Océan Stellaire 01 – Naufragés (Nouvelle d’Halloween 2016)

Nouvelle d’Halloween 2016. Enjoy ! 🙂

Tout public.

Synopsis : Dans la jungle d’une planète très peu habitée, un croiseur spatial s’est écrasé. Des naufragés tentent de survvire en attendant les secours… Mais chacun a des choses à cacher.

Océan Stellaire 01

Naufragés

Nouvelle de Ninou Cyrico

L’orage avait éteint l’incendie, empêchant ce dernier de se répandre dans la jungle multicolore de Phaero 7. Il ne restait donc que la gigantesque épave du croiseur militaire écrasé là, que de nombreux animaux regardaient avec curiosité. Qu’est-ce que c’était que ce gros truc tombé du ciel ?

Deux espèces de petits singes bleus s’approchèrent, flairant l’air de leur petite truffe jaune. Ils poussaient de petits cris l’un l’autre, curieux. Ils sursautèrent en entendant un bruit sourd, puis s’enfuirent en en entendant un second, plus fort encore.

Une des petites portes du vaisseau trembla. Un troisième coup contre elle commença à la desceller et il en fallut encore six autres pour qu’enfin, elle ne daigne s’entrouvrir.

Les deux petits singes bleus s’étaient arrêtés et regardaient. Ils revinrent même, timidement.

Deux mains apparurent, saisirent le rebord de la porte et cette dernière commença à s’ouvrir lentement.

Le ciel se dégagea lentement. Le soleil rouge de Phaero 7 baissa dans le ciel.

Les deux singes s’étaient assis.

Un homme sortit enfin, à bout de souffle, et tomba au sol, épuisé. Il roula sur le dos. C’était un grand blond en sueur, vêtu en tout et pour tout d’un pantalon et d’une tunique ocre pâle en toile grossière. Il tremblait, à bout de nerfs, profondément choqué.

Il se frotta le visage en murmurant :

« Reprends-toi, Wlad, reprends-toi… »

Il se mit à respirer profondément un moment. Puis il se redressa lentement en inspirant un dernier gros coup.

« Tout va bien… Je suis vivant… Et je connais cette planète… Ça va aller… »

Son regard tomba sur les deux singes qui le regardaient toujours.

« Salut. » leur dit-il.

Ils ne répondirent bien sûr pas. Il eut un petit rire et se releva lentement. Il grimaça. Ses mains, ses bras, son dos… Il commençait à bien sentir le temps qu’il avait passé sur cette fichue porte.

Il leva la tête. Le ciel commençait à s’assombrir. Il devait trouver un abri pour la nuit. Rester dans le croiseur était trop risqué, il n’était pas à l’abri d’un autre orage magnétique, comme celui qui les avait faits s’écraser, et d’un autre incendie. Rôtir là-dedans, après tout le mal qu’il avait eu pour en sortir, n’était vraiment pas ce dont il rêvait.

N’importe quoi ferait l’affaire pour ce soir. Il reviendrait le lendemain voir ce qu’il pouvait récupérer, à la condition bien sûr que les militaires ne se pointent pas d’ici là. Il n’avait pas envie de les revoir. Jamais.

Plutôt passer le reste de sa vie planqué dans ces arbres.

La jungle de Phaero 7 n’était pas la plus dangereuse de l’univers et il la connaissait bien. Il avait cette chance dans cette galère, celle de savoir que l’eau de cette planète était potable pour lui, de savoir à peu près quels fruits et quels animaux il pouvait manger. Et que l’odeur de ces grosses fleurs roses repousserait pour la nuit d’éventuels prédateurs. Ils étaient de toute façon peu nombreux à pouvoir s’attaquer à un homme adulte.

Il n’avait pu récupérer qu’un couteau, assez long, dieu merci, et il tailla avec les épaisses tiges des fleurs répulsives. Il n’avait jamais trouvé leur parfum si horrible. Un peu lourd, certes, mais pas vomitif. Il repéra la direction vers laquelle le soleil rouge baissait et s’enfonça sous les arbres, son gros bouquet sur l’épaule.

Le sol était moelleux, couverts de la mousse violette propre à cette jungle, dont les nuances variaient du rose le plus vif au prune le plus sombre. Autour de lui, toute la faune vivait sa vie tranquillement. Les grands papillons dorés voletaient, leur chant doux emplissant l’air. Divers volatiles, à plumes ou à écailles, chassaient ou nidifiaient. Des rongeurs à la fourrure mauve, parfaite pour se camoufler dans la mousse, grignotaient des graines.

Wlad posa son gros fagot de fleurs un instant, le temps de ramasser des baies et deux gros fruits bleus

Dîner assuré.

Il reprit son chemin. Ça lui rappelait des souvenirs d’être là…

Des années plus tôt, l’adolescent qu’il était alors s’était retrouvé là avec celui qu’il considérait comme son grand-père, même si, dans les faits, cet homme n’avait jamais eu la certitude que la mère de Wlad était bien sa vraie fille. Il l’avait toujours considérée comme telle sans faire d’histoires. Un jour de livraison comme un autre, un souci technique et hop, la petite navette de transport s’était perdue. Le vaisseau avait mis près de six mois à les retrouver. Six mois à vivre dans cette jungle, ça vous forge à la débrouille.

Wlad eut un sourire. Ce vieux briscard était la seule personne qui lui manquait parmi cet équipage d’assassins.

Il trouva, à défaut de grotte, un gros rocher proéminent sous lequel il put d’installer. Il posa les fleurs en demi-cercle autour de lui et commença à manger ses fruits avec appétit. Assez juteux pour qu’il n’ait pas besoin de chercher d’eau. Miam miam.

Il resta un moment, assis contre la roche, à réfléchir.

Le cuirassier s’était écrasé alors que tout son équipage avait courageusement évacué dans les navettes prévu à cet effet. Ces connards avaient bien sûr pris un malin plaisir à l’oublier, lui, dans la cellule où ils l’avaient si aimablement jeté. Beau moyen de se débarrasser de lui.

Paradoxalement, c’était ça qui l’avait sauvé. Le vaisseau s’était écrasé par l’avant alors que lui était à l’arrière. Ça avait secoué sévère, mais c’était tout, et l’incendie, qui s’était aussi déclaré à l’avant, avait été éteint par la pluie avant de trop se propager. La coupure d’énergie lui avait permis d’ouvrir la porte de sa cellule, mais il avait mis un moment à trouver une issue au niveau du sol.

Comme quoi, ce vieux crétin de Wilson avait raison : un prisonnier, ça s’attache ou ça s’enferme derrière une porte verrouillée avec une serrure mécanique. Ça, ça tombe pas en panne de courant.

Heureusement pour lui que ce sale con de Rozwald et sa clique ne juraient que sur leur super technologie, au point de le foutre dans une cellule ne tenant fermée que par magnétisme et de lancer sans vérification leur cuirassier sur une planète connue pour ses orages magnétiques démentiels. Ah, le nouveau bouclier allait les en protéger sans souci voyons ah ah ah !

Les cons.

Wlad finit les fruits bleus et attaqua les baies. Il fallait les mâcher longtemps, car sinon, elles se digéreraient mal. Il soupira. La tension retombant, la fatigue le rattrapait. Il allait dormir un peu, le climat était assez doux pour qu’il ne risque pas d’avoir trop froid.

Il pensa qu’il avait sûrement quelques jours, peut-être quelques semaines, avant que les militaires ne reviennent. Les navettes d’évacuation avaient dû être dispersées par la tempête, ils allaient d’abord chercher à rejoindre la base la plus proche pendant qu’il leur restait du carburant. Le cuirassier était censé être vie, pas urgent d’y retourner, et comme il n’y avait pas d’autre vaisseau de ce type ni sur la planète, ni dans son atmosphère, ils allaient manquer de moyens de recherche. Le temps qu’ils parviennent à contacter l’armée pour qu’elle envoie un autre vaisseau équipé de radars suffisants, ça lui laissait de la marge.

Phaero 7 était une planète énorme. Mais d’après ce qu’il savait, il ne devait pas être si loin de la principale colonie qui y vivait et où le vaisseau se rendait initialement. Il avait un peu étudié la zone. S’il était à peu près là où il pensait, il devait aller dans la direction où le soleil rouge se levait jusqu’à croiser un fleuve et en suivant ce dernier, il trouverait la colonie. Là-bas, il trouverait bien un moyen de se casser sans que ces maudits soldats ne l’attrapent… La colonie comptait quelques centaines d’habitants, la Guilde de la Lune y avait forcément des représentants.

Sentant ses yeux se fermer tous seuls, Wlad renonça à lutter et se coucha au sol, en chien de fusil, un bras plié sous sa tête, dos au rocher.

Il allait s’en tirer. Il n’avait pas peur.

Il s’endormit tranquillement.

*********

Les nuits étaient courtes pendant la saison chaude sous ces latitudes et Wlad se réveilla de bonne heure, au bruit des premiers chants des papillons.

Il se redressa et mit quelques secondes à se souvenir de où il était et de ce qui s’était passé. Entre le moment où il avait compris qu’il devait se barrer, celui où ils l’avaient attrapé et enfermé, le crash et sa lutte pour sortir de l’épave, la journée de la veille avait été plutôt agitée.

Bon… Pas intérêt à traîner… Les soldats allaient revenir. C’était une question de jours… Peut-être d’heures.

Il se leva, à moitié trempé de l’humidité du matin. Heureusement qu’il ne faisait pas froid…

Il reprit le chemin de l’épave. Il n’y avait pas eu d’autres orages pendant la nuit, elle devait être dans le même état que la veille. Il devait récupérer des vivres et du matériel pour pouvoir rejoindre la colonie. À commencer par des chaussures et des habits un peu plus costauds que sa tenue de prisonnier. Avec un peu de chance, ses vêtements étaient toujours dans sa cabine, d’ailleurs, si ces enfoirés ne les avaient pas pris en partant.

Un cri attira son attention alors qu’il approchait. Il se figea. Un autre survivant ?

Merde, comment c’était possible ? Il aurait forcément entendu ou croisé un autre prisonnier et même si c’était un soldat, comment c’était possible ? Un problème avec sa navette ?

Il alla voir prudemment, son couteau à la main. Un autre cri. Arrivant sur un terre-plein, il avisa, en contrebas, la personne qui criait et il sursauta.

Un petit Suhulian aux cheveux noirs immenses était encerclé par quatre créatures grondantes, bipèdes à écailles bleus zébrés de rouge, avec beaucoup trop de dents et de griffes pour le bien du Suhulian qui semblait déjà blessé. En tout cas, il était à genoux.

Les bestioles n’étaient pas très grandes. Lui savait qu’il ne risquait rien. Sans doute même le Suhulian ne devait qu’à sa blessure d’avoir attiré leur attention.

Wlad grimaça. Un soldat, il l’aurait sans doute abandonné là et si ça avait été Rozwald ou un de ses acolytes, il serait même resté regarder. Mais un Suhulian était forcément un civil.

Wlad se redressa. Merde, contrairement à ce qu’avaient craché ces enfoirés, la piraterie avait ses règles et son code d’honneur. Jamais il ne serait dit qu’il avait abandonné un civil.

Il saisit son couteau et sauta en contrebas.

Comme prévu, son arrivée seule suffit à faire déguerpir les importuns. Il resta un instant debout, le temps de s’assurer qu’il n’y avait rien d’autre et se tourna vers le Suhulian.

Il avait déjà rencontré plusieurs fois cette race de petits humanoïdes à la peau verte et aux cheveux noirs. Celui-là avait le profil un peu allongé des siens, pas vraiment de nez, plutôt un court museau arrondi au bout duquel se trouvaient deux fentes respiratoires et en dessous, la bouche, dont la lèvre supérieure était en deux parties, à l’image de celle d’un chat ou d’un serpent. Ses yeux immenses, en amande, aux pupilles blanches fendues et aux iris d’un mauve profond, étaient hagards et le fixaient. Il n’avait pas l’air très grand, même si on tenait compte de ses origines. Sa robe semblait de qualité, mais elle était sale et déchirée. Ses cheveux étaient vraiment très longs et épais, mais eux aussi étaient sales et emmêlés. Il avait probablement dormi sur le sol de la forêt, comme lui.

Il tremblait. Il était pâle. Son petit museau flairait l’air avec nervosité. Wlad s’approcha lentement. Il savait que les Suhulians étaient potentiellement venimeux, et les longues mains à trois doigts, pour crispées qu’elles étaient sur le sol, avaient bien les ongles allongés et suintant de poison d’un Suhulian sur la défensive.

Wlad s’accroupit lentement :

« Tout va bien, ils sont partis. Est-ce que ça va ? »

Un évanouissement pur et simple lui répondit. Wlad sursauta, puis secoua la tête avec un sourire.

Il s’approcha lentement, prudent. Un coup de griffes était possible dans un réflexe et il n’avait pas super envie de mourir comme ça.

Il y avait du sang vert sur le sol. La blessure devait être plus importante qu’il l’avait cru. Il fallait qu’il la trouve, en espérant qu’il puisse la soigner. Ne voulant pas prendre de risque, il enleva sa tunique et la déchira pour emballer soigneusement les mains du blessé dedans. Voilà voilà. Cachées les griffes. Sage.

Puis il ausculta sommairement le corps et ne tarda pas à trouver : une cheville foulée, mais ça, ce n’était rien à côté de la très sale plaie qu’il avait dans le dos. Sûrement un bon coup de griffe d’un des quatre carnivores.

Le blessure n’était pas propre, mais elle ne semblait au moins pas trop profonde. Wlad prit le petit corps inconscient dans ses bras et se releva.

Il y aurait de quoi faire à l’infirmerie du vaisseau.

En reprenant son chemin, il soupira encore. La présence de ce Suhulian ne l’arrangeait pas. Impossible de l’abandonner, son honneur le lui interdisait, mais impossible de partir avec lui à court terme, sauf à la limite à trouver un petit véhicule dans l’épave.

Bon, tant pis, songea-t-il en arrivant. Le plus urgent était de soigner cette blessure. Si des soldats arrivaient, il serait temps de s’enfuir pour le leur laisser.

Wlad repassa comme il put par la porte de la veille. Il connaissait dieu merci assez bien le cuirassier. Après tout, il avait eu 4 mois pour l’arpenter depuis son enrôlement forcé. Il retrouva donc sans mal l’infirmerie.

Il déposa le petit corps sur une table qu’il remit sur ses pieds et chercha. Les Suhulians craignaient pas mal de désinfectants, lui semblait-il. Laver la plaie au sérum physiologique serait un bon début. Il trouva des bandages stériles et se mit à l’œuvre.

« Allez, tiens bon, petit gars. Je suis sûr qu’il y a plein de gens qui veulent te revoir. »

Il n’avait pas idée d’à quel point c’était vrai.

*********

Un bruit sourd et répétitif tira le Suhulian de sa torpeur. Il rentrouvrit des yeux vagues en flairant machinalement l’air. Qu’est-ce qui s’était passé… ?

Son dos lui faisait mal, sa jambe aussi.

Les yeux mauves se refermèrent un instant.

Ah oui. Le crash. Sa navette qui lâche, l’atterrissage forcé et le retour au vaisseau… Les bestioles qui le poursuivent et le bashri qui le sauve… Après, c’était assez vague… Il se souvenait d’avoir été transporté, d’une salle blanche et claire, de la voix du bashri qui lui parlait… Il avait dû reprendre connaissance ensuite.

Il rouvrit les yeux et regarda autour de lui, flairant plus attentivement cette fois. Visiblement, il était dans une tente, sur un lit de camp et le bruit venait de dehors. Il se redressa lentement sur son bras. Son torse était bandé avec soin et sa cheville également. On lui avait enfilé un pantalon de toile bien trop grand pour lui et ses sandales étaient posées au sol.

Réalisant brusquement qu’il ne sentait pas ses cheveux, il posa précipitamment sa main sur sa nuque et sursauta.

Ses cheveux étaient là… Mais attachés… C’était une première. Il tâta la chose et la ramena sur son épaule. Étrange. Comment ils appelaient ça déjà ? Une « tresse » ? C’était à la mode chez les jeunes, il lui semblait que son enfant lui en avait parlé…

Il s’assit lentement. Le bruit continuait. Le reste de la tente était vide, mis à part une béquille. Il sourit, elle était à portée de main. Qui que soit ce bashri, il était prévenant.

Il la saisit et se leva lentement. Ça allait, la douleur était supportable. Il sortit lentement.

Le soleil rouge était bas dans le ciel et le bruit venait de coups de marteau. Le bashri était là, accroupi au sol, et plantait les piquets d’une autre tente. Elles étaient assez grandes et solides.

Le bashri finit, il se redressa en essuyant son front. Il était torse nu, en sueur et faisait une bonne tête de plus que le blessé. Et il était sûrement deux fois plus large, aussi.

Il se retourna et sursauta en voyant le Suhulian qu’il n’avait pas entendu. Ce dernier pencha un peu la tête avec un sourire et roucoula, intrigué.

« Ah, ça y est, tu es réveillé… Tu n’étais pas obligé de te lever… Comment tu te sens ? »

Le Suhulian sourit.

Et c’était toujours un peu étrange à voir : cette race avait deux paupières mobiles et c’était celle du bas qui remontait lorsqu’ils fermaient les yeux de contentement, formant ainsi un ^ que n’auraient pas renié bon nombre de Terriens des siècles plus tôt.

Les grands yeux mauves se rouvrirent :

« Je vais bien, oui, et je crois que c’est à toi que je le dois ? Merci infiniment. Je m’appelle Nayae.

– Wladek. Et de rien, c’est normal. J’espère que ça va aller, ta blessure dans le dos… J’ai nettoyé comme j’ai pu, mais je ne savais pas quel produit utiliser…

– Si c’était infecté, je pense que je le sentirais.

– On verra ça quand on changera les bandages. »

Nayae hocha la tête.

« Où sommes-nous ? » demanda-t-il.

Les deux tentes étaient dans une clairière pas très large et en pente. Une petite rivière coulait en contrebas.

« Dans la jungle, je nous ai éloignés de l’épave. Trop dangereux en saison chaude, il y a beaucoup d’orages et elle va attirer la foudre. Ici, les arbres nous en protégeront. On sera tranquille.

– Toi aussi, ta navette a eu un problème ? »

Wlad eut un sourire et fit signe à Nayae de venir s’asseoir. Ils s’installèrent entre les deux tentes, Nayae sur un siège déplié et Wlad s’agenouilla. Il y avait là un trou dans le sol, très peu profond, mais assez large, et une pile de pierres. Il se mit à tapisser le trou avec les pierres :

« Moi, je n’ai pas eu de navette. »

Nayae sursauta et le regarda, stupéfait.

« On m’a oublié pendant l’évacuation.

– Comment ça a pu arriver ? »

Wlad ne répondit pas et Nayae n’insista pas.

« J’ai pris un peu de matériel et quelques provisions, mais avec toi à transporter, je n’ai pas pu trop me charger. J’y retournerai demain. Tu pourras rester seul ? Je te laisserai une arme, si tu veux.

– Je pense que ça ira… Qu’est-ce que tu fais ?

– Un foyer. Comme ça, on va pouvoir faire du feu proprement. Quoi qu’il arrive, il faut attendre que tu sois rétabli. Ça risque de prendre un petit moment.

– Tu penses qu’ils vont revenir nous chercher ? »

À nouveau, Wlad ne répondit pas, sombre. Il finit par soupirer :

« Aucune idée. Je pensais plus à rejoindre la colonie. Je crois qu’elle n’est pas si loin. Tu étais passager sur le vaisseau ?

– Oui, je me rendais à la colonie, justement…

– Et donc, ta navette a eu un problème ?

– Oui, elle n’est pas allée loin… Ça arrive, j’imagine… C’est pour ça que j’ai essayé de revenir vers l’épave, je me suis dit que j’y serais à l’abri et que je pourrais peut-être y trouver un communicateur…

– Tout est mort. La foudre a tout grillé. Elle est extrêmement violente ici. Je leur avais dit, mais non non, leur super coque ne craignait rien, qu’ils disaient…

– Le nouvel alliage n’est pas au point, on dirait.

– On dirait. Tu as faim ?

– Oui !

– Vous mangez des fruits, chez toi, je crois ?

– Tout à fait !

– J’en ai cueilli en route. Tu sais lesquels tu peux manger ?

– Oui, je suis déjà venu sur cette planète…

– Parfait… »

Wlad se releva et lui ramena un seau de fruits divers et de toutes les couleurs.

« Mange ce que tu veux, j’ai des conserves pour moi.

– Merci ! »

Nayae se mit à fouiller dans le seau en poussant des espèces de petits roucoulements curieux. Wlad se remit à ses pierres, lui jetant des coups d’oeil réguliers. Au bout d’un moment et alors que Nayae mangeait avec bonheur un petit fruit rouge, Wlad lui demanda :

« C’est vrai que chez vous, plus on a les cheveux longs, plus on est puissant ? »

Nayae le regarda un instant, puis sourit en opinant du chef :

« Tout à fait !

– Tu dois être sacrément puissant, alors… »

Nayae eut un petit rire :

« Il y a de ça.

– J’ai bien galéré avec tes cheveux… J’ai essayé de les rincer au moins et de les démêler…

– J’imagine qu’ils ne devaient pas être très beaux à voir.

– Non, mais tu pourras les laver à la rivière si tu veux. Enfin, quand ta blessure ira mieux. »

Nayae hocha encore la tête.

Wlad finit son boulot et se releva. Il alla chercher des barres en métal qu’il planta dans le sol en les croisant, en posant une au-dessus, pour avoir de quoi suspendre une petite marmite au-dessus du futur feu. Nayae le regarda faire avec une curiosité visible.

Wlad fit un petit feu et vida une conserve peu ragoutante dans la petite marmite. Une odeur curieuse et pas réellement identifiable se répandit dans l’air. Nayae flaira l’air.

« Qu’est-ce que c’est ?

– Sur la boite, c’est marqué « chili con carne ».

– Ah ? C’est quoi ?

– Aucune idée. Ça se mange et j’en demande pas plus. »

La nuit tomba. À la lueur du feu, Wlad mangea en silence, à même le récipient posé sur ses genoux protégés par un épais torchon. C’était loin d’être bon, mais ça allait lui caler le ventre pour la nuit et il n’en demandait pas plus.

« Bon, dit-il ensuite. Je propose de regarder cette blessure et de dormir.

– Une tente chacun ?

– Si ça te convient ? Si tu la fermes bien, tu ne devrais pas avoir de problème. Il y a très peu de prédateurs dangereux et j’ai ramené des fleurs qui les tiennent à distance. Il faudra les poser autour. Je vais aller les chercher, je les ai laissées vers la rivière. »

Wlad se leva :

« Tu veux une arme quand même ?

– Euh… Je crains de ne pas savoir m’en servir…

– Ah… »

Wlad se gratta la tête. Nayae leva ses grands yeux vers lui :

« Ça ne me gène pas que nous dormions dans la même tente.

– Ça pourrait être plus simple et plus prudent. Tu as bien mangé ?

– Oui ! Il en reste si tu veux ?

– Pas tout de suite… Bon allez, je vais rincer la marmite et chercher les fleurs. »

Nayae opina du chef en bâillant.

« Tu devrais aller te recoucher. »

Nayae eut un petit rire et se leva lentement.

« Appelle si besoin, je ne serai pas loin. »

Nayae le regarda s’éloigner. Il regagna lentement sa tente et se rallongea sans attendre.

La situation était assez étrange. Il ne devait sa survie qu’à ce bashri, cet « humain », comme ils s’appelaient eux-mêmes. Il connaissait bien cette race et l’aimait bien. Celui-là l’avait sauvé. Dès que les secours seraient arrivés, il veillerait à ce qu’il soit récompensé comme il fallait pour ça.

Nayae n’était pas un ingrat.

Le Suhulian dormait déjà lorsque Wlad revint, avec le second lit de camp. Il avait installé les fleurs, éteint le feu et comptait bien dormir en paix quelques heures. Il sourit en voyant le blessé en boule sur un lit trop grand pour lui. Il alla prendre une couverture pour la déployer sur lui. Il gloussa en voyant le museau flairer dans un demi-sommeil.

Wlad s’installa lui-même et ne s’endormit pas tout de suite. Il était content que Nayae soit aussi tranquille. Il se dit qu’il pouvait espérer, si par miracle les soldats ne revenaient pas trop vite, que le petit Suhulian accepte d’essayer de gagner la colonie avec lui, ce qui réglerait leur problème, les ramenant à l’abri sans que lui-même n’ait à se confronter aux soldats.

*********

Wlad dormit comme un loir. Lorsqu’il se réveilla, bien plus tard que la veille, ce fut pour se rendre compte que le second lit était vide.

Inquiet, il se leva rapidement, enfila ses bottes et sortit. Le ciel était sombre, un orage se préparait sûrement.

Où était passé Nayae ?

Il descendit à la rivière et soupira, soulagé.

Le petit Suhulian était là, en train de se laver les cheveux, paisiblement assis au bord de l’eau, nu.

« Nayae ? Ça va ? »

Nayae se tourna et lui sourit :

« Oui, bonjour. Bien dormi ?

– Oui, oui. Tu n’aurais pas dû bouger sans me le dire…

– Tu dormais trop bien… Je n’ai pas osé te déranger.

– Match nul, je n’ai pas osé te réveiller pour changer tes bandages hier soir. Comment va ton dos ?

– Ça tire, mais ça va. Nous cicatrisons vite, nous autres. Je pense que ça va déjà bien mieux. »

Il faisait chaud et Wlad soupira et ôta ses bottes et son pantalon :

« Si tu permets, je vais me rincer aussi.

– Je t’en prie. »

Wlad descendit dans l’eau fraîche. Nayae le regardait et soupira, rêveur.

« Quoi ? lui demanda Wlad en commençant à se mouiller.

– Rien, rien. Je suis toujours impressionné par votre carrure et hm… La taille de votre sexe. »

Wlad le regarda, surpris, et regarda machinalement son entrejambe. Pas qu’il soit complexé, mais pour tout honorable qu’il était, son sexe n’était en rien démesuré.

Il réalisa brusquement que son vis-à-vis n’en avait pas. Un peu gêné, il bredouilla :

« Pardon, je ne voulais pas euh… Tu n’es pas… « 

Devinant la question, car ce n’était pas la première fois qu’il se retrouvait nu avec des humains, Nayae rit doucement :

« Ni mâle, ni femelle. Ou plus exactement, les deux, de votre point de vue. »

Il écarta sans complexe les jambes pour lui montrer : une petite pointe de chair un peu plus foncée et dessous, une fente.

Désignant la pointe, Nayae expliqua :

« Le nôtre ne sort que quand on s’en sert.

– Et la semence ?

– La glande est à l’intérieur. Selon qu’on veut porter l’œuf ou le féconder, elle sort dedans ou dehors. »

Wlad hocha la tête. Ça lui revenait, maintenant. Hermaphrodites et ovipares.

« Pratique, reconnut Wlad.

– Le système reproducteur de ta race n’est pas bête non plus… C’est dommage qu’il ait créé de tels clivages entre vous et vos femelles. »

Wlad eut un sourire triste :

« Ouais. Sûr que c’est pas joli.»

Il y eut un silence pendant lequel il se frotta un peu et se remit à se rincer. L’eau était fraîche. Il grelotta.

« Wlad, dis-moi… reprit Nayae.

– Hm ?

– C’est moi ou il va pleuvoir ?

– Il va sûrement pleuvoir. Je pense que les tentes sont assez costauds pour résister… S’il faut un abri en dur, ça va être chaud.

– On ne peut vraiment pas retourner dans l’épave ?

– Non… On risque de rôtir au prochain orage. La foudre ne va pas du tout avec la pluie, ici et elle est redoutable, tu l’as bien vu.

– Tu as l’air de bien connaître cette jungle ? remarqua Nayae, curieux.

– J’ai vécu six mois ici quand j’étais ado. Un autre crash.

– C’est vrai ?

– Heureux hasard, hein ? fit Wlad avec un clin d’œil.

– Les tiens diraient que c’est un signe de Dieu, répondit le Suhulian avec un sourire.

– Et les tiens ?

– Que les voix de l’Aer sont toujours incroyables.

– L’Aer ?

– Notre dieu à nous, disons. L’essence de vie qui coule dans tous les mondes.

– C’est joli…

– Merci. Mais du coup, tu veux quand même y aller, à l’épave ?

– Ben il faudrait… Je voudrais récupérer plus de vivres et de matériel. Là, on a vraiment le minimum. Il faut aussi des bandages et des médicaments. D’ailleurs, il faut vraiment que je regarde ton dos…

– Oui, merci. Mais je pense sincèrement que ça va…»

Wlad sortit de l’eau et ramassa ses vêtements. Nayae se releva lentement en s’appuyant sur sa béquille.

Bénie soit l’Aer… Que ce Bashri était agréable à regarder !

Wlad renfila son pantalon et se tourna pour regarder si Nayae suivait. Il sourit. Les longs cheveux noirs touchaient presque le sol. Nayae le regarda sourire et fit de même, intrigué :

« Qu’est-ce qu’il y a ?

– Rien. Tu veux de l’aide pour renfiler ton pantalon ?

– Si tu veux, oui, merci…»

Wlad hocha la tête et se pencha pour s’accroupit pour ramasser le vêtement et le lui présenter. Nayae glissa sa jambe dedans en remarquant :

« Il est confortable, mais on en mettrait trois comme moi dedans.

– Je chercherai mieux tout à l’heure. Hier, j’ai pris ce que j’ai trouvé. Ta robe était en lambeau, je me voyais mal te la laisser.

– J’avais des habits dans ma cabine, si tu peux la retrouver ?

– Si toi tu peux me dire où elle est ?

– En haut, la troisième à gauche dans le couloir des invités.»

Wlad hocha la tête en se relevant, remontant le pantalon. Il noua le lien en disant :

« Je regarderai.»

*********

Aucune trace de soldats lorsque Wlad revint à l’épave. Les secours allaient-ils vraiment venir, ou y avait-il un autre problème qui les bloquait il ne savait où ?

Pourvu que ça dure, quoi qu’il en était.

L’orage n’allait pas tarder, il devait faire vite. Il rentra et commença par filer dans son ancienne cabine. Il sentit un poids réel quitter ses épaules en voyant que son placard était intact. Son grand sac était toujours là, et même s’il n’y avait presque rien dedans, retrouver ses habits, son vieux flingue et son grand couteau de chasse lui fit réellement du bien. Il alla ensuite voir en haut s’il retrouvait la cabine de Nayae.

Les portes fermées, sans leur blocage magnétique, s’ouvraient sans mal. Il trouva rapidement la cabine et elle était elle aussi intacte. L’évacuation avait dû être encore plus rapide qu’il ne pensait.

Il n’eut pas de mal à trouver la valise de son ami et remit dedans les quelques affaires sorties avant de la refermer et de repartir.

Le reste de la visite se passa entre les réserves de nourriture et celle d’armes et d’équipement. Il trouva un petit chariot à bras dans lequel il mit ce qu’il put et il repartit.

Il arriva presqu’en courant au campement alors que les premières grosses gouttes commençaient à tomber.

Nayae, qui se reposait sagement dans la tente à nouveau entourée de fleurs, l’accueillit gentiment :

« Tout va bien ? Tu es tout essoufflé…

– Oui, oui, ça ira.»

Il rentra vite le chariot et se déchargea des sacs qu’il avait en plus. Il souffla un gros coup en appuyant ses mains sur ses cuisses. Nayae le regardait avec inquiétude. Wlad se redressa et s’étira.

« Bon, ça va, j’ai à manger, des armes, des lampes, mon sac, ta valise et plein d’autres trucs.

– Merci !

– Je t’en prie.

– Non, vraiment, merci. Je suis désolé de ne pas avoir pu t’accompagner…

– Y a pas de souci, il était hors de question que tu forces. Ta cheville est à peine remise et ton dos commence tout juste à cicatriser… Tu viendras une autre fois si besoin.»

La pluie tombait de plus en plus fort. Wlad alluma vite une lampe, car il faisait très sombre.

Un gros coup de tonnerre éclata, les faisant sursauter. Nayae grimaça :

“Heureusement que nous sommes à l’abri…

– Oui. Heureusement que ces orages ne durent pas longtemps… Mais il  vaut mieux ne pas être dessous.

– Tu es mouillé, tu devrais te changer.»

Wlad opina du chef et s’étira encore.

« Tu t’es fait mal au dos ? remarqua Nayae.

– Un peu, rien de grave…

– Tu veux que je te masse ?

– Tu sais faire ça ?

– Euh, je sais le faire sur les miens, je ne crois pas que vos muscles sont si différents ?

– Ben je veux bien tester…»

Wlad se mit torse nu et s’assit sur le bord du lit de camp, Nayae s’installa derrière lui et les petites mains fines se posèrent sur la peau pâle de Wlad. Nayae nota les cicatrices plus ou moins récentes. Cet homme n’avait pas dû avoir une vie facile. Rien d’anormal pour un soldat, cela dit.

Nayae était aussi délicat que doué et Wlad apprécia, puis finit par remarquer que les mains se faisaient caressantes. Il déglutit, se demandant ce qu’il devait faire. Il n’avait pas fait l’amour depuis beaucoup trop longtemps, et même s’il préférait les garçons depuis bien longtemps, Nayae n’était pas une femme et son petit corps fin était loin d’être repoussant…

Son pénis lui signala qu’il était partant, de son côté, et il trembla lorsque les bras encerclèrent sa poitrine, avant de fermer les yeux lorsqu’une main descendit le long de son ventre jusqu’à son sexe qui se montra encore plus partant.

« On peut savoir ce qui se passe ?… demanda-t-il tout de même d’une voix peu assurée.

– Hmmm, j’avais envie de te faire du bien pour te remercier de tout ça…

– Ah euh… C’est… Gentil…

– Après, si tu ne veux pas…

– Ben je serais pas contre mais euh… Ça ira pour toi ?… Je veux pas que tu te sentes forcé, hein…»

Il entendit Nayae glousser, puis le sentit se blottir dans son dos alors que les mains se promenaient sur son torse :

« Tu as l’impression que je me force ?»

Wlad rit aussi et céda. Il se retourna pour regarder le Suhulian qui tendit le cou pour frotter son museau à sa bouche en roucoulant, les yeux fermés de contentement.

“C’était pour être sûr.»

Les grands yeux mauves étaient brillants lorsqu’ils se rouvrirent pour plonger dans les siens :

« Sois sûr que j’en ai très envie.»

Wlad eut un sourire et murmura :

« Ça se fait de se rouler une pelle, chez toi ?

– Je sais pas. Montre voir ?»

*********

Si l’orage ne dura pas, la pluie, elle, traîna jusqu’au lendemain. Nayae et Wlad restèrent bien au sec sous la tente, chacun découvrant avec un grand intérêt les particularités anatomiques de l’autre.

La nuit tomba et Wlad s’endormit après avoir mangé quelques fruits. Nayae s’emballa dans sa couverture et alla farfouiller dans sa valise jusqu’à retrouver un pantalon ample qu’il enfila et surtout de quoi écrire. Il pensa un moment à se servir de sa tablette, mais l’Aer seule savait combien de temps ils allaient rester là, et si le pire arrivait, l’appareil risquait de ne plus du tout être utilisable lorsqu’on le retrouverait.

Nayae n’avait pas l’intention de mourir ici et il bénissait l’Aer d’avoir mis Wlad sur sa route. Le Bashri connaissait cette jungle et à eux deux, survivre serait plus facile.

Mais Nayae était trop vieux, trop conscient qu’ils n’étaient pas à l’abri, que trop de choses pouvait tout de même leur être fatal. Il avait failli mourir si vite et si bêtement… Il se devait de laisser un testament aux siens, de laisser des consignes pour la suite, sur sa succession et le reste.

Un texte rédigé sur des feuilles d’artek, le papier le plus résistant qu’on pouvait trouver dans toute l’Union Stellaire. Il en avait toujours avec lui, et bien emballé, il attendrait des millénaires s’il le fallait qu’on vienne le lire.

Nayae s’installa en tailleur et se mit à l’œuvre, de sa belle écriture fine. Il savait de longue date qui devait lui succéder. Il savait dans quelle voie engager les siens. Il espérait que l’Union saurait gérer les choses.

Il se relut patiemment, corrigea un ou deux détails, avant de rouler proprement les feuilles et de les ranger dans une pochette solide, dans sa valise.

Il sursauta en sentant revenir sur ses épaules nues la couverture tombée au sol pendant qu’il travaillait.

Wlad passa doucement ses bras autour de lui :

« Tu es gelé… Tu ne dors pas ?

– Je t’ai réveillé ?

– Pas vraiment… Tu lisais un truc ?

– Non, j’en écrivais un.

– Ah… Désolé, je ne voulais pas être indiscret.

– Il n’y a pas de mal.

– Je croyais que tu lisais. Mon grand-père lisait toujours quand il n’arrivait pas à dormir.

– Tu ne lis pas, toi ?

– Non, personne ne m’a appris… Je sais gribouiller mon nom, il parait que c’est toujours ça de pris. »

Nayae le regarda, surpris :

« Oh, c’est dommage… Tu n’as pas envie d’apprendre ?

– Bof, pas besoin de savoir lire pour se battre, ou piloter ou réparer un moteur quand on le connaît… Après, j’ai toujours fait équipe avec des gens qui savaient, on se répartissait le boulot… Mais clair que certains en ont bien profité pour m’avoir.

– C’est triste. »

Nayae se laissa couler contre le torse de Wlad qui sourit.

« J’imagine que toi, tu as pu aller à l’école… dit-il.

– Tous les miens y vont. Et sur Terre aussi, tous vos petits y vont ! Comment tu as pu être privé de ça ?

– Je ne suis pas né sur Terre… En fait, je n’y ai jamais mis les pieds.

– Ah ? Tu es né sur quelle colonie, alors ?

– Ben, pas de colonie non plus… avoua Wlad. En fait… »

Il hésita un peu, puis se lança avec un haussement d’épaules :

« Je suis né sur le vaisseau où vivait ma mère… Une grosse boite à moitié pourrie, une troupe de pirates… Ma mère était la fille du cuistot, enfin, en tout cas, c’est ce qu’il disait. On a jamais su qui était mon père, il faut dire que tous les gars se la tapaient… Enfin, à part deux qui s’occupaient tous seuls et un autre qui n’était pas humain et qui se gardait pour les femelles de sa race… Ils trafiquaient du côté d’Orion… Euh, vers la galaxie que l’Union appelle Dukoss, je crois, si ça te situe…

– Je vois, oui. Ce n’est pas si loin de Suhulia…

– Oui, c’est vrai, c’est du même côté. Enfin bon, du coup, je crois pas que ma naissance ait été vraiment déclarée… Après, quand j’ai commencé à bosser avec eux, ils m’ont fourni des papiers, mais ça n’a jamais dû être des vrais… Et après, pareil…

– Et à l’armée, ils n’ont pas réglé ça ? »

Wlad grimaça. Nayae tourna la tête pour le regarder et sourit doucement :

« Wlad ?

– Non, ils m’ont fait signer un truc sans trop me le lire et c’était tout.

– Ce n’est pas très légal. Et t’oublier aussi, ce n’était pas très légal. »

Wlad grommela sans répondre. Nayae sourit :

« Tu n’es pas obligé de tout me dire. Mais tu peux me faire confiance.

– Hm.

– Si nous allions dormir ?

– Ouais. »

*********

Wlad essuya son front et soupira.

Fichue jungle. Quand c’était pas les orages, c’était le soleil…

Ça tapait fort, cet après-midi-là, et l’ancien pirate chassait. Raz le cul des conserves, il avait envie de viande fraîche pour son dîner.

Nayae l’avait accompagné, mais s’était arrêté en route cueillir des baies bleues. Le petit Suhulian s’était bien remis, ils allaient bientôt pouvoir partir, puisque les secours n’arrivaient toujours pas.

Wlad était finalement plutôt content d’avoir rencontré Nayae. Il avait connu très peu de Suhulians dans sa vie et en savait peu sur eux. Celui-là était plutôt sympathique, curieux sans être indiscret, plutôt de bon conseil et très actif. Il ne renâclait pas à la tache et ne se plaignait pas. Et au lit, c’était du bonheur. Non, il l’aimait franchement bien. Pas d’amour, ça non, et il savait bien que Nayae non plus ne l’aimait pas ainsi, mais ils se complétaient et s’entendaient très bien.

Wlad avait un arc et avançait en silence, aux aguets. S’il avait su qu’ils resteraient aussi longtemps, il aurait posé des pièges.

Voyant un grand herbivore, il resta caché. Trop gros pour lui. Tuer un animal de cette taille pour en laisser les 3/4 aux charognards, c’était absurde.

Le paisible quadrupède partit et Wlad vit deux oiseaux au sol qui se disputaient un fruit. Wlad eut un sourire en bandant son arc. Il allait les mettre d’accord, ou plutôt laisser le fruit au plus petit des deux.

La flèche cloua sa cible au sol, au sens propre. L’autre oiseau fit un bond en arrière, surpris, puis saisit le fruit pour s’envoler à toute vitesse alors que Wlad approchait tranquillement.

Bon, un peu gros, mais ça irait…

Il retira la flèche, saisit la volaille inerte par le cou et se leva. Temps de rentrer faire rôtir ça.

« Ne bougez plus ! »

Wlad sursauta et se retourna vivement.

Il avisa un tout jeune homme blond dans un uniforme sale et en partie déchiré, mal rasé et visiblement épuisé, amaigri, qui le braquait de son pistolet-laser d’une main tremblante.

Wlad fronça les sourcils.

Qu’est-ce que c’était que ça ?

« Bonjour, tenta-t-il.

– Lâchez votre arc ! »

Wlad obéit. Il avait son couteau à la ceinture.

« C’est quoi, votre problème ?

– Qui êtes-vous et qu’est-ce que vous faites ici ?!

– C’est fini, oui ? Je chasse, ça ne se voit pas ?

– Répondez-moi, qui êtes-vous ? »

Le garçon tremblait de plus en plus et Wlad soupira. Bordel. Pas qu’il ait envie de tuer un gosse, surtout au bout du rouleau comme ça, ce n’était pas des plus loyal. Mais l’uniforme était celui d’un officier et ça ne pouvait être qu’un membre de l’équipage du cuirassier, sûrement un autre problème de navette, qui était revenu à l’épave pour tenter de trouver de l’aide ou au moins un abri en attendant les secours.

« Vous n’avez pas d’uniforme !… Vous êtes un pillard, c’est ça ?… Qu’est-ce que vous avez fait de l’épave ? »

Wlad avait remis ses habits, un pantalon noir en toile épaisse et une tunique anthracite à manches courtes. Il n’avait gardé que les bottes, plus solides et confortables que la vieille paire trouée qu’il se traînait.

« Vous pourriez arrêter de me braquer ? C’est un peu stressant.

– Répondez-moi ! »

Wlad soupira et jeta vivement sa proie sur le garçon. Le sursaut de ce dernier lui suffit pour saisir son couteau et se jeter sur lui. Le laser frappa un arbre voisin et Wlad envoya voler l’arme avant de faire un croche-pied au jeune soldat qui se retrouva au sol, un chasseur à cheval sur son torse, ses jambes bloquant ses bras, et une longue lame sous la gorge, avant de le comprendre.

« Bon, tu disais ?

– …

– Toi, tu es qui et qu’est-ce que tu fous là ?

– … »

La lame appuya un peu plus fort.

« Lieutenant Alexei Kemenov… En formation sur le Tayir

– Tu vois, quand tu veux. Tu n’as pas évacué avec les autres ?

– Ma navette s’est plantée après une demi-heure de vol… Personne n’a répondu à mes appels, ils ont tous filé à l’est… Alors… Je suis revenu…

– Tu as mis cinq jours à revenir ?

– Euh… Je sais pas… Ça fait cinq jours ?… J’ai galéré à retrouver… C’est parce que je voyais de la fumée de temps en temps que j’ai pu me guider… »

La fumée de leur camp, sans doute.

« Wlad ? Qu’est-ce que tu fais ?… »

Nayae venait d’arriver avec son petit seau rempli de baies.

« Tiens, un invité ?

– Je sais pas, qu’est-ce que tu en penses ? »

Le petit Suhulian s’approcha. Comme il en avait pris l’habitude, lorsqu’il allait dans la jungle, ses cheveux tressés étaient noués en un chignon particulièrement volumineux. Il portait une petite tunique fine, ocre clair comme son pantalon ample, et se pencha pour flairer de loin le nouveau venu :

« Tiens, je vous reconnais. Vous étiez sur le Tayir.

– Je euh… ? »

Le garçon sursauta soudain, enfin autant que le lui permettait le poids de Wlad :

« Vous êtes…

– On en fait quoi, de ce gamin, t’as une idée, Nay ? le coupa Wlad.

– On l’emmène et on le nourrit, ça me parait une base. »

Wlad fit la moue.

« Quoi ? sourit Nayae. Tu voulais le manger ? »

Wlad rigola et se releva :

« Ben, j’ai trouvé mieux. Sérieux, il a que la peau sur les os, là, je sais que je suis pas difficile, mais y a des limites. OK, t’as gagné, on l’embarque. Mais il est prévenu… »

Wlad alla ramassé le pistolet laser pendant que Nayae aidait le garçon flageolant à se relever.

« … S’il repointe la moindre arme sur moi, il est vraiment mort. »

Wlad regarda Nayae en glissant le pistolet à sa ceinture :

« Et il passe devant. »

Nayae opina du chef et fit signe au garçon :

« Viens, c’est par là… »

Wlad ramassa sa proie et les suivit, suspicieux.

Profitant de la distance, Alexei bredouilla :

« Mais euh… Seigneur Nayae…? Qu’est-ce que vous faites ici ? Qui est cet homme ?

– Un rescapé comme nous. Évite le “seigneur” et tutoie-moi, s’il te plaît, répondit tout bas Nayae. Pour le reste, on verra entre quatre yeux.

– Vous êtes sûr qu’on peut lui faire confiance…?

– Il m’a sauvé la vie. Alors oui, moi je lui fais totalement confiance. Libre à toi de faire comme tu voudras. »

*********

Wlad vida l’oiseau devant un Alexei blême, à moitié écœuré par le tas de viscères jetés dans le seau.

Nayae mangeait ses baies avec appétit en regardant lui son ami faire avec ses grands yeux curieux, un regard que Wlad connaissait désormais bien.

Ils étaient tous trois assis autour du feu que Wlad avait ravivé en rentrant.

Nayae rendit le seau de fruits à Alexei qui sursauta avant d’en prendre une poignée d’une main peu sûre en bredouillant :

« Merci euh… Nayae…

– Mâche bien, c’est une vraie saleté à digérer, ces trucs, lui dit Wlad sans lever les yeux de son futur rôti. C’est super bon, mais ça risque de te retourner le bide… Tu voudras de la viande ?

– … Oui s’il vous plaît…

– Tu peux me tutoyer. »

Wlad embrocha la volaille et la posa sur le feu. Puis, il se leva et prit le seau de déchets pour aller le jeter plus loin. Alexei mâchait les baies avec application.

« Tu pourras te laver après manger si tu veux, la rivière est juste là en bas… lui dit Nayae. Par contre, je ne sais pas trop ce qu’il y a comme vêtement propre… Peut être que le pantalon qui Wlad avait prit quand il m’a retrouvé t’ira, il était trop grand pour moi…

– Je ne me souviens pas de lui… Pourquoi est-ce qu’il ne porte pas son uniforme ?… Et vous non plus, vous n’avez pas eu de nouvelles des secours ?

– Aucune nouvelle de rien. Tous les appareils du Tayir ont grillé… C’est ce que dit Wlad…

– Et vous le croyez ?

– Oui. Arrête de me vouvoyer.

– Excusez euh, excuse-moi d’insister, mais il n’a vraiment pas l’air d’un soldat… Et encore moins d’un ingénieur…

– Je sais. Et le fait qu’il ne sache pas qui je suis aussi m’intrigue beaucoup.

– Vous ne euh tu ne lui as pas dit ? »

Nayae dénia du chef en silence car Wlad revenait. Il leur jeta un œil et se rassit pour faire tourner la viande.

« Puisque les secours n’arrivent pas, on pensait à rejoindre la colonie, reprit Nayae.

– J’y ai pensé aussi, mais c’est impossible pour le moment… soupira Alexei. Il y a des grands marécages à l’est, avec des bestioles dedans qui font vraiment pas rêver… Je les ai vus de la navette, je me suis écrasé pas loin… J’ai voulu les traverser, mais j’ai failli me faire bouffer par un truc énorme… J’ai pas bien vu, mais j’ai pas insisté… Et ils ont l’air bien trop immenses pour être contournés… Je crois qu’ils s’assèchent au plus fort de la saison chaude, mais impossible de savoir quand exactement… »

Wlad grogna alors que Nayae soupirait :

« Nous voilà condamnés à attendre les secours…

– C’est étrange qu’ils ne soient pas déjà là.

– Oui et non, soupira encore Nayae. Phaero 7 est une petite colonie qui a peu de moyens. Elle ne dispose pas d’une flotte pour ce genre de choses… S’ils ont réussi à la rejoindre, il a déjà fallu qu’ils les accueillent et s’occupent des éventuels blessés… Pour venir faire une expédition ici, il faut un vaisseau suffisant et s’ils sont obligés d’appeler des renforts, ça pourrait être très long.

– Ouais, opina Wlad. Aucune station spatiale militaire ou même civile dans ce système, ni dans les voisins… Sans compter que les orages détraquent les appareils de comm’… S’ils doivent attendre un autre croiseur, on en a pour des semaines au mieux. C’est aussi pour ça qu’y aller à pied me paraissait bien… Mais au pif et avec des marécages au milieu… grogna-t-il en fronçant les sourcils avant de secouer la tête, sombre.

– Excusez-mo… Excuse-moi, mais euh… Sans remettre du tout ta parole en doute hein… bredouilla nerveusement Alexei en agitant ses mains devant lui alors que Wlad haussait un sourcil, tu es vraiment sûr que plus rien ne marche dans l’épave ?

– Tout le système électrique est off.

– Est-ce que l’épave est loin d’ici ?

– Non, j’ai mis ce camp à l’abri de la foudre, c’est tout. Elle est à 5-10 minutes à tout casser.

– Tu pourrais m’y accompagner ?… Je euh… Je m’y connais un peu en électronique alors… Si je peux jeter un œil ? Peut-être qu’il y a un moyen d’activer un système de secours ?

– Ils n’auraient pas dû s’activer automatiquement ? s’enquit Nayae.

– Si, la foudre a dû tout dérégler, mais on ne sait jamais… répondit Alexei.

– Si ça t’amuse… grommela Wlad. On verra ça demain. »

Il se tut, décidément sombre et Nayae, qui avait fini de manger, détacha le chignon pour ne garder que la tresse. Wlad lui jeta un œil et eut un petit sourire :

« Tu voudras que je le refasse ?

– Non, elle a bien tenu… On verra demain aussi. »

*********

Wlad essayait de se réveiller en se lavant dans la rivière, très fraîche à l’heure encore matinale qu’il était. Il avait très mal dormi, aux aguets du moindre bruit, car il craignait vraiment qu’Alexei ne tente quelque chose, ne serait-ce que récupérer son arme.

Wlad était méfiant et espérait de tout cœur qu’il avait eu raison de faire confiance à Nayae. Même s’il ne savait pas trop qui il était, le petit Suhulian était sans aucun doute quelqu’un d’important, un diplomate ou un truc comme ça, et ces gars-là étaient plus souvent potes avec des militaires qu’avec des pirates.

Comme il pensait à lui, le petit Suhulian arriva :

« Bonjour, Wlad !… Houlà, ça ne va pas ? »

Wlad jeta un œil gêné à son ami. Nayae le regardait avec inquiétude et il bredouilla :

« Euh, mal dormi…

– L’arrivée d’Alexei t’embête à ce point ? »

Wlad sursauta et regarda avec une franche surprise Nayae qui lui, le regardait d’un air navré :

« Wlad ?

– Euh… Ouais… Excuse-moi, mais euh… J’ai pas confiance… »

Nayae eut un moue navrée et se déshabilla pour le rejoindre dans l’eau. Il commença à dénouer sa tresse en silence.

« … Wlad ? finit-il par reprendre.

– Hm ?

– Qu’est-ce qui s’est passé ? »

Wlad se redressa et le regarda sans trop comprendre :

« Comment ça ?

– Sur le Tayir, qu’est-ce qui c’est passé ?… »

Wlad détourna les yeux en grommelant, mais cette fois-ci, Nayae insista doucement en posant sa main fine sur son dos :

« Wlad, quoi que tu aies fait, tu m’as sauvé la vie. Et ça, je ne l’oublierai pas. Je ne suis pas un ingrat.

– … »

Wlad se tourna et le regarda :

« Nay, je ne veux pas te mêler à ça… Un civil n’a rien à voir avec ce bordel.

– Le civil veut t’aider.

– Ces gars-là ne feront pas de différence s’ils nous retrouvent… »

Nayae eut un sourire :

« Ça, ça serait étonnant. »

Wlad n’eut pas le temps de lui demander ce que ce sourire et cette phrase signifiait car la voix d’Alexei les fit sursauter tous deux :

« Ne bougez plus ! »

Le garçon tenait l’arc braqué sur Wlad qui leva les yeux au ciel :

« C’est pas vrai !

– Écartez-vous, seigneur Nayae, cet homme est dangereux ! »

A la grande surprise des deux humains, Nayae se contenta de se placer entre la flèche et Wlad.

« Baissez cette arme, Lieutenant Kemenov.

– Non, seigneur, je vous en prie, écoutez-moi ! J’ai trouvé une tenue de prisonnier en cherchant les vêtements là où vous m’aviez dit ! Cet homme était enfermé, il a essayé de tuer notre commandant la veille du crash ! Je m’en souviens, j’en ai entendu parler, c’est un pirate qui a rejoint l’armée il n’y a que quelques mois ! »

Nayae jeta un œil à Wlad qui serrait les poings en fusillant Alexei du regard et cracha :

« Putain, toi j’aurais vraiment mieux fait de te crever hier ! »

– Ne le laissez pas vous embobiner, il est dangereux !

Nayae ne bougea pas et regarda à nouveau Alexei, aussi froid que ferme :

« La seule personne que je vois dangereuse, à cet instant, n’est pas l’homme qui est derrière moi. Baissez cet arc, Lieutenant, c’est un ordre. »

A la grande surprise de Wlad, le garçon, tremblant de rage, obéit. Nayae le regardait avec sévérité, puis il soupira et se tourna vers Wlad :

« Je repose ma question et j’aimerais vraiment une réponse. Qu’est-ce qui s’est passé sur le Tayir ? Tu as vraiment essayé de tuer Rozwald ? »

Wlad croisa les bras et répondit de mauvaise grâce :

« Ouais. »

Un geste sec de Nayae empêcha Alexei de râler et de relever son arme.

« Pourquoi ?

– Je l’avais prévenu…

– De quoi ?

– Que s’il me passait encore une main, je lui défonçais la gueule.

– Pardon ?! sursauta Alexei.

– … J’ai rien contre me faire baiser, mais putain, par ce gros porc, plutôt crever.

– Et qu’est-ce qui est arrivé ?

– Ils s’y sont mis à cinq pour réussir à sauver ses miches, j’ai réussi à me casser, ils m’ont chopé alors que j’essayais de prendre une navette pour me casser. Mais il y avait trop de témoins, ils n’ont pas pu me descendre, alors ils ont été obligés de raconter que j’avais agressé le commandant sans raison, ou pour lui voler un truc, je sais plus, et ils m’ont enfermé.

– Et ont donc oublié de te libérer pour t’évacuer, sûrement en espérant que tu meurs dans le crash.

– Ouais. »

Nayae hocha la tête avec un soupir. Alexei les regardait l’un après l’autre, ne sachant ni que dire ni que faire. Il finit par s’écrier, outré :

« Non, mais vous n’allez pas avaler ça ! Le commandant Rozwald… ? Mais c’est impossible, c’est un grand héros de guerre !… Mon grand-père lui doit la vie !…

– On peut être un héros et un pervers, lui répondit Nayae en se remettant à dénouer sa tresse pour ébouriffer sa chevelure. Rien d’incompatible.

– Il me harcelait depuis mon enrôlement… soupira Wlad en sortant de l’eau à distance raisonnable du garçon. Et j’étais pas le seul. Lui et ses sous-off se tapent tous ceux qu’ils veulent, consentants ou pas. Et j’aurais pas été le premier à crever de leur résister.

– Dans ce cas, pourquoi vous n’avez rien dit ? lui demanda vivement Alexei.

– La parole d’un pirate contre celle d’un héros de guerre ? Non mais tu sors d’où, gamin ? »

Nayae sourit et hocha la tête :

« Tu viens toi-même de braquer une arme sur lui sans même lui demander d’explications. »

Réalisant ce que sous-entendait la phrase du Suhulian, Alexei sursauta et regarda Wlad, un peu gêné :

« Désolé… Je croyais euh…

– Ouais ouais, c’est toujours ça le souci… « Vous croyez »… Sans rien savoir et rien vérifier. » grommela l’ancien pirate en s’essuyant avec le linge qu’il avait laissé sur le bord.

Nayae se mit à se laver. Alexei s’assit au bord de l’eau, pensif et choqué. Il finit par dire :

« … Je ne peux pas croire ça… Rozwald m’a beaucoup appris…

– C’est un combattant de valeur. Enfin, c’était. Ça fait un moment qu’il n’a plus mis les pieds sur un champ de bataille, en fait… C’est vrai qu’il s’est bien empâté… Je l’ai connu plus svelte. Dans tous les cas, une enquête doit être faite. » dit pensivement Nayae.

Wlad se rassit et le regarda avant de demander :

« Dis, Nay.

– Hm ?

– D’où un civil suhulian peut donner des ordres à un lieutenant de la Fédération Terrienne ? »

Nayae eut un petit rire. Le regard de Wlad allait de lui à Alexei qui ne savait visiblement pas du tout quoi dire. Le Suhulian se redressa et sourit :

« Tu l’as dit, Wlad, je suis sacrément puissant. »

*********

Nayae cueillait des fruits en chantonnant, de charmante humeur, complètement indifférent aux insultes que s’envoyaient Wlad et Alexei à quelques pas de lui, dans la clairière où ils s’étaient arrêtés.

La communication restait délicate entre les deux hommes, mais au moins, elle restait verbale. Alexei prenait très mal d’être obligé d’obéir à un ancien pirate et le faisait savoir très régulièrement, mais il avait bien été obligé d’admettre que Wlad savait bien mieux que lui comment survivre dans cette jungle.

La visite de l’épave n’avait rien donné. Alexei avait pourtant fait tout son possible des heures durant, mais la foudre et l’humidité avaient bel et bien mis l’appareil hors service. Si le jeune homme ne pensait pas complètement impossible de le réparer, il avait dû admettre que, seul, il n’en avait pas les moyens. Et impossible aussi de trouver un véhicule terrestre pour les transporter. Ils n’étaient pas adaptés à la jungle et aux marécages et de toute façon, il n’y avait plus assez de carburant.

Ils étaient donc définitivement condamnés à attendre des secours qui ne donnaient toujours aucun signe de vie.

Nayae se mit sur la pointe des pieds pour attraper un fruit, le bout de sa langue verte prenant l’air pour l’occasion.

« … Et ben pars à pied si t’en as marre ! Au moins tu serviras enfin à quelque chose, en nourrissant les bestioles des marais !

– Ah ça va, hein ! C’est pas parce que je sais pas faire du feu que…

– Wlad, tu peux venir me faire la courte échelle ? » les coupa Nayae.

Les deux hommes le regardèrent et Wlad obéit non sans un dernier regard sombre au jeune officier. Nayae grimpa dans l’arbre avec agilité. Il était devenu très doué.

« Je peux vous les lancer ?

– Pas de souci, envoie. »

Nayae se mit à l’œuvre en se remettant à chantonner. Ils exploraient une nouvelle zone de la jungle, car après trois semaines, Wlad avait jugé préférable de laisser les arbres de la première, au sud, se reposer, refaire des fruits tranquillement, et ils avaient donc été voir à l’est.

Même s’ils se contentaient des fruits qu’ils connaissaient et étaient sûrs de pouvoir consommer, il y avait de quoi faire.

Wlad avait emmené son arc, au cas où ils croiseraient une proie quelconque pour le dîner, mais c’était plutôt calme de ce côté-là.

Plutôt trop calme. Ça aurait pu les alerter.

Nayae sentit l’arbre trembler, mais avant qu’il n’ait le temps d’alerter ses amis, un long cri retentit, beaucoup trop près.

Et Wlad n’eut que le temps de prendre son arc en main qu’un animal énorme déboulait dans la clairière, un vieil herbivore cornu au flanc ensanglanté, à bout de souffle, qui les toisa avant de pousser un autre cri. Derrière lui surgirent pas moins de huit des créatures griffues qui avaient attaqué Nayae lorsque Wlad l’avait rencontré.

« Oh bordel… murmura Wlad.

– C’est quoi ces trucs ? »

Wlad banda l’arc en criant :

« Nayae, reste là-haut ! »

Il abattit un des prédateurs alors que trois autres se jetaient sur le vieil herbivore qui rua pour s’en débarrasser, sa longue corne frontale frappant l’air. Il était épuisé, sans doute le coursaient-ils depuis un bon moment.

Alexei ramassa une branche épaisse.

« Il faut qu’on foute le camp ! lui dit Wlad en encochant une autre flèche. File, je te couvre !

– Hors de question de te laisser ! »

Alexei envoya sans sommation voler un des bipèdes griffus qui avait bondi sur eux. Il s’écrasa contre un arbre alors que la flèche de Wlad en ratait un troisième. Il jura dans ses dents.

L’herbivore paniqué rua à nouveau avant de foncer droit sur eux, forçant Wlad à pousser violemment un Alexei pris de court avant de sauter lui-même pour l’éviter. Mais cinq bipèdes étaient sur lui et deux parvinrent à sauter sur son dos, l’arrêtant dans son élan. Il se remit à ruer en criant, alors que Wlad bandait son arc pour frapper cette fois sans faute un des autres qui s’approchait de lui avec une gueule bien trop pleine de dents pour être honnête.

Concentré sur celui-là, il ne vit pas à temps de second herbivore surgir derrière lui, corne en avant, pour secourir le vieux.

Wlad évita de peu la corne, mais pas le corps massif qui l’envoya à son tour s’écraser contre l’arbre d’où Nayae descendit souplement :

« WLAD !… »

Le petit Suhulian eut à peine le temps de se réjouir que son ami, bien que sonné, soit en vie qu’il dût se tapir pour éviter un des prédateurs que le nouveau venu avait envoyé voler sans grande diplomatie.

Le petit bipède se releva d’un bond pour foncer en grondant dans la mêlée. Alexei parvint à contourner celle-ci, frappant un ou deux agresseurs, pour les rejoindre. Il s’accroupit rapidement :

« Ça va ?

– Il respire mal…

– Il faut qu’on dégage de là et vite, je vais le soutenir, prends le panier de fruits et fonce ! »

Nayae obéit. Alexei passa le bras de Wlad autour de ses épaules et ils partirent aussi rapidement qu’ils purent.

Wlad essayait de marcher sans trop les ralentir, trébuchant tous les deux pas, mais Dieu merci, occupés entre eux, les animaux ne les suivirent pas.

Ils retrouvèrent leur camp sans trop se perdre et Alexei allongea immédiatement Wlad sur un des lits de camps. L’ancien pirate porta ses mains à sa tête, hagard. Alexei inspira un grand coup pour garder son calme et se remémorer les consignes de premiers soins.

Nayae le rejoignit avec la trousse de secours.

« Ça va, toi, tu n’as rien ? lui demanda Alexei en commençant à tâter doucement le corps de Wlad..

– Non, non… Et toi, ça va aussi ?

– Une griffure, rien de grave… Wlad, tu m’entends ? Reste avec nous, OK ? Dis-moi où est-ce que tu as mal ? »

Le souffle court, Wlad désigna sa poitrine d’un geste vague. Alexei regarda par là et jura entre ses dents.

« Côte cassée… Bon, il ne crache pas de sang, ça veut au moins dire qu’elle n’a rien perforée… Mais il faut bander ça… Il faut des bandages plus longs et larges que ceux de la trousse… On en avait ramenés, je vais aller les chercher… Si tu peux le déshabiller en attendant ?

– D’accord… »

Alexei courut à la seconde tente, là où lui dormait et où ils avaient stocké le matériel, et il entendit Wlad crier alors qu’il fouillait dans une caisse. Il saisit ce qu’il fallait avant de revenir encore plus vite :

« Nayae ? Qu’est-ce qu’il y a ?

– Euh, ben j’ai enlevé sa botte et… Son mollet est un peu tout bleu… C’est pas bon signe, je me trompe ?

– Quoi ? »

Alexei regarda et jura.

« Wlad ? »

Un grognement sourd lui répondit.

« Je m’excuse d’avance, ça va faire mal.

– Dépêche-toi. »

Alexei eut un sourire et réduisit la fracture aussi vite qu’il le put. Wlad serrait les dents, en marmonnant sûrement des choses peu polies.

« Nayae, tu peux aller chercher des bouts de bois pour lui faire un atèle ? Un peu épais et pas trop long ?

– D’accord, je vais voir ce que je trouve… »

Nayae se releva et sourit tristement à son ami :

« Ne t’en fais pas, Wlad. Ça va aller, on est là. »

Il fila et Alexei aida lentement Wlad à se redresser, puis à ôter sa tunique pour bander son torse avec soin, serrant bien pour tenir la côte en place :

« Tu as eu de la chance… Si elle avait perforé quoi que ce soit, tu serais sans doute mort…

– T’es vraiment obligé de m’étouffer à serrer si fort ? grogna le blessé qui revenait à lui.

– Ouais, désolé… ‘Va falloir que tu respires par le ventre comme un grand bébé…

– Ça me donne le droit de vous réveiller pour manger au milieu de la nuit ?

– Ça me changera de vos cris quand vous vous envoyez en l’air…

– On est si bruyants que ça ?

– Horrible. En plus, je te raconte pas comme ma femme me manque, y a vraiment des nuits où c’est un calvaire…

– T’as qu’à venir, on te consoleraaaaaïe !!! »

Nayae revint :

« Alexei, ce n’est pas gentil de faire mal à un blessé !

– C’est lui qui a commencé. Il n’avait qu’à pas me faire des propositions indécentes.

– Moi ce que j’en disais, c’était pour toi… Aïe !

– Je suis un homme fidèle, Wlad.

– Oh non mais on lui aurait rien dit, promis…

– Wlad… gronda Alexei.

– Désolé si nos cris te dérangent, sourit Nayae. Wlad perd un peu la notion de ce qui l’entoure quand il s’agit de me faire crier.

– Et réciproquement, sourit Wlad et Nayae opina.

– La première fois, j’ai vraiment cru qu’il te forçait. » reconnut Alexei en nouant le bandage.

Il rallongea Wlad qui demanda :

« Que qui forçait qui ?

– Que tu forçais Nayae. Jusqu’à ce que je me souvienne que les Suhulians sont venimeux et qu’il n’y avait aucune chance qu’il se soit laissé violer.

– Effectivement, le dernier qui a essayé a eu quelques problèmes. » approuva Nayae.

Alexei fit un atèle solide avec le bois.

« Et maintenant, repos, et surtout, tu nous appelles s’il y a quoi que ce soit !

– Oui, docteur. »

*********

Wlad devait se contenter de la béquille qui avait servi à Nayae, et même réglée au max, elle restait trop petite pour lui. Mais pour faire quelques pas entre les tentes ou aller se laver à la rivière, c’était suffisant.

Alexei avait changé du tout au tout, conscient d’une part qu’en le poussant, Wlad lui avait sans doute sauvé la vie, vu la corne de l’animal, et surtout qu’il devait assurer, pendant la convalescence de l’ancien pirate, le rôle de chasseur et l’entretien du camp.

Wlad restait de bon conseil, et savait le guider à défaut de pouvoir l’aider. Alexei était même sacrément surpris de la patience et des capacités pédagogiques de Wlad, qui pouvait passer des heures à lui expliquer, autant de fois et de façon aussi varié que possible comment faire quelque chose, sans jamais ni se décourager, ni le décourager :

« Allez, tu es largement capable de ça, ce n’est pas si dur. Concentre-toi un peu. »

Alexei s’était découvert des talents insoupçonnés en chasse, pêche et bricolage et n’en était pas peu fier.

Les semaines passaient et si la côte de Wlad s’était remise sans souci, sa jambe, elle, prendrait plus de temps.

Nayae, pour sa part, la routine installée, partageait son temps entre lire tranquillement sur sa tablette, une chance qu’elle fonctionne à l’énergie solaire, méditer ou encore apprendre à Wlad à lire et écrire. L’ancien pirate y mettait de la bonne volonté et il progressait assez vite. Mais lorsque l’après-midi se tirait, les trois compères se retrouvaient immanquablement autour du feu ou s’il pleuvait, autour d’une lanterne dans la tente, pour parler de tout et rien jusqu’à l’heure du coucher.

Les jours passaient, paisibles, hors du temps.

Nayae et Wlad faisaient de gros efforts pour faire moins de bruits durant leurs ébats, avec plus ou moins de réussite, mais Alexei appréciait l’intention. Lui espérait que les secours arriveraient bientôt, sa femme lui manquait vraiment.

La saison des orages fit place à la saison chaude. Les marécages devaient être asséchés, mais la jambe de Wlad lui interdisait toujours un tel voyage, et Nayae et Alexei refusèrent de partir sans lui.

Wlad se reposait, à l’ombre de la tente, un après-midi, lorsqu’un bruit sourd le réveilla.

Alexei et Nayae étaient partis à la chasse. Il se redressa. C’était un bruit qu’il n’espérait plus trop, celui d’une navette.

Inquiet, le blessé se leva lentement, saisit sa béquille et jeta un œil dehors. Pas une, mais trois, et une venait pas ici. Il jura dans ses dents. Il fallait qu’il se casse et reste planqué le temps que Nayae et Alexei reviennent, en espérant qu’eux puissent convaincre les nouveaux venus de le laisser tranquille.

Il prit une inspiration et fila aussi vite qu’il le put, mais pas assez.

« Halte ! »

Il trembla en jurant et se retourna lentement. Il ne connaissait pas ces trois soldats, mais ils étaient armés et le toisaient d’un œil sévère. Celui qui semblait les diriger, et qui avait crié, reprit plus doucement :

« Pardon, nous ne voulions pas vous faire peur… Nous sommes envoyés par la Fédération Terrienne euh… Vous êtes le lieutenant Kemenov ? »

Wlad ne répondit pas, reculant un peu.

Pourquoi avait-il fallu qu’ils arrivent à un moment où il était seul ?

« Monsieur ? Est-ce que tout va bien ?

– C’est lui, abattez-le ! »

Wlad fit un bond en se tournant et blêmit en voyant arriver Rozwald et d’autres soldats, parmi lesquels ses fidèles toutous, qui le mirent immédiatement en joue. L’autre soldat s’écria, choqué :

« Commandant ! Qu’est-ce qui vous prend ?! »

Wlad fit un nouveau pas en arrière, tremblant, alors que son ancien officier, un peu moins gros, mais toujours aussi moche, reprenait avec la même virulence :

« Cet homme est un criminel, Lieutenant ! Et il a essayé de me tuer ! C’est un pirate et un traître, qui a voulu déserter !

– Euh, sauf votre respect, mon commandant, il est blessé et désarmé, et nous avons pour consigne de ramener au général toute personne se trouvant aux alentours de l’épave…

– Fermez-la, Lieutenant ! Vous n’êtes pas là pour discuter mes ordres ! »

La voix de Nayae s’éleva :

« Que d’agressivité, Commandant Rozwald. »

Le petit Suhulian arrivait calmement avec Alexei qui rejoignit Wlad en courant, un gros oiseau dans une main et l’arc dans l’autre :

« Wlad ! Ça va ?

– Pour le moment, je suis encore en vie… » répondit Wlad.

Nayae les rejoignit avec un soupir. Les vacances semblaient finies… Mais elles avaient été bien plus longues qu’il n’aurait pu l’espérer.

« Éloignez-vous de cet homme, Awla ! Il est dangereux ! cria encore Rozwald.

– Vous trouvez ? sourit Nayae en commençant à détacher son chignon.

– Il vous a menti ! Je n’ai jamais…

– Jamais quoi ? De quoi vous défendez-vous alors que personne ne vous accusait, Commandant ? »

Nayae se mit devant Wlad, comme il l’avait fait des mois plus tôt pour le protéger d’Alexei. Wlad regardait son petit ami sans trop comprendre. Rozwald l’avait appelé « Awla »… ?

« Quoi que vous reprochiez à Wlad, Commandant, il doit être jugé. D’où croyez vous pouvoir ordonner qu’on l’abatte ainsi ? L’Union Stellaire n’est pas une zone de non-droit. Phaero 7 est sous la juridiction de Suhulia et jamais les miens ne permettront un meurtre aussi sordide.

– Ne me forcez pas à employer la force contre vous aussi !

– C’est moi que vous venez de menacer, Commandant ? »

Une autre navette approchait et un des officiers de Rozwald s’écria :

« Commandant, il faut faire vite !

– Écartez-vous, Awla, ne vous mêlez pas de cette histoire ! En joue, vous autres ! »

Nayae défaisait calmement sa tresse. Les trois autres soldats regardaient le trio et l’autre groupe sans savoir quoi faire. Le lieutenant balbutia :

« Commandant, vous n’allez pas… ?

– Oh, si, si, il va nous descendre, tous, et se condamner, et condamner l’ensemble de votre race, pour protéger ses petites miches. »

Le calme de Nayae était vraiment total et Wlad et Alexei échangèrent un regard dubitatif. Le Suhulian regarda les soldats qui les menaçaient et reprit :

« Messieurs, je ne sais pas qui vous êtes, mais je vous conseille sincèrement de m’obéir à moi et maîtriser immédiatement votre commandant. La navette qui arrive est celle de la Garde Pourpre, ma garde personnelle, des Harirans d’élite, qui savent parfaitement que je suis en vie et qui, si elles trouvent mon cadavre encore chaud, car vous n’aurez jamais le temps de le faire disparaître, vous allez vraiment passer un sale moment qui durera sûrement jusqu’à votre mort.

– Ne l’écoutez pas ! cria Rozwald qui commençait à paniquer. On fera passer ça pour une fusillade avec ce pirate !

– Ben voyons, sourit Nayae en ébouriffant sa longue chevelure. Wlad est désarmé, comme nous, mon corps sera devant le sien et il leur faudra cinq minutes pour comprendre que ce sont vos armes qui nous ont tués, et l’enquête le prouvera. Tuer un pirate déserteur, c’est une chose, messieurs, et je gage que l’enquête aurait été légère. Mais là, on parle de moi, et abattre un chef d’État pour ça, vous ne trouvez pas que le remède est légèrement pire que le mal ? »

Sentant que les soldats commençaient à hésiter, Nayae continua :

« J’ignore à quoi vous jouez, Commandant, et j’ignore aussi pourquoi vous lui obéissez, messieurs, mais songez bien que, pour couvrir cet homme, vous vous apprêtez à m’abattre moi, Nayae, 187e Awla de Suhulia, seigneur de mon peuple, son dirigeant et guide spirituel depuis une époque où vos grand-pères eux-mêmes n’étaient même pas conçus, moi, un membre du Conseil de l’Union, devant lequel je vous défends sans cesse. Allez-y, prouvez-moi que j’ai raison de ne pas vous prendre pour une espèce sous-développée, violente et sans avenir. Prouvez-moi que les Bashris peuvent prendre de bonnes décisions et agir avec intelligence. Ou montrez encore que vous n’êtes que des idiots et que tous les efforts des miens, tous mes efforts pour vous sauver sont une perte de temps et d’énergie et qu’on aurait dû vous laisser crever sur votre planète à l’agonie. »

Nayae croisa les bras.

« Alors ? Décidez-vous. Maintenant. »

Les soldats échangèrent un regard et se retournèrent pour braquer le commandant et ses sous-officiers. Nayae sourit alors qu’Alexei et l’autre lieutenant poussaient tous deux un soupir soulagé, dans un ensemble touchant.

L’autre navette, sur laquelle était effectivement peint un grand signe pourpre, avait atterri et une troupe d’Harirans arrivaient en courant, de grandes guerrières félines, l’élite de leur peuple, car les Harirans étaient un peuple guerrier, et depuis des siècles, elles servaient d’armée à Suhulia. La Garde Pourpre était l’élite de l’élite, les gardes rapprochées de l’Awla, le dirigeant de Suhulia.

L’une d’elle, rousse, dans une armure noire aussi solide que légère, rejoignit Nayae alors que les autres encerclaient la scène, sur leurs gardes.

« Bonjour, Kayid Gwidel, la salua Nayae. Quel plaisir de te revoir. Comment vas-tu ?

– Bien, bien. Contente de te revoir aussi, Awla. Surtout vivant. Quels sont tes ordres ?

– Arrêtez immédiatement le commandant Rozwald et tous ses sous-officiers. Des graves accusations pèsent sur eux et une enquête rigoureuse doit être faite au plus vite. »

Wlad restait muet, stupéfait, Alexei était vraiment soulagé et tous deux regardaient le belle guerrière à fourrure, bien plus grande qu’eux, qui opina sans attendre.

Rozwald eut beau crier à la félonie et accuser Wlad de tout, les Harirans le saisirent sans attendre alors que quelques autres humains arrivaient, dont un homme d’un âge honorable dans un uniforme impeccable et Alexei sursauta :

« Grand Père ?… »

Rozwald repartit de plus belle en le voyant :

« Mon général ! Arrêtez cette mascarade ! Ce pirate leur a retourné la tête ! Il faut l’empêcher de nuire ! »

Le général fronça les sourcils et s’approcha de Nayae qui lui sourit :

« Bonjour, Général Piwski.

– Mes respects, seigneur Nayae. Dieu merci, vous allez bien !

– Très bien, ne craignez rien.

– Que se passe-t-il ?

– Le commandant Rozwald, dans son désir de faire disparaître cet homme qui l’accuse de choses diverses, a un peu oublié ses devoirs et non content de le menacer, m’a menacé aussi. Vous comprendrez que tout ceci mérite d’être éclairci.

– Oh… Oui, effectivement… Mais cet homme …?

– Je m’en porte garant. »

Le général opina du chef et voyant Alexei, il sursauta à son tour et le garçon se mit maladroitement au garde-à-vous sans lâcher le volatile qu’il tenait toujours, avant de saluer précipitamment :

« Mes respects, mon général !

– Oh, arrête ça, Alexei… » soupira le vieil homme.

Il le serra avec force dans ses bras :

« Bon sang, j’étais tellement inquiet… Et ta mère aussi, je ne t’en parle même pas… Tu vas bien ?

– Très bien ! La vie au grand air, ce n’est pas si mal !

– Qu’est-ce que tu tiens là ?

– Oh, notre dîner ! Ça faisait trois jours que Wlad me le réclamait. »

Wlad sursauta aussi en entendant son nom, revenant enfin au présent :

« Ah euh oui, c’est vrai… Mais du coup, je ne sais pas euh… ?

– Bah, nous avons bien le temps de dîner avant de repartir, je pense ? dit doucement Nayae. Je meurs de faim et Alexei s’est donné du mal, ça serait dommage de ne pas prendre le temps de manger ça… En plus, il y en a trop pour eux deux… »

Nayae regarda Gwidel qui souriait et dit sans même attendre la question :

« Je vais avertir la colonie que nous avons retrouvé les trois disparus sains et saufs et que nous rentrerons dans quelques heures, une fois le ménage fait.

– Merci. »

Wlad accepta sans rechigner de préparer le volatile, mais non sans se moquer gentiment d’Alexei qui n’était jamais arrivé à les vider. Le jeune lieutenant lui tira la langue en ravivant le feu, et Nayae s’assit tranquillement avec son seau de fruits. Gwidel s’assura que les prisonniers étaient renvoyés sous bonne garde à la colonie avant de les rejoindre. Elle s’assit près du général qui conversait plaisamment avec Nayae et Alexei. Wlad écoutait sans trop participer, ne sachant pas trop s’il devait être soulagé ou inquiet.

Nayae, un chef d’État ? Le dirigeant de Suhulia ? Wahou. Ça, c’était dingue… Même s’il avait compris rapidement que son ami n’était pas n’importe qui, mais là quand même… Il espérait qu’il allait réellement pouvoir le protéger et veiller à ce que l’enquête soit menée comme il fallait.

Il fit cependant cuire la viande avec soin, alors que le soleil rouge baissait, et tout le monde se régala et le félicita.

Après le dîner, Wlad, Nayae et Alexei firent leurs bagages et partirent, laissant aux troupes le soin de démonter le camp et de voir ce qu’on pouvait faire du Tayir.

Wlad ne se retourna pas.

*********

La colonie de Phaero 7 était vaste et il y régnait une ambiance chaleureuse. Nayae était content d’y être. Il avait pu y faire ce qu’il devait, et, seul dans sa vaste chambre de la maison du gouverneur, il regardait tranquillement, assis au bord de la fenêtre ouverte, la place située devant le bâtiment, très animée en ce soir de marché.

On frappa à la porte et Gwidel attendit qu’il l’y autorise pour le rejoindre. Il sourit à sa vieille amie :

« Alors, où en sommes-nous ?

– Tout va bien. Nous pourrons partir dans quatre jours comme prévu.

– Parfait.

– Wlad vient toujours avec nous ? »

Nayae leva les yeux au ciel :

« Toi aussi, tu vas me dire qu’il n’a rien à faire à Suhulia et que ce n’est qu’un criminel que je devrais remettre à la justice terrienne au lieu de le gracier ? »

Gwidel eut un petit rire.

« Non, jamais je ne me permettrais de te dire ça, Nayae. Ton jugement est sûr, tu me l’as très souvent prouvé. Si tu veux prendre ce Bashri à ton service, je te suis les yeux fermés, n’en déplaise à Vanae.

– Où il est passé, celui-là ?

– Ton secrétaire fait ses rapports, Nayae. Toujours très consciencieux, tu le sais. Il a tout très bien géré pendant ton absence.

– Je n’en attendais pas moins de lui.

– Je peux te poser une question ?

– Pose.

– Pourquoi ne nous as-tu pas contacté pour que nous venions te chercher plus vite ? »

Nayae sourit alors qu’elle insistait :

« Tu aurais pu passer par l’Aer pour nous dire où tu étais bien avant que Phaero 7 ne nous contacte. Les prêtres me l’ont confirmé. Là, ils pouvaient juste dire que tu étais en vie, car ton essence de vie n’avait pas rejoint le Grand Flux. Mais pourquoi tu es resté muet ? Nous aurions pu gagner des semaines…

– Honnêtement ?

– Oui, je te le demande.

– Alors garde-le pour toi. »

Nayae se leva et referma la fenêtre.

« J’étais épuisé, Gwidel. Je n’en pouvais plus. Trop de choses à faire et plus l’esprit suffisamment apaisé pour les gérer comme je le devais. Avant de quitter Suhulia, je me suis rendu au Temple et j’ai prié, mais pas de solutions… Lorsque ma navette s’est écrasée, j’y ai vu une opportunité. L’opportunité d’avoir enfin le temps de me ressourcer, d’oublier tout pour retrouver mes esprits. Je n’étais pas inquiet. Tu l’as dit, vous saviez que j’étais en vie. Je savais que vous alliez venir. Wlad était un compagnon agréable et qui veillait sur moi. Alexei aussi était un bon ami. J’ai passé ces semaines coupé de tout, avec un homme qui ignorait qui j’étais et un autre qui le savait, mais qui a su tenir sa langue et me laisser en paix.

– Bref, tu avais besoin de vacances.

– C’est ça !

– Et ça t’a fait du bien ?

– Beaucoup ! J’ai pu faire le vide et redéfinir beaucoup de choses. Me voilà de retour pour reprendre les choses en mains !

– Tes ennemis vont être ravis. »

Nayae eut un petit rire :

« Oh ça oui ! Je suis sûr qu’ils m’attendent impatiemment ! »

*********

Wlad profitait tranquillement des bains chauds du gouverneur. Il avait enfin eu droit à un vrai emplâtre, léger, car l’os était presque ressoudé, mais marcher sur une jambe, même avec des béquilles, fatiguait beaucoup ses bras et son dos. Il était content de pouvoir se délasser un peu dans ses grandes cuves en dallages blancs.

Le protocole lui pesait un peu, il préférait se retrouver seul avec son ami, ou à la limite avec Gwidel qui l’aimait bien et l’avait bien accueilli. Le secrétaire, un autre Suhulian, semblait par contre le détester.

Alexei avait retrouvé son épouse, venue sur la planète dès l’annonce de sa disparition. Une charmante jeune femme qui l’avait remercié, en larmes, de ce qu’il avait fait pour son mari.

Il avait été très gêné.

Il sommeillait presque lorsqu’il entendit qu’on approchait.

Nayae glissa dans l’eau à ses côtés.

« Tiens, qui voilà.

– Bonsoir, Wlad. Comment te sens-tu ?

– Ma foi, plutôt bien. Enfin libéré de tes obligations ? Je ne t’ai pas vu de la journée.

– Désolé, trop de choses à voir… »

Nayae se blottit contre lui avec un soupir d’aise, des longs cheveux flottant dans l’eau. Wlad sourit et passa son bras autour des frêles épaules.

« Ça en est où ?

– Eh bien, suite à ton accablant témoignage, l’enquête a commencé, et nous en sommes à six autres soldats qui ont reconnu avoir aussi été victimes de harcèlement et de viols pour quatre d’entre eux, et plusieurs autres ont reconnu avoir couché avec le commandant Rozwald ou ses officiers, mais en se disant consentants. Deux de ses officiers reconnaissent les faits, mais lui et les autres s’en tiennent à leur discours de complot et de mensonges. Ils n’ont aucune chance de s’en tirer. J’y veillerai, de toute façon. »

La main de Nayae se promena sur le torse de Wlad et se mit à descendre doucement.

« Sinon, toujours partant pour me suivre sur Suhulia ? »

Wlad sourit et haussa les épaules.

« Ma foi, je n’ai plus nulle part où aller, alors mettre mes talents à ton service me va tout à fait. »

La main glissa entre ses cuisses et Wlad ajouta :

« Ce talent-là aussi, oui, sans problème. »

Nayae eut un petit rire et frotta son museau aux lèvres de Wlad qui l’embrassa en retour et dit doucement :

« Besoin d’un peu de tendresse, mon seigneur ?

– La journée a été très longue…

– J’ai découvert une petite taverne en ville qui sert un ragoût de fruits absolument divin, je t’y emmènerai, si tu veux.

– Pour dîner ? Volontiers. Tout à l’heure. »

Wlad sourit, hocha la tête et ferma les yeux.

Oui, un petit dîner en tête à tête, ça serait bien. Mais tout à l’heure.

A suivre !

(11 commentaires)

  1. Je viens commenter en retard!
    Déjà, merci pour ce cadeau Halloween 🙂

    Pour la nouvelle en elle même, j’ai passé un bon moment devant, et je l’ai dévoré petit à petit ^_^ Une rencontre entre deux personnages intéressants, des relations qui se nouent, et des révélations, de quoi nous donner envie de lire jusqu’au bout!
    Après, il y a des chose qu’ont voit venir (le rôle de Nayae par exemple) et j’avais un peu de mal à m’inquiéter pour les personnages à la fin, on se doute que la situation va se retourner contre le méchant.
    Mais j’ai bien aimé les voir interagir les uns avec les autres (Wlad qui taquine Alexei c’était vraiment drôle xD) et Nayae m’intéressait beaucoup! J’aime son caractère, et les personnages qui sortent de la binarité homme/femme, c’est rare et sympas à voir 🙂
    Tu comptes refaire de la SF un jour?

    1. @Leloir : Merci d’avoir lu et pas de souci, y avait pas de date butoir lol.
      Sinon, oui, la trame est simple et le suspens pas des plus insupportable, il s’agissait plus de poser l’univers et les persos pour éventuellement les reprendre dans d’autres récits. ^^ Faire interagir ces trois-là était très sympa et m’a bien amusé. Donc oui, il y a des chances que je refasse de la SF et sûrement avec eux. 😉

  2. Z’ai bcp aimé cette nouvelle, même si je l’ai lu en diag’, pas le tps… je lirai en détail plus tard… peut-être… bref !
    J’adore l’univers que tu as construis là et j’espère bien que tu feras un gros roman avec ^^
    courage et à bientôt !

    1. @Armelle : Euuuuh merci… Ben si t’as le temps un de ces 4, il parait qu’en entier, elle est bien aussi ^^’ !!
      Biz bon courage aussi !

  3. Bravo pour cette nouvelle toute choupinette d’Halloween.
    Félicitation pour ce nouveau bébé de près de 600pages. ça a du te prendre pas mal de temps de préparer tout ça.

    Bonne semaine

    bizbiz

    1. @Amakay : Merci de suivre et contente que ça t’ait plu 🙂 !!
      Et merci aussi ! Entre nus, le plus long ça a été la relecture pour encore corriger et les dessins… Mais ça va, contente que ça soit fait 🙂 !
      A bientôt !!

  4. coucou

    j’ai vraiement appréciée cette histoire et le fait que ce soit de la SF est vraiement le bienvenue, j’adore la SF.
    j’ai hate de lire la suite et j’espère que l’inspiration et les muses te mettrons sur la voie pour ecrire d’autres histoires en SF (j’ai mentionée que j’adore la SF ?).

    j’espère que tu va bien
    bon 1er novembre
    bisous

    1. @Haelya : Eh mais qui voilà donc 🙂 !!
      Merci, ça fait plaisir. 🙂
      Ben ouais, en fait j’ai réalisé qu’à part une nouvelle du recueil, j’avais pas grand chose et surtout rien ici… Donc voilà, c’était l’occaz’ ! … Pas comme si j’en avais pas plein en tête, en plus !
      Bref, contente que ça t’ait plu et la suite un de ces quatre… Mais je sais pas quand :p !
      Biz à une prochaine !

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