sur cette lecture : ce livre est-il vraiment dérangeant, voire malsain sur certains aspects, j’y reviendrai, ou est-ce moi qui n’ai pas les outils culturels pour comprendre un texte montrant une facette du Japon que je n’ai pas pu saisir ?
Déjà, et c’est une question qui m’est venue en y repensant tout à l’heure, quand est-ce que se passe cette histoire ?
L’auteur est présenté comme un “jeune” auteur très actif sur internet, dont ce livre, mis en ligne en 2018, est le premier. Il a fait son coming-out quelques mois plus tard. Certes. Mais il est “jeune” comment, le monsieur ? Impossible de trouver sa date de naissance… La vingtaine, la trentaine… ? Il est plus que possible qu’il ait exorcisé, avec ce récit, sa propre jeunesse. Mais ce n’est rien de dire que ce récit n’a absolument pas le même sens, ni la même portée, s’il se passe il y a 5 ans ou s’il se passe il y a 20 ans. Car, si je ne nie absolument pas les difficultés que traversent encore les jeunes LGBTQ+ aujourd’hui au Japon, on est quand même pas du tout dans le même monde qu’il y a 20 ans.
Ce décor sonne étrangement “vieillot” pour moi, en tout cas, de ma vision de Française. Queen, le sida, cette image très glauque et quasi sans espoir de la vie des gays… Sérieux, on se croirait revenu dans les années 90 avec leur florilège de drames mettant en scènes des homos (sidéens ou pas). J’ai beaucoup de mal à croire que le Japon en soit encore là et, même si je ne nie pas du tout, encore une fois, que ce vécu puisse être réaliste et vraiment refléter certains parcours de jeunes gays, je ne puis par contre que déplorer sa noirceur, malgré sa fin “ouverte”.
Résumons donc : il y a en tout et pour tout 4 homosexuels dans cette histoire.
Jun, le narrateur, n’est en rien tout blanc. Beaucoup de ses décisions sont très discutables et il est par moment à baffer. J’avoue avoir eu du mal à m’attacher à lui tant le récit ne nous le rend pas particulièrement sympathique. Mais bon, il reste un ado paumé qui se dépêtre comme il peut entre ses désirs, son propre mal-être et les pressions sociales.
Son amant est un homme qui a l’âge d’être son père et qui évacue ses fantasmes envers son propre fils en couchant donc avec un garçon du même âge que ce dernier. Même si Jun assume son goût pour les hommes mûrs, ça n’en dédouane absolument pas cet homme du côté profondément malsain de la relation. Et je ne parle même pas du fait qu’il se permet au moins une fois de sauter le-dit jeune homme sans préservatif (parce qu’ils n’en ont plus), alors même que ce dernier lui dit NON sans ambiguïté possible. Ça s’appelle un viol. Sans plus d’ambiguïté. Et ce n’est rien de dire que ça n’aide pas dans la balance. Cet homme est donc présenté clairement comme un pervers.
En troisième, nous avons le fameux Mister Farenheit, aka mon plus gros problème dans ce livre. Mister Farenheit est donc une personne que Jun rencontre en ligne et avec lequel il parle très régulièrement, un jeune gay, qu’il pense plus âgé que lui, séropositif après avoir été contaminé par son cousin dont il est amoureux, cousin qui est aussi bien plus âgé que lui. Il assume cette contamination, arguant que c’est lui qui a sauté sur son cousin. C’est déjà bien glauque, mais ce n’est pas le pire.
Lorsque le fameux cousin décède, Mister Farenheit explique à Jun que sa famille lui a interdit d’assister à ses funérailles, le scandale de sa relation (connue à cause de la maladie) étant réel. Il lui demande aussi, quand lui mourra, de faire quelque chose pour lui. Jun accepte et Mister Farenheit se suicide donc un peu plus tard, préférant rejoindre son amant en Enfer que de gagner le Paradis sans lui en se laissant mourir naturellement (ça, j’admets, dit comme ça, c’est touchant). Bon, la barque commence à être bien chargée, mais croyez-moi ou pas, ce n’est toujours pas le pire.
Le pire, c’est que quand Jun se rend enfin chez son ami pour exhausser son vœu, il découvre que Mister Farenheit était un collégien.
Donc, là, on inspire un grand coup et on analyse : on nous raconte donc qu’un collégien a été contaminé par un de ses cousins, adulte, qui savait qu’il était porteur du virus. Ce collégien est désigné comme seul responsable de ce qui lui est arrivé, puisque c’est lui qui a provoqué ce rapport sexuel non protégé avec cet homme. Contamination qui va donc conduire à son suicide, suite au décès de l’adulte en question.
Là, NON.
Le quatrième gay de ce livre est juste un pédophile qui a consciemment sauté un gosse sans même prendre la moindre précaution. Il n’y a rien d’autre à dire. N’expliquez pas que “oui mais c’est le gamin”, ou autres merdes pseudo-romantiques malsaines, c’est juste NON. Dans cette situation, le seul responsable, c’est l’adulte. POINT. C’est lui qui sait ce qui se passe, c’est à lui de dire non. Je sais que certains jeunes gens peuvent avoir des velléités à coucher avec des adultes. C’est une réalité indéniable. Les hormones, ça chauffe, à ces âges, c’est vrai, et ces jeunes personnes n’ont souvent pas conscience de jouer avec le feu. Mais encore une fois, lorsque quelque chose se passe, c’est parce qu’un adulte n’a pas su dire non, n’a pas su, lui, garder fermées les barrières dont il ne peut ni ne doit ignorer l’existence.
Et ce fait-là n’est même pas évoqué dans le roman.
La propre mère de Mister Farenheit est plus désolée par le fait que son fils était gay que par le fait qu’il ait été victime d’un pédophile. Le mot pédophile n’est pas prononcé.
Pitié, ne me dites pas que ça ne choque que moi ?
Alors, on en revient à la question du biais. Je sais bien que le Japon n’a absolument pas la même vision que nous sur ces questions, ni la pédophilie, ni le sida, ni même le suicide. Je sais aussi que la question du shotacon/lolicon est encore floue et que les lois sur les agressions sexuelles et les viols n’ont évoluées que très récemment (2017, quand même, pour que le viol ne soit légalement plus restreint à une pénétration vaginale par un pénis. On va dire qu’il était temps !).
Je veux donc bien admettre que ma vision de la chose soit culturellement biaisée. Mais par contre, que ça n’ait l’air de déranger personne, que l’éditeur français ne se fende même pas d’un avertissement, euh, là, quand même, ben bof quoi…
Ce récit dépeint sans doute une certaine réalité, très sombre, et que je souhaite datée. Ce n’est pas cette noirceur qui me dérange, en fait, mais bien plus le fait que rien dans le récit ne vienne la contrebalancer.
Si j’aime bien les happy ends, surtout en ce moment, je n’en fais pas non plus une obligation. Ça ne m’empêche pas de trouver dommage qu’un récit sorti en 2018 ne montre pas une lumière au bout du tunnel, réduisant les gays à des pervers ou des victimes sans rien montrer d’autre pour nuancer un peu le propos. Car non, la fin “ouverte” n’est pas du tout suffisante pour moi à ce sujet.
Encore une fois, j’ai vraiment eu l’impression de repartir il y a 25 ou 30 ans (déjà…), lorsque les récits mettant en scène des personnages gays étaient souvent des drames affreux ne leur offrant que rarement le salut. Récits décrivant aussi certaines réalités de ces époques, certes, mais dont justement, on essaye de sortir en présentant des histoires plus positives, non pas pour nier les problèmes, mais pour justement ne pas se complaire dedans et montrer que parfois, ça se finit bien parce que ça doit se finir bien. Que ce n’est pas ces histoires sombres qui doivent être la norme, ni dans les fictions, ni dans la réalité.
On sait que l’image des minorités dans la culture en général est un vecteur primordial de leur reconnaissance et de l’évolution de leurs droits. On sait qu’un enfant, un ado membre d’une minorité a besoin de représentations positives de ce qu’il est pour se construire lui-même comme adulte sain.
Qu’un livre sorti en 2018 réduise les gays à des pervers ou des victimes de pervers me pose donc sérieusement question, ne serait-ce que sur l’image que le Japon a encore des gays. Mais je sais que c’est compliqué, même si les choses vont dans le bon sens.
Qu’un éditeur français le sorte sans un avertissement concernant a minima le traitement de la question de la pédophilie aussi me pose sérieusement question.
En conclusion, Je ne suis pas un gay de fiction est un témoignage intéressant, indéniablement, mais tout aussi clairement problématique.
Je serais très curieuse d’avoir votre avis si vous l’avez lu, et désolée pour le pavé ^^’ !
Sur ce, prenez soin de vous et bonne semaine à tous ! 🙂