Mémoire de Glace – Nouvelle de Noël 2024

Synopsis : Dans un royaume où règne la paix, une lugubre prédiction force le roi et surtout son frère à partir à la recherche de très vieux secrets…

 

Mémoire de Glace

Nouvelle de Noël 2024

 

 

La neige tombait doucement et la grande cité de Samar était calme et silencieuse, ce matin-là. Le jour avait peiné à se lever et il ferait sans doute sombre toute la journée, mais ça n’allait pas empêcher les habitants de la capitale de vaquer à leurs occupations dans la bonne humeur, totalement inconscients du danger qui guettait.

À l’abri derrière ses hauts remparts, la ville était belle et prospère et ses gens heureux. Le royaume de Samaria était en paix depuis si longtemps que pour son peuple, le concept même de guerre était abstrait. Son armée, malgré tout professionnelle et bien entraînée, tenait ses frontières sujettes à de fréquentes escarmouches, mais n’avait pas connu de conflit de grande ampleur depuis fort longtemps, elle non plus. Tout au plus avait-elle aidé un pays allié à mater des bandes de pirates un peu trop zélées une quinzaine d’années plus tôt.

Dans le château-forteresse qui surplombait la ville, l’ambiance n’était guère plus à l’inquiétude. Les jardiniers profitaient de l’hiver pour réparer leurs outils, les servantes et serviteurs vaquaient à leurs tâches, les cuisinières étaient ravies d’avoir reçu de belles truites qu’elles allaient pouvoir préparer avec soin pour le déjeuner.

Dans la bibliothèque, grande pièce aux hauts murs de pierre couverts de non moins hautes étagères remplies de livres, calme et silencieuse, où seule une grande baie vitrée donnait sur l’extérieur, et où une seule grande cheminée apportait un peu de chaleur, un jeune homme aux fins yeux gris, brun aux cheveux courts, lisait, assis à une table, non loin de ladite cheminée. Vêtu d’une longue robe blanche en tissu épais, composée d’une tunique longue et ample, nouée à la taille par une ceinture de cuir, et recouverte d’un long scapulaire de même couleur, même si brodé d’argent au niveau de la poitrine, il était silencieux, concentré sur le livre qu’il avait ouvert devant lui. Sa main droite, accoudée au bois sombre, caressait ses lèvres et son menton alors que la gauche jouait sans qu’il en ait conscience avec la chaîne du pendentif qu’il portait au cou, une fleur à neuf pétales d’un rouge vif en son centre et plus sombre sur les bords.

Le maître des lieux, plus âgé et barbu, le regarda avec bonté, en remettant du bois dans le feu.

La grande porte s’ouvrit en un léger grincement. Une femme assez jeune, vêtue d’une robe de laine verte aussi élégante que chaude, ses cheveux joliment tressés autour de son crâne, entra et, après avoir un instant cherché du regard, rejoignit la table. Son occupant leva le nez vers elle, souriant, et elle s’inclina avec respect avant de lui tendre l’objet de sa venue, une lettre scellée :

« Mon seigneur, dit-elle, nous venons de recevoir ceci. La nature du sceau et le symbole du vent tracé sur l’enveloppe nous ont portés à croire que le message était important, aussi avons-nous décidé de vous le porter sans attendre. »

Il regarda la chose et hocha la tête. Le sceau du Vénérable, l’abbé du Monastère des Monts Brumeux et la marque de l’urgence. Inhabituel, pour le moins. Il hocha la tête et lui sourit à nouveau :

« Ça m’en a tout l’air, effectivement. Merci beaucoup. »

Elle s’inclina à nouveau et se retira.

Intrigué plus qu’inquiet, le jeune homme décacheta avec soin la missive pour en prendre connaissance sans attendre. À nouveau, sa main droite caressa ses lèvres alors qu’il découvrait avec autant d’intérêt que de gravité la demande de son ancien mentor, le Vénérable Shayne, responsable sinon du plus grand, au moins du plus vieux temple de leur déesse que comptait le royaume.

Sa lecture finie, il resta pensif.

Une bien étrange requête qu’on lui présentait là…

Il fit la moue.

Il se demandait que faire de cela lorsque la porte s’ouvrit à nouveau, sur un garde, cette fois, qui le rejoignit rapidement et déclara sans attendre :

« Mon seigneur, notre roi vous demande au plus vite au Conseil. »

Le jeune homme hocha la tête et se leva immédiatement, alors que le bibliothécaire s’approchait pour lui demander aimablement s’il souhaitait qu’il range le livre ou s’il reviendrait continuer sa lecture plus tard.

« Vous pouvez le ranger, Maître, merci infiniment.

– Je suis à votre service, mon prince. Ma porte vous est toujours ouverte, répondit l’homme en s’inclinant.

– Merci, Maître. Passez une bonne journée. »

Gardant son courrier à la main, le jeune homme suivit donc sans plus attendre le garde nerveux. Puisqu’on y invitait au conseil royal, y exposer la demande aux autres membres ne pourrait nuire.

Les couloirs du palais étaient calmes. Les quelques serviteurs et servantes qu’ils croisèrent s’inclinèrent avec respect, lui les salua aimablement. Sortant pour prendre un escalier extérieur couvert afin de descendre d’un étage, le prince se dit que cette neige était très belle et le calme qu’elle apportait des plus apaisants.

Arrivés au premier étage du palais, ils rentrèrent à nouveau à l’intérieur et, via un couloir large décoré tout au long de statues en pied des souverains et souveraines précédents, au sol couvert d’un tapis bordeaux aux bords dorés, ils finirent par arriver devant une double porte qui n’avait rien de monumental ni de remarquable, si ce n’était son bois sombre et la gravure admirablement ciselée du symbole de la couronne, un aigle aux ailes dressées encerclant une fleur à neuf pétales.

Le garde frappa et aussitôt, la porte s’ouvrit sur un petit homme dégarni qui, voyant qui arrivait, s’écarta aussitôt en s’inclinant. Le nouveau venu le salua d’un hochement de tête souriant, remercia de même le garde qui répondit en se mettant au garde à vous, et le jeune homme entra sans plus de formalités dans la pièce, ou plutôt sa petite antichambre, pour y être accueilli par la voix grave et énervée de son souverain :

« Bon sang, mais ce n’est pas ça le problème ! »

Interloqué, bien qu’il soit habitué aux sautes d’humeur royales, le jeune homme prit un instant pour regarder qui se trouvait là.

La pièce n’était pas immense. Face à lui, un mur percé de trois grandes fenêtres, sur les côtés et le mur qui leur faisaient face, des étagères couvertes de livres très divers. La longue table qui occupait l’endroit était recouverte d’une nappe claire brodée de feuilles, de fleurs et d’oiseaux. Y étaient posées des tasses de thé que les personnes assises là avaient plus ou moins bues.

Au bout de la table, devant lui, se trouvait le roi, un grand homme de presque 40 ans, brun, fort, vêtu, comme souvent, d’une chemise blanche, d’un pourpoint brodé de carmin la recouvrant, noir comme son pantalon et ses hautes bottes. Bottes qui étaient boueuses, preuve qu’il était venu en urgence ici.

À sa droite, sa reine, belle et droite, dans une superbe robe de soie rouge brodée d’or, ses longs cheveux auburn tressés en partie en une tresse au-dessus de son front, le reste libre sous le voile fin qui couvrait sa tête.

À sa gauche, la générale en chef des armées, femme plus petite de 37 ans, aux courts cheveux bruns, qui, elle, portait une chemise simple sous une veste de laine noire, un pantalon brun et des bottes elles aussi salles. Sans doute avait-elle été tirée de son entraînement matinal. Près d’elle se trouvait un vieil homme bien vêtu, mais qui semblait à moitié endormi, personne face à lui, puis un autre, plus jeune et au crâne rasé, portant une robe dorée et verte, qui semblait bien plus nerveux. Les autres, une femme âgée et grave, une plus jeune et inquiète, et un autre homme entre deux âges à l’air las, semblaient attendre. Dans un coin, une servante, postée à côté d’une petite table roulante où étaient déposées plusieurs théières, attendait, droite.

Le roi reprit avec la même colère, s’adressant visiblement à l’homme au crâne rasé, ramenant l’attention du prince sur lui :

« La question de nos péchés et d’une soi-disant colère divine est hors de propos, Heliphas ! Le retour du Serpent Sombre n’a rien à voir avec ça ! »

Le jeune homme retint mal un sursaut, stupéfait à ces mots. Il fronça un sourcil en regardant le courrier qu’il avait en main.

À ce niveau, la simple idée de coïncidence était irrecevable…

Heliphas reprit pourtant en contenant comme il pouvait son irritation :

« Et pourquoi maintenant, dans ce cas ?…

– Sans doute parce que le temps a fait que le sceau magique qui le retenait depuis cinq siècles a cédé. » répondit très calmement le prince en avançant enfin, les faisant tous sursauter, à l’exception de la générale qui l’avait entendu et lui jeta un œil par-dessus son épaule avec un sourire en coin.

Le roi se tourna vers lui :

« Ah, te voilà, Ænerys…

– Bonjour, mon frère. Que de colère en un jour si calme.

– La situation est grave, assis-toi, lui répondit avec un soupir son aîné.

– J’ai cru comprendre, oui, le rassura Ænerys en venant s’asseoir à la droite de la reine. Bonjour à vous tous et toutes. »

Le reste de la tablée le salua avec plus ou moins d’énergie et de sympathie, et l’agacement accru d’Heliphas ne fit de doute à personne.

Le roi inspira profondément pendant que la servante approchait du prince avec la table roulante pour lui proposer du thé. Il choisit et la remercia aimablement. Elle le servit, s’inclina et alla resservir la plus vieille des femmes qui lui avait fait signe.

Le roi reprit plus calmement :

« L’Oracle du temple de la Lune a eu cette nuit une vision très alarmante. Comme tu l’as entendu en entrant, elle a prédit le retour du Serpent Sombre. »

Ænerys, qui respirait avec un sourire les effluves délicats de son thé, hocha la tête :

« A-t-on un délai plus précis ?

– Pas vraiment… Enfin si, elle a aussi vu une éclipse. D’après ses paires, la prochaine d’envergure est prévue dans 19 mois.

– Voilà qui nous laisse un peu de temps. »

Ænerys but une gorgée de thé, paisible, et la générale eut un nouveau sourire :

« On ne peut pas dire que cette nouvelle t’alarme beaucoup. »

Le jeune homme posa sa tasse :

« Non, tu as raison, Fianna. Il est même possible que j’aie même une solution qui réglerait également la question que je me posais de mon côté. » répondit-il en tendant la missive au roi.

Ce dernier la prit et fronça les sourcils en se mettant à lire. Ænerys commença à expliquer avec la même sérénité :

« J’ai reçu ce matin une lettre du Vénérable du Monastère des Monts Brumeux.

– Quel rapport ? » demanda sèchement Heliphas.

Le roi s’accouda d’un bras à la table en fronçant les sourcils plus fort.

« Qu’est-ce que ça a à voir… » marmonna-t-il en poursuivant rapidement sa lecture.

Fianna avait croisé les bras, cherchant dans sa mémoire.

« Il avait une requête un peu particulière, en réponse à une mission que je lui avais confiée lorsqu’il a été nommé l’an dernier, continua Ænerys en reprenant sa tasse. Il a été un peu au-delà de ce que j’avais demandé, mais cela pourrait nous aider. »

Le roi finit et posa la lettre, toujours sceptique, avant de demander :

« Pardonne-moi, mais je ne vois vraiment pas ce que Worpal vient faire là-dedans… »

Alors que l’évocation de ce nom avait surpris ou apeuré le reste de la table, Ænerys, qui buvait, posa à nouveau sa tasse avec calme et un sourire :

« Tu as définitivement trop somnolé pendant les cours d’histoire de nos maîtres, mon frère.

– Ça, c’est vrai que ce n’était pas ta matière préférée, ajouta la générale, goguenarde et le souverain les regarda tous deux avec un froncement de sourcils, cette fois amusé :

– Dites donc, vous deux… »

La reine souriait, amusée, et posa doucement sa main fine sur celle de son époux pour dire avec douceur et son léger accent chantant :

« Ton frère et ta sœur n’ont pas tort sur ce point. »

Le ton sec de la vieille femme les interrompit :

« Pardonnez-moi, mais pouvons-nous revenir au grave sujet qui nous réunit ? »

Tous la regardèrent alors qu’elle continuait, non moins sévère :

« En quoi le Roi-Sorcier, que son nom soit honni, pourrait nous aider en quoi que ce soit face au grand danger qui menace ? »

Alors que des murmures plus ou moins approbateurs se faisaient entendre à la table, Heliphas, n’y tenant plus, s’exclama :

« Évoquer un si grand fléau comme si de rien n’était n’est pas digne du Premier Serviteur de Kan’Yin ! »

Ænerys lui sourit :

« La colère l’est-elle d’un haut prêtre de Dana ?

– Allons, allons, intervint le roi, coupant Heliphas qui allait répliquer, pas de querelles de chapelles ici ! Notre brave duchesse a raison, l’heure est grave. Alors, puisque tu sembles seul ici à avoir une solution, petit frère, pourrais-tu t’expliquer ? »

Ænerys hocha la tête.

« Bien sûr. Et je vais me permettre un rappel des faits, afin que ceux-ci soient clairs pour chacun et chacune d’entre nous, surtout notre chère Esther qui n’est pas forcément au courant de tous les détails de l’histoire de notre pays, commença-t-il avec un regard aimable à la reine qui lui sourit en retour.

« Le Serpent Sombre, Aapep, est un esprit maléfique, qui corrompt les terres et tout ce qui y vit. D’après les légendes, il serait un rejeton bâtard du Seigneur des Tempêtes. Nous n’en savons pas beaucoup plus, à part qu’il n’est pas d’une essence divine suffisamment puissante pour que le vaincre nous soit impossible. Il est connu pour sommeiller sous terre et, lors de ses éveils, errer sans réel but, mais en détruisant donc tout ce qu’il conquiert.

« Le hasard a voulu que sa route croise Samaria, il y a un peu plus de 500 ans. Face au danger, c’est le prince héritier d’alors, Aslan, qui est parvenu, en réunissant divers compagnons et en trouvant avec eux par quelle magie agir, à repousser Aapep dans les montagnes du nord et à le sceller dans la glace. Mais ils savaient, et ils l’ont dit pour que nous le sachions nous aussi, que ce sceau ne serait pas éternel et que le Serpent Sombre finirait par se libérer. »

Un silence suivit le récit du jeune prince et, après un moment, le roi reprit avec une moue sceptique :

« Je ne vois toujours pas le rapport avec Worpal.

– Qui est-ce, ce Worpal ? s’enquit la reine Esther.

– Un de nos anciens rois, lui répondit Fianna. Il a régné très peu de temps, il y a des siècles, car il est devenu fou et s’est allié à un démon pour devenir un sorcier… Il avait, semble-t-il, acquis de très grands pouvoirs… Les sources le concernant sont assez succinctes. Je ne sais plus trop comment ça a fini…

– Il a été capturé par la ruse, répondit Ænerys. Ses proches savaient qu’il allait finir par détruire le royaume entier, ou pire encore, si rien n’était fait. Ils lui ont tendu un piège.

– Et qu’est-ce qu’il est devenu ? s’enquit encore la souveraine.

– Eh bien, j’en reviens à mon courrier, lui dit son beau-frère. Il a été enfermé dans une cellule du Temple des Monts Brumeux, un lieu béni par ma déesse, où sa magie noire est impuissante, puisqu’il est impossible de le tuer. »

Il y eut un nouveau silence pendant lequel tous réalisèrent ce que sous-entendaient les paroles du prince.

Heliphas se redressa brutalement, regardant avec horreur le prince qui finissait son thé :

« Comment !… Vous voulez dire qu’il y est encore ?! »

Ænerys le regarda sans s’émouvoir de cet éclat :

« Ben oui, je viens de dire qu’on ne pouvait pas le tuer… »

Son regard paisible fit le tour de la table où les autres oscillaient entre la stupéfaction et la terreur, à part le roi qui reprit la parole somme toute assez calmement :

« Bon. Tu as demandé au Vénérable de vérifier que Worpal était toujours là et c’est le cas. Il est en vie malgré que rien ni personne n’ait pénétré la cellule où il était enchaîné depuis des siècles. Le Vénérable a pris sur lui de faire ouvrir la porte et de rentrer. Il nous dit que son hôte, comme il l’appelle, lui semble calme et inoffensif, dans la mesure où, de toute façon, ses pouvoirs potentiels sont toujours bloqués par la protection de Kan’Yin sur ces lieux saints. Il demande donc à pouvoir lui offrir une vie plus décente. Soit. Je ne sais trop qu’en penser pour l’instant, mais je ne vois toujours pas le rapport avec le Serpent Sombre ?

– C’est que tu ne sais pas que Worpal est le nom qu’il a pris suite à son pacte avec le démon, il y a un peu moins de 500 ans. »

Un instant passa encore avant que Fianna ne comprenne et ne le regarde avec étonnement. Le voyant, son jeune frère sourit et répondit à sa question muette :

« Son nom de naissance est Aslan. C’est lui qui a mené le groupe qui a scellé le Serpent Sombre. »

Alors que les membres du Conseil assimilaient l’information, avec encore une fois une grande surprise, Fianna, la reine et le roi échangèrent un regard pareillement grave. Ænerys, pour sa part, fit signe à la servante pour qu’elle revienne lui servir un nouveau thé. Elle s’exécuta prestement et Heliphas, dont le poing serré sur la table tremblait de plus en plus, s’écria :

« Vous ne prétendez tout de même pas aller le libérer ?!

– Il n’est pas question de ça, le coupa le roi avec fermeté.

– Mais il faut bien admettre la maigreur des informations que nous possédons, compléta Fianna en s’adossant pensivement à son fauteuil, croisant les bras.

– Et qu’il est, à notre connaissance, la seule personne apte à, au moins, nous renseigner. » ajouta Ænerys avant de boire une nouvelle gorgée de thé.

Le roi caressa machinalement ses lèvres avant de reprendre, alors que tous le regardaient, guettant sa décision :

« De fait, nous en savons trop peu.

– Vous ne pensez sérieusement qu’un adepte de magie interdite enfermé depuis des siècles puisse quoi que ce soit pour nous ! Worpal n’a été qu’un fou sanguinaire ! s’exclama encore Heliphas.

– Là où Aslan, lui, est décrit comme un homme bon, sage et un héritier très prometteur au trône, il me semble, compléta Fianna.

– C’est absurde ! insista avec la même virulence le prêtre. Il y a forcément eu confusion, les faits datent de si longtemps ! Comment un prince aussi noble d’Aslan aurait-il pu devenir un sorcier aussi effroyable que Worpal ! »

Ænerys lui répondit avec le même sourire :

« Question plus que légitime. Si on allait la lui poser ? »

 

*********

 

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque le roi et sa sœur rejoignirent un salon privé où se trouvait déjà leur jeune frère.

La pièce était petite, à peine trois fauteuils moelleux autour d’une table basse, devant une cheminée où brûlait un bon feu. Aux trois autres murs, la porte, une fenêtre et une grande tapisserie représentant une scène de vie familiale, une reine, son prince consort et leurs deux filles, sans que plus personne ne sache exactement de qui il s’agissait.

Ænerys, qui portait ce soir-là un épais manteau d’intérieur en fourrure grise, lisait un livre ancien, et plusieurs autres étaient posés sur la table basse. Il leva la tête lorsque ses aînés entrèrent et leur sourit :

« Ah, vous voilà.

– Nos excuses, l’ambassadeur de Syxte nous a retenus après le dîner, soupira le roi tout aussi chaudement couvert en s’asseyant.

– Ce vieux filou s’est juré de parvenir à faire baisser nos taxes d’importation avant le Solstice, on dirait, ajouta Fianna, amusée, en s’installant également, elle aussi portant un manteau d’intérieur.

– Ça ne serait pas surprenant venant de lui, s’amusa Ænerys en refermant le livre qu’il lisait. Où en êtes-vous, sinon ?

– De mon côté, commença-t-elle, réunir une petite troupe de personnes sûres n’est pas un souci. L’État-Major peut se passer de ma présence quelque temps.

– Ce n’est pas la saison idéale pour y aller, continua le roi, mais le Monastère des Monts Brumeux n’est pas si haut qu’il soit inaccessible, même avec de la neige. Et nous n’avons pas le temps d’attendre le printemps. Heliphas devait rendre compte de la situation à la Curie de Dana et voir avec ses pairs et le grand-prêtre Bidènos je ne sais trop quoi, parce que ce n’est pas comme s’ils avaient légalement le droit d’intervenir, mais bon…

– Le culte de Dana est important aux yeux de notre peuple, lui répondit Ænerys. Que Ses serviteurs aient parfois les dents longues ne change rien à ça. La Mère de l’Abondance est une force bienfaisante qui ne peut que nous aider dans cette situation.

– J’ai foi en Elle, déclara son frère, mais comme tu le dis, son haut clergé est loin d’avoir Sa bienveillance. Nous devons être très vigilants, dans cette affaire, à ce que la panique ne gagne nos sujets. Si la rumeur du retour du Serpent Sombre ou celle de la libération possible de Worpal se répandaient sans notre contrôle, je gage que beaucoup de gens auraient intérêt à en faire une source de peur et de chaos pour des raisons plus politiques que religieuses.

– Heliphas prétendait que le Serpent Sombre était l’incarnation de la colère des Dieux contre la décadence de nos mœurs, ou quelque chose du genre, ajouta Fianna en retenant un bâillement avant de s’adosser sans grande énergie au fauteuil.

– Un vieux refrain, convint son cadet. Mais toujours aussi vide et insensé. La Curie de l’Ordre de Dana est rongée de querelles internes très dommageables et le grand âge de Bidènos n’y est pas pour rien. Heliphas mène la barque et il est évident qu’il ne se rêve pas seulement grand-prêtre des siens, mais qu’il veut aussi asseoir sa foi comme la première du royaume.

– Ils n’étaient à rien d’y parvenir avant ta nomination, observa Fianna, et ils y seraient sans doute arrivés sans elle. Ça n’enlève rien au ridicule de sa rancœur contre toi, mais ça l’explique. »

Ænerys haussa les épaules.

« Les Voies Divines tracent nos chemins. Si Kan’Yin m’a désigné, resserrant les liens de Son ordre avec la Couronne, c’est ainsi et quoiqu’il en pense, ce n’est en rien pour diminuer le sien. Un humain le ferait, pas une déesse. »

Le roi hocha la tête et se pencha vers son frère :

« Sinon, qu’as-tu trouvé ? »

Ænerys sourit :

« Je n’ai pu me rendre à la bibliothèque de mon ordre, tu t’en doutes, Onidas, vu qu’elle est à deux jours d’ici, mais je leur ai envoyé un message rapide par magie pour que ses gardiennes me transmettent au plus vite les documents qu’elles posséderaient sur les évènements de l’époque, tant sur Aslan que sur le Serpent Sombre et Worpal. Dans l’attente, j’ai été chercher ce que nous avions dans nos murs. Le vieux maître était tout excité et nous avons trouvé plusieurs choses. Déjà, même si nos lignées royales ont connu plusieurs Aslan, il n’y en a qu’un seul dont les dates correspondent à l’attaque d’Aapep et au règne estimé de Worpal. Les informations sont confuses au sujet de ce dernier, son règne aurait duré moins de dix ans en comptant la guerre qui l’a traversé.

– Tu n’as rien de plus ? » questionna le roi, grave.

Ænerys haussa à nouveau les épaules en levant les mains :

« Oui et non. La généalogie nous apprend qu’Aslan était l’aîné d’une fratrie de trois. Il a été marié, mais n’a pas eu d’enfant. D’un autre côté, les annales nous disent que cette période a connu des famines, dues à un mauvais temps persistant. Les circonstances qui ont conduit Aslan à pactiser avec ce démon ne sont pas claires, pas claires du tout. Toujours est-il que lorsqu’il a commencé à mal tourner, c’est son frère cadet, Vanor, qui a pris les armes contre lui. La guerre n’a pas aidé la situation du pays. La noblesse était encore partagée entre le roi et son frère, il y a eu plusieurs batailles jusqu’à ce que le premier n’assassine le second. C’est moins le fait que la méthode, une flèche ensorcelée qui aurait valu au prince une agonie d’une lune entière, qui a choqué les esprits. Aslan, enfin Worpal, est parvenu à réunir contre lui jusqu’aux plus fidèles serviteurs du trône. Comme je le disais ce matin, un complot a été ourdi contre lui, avec l’aide d’un de mes prédécesseurs, d’ailleurs, semble-t-il… Peut-être mon ordre en saura-t-il donc plus à ce sujet. Worpal a été capturé et enfermé au Monastère des Monts Brumeux, et c’est son plus jeune frère, Négus, le fondateur de notre lignée, qui est devenu roi.

– C’est succinct, nota Fianna.

– Oui… approuva pensivement Onidas en posant son menton dans sa main, accoudé au fauteuil. C’est étrange qu’une histoire pareille n’ait pas laissé plus de traces…

– Notre royaume était en cendres après ça, expliqua Ænerys. Négus a passé son règne à le reconstruire, à le pacifier, à sécuriser nos frontières, car nos voisins en avaient profité pour rogner une partie de nos terres. Il est mort très vieux et en ayant atteint son but.

– Je me souviens de lui, intervint Fianna. C’est un immense réformateur, c’est à lui qu’on doit entre autres la professionnalisation de notre armée et l’imposition des nobles et des cultes.

– Et sur la lutte contre le Serpent Sombre, on a d’autres informations ? s’enquit le roi.

– Quasi rien, répondit son frère. Aslan était encore prince, c’est sûr. Il a réuni autour de lui un groupe parmi lequel on trouvait un général du nom de Shiron, le grand-prêtre de Kan’Yin qui l’a trahi plus tard, Seamus, ainsi qu’un de ses proches, un noble dont on a que le nom, Nashoba… Les autres ne sont pas nommés, ou alors les quelques sources divergent. Ils auraient voyagé un temps jusqu’à trouver comment vaincre Aapep avant de parvenir, ensuite, à le sceller dans la glace dans les montagnes du nord. Tout en sachant donc que ce sceau n’était pas éternel.

– C’est étrange qu’en sachant ça et en nous le faisant savoir, ils n’aient tout de même pas laissé plus d’informations pour nous aider, remarqua Fianna.

– Oui, approuva Onidas. Ça me questionne également.

– Les traces ont pu se perdre, surtout avec la guerre civile qui a suivi, proposa Ænerys.

– C’est vrai…

– Sinon, j’ai trouvé quelques gravures, regardez… »

Le jeune homme prit un des plus grands livres de la pile et l’ouvrit pour leur montrer, sur une double page, l’illustration ancienne : une armée devant laquelle quelques cavaliers se détachaient, l’un brandissant une épée, et face à eux dans le ciel, un homme chevauchant un dragon qui, s’il n’était pas immense, pas plus long que trois ou quatre chevaux à la queuleuleu, n’en demeurait pas moins impressionnant avec ses pattes griffues et sa gueule ouverte sur ses crocs.

« Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Fianna, très surprise.

– La légende dit que Worpal avait un dragon de glace pour monture.

– Où est-ce qu’il avait trouvé ça ?… se demanda tout haut Onidas, non moins intrigué que sa sœur.

– C’est fou de se dire que les dragons ont disparu de nos terres il y a si peu de temps… dit Fianna, amusée, en prenant le livre pour regarder mieux.

– Nous avons donc un prince courageux et héroïque, devenu un roi-sorcier fratricide qui chevauchait un dragon de glace… Tout un programme. » conclut le roi avec un sourire en coin.

Son jeune frère eut un petit rire :

« J’avoue. Je suis très curieux.

– Je m’inquiéterais si ce n’était pas le cas. Et que vous vous rendiez au Monastère pour aller voir cet homme ne me pose pas de souci. Il faut juste organiser ça comme il faut.

– Je sais, ne t’en fais pas. Je serai patient. Et ça vaut mieux. Je vais aller voir l’Oracle demain. Je verrai si elle a plus de détails. J’espère avoir rapidement des nouvelles des Gardiennes de la Mémoire de mon ordre… Mais nous avons quelques jours dans tous les cas pour voir tout ça tranquillement. »

Onidas soupira :

« Je vous avoue que je ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça… Worpal, enfin, Aslan… Que peut-il rester de lui-même après cinq siècles enfermé seul dans une cellule ?… De quoi se souvient-il ? Vous croyez vraiment qu’il pourrait ne pas avoir complètement perdu la raison ?

– Plus qu’il ne l’avait déjà perdue, tu veux dire ? sourit Fianna en tendant le livre à Ænerys.

– Il est possible que le temps ait détruit ce qui restait de lui, approuva le jeune homme en le reprenant, la remerciant d’un signe de tête. Dans ce cas, il resterait possible d’aller fouiller sa mémoire pour y lire les informations dont nous avons besoin. Ce n’est pas une chose que nous aimons faire, mais s’il le faut, nous n’hésiterons pas. »

Fianna et Onidas eurent la même moue sombre. La magie mentale était très strictement réglementée en Samaria et n’était utilisée qu’en dernier recours, par exemple lorsque des vies étaient en jeu, car elle n’était pas sans dommage pour la personne sur qui on la pratiquait. Comme grand-prêtre de Kan’Yin, Ænerys avait été initié à ces rituels et à bien d’autres. Il était d’ailleurs réputé pour être très doué. Son frère et sa sœur avaient rarement eu l’occasion de le voir à l’œuvre, mais ses maîtres ne tarissaient pas d’éloges sur lui.

Le benjamin ne tarda pas beaucoup plus. Il salua ses aînés et se retira pour aller se coucher.

Resté donc seul avec Fianna, Onidas soupira à nouveau avec un petit sourire :

« Les dieux nous ont quand même donné un bien étrange petit frère.

– C’est vrai… J’ai encore entendu des servantes parler de lui comme d’un Élu Divin, tout à l’heure…

– Ah, encore cette histoire ?

– Oui, je doute que ça le quitte un jour… Un prince né sur le tard, désigné par notre déesse alors qu’il avait à peine cinq ans, aussi surdoué dans ses études qu’il est beau et bienveillant…

– Il est très populaire. Je ne sais plus combien de propositions de mariage j’ai reçues pour lui…

– La comtesse de Patras lui a fait une cour éhontée au dernier bal… Il a été d’une patience incroyable…

– La pauvre, s’il avait déjà eu d’yeux pour une autre femme que Sa Déesse, ça se saurait… »

 

*********

 

Ce même soir, au sanctuaire de Dana, le haut prêtre Heliphas se coucha satisfait et en avait toutes les raisons.

La Curie avait accepté sa proposition et cette histoire allait enfin lui permettre de gagner suffisamment en pouvoir et renommée pour évincer ce fichu gamin et son ordre de doux rêveurs et ramener rigueur et morale dans ce royaume décadent.

Accompagner l’expédition qui se profilait aux Monts Brumeux pour s’assurer que ça soit un cuisant échec pour Ænerys et les siens ne serait pas si dur. Il était de même certain que son ordre trouverait sans mal comment arrêter le Serpent Sombre, car après tout, si les ignorants des siècles passés y étaient parvenus, c’était bien que ça ne devait pas être si dur. Laisser Aapep se libérer, causer juste assez de troubles pour créer une peur chez le peuple et ainsi, s’imposer en sauveurs, eux, lui surtout, lui tracerait un chemin droit au trône de Dana, quitte à le libérer un peu plus tôt que prévu du vieux sénile qui l’occupait encore.

Oui, ce soir-là, Heliphas s’endormit satisfait, se voyant déjà grand-prêtre de Dana, première voix au conseil royal, seul vrai maître d’un royaume où régnerait enfin la loi de la vraie foi.

Aveuglé par son orgueil et sa certitude de servir au mieux l’intérêt de sa déesse et du royaume, convaincu d’être à lui seul la solution de tout, Heliphas était totalement inconscient de n’être lui-même qu’un pion entre les mains de personnes nourrissant de bien plus noirs desseins.

 

*********

 

La neige tombait à nouveau sur la capitale, à gros flocons, deux jours plus tard. Les portes de la ville étaient closes à cause de la tempête qui régnait en dehors de ses murs.

Le temps n’avait pas empêché Ænerys de se rendre au Sanctuaire de Kan’Yin. La neige ne pouvait freiner ses obligations et son devoir de s’assurer que tout y allait bien.

Le grand temple de la Déesse de la Compassion, appelée aussi Celle Qui Entend Les Pleurs Du Monde, ou la Mère de Miséricorde, n’était pas si immense que beaucoup le pensaient. Il était même assez simple et ses décorations, pour belles qu’elles fussent, restaient assez sobres. Son ordre avait de longue date à cœur de ne pas accumuler de richesses inutiles, ceci en accord avec leurs principes de charité et de bienveillance.

Ceci les rendait très aimés de la population, tant des nécessiteux qui savaient pouvoir toujours trouver aide et soutien dans leurs murs que des mécènes, sûrs que leurs donations seraient bien utilisées.

Lié depuis des temps immémoriaux à la Couronne de Samar, le culte de Kan’Yin restait le culte principal du royaume. Même si ce dernier n’était pas fermé aux autres, ceux-ci n’avaient jamais atteint sa notoriété et par là, son pouvoir et son influence. Seul le culte de Dana, la Déesse de la Fertilité et de l’Abondance, Celle Qui Fait Naître Et Pourvoit, était parvenu à s’implanter dans tout Samar, sans toutefois ne serait-ce que faire de l’ombre à celui de Kan’Yin. Il fallait dire que son clergé, masculin et exclusif là où celui de Kan’Yin était mixte et inclusif, ainsi que sa soif bien connue de pouvoir, tout comme ses conflits internes, n’étaient que trop connus de tous. Si de nombreux fidèles étaient sincères dans leur dévotion à Dana, bien peu par contre portaient ses prêtres en très haute estime, particulièrement son haut clergé, surtout depuis que celui-ci avait tenté de s’ingérer dans la nomination du grand-prêtre de Kan’Yin lorsque la déesse avait désigné Ænerys.

Ce jour-là, le grand temple était calme.

À part quelques miséreux qui étaient venus se mettre à l’abri, il n’y avait pas grand monde.

Ænerys ne s’était pas particulièrement fait annoncer, il arriva par une des petites portes de côté et frotta machinalement ses mains gantées en entrant, après avoir abaissé la capuche de sa cape sombre. Il avait aussi une besace en cuir à l’épaule.

Le plan du temple était simple : un grand rectangle avec au fond, une estrade au centre de laquelle se trouvait la haute statue de la déesse, une femme aux formes généreuses, aux bras ouverts pour accueillir qui voudrait, ses yeux clos, car sa compassion était aveugle, et derrière elle, immense, la fleur à neuf pétales dont, selon la légende, elle était née.

Ænerys la vit et sourit, se sentant comme toujours bienvenu en ce lieu.

Il traversa la salle pour aller se signer devant elle, yeux clos et tête humblement baissée, croisant ses mains devant ses lèvres dont nul mal ne devait sortir, avant de les descendre sur son cœur et de les écarter pour en laisser sortir toute sa miséricorde.

Après quoi il rouvrit les yeux et les leva vers elle. Ce n’est qu’à cet instant qu’une prêtresse qui l’avait vu se permit de le rejoindre.

« Bon matin à vous, seigneur Ænerys.

– Bon matin, sœur Iscally.

– Nous allions vous envoyer quérir… Deux Gardiennes de la Mémoire viennent d’arriver, elles souhaitaient vous parler au plus vite. »

Ænerys la regarda, surpris :

« Quoi… ? Deux Gardiennes ?… Elles sont venues par ce temps ?

– Cela nous a surpris également, mais la question semble vraiment urgente. »

Il hocha la tête et la suivit donc sans attendre. Ils sortirent du temple par une petite porte donnant sur un bref couloir débouchant sur le cloître autour duquel se disposaient les divers bâtiments du sanctuaire : dortoirs, lieux de vie, dispensaires… Pour arriver rapidement au réfectoire d’accueil des visiteurs. La pièce était assez grande pour contenir deux longues tables et une belle cheminée. Ses murs de pierre blanche la rendaient lumineuse et accueillante.

Assises à la table la plus proche du feu, deux femmes, portant la robe blanche du culte, mais dont le scapulaire était pourpre et non pas blanc, se réchauffaient en buvant du thé aux épices, sous le regard vigilant d’un grand prêtre à l’air grave et de deux jeunes novices plus inquiètes.

Ænerys les rejoignit rapidement, non moins alarmé :

« Ooooh, par Ma Déesse… Quelle obligation vous a fait venir si vite, mes sœurs ?… »

Reconnaissant l’une d’elles, une femme approchant la soixantaine et dont les cheveux bouclés étaient désormais plus blancs que bruns, il grimaça :

« Sœur Siana… ? Vous êtes venue en personne et malgré la tempête ?… Vous auriez pu vous tuer… »

Siana lui sourit :

« Ne craignez rien, Seigneur, Notre Déesse veillait sur nous. »

Ænerys leva les yeux au ciel avec un soupir, mais n’insista pas. Elle reprit avec la même bonté :

« Ce que nous voulions vous apporter, en réponse à votre demande, ne pouvait attendre. »

Ænerys soupira encore en la regardant :

« Je n’ai jamais demandé que vous vous mettiez en danger…

– Allons, Seigneur, elles nous sont parvenues saines et sauves… intervint le prêtre.

– Mouais. Ben interdiction à elles de repartir tant que le ciel n’est pas dégagé, je compte sur vous.

– Vous pouvez, Seigneur. » lui répondit l’homme avec amusement.

Ænerys hocha la tête et reprit :

« Bien. Prenez le temps de vous réchauffer comme il faut, je vous attendrai dans ma salle de travail. »

Sur ces paroles, il les salua et alla se mettre au travail.

La pièce était petite et fraîche, un jeune novice était en train d’allumer la cheminée.

« Bonjour, Seigneur ! J’ai presque fini.

– Il n’y a pas de souci, prenez votre temps. »

Il y avait là son bureau, son fauteuil, deux autres, plus petits, pour ses possibles hôtes, devant une statue de Kan’Yin à taille humaine sur un piédestal, et deux étagères couvertes de livres et d’autres documents, face à la cheminée. Une corbeille tressée posée sur la table contenait plusieurs courriers. Il posa sa besace près d’elle et retira sa cape. Le novice avait fini, il se releva et s’inclina :

« Voulez-vous du thé et autre, chose, Seigneur ?

– Oui, je veux bien du thé aux épices, merci beaucoup.

– Je vous apporte ça immédiatement. »

Le garçon s’inclina encore avant de sortir et Ænerys s’installa au bureau pour se mettre à l’œuvre après s’être signé à nouveau devant la statue. Il sortit de sa besace le livre et les deux cahiers sur lesquels il avait travaillé au palais, puis prit la panière pour regarder les missives qui l’attendaient.

Rien de particulier, des rapports divers, une demande de fonds pour la restauration d’un petit temple au sud du pays et des nouvelles d’un rassemblement de fidèles à l’ouest. Il nota de transmettre la première aux comptables et rédigea rapidement un petit message de remerciement pour la seconde.

Il en était là et se réjouissait qu’il fasse désormais bien chaud, en buvant du thé, lorsque les deux Gardiennes le rejoignirent. Il remarqua seulement alors qu’elles transportaient un petit coffre d’ébène. Elles le déposèrent avec soin sur le bureau alors qu’il les regardait, curieux.

« Asseyez-vous, je vous en prie, mesdames.

– Ça ne sera pas nécessaire, Seigneur, lui répondit Siana. Notre rôle est accompli, nous devions juste vous apporter ceci.

– Ah ? Qu’est-ce que c’est ?

– Nous l’ignorons. La consigne nous concernant était de le remettre à la personne qui serait à la tête de notre ordre lorsque le Serpent Sombre reviendrait. Nous n’avons rien d’autre de particulier sur l’époque des faits, sinon. Nos annales n’en parlent pas spécialement, à part que les temps étaient durs à cause des disettes et de la guerre civile, même si cette dernière a été brève. Nous avons un ouvrage relatant le règne de Négus, mais il n’évoque ses frères et les circonstances de son accès au trône qu’en quelques lignes. Personne n’a ouvert ce coffre depuis celui de vos prédécesseurs qui l’a rempli et scellé par magie. L’ordre était très ferme là-dessus, sa magie empêchant quiconque de l’ouvrir. Vous seul le pourrez et vous seul devez prendre connaissance de ce qu’il contient. »

Aussi intrigué que mal à l’aise, Ænerys hocha lentement la tête :

« Je vois. Grand merci à vous, dans ce cas, de me l’avoir apporté si vite. Je gage que votre voyage si rapide a dû vous épuiser, allez donc prendre le temps de vous reposer. Je vais m’occuper ce ça tout de suite. »

Elles s’inclinèrent toutes deux :

« Que Notre Déesse vous bénisse, Seigneur. Je souhaite que le contenu de ce coffre vous aide. »

Elles sortirent et lui alla déposer sur la porte la petite pancarte « Ne pas déranger, merci. » avant de retourner regarder l’objet de plus près.

Le coffre n’était pas si grand, ni spécialement beau ou ouvragé et il émanait de lui une magie faible et ancienne, sans doute le sceau qui le tenait inviolé. Ænerys retourna s’asseoir, écarta avec soin ce qui était posé devant lui pour y mettre l’objet. Ce dernier n’était verrouillé que par un petit mécanisme simple, une sorte de puzzle qu’il résolut sans mal. La magie se dissipa. Il souleva le couvercle avec soin et se pencha avant de sursauter violemment en découvrant tout d’abord une dague posée sur le dessus du contenu. Il déglutit avant de la prendre d’une main peu sûre. L’objet était des plus banals : une lame d’acier, certes aiguisée, mais pas spécialement travaillée, un simple manche de bois recouvert d’une lanière de cuir. Aucune moulure ou décoration particulière.  

Il la posa prudemment à côté avant de regarder ce qu’il y avait d’autre, uniquement des documents. Une lettre scellée, épaisse, et un vieux cahier très épais. Il commença par la lettre, qu’il décacheta avec délicatesse.

L’écriture était fine et lisible malgré les siècles passés.

 

« À celui ou celle de mes successeurs qui lira ces mots, je tiens à présenter tout d’abord mes plus sincères excuses, car je vous laisse un bien lourd fardeau qui aurait dû être le mien. Mais, par espoir ou lâcheté, je n’ai pas pu aller au bout.

Est-ce une erreur ? Est-ce un bien ? Tout ce qui est arrivé et arrivera est-il tracé par les dieux ou bien est-ce que je me cherche juste des excuses ? Je l’ignore.

J’ai rassemblé dans ce coffre tout ce qu’il vous faut savoir pour achever ce que nous n’avons pu.

Ce que je vais vous conter ici devra rester secret, n’en parlez qu’à des personnes en qui vous avez une confiance absolue.

Je me nomme Seamus. En ce jour de l’An 879, j’ai désormais 91 ans.

Tout ceci a commencé il y a 52 cycles, à l’été 847, lorsque le Serpent Sombre a attaqué Samar et que l’héritier du trône d’alors, mon disciple, mon ami, mon roi, Aslan, a demandé à son père l’autorisation de s’en charger… »

 

Le thé était froid depuis longtemps lorsqu’Ænerys acheva sa lecture.

Il s’adossa à son siège en se grattant un peu la tête, grave et pensif.

Tout ceci s’annonçait décidément aussi passionnant que dangereux.

Puisses-Tu me guider avec sagesse et miséricorde, ô Kan’Yin…

 

*********

 

Au matin d’un jour qui s’annonçait radieux, dans la grande cour en partie déneigée du palais royal, les domestiques regardaient avec curiosité ou une légère inquiétude ce qui se préparait.

Une petite troupe était réunie, trois chariots, des caisses de provisions et de matériel divers, une quinzaine de cavaliers et cavalières, tous membres de la garde royale, expérimentés, à l’exception d’un tout jeune homme encore écuyer dont ça serait la première mission, alignés à côté de leurs montures. Ils étaient vêtus d’armures de cuir renforcé, marqué sur le plastron des armoiries de la Couronne, l’aigle aux ailes entourant la fleur à neuf pétales de Kan’Yin, sous d’épaisses capes. À leur tête, un homme de 49 ans aux traits anguleux et aux courts cheveux châtains grisonnants vérifiait à cet instant avec autant de sérieux que d’expérience l’équipement et les fournitures. Son bras droit, un homme un peu plus jeune et plus petit, plus svelte aussi, aux cheveux noirs longs, mais rasés en partie sur les côtés de son crâne, tressés ailleurs, et au teint plus cuivré, était près de lui, vigilant. Ses fins yeux sombres ne manquaient rien de ce qui se passait autour d’eux, nul n’en doutait.

« Nyx, tu as vérifié pour les chevaux ? demanda le plus âgé.

– Tous ferrés à neuf, comme tu l’avais demandé.

– Parfait… »

Arrivant devant l’écuyer, qui était le plus nerveux, les deux hommes l’examinèrent comme les autres, mais tout était bon, aussi le quasi-quinquagénaire lui sourit-il :

« Bien, parfait, Ugo.

– Merci, Commandant. »

L’inspection des troupes étant achevée, le commandant les regarda :

« Bien, tout me paraît aller, donc, si à vous aussi, on va charger tout ça dans les chariots. »

Personne n’eut rien à redire et ils se mirent donc à l’œuvre.

Nyx et son commandant prirent soin de ne pas y échapper, jusqu’à l’arrivée, par la porte qui menait dans la ville, d’une calèche transportant Heliphas et son secrétaire, qui, après bien des suppliques auprès du roi, avaient obtenu d’accompagner la mission.

Les deux militaires échangèrent un regard qui en disait long sur ce qu’ils pensaient de ça.

Ils laissèrent donc aux autres le soin de continuer le chargement et s’approchèrent du véhicule quand celui s’arrêta. Nyx observa l’équipage alors que son commandant rejoignait le haut prêtre qui venait de descendre, portant son habituelle robe verte et dorée :

« Vous êtes le haut prêtre de Dana, Heliphas, je suppose ? »

Heliphas le regarda avec dédain des pieds à la tête alors que son secrétaire, un homme mince au crâne rasé, lui aussi, avec de petites lunettes rondes, portant sa sacoche serrée contre sa poitrine, descendait maladroitement derrière lui, vêtu de la même tenue que son supérieur.

« Puis-je savoir qui vous êtes ? »

Le ton méprisant n’émut pas plus le soldat que le regard à moitié dégoûté, qui le fut complètement quand il se posa sur Nyx.

« Je suis le commandant de la garde royale responsable de la troupe qui va vous escorter jusqu’au Monastère des Monts Brumeux.

– Je croyais que Dame Fianna serait là ?

– Oui, et ça ne contrarie en rien notre présence. Bref. Où sont vos bagages ?

– Où voulez-vous qu’ils soient ! Là, dans notre calèche.

– Vous aurez besoin d’aide pour les charger dans nos chariots ?

– Comment ! Mais pourquoi ça, je vous prie !

– Ah, vous pensiez pouvoir faire le voyage avec ça ? »

Nyx intervint alors, les poings sur les hanches et non sans ironie :

« Impossible.

– Et pourquoi, je vous prie ! »

La voix sèche de Fianna lui répondit :

« Parce que ce n’est pas du tout un véhicule adapté pour notre voyage. »

La princesse et générale en chef des armées royales arrivait rapidement, en tenue de voyage : pantalon, bottes hautes, manteau de laine épais, plastron et jambières de cuir renforcé et, bien sûr, arme à la ceinture.

L’ensemble des soldats s’étaient mis au garde-à-vous, le commandant y compris, et ils attendirent qu’elle les y autorise pour reprendre ce qu’ils faisaient alors qu’elle rejoignait Heliphas :

« Je me doute que les expéditions ne sont pas votre spécialité, surtout en montagne, mais votre calèche n’est définitivement pas faite pour autre chose que des trajets en ville. Hors de question, donc, que vous veniez avec elle, et ça sans même compter que nous n’avons pas prévu une bouche à nourrir de plus en la personne de votre cocher.

– Un de vos soldats ne pourrait-il pas…

– Mes soldats ne sont pas là pour ça et encore une fois, de toute façon, ce véhicule n’est pas du tout adapté au voyage que nous allons faire. Donc, comme on a autre chose à faire que de réparer vos essieux ou autre, on va transférer vos bagages dans un des nôtres. Et vous avec, je pense, puisque nous n’avons pas de chevaux pour vous, même si je doute que vous ayez pu chevaucher bien longtemps, surtout dans ces tenues… »

Fianna soupira en secouant la tête alors qu’Heliphas reprenait en tentant de masquer ses tremblements :

« Vous ne prétendez quand même pas nous trimbaler comme de vulgaires caisses de marchandises !… »

Fianna allait répondre, mais fut interrompue par l’arrivée d’un cavalier arrivant au galop de la ville. Ænerys, qui arrêta son cheval noir à leur hauteur en saluant à la cantonade :

« Bon matin, désolé du retard ! »

Sa sœur le regarda mettre vivement pied à terre en répondant :

« Ça va, ne t’en fais pas, nous en sommes à charger les chariots…

– Ah, ouf ! J’avais vraiment peur d’avoir mis trop longtemps !

– D’où venez-vous ? » grommela Heliphas.

Ænerys portait la tenue de voyage de son ordre : une tunique descendant à l’aine, se fendant en deux pans à la taille, un pantalon, le tout blanc et des bottes, sous son épaisse cape plus sombre.

« De grand sanctuaire de Ma Déesse, lui répondit aimablement le jeune homme. Une de mes sœurs a accouché cette nuit, je tenais à la saluer et à accorder personnellement la Première Bénédiction à son enfant. »

Il réalisa brusquement la présence des deux militaires qui regardaient tout ça et un immense sourire éclaira son visage :

« Draco ? Nyx ? C’est vous qui nous accompagnez ?

– Mes respects, mon prince, le salua Nyx avec un sourire discret, mais sincère.

– Bon matin, Seigneur. Notre générale nous a demandé d’assurer votre escorte, effectivement. » répondit le commandant, très droit et qui tendait de contenir le sien.

Ænerys hocha la tête vivement :

« Merveilleux ! Un voyage n’est que plus agréable quand on le fait en bonne compagnie. »

Nyx pouffa et Draco opina en parvenant à se retenir, lui. Fianna eut un sourire en coin rapide et regarda son commandant :

« Bien, occupez-vous de transférer les affaires de nos amis.

– À vos ordres, Madame.

– Mais !… s’écria Heliphas. Il est hors de question que nous voyagions comme de vulgaires sacs de légumes ! »

Fianna leva les yeux au ciel alors qu’Ænerys le regardait sans comprendre. Informé du souci, le jeune grand-prêtre assura ses collègues qu’il n’en serait rien et qu’il était certain qu’on pouvait aménager un des chariots suffisamment confortablement pour eux. Il se fit un devoir d’aller sans attendre voir ça avec eux et les chevaliers qui faisaient le chargement.

La chevaleresse qui supervisait ça, bien qu’un peu surprise de la demande, y répondit cependant sans se faire prier. Même s’il fallait répartir les charges, les organiser pour créer un espace confortable pour deux personnes était tout à fait faisable.

Heliphas restait contrit, mais son secrétaire parut soulagé et ainsi fut fait.

Tout ce petit monde était donc presque prêt à partir lorsque le couple royal et leurs deux enfants vinrent les saluer. L’aînée, jeune adolescente, était droite et digne, imposant déjà respect à ceux qui la rencontraient, alors que son petit frère de sept ans était bien plus vif. Ce fut lui, d’ailleurs, qui courut vers sa tante, tout excité de la voir en tenue de voyage.

Ænerys, qui papotait de l’itinéraire avec Nyx et le jeune Ugo, même si ce dernier, ne le connaissant que très mal, écoutait surtout, leur présenta ses excuses avant de rejoindre son frère, son épouse et sa nièce, qui était restée auprès de ses parents.

« Bon matin.

– Bon matin, mon frère. Nous venions vous saluer.

– C’est gentil, grand merci à vous. »

Fianna et Draco les rejoignirent, accompagnés d’un petit prince tout sautillant.

Laissant sa sœur et le commandant mettre les derniers détails au clair avec Onidas et Esther, Ænerys s’accroupit pour se mettre à la hauteur de son neveu :

« Tu es bien ardent, Carolus.

– C’est vrai que vous allez rencontrer un homme qui avait un dragon comme cheval ? » chuchota l’enfant.

Le sourire d’Ænerys s’élargit et il répondit sur le même ton :

« C’est ce que dit la légende. »

Les yeux du garçonnet brillaient de milliers d’étoiles et son oncle s’enquit, toujours tout bas :

« C’est ton père qui t’a raconté ça ?

– Oui, mais il a bien dit que c’était un secret ! » répondit Carolus en plaquant ses deux index contre ses lèvres.

Ænerys hocha la tête :

« Oui, c’est un secret. Mais si tu veux, tu peux aller demander au maître, à la bibliothèque, il te montrera les livres qui en parlent. »

Quelques galaxies supplémentaires apparurent dans les yeux de l’enfant et son oncle posa à son tour un de ses index sur ses lèvres :

« Mais c’est un secret.

– Promis ! »

Ænerys se releva et caressa la petite tête alors qu’Heliphas approchait pour présenter ses respects au roi.

« Tu seras sage, pendant notre absence ?

– Oui, mon oncle ! »

Carolus courut vers Esther :

« Mère, Mère ! On peut aller à la bibliothèque ?

– Bien sûr, si tu veux. » répondit avec douceur et amusement sa mère.

Une domestique, sortant rapidement du bâtiment, rejoignit non moins vite Ænerys pour lui remettre un sachet en s’inclinant :

« Mon seigneur, voici le thé aux mûres que vous aviez demandé.

– Oh, merci beaucoup, j’allais l’oublier ! » la remercia-t-il chaleureusement.

Onidas souriait également. Après avoir salué le haut prêtre poliment, il regarda ses frère et sœur :

« Bon, il est temps pour vous d’y aller, il me semble.

– Il me semble également, approuva Fianna et Draco hocha la tête. Nous devrions arriver au Monastère des Monts Brumeux d’ici une décade ou une décade et demie, selon le temps et la neige. Nous vous tiendrons informés de nos progrès au fur et à mesure.

– J’y compte bien, j’y compte bien. Bon voyage à vous tous. Que les dieux vous gardent. »

 

*********

 

Construit sur un haut plateau entouré d’imposantes montagnes souvent perdues dans les nuages, le Monastère des Monts Brumeux portait bien son nom.

Depuis la capitale, il fallait partir plein est, sur une grande route qui menait à une grande cité du royaume, de laquelle partait une route déjà moins fréquentée, vers le nord-est et les montagnes. On entrait alors, au bout de quelques heures, par des chemins plus étroits encore, dans une zone forestière déjà bien vallonnée et bien moins peuplée, surtout en cette saison, car les bûcherons comme les mineurs exploitant les filons de charbons locaux vivaient dans les villages jusqu’au printemps.

La nature elle-même était calme et si la troupe apercevait parfois des animaux au loin, ceux-ci gardaient leur distance. Ce qui n’était pas un souci, les provisions ayant été prévues assez largement pour qu’ils n’aient pas besoin de chasser.

Le voyage se passait sans encombre. Les soldats encadraient, vigilants, les chariots et les trois religieux, tant en journée que la nuit, où ils faisaient des tours de garde. Fianna chevauchait avec eux, ainsi qu’Ænerys, car les tentatives de ce dernier de tenir compagnie aux deux prêtres de Dana avaient tourné court, Heliphas refusant obstinément d’approfondir leur relation. Le jeune homme avait pu, lors des premières veillées, parler un peu théologie avec son secrétaire, mais ce dernier, probablement après s’être fait rabrouer par son supérieur, avait refusé sa compagnie rapidement.

Ænerys avait trouvé ça dommage, mais ça ne l’avait pas abattu plus que ça. Les chevaliers étaient sympathiques et appréciaient sa présence et sa conversation, ce qui lui allait tout aussi bien.

La journée, ils voyageaient donc pour s’arrêter à la tombée de la nuit, qui arrivait bien tôt en cette saison. S’ils s’étaient principalement arrêtés dans des auberges au début du voyage, ils devaient désormais camper dans les bois. Ce qui n’était en rien un problème : les militaires étaient rodés à cela. Trouver une zone adéquate, s’y arrêter en installant les chariots en un large triangle, faire un grand feu, monter les tentes et préparer le dîner se faisait tout naturellement et dans la bonne humeur.

Draco et Nyx se faisaient un devoir de participer aux tâches communes et Ænerys, pour sa part, se mit à participer à la préparation des dîners. Il aimait cuisiner et n’en avait que trop rarement l’occasion. Seuls Fianna et les deux autres religieux ne faisaient rien, elle parce qu’elle devait rédiger chaque soir un rapport de la journée, même s’il était souvent bref.

Après le repas, on racontait des histoires jusqu’au coucher. Les plus appréciés étaient celles de Nyx, originaire de lointaines terres au sud, ancien mercenaire qui avait beaucoup voyagé et combattu très jeune avant de rencontrer Draco à la frontière sud et de se lier d’amitié avec lui quelques années auparavant. Draco lui-même avait eu une vie bien remplie : enrôlé jeune également, il connaissait très bien le royaume et était même de ceux qu’on avait envoyés combattre les pirates pour soutenir un pays allié quinze ans plus tôt. Ænerys, pour sa part grand connaisseur des mythes anciens, se plut à leur en conter, ce qui les changea et les intéressa vivement.

Le voyage fut donc plutôt agréable pour tous… À l’exception, bien sûr, des deux membres de l’ordre de Dana qui restaient obstinément à l’écart des autres dans leur chariot.

Au fur et à mesure que les jours passaient, ils s’enfoncèrent dans les montagnes, gagnant en altitude. Il faisait de plus en plus froid, mais la route restait praticable. Le beau temps persistait, leur évitant d’avoir à avancer sous ou dans une neige trop fraîche.

Ainsi donc, après 12 jours de voyage, ils atteignirent le haut plateau où se trouvait leur destination. Le plus dur était fait. Le Monastère était visible au loin, ils y furent le surlendemain en fin de matinée.

Entouré d’une grande enceinte en pierre destinée à le protéger des intempéries plus que d’éventuels assaillants, ce sanctuaire était composé d’un temple en son centre autour duquel se plaçaient les autres bâtiments : lieux de vie et de travail, réfectoire, dortoirs, cuisines, lieux d’étude, ainsi que les étables et les granges. Pour qui pouvait le sentir, c’était le cas d’Ænerys, il était surtout entouré d’une aura de protection extrêmement puissante.

Comme ils n’avaient pas annoncé leur venue, les religieux et religieuses les accueillirent avec surprise. Pas plus choqués que cela, cela dit, flattés, même, que le grand-prêtre de leur ordre ait fait le déplacement, ils allèrent vite quérir le responsable des lieux.

Soulagés d’être arrivés à bon port sans encombre, les chevaliers et chevaleresses avaient posé pied à terre, tout comme leurs supérieurs. Draco souffla et s’étira alors que Nyx regardait autour de lui, aussi curieux que le jeune Ugo, même si bien plus discret que ce dernier.

Les enfants du lieu n’étaient pas moins intrigués par ces inconnus, plus habitués aux pèlerins qu’aux militaires.

Alors qu’on expliquait aux nouveaux venus qu’ils devaient se défaire de leur armement en ces lieux, Shayne, un petit sexagénaire à la fine barbe grise, arriva rapidement, très étonné.

« Mon Seigneur, dit-il aussitôt en s’inclinant devant Ænerys.

– Redressez-vous, mon ami, lui répondit avec amabilité le prince.

– Voilà une visite inattendue… Que nous vaut cet honneur ?

– Nous venions à propos de votre dernier courrier…

– Oh… sursauta le Vénérable, soudain inquiet. Je ne voulais pas vous alarmer…

– Au contraire, se hâta de le rassurer Ænerys. Vous nous avez sans le savoir apporté la possible solution dans une affaire très problématique. Et ne craignez rien de ces gens, ce sont des membres de la garde royale qui ne nous accompagnaient que pour garantir notre sécurité, à moi, ma sœur, ainsi que le haut prêtre de Dana Heliphas et son secrétaire qui nous ont accompagnés. Je vous entretiendrai de tout ça en privé, dès que possible, mais en attendant, notre route a été longue, je pense que tout le monde sera ravi, si ça vous est possible, de nous laver et de nous reposer un peu. »

Même s’il demeurait visiblement sceptique, Shayne hocha la tête et s’inclina à nouveau :

« Bien sûr, Mon Seigneur. Votre escorte ne peut cependant pas aller plus loin entre nos murs avec ses armes.

– Nous allons donc les en délester, approuva Ænerys en regardant sa sœur qui l’avait rejoint et opina du chef.

– Mes respects, Dame Fianna.

– Bonjour, Shayne. Comment vous portez-vous ? Vous avez bonne mine, l’air de la montagne doit vous être bénéfique. »

Le Vénérable lui sourit :

« Cet endroit est un havre de paix où il fait bon vivre. Je ne vous remercierai jamais assez de m’y avoir nommé. » ajouta-t-il pour Ænerys qui hocha la tête à son tour.

Les militaires mirent donc armes et armures dans un des chariots, prirent leur bagage et tous se laissèrent conduire sans attendre aux bains du monastère. Alimentés par une source chaude des montagnes avoisinantes, ces derniers se présentaient comme une vaste salle, en sous-sol, au plafond soutenu par des piliers réguliers, au sol creusé de bassins réguliers, dallés avec soin.

Chevaliers et chevaleresses se baignèrent ensemble sans gêne, la mixité étant de coutume parmi eux depuis toujours avec ce que ça impliquait de proximité pour ce genre de choses. Heliphas et son secrétaire, pour leur part, eurent sur leur demande droit à un petit bain dans une pièce à part.

Les laissant barboter, Fianna et Ænerys, quant à eux, se mirent dans un autre bain de la même grande salle.

« Bien, nous voilà au moins arrivés à bon port. » soupira la princesse en s’accoudant au bord du bassin.

Ænerys, qui se rinçait le visage, lui sourit :

« Oui, et nous y sommes à l’abri. Je savais que ce lieu était protégé par magie, je ne la pensais pas si puissante… Nous ne risquons vraiment rien.

– J’imagine que ce n’est pas par hasard que nos aïeux ont choisi cet endroit pour y enfermer notre homme…

– Non, aucune chance. Mais c’était très bien pensé, un lieu à la fois assez béni de Notre Déesse pour que sa magie y soit impuissante et assez coupé de tout pour qu’on l’oublie…

– C’est vrai.

– Puisque nous sommes entre nous, enfin sans risque d’être entendus, qu’en est-il de nos amis de l’ordre de Dana ?

– Ils ont bien fait quelques tentatives auprès de nos gens pour tenter de les alarmer, en vain. Draco n’a choisi personne au hasard, leur loyauté est inébranlable. Par contre, ils semblent de s’être adressé qu’aux hommes, à part Draco et Nyx, qu’ils ne semblent vraiment pas porter dans leur cœur… Mais même notre jeune Ugo n’a pas marché dans leur jeu. Plus embêtant, ils auraient tenté de lancer des rumeurs dans les bourgades que nous avons traversées… Draco en a vite eu vent et a veillé à ne pas les laisser interagir seuls avec la population, mais il ignore ce qu’ils ont pu dire et à qui.

– Voilà qui pourrait être plus dommageable…

– C’est une de mes craintes. »

Ils se tournèrent ensemble vers le grand bassin de la troupe, où un grand éclat de rire général avait éclaté alors que Draco faisait semblant de se laisser noyer par deux de ses chevaleresses.

« Ils vont pouvoir se reposer, ils l’ont bien mérité, dit Fianna en les regardant avec bonté.

– Oui. Quoi qu’il arrive, qu’ils soient au mieux de leur forme ne pourra pas nuire. » approuva son frère.

 

*********

 

Ce n’est qu’après un bon déjeuner, puis une prière commune au temple pour remercier Kan’Yin de leur avoir accordé sa protection, que Shayne et sa seconde, Anna, une belle femme aux courts cheveux blond cendré de 51 ans, reçurent dans un salon privé Ænerys, Fianna, Heliphas et Draco, afin de s’entretenir avec eux de ce qui les avait conduits en ces lieux. Ænerys avait remis sa tenue habituelle et Fianna, comme Draco, était désormais elle aussi plus communément vêtue.

La discussion se devait d’être le plus confidentielle possible. C’est donc avec ce petit monde installé sur de confortables canapés, devant un bon feu de cheminée, qu’elle eut lieu.

Ænerys expliqua posément à leurs hôtes ce qu’il en était : le courrier arrivé de façon très opinée alors même que l’Oracle de la Lune annonçait le réveil du Serpent Sombre.

À cette annonce, Shayne et Anna sursautèrent de concert et lui se signa alors qu’elle demandait en serrant ses mains l’un dans l’autre :

« Que les Dieux nous viennent en aide… A-t-elle pu dire quand ?

– Un cycle stellaire et demi, environs, lui répondit Ænerys.

– Mais quel rapport y a-t-il avec mon courrier et notre prisonnier ? s’enquit Shayne en fronçant les sourcils.

– Eh bien, de rapides recherches nous ont permis de découvrir que celui qui a été enfermé ici sous le nom de Worpal s’appelait avant ça Aslan et qu’il s’agissait du même Aslan qui avait mené le groupe qui est parvenu à sceller Aapep dans la glace. »

Un silence suivit pendant lequel Shayne resta surpris alors qu’Anna réfléchissait. Fianna reprit :

« Que savez-vous exactement de lui ? »

Shayne se reprit et répondit avec un geste d’ignorance :

« Assez peu de choses… L’ordre disant qui il était et de ne pas entrer en contact avec lui est dans nos archives, chaque Vénérable le transmet à son successeur…

– Pourquoi êtes-vous passé outre, dans ce cas ? Si je ne m’abuse, notre prince vous avait juste demandé de vérifier qu’il était encore dans vos murs, pas d’entrer dans sa cellule ! » questionna brusquement Heliphas.

Shayne et Anna échangèrent un regard et ce fut elle qui répondit :

« Il y avait du bruit, depuis quelque temps, dans sa cellule…

– Quel genre de bruit ? s’enquit plus doucement Ænerys.

– Eh bien… commença-t-elle. Comment dire… Voyez-vous, j’ai toujours vécu ici, hormis durant ma formation de guérisseuse…

– Quel rapport ? la coupa sèchement Heliphas.

– Laissez-la parler, voulez-vous. » le rabroua Fianna avec sévérité.

La prêtresse les regardait l’un l’autre et reprit comme Ænerys lui faisait signe :

« La cellule où est enfermé Worpal est au rez-de-chaussée d’un bâtiment qui était autrefois un dortoir, pour ce qu’on en sait, et servait désormais de lieu de stockage. C’est en voulant le nettoyer et faire du tri qu’il y a plus de deux cycles et demi, au printemps, certains ont entendu du bruit… Des bruits d’oiseaux, de poussins… Mais aussi une voix faible et étrange… Or, personne n’avait rien entendu, jamais, aussi loin que remonte la mémoire de nos anciens… Nous nous en sommes ouverts au Vénérable d’alors, mais il n’a rien voulu savoir et s’est contenté de faire condamner l’endroit, en nous faisant remplir tout l’étage de rochers et de gravas… C’est lorsque, il y a quelques mois, Shayne s’est ouvert auprès de moi de votre demande, mon prince, que je lui ai expliqué.

– Et que nous avons donc décidé d’en avoir le cœur net, acheva le prêtre.

– Je vois, dit pensivement Ænerys en caressant ses lèvres et son menton. Et ensuite ? »

Shayne continua :

« Le bâtiment était très encombré et libérer un passage vers notre but a été long et fastidieux… Mon prédécesseur avait vraiment tout fait pour le rendre inaccessible… Lorsque nous y sommes enfin parvenus, nous avons bel et bien entendu des croassements et également une voix, faible et rauque, mais réelle.

– Nos gens étaient effrayés… ajouta Anna.

– Oui, mais je les ai vite rassurés. Entre nos murs, de par la volonté de Celle que nous servons, quel qu’il soit, cet homme ne pouvait rien. La porte portait encore les runes qui l’avaient scellée. La clé était en ma possession, léguée avec l’ordre dont je vous parlais. J’ai donc voulu en avoir le cœur net. J’ai autorisé tous ceux qui le voulaient à partir. Ne sont restés qu’Anna, une des plus âgées de nos sœurs, moi et notre forgeron, un grand gaillard qui n’a peur de rien… Nous avons ouvert la porte sans mal, étrangement. La serrure était comme neuve… La porte ne grinçait même pas, c’est assez bizarre, au vu du temps passé…

– Sans doute la magie devait-elle les garder intacts, pensa tout haut Draco.

– Ça serait logique, approuva Fianna alors que son frère croisait les bras en hochant la tête lentement, inhabituellement grave.

– Et donc, qu’y avait-il dans cette cellule ? interrogea encore Heliphas.

– Deux nichées de corbeaux et notre ami, lui répondit Shayne, visiblement toujours ému à ce souvenir. Aucune ouverture à part une fenêtre à barreaux, il y faisait très froid… Les oiseaux étaient sur la gauche et étaient vigilants, mais nous ne nous en sommes pas approchés et eux non plus… Et notre homme, face à nous, à droite… Assis au sol, contre le mur… Il m’a semblé dormir debout… Ses chaînes étaient brisées, il n’en gardait que les menottes, aux poignets et aux chevilles… Ses vêtements aussi étaient en lambeaux, et ses cheveux, comme sa barbe, hirsutes… Mais il était bien vivant, même pas particulièrement maigre… Il a des cicatrices, ça oui, mais ça doit dater d’avant et sinon… Il n’a pas particulièrement dépéri.

– Qu’a-t-il dit ?

– Ce jour-là ? Rien. Il nous a regardés, l’air surpris, peut-être, c’est difficile à dire… »

– Et depuis ? » demanda à son tour Ænerys, toujours aussi sérieux.

Shayne sembla un peu inquiet, à nouveau, et ce fut Anna qui répondit :

« Notre vieille sœur et moi nous nous sommes permis d’aller le laver, le coiffer et le raser, de lui retirer ce qui restait de ses chaînes, de lui fournir des habits chauds et un lit plus confortable…

– C’est tout ? s’enquit Ænerys.

– C’est déjà bien trop, grommela Heliphas.

– C’est tout, oui, confirma Shayne. J’attendais votre réponse à mon courrier pour le reste.

– A-t-il parlé, depuis ?

– Un peu, lorsqu’on le lavait et qu’on le coiffait, déclara Anna. Mais ce n’était pas très cohérent et sa voix était très faible. Il me semble avoir entendu quelques noms, Négus, Nashoba, Seamus… Et il se demandait en quelle saison nous étions… Depuis, certains rapportent l’avoir encore entendu parler aux corbeaux, aussi. »

Ænerys plaqua ses mains l’une contre l’autre devant son visage, réfléchissant. Draco était dubitatif, tout comme Fianna. Shayne et Anna étaient un peu nerveux, appréhendant la suite. Heliphas, lui, restait plus que méfiant.

Ænerys reprit, grave, en croisant ses doigts sur son ventre :

« Bien. Nous n’avons pas le choix de toute façon, nous devons l’interroger. La situation est trop grave, nous devons savoir comment ses amis et lui ont fait pour sceller le Serpent Sombre. »

Il ajouta, sombre, lui aussi :

« S’il ne peut nous le dire, j’irai chercher dans ses souvenirs. Mais nous ne pouvons pas faire autrement. »

La grimace de Shayne et Anna à ces mots n’échappa à personne, mais eux aussi savaient bien que le prince avait raison.

Décidant de ne pas perdre plus de temps, ils partirent donc pour rejoindre l’endroit où était enfermé celui qu’on appelait le roi-sorcier.

Le bâtiment était très ancien et il était clairement à l’abandon. Ses murs de pierres, du rez-de-chaussée au second étage, étaient encore là, mais au-dessus, il ne restait pas grand-chose ce que qui avait dû être des constructions en bois.

Les habitants du sanctuaire les regardèrent y aller avec un intéressant mélange de curiosité et d’effroi. Certains se signaient, d’autres, surtout les plus jeunes, auraient plutôt bien aimé les suivre. Plusieurs des combattants de la garde royale se positionnèrent dans les parages, vigilants, et le regard que Draco échangea avec Nyx était clair. Ni eux ni aucun des membres de la troupe n’avaient réellement besoin d’une arme pour mettre un ennemi à terre.

Une vieille religieuse aussi ronde qu’elle avait l’air revêche, appuyée sur une canne en bois, se trouvait à l’entrée du bâtiment. Il s’agissait de celle qui avait assisté à l’ouverture et aidé Anna à laver le prisonnier. Inquiète du sort qu’on lui réservait, elle demanda à se joindre à eux. Fianna et Draco étaient circonspects, mais Ænerys l’y autorisa de bon cœur.

Ils entrèrent donc dans le bâtiment, Draco portant une torche et la vieille une lanterne. Ce fut elle qui les guida à l’intérieur.

L’endroit avait été bien déblayé, mais uniquement pour libérer une route entre ce qui avait été une pièce d’accueil et, à droite, un long couloir qui, tournant, menait à ce qui avait dû être une rangée de cellules monacales. Il n’était pas dégagé jusqu’au fond, simplement jusqu’à une porte à l’air de fait étonnamment neuve, alors qu’il ne restait pas grand-chose des autres.

Shayne la déverrouilla avec nervosité, et, voyant Anna serrer ses mains l’une dans l’autre, non moins inquiète, Draco la regarda avec gêne et hésita avant de se pencher pour lui dire tout bas :

« Soyez sûre que nous ne lui voulons vraiment pas de mal… »

Elle le regarda avec surprise alors que devant eux, Heliphas, énervé, car réellement anxieux, s’écriait :

« Bon sang, mais ouvrez donc, on ne va pas y passer le Solstice !

– Chhhht ! » le rabroua gentiment Ænerys en fronçant un sourcil, mais avec un sourire, en collant son oreille à la porte.

Il attendit un peu avant de se redresser :

« Vous allez leur faire peur… »

Il tendit la main à la vieille qui le regarda un instant et grommela avant de lui tendre sa lanterne. Il la prit, le remercia et poussa la porte, qui s’ouvrit effectivement sans un bruit.

La scène était des plus étranges.

La cellule était plus grande qu’il ne l’avait pensé. Obscure, car à cette heure, sa fenêtre était à l’ombre, elle était bien occupée en partie par une petite colonie de corbeaux, à sa gauche. Quelques nids, plusieurs poussins et des adultes, les premiers apeurés, les seconds sur leurs gardes. Le sol était en terre et il faisait effectivement aussi froid qu’au-dehors, le vent en moins.

Face à l’entrée, assis sur une paillasse, dos contre le mur et jambes tendues par terre, un homme visiblement occupé à jouer, peut-être, avec un des oiseaux noirs. En tout cas avait-il la tête tournée et la main tendue vers un volatile qui s’envola pour rejoindre les siens quand la porte s’ouvrit.

La main retomba et la tête se pencha un peu.

Ænerys s’approcha lentement.

Il était impossible de donner un âge à celui qui lui faisait face. Était-ce à cause de ses cheveux argentés, très pâles ? Ses traits n’étaient pas particulièrement marqués et il semblait grand, mais n’était en effet pas particulièrement maigre. Sa barbe avait un peu repoussé et ses cheveux courts étaient ébouriffés. Son regard, clair et vague, ne se tourna vers son visiteur que lorsque ce dernier s’agenouilla doucement devant lui. La tête suivit le mouvement des yeux qui errèrent un moment, regardant sans sembler voir, jusqu’à ce qu’ils ne se fixent sur le pendentif que portait le grand-prêtre, cette fleur rouge à neuf pétales.

Draco et Fianna étaient entrés sans un bruit et restaient à distance. La vieille, elle, vint derrière Ænerys, l’air toujours aussi renfrogné. Les autres restèrent dehors, Anna et Shayne regardant ce qui se passait, le même air inquiet au visage.

La main tremblait lorsqu’elle se leva lentement pour venir frôler le médaillon du bout des doigts. Les yeux bleu-vert, très pâles, semblèrent reprendre un peu vie. Ils se levèrent vers le visage du prince, suivant la main, glaciale, qui caressa sa joue.

La voix était rauque lorsqu’elle murmura :

« … Oh. … Seamus est mort, alors, lui aussi… ? »

Ænerys frémit et déglutit avant de répondre d’une voix qu’il voulut aussi aimable qu’il le pouvait :

« Oui, il y a longtemps. »

Le regard clair sembla vaciller, mais Ænerys ne lui en laissa pas le temps :

« Seigneur Aslan… ? »

Le sursaut fut infime, mais néanmoins réel. Ænerys posa une main tremblante sur celle, incroyablement froide, qui caressait à nouveau son pendentif.

« Vous n’avez pas froid ?…

– Non. »

Ænerys grimaça un sourire.

« Vous êtes gelé…

– Ah ?

– Oui… »

Il y eut un silence.

« Seamus est mort aussi… Je me demande qui il reste encore… »

Le sourire forcé d’Ænerys s’attrista :

« Plus que vous, j’en ai peur.

– …

– Je m’appelle Ænerys. Je suis le frère du roi Onidas et également le grand-prêtre de Kan’Yin, comme vous l’avez deviné. »

Le regard clair se perdit encore.

« Négus avait deux filles… »

Il y eut un nouveau silence :

« Ça fait si longtemps que ça… ?

– Bien plus que vous ne le pensez, je le crains. »

Ænerys posa la lanterne par terre et posa sa seconde main sur celle, toujours glacée, du prisonnier. Il inspira et ferma les yeux. La vieille, à côté, fronça les sourcils plus fort, si tant est que ce fût possible, mais ne fit rien.

Un instant passa avant que le prince ne rouvre les yeux. Il sourit à nouveau, sincère, cette fois.

« Je me doute que ça doit être étrange pour vous, qu’on vienne ainsi vous chercher après tout ce temps, mais… Beaucoup de choses ont changé et nous avons besoin de votre aide. Seriez-vous d’accord pour nous l’accorder ? »

Le regard semblait plus vif à qui pouvait le voir. Il cligna un peu des yeux, semblant perdu.

« … Mon aide… ? À moi… ?

– Oui. L’Oracle a prédit que le Serpent Sombre allait se libérer de la prison de glace où vous l’avez scellé. »

Le prisonnier fronça les sourcils sans comprendre tout d’abord, et un instant passa avant qu’il ne sursaute cette fois vraiment en écarquillant des yeux effarés :

« … Mais il devait tenir des siècles… »

Ænerys inspira et répondit :

« Il a tenu des siècles. »

Son vis-à-vis le fixa longuement, douloureusement, avant de détourner brusquement des yeux qui semblaient bien humides. Ænerys, navré, ne put que resserrer ses mains sur la sienne.

« Je suis désolé. »

L’homme inspira.

« … Combien de temps… ?

– Vous avez été enfermé ici il y a 497 cycles. »

Il trembla en refermant les yeux. Lorsqu’il les rouvrit enfin, ce fût pour murmurer, infiniment triste :

« Je l’ai mérité, je suppose… »

Et d’ajouter avec un soupir :

« Je les avais déjà perdus, de toute façon… »

Il secoua la tête avant de regarder à nouveau Ænerys et de retirer sans violence sa main des siennes.

Le prince haussa les épaules :

« Je ne suis personne pour dire ce que vous avez ou non mérité. Mais vous êtes en vie et vous êtes la seule personne qui puisse nous aider. Ça, par contre, j’en suis sûr. Alors, que diriez-vous d’aller parler de tout ça dans un endroit un peu plus confortable ?

– Je ne pense pas pouvoir vous refuser quoi que ce soit.

– Vous avez ma parole que vous avez tout à gagner à nous aider.

– Qu’ai-je à perdre, plutôt…

– … Certes… Pouvez-vous marcher ?

– Je n’en suis pas sûr…

– Ce n’est pas un souci. Draco, tu peux venir l’aider, s’il te plaît ? demanda Ænerys en tournant la tête.

– Euh, oui, mon prince… » sursauta le commandant.

Il tendit la torche à Shayne, qui était à portée de main, approcha et s’accroupit.

« Cela vous convient-il, qu’on vous appelle Aslan ? » s’enquit encore Ænerys.

Un soupir lui répondit :

« Comme vous voulez.

– Alors c’est entendu. »

Draco attendit qu’Ænerys le lui confirme d’un signe de tête, avant qu’ils ne saisissent chacun un bras d’Aslan pour le relever lentement. Ceci fait, le prince ramassa la lanterne alors que le soldat passait le bras qu’il tenait autour de ses épaules pour le soutenir plus sûrement.

« Bien, allons-y. »

Ænerys rendit la lanterne à la vieille en la remerciant tout bas. Puis, il sortit le premier, sourit en voyant Shayne et Anna soulagés, tout comme Heliphas partagé entre la peur et la colère, et leur fit signe de le précéder. Le dernier ne se fit pas prier. Shayne donna la torche à Anna et attendit que tout le monde soit sorti de la cellule pour la refermer à clé avant de les suivre. Quelques croassements se firent entendre.

Il faisait toujours un grand soleil et sa lumière arracha un petit cri à Aslan qui mit sa main en visière. Il ne vit pas, ainsi, tout le petit monde qui se trouvait là autour et regardait avec toujours autant de curiosité que de peur ce qui se passait.

Ænerys leur sourit à tous, rassurant, et Fianna fit signe à Nyx. Ce dernier le rejoignit immédiatement.

« Ma Dame ?

– Veillez à ce que nos chevaux puissent se dégourdir les pattes. »

Il eut un sourire en coin rapide.

« À vos ordres. »

 

*********

 

La première discussion tourna court.

La mémoire d’Aslan était très vague, lui complètement déboussolé. Ça n’étonna pas grand monde. Ænerys et sa sœur décidèrent de le laisser se reposer pour le moment et le confièrent aux bons soins d’Anna, sous la garde de Draco.

La nuit tomba vite et on s’affaira au dîner.

Resté seul dans la chambre qu’on lui avait attribuée, spartiate, mais confortable, en attendant le repas, Ænerys lisait, installé sur le fauteuil, près de la fenêtre.

Lorsqu’on frappa à sa porte, il espéra que ce n’était pas Heliphas… La façon dont le haut prêtre avait tenté de faire tourner l’entretien en un interrogatoire bien plus brutal l’avait fatigué.

Il autorisa tout de même à entrer et sourit en voyant sa sœur et Nyx.

« Ah, c’est vous !… Bienvenue, asseyez-vous. »

Fianna s’installa sur le lit alors que Nyx restait debout, dos à la porte, pour être sûr d’entendre quiconque s’en approcherait.

« Vous avez du nouveau ?

– Oui, répondit-elle en regardant Nyx qui continua :

– Nous sommes allés pour emmener les chevaux dans un des prés du sanctuaire, à côté de leurs ânes et de leurs troupeaux de chèvres et de vaches. Vu qu’il fait beau et qu’ils y ont construit des abris solides et des mangeoires, on peut les y laisser.

– Parfait. Et donc ?

– Comme nous le pensions. Il y a bien des hommes qui rôdent, pas loin. Discrètes, mais bien là. Et comme les gens d’ici nous ont assuré que personne d’autre qu’eux n’y vivait, il n’y a pas de doute quant à de qui il s’agit. »

Ænerys souffla un coup en gonflant ses joues, faisant sourire ses deux visiteurs.

« Bon sang, j’espérais tant m’être trompé…

– Ça aurait été préférable, approuva sa sœur, mais nous sommes préparés. Ils auront tout intérêt à tenter quelque chose sur le plateau, dès que nous serons assez éloignés du sanctuaire, en partant, mais ils ne peuvent pas être très nombreux.

– On prendra le temps d’aller vérifier ça, dit Nyx.

– Soyez prudents, surtout.

– Ne craignez rien, mon prince, faire semblant de courir après un cheval qui a l’air de s’être échappé est une de mes spécialités.

– Je n’en doute pas, mais soyez prudents tout de même.

– Je vous le promets. On se contente de ça pour le moment ? demanda l’ancien mercenaire.

– Oui, il faut prendre notre temps, lui répondit sa générale.

– Je suis d’accord, acquiesça son frère. Mais nous l’avons. Tant qu’Aslan n’aura pas suffisamment retrouvé ses esprits, nous n’avons aucune raison de bouger d’ici.

– Draco m’a dit que vous aviez sondé son esprit ?

– Oui, rapidement, juste de quoi m’assurer qu’il n’avait aucune mauvaise intention. C’est bien le cas, il est épuisé et complètement perdu, mais je n’ai senti ni colère ni mensonge en lui.

– C’est déjà ça… Nous aurons assez à faire avec ces fanatiques.

– Ça, c’est sûr… »

Nyx leur fit signe de se taire et un instant plus tard, on frappa à nouveau à la porte. Ænerys se leva pour aller ouvrir, Nyx restant bien à l’abri des regards derrière la porte, Fianna n’étant pas plus visible de ce côté. C’était une jeune novice toute timide qui bredouilla comme elle put que le dîner était servi. Il la remercia avec sa bonté coutumière et lui dit qu’il arrivait dès qu’il aurait fin de ranger ses bagages. Elle fit une petite révérence et s’éloigna, toute rose, et il referma la porte.

« Bien, fais passer la consigne aux autres, Nyx, ordonna Fianna. Laissez passer la nuit et voyez ça demain. Nous allons aller souper, mais je reste disponible si vous avez besoin de moi.

– Bien. Je sortirai un peu après vous. Bonne soirée à vous.

– Bonne soirée, Nyx, et encore merci. » lui répondit Ænerys.

Un instant plus tard, le prince et sa sœur rejoignaient la salle à manger, où ils s’installèrent à la table de Shayne. Anna y était, ainsi qu’Heliphas et son secrétaire toujours aussi discret.

Tout autour dans la grande pièce, de plus grandes tables où religieux et laïcs du lieu se mêlaient aux quelques pèlerins et aux militaires, dans une ambiance chaleureuse.

On servit pour commencer un bon potage de légumes. Anna les informa qu’elle avait fait prendre un bain à Aslan et lui avait également proposé un bol de soupe, qu’il avait mangé très lentement.

« Il s’est pour ainsi dire endormi dessus… Nous l’avons installé dans une petite chambre tranquille. Draco est resté près de lui, je crois qu’un de vos hommes doit prendre sa suite après dîner.

– Oui, ils vont se relayer, ne vous en faites pas. Ils sont habitués à ce genre de situations, la rassura Fianna.

– Vous a-t-il dit quelque chose de particulier ? demanda Ænerys.

– Non. Il a simplement demandé mon nom. Sinon, rien. Il regardait autour de lui avec de grands yeux, comme s’il était surpris de tout ça… Et c’est sûrement le cas, après tout ce temps… J’espère vraiment qu’il va se remettre.

– Moi aussi. Je passerai le voir tout à l’heure…

– C’est gentil de votre part.

– C’est normal… Je l’ai tiré de sa prison pour lui demander de nous aider et qui sait ce que ça pourrait lui coûter, encore… »

Ils changèrent de sujet et le repas continua dans une ambiance plus légère. Après la prière du soir, Ænerys se rendit donc auprès d’Aslan.

La chambre de ce dernier était un peu à part dans un dortoir, isolée, comme deux autres, des autres. Elle était initialement prévue pour les convalescents, pour qu’ils puissent être au calme le temps de guérir.

Draco n’était plus là, un duo avait pris sa place, pour pouvoir se tenir compagnie et moins risquer de s’endormir. Assis de part et d’autre de la porte, ils saluèrent avec respect leur prince quand il arriva.

« Comment va-t-il ? leur demanda ce dernier, tout bas, en s’arrêtant près d’eux.

– On l’entend un peu gémir, mais sinon, rien de spécial. Vous voulez rentrer ?

– Oui, mais doucement, je ne veux pas le déranger.

– La porte ne fait pas un bruit, ne craignez rien. »

Ænerys entra tout de même sur la pointe des pieds.

La pièce était petite, juste une table et une chaise de bois devant une fenêtre à gauche et le lit à droite. Chauffée, comme d’autres endroits à l’étage, par le mur, chaud du conduit de la grande cheminée d’en dessus, il y faisait bon. Une lampe à huile se consumait sur la table.

Aslan était couché sur le flanc, sous les couvertures, et sommeillait plus qu’il ne dormait vraiment. Il rentrouvrit un œil quand Ænerys passa devant la lampe. Ce dernier avait vu quelque chose bouger à la fenêtre. Intrigué, car on était au deuxième étage, il alla l’entrouvrir et sursauta vivement quand une forme noire entra prestement.

Sa main posée sur son cœur battant la chamade, il se plaqua contre le mur avant de s’apaiser en reconnaissant un corbeau, qui s’était posé sur le lit et s’ébroua avant de sautiller vers Aslan qui rouvrit un œil avant de soupirer et de le laisser s’installer contre lui.

Amusé, presque attendri, Ænerys referma la fenêtre et s’approcha tout doucement : le corbeau était bel et bien en train de se coucher contre le ventre d’Aslan. Il décida de les laisser en paix et ressortit. Les gardes le regardèrent avec une vague inquiétude :

« On a entendu du bruit, tout va bien, Seigneur ?

– Oui, oui, pas de souci. Il y avait un corbeau à la fenêtre, je l’ai fait rentrer.

– Euh… Un corbeau… mon prince ? répéta l’un des gardes, pas sûr de ce qu’il avait entendu.

– Oui. Il y en avait, dans sa cellule, peut-être l’un d’eux s’est-il attaché à lui plus que les autres. On dit ces oiseaux-là très intelligents, allez savoir… Il s’est installé pour dormir avec lui, en tout cas. Rien d’alarmant. Bien, je vais vous laisser et aller me reposer aussi, la journée a été longue… N’hésitez pas à venir me chercher s’il y a quoi que ce soit.

– Bien sûr, Seigneur !

– Reposez-vous bien.

– Merci. Bon courage à vous pour la veille. »

 

*********

 

Lorsqu’il se descendit pour la première prière du matin, le lendemain, Ænerys était reposé et de bonne humeur. Il accepta avec plaisir de mener la prière avec Shayne et celle-ci se déroula dans une ambiance sereine et pieuse, pour les religieux et les fidèles matinaux.

Ceci fait, tout le monde alla prendre son petit déjeuner, plus joyeusement.

Ænerys retrouva avec plaisir sa sœur et salua poliment Heliphas et son secrétaire. Le Haut-Prêtre était grognon et son adjoint toujours aussi peu loquace, mais personne ne s’est étonna.

Les estomacs pleins, Ænerys et Fianna décidèrent d’aller voir comment se portait Aslan. Anna allait justement lui apporter son repas, ils se joignirent à elle.

Devant la porte, deux gardes, un homme et une femme, cette fois, parlaient posément stratégie de siège lorsqu’ils arrivèrent. Ils saluèrent avec respect leur générale et leur prince et leur apprirent qu’à part quelques croassements depuis que le jour était levé, ils n’avaient rien entendu, ni ceux qui avaient veillé avant eux dans la nuit.

Puisqu’Anna portait un plateau, ce fut Ænerys qui frappa. Comme personne ne répondait, il entrouvrit la porte avec douceur et passa la tête :

« Aslan ? Bon matin… »

Pas de réponse, à nouveau, mais dans le lit, Aslan était bien réveillé et le regardait avec cet air un peu absent qu’il commençait à connaître. Le corbeau était là, couché contre son ventre, sous sa main qui le caressait, et il remua, méfiant. Ænerys fit signe de la main aux autres d’attendre et entra lentement.

« Nous apportions votre petit déjeuner… Comment vous sentez-vous, ce matin ? »

Cette fois, Aslan se redressa mollement sur un bras, avant de répondre d’une voix toujours rauque :

« J’ai fait un rêve étrange…

– Ah ? le relança le prince en allant à la fenêtre.

– Oui… J’ai rêvé de Seamus… Il y avait d’autres personnes, aussi, je crois, mais je ne me souviens pas… »

Ænerys ouvrit la fenêtre et, comme il le pensait, le corbeau fila.

Cela ne sembla pas émouvoir le roi déchu qui continua en fronçant les sourcils :

« … Si, il y avait Ymir… C’est étrange… Je n’avais pas pensé à elle depuis très longtemps… »

Ænerys referma la fenêtre, puis revint à la porte pour l’ouvrir plus largement, permettant à Anna et Fianna de rentrer.

« … Je me demande si elle garde encore la vieille bibliothèque… »

Ænerys vint s’asseoir près de lui, au bord du lit, laissant Anna poser le plateau sur la table.

« Cette personne pourrait être encore en vie ? demanda le prince.

– Peut-être… Elle nous avait dit qu’elle était là depuis des siècles, après tout… Elle n’était pas humaine…

– De qui s’agit-il ? intervint Fianna.

– Elle gardait une très ancienne bibliothèque dans les Monts Rocheux du Sud… Il me semble que c’est là que nous avions été pour trouver comment combattre le Serpent Sombre… Elle n’avait pas bon caractère, mais elle savait des choses incroyables… »

Il y eut un silence. Aslan s’assit, toujours à moitié sous les couvertures, et regarda Ænerys.

« Euh… Oui ? finit par demander ce dernier.

– Vous me rappelez quelqu’un…

– Ah … ?

– Oui… Mais je ne sais plus qui… C’est bizarre… »

Ænerys lui sourit :

« Ça va peut-être vous revenir… »

Comme la veille, Aslan caressa sa joue.

« Peut-être… Je ne sais pas.

– Vous avez faim ? demanda Anna. Je vous ai apporté du thé et de la brioche… »

Aslan la regarda, comme s’il essayait de se souvenir qui elle était. Il dut y arriver, car il hocha la tête et bougea pour se lever. Ænerys le soutint jusqu’à la chaise, qui n’était pas loin, et le regarda prendre la tasse brulante entre ses mains pour respirer l’odeur du thé.

« Bon appétit. » lui dit gentiment Ænerys.

Il sortit avec Fianna pour le laisser manger tranquillement.

Un peu plus loin dans le couloir, la générale reprit la parole :

« Ça te dit quelque chose ?

– Il y a des légendes sur une bibliothèque très ancienne et secrète qui se cacherait au sud, oui… Là, de tête, rien de plus…

– Décidément, que de légendes…

– Bah, s’il dit qu’il y a été, on peut le croire… Lui-même n’était-il pas une légende jusque très récemment ?

– Vu comme ça… »

 

À suivre…

 

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