Pantin – Roman (en ligne – Complet)

Voici un de mes vieux romans de 2000 ! Je racle encore mes vieux tiroirs, et j’ai retrouvé ça.

Encore une œuvre de jeunesse donc, j’avais 19 ans, et j’avoue que je n’étais pas aussi satisfaite que j’aurais voulu… Mais à la relecture, c’est pas si mal en fait ^^ !

Synopsis : Un homme recueille un jeune fugueur qui devient très vite son amant… Mais cet homme a un boulot très dangereux… Présence d’un petit lemon au début !

TW : Relation cheloue, troubles mentaux, violence, tortures.

Pantin

Chapitre 1 :

Le ciel était sombre, lourd. Il neigeait à gros flocons. Les bois étaient noirs, et il y régnait un silence de mort. Les grands arbres se dressaient, menaçants.
Un garçon marchait péniblement sur la route enneigée. Il n’avait pas vingt ans. Il était empaqueté dans de vieux vêtements usés. Il était essoufflé, et il avait froid, terriblement froid. Son allure était curieuse, avec ses baskets grises à force d’être noires, un jean gris crasseux, un gros anorak vert, usé, sur un vieux pull bleu marine, des mitaines miteuses, et un bonnet rouge sombre. Il était à bout de force, trainant sa lassitude dans cette neige. Les rares voitures passaient sans s’arrêter. La nuit tombait.
Il s’arrêta soudain, regarda tout autour de lui. Il était très beau. Ses grands yeux noirs, en amande, aux longs cils, étaient immensément tristes. Ses lèvres charnues frémissaient, laissant passer les nuages de son haleine. Il s’assit au bord de la route, seul, perdu.
Il se dit qu’il allait s’allonger là, se laisser enfouir sous cette neige, se laisser mourir doucement.
Une autre voiture passa sans s’arrêter. Cela ne surprit pas le garçon, il savait bien qu’il était transparent. Il savait bien qu’il n’existait pour personne. Il sourit. Il avait beaucoup marché.
Il se coucha en chien de fusil, sur le bord de la route. Il ferma les yeux. Il souriait.
La neige tomba moins fort. Un doux engourdissement envahissait le garçon.
Il n’eut pas conscience qu’une voiture s’arrêtait près de lui.
C’était une très belle voiture mauve, grande. Un air d’opéra en sortait. Carmen chantait que l’amour était un enfant de bohème qui n’avait jamais connu de loi. Le garçon ne l’entendit pas.
Un homme sortit de la voiture. Il devait avoir dans les trente-cinq ans. Il était brun, avait des yeux noisette aux paupières un peu tombantes, un joli nez un peu fort, et des lèvres fines. Il portait un blue-jean, un pull noir, sous une veste ouverte, de même couleur. Il s’approcha du garçon, intrigué et inquiet. Il s’accroupit. Visiblement habitué à vérifier si les gens étaient morts, il posa un index expert sur la carotide du garçon. Le coeur battait, lentement mais sûrement. Le garçon était en hypothermie, mais il vivait. L’homme l’attrapa, le secoua, sans parvenir à lui faire reprendre conscience. Il le prit alors, le souleva comme il put, en grognant. Le jeune corps était plus lourd qu’il l’avait pensé. Il le coucha sur la banquette arrière, se réinstalla au volant, augmenta le chauffage et repartit.
Il vivait tout près de là, dans une grande maison perdue dans ces mêmes bois. C’était une vieille bâtisse très bien entretenue. La façade était couverte de lierre grimpant. La porte était au milieu, une belle porte en bois massif. L’homme se gara devant. Il descendit, alla sortir le corps du garçon. Ce dernier n’avait pas repris conscience, mais s’était bien réchauffé.
L’homme le porta stoïquement jusqu’à son salon. C’était une belle pièce, spacieuse. Deux canapés se faisaient face, entre eux, il y avait une petite table basse, en ébène. Une grande cheminée, superbement faite, se trouvait à côté. Une fenêtre, derrière un des canapés, éclairait la pièce, lorsqu’il faisait jour, ce qui n’était plus le cas. Face à elle, derrière l’autre, se trouvait une très belle bibliothèque. Un épais tapis couvrait le sol.
L’homme posa le garçon sur le premier canapé. Le coeur, déjà, battait normalement. L’homme alla enlever le bonnet de son hôte, découvrant de courts cheveux noirs et raides, et son anorak. Le pull, dessous, était sec. Il enleva aussi les baskets trempées et les chaussettes qui ne valaient guère mieux. Les pieds étaient froids, mais pas gelés. Les mains non plus.
Le garçon semblait maigre et épuisé. Un fugueur, se dit l’homme. Quel âge ça avait ? Dix-sept, dix-huit ?… Plutôt dix-sept, à en juger par la quasi-absence de barbe… Aucun bagage… Un petit fugueur.
L’homme s’assit sur le canapé d’en face, étendit ses bras sur le dossier, et resta à contempler le garçon. Il savait bien ce qu’il avait envie de faire de ce gosse. Mais tant qu’il était inconscient, ça n’avait pas d’intérêt, et quand il ne le serait plus, il n’apprécierait pas forcément.
Il sentait bien que ce gamin était puceau, et ça ne faisait qu’augmenter son désir. En plus, il le trouvait magnifiquement beau. Mieux valait prévenir que guérir. Il se leva, alla à nouveau soulever le corps. Il sortit du salon avec son fardeau, pour grimper l’escalier, dans le hall. Ce petit escalier partait sur la droite, tout de suite lorsqu’on sortait du salon. Il montait droit, à l’étage. Il aboutissait sur un balcon surplombant le hall. Il y avait deux portes sur le palier, et un couloir partait de chaque côté. C’est dans celui de droite que s’engagea l’homme. Il entra dans une petite pièce. Elle devait faire une douzaine de mètres carrés. Face à la porte, un lit, assez large, attendait sagement que l’on vienne s’y coucher. On avait ensuite de gauche à droite, une fenêtre sous laquelle se trouvait un radiateur, une armoire contre le mur du fond, et, contre le mur de l’entrée, une petite table et une chaise.
L’homme posa le garçon, qui commençait à revenir à lui, sur le lit. Le garçon couina. L’homme mit le chauffage assez fort. Il détestait avoir froid lorsqu’il faisait l’amour. Et puis, mieux valait que son hôte soit bien au chaud.
Le garçon commençait à bouger un peu. Zut, se dit l’homme. Il ouvrit le tiroir de la petite table. Les cordes étaient là. Il les prit, s’assit au bord du lit. Se ravisant, il alla chercher, dans le même tiroir, deux foulards noirs. Puis, il retourna s’assoir. Il mit le plus petit foulard en boule, qu’il fourra dans la bouche du garçon. Il noua l’autre autour le la bouche. Ainsi bâillonné, le garçon poussa un vague grognement.
L’homme ne craignait pas que les cris du garçon attirent quelqu’un. Dans le coin, c’était mathématiquement impossible. Simplement, si ça se passait mal, il n’avait pas envie, par confort personnel en somme, d’entendre ces cris.
Le garçon remuait un peu plus. L’homme l’allongea sur le dos. Puis, il prit les cordes, choisit la plus longue, et lia avec soin les poignets du garçon. Il les relia ensuite à la barre transversale du ciel du lit, laissant la marge nécessaire à d’éventuels mouvements.
Le garçon entrouvrit des yeux vagues et interrogatifs.
Quels beaux yeux ! se dit l’homme.
Le garçon les cligna, s’étira, couina, visiblement intrigué, mais pas gêné. Il regarda l’homme, qui le regardait aussi, totalement sous le charme de ses grands yeux noirs.
Le garçon soupira, regarda autour de lui. L’homme caressa ses cheveux, sourit. Il se leva, retourna fouiller dans le tiroir. Le garçon l’observait passivement. L’homme revint s’assoir près de lui. Il avait une paire de ciseaux à la main. Ce qui n’eut pas l’air de surprendre le garçon, qui restait étonnamment sans réaction. Ni apeuré, ni lascif. Comme si ça lui arrivait tous les soirs, d’être attaché sur un lit par un inconnu…
L’homme avait toujours un petit sourire aux lèvres. Il posa ses ciseaux, s’installa à califourchon sur les cuisses du garçon, qui le laissa faire, et glissa ses mains sous le pull. Il sentit très distinctement le garçon frémir. Il remonta le pull, découvrant un T-shirt crasseux. Il enleva le tricot, la laissant simplement aux bras du garçon. Puis, l’homme se dit qu’il était inutile de garder ce T-shirt, il était en trop mauvais état. Il prit les ciseaux. Il découpa soigneusement au centre, puis les manches. Il l’enleva, le jeta au sol. Il posa les ciseaux sur la table de nuit, remonta un peu les manches. Il regardait ce torse lisse et fin, qui se soulevait et s’abaissait tranquillement. Il était subjugué. Il se mit à caresser à pleines mains cette peau blanche. Le garçon gémit, puis ferma les yeux, et sa respiration devint plus rapide. Il bougea, comme s’il voulait se redresser, mais ses liens l’en empêchèrent. Il retomba sur le lit. L’homme s’allongea sur lui, couvrant sa peau de ses baisers, caressant ses jambes, à travers le jean. Le garçon haletait, se laissait faire sans se débattre, étrangement docile, étrangement soumis aux désirs de l’homme. Étrangement silencieux, aussi. Comme un petit pantin de chair.
L’homme se redressa, satisfait. Mais intrigué… Ce garçon était-il aussi vierge qu’il l’avait pensé ?… Tant de passivité était curieuse, car l’adolescent ne pouvait plus ne pas avoir compris où l’homme voulait en venir. L’homme se dit qu’il allait voir la suite.
Il déboutonna soigneusement la braguette du garçon. Ce dernier avait rouvert ses beaux yeux. Il regardait l’homme, et son regard n’était plus vague. Il était attentif, et surtout (cela frappa son hôte), il pétillait de joie, et de confiance.
L’homme sourit. Il tira le pantalon, découvrant les hanches du garçon, puis son sexe, vérifiant au passage qu’effectivement, ses actes ne le laissaient pas indifférent du tout. L’homme sourit encore, finit d’enlever le jean, et s’installa entre les jambes du garçon. Ce dernier les referma autour de sa taille. L’homme glissa sa main entre les cuisses belles et fines, et se mit à caresser lentement. Le garçon frémit, gémit, referma les yeux. Il jouit rapidement. L’homme sourit, essuya sa main. Il avait bien affaire à un puceau… Il n’avait pas su se retenir.
Le garçon poussa un profond soupir, profondément satisfait. L’homme se rallongea sur lui, reprit ses baisers, ses caresses. Puis, il défit sa propre braguette, s’agenouilla entre les jambes du garçon, caressant doucement ses cuisses, et le prit comme ça. L’adolescent haletait plus fort, son cœur battait à se rompre, il resserra l’étreinte de ses jambes, poussant l’homme plus profond en lui.
Plus tard, le garçon s’était endormi, à bout de force. Et heureux, aussi. Heureux comme il ne l’avait jamais été.

 

Chapitre 2 :

Lorsque l’adolescent se réveilla, très tard, le matin suivant, il était seul. Ses poignets étaient toujours liés, mais plus à la barre du lit. Son pull n’était plus à ses bras. Il étira longuement son corps, bâilla, se rendant compte, au passage, qu’il n’était plus bâillonné non plus.

Il s’assit sur le lit, regarda tout autour de lui, l’armoire, la table. Un plateau-repas était posé sur cette dernière. Il y avait un gros sandwich et une bouteille d’eau. La position de ses mains lui permettait de les saisir. Ce qu’il fit. Il mangea lentement, prenant bien le temps de mâcher, car il ne voulait pas être malade. Il attendit un peu pour boire, et faillit vider la bouteille. Puis, il soupira d’aise. Il se leva, fit quelques pas, alla regarder par la fenêtre.

Elle donnait sur l’arrière de la maison, sur la forêt magnifiquement enneigée. Le paysage était superbe, et le garçon souriait, émerveillé.

Il alla se recoucher, et se rendormit, digérant tranquillement. Il se réveilla quelques heures plus tard, dans l’après-midi. Il resta allongé, à rêvasser.

Il se disait qu’il se sentait bien, qu’il ne s’était jamais senti si bien. Qu’il n’avait plus peur. Il existait, enfin. Il n’était plus seul. Cet homme l’avait fait naître à une vie qui valait vraiment d’être vécue. Et même s’il le tuait, dans quelque temps, ça n’avait plus aucune importance. Après avoir connu ce plaisir, cette chaleur, le garçon ne pouvait pas ne pas mourir heureux.

Il dormait à nouveau, lorsque l’homme rentra. Il avait eu une rude journée, mais il était de bonne humeur. Il se demandait comment allait son hôte. Il fallait qu’il le lave, et qu’il le rase. Il posa sa veste, s’étira. L’idée de régner sur cette petite vie ne lui déplaisait pas du tout. Surtout si elle était consentante, et visiblement, elle l’était.

Cependant, la docilité de son invité l’intriguait. Son corps ne portait aucune trace de mauvais traitement, il n’était donc pas soumis par habitude d’être battu. De même, ses réactions de la veille avaient prouvé qu’il était bien vierge (du moins, au début), il n’était donc pas soumis par habitude d’être sexuellement dominé non plus. C’était très curieux. Mais c’était très bien comme ça, surtout s’il y trouvait son compte, et l’homme était sûr que c’était le cas. Le garçon avait joui de tout son corps.

L’homme monta l’escalier, paisible. Il alla directement voir son hôte. Il l’avait enfermé. Il déverrouilla la porte, entra.

Le garçon était allongé sur son lit. Il ouvrit grands ses yeux en entendant la porte, et sourit, en voyant entrer l’homme. Ce dernier vint tranquillement s’assoir à côté de lui, laissa distraitement ses mains trainer ici et là, sur la peau pâle et lisse. Le garçon sourit encore, soupira de bien-être, s’étira, et se redressa. Il passa ses bras liés autour du cou de l’homme pour se blottir contre lui. L’homme apprécia beaucoup ce geste de tendresse, et serra l’adolescent dans ses bras. Ils se regardèrent un instant, puis échangèrent leur premier baiser, très profond. Après quoi, ils firent l’amour, et ils jouirent exactement ensemble. Ils restèrent un moment, sur le lit, l’homme toujours habillé caressant doucement le corps de son jeune amant, qui se laissait faire, les yeux fermés.

Puis l’homme se releva. Le garçon rouvrit les yeux, le regarda, interrogatif, et un nuage de tristesse passa sur son visage, car il craignait que l’homme ne le laisse déjà seul. Il se rassura lorsqu’après avoir ouvert la porte, l’homme revint et le souleva dans ses bras. Le garçon se laissa conduire à la salle de bain, qui était à l’autre bout du couloir de gauche. L’homme le déposa dans la baignoire, alluma le chauffage. C’était une salle de bain très claire. Il y avait une grande baignoire, donc, un lavabo sur le même mur, et des étagères en face.

L’homme fit couler un bain chaud et moussant au garçon, qui souriait, ravi. Il le lava soigneusement, de la tête aux pieds, rasa le duvet de ses joues, et celui de ses aisselles, lava ses cheveux, puis le sortit de l’eau, l’emballa dans une grande serviette moelleuse à souhait, le frotta pour le sécher, sêcha ses cheveux. Après quoi, il le ramena dans la chambre, le reposa sur le lit. Il l’enlaça, l’embrassa encore. Il le voulait encore, et cette fois, se déshabilla pour être plus à son aise. Le garçon le dévorait des yeux. L’homme, sans être un top model, avait un beau corps. Assez grand, honorablement musclé, presque glabre. Il fit encore longuement l’amour au garçon, qui se laissa prendre corps et âme, sans opposer la moindre résistance.

Dès que son invité fut endormi, l’homme quitta la chambre. Il se rhabilla dans le couloir, après avoir soigneusement refermé la porte à clé. Il redescendit, alla à la cuisine. On y accédait par une porte qui était dans le hall, sous le palier. Il se fit un bon repas qu’il mangea sereinement. Puis, il gagna son bureau, qui se trouvait dans une petite pièce, derrière le salon.

Il s’installa à son micro-ordinateur, regarda son courrier électronique. Rien de nouveau. Il alla compléter les dossiers en cours. La routine. Après cela, il alla prendre une bonne douche, et alla dans sa chambre. C’était une des portes sur le palier. Une pièce assez grande, quand on entrait, on avait le grand lit face à soi, tête à gauche, contre le mur. En face, une grande armoire, avec des miroirs sur les portes. Il y avait une petite table de nuit près du lit. Une grande fenêtre, sur le mur du fond, apportait, à cette heure-ci, la lumière de la lune, sur la forêt enneigée.

L’homme se déshabilla, se coucha. Il était très fatigué. Mais il se sentait profondément bien. Il était trop fier pour l’admettre, mais il commençait à se prendre d’une affection sincère, et très forte, pour son petit prisonnier. Il s’endormit satisfait.

Il se réveilla au matin, de bonne heure, s’étira, se leva, s’habilla, descendit déjeuner. Lorsque ce fut fait, c’est à dire lorsqu’il eut avalé un café et une vague barre de céréales, il prépara un sandwich, de l’eau, plus une pomme et un paquet de gâteaux secs, qu’il alla silencieusement déposer dans la chambre du garçon. Après quoi, il partit, dans sa belle voiture violette. Déjà pressé de rentrer, le soir, pour aller frotter sa peau à celle du garçon.

 

Chapitre 3 :

Les routes étaient admirablement déneigées. L’homme roulait, tranquille. Il habitait dans les Monts du Lyonnais, et, depuis peu, travaillait sur Lyon. Il aimait rentrer le soir, au calme, dans sa maison perdue au milieu des bois. Il avait aussi un appartement dans la grande ville, mais y allait assez peu. Il était arrivé qu’il y dorme, les soirs où il finissait trop tard. Mais, maintenant qu’il n’était plus seul, ça risquait de ne plus arriver.

Après les habituels bouchons, il arriva vers 8h30 devant la grande propriété, entourée d’un haut mur. Il sonna au portail, on le lui ouvrit, il entra, et alla garer sa voiture près des autres, devant la grande bâtisse ultra-moderne, et très laide. Puis il alla frapper à la porte. Un immense sac d’os lui ouvrit.

« Salut, Sam. lui dit ce dernier.

-Bonjour, Fred, lui répondit l’homme.

-Nael t’attend en bas. »

Sam soupira :

« Sans blague ?… Il n’en ait pas venu à bout hier soir ?

-Non. répondit Fred. Il était trop crevé. Il lui a laissé la nuit pour réfléchir. »

Sam bâilla, s’étira un peu.

« Bon, j’y vais… »

Sam laissa Fred. Le hall était immense et blanc, éclairé par une grande baie vitrée qui le couvrait. Un escalier monumental partait face à la porte d’entrée, et deux petits escaliers descendaient de chaque côté. Celui de gauche menait au cellier. Celui de droite, où Sam s’engagea, menait à un endroit où, à part Nael, et plus récemment Sam, personne ne souhaitait atterrir. Car c’était là que le maître des lieux envoyait ceux qu’il voulait, au mieux, éliminer, au pire, faire parler. Le plus souvent, c’était Nael qui s’en occupait. Peu d’hommes résistaient à ses interrogatoires. Il faut dire que Nael (de son vrai nom Nathanael Giuffrida) avait des arguments plus que frappants. On sortait rarement vivant de ses mains, et jamais intact.

Sam descendit l’escalier en sifflotant. Il arriva dans un couloir sombre. Il y avait une dizaine de portes. Il alla frapper à la troisième à gauche. Il entra.

Nael était à cheval sur une chaise. C’était un petit bonhomme d’une quarantaine d’années, aux très courts cheveux noirs, qui commençaient à grisonner, fort bien fait de sa personne. Il était toujours entièrement vêtu de noir. La légende qui l’entourait voulait qu’il soit veuf.

Nael était l’âme damnée de Picandet, le maître des lieux, un caïd d’une cruauté sans égal, débauché comme ce n’était pas permis, et qui avait horreur de se salir les mains. Il laissait ce soin à Nael, qui s’en occupait très bien. Nael n’était pas fondamentalement sadique, mais il était pragmatique. Il savait donc à quel genre d’hommes il avait affaire, et qu’une paire de baffes ne suffisait pas à les faire parler. Alors, il avait recours à des méthodes nettement plus agressives.

Il avait un beau visage, un peu ridé, inexpressif. Ses yeux étaient bruns et las, indifférents. Personne ne se souvenait l’avoir jamais vu sourire. En règle générale, on l’entendait assez peu. C’était une âme damnée pas très causante. Sauf avec Sam.

Les deux hommes s’étaient connus quelques mois plus tôt, en automne. Nael, poursuivi par la police après un règlement de compte, s’était réfugié au parc de la Tête d’Or, pour essayer de la semer. Non loin de la Roseraie, il avait entendu des coups de feu. Il avait pensé que les flics l’avaient repéré, et avait sorti son arme, bien décidé à le leur faire regretter. Or, c’était un autre homme qui échangeait des balles avec les policiers. Instinctivement, pourrait-on dire, les deux hommes avaient fait front commun contre les représentants de l’ordre, et étaient parvenus à fuir ensemble, après être sorti du parc, dans la voiture de l’inconnu. Voiture qu’ils avaient abandonnée plus loin, sur les quais de Rhône, pour continuer à pied. Tout ça sans avoir échangé un mot. C’était cent mètres plus loin, dans une ruelle, que Nael avait demandé :

« … Ta voiture ?…

-C’était pas ma voiture. »

Les deux hommes s’étaient regardés. Nael avait repris :

« Pourquoi tu es intervenu ?

-J’ai cru que c’était à moi qu’ils en voulaient. »

Il avait tendu la main à Nael :

« Samuel Magin. Taulard en cavale. »

Nael l’avait serrée.

« Nathanael Giuffrida. Tueur de Picandet. »

Ils étaient restés un petit moment à s’observer.

« Taulard pourquoi ?

-Règlement de compte. On m’a balancé. »

Nael avait hoché la tête. Ils s’étaient remis à marcher. Et une pluie d’automne froide s’était mise à tomber. Ils étaient alors rentrés dans un petit bar, avaient commandé deux bières, et étaient restés un moment, assis l’un en face de l’autre sur une table, sans parler. Puis, Nael avait dit :

« Je crois que sans toi, je ne m’en sortais pas.

-Possible. Mais ça vaut pour toi aussi.

-Tu fais quoi dans le coin, Sam ?

-J’essaye de pas crever.

-Hm, hm.

-Il est sympa, ce bar…

-Hm…

-Tu connaissais ?

-Non.

-Et toi, alors ? “Tueur de Picandet” ? C’est toi, le fameux Nael ?

-Oui.

-Oh. »

Sam avait eu l’air impressionné. Nael avait bu une gorgée de bière. Puis, il avait repris :

« D’où tu sors ?

-J’étais sur Genève.

-Il y a longtemps que tu cavales ?

-Deux semaines.

-Si tu as de l’argent, je peux te fournir des faux papiers.

-J’ai rien… »

Il y avait eu un long silence, pendant lequel Nael avait scruté Sam. Puis, il avait fait cette proposition :

« Je peux t’en fournir quand même. En échange, tu peux bosser avec moi, pour Picandet. Ça te dit ? »

Sam avait accepté. Depuis, il secondait Sam. Ils s’entendaient bien.

Ce matin-là, lorsque Sam arriva, Nael fumait, installé, donc, à califourchon sur une chaise.

Face à lui, solidement lié à une autre chaise, un homme, torse nu, respirait péniblement. Cet homme avait volé beaucoup d’argent à Picandet. Depuis près de 48h, Nael et Sam s’acharnaient à lui faire dire où il l’avait caché.

Nael le regardait pensivement. Il jeta un oeil à Sam, lorsqu’il l’entendit entrer :

« Salut.

-Salut, Nael. Déjà au boulot ?

-Comme tu vois.

-Il a causé ?

-Non.

-On aurait peut-être dû lui laisser quelques dents.

-Peut-être. »

Sam prit une chaise et s’assit comme Nael, à sa gauche.

« Bon, alors… Qu’est-ce qu’on lui fait ?

-‘Sais pas… »

Nael tira sur sa cigarette.

« … Le sécateur est là ? » fit-il.

-Oui, confirma Sam, après avoir jeté un oeil sur la table, où s’étalaient des objets normalement destinés au bricolage, au jardinage ou à la cuisine.

-Bien. »

Nael éteignit son mégot dans le cou de la victime, qui poussa un vague gémissement, puis il se leva et alla chercher l’outil. Sam s’alluma, à son tour, une cigarette. Nael vint s’accroupir devant son prisonnier et la regarda :

« Tu m’entends ? » demanda-t-il, de sa voix si curieusement douce.

Le type le regarda, dans la mesure où ses yeux voyaient encore quelque chose.

« Écoute : même question. » reprit Nael.

Il lui montra le sécateur. L’homme frémit.

« Tu sais ce que c’est, ça ?… Bon. Tu as dix chances… Si tu ne réponds pas, je coupe tes orteils… Tu vois ?… Réfléchis vite. Après, si tu ne réponds toujours pas, je passe à tes doigts. »

Sam soupira.

« C’est pas possible d’être buté à ce point ! Qu’est-ce qu’il va en foutre, de son blé, quand on l’aura claqué ?! »

Nael se mit à l’oeuvre.

« Ça coupe bien, dis donc…

-Tu en doutais, Sam ? »

Nael attaquait le troisième orteil, lorsqu’enfin, l’homme couina :

« Stop… »

Sam rigola.

« Ah, ben quand même ! »

Nael se releva.

« Ça y est, tu causes ?

-…Oui… Mais, heu…

-Oui ?

-Tu vas me tuer ?

-Pas forcément.

-Tu me laisses en vie si je te dis qui a l’argent ?

-Ça peut peut-être se faire… Ce n’est pas toi ?

-…N…Non…

-Alors, explique. »

Il expliqua. C’était sa femme qui l’avait poussé… Ils devaient partir ensemble avec l’argent… C’était elle qui l’avait… Il avait été attrapé sans en savoir plus…

Nael hocha la tête, fit signe à Sam de se lever. Ils allèrent dans le couloir.

« Tu le crois ? » demanda Nael.

Sam haussa les épaules.

« Ça se tient. Ça explique son silence : il la couvrait. »

Nael hocha la tête, en se mordillant nerveusement un ongle.

« Tu n’y crois pas ? lui demanda Sam.

-La garce… murmura le tueur.

-Quoi ?

-C’est elle qui a appelé pour dire à Joel que c’était lui, le voleur… »

Joel était le petit frère de Picandet.

« Quoi ?! s’écria Sam.

-Ou il ment, ou elle voulait le blé pour elle… »

Il y eut un silence.

« Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Sam.

-On va voir Joel. »

 

Chapitre 4 :

Des cris, indiquant que Joel était très occupé avec une femme, sortaient de son bureau, ce qui n’empêcha absolument pas Nael de frapper et d’entrer sans attendre. Sam ne put retenir un sourire, en le suivant nonchalamment.

De fait, Joel, pantalon aux chevilles, occupé à culbuter une pute assise sur son bureau, était dans une position assez ridicule.

Joel tourna la tête, et resta comme deux ronds de flanc. Nael était fermement planté sur ses jambes, bras croisés. Ses yeux noirs fixaient Joel avec sérieux. Sam était un peu en retrait, il avait du mal à ne pas rire. Impassible, Nael soupira.
Joel remonta son pantalon, se tourna, et vint vers eux en le tenant. Il les foudroyait du regard. Il n’aurait jamais osé s’en prendre à Nael, mais il détestait Sam. C’est donc à lui qu’il beugla :

« ‘Tain, ça pouvait pas attendre ?!
-Non. » répondit clairement et simplement Nael.

Joel, qui était plus grand que lui, le regarda. Nael lui expliqua ce qui se passait.

Joel l’interrompit une fois ou deux pour gueuler à Sam d’arrêter de se foutre de lui, puis leur ordonna d’aller chercher la femme et de la faire parler. Par tous les moyens. Et il retourna à sa pute sans attendre de réponse.

Nael soupira encore et lâcha négligemment :

« OK. Si on a besoin d’un violeur, on te sonnera. »

Puis, il se détourna, fit signe à Sam de sortir. Il le suivit, posa sa main sur son épaule, et lui murmura :

« Fais gaffe. »

Nael referma la porte du bureau. Cette pièce se trouvait au rez-de-chaussée, dans un couloir qui partait sur la gauche, dans le hall.

Sam se gratta la tête, bâilla, sourit à Nael. Ce dernier répondit par un regard amicalement doux.

« On y va ? demanda-t-il gentiment.
-Tu sais où elle vit ?
-Oui.
-OK. On prend ma voiture ?
-D’accord. »

Ils sortirent de la très laide maison ultra moderne. Sur le perron, Nael s’arrêta pour s’allumer une nouvelle cigarette. Sam, un pied sur la première marche, sourit, croisa les bras, et hocha la tête.

« Tu fumes trop, Nael. »

Nael lui jeta un oeil, rangea son briquet dans sa poche, sur son paquet de clopes, et repartit. Sam rigola, et le suivit.

« Je ne vivrai probablement pas assez vieux pour que ça me fasse des problèmes. » soupira Nael, avec lassitude.

Il monta à la place du mort. Sam s’installa au volant. Ils bouclèrent leurs ceintures et partirent.

La circulation était très fluide, dans les rues de Lyon, à cette heure de la matinée. Sam roulait tranquillement. Au bout d’un moment, il s’informa :

« Tu as un plan précis ? »

Nael opina. Il jeta négligemment son mégot par la vitre.

« C’est très simple… » dit-il.

Il était d’un calme total. Comme toujours.

« … On entre, on l’attrape, on rentre. »

Sam opina à son tour, puis regarda Nael, profitant d’un feu rouge, et demanda :

« Et si elle est pas là ?… »

Nael haussa les épaules.

« Si elle est pas là, de deux choses l’une : elle a mis les voiles, et son appart sera vide, ou elle est partie acheter son pain, et là, on attend qu’elle revienne.
-OK. » approuva Sam.

Ils trouvèrent sans peine à se garer, et, le digicode étant débranché (comme tous les matins, pour le facteur), ils entrèrent sans plus de peine dans l’immeuble. Sam regarda les boites aux lettres. Elle était au troisième étage. Il n’y avait pas d’ascenseur. Ils montèrent tranquillement par l’escalier étroit.

« Dis-moi, Sam… » commença Nael.

Sa voix était vraiment d’une douceur hors du commun.

« … Tu es rudement de bonne humeur, aujourd’hui…
-Ah, tu trouves ?
-… Tu serais pas amoureux, des fois ? »

Sam rigola, gêné. Ils s’arrêtèrent un instant sur le deuxième palier, pour reprendre leur souffle.

« Peut-être bien… avoua-t-il.
-Comment il s’appelle ? »

Sam rigola à nouveau, plus détendu. Ils reprirent leur ascension.

« Tu vas rire, continua sam. Je n’en sais absolument rien…
-Vraiment ? »

Ils allèrent droit sur la bonne porte. Nael sortit son arme, vissa un silencieux, enleva le cran de sécurité. Sam fit comme lui. Nael tourna doucement la poignée, la porte s’ouvrit. Ils entrèrent prudemment, refermèrent la porte en silence. Ils étaient dans un salon crade. Ils tendirent l’oreille. Silence, à part un ronflement. Ils échangèrent un regard. Et allèrent voir qui ronflait. Ils poussèrent une porte, c’était une chambre sale, qui puait le renfermé, et dans le grand lit, ronflait un jeune homme, visiblement nu, et la femme dormait près de lui.

Sam aurait sans doute ri, si ça n’avait pas senti aussi mauvais. Il secouait sa main devant son nez pour avoir un peu d’air. Nael ne semblait pas incommodé. Il soupira. Il avait l’air terriblement fatigué.

Il alla sèchement découvrir les dormeurs. Ils étaient nus, tous les deux. Cela réveille le jeune homme, qui regarda vaguement autour de lui, avant de se pétrifier en identifiant Nael. Ce dernier secoua sans ménagement la femme, qui poussa un petit cri, en se redressant vivement. Elle pâlit, apeurée. Nael s’adressa au jeune, sans quitter la femme des yeux.

« C’est très mal de tringler des femmes mariées, Yvon.
-J’en savais rien, Nael ! J’te jure ! se défendit le garçon, d’une voix tremblante. J’demande pas des certificats de célibats à mes clientes, moi !… »

Sam, qui était resté près de la porte, intervint :

« Tu le connais, Nael ? C’est qui ?
-Un petit gigolo, répondit Nael. Bon. Habillez-vous, et suivez-nous sans faire d’histoire. C’est un conseil. »

Sans attendre, Nael sortit avec Sam. Ils attendirent derrière la porte. Yvon sortit le premier. Il sautillait sur un pied pour refaire son lacet.

« Elle se demande ce que vous lui voulez… dit-il.
-Après quelques claques, elle s’en souviendra. » répondit doucement Nael.

Il s’accroupit pour caresser un vieux chat gris, obèse, qui était venu se frotter à ses jambes. Le chat miaula , le fixant de ses yeux dorés. Nael se redressa, regardant autour de lui.

« Y a un truc pour le chat ? demanda-t-il.
-Quoi ?! s’exclamèrent ensemble Sam et Yvon.
-Le chat… »

Nael fit quelques pas dans la pièce, cherchant du regard :

« … On va pas le laisser là… »

Sam soupira, amusé. Il souleva le gros chat dans ses bras. L’animal poussa un miaulement grave et plaintif.

« Je vais le tenir. dit sam. Hein, minou ?… On t’emmène ?… Tu veux bien ? »

Le chat flaira la joue de Sam, puis lui donna un petit coup de langue. Sam sourit et le caressa. Le chat se mit à ronronner. Yvon était stupéfait.

« Sans blague ?… Vous l’emmenez ? »

Le chat s’agrippa tranquillement à l’épaule de Sam, visiblement très content qu’on s’occupe de lui. Il ronronnait très fort. La femme sortit à son tour de la chambre, elle tremblait, pas très rassurée. Nael lui jeta un œil, puis lui demanda si elle avait un panier pour le chat. Elle resta bête, puis balbutia d’une voix terrorisée qu’il y en avait un dans la cuisine, qu’elle désigna d’un doigt nerveux.
Nael alla voir, et revint vite avec un panier en plastique. Il le tint à Sam, qui y fit entrer le gros chat. Ce dernier miaulait plaintivement. Sam prit le panier.

« Quel monstre ! s’exclama-t-il. Il doit bien faire ses sept ou huit kilos ! »

Il regarda la femme, et lui demanda :

« Tu le nourris à quoi ?
-Heu… chevrota-t-elle. Au… Au Ronron… Mais il mange beaucoup… »

Elle ajouta, gémissante :

« Vous n’allez pas lui faire de mal, au moins ?! »

Nael vint près d’elle, pour lui susurrer :

« Ce n’est pas à lui qu’on va faire du mal, c’est à toi… »

Elle blêmit. Nael reprit, de son ton indifférent :

« … Un gros tas de billets, ça ne te dit rien ?… »

Elle s’écria, paniquée, que c’était son mari qui les avait.

Nael tourna ses yeux vers Sam une seconde, puis les regarda, elle et Yvon. Et leur fit signe d’avancer, avec le flingue qu’il n’avait pas lâché.

« Tu as le trajet pour réfléchir, dit-il à la femme, lorsqu’elle passa devant lui.

Après, on ne va plus être galant du tout. »

Ils partirent.

 

Chapitre 5 :

Nael laissa Sam partir en milieu d’après-midi, car Joel tenait beaucoup à l’aider à faire parler la femme, et le tueur savait très bien que Sam n’avait aucune envie de la regarder se faire violer jusqu’à ce qu’elle parle.
Sam récupéra le chat, et partit. Sur la route, il passa chez un vétérinaire, car la taille de l’animal l’inquiétait. Le chat miaulait toujours plaintivement. Il se laissa examiner. Le vétérinaire décréta que c’était un chartreux de 7 ou 8 ans, castré, et qu’il fallait d’urgence le faire maigrir avant que son cœur ne le lâche, car il pesait effectivement près de sept kilos. Sam lui acheta des croquettes de régime, et rentra.
Il lâcha le félin au salon, et monta aussitôt voir son prisonnier.
Ce dernier dormait paisiblement, digérant sans doute le plateau qu’il avait vidé. Sam sourit, et alla s’assoir près de lui. Il détacha doucement les poignets du garçon. Ce dernier se réveilla, comme Sam posait la corde sur la table de nuit. Il gémit, s’étira longuement. Sam dévorait littéralement des yeux son corps fin et lisse. Le garçon ouvrit ses beaux yeux noirs, vit Sam, lui sourit, et tendit ses bras vers lui. Sam lui rendit son sourire, se pencha pour l’enlacer et ils s’étreignirent, et échangèrent un long baiser. Le garçon caressa le dos de Sam à travers ses vêtements. Sam le regardait, le garçon souriait, son visage rayonnant de bonheur. Sam s’allongea contre lui, et ils firent encore longuement l’amour. Si longtemps que le gros chat eut le temps de monter l’escalier, lentement, de reprendre son souffle en haut, et de les rejoindre dans la chambre, par la porte restée entrouverte. Il resta un moment, assis, à regarder les deux corps nus qui se frottaient sur le lit, avant de prendre son élan pour sauter près d’eux. Sam le vit, et se poussa, entrainant le garçon, pour lui laisser la place de se coucher. Le gros chat s’allongea au bord du lit. Il se mit à faire sa toilette.
Quand les deux humains eurent fini de se frotter, ils restèrent l’un contre l’autre. Puis, le garçon tendit la main pour aller fourrager dans la fourrure argentée. Sam, qui sommeillait dans son dos, ses bras passés autour de lui, soupira d’aise. Le chat regarda le garçon, le flaira, lécha sa main, puis se leva pesamment et vint se coucher près de lui.
Le garçon continuait à caresser l’épaisse fourrure, tellement heureux d’être au chaud contre son amant, avec cette merveilleuse boule de poils qui ronronnait béatement.
Sam se réveille, resserra son étreinte, et alla bécoter le cou et l’épaule du garçon, qui frémit de surprise, puis couina de bien-être. Le chat s’étira. Le garçon tourna la tête, gémit, puis se retourna. Se faisant face, les deux corps s’enlacèrent.
La sonnerie du téléphone, venant d’en bas, fit lever Sam, qui descendit, sans prendre le temps de s’habiller, ramassant juste son pantalon par terre. Il alla décrocher. Son téléphone, sans fil, était au salon. Il y en avait un autre, une seconde ligne, dans la cuisine.
« Allo, oui ? soupira-t-il.
-Sam ? demanda-t-on doucement.
-Oui, qui est-ce ?
-Nael.
-Ah, salut ! s’exclama Sam, content. Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Sam s’assit sur un canapé, et coinça le combiné avec son épaule, pour enfiler son pantalon. La voix douce de Nael reprit.
« Je voulais te dire que Picandet nous laisse notre journée de demain. Tu serais libre ?
-Chais pas… Pourquoi faire ? »
Sam enfila péniblement sa seconde jambe.
« Je voulais t’emmener dans un petit coin sympa que je connais, un bel étang, dans les Dombes… Le paysage est superbe, et puis il y a un très bon petit resto à côté.
-Ouais, pourquoi pas…
-À moins que tu ne veilles en profiter pour passer la journée avec ton amoureux ? »
Sam rigola, s’allongea sur le canapé et répondit :
« Et toi avec ta maîtresse ? »
Il leva ses jambes, les étira, avant de les laisser retomber, comme Nael répondait doucement :
« Pourquoi pas, effectivement, si j’en avais une… Tu es partant ?
-Oui… Si on rentre pas trop tard…
-On peut y aller le matin et revenir après le déjeuner.
-Ça me va. Tu veux que je passe te prendre ? » proposa Sam.
Il y eut un blanc. Sam le rompit, inquiet, en se redressant sur un coude :
« Nael ? Ça va ?
-Pourquoi tu ne veux pas qu’on sache où tu habites ? »
Interdit, Sam ne répondit pas tout de suite. Il se rallongea lentement.
« Réponds, Samuel.
-Je… J’y tiens pas… C’est… C’est vraiment trop crade…
-Je te fais confiance, Sam. Passe à neuf heures. Tu pourras ?
-Oui, oui, soupira Sam, soulagé. Vous avez réussi à la faire parler ?
-Ouais… bâilla Nael, las. Joel y a mis beaucoup d’énergie…
-J’imagine.
-… C’était absolument dégueulasse. Enfin, il a récupéré le pognon de son frère, ils étaient contents.
-Et qu’est ce qu’ils vont faire d’elle et de son mec ? demanda Sam, sourcils froncés.
-Ils ont mis la femme dans un de leurs bordels, dit Nael, indifférent.
-Et le gars ?
-Ils l’ont lâché… Il fera un bon exemple à ceux qui le croiseront.
-Le pauvre… »
Il y eut un silence.
« Tu le plains, Sam ? demanda doucement Nael.
-Ben ouais… Se retrouver dans cet état à cause d’une garce qu’on aime… Tu le plains pas, toi ?
-Non. C’est normal de se brûler quand on joue avec le feu.
-J’en viens à me demander si tu as une âme, Nael.
-Ne te le demande plus, je n’en ai pas. Et ça n’a pas d’importance.
-Tu es heureux ?
-Non, mais ça n’a pas d’importance non plus. Et toi, Sam, tu es heureux ? Quand tu serres ce garçon dans tes bras, tu te dis que la vie est merveilleuse, n’est-ce pas ? Et que ça va durer toujours.
-Oui, et après ? répliqua sèchement Sam. Je me trompe, selon toi ?
-Je te souhaite que non. »
Il y eut encore un silence.
« Je dois te laisser, Sam. Demain, à neuf heures ? Je compte sur toi, mon ami. Au revoir.
-À demain, Nael. »
Sam appuya sur le bouton qui coupait la communication, et resta pensif, allongé sur le canapé.
Nael était un homme si étrange… Ils étaient devenus très bons amis. Sam soupira. Personne ne savait rien de Nael. Les bruits les plus fous courraient à son sujet, on le disait fou, veuf, sanguinaire, pervers… Sam savait que Nael n’était ni sanguinaire, ni pervers. Veuf, peut-être. Fou?… À sa manière, mais qui ne l’est pas.
C’était son indifférence qui faisait peur. Nael avait le même visage, qu’il boive une bonne bière ou qu’il descende un homme. Il n’y avait qu’avec Sam que son regard, parfois, s’adoucissait.
Le téléphone sonna à nouveau, ce qui fit sursauter Sam. Il décrocha, après un soupir :
« Allo…?
-Et rose, elle vécut ce que vivent les roses… commença une voix d’homme mûr.
-…l’espace d’un matin, acheva Sam avec un petit sourire en coin. Bonsoir, colonel.
-Bonsoir, lieutenant. Comment allez-vous ? demanda aimablement le colonel.
-Ma foi, ça va… Et vous-même ?
-Ça va.
-Je suis content que vous appeliez. Je commençais à me demander si vous ne m’aviez pas oublié.
-Votre mission est beaucoup trop importante pour qu’on se permette de vous oublier, lieutenant.
-Vous me rassurez, colonel. »
Sam sourit, puis reprit :
« Vous avez décidé de passer à l’action ?
-Non, pas encore. Vous avez appris des choses, récemment ?
-Oh, quelques trucs. Rien de transcendant. Qu’est-ce qu’on attend pour agir ?
-Coincer Picandet pour le moment ne nous servira pas à grand-chose, tant que nous ne savons pas ce qu’il mijote… Car vous n’en savez pas plus ?
-Hélas, non, colonel. Tout ce que je peux vous dire, c’est que ça sent très mauvais. J’verrais bien une mégafusion avec un autre gang, quelque chose comme ça. Ça bouge. Ça bouge beaucoup.
-Vous vous entendez toujours bien avec Giuffrida ?
-Oui, de mieux en mieux.
-Vous devriez essayer de le faire parler, alors. Lui sait sûrement ce qui se passe. »
Sam se redressa, s’assit au bord du canapé, avant de répondre :
« Nael n’est pas un homme que l’on fait parler comme ça, colonel. Et puis, ça pourrait éveiller des soupçons. Joel Picandet ne m’aime pas beaucoup. S’il comprend que je suis une taupe, je suis mort, avec ou sans Nael.
-Hm… réfléchit le colonel. Vous avez raison, restez prudent, nous ne sommes pas si pressés. Espionnez, notez tout, et attendez les ordres.
-Bien, colonel.
-Je vous recontacterai par internet. Ne nous appelez qu’en cas d’extrême urgence.
-À vos ordres.
-Bonne chance, lieutenant. La DST compte sur vous.
-J’essayerai d’en être digne. Au revoir, colonel.
-Au revoir, lieutenant. »
Sam raccrocha pensivement. Puis, il se leva, et s’étira. Puis, il remonta voir le garçon. Ce dernier était toujours sur son lit, caressant le chat, qui ronronnait béatement, laissant un petit bout de langue dépasser de sa gueule. Sam sourit, et soupira d’aise. Il retourna sur le lit, où le garçon l’accueillit à bras ouverts.

 

Chapitre 6 :

Le lendemain, Sam sonna à l’interphone de Nael à neuf heures pile.

« Je descends. » lui dit la voix douce du tueur.

Quelques minutes plus tard, ils étaient en route pour les Dombes. Nael guidait Sam, qui bâillait beaucoup en conduisant.

« Tu as l’air fatigué, Sam. finit par dire Nael.

-Ouais… bailla Sam.

-Tu as fait trop de galipettes cette nuit. »

Sam haussa les épaules.

« …Possible… fit-il.

-Tu l’aimes à ce point ?

-Possible.

-Tu as de la chance.

-Possible. »

Sam sourit à son ami.

« T’es un drôle de bonhomme, Nael.

-Possible. »

Sam rigola.

« J’ai entendu dire que tu étais un extra-terrestre… reprit Sam.

-Moi, j’ai entendu dire que tu étais trop poli pour être honnête. »

Sam fit l’étonné :

« Sans blague ? Qui ?

-Joel.

-Ah, lui… Il m’aime pas…

-Il te hait. » corrigea doucement Nael, en fouillant la poche intérieure de sa veste.

Il en tira son paquet de cigarettes. Il en alluma une, puis une autre qu’il donna à Sam. Ce dernier la prit, le remercia, puis continua :

« À ce point ?

-Oui.

-Aïe…

-Tu ne risques rien, Sam.

-Tu crois ? C’est le frère du patron, quand même…

-Tu ne risques rien, parce que moi, j’ai confiance en toi. Ils ne te toucheront pas, parce que je ne veux pas qu’ils te touchent.

-Sans blague ? Tu leur fais si peur que ça ?

-Picandet sait que mon flingue est à ce prix, et il y tient trop. »

Sam changea de sujet. Autour d’eux, le paysage se modifiait doucement. L’agglomération lyonnaise laissait place à la campagne, aux étangs et aux arbres des Dombes. Tout y était très calme, ce matin-là. Calme et blanc.

Ils arrivèrent bientôt, et Sam gara sa voiture sur le parking du restaurant. À part les véhicules du personnel, il n’y avait personne. Un petit chemin partait par-derrière, dans les bois, sur la droite. C’est par là que les deux hommes partirent. La balade fut silencieuse, et dura une bonne demi-heure, jusqu’à ce qu’ils débouchent sur un petit terre-plein, couvert de neige, qui dominait un grand étang. On y avait une vue splendide sur toute la région alentour. L’étang était entouré de prés blancs, plus loin, on devinait, dans la légère brume, des bois. Plus loin encore, les silhouettes fantomatiques de petites collines, des coteaux couverts d’arbres pour la plupart. Tout était calme, pas un bruit, à part la brise glaciale dans les arbres, qui faisait de petites vaguelettes sur l’étang. Sam resta bouche bée.

« Alors ? lui demanda Nael, au bout d’un moment.

-C’est magnifique… » réussit à répondre Sam, très ému.

Le regard du tueur se perdit sur l’étang, dans les arbres, dans les collines, et Sam vit que ses yeux, loin d’être las, brillaient de bien-être.

« Tu vois, Sam, reprit doucement Nael, perdu dans son décor, si j’avais le choix, j’aimerais bien mourir ici… Loin de toute notre merde…

-Je comprends. » murmura Sam.

Il avait la sensation que parler plus fort aurait été injurieux.

« Viens, maintenant. Ne prenons pas froid, allons manger. »

Ils regagnèrent le petit restaurant. Il n’y avait pas grand monde. C’était une petite salle, qui ne comptait qu’une vingtaine de tables. La façade était presque entièrement vitrée, sauf un mètre de mur au sol. C’était donc un lieu très clair, très agréable. Deux rangées de tables, l’une contre la façade, l’autre entre la première et le beau comptoir verni, étaient alignées, au millimètre près, et leur surface de faux marbre blanc veiné bleu était presque éblouissante, à la lumière du dehors. Nael et Sam s’installèrent face à face à une table, sur deux banquettes très confortables, côté baie vitrée. Nael semblait être un habitué du lieu, puisque le patron vint en personne lui serrer la main et leur offrit l’apéro. C’était un grand homme enveloppé et au facies rond très jovial.

Pendant qu’ils attendaient leurs entrées, Nael un potage de cresson et Sam une salade au foie de volaille, Nael observait la carte des vins et demanda à Sam :

« Tu as une préférence ?

-Heu, l’apéro me suffira, merci, répondit Sam, avec un sourire navré. Je conduis.

-Ah oui, c’est vrai… s’excusa le tueur. Il faut que tu rentres entier. Sinon, ton ami va m’en vouloir. »

Sam sourit.

« Ça t’intrigue ?

-Non. répondit simplement Nael. Je suis content pour toi. C’est très beau, l’amour. Tu as l’air heureux, Sam.

-Tu as déjà aimé, Nael ? »

Le tueur ne répondit pas, mais Sam crut voir une ombre dans les yeux las. Sam détourna les yeux, gêné. Nael reprit :

« Méfie-toi de Joel. Sois très prudent.

-Compte sur moi… Je tiens à ma peau.

-Dis-moi, tu vas à la fête, chez Valo ? »

Valo était un des « officiers » de Picandet, Sam regarda Nael, très sérieux :

« Non. Et toi ?

-J’ai été invité. Picandet et Joel n’y vont pas, mais ils tiennent beaucoup à ce que j’y aille. »

Sam regarda Nael, ennuyé. Il savait que la police allait faire une descente, et coffrer tout le monde, pour tapage nocturne et consommation de produits illicites, puisque Valo offrirait à ses invités de l’alcool et des cigares, entre autres, importés illégalement.

Les entrées arrivèrent.

« Tu y tiens, toi, à y aller ? demanda Sam.

-Bof… soupira Nael avec un haussement d’épaules, en soufflant sur son potage.

-Tu devrais pas. »

Nael cessa de souffler et regarda attentivement Sam, puis demanda :

« Pourquoi ?

-Disons… Disons que je n’ai pas envie que tu y ailles, que tu es fatigué, et qu’il vaut mieux que tu te reposes. »

Comme Nael ne répondait rien, touillant machinalement sa soupe et le scrutant toujours, Sam ajouta :

« Fais-moi confiance. »

Sam attaqua sa salade. Nael réfléchit un peu, puis avala une cuillère de potage, et dit :

« Je te fais confiance, Sam. »

Le patron apporta aimablement la bouteille de rosée que Nael avait finalement demandée. Sam décida d’en boire quand même un peu et lui tendit son verre. Ils trinquèrent.

« T’es bizarre, Sam….

-Autant pour toi, Nael.

-… Mais je t’aime bien. Tu es plus reposant que tous ces branleurs. Et puis, tu es fidèle. Moi, j’ai confiance en toi.

-Moi aussi, j’ai confiance en toi. »

Nael saisit la main de Sam :

« Alors, ne nous décevons pas, mon ami.

-D’accord, répondit Sam, content.

-Juré ? insista Nael, le fixant droit dans les yeux.

-Juré. » répondit fièrement Sam.

Après un très bon repas, Sam raccompagna Nael, puis prit le chemin du retour. Il se sentait fort de ce serment, fort, mais aussi terriblement coupable, de mentir ainsi à cet homme qu’il aimait plus qu’un frère. Il pensait qu’il le perdrait à jamais, quand ce dernier saurait qu’il était de la DST, ce qui finirait bien par arriver.

Picandet et sa bande avaient plusieurs fois testé Sam, avant de vraiment l’accepter. La première fois, il avait du torturer un homme, seul. Il l’avait fait. Puis, ils lui avaient ordonné de violer une femme. Pour ça, ils avaient eu la pudeur de ne laisser que Nael, malgré les protestations de Joel qui voulait voir ça, Sam n’y était pas arrivé, mais c’était seulement à cause de son dégout naturel des sexes féminins, ce que Nael avait compris. Il avait donc laissé couler. Lui-même détestait violer. Picandet avait grommelé, mais laissé passer, et s’était de toute façon vite rattrapé, en ordonnant à Sam, quelques jours plus tard, de descendre devant lui, un de ses « officiers ». Ce n’était pas de gaieté de coeur que Sam avait pris l’arme que lui tendait Nael, et l’avait braqué sur la tête du gars qui suppliait Picandet de l’épargner. Sam avait appuyé et la gâchette, et rien ne s’était passé. L’arme n’était pas chargée. C’était juste un test. Picandet pensait qu’un flic ne tuerait pas comme ça, et que, même si Sam n’en était pas un, cela montrerait jusqu’où allait son obéissance.

Picandet avait été hautement satisfait, et Sam hautement soulagé. Tuer comme ça, même un criminel, ça n’était pas son passe-temps favori.

Sam rentra chez lui vers quinze heures, content d’avoir le reste de la journée à passer tranquillement dans les bras de son jeune amant.

Le fait est que Sam passa effectivement le reste de la journée contre le garçon, serré si fort, d’ailleurs, que bien souvent, ils ne firent plus qu’un.

 

Chapitre 7 :

Quelques semaines plus tard, Sam gardait toujours chez lui, outre le chat qui avait déjà beaucoup maigri et gambadait comme un chaton, le garçon. La situation de celui-ci avait aussi évolué. Au bout d’un moment, Sam avait cessé de fermer sa chambre à clé. Mais il avait cependant toujours eu l’impression que le garçon n’en sortait pas, et c’était vrai. Il y attendait le soir, où Sam venait toujours lui prouver sa tendresse. Ainsi, sa vie était réglée comme une horloge, et de la plus simple des façons : le jour, il dormait, et mangeait ce que Sam lui apportait, et la nuit, il lui livrait son corps et son âme, et se laissait aimer de tout son coeur, docile marionnette, entre les mains de son maître.

Car le garçon considérait bel et bien Sam comme son maître. Dire qu’il l’aimait était un euphémisme, il ne vivait que par et pour lui.

Sam aussi l’aimait puissamment. Le garçon était totalement soumis à ses désirs, cédant à tout sans la moindre résistance. Ce dernier point satisfaisait Sam, mais le silence de son amant finissait, par contre, par l’intriguer. Il savait qu’il n’était pas sourd, puisqu’il écoutait de toutes ses oreilles, et ses sourires prouvaient assez qu’il entendait très bien. De même, Sam avait eu maintes occasions de vérifier qu’il avait une langue et que cette dernière n’était pas paralysée du tout… Mais, peut-être était-il muet ?

Un soir, il reposait, la tête fourrée dans le cou de Sam, qui passait doucement sa main dans ses cheveux, son autre bras le tenant tendrement, et il se sentait merveilleusement bien, comme chaque fois qu’il était blotti contre Sam, après l’amour. Ce qu’il préférait, cependant, c’était quand Sam s’endormait dans ses bras. Il aimait sentir son corps détendu, peser sur le sien, dormant en toute confiance. Sam dit doucement :

« À quoi tu penses, mon ange ? »

Il ne pensait pas avoir de réponse. Mais, pour la première fois, la voix jeune s’était élevée, pour murmurer :

« Je t’aime… »

Sam resta stupéfait. Le garçon reprit, fourrageant dans la mince toison noire de son torse :

« J’ai du mal à penser à autre chose… Surtout quand tu es là… »

Le garçon se redressa sur un coude, pour regarder Sam, amoureux.

« Je t’aime. » répèta-t-il.

Sam lui jeta un oeil sourit, enlaça la taille fine. Ils s’embrassèrent. Puis le garçon se rallongea, posant sa tête près de celle de Sam, sur l’oreiller.

« J’aime bien ta voix, dit Sam. Surtout qu’elle dit des choses gentilles. »

Le garçon sourit, sans répondre.

« Dis-moi… reprit Sam. Comment t’appelles-tu ?

-Je ne sais pas, répondit tendrement le garçon. Comment veux-tu que je m’appelle ? »

Sam le regarda avec des yeux ronds. Il les ferma, secoua la tête, et se tourna vers lui :

« Redis-moi ça… »

Le garçon souriait toujours, il caressa doucement son torse, répondit :

« Je n’ai que le nom que tu peux me donner…

-Ah ?…

-Oui… Puisque je vis pour toi…

-Et heu… tenta Sam, un peu décontenancé. Comment t’appelais-tu, avant moi ? »

Sam resta bête, lorsque le garçon répondit, le plus sérieusement du monde :

« Je n’existais pas, avant toi… »

Sam mit quelques secondes à se reprendre, puis hocha la tête, et se remit sur le dos. Après un silence, il plia son bras sous sa tête puis enchaina :

« D’accord… Bon. Ceci ne règle pas notre problème… il faut quand même te trouver un nom… »

Le garçon répondit, en se reblottissant contre lui :

« Le nom que tu voudras m’ira. Je suis ton pantin. »

Sam hocha à nouveau la tête, pensif, puis soupira, et conclut :

« Va pour Pantin. »

Il se tourna pour serrer le jeune corps dans ses bras.

« Mais si un jour, ajouta-t-il, comme le garçon passait ses bras fins autour de son cou, tu veux me dire comment tu t’appelais avant d’exister, n’hésite pas. »

C’est ainsi que le garçon s’appela Pantin.

Pantin ne sortait donc pas de sa chambre. Sam avait installé une chatière à sa porte, ce qui permettait au chat de venir voir le jeune homme quand il le voulait. Le chat venait souvent voir Pantin. Il dormait près de lui, dans la journée. La nuit, il était dehors, chassant dans les bois.

Pantin n’avait pas quitté sa chambre depuis son arrivée, sauf lorsque Sam le menait à la salle de bain pour le laver. Là, ils passaient d’ailleurs, sous la douche ou dans la baignoire, plus de temps à s’aimer à se laver. Ils en sortaient propres et satisfaits. Sam avait également lavé les vêtements du garçon, mais ce dernier, restant à dormir toute la journée, et à faire l’amour toutes les nuits, dans la chambre bien chauffée, n’avait pas jugé nécessaire de les renfiler. Le linge propre et plié était posé sur la petite table.

Cependant, un soir, Sam, fatigué, vint juste embrasser son compagnon en rentrant. Qu’il se contente de ça n’était encore jamais arrivé. Pantin, un peu inquiet, le laissa vite aller se coucher.

Or, le lendemain soir, Sam ne vint carrément pas. Fou à l’idée qu’il pouvait lui avoir déplu, Pantin, pour la première fois, prit sur lui de sortir de sa chambre. Le couloir était noir et froid, mais si le garçon tremblait, c’était de peur. Il alla, à tâtons, jusque la porte de son maître et frappa timidement. Il entendit Sam tousser, puis lui dire d’entrer. Pantin entrouvrit la porte, passa sa tête, les larmes aux yeux. Sam lui sourit. Il était allongé dans son lit, nu, couvert par une couette, un livre à la main. Il semblait las, il était pâle.

Pantin se mit à pleurer sans oser approcher. Sam, inquiet, pencha un peu la tête, et demanda gentiment, d’une voix enrouée :

« Et bé ? Qu’esse qui t’arrive ? »

Il lui fit signe de venir, se redressa, appuyant son dos sur ses épais oreillers. Pantin essuya ses yeux avec son bras, incapable d’arrêter ses larmes. Il s’approcha, tomba assis au bord du lit. Sam, très ennuyé, posa son livre, et posa sa main sur son épaule. Pantin éclata en sanglots. Sam attrapa son bras pour le tirer dans les siens. Il avait froncé les sourcils. Il pressa le jeune corps nu, fermant les yeux. Pantin se blottit de toutes ses forces contre lui, fourrant son visage inondé de larmes dans son cou. Il mit longtemps à se calmer. Puis, après un long silence, Sam demanda tout doucement, après s’être raclé la gorge :

« Qu’est-ce qui ne va pas, mon chéri?

-Tu n’es pas venu… »

Sam toussa, resserra son étreinte, un petit sourire aux lèvres.

« Excuse-moi. J’ai pris froid. Je ne voulais pas te filer mes microbes.

-Hier, tu m’as à peine dit bonsoir, chevrota Pantin, en se remettant à pleurer, et ce soir, tu ne viens pas… »

Il se serra plus fort, reniflant :

« J’ai si peur, si peur… Tu ne m’aimes plus ?… »

Sam caressa la joue lisse du garçon.

« Si, bien sûr que si. Voyons, mon chéri… Il ne faut pas te mettre dans cet état !… Hm ?… Je t’aime. Bien sûr que je t’aime. De tout mon coeur, je t’aime. Je suis malade, très fatigué, c’est tout. Ça arrive, tu sais, même à moi. Je ne suis pas un surhomme… »

Pantin renifla, puis poussa un gros soupir. Sam lui fit signe de venir se coucher près de lui.

« Allez, toussa-t-il. Viens là. Mais si tu es malade demain, ajouta-t-il comme Pantin se glissait sous la couette avec un grand sourire, ce sera ta faute. »

Pantin le regarda, radieux, ses immenses yeux noirs brillant d’amour. Il retourna aussitôt se pelotonner contre Sam, et passa la nuit bien au chaud, dans ses bras.

 

Chapitre 8 :

Après cela, quatre ans passèrent, tranquillement, à leur rythme. Et rien ne bougea. Sam rongeait son frein, et la DST avec lui. Il était devenu clair que Picandet négociait avec des mafias étrangères, pour permettre leur implantation dans la région, mais ne voulait pas perdre sa place, et, comme les autres avaient souvent les dents trop longues à ses yeux, les négociations étaient fréquemment rompues, pour être reprises quelques semaines ou quelques mois plus tard.

La DGSE était également sur le coup ; surveillant les mafieux étrangers, elle avait aussi obtenu d’infiltrer une taupe chez Picandet. Sam le savait, mais il ne connaissait pas cette autre taupe. Il n’avait eu contact avec elle qu’une fois, sur Internet. Ils avaient convenu de ne pas se chercher, et que l’un ne fasse rien, si l’autre se faisait prendre.

Quoi qu’il en soit, l’autre s’était infiltré avec une discrétion extraordinaire.

Un matin, Sam partit de très bonne humeur à son travail. C’était l’automne. Il faisait beau et froid, ce matin-là. Sam pensait à son petit Pantin, qu’il avait laissé dormir, au chaud sous leur couette, dans son grand lit, qu’ils partageaient depuis cette fameuse nuit où Pantin l’y avait rejoint. Le garçon menait désormais une paisible vie d’homme au foyer.

Sam arriva chez Picandet vers huit heures trente. Nael l’attendait sur le perron, emballé dans son grand manteau noir. Sam, en le voyant, se dit qu’en quelques années, son ami avait terriblement vieilli. Nael avait maintenant 46 ans, mais par moment, on pouvait lui en donner dix de plus. Ses cheveux avaient beaucoup blanchi, mais c’était surtout son visage qui avait changé : un peu amaigri, et surtout maintenant très marqué. Nael semblait plus las que jamais. Pourtant, il était resté le même, un être sans âme, torturant et tuant sans le moindre scrupule.

Près de lui, sur le perron, se trouvait Anna, autre petite silhouette noire, aussi haute que le tueur, très fine, avec de beaux yeux noisette aussi pleins de vie que ceux de Nael en étaient vides. Anna avait environ vingt-cinq ans. Ses lèvres carmin ressortaient sur sa peau blanche. Elle portant, ce matin-là, une robe noire, sous un manteau de même couleur. Ses longues boucles brunes étaient lâchées, et, sur la tête, elle avait le vieux feutre noir de Nael, qu’elle lui avait sans doute piqué quelques minutes plus tôt.

Anna allait et venait chez Picandet en toute impunité. Il faut dire qu’elle ne risquait rien. Car elle était, et ce depuis quelques mois, la maîtresse officielle de Nael. S’aimaient-ils ? Non. Mais ils passaient du bon temps ensemble, et, comme Sam, Anna bénéficiait de la protection inconditionnelle du tueur. Ce que, d’ailleurs, Joel supportait de plus en plus mal. Se considérant naturellement comme le seul bras droit légitime de son frère, il voyait d’un œil de plus en plus mauvais le fait que Nael impose sa loi. Pour la défense de Joel, signalons qu’il n’avait pas réellement conscience que l’autorité de Picandet ne tenait vraiment que parce que Nael était là, épée de Damoclès suspendue au-dessus de toutes les têtes.

Joel, en plus, était furieux de ne pas pouvoir toucher Anna. Car elle était belle à damner un saint. Il avait essayé, lors d’une soirée, pensant sans doute avoir affaire à une petite pute qui n’oserait pas lui dire non. Il avait voulu l’entrainer dans un coin, en la tripotant. Mal lui en avait pris. Nael était venu tirer Anna de ses mains, sans un mot. Simplement, les yeux froids. Joel lui avait violemment demandé des explications. Nael, alors, l’avait regardé droit dans les yeux et avait dit doucement :

« Laisse-la. C’est tout. Si tu lui fais du mal, ce sera la dernière fois que tu feras ce mal à une femme. Tu as ma parole. »

Et il était parti, après avoir passé un bras protecteur autour des fines épaules d’Anna, qui lui souriait, ayant posé sa petite main sur la sienne.

Nael, en voyant arriver la voiture de Sam, descendit les marches du perron. Devinant que son ami voulait lui parler, Sam vint se garer devant lui, et ouvrit sa vitre. L’air frais du dehors lui fouetta le visage. Anna avait suivi Nael.

« Salut, Sam.

-‘Jour, Nael. Salut, Anna. »

Anna lui sourit et lui fit un petit signe de la main.

« Il faut qu’on aille chercher le fils du patron, à Perrache, reprit le tueur. On peut y aller avec ta voiture ? »

Sam mit quelques secondes en enregistrer le message, puis balbutia :

« Heu, oui, bien sûr…

-Parfait. On monte. Viens, Anna. »

Sam ouvrit les portières, et Nael monta à la place du mort, et Anna derrière lui. Sam redémarra, et repartit.

« Il a un fils, le patron ?… demanda-t-il, un peu vague, en jetant un oeil à Nael.

-Et oui… soupira ce dernier.

-C’est pas vrai ?

-Si. »

Nael haussa les épaules.

« Un Enzo, de vingt-et-un ans. Il a été élevé par sa mère, à Nîmes. Il vient continuer ses études à Lyon. Alors, il en profite pour faire connaissance avec son père. Ce dernier a juré à sa mère de ne pas en faire un gangster… Et d’ailleurs, il lui a acheté un appart dans le deuxième. C’est loin de chez lui. »

Picandet vivait dans le sixième, de l’autre côté du Rhône.

« Il ne connait pas du tout Picandet ? demanda Sam.

-Pas du tout.

-Il va être déçu, intervint Anna.

-Oui, c’est possible, reconnut Nael. Mais sa mère a dû lui dire… Elle n’aimait plus beaucoup Picandet, quand elle l’a quitté. »

Sam bâilla.

« On verra…

-Tu es fatigué, Sam… remarqua Nael. Encore trop de galipettes cette nuit ?

-Non, même pas, répondit Sam. J’suis un peu malade, j’ai eu une indigestion, hier soir… »

Nael s’alluma une cigarette, avant de reprendre :

« Ton Pantin va bien ?

-Oui, oui… Il était tout désolé, il croyait que c’était ce qu’il avait préparé…

-Son quoi ? demanda Anna, intriguée.

-Pantin, répondit Sam avec un sourire. C’est le surnom de mon amoureux.

-Curieux…

-C’était quoi ? reprit Nael.

-Un yaourt périmé, j’ai pas fait gaffe… C’est vraiment con, j’ai mis une heure à consoler Pantin, à lui faire comprendre que c’était pas son poulet basquaise… Il a fallu que je lui jure vingt-cinq fois que je l’aimais, que je lui en voulais pas, pfff !

-Il est dingue, ce mec… fit Anna, stupéfaite par ce récit.

-Dingue de Sam. » corrigea doucement Nael.

Après quelques embouteillages, ils arrivèrent à la gare de Perrache. Sam se gara sur le Cour Charlemagne, et ils allèrent prendre l’escalator, pour entrer dans la grande gare. Par cette entrée, on se retrouvait de l’autre côté du hall d’accueil. Ils allèrent là, regarder les panneaux d’affichage, puis, ils gagnèrent le quai, faisant fi du plan Vigipirate, alors en vigueur, qui interdisait à toute personne n’ayant rien à y faire d’y trainer. Personne ne vint rien leur dire, et, un peu plus tard, le train arriva, à l’heure. Ce qui fit rigoler Anna :

« Si les trains se mettent à arriver à l’heure, dit-elle, c’est vraiment que la France va mal ! »

Sam rigola aussi. Pas Nael, évidemment. Il guettait, parmi tous les gens qui descendaient des wagons, et ses yeux se posèrent enfin sur un jeune homme, qui semblait perdu. Il était assez brun, sa peau assez mâte, ses yeux assez sombres pour répondre au prénom d’Enzo. C’était un beau garçon. Sam et Anna apprécièrent. Il avait deux énormes sacs, et portait un T-shirt vert émeraude, sous une veste en jean, et un pantalon de même matière. Nos trois amis s’approchèrent de lui. Il eut l’air apeuré, mais ne s’enfuit pas.

« Enzo Picandet ? demanda Nael.

-Heu… Oui ?… »

Nael lui tendit la main :

« Nathanael Giuffrida. Je travaille pour votre père, vous pouvez m’appeler Nael. Voici Samuel Magin, et Anna Rosaie.

-Ah heu… Enchanté… » bafouilla le jeune homme, en serrant la main de Nael.

Il serra aussi celle de Sam, qui lui souriait poliment ; et celle d’Anna, qui lui souriait gentiment.

« Votre père aimerait vous rencontrer, reprit Nael.

-Ah… Ben heu oui, moi aussi…

-Nous pouvons aller poser vos affaires chez vous tout de suite, et aller voir votre père après, ou l’inverse, comme vous préférez. »

Le calme impassible de Nael impressionnait beaucoup Enzo. Il bredouilla :

« Heu… Qu’est-ce qui vous arrange le plus ?… »

Nael regarda Sam :

« Tu as une préférence ?

-Non, pas vraiment. C’est comme vous voulez, Enzo. »

Le jeune homme les regarda l’un après l’autre, intimidé, puis soupira/

« Bon, fit-il. Allons chez mon père tout de suite. Ce sera fait. »

 

Chapitre 9 :

Picandet était un quinquagénaire assez gras, assez laid, pour le moment occupé à jouer aux cartes avec Joel et deux putes, dans son salon au ton pastel. Deux sofas mauve clair se faisaient face, où les deux hommes étaient assis, les deux femmes étant chacune sur un des fauteuils fuchsia qui se trouvaient aux deux extrémités de la table basse, en marbre rise, sur laquelle les cartes s’étalaient. Il y avait quelques aquarelles sur les murs roses. Ils riaient grassement, lorsque Nael entra sans frapper, comme à son habitude, suivi d’Enzo, qui regardait tout autour de lui avec des grands yeux curieux, et un petit sourire aux lèvres, de Sam, bonhomme, et d’Anna, qui se demandait comment ça allait se passer.

« Ton fils est là, Gaspard. » dit Nael à Picandet.

Le caïd se leva prestement. Enzo le contemplait avec un intérêt amical, mais pas filial, il était plus grand que son père, et l’écrasait de sa beauté.

« Bonjour, papa. dit-il.

-Mon petit ! » s’exclama Picandet, en allant le presser dans ses bras avec un grand sourire.

Sam et Anna se regardèrent, amusés, quant à Nael, il soupira, plus fatigué qu’ému.

« Comme je suis content de te voir ! » reprit joyeusement Picandet.

Enzo, qui n’osait pas sortir de ses bras, ne savait visiblement plus s’il devait rire, pleurer ou autre chose, et dévisageait son géniteur avec surprise.

« Tu es superbe ! » continua Picandet.

Nael bailla, soupira à nouveau, avant de lâcher, en allant à la fenêtre :

« C’est sûr qu’il ne te ressemble pas. »

Sam et Anna, ainsi que les deux putes, eurent beaucoup de mal à ne pas éclater de rire. Nael observait le jardin, immobile. Picandet lui jeta un oeil, pas très content, mais s’en tint là. Pas Joel, il se leva brutalement de son sofa, faisant sursauter les deux femmes, l’une d’elles poussa un petit cri apeuré, et cria, poings serrés :

« Tu répètes ça, Nael ?! »

Nael n’eut pas le moindre sursaut, il regardait le jardin, imperturbable, et, au bout d’un moment, déclara posément :

« Faut tailler la haie. »

Voyant que son frère bouillonnait, Picandet lâcha Enzo, et eut un geste apaisant :

« Laisse tomber ! fit-il.

-Tu le laisses te traiter comme ça ?! s’écria Joel. »

Il était furieux. Picandet renouvela son geste apaisant :

« Laisse, je te dis ! On réglera ça plus tard. Ne gâchons surtout pas mes retrouvailles avec mon fils ! »

Il revint vers ce dernier, qui avait croisé les bras et le regardait, attentif.

« Enzo, mon petit, j’ai l’intention d’organiser une petite fête pour arroser dignement ton arrivée ! clama le caïd.

-Oh… bredouilla le jeune homme, gêné. Ce n’est pas la peine…

-Si !… J’y tiens !… Et tu le mérites ! »

Enzo décroisa ses bras, se gratta la tête, ennuyé, puis soupira :

« Bon, d’accord… Mais quelque chose de simple, alors ?…

-Ne crains rien ! Vendredi soir, ça te va ?!

-Heu, oui, heu…

-Parfait ! »

Picandet tapota l’épaule de son grand fils, l’air particulièrement content. On frappa à la porte, et deux sous-fifres entrèrent. L’un d’eux dit à son patron que les gens qu’il attendait étaient là. Picandet eut une mimique déçue.

« Je dois te laisser, Enzo, du travail… Va t’installer, d’accord ? Je te recontacterai. Hein ? Au revoir, mon petit. À très bientôt. »

Il partit sans attendre de réponse. Nael s’était tourné, et soutint sans un frémissement et jusqu’à la dernière seconde le regard haineux de Joel, qui suivit son frère. Les deux putes partirent également, elles devaient faire partie du comité d’accueil.

Enzo resta un peu sonné. Anna vint vers lui, toute douceur et sourire, Nael soupira, et s’approcha à son tour, comme Samuel demandait s’ils y allaient. Nael opina, ils sortirent tous quatre, retournèrent dans le hall, où Picandet, Joel, les deux filles et les deux gars accueillaient six hommes qui avaient, pour le coup, de vraies têtes de tueurs.

« Encore des négociateurs ? » murmura Sam à Nael.

Le tueur opina.

Ils sortirent, et reprirent la voiture de Sam. Ils repartirent, les rues étaient cette fois assez calmes. À un feu rouge, Sam jeta un œil à Nael, et reprit :

« Tu crois qu’on va en sortir, de ces fichues négociations ? »

Nael haussa les épaules.

« Oui, dit-il. Cette fois, c’est presque bon. À mon avis, Picandet est en train de se faire avoir en beauté, mais bon…

-C’est à dire ? » s’enquit Sam.

Nael bâilla, puis continua :

« Ces gars-là ont fait beaucoup trop de concessions. Ça pue le piège. Dès qu’ils seront bien installés, ils prendront vraiment la ville. C’est évident. »

Enzo se pencha vivement, inquiet, et s’exclama :

« Sans blague ?!…

-Ça me parait évident et inévitable.

-Comment ça, vous ne l’avez pas prévenu ?!

-Si, mais il n’y croit pas. Joel passe son temps à lui monter la tête contre moi… Ils se sont persuadés, tous les deux, que ces mecs les craignent… Ils se foutent le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate, mais après tout, s’ils veulent se faire tuer, c’est eux que ça regarde. Si j’ai un bon conseil à vous donner, Enzo, c’est de sagement rester en dehors de tout ça. »

 

Chapitre 10 :

Sam se gara sereinement devant sa maison. L’entendant, le chat sortit des bois pour aller se frotter à ses jambes. Sam le caressa, le prit dans ses bras, et rentra. Il lâcha l’animal dans l’entrée, et le petit félin fila dans la cuisine, vers sa gamelle, sans doute. Sam enleva sa veste en sifflotant.

Pantin sortit du salon et lui sauta au cou. Durant ces quatre ans, il avait un peu grandi, mais surtout, son corps avait forci. Il restait mince, mais c’était maintenant un superbe jeune homme. Sam le serra dans ses bras. Ils s’embrassèrent.

« Bonjour, toi. » lui dit doucement Sam, en caressant sa joue douce et imberbe.

Le garçon demeurait mystérieusement glabre.

« Bonsoir, mon amour… »

Comme toujours, le garçon rayonnait.

« Comment vas-tu ? continua-t-il. Je suis inquiet. »

Sam ne put s’empêcher de rire, en se penchant pour dénouer ses lacets.

« Je vais mieux, Pantin. Tu n’as pas à t’en faire. » répondit-il.

Il sentit une main fine passer sur son dos.

« Tu es sûr ? » insista doucement Pantin.

Ses yeux noirs étaient ce soir-là plus préoccupés, plus sombres, que d’habitude. Sam se redressa, et enfila ses pantoufles.

« Oui, oui, ça va ! Pantin, bon sang !… »

Il regarda le garçon, le reprit dans ses bras. Et il lui dit avec un petit sourire :

« Ton poulet basquaise était délicieux, c’est seulement le yaourt qui m’a rendu malade. Je suis remis, je vais bien, et je ne t’en veux pas. »

Pantin sourit, et soupira d’aise. Sam ajouta :

« Pourquoi tu insistes comme ça ? Tu as envie que je sois en forme, ce soir ? »

Le sourire du garçon s’élargit, et passa ses bras autour du torse de Sam, se serrant fort contre lui. Il répondit, fourrant sa tête dans le cou de son maître, qui ferma les yeux un instant, savourant cette étreinte :

« Ça fait trois nuits que tu ne m’as pas fait l’amour. Ça me manque, de ne pas t’accueillir en moi. »

Pantin redressa la tête, pour regarder Sam, et caressa son visage :

« Mais ça, je peux le supporter. Te savoir malade, c’est beaucoup plus dur… Surtout si tu n’es pas là. Qu’est-ce que je deviendrai, moi, si un jour, tu ne rentres pas ? »

Sam lui sourit, rassurant :

« Ne t’en fais pas. J’ai un papier sur moi, qui dit qu’il faut laisser un message ici, s’il m’arrive quelque chose. Il y a des provisions dans le garage, avec mon autre voiture… »

Sam prit le visage de son amant entre ses mains, l’embrassa, avant de reprendre, fixant droit les yeux noirs :

« … Mais il n’y a aucune raison qu’il m’arrive quelque chose. »

Pantin sourit, prit les mains de Sam dans les siennes, comme ce dernier enchainait :

« Tu parlais de m’accueillir en toi ? »

Une lueur enflamma les yeux noirs.

« Allons voir ça. »

Lorsque Pantin se réveilla, très tard, le matin suivant, Sam n’était plus là. Le chat, si, et ce fut d’ailleurs lui qui vint le tirer des bras de Morphée, car il avait faim. L’animal tournait sur le lit, en miaulant. Pantin s’étira, s’assit sur le lit, caressa distraitement l’animal, et soupira, profondément heureux. Il regarda son reflet, dans les glaces de l’armoire, face à lui. Il vit un garçon amoureux, content de vivre, un garçon qui, après quatre années, n’avait toujours qu’un seul désir, sentir le corps de son maître s’endormir dans ses bras.

Pantin se leva, s’étira à nouveau. Le chat sauta sur le sol, se frotta à ses jambes nues, en miaulant désespérément. Pantin rigola, ça le chatouillait. Il ramassa son jean et son pull, qui trainaient au sol, car Sam les lui avait enlevés avec beaucoup de vigueur, le veille, et les enfila. Puis, il bâilla, sortit de la chambre, le chat sur les talons. Il descendit au rez-de-chaussée, à la cuisine. Il remplit la gamelle du petit félin, qui se jeta sur ses croquettes comme la pauvreté sur le monde, puis alla jeter un oeil par la fenêtre. Il pleuvait.

La forêt roussissait. Pantin sourit. Dans deux mois, il fêterait ses quatre ans de vie commune avec son maître, ses quatre ans de vie. Quand Pantin se souvenait des grands discours dont l’assommait son prof de philo, quelques semaines avant qu’il parte, ça le faisait toujours doucement rigoler.

« Voyez-vous, jeunes gens, il n’y a qu’une façon d’être heureux, je dis bien, une seule, qui est le renoncement des plaisirs, quels qu’ils soient. Car chercher plus, chercher les plaisirs est la source de tous les malheurs de l’humanité… On se laisse dominer par eux, on n’en a jamais assez, il nous en faut plus, toujours plus, et on est malheureux, toujours insatisfait… »

Bref, ce type était un épicurien au sens propre, et premier : bonheur= absence de douleurs, soit dominer les désirs du corps, alimentaires, sexuels, et autres, pour ne pas ensuite, risquer de souffrir de leur manque. Épicure lui-même ne se nourrissait que de fromages de chèvre…

Pantin, lui, avait trouvé une autre façon d’être heureux : se livrer corps et âme à l’Amour. Il aimait, évidemment, faire l’amour avec son maître, mais son plus grand bonheur restait d’être son jouet, sa chose, et de vivre pour le rendre heureux.

Le jeune homme cassa une petite croute, tranquillement, et alla ensuite digérer devant la TV. Elle était au salon, face à la cheminée, sur un haut confiturier verni. Son écran était assez grand, plat, et les canapés avaient été mis un peu en biais, pour qu’on puisse la regarder sans torticolis.

Sam avait la parabole, et, depuis quelque temps, Pantin s’était branché sur une chaine de dessins animés. Mais il n’arrivait jamais à retenir le canal, et devait donc la rechercher tous les jours, en zappant.

Ce qu’il fit ce jour-là, et il s’arrêta soudain brusquement, sur une chaine, en voyant son propre portrait à l’écran. C’était un documentaire sur les disparitions. Il avait froncé les sourcils, hésita, puis resta à regarder ce que ça disait.

« … a disparu depuis près de quatre ans, plongeant son entourage dans la stupéfaction. Décrit comme effacé, studieux, ce garçon est parti un soir, sans donner d’explications à qui que ce soit. Depuis, plus personne ne l’a vu, mais ses parents refusent de croire à sa mort. La police, elle, dépassé par le trop grand nombre de disparitions en France, fait ce qu’elle peut, c’est à dire pas grand-chose. Et les parents attendent, anxieux…

            -Anxieux mon cul ! » grogna Pantin.

Le visage de sa mère apparut sur l’écran. Pantin la fixa dans les yeux, méprisant, haineux. Elle fit un petit numéro de mère éplorée, le suppliant de revenir, au moins de leur faire signe. Mais elle était évidemment plus contrariée qu’émue. Pantin changea de chaine, murmurant :

« Pauvre conne… »

Il se remit à zapper, marmonnant :

« C’est maintenant que je ne suis plus là que vous avez réalisé que j’existais ? Trop tard. Tant pis pour vous. »

Il sourit, retrouvant ses dessins animés, puis murmura encore :

« J’existe, maintenant. J’ai quelqu’un qui m’aime, lui. Pour qui je ne suis pas qu’un fardeau à coller à la musique le mercredi et au foot le samedi pour avoir la paix. »

Pantin dormait devant la TV lorsque Sam rentra, en fin d’après-midi. Sur l’écran, une vache et son grand frère, un coq, poursuivaient un petit démon rouge. Sam était content de sa journée. Il prit la commande, baissa le son, puis s’assit au bord du canapé, près du jeune homme, et sourit.

Pantin couina, bâilla, ouvrit des yeux vagues, s’étirant, puis un grand sourire éclaira son visage. Sam se pencha et l’embrassa. Pantin passa ses mains dans les cheveux bruns.

« Salut, Pantin.

-Bonsoir, mon maître… »

 

Chapitre 11 :

Anna sortit de la salle de bain enveloppée dans une serviette blanche. Elle avait relevé ses cheveux en chignon, avec une grosse barrette, pour ne pas les mouiller. Elle longea le couloir, pour gagner la chambre blanche, où Nael, torse et pieds nus, lisait paisiblement, allongé sur son grand lit. Anna vint se poser à sa droite, sur ce même lit.

Nael hébergeait volontiers Anna. Le tueur vivait dans un spacieux appartement blanc, et qui paraissait d’autant plus spacieux qu’il était très peu meublé. Il n’y avait que le lit et une table de nuit dans la chambre, au salon, il n’y avait qu’un canapé et une bibliothèque, la cheminée de marbre blanc, sur laquelle était posé un petit vase en fer, décorait sobrement le seul mur qui n’était pas couvert de livres.

Nael posa son livre, et jeta un œil à sa maitresse. Anna lui sourit.

« C’est quoi, ce bouquin ? demanda-t-elle.

Les Mémoires d’Hadrien.

-C’est bien ? De quoi ça cause ?

-C’est Yourcenar qui fait raconter sa vie à Hadrien, c’était un empereur romain. Je te le conseille.

-Tu me le prêteras. »

Il y eut un silence, puis la jeune femme vint se caller contre son amant, qui passa son bras droit autour d’elle, et elle reprit :

« Dis-moi, Nael…

-Oui, Anna ?

-Comment un docteur en lettres modernes devient-il tueur à gages ?

-La question ne s’est pas posée en ces termes.

-Ah ?

-Non. C’était plutôt : Gaspard, tu me laisses finir mes études ou tu préfères que je les finisse sur ta tombe ?

-Ah ?

-Oui. J’étais déjà tueur.

-Je trouve que tu manques du respect le plus élémentaire pour ta hiérarchie.

-Gaspard n’a qu’à être un vrai chef, et je le respecterai. »

Elle se mit à caresser son torse.

« Tu es sévère. Pourquoi restes-tu à son service ?

-Je n’ai absolument rien d’autre à faire. »

Elle s’installa à califourchon sur ses hanches. Il la regardait avec tendresse, elle se pencha, l’embrassa, pendant qu’il ôtait délicatement la serviette. Puis, il la caressa doucement. La peau d’Anna était très douce.

« Dis-moi, Anna ?

– Oui ?

– Comment tu le trouves, le petit Enzo ?

– Mignon comme tout… Pourquoi ? »

Il la fit basculer près de lui, puis s’allongea sur elle. Elle passa ses jambes autour de ses hanches. Il les caressa longuement :

« Je crois que tu lui plais, dit-il.

– Vraiment ? »

Ils s’embrassèrent encore. Elle l’aida à enlever son pantalon.

« Oui… Tu lui plais… C’est évident. Tu lui as tapé dans l’œil… Il t’intéresserait ?

– Qu’est-ce que ta main fait là ?

– Devine… Réponds-moi.

– Oui… Hm… Il est plutôt beau gosse…

– Il faudra que tu y ailles, si tu le veux…

– Et toi, tu viens… ?…

– J’arrive, répondit doucement Nael en prenant un préservatif sur la table de nuit.

– Pourquoi c’est à moi d’y aller ?

– Parce qu’il a pigé que tu étais avec moi, que je lui fous une peur bleue et en conséquence, il n’osera jamais t’approcher.

– On verra ça… plus tard… »

Après, Anna reposait, allongée sur Nael. Elle s’appuyait sur ses avant-bras, qui étaient eux-mêmes repliés sur son torse. Ses longs cheveux coulaient sur son dos fin. Nael avait sa main gauche posée au creux du dos de sa maitresse. Il fumait. Anna posa sa tête sur ses mains. Elle souriait :

« Tu fais merveilleusement bien l’amour, Nael.

– Toi aussi, Anna.

– Bon. Alors comme ça, tu veux que j’aille dépuceler Enzo ?

– Uniquement si ça t’intéresse.

– Oh, j’aurais rien contre.

– Qu’est-ce qui te fait penser qu’il est vierge ?

– La plupart des garçons de 21 ans qui ne le sont plus me regardent avec plus de drôles de petites étincelles dans les yeux que lui/

– Hm, hm. »

Nael écrasa son mégot sur le cendrier blanc de sa table de nuit.

« Tu veux te débarrasser de moi, Nael ?

– J’estime juste que tu as plus d’avenir avec Enzo qu’avec moi.

– Tu t’intéresses à mon avenir ?

– Si j’y peux quelque chose…

– C’est le cas ?

– Si tu te mets avec Enzo, Joel n’osera jamais te mettre sur le trottoir.

– parce qu’il veut le faire ?

– Il te veut. Il pourrait aller jusque-là pour t’avoir. »

Anna se redressa et caressa le visage de son amant :

« Tu me protègerais…

– Je ne serai pas éternellement là, Anna. Les balles volent vite, dans notre boulot. »

Anna eut une moue triste et se pencha pour poser ses lèvres sur celles de Nael. Il caressa ses longs cheveux. Elle décida de changer de sujet.

« Tu l’as connu comment, Sam ? » demanda-t-elle.

Il s’alluma une nouvelle cigarette, puis lui raconta leur rencontre, au Parc de la Tête d’Or, quatre ans plus tôt.

« Ben dis donc, c’est digne d’un polar ! » rigola-t-elle.

Il haussa les épaules.

« La façon dont je t’ai connue n’est pas mal non plus. »

Le sourire d’Anna s’élargit.

Nael l’avait tirée des pattes d’un type patibulaire, qui avait des intentions sans doute peu légales. Puis, il l’avait aimablement invitée à boire un café, dans un bar à côté, pour la remettre de ses émotions, et de fil en aiguille, il l’avait raccompagnée chez elle et là, ils étaient assez vite devenus beaucoup plus intimes.

Nael faisait effectivement très bien l’amour. Aussi bien que Sam, mais dans l’autre registre. La différence était que Sam était amoureux et fidèle. Nael était fidèle, mais pas amoureux. On lui connaissait assez peu d’aventures. Il s’était mis avec Anna par sympathie. Il aimait faire l’amour avec elle, lui donner du plaisir. Sa présence, en quelque sorte, lui réchauffait un peu le cœur. Sa beauté et sa gaieté lui faisaient du bien, un peu comme l’amitié de Sam, et c’était d’ailleurs encore plus vrai pour cette dernière que pour Anna.

Aussi, Nael tenait à caser sûrement sa maitresse, pour être tranquille pour son avenir.

Car Nael savait depuis longtemps qu’il ne vieillirait pas.

 

Chapitre 12 :

Le vendredi soir, chez Picandet, la fête d’accueil d’Enzo battait son plein. Les principaux responsables du clan étaient là, plus quelques mafieux étrangers et quelques putes pour l’ambiance. Tout le monde avait l’air de bien s’amuser, sauf quatre personnes : Enzo, qui s’ennuyait comme un rat mort, Anna, qui en était à peu près au même point, Sam, qui se disait qu’il n’allait pas tarder, et Nael, qui, de toute façon, ne s’amusait jamais.

Enzo sirotait un verre de ponch, assis sagement sur un canapé. Anna, comme toujours très belle, dans une longue robe noire, et avec sur la tête le feutre noir qu’elle avait encore dû piquer à Nael, vint s’asseoir près de lui.

« Ça va ? » lui demanda-t-elle.

Le soupir du garçon fut plus explicite qu’un long discours. Au fond de la salle, deux hommes s’amusaient à bombarder trois putes de champagne. Nael s’approcha des deux jeunes gens. Enzo diminua de quelques centimètres sur le canapé.

« Vous devriez pas trop tarder, les tourtereaux, dit-il. Ça risque de tourner en partouze, ici.

– Tu crois ? » demanda Anna.

Sam s’approcha et confirma :

« Joel vient d’envoyer chercher d’autres filles. Je vais y aller aussi. »

Il regarda sa montre :

« J’avais prévenu mon Pantin que je rentrerais tard, mais je ne veux pas qu’il s’inquiète.

– Tu peux les raccompagner ? lui demanda doucement Nael. Je crois qu’Enzo a très envie d’offrir un dernier verre à Anna. »

Enzo perdit toutes ses couleurs et s’écria aussi vivement que sa panique le lui permit :

« Mais non euh… ! Enfin euh je… »

Anna se rapprocha de lui et lui demanda langoureusement :

« Je ne te plais pas ? »

Le garçon perdit encore quelques centimètres. Sam rigola :

« Bon, on y va ? »

Nael hocha la tête :

« Vous devriez. Ça s’échauffe, là-bas.

– Tu restes ? lui demanda Sam.

– Le temps d’être sûr que Joel ne va rien tenter contre vous. »

Les quatre comparses se regardèrent. Or, justement, Joel arriva. Il était un peu rond. Il rigolait, une fille accrochée à chaque bras :

« Ah ! dit-il. L’ambiance commence à se détendre un peu !… On va bien s’amuser !…

– Je n’en doute pas, soupira Sam en s’allumant une cigarette.

– Mais ça sera sans nous. » ajouta Nael.

Joel, contrarié, s’écria :

« Comment ! Vous n’allez pas nous laisser juste quand ça devient intéressant !

– Si. » confirma Sam.

Joel le regarda et ricana :

« C’est clair que c’est pas intéressant pour les tapettes ! »

Sam tira sur sa clope sans relever. Fâché par son manque de ré              action, Joel en remit une couche, faisant rire les filles pendues à ses bras :

« Tu préfèrerais te faire tringler, avoue ! »

Sam regarda sa montre, toujours sans répondre. Joel grommela et regarda Anna :

« Et toi, tu restes, j’espère ?

– N’y compte pas.

– Tu préfères aller te faire sauter par çui-là ? »

Joel désignait Nael.

« Il est toujours mieux que toi. » répliqua Anna, cinglante.

Sam rigola.

« Sale garce ! » cria Joel.

Enzo sursauta et se leva d’un bond :

« Non mais qu’est-ce qui vous prend de lui parler comme ça ?! s’écria-t-il, outré. Si vous voulez aller baiser, allez-y et lâchez-nous, oh ! On est pas à vos ordres ! Surtout ceux-là ! »

Joël recula, impressionné. Sam contemplait la scène avec un petit sourire moqueur, et Nael avec intérêt.

« … Et puis laissez Anna tranquille ! »

Joel battit en retraite. Sam rigola et Nael applaudit. Anna se leva, et embrassa doucement la joue du garçon, qui sursauta et rougit.

Ils sortirent tous quatre, laissant la fête tourner en orgie sans eux.

Nael raccompagna ses trois amis jusqu’à la voiture de Sam. Il faisait nuit noire, très frais. Nael les laissa partir.

Sam conduisait vite et bien. Il laissa les deux jeunes gens chez Enzo, malgré les protestations de plus en plus faibles de ce dernier, et rentra chez lui. Il pleuvait sur les Monts du Lyonnais.

Il entra chez lui, enleva sa veste, ses chaussures mouillées, en se disant qu’il allait prendre une bonne douche brulante pour se réchauffer. Pantin arriva du premier, encore habillé, et lui sauta au cou. Ils s’étreignirent.

« Bonsoir, mon chéri. » dit Sam, souriant, très heureux de serrer ce petit corps dans ses bras.

Pantin roucoula sans répondre. Sam caressa ses cheveux. La petite voix douce se fit entendre :

« Tu t’es bien amusé ?

– Non. Et toi, qu’est-ce que tu as fait ?

– Je t’ai attendu. »

Le garçon regarda sérieusement Sam :

« Que voulais-tu que je fasse… »

Le sourire de Sam s’élargit.

« Je ne sais pas… dit-il souvent.

– Je t’ai préparé un repas, aussi. Tu as faim ?

– Un peu, pas encore trop… Je voulais me doucher. »

Pantin sourit, caressa la joue de Sam, et susurra :

« Ça, c’est une bonne idée… »

Ils s’embrassèrent.

 

Chapitre 13 :

Il neigeait à gros flocons sur les Monts du Lyonnais.

Pantin tournait dans la maison comme un fauve en cage, miné par la fatigue, l’énervement et surtout par la peur.

Quarante-huit heures…

Et rien. Pas le moindre appel, pas le moindre message. Pas la moindre nouvelle. Pantin n’en pouvait plus…

Il ne savait plus rien, sauf une chose, une seule, qui le hantait : son maître souffrait.

Il aurait été totalement incapable de l’expliquer, mais il en était certain. Chaque cellule de son corps le lui disait : son maître souffrait.

Quelqu’un le faisait souffrir.

Pantin avait beaucoup pleuré. Et puis, c’était de la détermination qui l’avait envahi. Il ne savait pas qui faisait du mal à son maître, mais il allait le regretter.

Pantin était très en colère…

Il se mit à fouiller. Son amour avait laissé un indice, peut-être, quelque chose qui permettrait de le retrouver. Il ne trouva rien dans la chambre à part une arme, sous le matelas. Rien dans le salon, rien dans la cuisine, à part une autre arme. C’étaient deux revolvers chargés, en parfait état. Pantin les manipula un moment, avec beaucoup de prudence. Il y avait des chargeurs cachés derrière le dictionnaire en deux volumes, dans la bibliothèque. Pantin apprit sagement à s’en servir. Il allait sûrement en avoir besoin.

Puis, pour la première fois, Pantin osa pénétrer dans le bureau de son maître. Il alluma la lampe. La pièce était sombre, le bureau trônait au milieu, sur un épais tapis. Tout autour, les murs étaient couverts de livres, à l’exception d’un rayon, couvert de CD-ROM. Une petite porte sombre, au fond, donnait accès à une petite pièce, où le garçon alla jeter un œil. Il resta stupéfait. C’était un véritable petit arsenal, qui était caché là. D’autres revolvers, quelques armes automatiques, trois fusils… Il y avait même un fusil-mitrailleur. Et une petite caisse de grenades. Et une autre de bombes fumigènes.

Pantin resta bête. Il se demanda brusquement ce que tout ça cela signifiait. Il secoua la tête, et retourna dans le bureau. L’ordinateur posé sur la table attira son regard. Il s’assit. C’était un portable. Il connaissait ce genre de machines. Il avait assez piraté celui de ton père.

Il souleva l’écran et alluma l’appareil. La machine ronronna, signifiant à son utilisateur qu’elle se mettait au boulot. Sur l’écran, une fenêtre apparut, demandant le mot de passe. Pantin jura entre ses dents.

Un mot de passe…

Le garçon réfléchit un moment. Puis il tapa : P-A-N-T-I-N. Et il valida, en se mordant les lèvres. Et resta bête. Car ça marcha.

Il sourit. L’ordinateur se remit à ronronner, lui souhaita bienvenue, ou plutôt, souhaita bienvenue à son légitime propriétaire : Samuel Magin. Pantin soupira rêveusement. Samuel… Quel beau prénom…

Le contenu de l’ordinateur s’afficha : boite à lettres électronique, et une quinzaine de dossiers, sur une quinzaine de personnes, des noms que Pantin ne connaissait pas : Nathanael Giuffrida, Gaspard Picandet, Joel Picandet, Enzo Picandet, et beaucoup d’autres. Plus un dossier nommé : « Mission ».

Pantin ouvrit, pour commencer, la boite aux lettres électronique. Il n’y avait que trois messages, les plus anciens avaient été effacés. Pantin ouvrit le premier, il remontait à trente-six heures.

« Merci de me contacter très vite. Problème avec DGSE. »

Ça venait d’une adresse qui ne voulait rien dire en soi.

Le deuxième venait de la même adresse, et insistait pour que Samuel réponde au plus vite. Il datait de vingt-neuf heures. Le troisième, c’était pareil. Il datait de vingt-trois. Depuis, rien. Pantin réfléchit un peu. Pas de nouveau message… Ce gars-là avait dû comprendre que Samuel ne lui répondrait pas.

DGSE. Pantin réfléchit encore. Il connaissait ce sigle ; il l’avait vu dans des films. C’était : Direction Générale de la Sécurité Extérieure. Les services secrets qui s’occupaient de l’extérieur du territoire.

Pantin s’affaissa sur le dossier de son siège. Il s’était toujours douté que son maître n’était pas un obscur petit bureaucrate de la fonction publique, mais là, quand même !… « Problème avec DGSE »… Il referma la boite aux lettres, et alla fureter ailleurs. Le dossier « Mission » lui apprit à quel jeu jouait Sam. Il y faisait tous les soirs un résumé de sa journée, un petit rapport, en somme. L’inquiétude de Pantin augmentait au fur et à mesure de sa lecture. Quel salaud avait eu l’audace de fourrer son amour dans une histoire pareille ?!

Il alluma l’imprimante. Il allait tirer ça, il pourrait le relire à tête reposée. Après, il allait voir les autres dossiers.

Il s’agissait des dossiers officiels du gang de Picandet, ses principaux lieutenants, plus Nael, et auxquels Sam avait ajouté Enzo, et qu’il complétait aussi très régulièrement.

Il les imprima également. Pendant que l’imprimante finissait son travail, il fouilla le reste du bureau. Au fond d’un tiroir, il trouva un vieux carnet d’adresses. Très vieux. Les pages écrites à l’encre bleue étaient un peu effacées. Il devait remonter à plusieurs années. Pantin le feuilleta. Rien de bien précis. Il le posa sur le bureau. Il retourna voir l’ordinateur, mais il n’y avait rien de plus. Alors, il prit tous les CD-ROM, et aussi les quelques disquettes qui traînaient à côté. Il les lut tous et ne trouva rien. Il rangea tout, éteignit l’imprimante, l’ordinateur, et en prenant les feuilles, il fit tomber le vieux carnet d’adresses. Un papier s’en échappa. À tout hasard, le jeune homme le ramassa et le regarda. Samuel y avait gribouillé : « pochette verte ». Sans doute quelque chose qu’il avait oublié et noté en vitesse sur ce papier quand il s’en était souvenu. Une pochette verte… Pantin en avait vu une, dans un des tiroirs du bureau. Rien d’intéressant lorsqu’il y avait jeté un œil. Il la reprit et regarda mieux. De la paperasse administrative, beaucoup, mais surtout, le titre de propriété de sa maison, et celui de son appartement à Lyon. Pantin sourit. Il nota soigneusement l’adresse de ce dernier. Il savait où Samuel rangeait ses clés. Avec un peu de chances, il trouverait celles de cet endroit. En réfléchissant, le garçon se dit aussi qu’il y avait une jolie voiture dans le garage. Se souvenait-il de ses leçons de conduite ? C’était risqué. Mais, entre ça et partir à pied sous la neige…

Pantin prit les feuilles et sortit du bureau. Il soupira tristement. Rester ici sans son amour, sans son maître, était impossible. La maison était trop grande, le lit trop froid. C’était surement ce Picandet (il avait une sale gueule, en plus, sur la photo du dossier), et sa clique qui avaient découvert que Sam était une taupe de la DST et qui le gardaient pour ça. Pantin en frémit.

Les salauds.

Ils voulaient la guerre ?

Ils allaient l’avoir.

Les grands yeux, maintenant, débordaient de haine.

 

Chapitre 14 :

Sam respirait aussi profondément que l’état de ses côtes le lui permettait. Lorsque Joel et ses gars l’avaient attrapé, ils ne l’avaient pas fait avec beaucoup de diplomatie. Ils avaient eu de la chance de l’avoir par surprise… Sinon, il y aurait eu plus de casse que ça.

Il était dans le parc, avec Enzo et Anna. Les deux jeunes gens roucoulaient maintenant parfaitement officiellement. Mais Anna tenait encore beaucoup à Nael, et était souvent près de lui (en tout bien tout honneur). Ils devisaient paisiblement. Nael avait été envoyé à l’autre bout de la ville, pour un boulot, soi-disant. Pour l’éloigner, en fait, le temps pour Joel et ses hommes d’attraper Sam. Joel s’était approché tranquillement, l’air de rien. Sam s’en voulait beaucoup de ne pas s’être méfié. Car il aurait sans difficulté pu parer le coup de poing de Joel. Au lieu de ça, il était tombé, et quelques coups de pied bien placés, sous les yeux effarés d’Enzo et d’Anna, l’avaient mis provisoirement hors course. Pendant que deux gars le ramassaient, Enzo avait balbutié, apeuré :

« Euh… Qu’est-ce qui se passe, là ?…

– Il a fait une bourde, Sam ? » avait ajouté Anna, inquiète.

Joel avait ricané.

« ‘Vous en faites pas… Les taupes des flics, on sait les soigner !

– Sam, une taupe ? s’exclama Anna. Tu rigoles ? T’as trouvé ça où ? »

Joel ricanait toujours.

« On a un copain chez eux. Il l’a gentiment donné, en échange d’un joli chèque… Hé hé hé…

– Vous avez une taupe chez les flics ?! s’exclama Enzo, stupéfait.

– Oh ouais !… Y nous a dit qu’il y avait deux flics chez nous… Sam, mais y connaissait pas le deuxième… Soi-disant que c’est pas le même service… A mon avis, y veut un deuxième chèque. Mais c’est pas grave… Sam doit le connaître, lui… »

Ils l’avaient emmené à la cave, où ils l’avaient attaché, bras en V, à deux chaînes. Joel était très content. Depuis le temps qu’il rêvait de pouvoir torturer Sam !… Mais Joel avait fait une erreur. Ils n’avaient pas entravé ses chevilles.

Quelques claques avaient réveillé le prisonnier, qui avait très vite compris qu’il était en mauvaise posture. Il avait un peu tiré sur ses chaînes. Elles étaient solidement accrochées au plafond. C’était parfait. Il allait peut-être crever comme un rat, mais au moins, il pourrait faire un peu de casse avant. Il avait regardé Joel, qui se tenait à quelques mètres de lui, en ricanant toujours. Les deux gars faisaient sagement le tour de leur matériel de torture. Pas de Nael à l’horizon. Sam n’avait pas été plus surpris que ça. Joel le haïssait trop pour laisser à un autre le plaisir de le faire parler.

« Alors, Sam, on se réveille ? » avait ricané Joel.

Sam avait fait quelques petits mouvements avec ses jambes, sans répondre.

« Alors écoute, sale flic. On a plein de questions à te poser… Et si tu réponds pas, on t’y forcera. Alors, tu peux répondre. Mais j’espère que non. Parce que j’ai vraiment très envie de te torturer. »

Sam avait hoché la tête.

« Ca fait quatre ans et demi que ça te fait bander… Ça te fait un beau cadeau, à trois semaines de Noël… » avait-il dit.

Joel s’était mis à trembler de rage :

« Tu te fous de ma gueule, en plus ?

– Comme si j’avais encore quelque chose à perdre… »

Joel s’était précipité sur lui. Enfin, il avait essayé. Car un magnifique coup de pied l’avait envoyé au tapis pour son compte. Un des gars avait fait pareil et fini pareil. Le troisième, lui, avait avancé en tenant un flingue braqué sur Sam. Ce qui n’avait fait que retarder un peu l’échéance. Le premier coup avait fait voler l’arme, et le second avait envoyé son propriétaire s’assommer contre le mur tout proche.

Les trois hommes s’étaient relevés tant bien que mal, sous le regard un rien amusé de Sam. Joel lui jeta, en restant à distance :

« T’es un homme mort !

– Tu renoncerais à tout ce que je sais ? Et au plaisir de me le faire avouer en me torturant à mort ? Là franchement, tu me décevrais… » avait-il répondu avec un sourire.

Joel avait grogné méchamment et était parti en faisant signe à ses gars de le suivre. Ils avaient fermé à clé, et depuis, rien. Sam attendait. La journée était passée, à peu près, estimait-il. Il n’avait pratiquement pas dormi, à cause de ses côtes. Plusieurs avaient dû être salement froissées par les coups de pied. C’était très douloureux. Et puis, la position verticale était très inconfortable. Il avait horriblement mal au dos et aux bras. Il avait pu assez bouger ses jambes pour les désengourdir.

Sam était désespéré, mais bien décidé à protéger son existence tant qu’il le pourrait. Il fallait donc se taire. Ils ne le tueraient pas avant de l’avoir fait parler. Mais ce n’était paradoxalement pas l’idée de ses tortures prochaines qui désespéraient le plus Sam. Après tout, elles faisaient partie des risques du métier, quand on travaillait pour la DST. Ce n’était pas non plus le fait de savoir qu’il ne serait pas secouru. Non. Ce qui, vraiment, le minait, c’était de penser à son petit Pantin, seul dans les Monts du Lyonnais… Qu’allait-il devenir ?…

Personne ne savait que Sam hébergeait le jeune homme, mis à part Nael, Anna et Enzo, si l’on admettait que ce dernier avait enregistré l’information. La hiérarchie de Sam ignorait tout de cette histoire. Les contacts, depuis le début de la mission, près de cinq ans plus tôt, se réduisaient aux mails, aux envoies des rapports et, plus rarement, à de petits appels téléphoniques.

… Pantin…

Sam avait presque les larmes aux yeux en repensant au long corps fin et musclé, aux grands yeux noirs, au sourire de lumière de son jeune amant, à son rire clair et fort.

… Pantin…

Qu’allait-il devenir ?

Brutalement, une idée le glaça tout entier. Nael savait ce que Sam éprouvait pour Pantin… Et s’il venait à l’esprit du tueur de s’en prendre au garçon ?…

Sam s’apaisa en pensant que Nael ne savait pas où il habitait. Et il ne tenait qu’à lui qu’il ne le sache pas. Alors, il soupira tristement. Il était perdu, et Pantin l’était sans lui.

Il réfléchit longuement. Puis, une solution lui apparut, peut-être. Mais la balle n’était plus dans son camp.

 

Chapitre 15 :

Pantin était agréablement surpris de conduire si bien. Il veillait à respecter scrupuleusement le code de la route, pour ne pas risquer de se faire arrêter par des policiers. Il n’avait aucun papier.

Il avait une vague idée de ce qu’il allait faire. Il avait emmené tous les papiers qu’il avait tirés de l’ordinateur. Il avait toutes les adresses des principaux lieutenants du gang, que la DST avait gentiment notées sur les dossiers qu’elle avait donnés à Sam.

Muni d’une bonne carte de Lyon, Pantin trouva sans trop de difficulté l’immeuble où Sam avait son appartement. Il y avait un garage à ouverture magnétique, où Pantin gara la voiture. Puis, il prit l’ascenseur. C’était au dernier étage, le 7e. Le bâtiment était très moderne, très propre.

L’appartement aussi était très propre. Pantin entra. Il avait eu le vague espoir d’y retrouver son amour… Mais le logement était vide et silencieux. Le garçon alluma la lampe, posa au sol le sac qu’il avait. C’était un sac à dos, pas très volumineux. Il y avait mis les documents, la carte, un des deux revolvers (l’autre était glissé dans sa ceinture, caché par son grand pull), des chargeurs, et aussi trois grenades et deux bombes fumigènes. Ça pouvait toujours servir.

Le garçon referma les verrous de la porte de l’intérieur, et fit le tour de l’appartement. Il y avait quelques denrées pas périssables dans les placards de la cuisine, l’eau coulait, la chambre était en ordre, il y avait quelques vêtements dans les placards, et le salon était bien rangé également.

Pantin soupira. Il était tard. Sa troisième journée de solitude s’achevait. Le lendemain, dès l’aube, sans doute même un peu avant, il agirait. Aux premiers de ces messieurs.

 

Chapitre 16 :

La sonnerie de son téléphone réveilla brutalement Nael, le sortant d’un rêve particulièrement idiot. Il s’assit sur son lit, hagard, puis en sortit mollement, pour aller décrocher l’appareil, qui se trouvait au salon.

« Allô ? bâilla-t-il.

– Nael ! cria une voix rageuse, que le tueur identifia comme celle de Picandet. Viens tout de suite ! »

Stupéfait, Nael balbutia :

« Mais, euh… Qu’est-ce qui se passe ?…

– Pas l’temps de t’expliquer ! Viens tout de suite ! »

Picandet raccrocha. Nael reposa lentement son combiné. Puis, il le contempla en se grattant la tête. Il soupira. Son regard erra dans la pièce, pour finir par se poser sur le vase de fer scellé posé sur la cheminée. Il s’en approcha, le caressa du bout des doigts, triste. Il essuya la poussière qui s’était posée dessus, puis retourna dans sa chambre pour s’habiller. Il partit immédiatement, sans prendre le temps de rien avaler.

Il arriva une demi-heure chez son patron. Ce dernier était dans son salon, avec son petit frère, qui faisait les cent pas, visiblement enragé. Picandet était affalé sur un fauteuil. Il avait vidé pas mal de tasses de café, et aussi fumé beaucoup de cigarettes, si on en croyait le nombre de mégots écrasés dans le cendrier. Il semblait partagé entre l’énervement et la peur.

Nael soupira, fatigué.

« Assis-toi, lui dit Picandet en lui désignant le canapé, face à lui. Tu veux un café ?… Sers-toi… »

Joel jeta un œil à Nael qui se posa sans répondre, et le cadet jeta :

« On peut rêgler ça sans lui, Gaspard !

– Ah oui ?! cria Picandet. Et comment ?! On a un autre homme capable de ça ?! »

Joel grogna sans répondre. Puis, il partit en disant qu’il retournait interroger Sam. Il claqua la porte. Nael se servit posément une tasse de café.

« Qu’est-ce qui se passe, Gaspard ? » demanda-t-il.

Picandet soupira, très las.

« Ziggo et Jeff ont été abattus ce matin… A un quart d’heure d’intervalle, en sortant de chez eux… Et Popol, pareil… Vingt minutes après, dans le parking de son immeuble… Il est vivant, enfin à l’hosto… »

Nael but une gorgée de café.

« On sait qui a fait ça ? demanda-t-il doucement.

– Non, justement. C’est pas signé. C’est pas normal, Nael ! C’est une déclaration de guerre, c’est clair ! Mais n’importe lequel de nos ennemis l’aurait signée !

– Ca va peut-être se faire. Attends un peu.

– Je suis inquiet, Nael !… La fête qui doit sceller l’union du gang avec les étrangers a lieu dans trois jours !… je veux que cette affaire soit réglée avant !… Et bien réglée ! Je ne peux pas me permettre d’apparaître en position de faiblesse devant eux ! »

Il y eut un silence. Nael but encore un peu, avant de déclarer, calme :

« Et si c’était eux qui cherchaient à t’y mettre ? »

Picandet sursauta et écarquilla les yeux :

« Tu n’y penses pas ?!

– Pourquoi pas ? Ils ont les dents longues.

– Tu peux régler ça ?

– En trois jours ? Je peux essayer. Joel en est où, avec Sam ? »

Picandet soupira :

« Trois jours, dont deux à le battre, fit-il. Et il n’est pas arrivé à lui faire desserrer les dents.

– Sam est têtu. Et Joel manque d’imagination. Moi, je ne me contente pas de battre. Je torture pour de vrai. »

Picandet soupira encore.

« Que veux-tu ! Il prend son pied à frapper. Alors il frappe. »

Nael finit sa tasse. Puis dit, sec :

« J’ai trouvé très vexant que tu m’éloignes pour attraper Sam. Tu me prenais pour qui ?! Je n’allais pas m’interposer, tu sais. Et je te trouve aussi stupide de t’obstiner à me tenir en dehors de ça. Joel n’arrivera jamais à faire parler Sam. S’il continue, il le tuera avant d’être arrivé à lui faire ouvrir la bouche !

– Toi, tu y arriverais ?

– Je connais assez Sam pour le faire parler sans avoir besoin de lui arracher un seul cheveu. Ce n’est pas à son corps qu’on peut faire assez de mal pour délier sa langue. »

Picandet soupira une nouvelle fois.

« Bien, dit-il. Je te laisse vingt-quatre heures ; On essayera de te trouver des indices pour le reste, d’ici là. Mais je te préviens, ajouta-t-il, sévère. Si demain matin, Sam n’a pas parlé, je le rends à Joel. Définitivement. »

Nael se leva :

« Il me faudra moins de temps que ça. »

Il ressortit du salon, descendit au sous-sol. Il entra sans frapper. Il observa quelques secondes. Joel ricanait en regardant Sam. Ce dernier pendait au bout de ses chaînes. Il respirait péniblement. Un mince filait de sang coulait de sa bouche, et de son arcade sourcilière. Il avait fermé les yeux. Il serrait les dents. Ils avaient neutralisé ses jambes en tirant dans sa cuisse gauche. La plaie avait beaucoup saignée.

Nael s’approcha. Il écarta fermement un des gars de Joel qui lui barrait la route. Joel se tourna et cria :

« Qu’est-ce que tu fous-là, toi !

– On a fait un échange de bons procédés, avec mon chef, répondit Nael. Il me laisse Sam vingt-quatre heures, le temps que vous trouviez qui nous cherche des poux.

– Tu te fous de moi ?!

– Non. Maintenant, si ça ne te plait pas, va voir avec lui. » répondit Nael en venant devant Sam.

Il essaya de lui prendre le menton, mais Sam tourna la tête, toujours sans ouvrir les yeux.

« Laissez-nous. » acheva Nael.

Joel sortit en criant des insultes, suivi de son gars. Sam rouvrit les yeux, et les posa sur Nael.

 

Chapitre 17 :

Nael resta un instant à regarder Sam, sans rien dire. Il sortit une cigarette et son briquet de sa poche, et l’alluma paisiblement. Sam le regardait, se disant que Nael allait sans doute éteindre cette clope quelque part sur sa peau, quand il aurait fini de la fumer. Nael soupira. Il semblait très las. Il tira une bouffée, la souffla et dit enfin, de sa douceur habituelle :

« Tu t’es mis dans de beaux draps, Sam. »

Sam le regardait toujours, il ne répondit pas. Nael hocha la tête, il présenta la cigarette devant la bouche du prisonnier. Ce dernier la prit et tira une bouffée. Il souffla, soupira, et parla enfin :

« Tu as été long à venir, Nael.

– Joel voulait prendre son pied en égoïste. J’avais ordre de ne pas m’en mêler. Mais aujourd’hui, ils ont mieux à faire… J’ai gagné 24h avec toi.

– Qu’est-ce qui se passe ?

-Une déclaration de guerre… Ziggo et Jeff tués et Popol à l’hosto, ce matin. Probablement les étrangers qui commencent à faire le ménage. Mais je ne suis pas ici pour ça.

– Je m’en doute… J’avais quelque chose à te proposer. Je t’attendais.

– Je t’écoute. » dit le tueur, s’appuyant sur le rebord de la table toute proche.

Sam le regarda, et reprit :

« Tu as 24h pour me faire parler et tu le feras quoi qu’il en soit, n’est-ce pas ?

– Evidemment.

– Je te comprends. J’ai dû beaucoup te décevoir.

– Ne dis pas de bêtises. »

Sam regarda Nael sans comprendre. Le tueur reprit :

« Il y avait longtemps que je me doutais que tu n’étais pas su clair que ça, Samuel Magin. C’est ton vrai nom ?

– Oui. … Tu avais compris ?

– Que tu te battais beaucoup trop bien, que tu tirais beaucoup trop bien et que tu étais beaucoup trop discret sur ton passé. Tu es très bon comédien, Sam. Mais tu luttes comme un pro, tu tires comme quelqu’un qui a suivi des cours pours. Ca se voit, pour qui sait le voir. C’est mon cas. Mais continue, je t’en prie.

– Je ne t’ai pas déçu ? insista Sam.

– Tu es un homme très courageux. Mais reprenons, veux-tu ? Le temps nous est compté, mon ami. Que voulais-tu me proposer ? »

Samuel soupira, essaya de s’étirer comme il put, s’appuyant sur sa jambe valide. Puis, il reprit :

« Je veux bien te dire ce que je sais. Tu constateras toi-même que ça ne vaut pas grand-chose.

– Mais ?

– Mais, en échange, je veux ta parole que tu veilleras sur Pantin et que tu ne laisseras personne lui faire de mal. »

Nael regarda Sam un moment et demanda :

« Rien pour toi ? »

Sam eut un petit rire et secoua la tête :

« Je sais très bien que je ne vais pas m’en sortir !… Je me fous de crever, Nael. Dès que j’entrais dans cette maison, je savais que je risquais de ne pas en sortir. Ca faisait partie des règles du jeu, et je les avais acceptées ! »

Ils se toisèrent un moment en silence, puis Sam reprit, cachant son émotion comme il pouvait :

« … Mais pas Pantin… Pas mon Pantin… Il ne sait rien, lui, et je ne veux pas le mêler à ça… »

Nael hocha la tête :

« Soit. »

Il revint devant son ami.

« Tu as ma parole. Il n’arrivera rien à ton Pantin tant que j’y pourrais quelque chose. »

Un sourire passa sur les lèvres de Sam. Nael ajouta gentiment :

« Tu devrais t’asseoir un peu. »

Il le détacha, et le soutint jusqu’à une chaise. Sam y tomba plus qu’il ne s’assit, et soupira encore. Nael s’assit à califourchon sur une autre chaise, près de lui.

« Tu ne m’as pas fait jurer de te dire la vérité, remarqua Sam.

– J’ai confiance en toi, Sam. On y va ?

– D’accord.

– Alors,… Flic, bon. Quel flic ? PJ, crim, stup, mœurs ? » demanda doucement le tueur.

Il resta stupéfait, lorsque Sam répondit :

« DST. »

Il y eut un silence. Puis, Nael se reprit :

« DST ?… »

– Oui. Suite à des histoires de pots de vin que ton chef verse en douce à certains flics, justement. Mais vous me preniez vraiment pour un flic ?

– Justement, oui… L’indic de Joel s’est présenté comme un flic… »

Nael ne finit pas sa phrase, réfléchissant. Il demanda :

« Un flic ne pouvait pas le savoir ?

– Non. L’info n’a pas pu filtrer à ce point… répondit Sam.

– Alors, notre indic est de la DST.

– Un traître à la DST… soupira Sam. J’ai du mal à y croire…

– Ca ne peut être que ça. Bon, je verrais ça. Ta mission ?

– Infiltrer le gang et piquer des infos.

– La rafle à la fête de Valo ?

– C’était sur mes indications.

– C’est pour ça que tu ne voulais pas que j’y aille.

– Oui.

– Je m’en doutais.

– Pourquoi tu ne m’as pas balancé à Picandet, Nael ? » insista encore Sam, en regardant le tueur.

Nael alluma deux cigarettes et lui en tendit une. Sam la prit :

« Merci. Réponds-moi. »

– Parce que je n’en étais pas sûr. Et puis, j’ai confiance en toi. Le second espion, continua le tueur, c’est un gars de la DST aussi ? »

Sam dénia, souffla une bouffée et répondit :

« DGSE.

– Qu’est-ce que la DGSE vient faire dans cette histoire ?

– Vos collègues étrangers…

– Ah… Je vois. Tu me dis qui c’est ?

– Je ne le connais pas. »

Nael scruta Sam :

« Je croyais que tu me disais tout »

Sam eut un sourire las :

« Je ne te mens pas, Nael. Je ne sais pas qui c’est. C’est un gars de la DGSE, il s’est introduit, en gros, trois ans après moi. Il n’est pas entré en contact avec moi. Il ne me connait pas non plus. On a juste échangé un e-mail au début, pour se mettre d’accord, justement, sur le fait de ne pas se chercher, et de ne pas intervenir s’il arrivait quelque chose à l’autre.

– Vous ne vouliez pas travailler ensemble ? Vous auriez été plus efficaces.

– Sûrement. Mais le gros avantage quand on ne sait pas quelque chose, Nael, c’est qu’on ne peut pas le dire.

– Evidemment. »

Nael hocha la tête. Il se leva :

« Je te laisse souffler, dit-il.

– Nael…

– Oui ?

– Tu pourrais faire une dernière chose pour moi ? »

 

Chapitre 18 :

Nael croisa Anna en sortant de la maison de Picandet. Elle lui sauta au cou et lui fit un gros bisou.

« Ça va, Nael ? s’enquit-elle, inquiète.

– Ouais… Et toi ?

– Oui, oui… Mais toi, tu es sûr ?… Ça ne te travaille pas trop, cette histoire avec Sam ?

– C’est en train de se régler, viens… »

Il l’entraîna avec lui jusqu’à sa voiture, en lui demandant :

« Ça te dit, un petit tour dans les Monts du Lyonnais ?

– Oui, pourquoi pas…

– Monte. »

Elle s’installa sans comprendre à la place du mort. Lui prit place au volant, et ils partirent. Le tueur indiqua à Anna qu’il y avait une carte dans la boite à gants. Il avait besoin d’un guide.

« Regarde, à l’ouest de Lyon. Cherche Vaugneray. Et le Col de Malval.

– Oui… Euh… On va où, au juste ?

– Chez Sam.

– Hein ?!…

– ‘Faut voir si son Pantin va bien. »

Anna pâlit :

« Nael… balbutia-t-elle. Tu ne vas pas t’en prendre à Pantin, quand même ?! »

Le tueur la regarda gentiment :

« Non, au contraire. »

Il expliqua à la jeune femme le marché qu’il avait passé avec Sam. Elle resta surprise :

« Vraiment ?… fit-elle. Et qu’est-ce qu’il a dit ?…

– Rien qui puisse nous avancer. Qu’il était de la DST, envoyé pour nous espionner et qu’il ne connaissait pas l’autre taupe.

– Rien de trépidant, effectivement, reconnut-elle. Mais comment vous avez su que c’était une taupe ?

– Un gars a pris contact avec Joel, en se présentant comme un flic, et a donné Sam contre un gros chèque.

– Mais ! s’exclama Anna. Un flic ne pouvait pas savoir ça !

– Exactement, ma belle.

– Ça veut dire qu’il y a un traître à la DST…

– Ça devrait vouloir dire ça, oui.

– Eh ben ! À qui se fier.

– Tu trouves, sur la carte ?

– Ouais, ouais… J’y suis… Continue par là et sors de Lyon par Vaise, direction Craponne… Vaugneray devrait être indiqué de là…

– OK. »

Ils restèrent un moment silencieux. Puis, Anna reprit :

« Ils vont le tuer ?

– Peut-être que oui, peut-être que non.

– Explique-toi.

– Quoi qu’il arrive, je crois que Sam est plus intéressant vivant que mort.

– À quoi penses-tu ?

– À un échange… Ou plutôt, à le suggérer à Picandet. Il voulait faire évader Valo, un de ces gars qui est en tôle…

– Tu crois que la DST accepterait de l’échanger contre Sam ?

– Non. Mais je crois que Picandet pourrait le croire.

– Tu veux sauver Sam ? »

Nael ne répondit pas. Puis, il murmura :

« J’en sais rien. »

Il y eut un silence.

« On va commencer par voir dans quel état est son mec.

– Tu es sûr que ça va, Nael ?

– Pas plus mal que d’habitude, Anna. Et toi, avec Enzo ?

– Ça va. Mais ne change pas de sujet. Il y a longtemps que tu bosses pour Picandet ?

– Vingt-cinq ans, par là. J’ai commencé comme aide-maquereau. Et assez vite, je suis devenu apprenti-tueur. Puis tueur. Et voilà. »

Anna rigola et secoua la tête :

« Tu es incroyable, Nael ! s’exclama-t-elle. Tu parles de ça comme si tu étais épicier de campagne !… Genre : “Tiens, si je devenais tueur ?”… C’est dingue ! Combien de personnes as-tu tuées ?

– Je sais pas. Beaucoup.

– Et c’est tout l’effet que ça te fait ?!

– Ça devrait me faire quel effet, selon toi ? demanda-t-il doucement.

– Mais je sais pas, moi ! Mais tuer un homme, c’est pas comme arracher une carotte, bon sang !

– Je ne fais pas cette différence-là, Anna.

– Qu’est-ce qui t’est arrivé, Nael ? »

Le tueur sursauta, et jeta un œil stupéfait à la jeune femme qui reprit, très émue :

« Qu’est-ce qu’on t’a fait ?… Tu ne me feras pas croire que tu es devenu un cadavre ambulant sans raison !

– Un cadavre ambulant sans mémoire, Anna. »

Devant l’air surpris de sa compagne, il ajouta :

« La mémoire, c’est un truc de vivants. »

 

Chapitre 19 :

Pantin raya le cinquième nom de sa liste. Jusqu’ici, tout se passait comme sur des roulettes. Ces gars-là se laissaient tuer avec une facilité curieuse.

Le garçon remonta dans sa voiture. Le parking souterrain était certes désert, mais il ne fallait tout de même pas trop rester. On trouverait sans doute le cadavre dans quelques heures. Peut-être moins. Pantin rentra tranquillement à l’appartement de Samuel. Il avait fait quelques courses, entre deux meurtres.

Pantin l’ignorait, mais il avait eu beaucoup de chance. Pas prévenus, et ne se méfiant pas d’un inconnu si jeune, les cinq hommes étaient morts sans se défendre, et sans comprendre. Car Pantin ignorait également que le troisième vivait encore, dans une salle de réanimation d’un hôpital de Lyon.

Le garçon se fit un dîner léger, puis s’installa sur un fauteuil, dans le petit salon. Il reprit ses documents. Il mit cinq des seize dossiers de côté, murmurant :

« Ceux-là c’est bon… »

Il regarda les autres. Le dénommé Enzo, visiblement, était hors de cause. Mieux valait laisser Picandet et son frère tranquilles, ils ne devaient pas être faciles à approcher… Quant à Nathanael Guiffrida, que Samuel appelait Nael tout au long de ses notes, ça devait être un drôle de type. Solitaire… Il devait y avoir moyen de l’approcher. Pas pour le tuer (Samuel semblait bien l’aimer), mais pour lui transmettre un message pour Picandet. La déclaration de guerre d’un petit pantin de chair, très fâché qu’on lui ait pris son marionnettiste.

Pantin décida de son programme du lendemain. Il allait essayer d’en avoir encore un ou deux, puis il essayerait de prendre ce « Nael » entre quatre yeux.

Pantin était totalement inconscient du danger qu’il courait. Inconscient d’à peu près tout, d’ailleurs. Rien ne lui semblait réel. Il savait juste ce qu’il voulait : retrouver Sam, le tirer des sales pattes de ces hommes qui lui faisaient du mal. Et il était prêt à tout pour ça. Puisque rien, de toute façon, ne pouvait être ire que vivre sans lui.

Le garçon prit un bon bain, puis se coucha. Il fallait qu’il soit en forme pour le lendemain.

 

Chapitre 20 :

Samuel s’était assoupi, roulé en boule dans une couverture, à même le sol. Le grincement de la porte le réveilla. Il grogna, bâilla, ouvrit des yeux très vagues et se redressa péniblement sur ses bras. Nael referma la porte. Le tueur portait un plateau qu’il posa devant son ami, au sol. Il y avait un bol de bouillon, très chaud, aux vermicelles, un sandwich et un pichet d’eau.

« Merci, dit Sam en s’asseyant comme il put avec sa jambe blessée, gardant le couverture autour de ses épaules.

– De rien, répondit Nael, en s’asseyant également au sol. Comment te sens-tu ?

– Mal… Il y a du neuf ?

– Deux cadavres de plus. Picandet est partagé entre la colère et la peur.

– Non, je voulais dire… Tu as vu Pantin ? »

Le tueur observa son ami. Sam était pâle, épuisé, et visiblement très inquiet.

« Non, répondit Nael.

– Tu n’as pas pu y aller ?

– Si. Mais ton Pantin n’était pas dans ta maison. »

Sam écarquilla les yeux, stupéfait, puis son visage se défit. Il semblait anéanti :

« Quoi ?… balbutia-t-il.

– Nous avons tout fouillé, avec Anna. Le chat était là… On lui a remis à manger… Mais pas de Pantin.

– Mais c’est pas possible… Où aurait-il pu… ? couina Sam.

– Il avait un moyen de savoir où tu étais ?

– Je… Non… Enfin, tout était dans mon ordi… Avec un code… »

Sam sursauta, porta sa main à ses lèvres, en réalisant que le code, Pantin avait pu le deviner très facilement !

« Sam, ça va ? » s’inquiéta Nael.

Sam soupira, triste :

« Mon Pantin… Pourvu qu’il ne fasse rien de dangereux…

– Ne t’en fais pas. Tu aurais une idée d’où il aurait pu aller ?

– Je sais pas… Vous avez tout fouillé ?

– Oui.

– Il y avait une voiture, dans le garage ?

– Euh, non…

– Oh nom de Dieu ! gémit Sam. Mais qu’est-ce qui a bien pu lui passer par la tête… Mon Pantin… Il devait être mort d’inquiétude… »

Il soupira encore.

« Mon petit Pantin… Où… ? Hm… Il a peut-être trouvé l’adresse de mon appart sur Lyon… Les clés n’étaient pas cachées…

– Il est où, cet appart ?

– Vers les Cordeliers… 22, rue du Temple…

– Bon. J’irai voir demain. Mange, Samuel. Il faut que tu reprennes un peu de forces. J’ai réussi à convaincre Picandet qu’il fallait mieux te garder en vie, et à peu près intact. Ils ne te feront plus de mal, alors repose-toi. On pourra peut-être te tirer de là.

– Je dois te croire, là ? »

Nael se releva, sans que Sam ne le quitte des yeux.

« L’espoir fait vivre. » dit le tueur.

Il laissa Sam et remonta au rez-de-chaussée. Avant de partir, il alla voir Picandet pour l’avertir qu’il rentrait. Il trouva le caïd dans son salon, fumant nerveusement, en buvant un whisky.

« Gaspard, dit le tueur, je vais y aller. »

Picandet soupira. Nael s’approcha.

« Tu as entendu ?

– Ouais… Comment va Sam ?

– Il survivra. Et toi ?

– J’espère que je survivrai. Je ne comprends pas ce qui arrive, Nael ! Quatre morts et un qui l’est presque !… Ça ne ressemble à rien ! Je sais que j’ai des ennemis, mais ils n’agiraient pas comme ça !… »

Nael soupira et vint s’asseoir face à son chef, dans un fauteuil :

Celui qui a fait ça ignore tout des règles du milieu, c’est évident.

– Tu crois que la DST ?…

– Non. Ils ont plus de tact et de discrétion. Ils feraient un rafle, ils ne tuent pas comme ça.

– Dans trois jours, il y a cette fête…

– Raison de plus pour ne pas te laisser aller. Se montrer fort dans l’adversité, c’est aussi du courage et tes invités le respecteront.

– Tu crois ?

– Oui, ou alors, c’est qu’ils sont pires que toi, ce qui me parait humainement très difficile. »

La vanne fit rire Picandet malgré lui. Nael se releva :

« je rentre, cette fois, dit-il. Veille à ce que Joel laisse Sam tranquille.

– Ouais, ouais…

– Je serai là dans la matinée.

– OK, soupira Picandet. A demain.

– Au revoir. »

Nael rentra chez lui. Il dîna légèrement, regarda un peu la télé, puis se coucha. Il se sentait terriblement las. Trop vieux pour cette vie. Trop vieux pour ce monde.

 

Chapitre 21 :

Le colonel Boudet regardait, par la fenêtre de son bureau, la ville noire et calme. C’était un petit bonhomme de presque 60 ans, aux yeux en amande, sombres, qui savaient glacer les interlocuteurs quand il fallait.

Boudet était le supérieur de Sam, un supérieur très inquiet. Il attendait son homologue de la DGSE, qui devait venir accompagné de son agent, lequel avait du nouveau.

La commandant Burlaud frappa à sa porte et entra. C’était un quadragénaire, plus près des cinquante que des quarante d’ailleurs, qui demanda :

« Des nouvelles de Magin, mon colonel ?

– Non. Vous pouvez rentrer chez vous, commandant. La DGSE a insisté pour que l’entrevue soit strictement confidentielle.

– Vous êtes sûr ? »

Le colonel jeta un œil à son subordonné et jeta, sec :

« Oui.

– Bien, mon colonel. » répondit Burlaud, l’air fâché d’être tenu à l’écart.

Il sortit. Boudet se remit à regarder Lyon by night. Un moment plus tard, l’interphone sonna. Boudet, désormais seul dans les locaux, alla décrocher.

« Vienne la nuit, sonne l’heure… entendit-il.

– Les jours s’en vont, je demeure, acheva Boudet. Montez, je vous attendais. »

Il leur ouvrit la porte de l’immeuble, puis sortit de son bureau pour aller les accueillir à l’entrée des locaux. Ceux-ci étaient déserts. Il était près de 22h.

Le colonel Boudet les fit entrer. Un homme d’une cinquantaine d’années, qui entra le premier, se présenta :

« Colonel Rondat. »

Boudet lui serra la main :

« Enchanté, dit-il.

– Et permettez-moi de vous présenter le major Anna Rosaie, continua Rondat en montrant la petite jeune femme qui l’accompagnait. C’est l’agent que nous avons introduit chez Picandet. »

Boudet la trouva superbe. Elle lui sourit en lui serrant la main.

« Venez dans mon bureau. » dit-il.

Ils allèrent s’y installer. Boudet reprit :

« Je m’étonne de votre jeunesse, major.

– On ne se méfie pas de la jeunesse, Colonel. Nael ne s’est pas méfié. Pas plus que votre homme. Je n’aurais jamais deviné que c’était lui, d’ailleurs.

– Hélas, soupira Boudet, d’autres l’ont deviné.

– C’est à ce sujet que nous voulions vous voir, Colonel, intervint Rondat. Il semble que ce soit un de vos hommes qui ait dénoncé votre agent.

– Quoi ?! s’écria Boudet.

– Expliquez-lui, major… »

Anna soupira, et reprit :

« Je suis ce qui arrive à Sam de près, vous vous en doutez. Nael est formel : c’est un collègue de Sam, qui s’est présenté comme un policier, qui l’a dénoncé à Joël Picandet, en échange d’un chèque de 30 000 francs environs. Et, enfin,… vous pouvez le confirmer… Un simple policier ne pouvait pas le savoir, n’est-ce pas ?

– Effectivement. Ça alors ! Vous en êtes certaine ?

– Nael ne ment pas. Joel n’oserait pas lui mentir. Et puis, ça se tient. »

Il y eut un silence. Boudet hocha la tête, puis reprit :

« Merci de m’avoir prévenu. Je ferai mon enquête. Un chèque de cette somme doit être facile à retrouver. Je ferais appel à quelqu’un qui était hors de cette affaire. Comment va Magin ? »

Anna haussa les épaules :

« Il est vivant, dit-elle. Ses jours, aux dernières nouvelles ne sont pas en danger. Nael est parvenu à convaincre Picandet de le garder en vie, comme monnaie d’échanger potentielle…

– Dites-nous, reprit Rondat, les morts d’aujourd’hui, c’est de vous ?

– J’allais vous poser la même question ! s’exclama Boudet.

– C’est pas vous, donc, conclut Anna en rigolant. Nael pense que c’est les mafieux étrangers qui font les cakes.

– Et vous, qu’en pensez-vous ? lui demanda Boudet.

– J’en sais rien. J’avais autre chose à vous demander. Vous savez où est l’amant de Sam ? »

Boudet resta bête, puis se reprit :

« J’ignorais qu’il eut un amant ! s’exclama-t-il.

– Ah… fit Anna. Désolée, je pensais que vous étiez au courant…

– Vous pourriez m’expliquer ça ? insista Boudet.

– Je ne sais pas grand-chose, répondit Anna. À part que Sam vit avec un garçon, qu’ils sont très amoureux, et qu’il le surnomme Pantin.

– Ça alors, je n’en reviens pas ! s’écria Boudet. Où est-il, ce garçon ?

– Ben justement, reprit Anna, on sait pas. Sam pensait qu’il était chez lui… On y a été cet après-midi, avec Nael… Pas de Pantin.

– Quel âge aurait-il ?

– Une vingtaine d’années. Je peux essayer d’en savoir plus, si vous voulez.

– Bien volontiers ! »

 

Chapitre 22 :

Le pâle soleil de fin d’automne se leva, blafard, sur une ville froide et sombre. Enzo dormait paisiblement, lorsque la sonnerie de sa porte le réveilla. Il se dressa sur ses bras, bailla, se frotta les yeux, puis, la sonnette insistant, il se leva, attrapa sa robe de chambre, et l’enfila, car il avait dormi nu, et alla ouvrir.

C’est avec une vraie surprise qu’il découvrit Nael. Il eut un petit mouvement de recul, qui n’échappa pas au tueur.

« Bonjour, Enzo.

– … Heu, ‘jour…

– Je vous réveille ?

– … Heu, … oui…

– Pardonnez-moi. Je peux entrer cinq minutes ? J’ai à vous parler, c’est important.

– Ben, … oui, si vous voulez,… Entrez… »

Nael entra. Ils allèrent à la cuisine, où le jeune homme se mit à faire du thé. Pendant que l’eau chauffait, le tueur lui expliqua ce qui arrivait au gang.

« Cinq en une journée ?!

– Oui, … visiblement, ils se sont laissé surprendre. Votre père aimerait que vous restiez sans sortir quelques jours. Il a peur que notre ennemi s’en prenne à vous.

– Ah ?… C’est sérieux ?

– A mon avis non. Peu de gens savent que vous existez et encore moins où vous vivez… Disons que vous rassureriez votre père.

– Combien de temps ?

– Je ne sais pas. Le temps d’y voir plus clair.

– C’est que, j’ai mes cours, moi… J’ai mes exams après les vacances…

– Vous n’avez personne pour vous les faire passer ?

– Si, … Mais j’aurai pas les docs… On travaille beaucoup sur diapos…

– Mh, Mh.

– Enfin, j’ peux p’t’être… On est vendredi, aujourd’hui ?…

– Oui.

– Admettons, j’y vais pas cet après-midi… Et puis comme ça, vous avez le week-end… Ça vous suffirait ?

– Peut-être. Je ne peux pas vous dire.

– Vous pouvez me tenir au courant ? »

La sonnette de la porte empêcha Nael de répondre. Enzo alla voir, puis revint un peu plus tard avec Anna. Cette dernière fit la bise à Nael. Enzo servit 3 thés.

« Rien de neuf, Nael ? » demanda la jeune femme.

Le tueur haussa les épaules, en remuant son sachet de thé dans sa tasse.

« Rien, dit-il. Ça va, toi ?

– Ouais, ouais. Tu as vu Sam, ce matin ?

– Comment va-t-il ? » S’enquit Enzo, inquiet.

Le tueur les regarda l’un après l’autre, puis répondit :

« Je l’ai vu hier soir. Il allait aussi bien que possible.

– Ils vont le tuer ? demanda Enzo.

– Probablement pas. »

Nael leva son infusette.

« … Il est précieux, vivant. Ajouta Nael. Plus que mort. »

Il regarda les deux jeunes gens.

« Ça va, vous deux ? demanda-t-il. Ca roucoule ?… »

Enzo rosit, gêné. Anna sourit, regarda son amoureux qui se dandinait, puis Nael qui buvait son thé.

« Ça va très bien, Nael. Merveilleusement bien. Et toi, toujours seul ? »

Nael soupira, posant un instant sa tasse, le temps de répondre :

« Je suis content que ça aille pour vous. Moi, je n’ai besoin de personne.

– Merci pour moi ! Rigola la jeune femme.

– Tu m’es très agréable, mais pas indispensable, Anna. Tu m’as donné du bien-être. Mais je suis très content que tu en donnes à Enzo, maintenant. »

Il finit sa tasse, puis se leva.

« Je vais vous laisser, dit-il. J’ai encore à faire. »

Il redescendit les escaliers. Sa voiture l’attendait en bas, dans la cour de l’immeuble. Il monta, s’installa au volant. Il s’alluma une cigarette, puis frémit, en sentant un canon se poser sur sa carotide. Une voix très jeune lui susurra :

« Drôle d’idée de laisser sa voiture ouverte. »

Nael regarda dans le rétroviseur. Un gosse, avec de grands yeux noirs très froids.

« Vous devriez démarrer. »

Nael obéit. Il aurait pu tuer ce gosse, mais il n’avait pas envie de salir sa voiture. Et puis, la suite l’intéressait. Il sortit de la cour.

« Vous avez une préférence pour la direction ? demanda-t-il.

– Non, vous vous arrêterez quand je le dirai.

– D’accord. »

Nael roulait tranquillement. Il y eut un silence, puis le tueur reprit.

« Vous voulez juste faire un tour en voiture, ou il y a autre chose ? »

Le tueur jeta un œil dans le rétroviseur. Il ne tutoyait pas l’enfant de peur de le vexer. Il valait mieux le prendre au sérieux. Ou plutôt le paraître.

« J’ai un message pour monsieur Picandet. Vous pouvez sans doute le lui transmettre ?

– Bien volontiers… Dites-moi, à tout hasard… C’est vous qui semez des morts, depuis hier ?…

– Oui, … Je suis très fâché.

– C’est clair, en effet. Donc, votre message ?…

– J’ai votre parole, vous lui direz ?

– Vous l’avez.

– Il faut lui dire que le petit Pantin est très en colère et qu’il le restera tant qu’on lui aura pas rendu son maître… »

Nael regarda encore le visage du gamin, puis dit :

« Maître qui répond au nom de Samuel Magin, je parie ? »

Pantin regarda le tueur à travers le même rétroviseur. Nael sentit que le canon tremblait.

« Rendez-le-moi. Vous n’avez pas le droit de le garder. Il est à moi. Dis à ton chef que s’il faut que je fasse péter la moitié de la ville, je le ferai. Rien ne m’arrêtera. Rien, sauf me rendre Sam. Arrête-toi là. »

Nael obéit. Le garçon jaillit de la voiture pour s’engouffrer dans une bouche de métro toute proche. Nael le regarda disparaître. Tant de pureté malgré le sang versé, se dit-il. Tant d’amour et de force malgré une telle détresse…

Nael redémarra et reprit son chemin. Ce gosse était cinglé, complètement cinglé. Il avait eu une chance inouïe de survivre à ce qu’il avait entrepris. Et ça risquait de ne pas durer. Il n’avait absolument aucune conscience de ce qu’il faisait !…

Il était fou d’amour. Fou à lier.

Comment pouvait-on aimer à ce point ?…

Ça tenait de la pathologie.

 

Chapitre 23 :

Sam dormait. Il se réveilla en entendant la porte grincer. Il ouvrit des yeux vagues, s’étira comme il put. Nael posa un autre plateau près de lui, avant de s’asseoir. Sam se redressa. Sur la plateau, il y avait à manger, à boire, et aussi une seringue neuve dans son emballage anti-sceptique et un petit flacon.

« Comment te sens-tu, Sam ?

– Vaseux… Qu’est-ce que tu avais mis, dans ma flotte ?

– Somnifère.

– Ah…

– Sinon ?

– Pas plus mal qu’hier… Il y a du nouveau ?

– Oui… Dis-moi, tu as une photo de ton Pantin pas loin ? »

Sam frottait ses yeux.

« J’en ai une dans mon portefeuille… Je ne crois pas que Joel y ait touché, il doit être dans ma veste. »

Nael fronça les sourcils ;

« Joel ne t’a pas fait les poches ?

– Non, il était trop pressé de me taper… »

Nael se releva en secouant la tête. La veste traînait un peu plus loin. Il alla la prendre et l’épousseta. Il en tira le portefeuille, posa le vêtement sur un coin de la table, et revint près de Sam, qui s’était mis à manger. Sam le regarda sortir tous les papiers, divers.

« Curieux… Tu gardes tous tes tickets de cinéma ?

– Oh, comme ça…

– Alors… tiens, tu avais encore les faux-papiers que je t’avais donnés ?

– Bien sûr.

Nael finit par tirer une photo cornée. On y voyait un beau jeune homme, replié sagement sur un fauteuil, torse nu, et qui souriait joyeusement.

C’était bien le petit messager. Nael soupira :

« Dis-moi, Sam… »

Sam ne répondit pas, il avait la bouche pleine.

« … jusqu’où, selon toi, il pourrait aller pour tes beaux yeux, ton Pantin ?

– Che chais pas… pourquoi ?

– Il pourrait aller jusqu’à tuer ? »

Les mâchoires de Sam s’immobilisèrent. Il déglutit, puis demanda froidement :

« Pourquoi est-ce que tu dis ça, Nael ?

– Comme ça… répondit doucement le tueur.

– Pas de ça avec moi, Giuffrida ! s’exclama le prisonnier. Tu en as trop dit ou pas assez ! Explique-toi ! »

Nael haussa les épaules, puis raconta à son ami l’irruption inopinée du jeune homme dans sa vie et plus précisément dans sa voiture. Sam resta stupéfait :

« Tu es sûr que c’était lui ?… balbutia-t-il.

– Certain.

– Oh mon dieu… »

Sam se prit la tête dans les mains.

« Mon Pantin… Mais qu’est-ce qui lui a pris ?…

– Il t’aime, répondit Nael. Il ne veut pas te perdre. Et il est prêt à tout pour ça. Même à faire péter la moitié de Lyon. »

Sam poussa un gros soupir, puis se remit à manger sans conviction et regarda Nael :

« Tu l’as dit à Picandet ?

– Non.

– Tu attends quoi ?

– De t’avoir mis hors d’état d’être torturé. »

Les yeux de Sam s’arrondirent à nouveau.

« … Pardon ?… »

Nael lui montra la seringue et le petit flacon.

« Qu’èche que ch’est ? demanda Sam.

– Quelque chose qui va te faire faire un gros dodo. Le temps pour moi de mettre ton amoureux à l’abri, puisque je te l’ai juré, pour Picandet de commencer à envisager sérieusement de t’échanger contre Valo, et pour tes côtes de se remettre des coups de Joel. »

Sama prit le flacon et l’examina.

« Je connais… Mise en léthargie dans les trois minutes, je crois ? Pour combien de temps ?

– Trois jours. C’est le maximum.

– Une dose supérieure est mortelle.

– Exact. Tu es d’accord ?

– J’ai le choix ?

– Si tu préfères que Joel vienne te demander où il peut trouver Pantin…

– Ça va, ça va… grogna Sam.

– Alors, finis de manger. Bois bien. Théoriquement, il y aura moyen de te faire boire, et je veillerai à ce que tu ne meures pas de faim.

– Trop aimable. »

Sam vida le plateau sans se faire plus prier. Après quoi, Nael l’aida à s’allonger sur la table, préalablement débarrassée de tout le barda posé sur elle. Le tueur fit sa piqûre très proprement. Il attendit que Sam soit endormi, plus le temps nécessaire pour être sûr qu’il ne faisait pas de réactions négatives, et repartit après l’avoir recouvert de sa veste.

Il ferma la porte à clé et remonta au rez-de-chaussée. Picandet vint à sa rencontre :

« Ah, Nael ! Tu as du nouveau ?

– Oui. Et toi ?

– Pas de nouveau mort, mais ça a failli !… Fred a été manqué de peu ! Une grenade, tu te rends compte ?

– Une grenade ? A quelle heure ?

– Vers 9h… »

Une demi-heure avant que j’aille voir Enzo, pensa Nael. Ça colle.

« Et toi, c’est quoi, ton nouveau ?

– J’ai drogué Sam pour le tenir tranquille.

– Ah ?

– Oui. Un gars de son niveau peut faire beaucoup de dégat, même dans son état. Il a dit tout ce qu’il avait à dire, de toute façon.

– C’est tout ?

– Non. J’ai un message pour toi, de la part de celui qui liquide tes gars. »

Picandet sursauta et le regarda avec des yeux ronds, effaré.

« Il veut que tu libères Sam. Il l’a fâché.

– Qui c’est ?! s’écria violemment Picandet, qui s’était repris.

– Un petit bonhomme complètement givré… Mais près à tout. Même à jeter une grenade sur un de tes gars.

– Qui ?

– L’amant de Sam. »

La colère de Picandet tomba aussi vite qu’elle était montée.

« Hein ?… couina-t-il.

– Il est très fâché. »

Le caïd avait l’air très bête. Nael s’alluma paisiblement une cigarette. Picandet secoua la tête :

« Un autre flic ?

– Non. Quelqu’un de très débrouillard, simplement.

– Tu sais où il est ?

– Je sais où il peut être.

– Alors, mets-le hors d’état de nuire. Définitivement.

– J’y comptais bien. »

Il y eut un silence. Puis le tueur reprit :

« Tu as repensé à échanger Sam contre Valo ?

– Oui… Ça peut être une bonne idée. Joel n’est pas trop d’accord…

– Il préfèrerait tuer Sam.

– Oui, évidemment. Mais j’y réfléchis. La DST serait sûrement très fâchée aussi si on butait Sam.

– Sûrement, approuva Nael. Sinon, dis-moi, ta fête est maintenue ?

– oui, oui oui, opina Picandet. J’ai décidé de suivre ton conseil : être fort dans l’adversité… »

Le regard du caïd s’alluma, il continua :

« Tiens, j’ai une idée… Notre flingueur, là… Si tu te contentais de l’attraper ?… On pourrait le tuer à la fête… Ça leur en imposerait, aux collègues… »

Nael regarda un instant son chef, puis répondit :

« On verra, si je peux.

– Bien. »

Le caïd regarda sa montre.

« Eh, s’exclama-t-il. Mais c’est déjà l’heure de manger, avec tout ça ! Tu viens prendre l’apéro ? »

Nael dénia en silence.

« J’ai à faire. »

Il écrasa son mégot au sol et partit. Il se sentait de plus en plus las. Sam était à peu près hors de danger. Restait le petit Pantin.

 

Chapitre 24 :

Pantin visitait sagement Lyon, muni d’une bonne carte. Il tuait le temps. Il se demandait si Picandet allait libérer Sam. Il se disait que, si le lendemain matin, Sam n’était pas revenu, il tuerait à nouveau. Il espérait ne pas en avoir besoin, car ce n’était pas très intéressant.

Pantin visita le musée St-Pierre. Il y passa l’après-midi. Il y avait beaucoup de choses à voir. Il ne vit pas le temps passer. Quand il sortit, il faisait déjà nuit. Il avait très faim. Il s’acheta un sandwich et rentra chez lui.

Il chantonnait, lorsqu’il ouvrit la porte. Il entra, le referma. Il n’eut pas le temps d’allumer la lampe. Il n’eut le temps de rien.

Une main d’acier pressa un tissu humide sur son nez et sa bouche. Humide de chloroforme. Le garçon perdit connaissance.

Nael le regarda s’affaler au sol et soupira. Il hocha la tête. Le jeune homme en avait pour quelques heures. Le temps de l’installer chez lui.

Le garçon se réveilla vers minuit. Il était sur un lit, dans une petite pièce qu’il ne connaissait pas. Il se redressa, s’appuyant sur un bras, et regarda tout autour de lui. Il se souvenait ce tissu humide sur son visage. Qui avait fait ça ? Qui le retenait ainsi ?

Bien sûr, on lui avait pris ses armes. Il alla tout de même vérifier, par acquis de conscience, mais la porte était bien fermée à clé. Il retourna s’asseoir sur le lit, sombre. Plus contrarié qu’autre chose, d’ailleurs. Comme un enfant privé de son jouet…

Avisant une bouteille d’eau posée sur la table de nuit, le garçon la prit but goulument, son sandwich lui ayant donné très soif. Et il se rendormit dans le 1/4h, car le pourcentage de somnifère dans cette eau dépassait largement la dose réglementaire.

Le jour était levé depuis longtemps lorsque Pantin se réveilla à nouveau. Il s’étira longuement, se sentant vaseux. Puis, il s’assit et soupira.

Il n’était plus contrarié, il commençait à être inquiet. Était-il entre les mains de Picandet ? De la DST ?… Et Sam ? Son Sam ?…

Il brassait sombrement tout ça dans sa petite tête, lorsqu’une clé tourna dans la serrure et que la porte s’ouvrit.

Nael entra, aussi inexpressif que d’habitude. En voyant la silhouette, Pantin ne put retenir un mouvement de recul. Nael referma la porte. Il avait un petit plateau, portant une grande tasse fumante et deux croissants. Il posa ça sur la table de nuit.

Le lit où Pantin était se situait face à la porte, distante de deux mètres, peut-être, contre le mur du fond. Il y avait un velux au-dessus. Hormis le lit, la table de nuit et une petite étagère, minuscule, à gauche de la porte quand on entrait, la pièce était vide.

Le soleil de fin d’automne donnait une lumière assez blafarde.

Le garçon et le tueur s’observèrent un moment. Nael sentait bien que ce gosse n’avait pas peur de lui, ce qui l’énervait un peu, car il devait absolument lui remettre les idées en place, et que la peur aurait facilité les choses.

Effectivement, Pantin n’avait qu’une idée : se faire la malle au plus vite.

Il n’avait pas compris qu’il avait affaire à bien plus fort que lui.

Il commença par bondir du lit et essayer de filer en courant. Il parvint à sortir de la chambre, mais Nael le rattrapa au salon. Le garçon se débattit violemment. Une grande claque du tueur le fit tomber au sol. Pantin, un peu sonné, lui fit un croche-patte. Nael contrôla assez sa chute pour lui tomber dessus. Ils échangèrent quelques coups, et le tueur eut rapidement le dessus. Il réssit à se relever, et tira, par la jambe, le garçon jusqu’à la pièce d’où il était sorti. Comme le gosse se débattait toujours, en le traitant de tous les noms, en plus, Nael se dit qu’il fallait arrêter ça. Il était vraiment énervé. Impossible de s’expliquer avec cette furie !…

Nael regarda froidement le garçon, qui haletait à ses pieds.

« … Laisse-moi partir !… s’écria-t-il, à bout de souffle.

-Hors de question, répondit froidement Nael.

– … Qu’est-ce que tu veux ?!… »

Les yeux de Pantin foudroyaient le tueur, qui restait aussi glacial qu’un iceberg.

« Que tu te tiennes tranquille. Et ce sera le cas. S’il faut te ligoter comme un saucisson, je le ferais, crois-moi. Maintenant, calme-toi et mange. Ton thé va refroidir. »

Pantin respirait à présent normalement.

« Laisse-moi partir, répéta-t-il, haineux.

– T’es bouché, p’tit con ? J’ai dit non. » répondit le tueur.

Son énervement commençait à percer dans sa voix.

Pantin essaya un nouveau croche-pied, mais cette fois, Nael l’évita et répliqua par un violent coup de pied :

« Tiens-toi tranquille ! »

Pantin gémit et regarda le tueur. Il n’était plus si haineux. Il semblait plus proche du désespoir, lorsqu’il reprit :

« Mais tu comprends pas !… ‘Faut que j’aille chercher Sam…

– Qui t’a dit que Sam avait besoin de toi ? cracha Nael.

– Qu’est-ce tu veux dire ? balbutia le garçon, cette fois blême.

– Exactement ce que je dis. Ce n’est pas en manquant de te faire buter que tu lui rendais service, imbécile.

– Et après ?!… J’avais le choix ?!…

– Ouais. T’aurais pu te servir de ton cerveau !

– C’est ce que j’ai fait !

– Alors, t’es cuit pour l’asile.

– C’est toi qu’es cuit pour l’asile !… Regarde-toi !… T’es là à critiquer, mais qu’est-ce que t’aurais fait à ma place ?! Si t’étais capable d’aimer comme je l’aime ?! Tu l’aurais laissé crever ?! »

A ces mots, le tueur frémit de tout son être. Fou de rage, il se mit à rouer le garçon de coups de pieds :

« Ta gueule, sale merdeux ! cria-t-il. T’aurais jamais fait ça si tu l’aimais vraiment ! Tu crois que ce qu’il veut, c’est que tu te fasses buter dans une ruelle ?! Tu crois qu’il veut que tu crèves ?! »

Pantin s’était replié en boule. Lorsqu’enfin, Nael arrêta de le frapper, écumant de rage et à bout de souffle, le gosse sanglotait. Il gémit :

« … Mais qu’est-ce que j’en avais à foutre ?… Vous l’auriez tué… Qu’est-ce j’en ai foutre de vivre sans lui ?… Qu’est-ce ce que je serai devenu ?… J’existe pas, sans lui… J’existe plus… »

Nael serrait les poings. Il donna encore un coup au garçon qui gémit et pleura de plus belle, puis il sortit, furieux, et ferma la porte à double tour, en marmonnant :

« Sale petit con… Rien dans la tête… »

Seul dans son salon, il soupira, tentant de reprendre son calme. Son regard fit distraitement le tour de la pièce, avant de s’immobiliser sur le petit vase métallique posé sur le rebord de sa cheminée.

Nael sentit la foudre s’abattre sur lui.

Il quitta son appartement à toute vitesse, hagard. En se disant que ça n’était pas vrai.

 

Chapitre 25 :

La nuit tombait, et Nael errait, comme un fou, dans les rues de Lyon. Emballé dans son manteau, les mains dans les poches, sombre. Les gens s’écartaient, souvent apeurés. Nael chercha instinctivement des rues plus vides, en vain. C’était l’heure où tous sortaient de travail, faisaient quelques courses, avant de rentrer.

Énervé contre cette foule, contre Pantin, contre lui-même, Nael finit par rentrer dans une église. Sur la porte, une grande pancarte : « Bienvenue à ceux qui recherchent la paix. »

C’était une vieille église. A part dans le chœur, il n’y avait pas de lumière. Quelques personnes étaient là, priant sur les bancs, discutant avec le prêtre, ou se recueillant après avoir allumé un cierge.

Nael faillit ressortir. Sa place n’était pas ici. Mais quelque chose le retint. Quelque chose au fond de lui contre laquelle il ne put rien. Il remonta l’allée centrale d’un pas hésitant. Regardant, de chaque côté, les images de la Passion.

Il s’assit sur un banc de la première rangée et regarda la croix, au fond, derrière l’autel. Il soupira.

Soudain, deux mains fines et froides se posèrent sur ses yeux. Il sursauta. Un petit rire doux parvint à ses oreilles, un rire qu’il reconnut aussitôt. Il prit les petites mains dans les siennes et se tourna.

C’était bien elle. Cette petite femme de 25 ans, toute film, si belle. Elle était un peu pâle, avec ses longs cheveux blonds comme les blés et raides comme de la paille. Elle lui souriait avec tout l’amour qu’elle avait, qui n’avait plus de bornes.

« Qu’est-ce que tu fais là ? » demanda-t-il en la regardant s’asseoir à sa gauche.

Elle sourit et se blottit contre lui avant de répondre :

« Je voulais prendre de tes nouvelles. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes pas vus ! Comment vas-tu ?

– Mal.

– Ça se voit… Essaye de sourire ?

– je ne peux plus.

– Ca, c’est très grave. Et rire ?

– Pareil.

– Aïe aïe aïe !… Mon pauvre Nael… Qu’est-ce qui t’arrive ? »

Nael soupira, passa son bras autour des petites épaules, et raconta rapidement les malheurs de Sam et de Pantin. Elle hocha gravement la tête, secouant ses mèches blondes.

« Les pauvres… il faut que tu les tires de là !

– … Oui, euh… bredouilla-t-il. Mais comment ?… Picandet ne lâchera pas Sam… Je le connais… Même s’il accepte de l’échanger, ce sera pour le retrouver et le tuer trois jours après… Si je m’interpose, Joël va lâcher tout le clan sur moi. Il attend que ça. Il crève d’envie de se débarrasser de moi. Ce serait l’occasion rêvée… Et Pantin ?… Il est fêlé, ce gosse… ‘Faut le tenir attaché pour avoir la paix…

– Oh, Nael… » couina-t-elle en fronçant ses sourcils blonds.

Elle caressa la joue du tueur de sa main froide :

« Voyons, tu peux régler ça…

– Tu crois ? »

Elle le regarda sérieusement :

« Qu’est-ce qui ne va pas, Nael ? Tu as l’air bien peu sûr de toi. »

Il soupira :

« Je ne sais pas…

– Tu ne te remets pas de m’avoir laissée mourir. »

Ils se regardèrent longuement. Elle reprit doucement :

« Voyons, Nael, tu étais un enfant. Je ne t’en ai jamais voulu, tu sais. Au contraire.

– Tu es sûre ? s’enquit-il, éperdu.

– Mais oui !… Oh, Nael !… s’exclama-t-elle avec tendresse. Il y a si longtemps que je voulais te revoir !… Mais tu ne m’écoutais pas… Tu préférais souffrir !… Mon chéri… Je ne t’ai jamais abandonné. J’ai été près de toi à chaque seconde de ta vie, et je le serai jusqu’au bout. Je n’ai jamais cessé de t’aimer… Pas plus que toi.

– Je suis un monstre, Sandra.

– Non, Nael. Tu n’es pas un monstre. Et tu peux encore le prouver. »

Elle l’embrassa doucement.

« A bientôt, mon amour. »

Nael se réveilla parce qu’on tapotait son épaule. Il sursauta, regarda tout autour de lui, hagard. Elle n’était plus là. Elle n’avait jamais été là. Pourtant, il sentait encore ses lèvres sur les siennes.

Le prêtre regardait Nael avec inquiétude :

« Ça va, monsieur ? » s’enquit-il.

Nael secoua la tête et se leva prestement.

« Ca ira, répondit-il doucement.

– Puis-je quelque chose pour vous ?

– Je ne pense pas, non. »

Nael fit quelques pas vers la sortie, puis tourna la tête :

« Dites-moi, mon père…

– Oui ?

– Si pour sauver quatre innocents, il faut tuer trente salauds, est-ce qu’on a le droit de le faire ? »

Le prêtre ne répondit pas, mais ses yeux ronds et sa bouche entrouverte résumait bien son état d’esprit. Nael soupira et repartit.

« C’est pas grave. » lança-t-il.

 

Chapitre 26 :

Pendant que Nael errait, perdu dans les méandres de son cerveau, Pantin, lui, avait passé son temps à pleurer, d’abord au sol, puis sur le lit où il s’était hissé. Son réflexe se mettre en boule avait évité que les coups de Nael ne fassent trop de dégâts.

Ce coup-ci, le garçon était vraiment terrorisé. Visiblement, Nael était furieux. Et Nael furieux risquait de le hacher menu. D’ailleurs, s’il était parti (Pantin avait entendu la porte claquer), c’était sûrement pour aller signaler à son chef qu’il l’avait attrapé et voir avec lui à quelle sauce le cuisiner. Et puis, il avait aussi atrocement peur que Sam soit mort, puisque Nael avait dit qu’il n’avait pas besoin d’aide.

Il faisait nuit noire, et le garçon était aussi mort de faim que d’inquiétude, lorsqu’il entendit Nael rentrer.

Le tueur brassa un moment, dans sa cuisine notamment, avant de venir voir son prisonnier.

Lorsqu’il entendit la porte s’ouvrir, Pantin, qui lui tournait le dos, se recroquevilla instinctivement en boule, les bras autour de la tête, tout tremblant, en se remettant à pleurer. Il sentit Nael s’asseoir au bord du lit. Le tueur remua un peu, se racla la gorge, avant de dire, visiblement gêné :

« Bonsoir… »

Pantin ne répondit pas, tremblant et pleurant toujours.

« Ça va, euh… » reprit le tueur.

Il se gratta la tête. Il avait un sac plastique sur les genoux.

« Ça va pas, continua-t-il. Bon, euh… Pantin ?… Tu arrêtes de pleurer si je te dis que je suis désolé ?… Non ?… Mais c’est vrai, hein, je le suis… Je me suis fâché, j’aurais pas dû. Je m’excuse. Je euh… J’ai un cadeau pour toi,… Pour me faire pardonner… »

Pantin entendit que Nael sortait quelque chose du sac en plastique. Il renifla. Il tremblait un peu moins. Il se déplia lentement, pas très rassuré, se redressa et jeta un œil timide au tueur, qui n’osait pas le regarder. Puis sur ce qu’il tenait. Les yeux du garçon s’élargirent.

C’était une orque en peluche, d’une trentaine de centimètres de long. Pantin la prit, stupéfait, la manipula un peu. Elle avait des petites billes dans le ventre. Ça faisait du bruit lorsqu’on la secouait. Pantin sentit son cœur fondre : il adorait les peluches. Et celle-là lui faisait de l’œil. Il regarda le tueur, très ému. Neal lui jeta un œil :

« Ça te plaît ? demanda-t-il doucement.

– Oui… répondit Pantin. Merci… »

Nael se gratta à nouveau la tête.

« Comment il s’appelle ? demanda gentiment le garçon.

– Je sais pas… » répondit le tueur.

Il regarda la peluche.

« Tu crois que c’est un mâle ?

– Sûrement. ‘Faut lui trouver un nom.

– Ouais… approuva le tueur.

– T’as une idée ?

– Je sais pas… Moby Dick ?… proposa Nael.

– C’est une orque, c’est pas un cachalot ! protesta avec amusement Pantin.

– Ah oui, exact… Chais pas, euh… Y a un monstre marin dans la Bible, je crois…

– Léviathan ?

– Léviathan, c’est ça.

– Ah oui. C’est une bonne idée, Léviathan, approuva le garçon. Adjugé.

– Bien. Une bonne chose de faite, soupira Nael. Tu as faim, petit ? »

Pantin sourit au tueur :

« Assez pour manger Moby Dick.

– Je vois… Bon, alors viens. Tu aimes la cuisine chinoise, je crois ?

– Oui, beaucoup… Comment tu sais ça ? »

Nael se leva avant de répondre :

« Sam m’avait dit ça, un jour.

– Ah. »

Pantin s’assombrit. Nael le prit le bas pour le lever.

« Viens, dit-il doucement. Ca va refroidir. Et n’essaye pas de filer. Il faut qu’on cause. »

Pantin opina et suivit le tueur dans sa cuisine. Il s’assit à table. Nael posa les plats et les servit. Ils se mirent à manger.

« C’est bon ? demanda Nael.

– Miom oui… répondit Pantin, qui s’était jeté sur son assiette comme la pauvreté sur le monde.

– Je suis désolé… J’aurais dû te laisser quelque chose.

– Ch’est pas grave.

– Prends le temps de mâcher, quand même.

– T’inquiète pas.

– Bien. »

Un silence passa.

« Qu’èche que tu voulais me dire ? reprit le garçon.

– Qu’il fallait que tu te tiennes sage. Sam n’est pas en danger pour le moment, mais Picandet et son frère ne sont pas assez intelligents pour qu’il le reste si je ne les convaincs pas que tu es hors-circuit. Je vais leur dire que je t’ai tué. Ca les calmera. Et tu seras hors de danger.

– Mais Sam ?… couina Pantin.

– Laisse-moi 24h et Sam sera sain et sauf, et dans tes bras. »

Pantin frémit :

« C’est vrai ?

– Oui, si tu me laisses faire. Tu dois savoir que Sam a confiance en moi. Fais-moi confiance, toi aussi. Et tout ira bien.

– Nael ?

– Oui ?

– Qu’est-ce qui t’est arrivé ?

– Quoi ? demanda doucement le tueur.

– Ce matin, tu étais prêt à me tuer… »

Le regard de Nael s’adoucit.

« C’est une longue histoire, dit-il.

– Tu ne veux pas la raconter ? »

Nael regarda le garçon un moment. Parler ?… Oui, il savait qu’il en avait besoin. Et puis, il allait bientôt partir. Laisser son histoire à ce petit jeune homme ‘était pas une mauvaise idée.

« Finis de manger d’abord. »

 

Chapitre 27 :

Nael se demanda pourquoi Pantin s’installait dans ses bras, mais il ne le repoussa pas.

Ils étaient dans la petite chambre, installés sur le lit. Pantin serrait sa peluche dans ses mains.

« Tu l’aimes, ton Sam, hein, petit Pantin ?

– Ben oui.

– C’est ça qui m’a fait mal.

– Ah ? Pourquoi ?…

– Parce que tu l’aimes comme je n’ai pas pu aimer. »

Il y eut un silence.

« Tu vois, reprit doucement Nael, il y a 26 ans, j’ai rencontré une femme. Elle s’appelait Sandra. Elle avait 25 ans, j’en avais juste 18… Et elle était tout ce que je voulais qu’une femme soit pour moi. Je l’ai tout de suite aimé, comme on aime à ton âge. C’était une pute du père de Picandet. J’étais un des assistants de son mac. Ca nous a pas empêchés de nous aimer. Pendant un an, j’ai été heureux. Heureux comme tu l’es. Et puis… »

Il y eut encore un silence.

« Ils l’ont tuée. »

Pantin sursauta et se redressa pour regarder Nael. Les yeux du tueur étaient perdus. Il caressait distraitement Léviathan.

« J’aurais pu la sauver, reprit-il. J’aurais pu. Je savais qu’ils allaient le faire. J’aurais pu les en empêcher. J’aurais pu fuir avec elle… Mais je n’ai rien fait. Et ils l’ont tuée. »

Pantin se réinstalla lentement contre le tueur. Nael passa doucement son bras autour de lui.

« Je crois que je suis mort ce jour-là. C’est ça que je te reprochais, Pantin.

– De vouloir à tout prix sauver Sam alors que tu n’avais pas sauvé Sandra.

– Oui. Mais je l’ai compris. Et je ne veux pas que tu deviennes ce que je suis devenu. C’est pour ça que je veux que tu restes tranquille. Je vais sauver Sam. Je vais te le rendre. Et je vais veiller à ce qu’ils ne puissent pas vous faire de mal. »

Le tueur se leva. Pantin s’allongea. Nael le couvrit chaudement.

« Repose-toi. Demain soir, tu auras ton Sam. Tu as ma parole. »

Pantin sourit et opina. Nael sortit. Il ne ferma pas la porte à clé. Il alla dans son salon. Il prit le petit vase en fer dans ses bras et s’assit sur son canapé blanc.

« Ma chérie… murmura-t-il. Voilà tout ce que tu étais devenue pour moi… Quelques cendres dans un cercueil de fer… Tu as raison, je ne voulais pas t’écouter. Ça me faisait trop mal de penser à toi… Oh mon amour… Qu’est-ce que j’ai fait de ma vie… Je ne sais pas si je suis un monstre. Il a fallu ce gosse pour m’ouvrir les yeux… Moi non plus, Sandra, je ne t’ai jamais laissée. J’ai tellement envie de te retrouver… Mais pas tout de suite. Il faut que je sauve ces quatre petits innocents… C’est pour ça que je vivais encore, n’est-ce pas ? Pour sauver ces quatre-là… Je serai vite près de toi, mon amour. J’ai trop tardé. Beaucoup trop. »

Il se leva et remit délicatement le vase à sa place.

« Le temps de leur laisser mon bon souvenir. »

 

Chapitre 28 :

Le soleil se leva sur un froid dimanche de début d’hiver. La météo annonçait une tempête de neige pour le lendemain.

Nael s’était levé tôt. Il savait ce qu’il avait à faire. Il réunit tout le matériel nécessaire et partit.

Il était un peu moins de 9 h lorsqu’il arriva chez Picandet. Il trouva ce dernier en train de faire les cent pas dans son salon. Le caïd, lorsqu’il le vit, se précipita vers lui.

« Ah, Nael ! Te voilà enfin ! Où étais-tu passé ?! s’écria-t-il.

– Bonjour, Gaspard.

– Réponds, bon sang ! On ne t’a pas vu depuis vendredi !… Où étais-tu ?

– J’ai couru après le mec de Sam.

– Ah ! Et ?

– Il est hors d’état de te nuire.

– Tu l’as tué ?

– Hm, hm.

– Bien !… Mais… ça t’a pris tout ce temps ?

– Hm, hm.

– Coriace, ce type…

– Hm, hm. »

Il y eut un silence. Puis Picandet regarda le gros sac qu’avait Nael.

« C’est quoi, tout ça ? demanda le caïd.

– Oh, des bricoles. Tu as toujours ta fête prévue ce soir ?

– Oui.

– Ça se passe comment ?

– Oh, strictement professionnel. J’ai bien dit à tout le monde de venir sans leurs femmes et leurs enfants, dit Picandet. Des filles, il y en aura à la fin pour ceux qui voudront… ajouta-t-il, excité rien qu’à l’idée de la fin de nuit qui s’annonçait.

– Donc, toi, ton état-major, et les étrangers.

– Oui… tu ne veux pas venir ?

– Si, si, je passerai. J’ai pris ça pour faire le tour de ton système de sécurité. ‘Faudrait pas que ces gars aillent poser une bombe dans un coin.

– Des détecteurs, c’est ça ?

– Ouais, des trucs comme ça. J’en avais un vieux stock à finir.

– C’est une bonne idée. Tu as besoin d’un coup de main pour les mettre ?

– Non, non, je me débrouillerai. Je les laisse là pour le moment. »

Nael posa le sac.

« Je m’en occuperai plus tard. Je vais aller voir comment se porte Sam. »

Il sortit sans attendre de réponse.

Il croisa Joel dans le hall. Le petit frère de Picandet lui cria sèchement qu’il avait intérêt à avoir une bonne raison pour avoir disparu 36 h. Nael lui jeta un œil et prit l’escalier de la cave sans répondre. Fâché, Joel le rattrapa au milieu des marches. Il essaya de prendre son bras. Nael se dégagea de la même manière qu’il aurait chassé une mouche. Il s’arrêta et tourna la tête :

« Je n’ai rien à te dire. »

Il poursuivit sa descente, laissant Joel furieux.

Sam était toujours sur la table. Il reprendrait conscience le lendemain dans la matinée. Nael vérifia son pouls, sa température. Tout était normal. Cette pièce bénéficiait de la chaleur de gros chauffage central de la pièce voisine. Il y faisait bon. Nael fit boire un peu d’eau à Sam, qui se laissa faire docilement, avant de le rallonger. Il le recouvrit de la couverture et le laissa. Il prit bien soin de refermer la porte à clé et ajouta un cadenas. Il ne fallait pas que Joel vienne tuer Sam sur un coup de tête.

Dans la maison, les hommes brassaient à droite et à gauche pour la fête du soir. Le traiteur livrerait tout dans l’après-midi. Les gars installaient les tables. Personne ne fit attention à Nael quand il se mit à installer ses boitiers métalliques partout dans la maison. Il y mettait beaucoup de soin, les fixant haut, hors d’atteinte, à l’aide d’un escabeau.

Il en accrochait un dans le hall, lorsque Picandet et Joel vinrent au pied de l’escabeau.

« Dis donc, Nael… commença Picandet avec humeur.

– … Une seconde… » l’interrompit Nael.

Il fixa son boitier avec une grande application. Puis, il descendit.

« Oui ? demanda-t-il en s’accroupissant pour farfouiller dans son sac.

– Il parait que tu manques de respect à Joel… reprit le caïd sur le même ton que plus tôt.

– C’est pas une nouvelle, ça. » répondit paisiblement Nael.

Il fronça les sourcils parce qu’il ne trouvait pas ce qu’il cherchait.

« Tu parles de quand ? Là tout à l’heure ? continua le tueur, sortant enfin une espèce de télécommande de son sac.

Il se releva. Il braqua son truc sur le boitier fixé au mur et appuya sur un bouton. Une petite lumière rouge se mit à clignoter sur le boitier. Picandet soupira avec colère :

« Ton ironie est lassante, Nael.

– Dommage. » répondit le tueur en remettant sa commande dans son sac.

Il regarda Picandet et Joel.

« Mais il serait temps que ton frère comprenne que je ne suis pas un de ses chiens. Et qu’il le comprenne avant que je me fâche moi. Ceci étant, si vous n’avez rien de plus à dire, j’ai encore une quinzaine de trucs à mettre. »

Il ramassa son sac et il s’éloigna sans plus de cérémonie. La voix de Picandet le rattrapa :

« Ne me fâche pas non plus, Nael. »

Le ton était froid. Nael leur jeta un œil par-dessus son épaule. Ça ne servait à rien de rester avec ces deux-là. Ils étaient déjà morts.

 

Chapitre 29 :

Pour sa part, Pantin se réveilla vers 10 h, ce même dimanche matin. Il avait dormi le visage appuyé sur le ventre blanc de son orque en peluche. Il bâilla, s’étira, et constata, stupéfait, qu’une paire de menottes tenait sa cheville gauche attachée au pied du lit. Le garçon, intrigué, alla y voir de plus près. Visiblement, la confiance de Nael avait des limites. Pantin grogna, vexé. Puis, il se rallongea avec un soupir.

Il prit distraitement sa peluche, la posa sur son ventre, et se demanda s’il n’était pas tombé dans un piège. Rien, après tout, ne lui prouvait que Nael lui avait dit la vérité. Le garçon soupira. Il caressa distraitement sa peluche. Il eut un petit sourire, le prit entre ses mains et la souleva au-dessus de son visage.

« Qu’est-ce que tu en penses, Lévia’ ?… Il nous aurait menti ?… »

Le garçon réfléchit un moment, puis dénia du chef.

« Non !… Ça s’invente pas, une histoire comme ça. Ça va bien avec ce que Sam disait dans ses notes : Nael le veuf… Pas de scrupules… Pourquoi il en aurait, puisqu’il n’a plus de sentiments ?… »

Il y eut un silence. Pantin réfléchissait. Il posa l’orque sur lui et le serra :

« Je me trompe. Des sentiments, il en a… Il a de l’amitié pour Sam… Assez pour nous protéger tous les deux. C’est vrai que j’ai été imprudent… il faudra que je lui demande pardon. »

Le garçon soupira et s’installa sur le côté.

« Je ne sais pas ce qu’il veut faire. Mais j’espère qu’il réussira. »

Quelques heures passèrent. Le garçon commençait à avoir sérieusement faim. Il entendit Nael rentrer vers 14 h. En tendant l’oreille, il s’aperçut que le tueur n’était pas seul. La porte s’ouvrit et, effectivement, Nael poussa un autre garçon à l’intérieur. Pantin et l’inconnu sursautèrent ensemble. Pantin se replia assis dans un coin du lit, contre le mur, sa peluche dans les bras. Nael, avec une paire de menottes, attacha le poignet droit du jeune homme, qui rouspétait faiblement, à la barre de fer de la tête du lit.

« … Vraiment, Nael, je ne vous trouve pas très correct… Pourriez-vous au moins vous expliquer ?

– Je vous l’ai dit vingt fois, Enzo, je vous mets à l’abri.

– Oui, mais vous auriez aussi pu vous contenter de me dire de rester chez moi, euh…

– Je vous l’accorde, mais d’une part, je n’aurais pas été sûr que vous l’auriez fait et d’autre part, je voulais donner un peu de compagnie à ce garçon. »

Enzo regarda Pantin qui le toisait d’un œil méfiant.

« … Bonjour… » lui dit Enzo.

Pantin ne lui répondit pas. Il regarda Nael :

« Qu’est-ce que tu fabriques ?

– Je mets les dernières pièces en place sur mon échiquier. Ce soir, je fais échec et mat à Picandet.

– Qu’est-ce que vous voulez dire ? sursauta Enzo, inquiet.

– Vous verrez bien, lui répondit Nael. Tu as faim, Pantin ?

– C’est un euphémisme, Nael.

– Je vois. Et vous, Enzo ?

– Non, ça va… Euh… J’avais mangé…

– Parfait. »

Le tueur sortit et revint cinq minutes après avec un gros sandwich qu’il donna à Pantin, une bouteille d’eau et un de jus de fruits, ainsi qu’un paquet de biscuits qu’il posa sur la table de nuit, à portée d’Enzo.

« Voilà, c’est pour votre gouter.

– Euh… balbutia Enzo. Merci…

– Dites-moi, Enzo… reprit Nael.

– Euh… Oui ?

– Savez-vous où est Anna ? »

Enzo fronça les sourcils.

« Qu’est-ce que vous lui voulez ? fit-il sèchement.

– La mettre à l’abri aussi. J’ai peur qu’elle fasse une bêtise.

– Anna, une bêtise ?! s’écria le jeune homme. Pour qui la prenez-vous ?!

– Pour ce qu’elle est, Enzo. Un agent de la DGSE merveilleusement intelligent.

– Anna ?! s’exclama Enzo. Vous plaisantez !

– Oh que non. Et c’est pour ça que je veux l’attraper. La partie est risquée. Il ne s’agit pas qu’elle fasse tout échouer… Bon. Je vais aller voir chez elle. »

Il alla pour sortir, la voix de Pantin le retint :

« Nael ! »

Le tueur le regarda avec douceur :

« Ce soir, hein ? Tu m’as juré !… s’exclama le garçon, suppliant.

– Ce soir, Pantin, répondit Nael. Ce soir. Ou je serai mort. »

Il partit, et Pantin soupira, rassuré. Enzo s’assit sur le lit, contre le mur, et regarda Pantin qui mangeait goulument son sandwich.

« Qu’est-ce qu’il t’a juré ?

– Qu’il me rendrait Sam.

– Ah, c’est toi, son Pantin ?

– Oui…

– Enchanté. Moi, c’est Enzo.

– Je sais.

– Comment ça, tu sais ?

– Y avait ta tronche sur le dossier de Sam. Il disait que tu étais un gentil rêveur… Un mec sympa qui planait très loin au-dessus des réalités…

– Ah ?

– Oui. Tu peux me passer l’eau ?

– Oh, oui, bien sûr…

– Merci. »

Enzo se pencha pour attraper la bouteille et la lui donna :

« Qu’est-ce qu’il mijote, Nael ? demanda-t-il.

– Je ne sais pas, répondit Pantin. Et ça m’est égal. Moi, tout ce que je veux, c’est Sam. »

Enzo soupira :

« Je le sens mal…

– Tu crois ?

– J’sais pas…

– T’as pas confiance ? »

Enzo regarda Pantin, stupéfait :

« Faire confiance à Nael ! s’exclama-t-il. Tu sais ce dont il est capable ?! »

Pantin regarda Enzo un moment, mâchant, puis déglutit et reprit avec un petit air condescendant :

« Dis-moi, Enzo. Quand un type dresse un chien à tuer, c’est le chien ou le type, le responsable ?

– Le type, mais je ne vois pas le rapport.

– Aucun, effectivement. À part que c’est ton père qui a dressé Nael à tuer. »

Enzo suffoqua sous le coup. Il resta un peu hagard, secoua la tête et murmura :

« … Merde… »

Il eut une moue triste, puis demanda :

« Tu en es sûr ?

– Ça ne fait aucun doute. Ton père est un vrai caïd… Assez pervers pour adorer faire souffrir, et assez lâche pour pousser un autre à le faire pour lui.

– Nael…

– Nael. »

Enzo se renfrogna. Il grogna :

« Nael avait qu’à dire non.

– Houlà, tu planes plus haut que je pensais, toi…

– Hein ? Pourquoi ?

– Tu penses vraiment que Nael a eu le choix ? »

Enzo gémit, puis couina :

« Bon, d’accord. Mon père est un salaud.

– Ne te plains pas. Tu as des parents qui t’aiment.

– Quoi… ? Qu’est- ce que tu veux dire ?

– Que malgré tout, tu as plus de chance que moi. »

 

Chapitre 30 :

Le fait qu’Anna ne soit pas chez elle contraria un peu Nael. Il ne pouvait pas faire le tour de tout Lyon pour le retrouver… Il se gratta la tête.

Bon. Il avait encore le temps… Il pouvait l’attendre un peu. Il regarda, sur le palier, si personne ne venait et s’agenouilla pour crocheter la serrure. Nael avait beaucoup de doigté pour ça. Il entra et referma la porte.

Ça sentait très doucement bon, chez Anna. Un petit appartement propre, joliment aménagé. Aussi plein et coloré que celui de Nael était vide et blanc.

Il alla s’asseoir sur un fauteuil au salon. Il soupira. Il était très fatigué. De plus en plus. Vivement demain, se dit-il.

Il resta un moment à ne rien faire sur un fauteuil. Puis, tout de même, il se mit à trouver le temps long.

Il se releva et alla regarder la bibliothèque qui se trouvait là. Si elle avait lu tout ça, elle était bien plus cultivée qu’elle ne l’avait laissé paraître. Il feuilletait paisiblement un livre, lorsqu’il entendit la porte. Il continua à feuilleter son livre, paisible, tout en suivant d’une oreille attentive l’avancée prudente de la jeune femme (car c’était bien son pas).

Elle pénétra enfin dans le salon, braquant une arme sur Nael. Elle eut un petit sursaut en le reconnaissant et abaissa son arme.

Nael n’avait pas levé les yeux du livre.

« J’aime beaucoup Prévert, dit-il doucement.

– Qu’est-ce que tu fais là ? demanda Anna. Ça te prend souvent d’entrer chez les gens par effraction ?

– Ça m’arrive quand ils ne sont pas là. » répondit-il.

Il la regarda avec une certaine tendresse.

« Bonjour, ma belle. Comment vas-tu ?

– C’est pour me demander ça que tu as crocheté ma serrure ?…

– Je suis poli, excuse-moi.

– Excuses acceptées, mais explique-toi. »

Il rangea le livre et s’approcha d’elle. Elle avait toujours son arme à la main.

« Je voulais te conduire auprès d’Enzo… » dit-il innocemment.

Anna fronça les sourcils :

« Où est-il ?

– À l’abri.

– À l’abri de quoi ?

– De la fin de soirée que je destine à son père. »

Anna sursauta :

« Qu’est-ce que tu mijotes ?!

– Et toi ? demanda-t-il doucement.

– Quoi, moi ?…

– Toi, ma belle petite espionne… »

Elle recula et braqua à nouveau l’arme sur lui.

« Anna, lâche cette arme. Même avec elle, tu ne peux rien contre moi et tu le sais.

– Comment est-ce que tu as deviné ? »

Elle était froide et sévère.

« Ta curiosité. Et en repensant à notre rencontre, aussi. Superbe coup monté… Toi et Sam, vous m’avez bien eu. Anna, je ne te veux pas de mal. Je veux juste être sûr que tu ne risqueras pas de faire foirer mon plan.

– Trop tard, Nael. Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais je sais ce que nous, nous allons faire.

– C’était trop beau que je sois tranquille, soupira le tueur. Laisse-moi deviner… Vous allez faire une descente, coffrer tout le monde pour libérer Sam ?

– Truc comme ça.

– Ridicule. En admettant que vous y arriviez, vous aurez peut-être Picandet pour séquestration, mais vous ne pourrez rien contre les autres.

– Sûrement, mais on aura sauvé Sam.

– Ouais, deux jours, le temps qu’ils le retrouvent… »

Anna commençait à hésiter, Nael le sentait bien. Il en remit une couche.

« Ces gars-là sont au-dessus des lois, tu le sais bien.

– Parce que toi, tu peux régler le problème ? fit-elle.

– Oui, puisque je suis au-dessus des lois, moi aussi. Ce qui n’est pas votre cas. À quelle heure, la descente ?

– Vers 22 h… répondit machinalement Anna.

– Merci. »

Nael fit voler l’arme d’un coup de pied expert.

« … C’est tout ce que je voulais savoir. »

Très peu de temps plus tard, la jeune femme gisait sans conscience à ses pieds. Nael soupira, s’agenouilla, et lui fit délicatement une petite piqûre. Juste de quoi la faire dormir quelques heures.

Il s’apprêtait à la soulever avec la même délicatesse lorsque le téléphone sonna. Il décrocha, voulant s’assurer que ce n’était pas Enzo qui avait réussi à se libérer. Il entendit une voix masculine dire :

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté…

Luxe, calme et volupté. » répondit-il machinalement.

Il y eut un blanc.

« Qui est là ? reprit la voix. Puis-je avoir Mlle Rosaie ?… »

Nael regarda la jeune femme inconsciente.

« Pas vraiment… dit-il.

– Qui êtes-vous ?

– Vous êtes son supérieur ?

Qui êtes-vous ?!

– Vous tombez bien. Dites à celui de Sam qu’il le trouvera chez lui demain… Plutôt l’après-midi.

– … Hein ?

– Et ne vous en faites pas pour Anna. Elle est entre de bonnes mains.

– … Pardon ?

– Je m’occupe de tout. »

Nael raccrocha. Le téléphone sonna à nouveau. Il n’y fit pas attention. Il souleva le corps inconscient et partit.

 

Chapitre 31 :

Enzo regarda Pantin et balbutia :

« Comment ça, j’ai plus de chances que toi ?!

– Comme je te le dis. » répondit Pantin avant de mordre à nouveau dans son sandwich.

Enzo le fixait, stupéfait :

« Qu’est-ce que tu veux dire ?… Tu es… orphelin ?…

– On peut presque dire ça, oui… »

Pantin avait soudain très envie de vider tout ça.

« Il aurait peut-être mieux valu que je le sois vraiment, d’ailleurs… »

Il soupira :

« C’est quoi, le pire, à ton avis ? Ne pas avoir de parents ou en avoir pour lesquels tu n’existes pas ?

– Euh… Je sais pas…

– Je me demande pourquoi mes parents m’ont eu… »

Les yeux du jeune amant de Sam se perdirent dans le vague.

« … J’ai jamais existé pour eux… Jamais… Je… »

Sa voix se mit à trembler.

« … J’étais en trop. »

Enzo le regardait, attentif et grave. Pantin triturait sa peluche.

« Je me souviens de rien… Je pouvais être gentil ou pas, ils ne disaient rien… Tout ce qu’ils faisaient, c’était me nourrir et… Et me coller dans des trucs à chaque fois qu’ils pouvaient… À tous les sports, à tous les trucs possibles… Ils travaillaient tous les deux… Mon père était toujours en déplacement… On le voyait à peine six ou sept jours par mois… Ma mère elle était toujours à sa boite… Elle rentrait à des heures impossibles… On se voyait jamais… »

Des larmes se mirent à rouler sur ses joues. Enzo prit sa main, navré. Pantin le regarda, eut un petit sourire et ses yeux se perdirent à nouveau. Il reprit :

« J’ai tout essayé… Tout. Je bossais comme un fou. N’importe quel parent aurait été fier que leur gosse leur ramène des bulletins pareils !… Ils les regardaient même pas… J’ai jamais réussi à me faire d’amis… J’existais pour personne… Chuis arrivé en term’, comme ça… J’en pouvais plus… je savais plus quoi faire, plus où j’en étais… Je m’imaginais pas le moindre avenir… Un soir… Mon père était là… Et… je suis allé le voir… Dans son bureau, il bossait… Évidemment qu’il bossait !… Il savait rien faire d’autre… je suis entré… Il a marmonné qu’il travaillait… Il m’a même pas regardé. Je lui ai dit que j’avais besoin de lui parler… Il a dit qu’il avait pas le temps… Qu’il avait du travail… Je lui ai dit que j’en avais pas pour longtemps… Juste quelques minutes… “J’ai pas le temps !”… “T’as jamais le temps ! Je te demande pas des heures… Est-ce que tu peux me regarder ? Me dire que tu es là, que je suis ton fils ?… Que tu tiens à moi ?”… “J’ai du travail”… »

La main de Pantin serrait si fort celle d’Enzo qu’il lui faisait très mal.

« … “J’ai du travail.” J’ai juste dit : “Papa, j’ai vraiment besoin de toi, là…”… “J’ai pas le temps !”… “S’il te plaît…” “Fous-moi la paix, j’ai du travail !”… J’aurais pu le tuer, à ce moment… J’ai juste attrapé ce putain d’ordi portable qu’il avait pas quitté des yeux pour le balancer par la fenêtre… »

Pantin renifla et essuya ses yeux. Sa main se desserra un peu.

« … Y a fallu ça, pour qu’il me regarde… Il s’est mis à me traiter de tous les noms… À me dire que je me rendais pas compte… Tout son travail perdu… Que j’allais lui rembourser… Des trucs comme ça… Je le regardais, ouais, je me rendais compte de rien… Je lui ai dit qu’il avait rien compris. J’étais même pas en colère… Je l’ai laissé et je suis parti. J’ai pris mon anorak, j’ai foutu le camp. Je me suis mis à courir… Nuit noire, en plein hiver… J’ai pleuré, je crois… Et puis, j’ai marché… Je savais même pas où j’allais… J’voulais juste mourir quelque part… Loin d’eux… Très loin d’eux. »

Il soupira. Il y eut un long silence.

« Et ? le relança timidement Enzo.

– J’étais en train de crever au bord d’une route, et Sam m’a ramassé. »

Il y eut un autre silence.

« Il m’a ramassé… Il m’a emmené chez lui et là… Là, il m’a fait l’amour.

– … Comme ça ? Tout de suite ?…

– Comme ça, tout de suite. Et sans me demander mon avis, d’ailleurs… Mais… C’était bon et puis… Comment dire ça… J’avais jamais pu aimer personne alors… Je lui ai tout de suite tout donné à lui… Parce que bon sang !, il s’est occupé de moi !… J’existais, enfin !… J’existais pour lui !… Je me serais donné de toute façon… Sam m’a aimé… J’en avais jamais demandé plus… Juste de l’amour… Alors moi, je me suis mis à vivre pour lui… Juste pour lui… Pour le voir heureux de me serrer dans ses bras le soir et… Lui donner du plaisir… Lui m’en donnait tant… Du plaisir et du bonheur…

– C’est pour ça que quand mon père l’a gardé… ?

– J’étais furax.

– C’est toi qui as tué les quatre mecs, là ?

– Cinq. C’est moi.

– Quatre. Le cinquième est à l’hosto.

– C’est vrai ?

– Oui… Jusqu’à ce que Nael t’arrête ?

– C’est ça.

– Je comprends mieux… »

Les deux garçons se regardèrent. Pantin lâcha la main d’Enzo et se remit à manger. Ils se mirent à parler de choses et d’autres.

 

Chapitre 32 :

Pantin et Enzo dissertaient sur l’art mésopotamien du III’ millénaire avant J-C lorsque Nael rentra. Il était presque 20h. Les garçons se turent et tendirent l’oreille. Nael ouvrit la porte, la poussa avec son pied et entra avec dans les bras le corps inconscient de son ancienne maîtresse. Enzo aurait bondi s’il n’avait pas été attaché :

« Anna ! » s’écria-t-il.

Nael la déposa sur le lit, dans les bras du jeune homme. Enzo tremblait :

« Qu’est-ce que vous lui avez fait !

– Rien, elle dort, répondit Nael. Elle se réveillera tout à l’heure.

– Tu as été long. » dit Pantin.

Nael le regarda :

« J’ai été pris dans un bouchon monstrueux. Impossible d’en sortir… Comment te sens-tu, Pantin ?

– Ca va.

– Et vous, Enzo ?

– Vous me jurez qu’Anna va bien ?

– Je vous le jure. »

Nael détacha Pantin.

« Viens, il faut qu’on y aille. »

Pantin se leva, ravi. Il s’étira.

« Et nous ? demanda Enzo en fronçant les sourcils.

– Je laisse la clé de vos menottes sur le meuble, là, dit Nael en désignant la petite table qui se trouvait près de la porte. Anna vous détachera à son réveil et vous pourrez partir. Je vais laisser les portes ouvertes.

– Ah bon…

– Bien. Nous devons y aller, nous. Tu viens, Pantin ?

– Oui, oui !

– Au revoir, Enzo.

– Oui, au revoir…

– Remerciez Anna pour moi.

– Si vous voulez… »

Ils sortirent tous deux, Nael déposant une petite clé là où il l’avait dit. Pantin regarda le tueur et lui sourit :

« On fait quoi ?

– On prend nos affaires et on va chercher ton homme.

– Pour de vrai ?

– Oui, mais osis sage.

– promis ! »

Le tueur rendit son sac au garçon. Puis, il prit le sien, plus petit, et son regard fit le tour de la pièce, comme pour vérifier qu’il n’oubliait rien, et ses yeux se posèrent sur le petit vase de fer. Il alla le prendre délicatement :

« Puis-je te confier ça, Pantin ?

– Oui, c’est quoi ?

– Les cendres de Sandra. »

Pantin resta interloqué. Nael vint vers lui.

« … Tu comprends, reprit le tueur, je ne sais pas quand je vais revenir ici… Je serai plus tranquille si je les sais entre tes mains.

– Oui, d’accord… »

Pantin mit le petit vase dans son sac et pensa tout haut :

« … Ca fait si peu de cendres que ça, un corps ?… »

Nael le regarda avec douceur, sans répondre.

« Viens, Pantin, dit-il enfin. Nous n’avons pas toute la nuit. »

Ils sortirent. Ils prirent la voiture dont le garçon s’était servi.

« Où est la tienne ? demanda Pantin en s’installant à la place du mort.

– Chez Picandet. Je repartirai avec.

– C’est là qu’on va ?

– Oui.

– C’est dangereux ?

– Je ne pense pas. Ils font la fête… On passera par derrière.

– D’accord… Euh, Nael…

– Oui ? »

Le tueur avait démarré.

« Je voulais m’excuser…

– Pourquoi ?

– Pour ce que j’ai fait… J’ai été bête, t’avais raison. Je te demande pardon.

– Je ne t’e veux pas. Veille juste à ne pas recommencer…

– Promis. C’est loin ?

– Un peu…

– Qu’est-ce qu’on fait ?

– On entre, on récupère Sam, on sort, et tu rentres chez vous avec cette voiture, et moi je repars de mon côté.

– C’est simple…

– J’ai horreur des choses compliquées.

– Mais… Et quand ils se rendront compte que Sam n’est plus là ?

– Aucun risque.

– Tu crois.

– J’en suis sûr. Fais-moi confiance. »

Les rues étaient calmes. Nael roulait paisiblement. Pantin demanda timidement :

« Mais toi ?…

– Quoi, moi ?

– Ils vont te faire des problèmes…

– ne crains rien. »

Il y eut un silence. Nael regarda le garçon, qui lui sourit gentiment.

« J’appellerai demain pour voir où vous en êtes… continua le tueur. D’accord ?

– Oui.

– Ah, on approche… »

Le tueur ralentit, mit ses clignotants et entra doucement dans la propriété de Gaspard Picandet. Personne dans la cour. Il se gara et sortit prudemment. Personne… Mais dans la maison, c’était la fête. Le tueur fit signe au garçon de venir. Pantin descendit, après avoir pris quelque chose dans son sac.

« Allons-y. » dit Nael.

 

Chapitre 33 :

Pantin suivit Nael, qui contourna la maison. Des bruits de fête sortaient de cette dernière.

« Qu’est-ce qui se passe ? chuchota Pantin.

– Une alliance avec un autre gang, répondit Nael sur le même ton.

– Ah…

– Viens, c’est là. »

Nael s’arrêta devant une porte métallique très vieille. Il l’ouvrit, il en avait la clé, et entra, d’abord seul. Il appela Pantin quelques secondes plus tard. La voix était libre. Le garçon entra, loupa la marche et fut rattrapé de justesse par Nael.

« Ça va ? murmura le tueur en le relevant.

– Ouais… désolé… »

Le garçon regarda où il était : dans un long couloir franchement glauque, à peine éclairé par une veilleuse rouge. Il frémit.

« Viens, lui souffla Nael. Ton homme est là-bas. »

Pantin opina, pas très rassuré, et suivit Nael. Brutalement, le tueur stoppa, faisant signe à Pantin d’en faire autant. Ils se tapirent contre le mur, accroupis. Nael sortit silencieusement une arme cachée dans sa ceinture. Pantin frémit encore. Les yeux de Nael étaient glaciaux, et on le sentait tel un fauve prêt à bondir sur une proie déjà condamnée.

À l’autre bout du couloir, on entendait des rires s’approcher. Nael tendit son bras en arrière pour s’assurer que Pantin restait bien derrière lui.

Trois hommes arrivèrent, saouls. Joel, un lieutenant de Picandet, et un inconnu sans doute un des nouveaux alliés. Ils n’allumèrent pas la lampe. Ils allèrent devant la porte de la pièce où se trouvait Sam, essayèrent d’ouvrir, finirent par se rendre compte que c’était impossible à cause du cadenas, pestèrent, jurèrent, et repartirent en maugréant qu’avec une bonne grosse pince, ce cadenas n’allait pas faire le malin longtemps.

Dès qu’ils eurent disparu, Nael se releva et releva Pantin.

« Dépêchons-nous. » dit le tueur.

Il se hâta d’aller ouvrir la porte. Pantin se dandinait derrière lui, pressé et inquiet.

La porte s’ouvrit. Nael entre et tira à l’intérieur le garçon, qui regardait en se rongeant un ongle si les autres ne revenaient pas. Le tueur referma la porte avant d’allumer la lampe.

Pantin couina et plissa les yeux, ébloui. Nael ne semblait pas incommodé. Il s’approcha de la table où Sam reposait toujours. Le cœur battait toujours régulièrement.

Habitué à la lumière, Pantin vit enfin Sam. Il s’approcha, tremblant, et le regarda sans oser le toucher.

« Sam… »

Le garçon se mordit les lèvres. Deux larmes roulèrent sur ses joues. Il se blottit enfin contre Sam, les mains serrées sur la veste qui le recouvrait, et gémit :

« … Mon amour… Oh Sam dis-moi quelque chose… Dis-moi que tu m’aimes… »

Il se redressa et renifla :

« … Pourquoi il ne dit rien ?…

– Il dort. » répondit doucement Nael.

Le garçon le regarda et essuya ses yeux.

« Il se réveillera demain matin. Ne crains rien et aide-moi. Il faut faire vite, maintenant. »

Ils redressèrent Sam, qui se laissa mettre debout docilement. Il avait entrouvert des yeux vitreux et fixes.

Pantin le guidait pendant que Nael les couvrait. Ils n’allaient pas vite, Sam marchant à peu près, mais étant bien sûr incapable de courir.

Ils avaient ainsi fait quelques mètres dans le couloir lorsque les trois soulards revinrent et cette fois, allumèrent la lumière du couloir.

Ils restèrent bêtes, trop ivres pour réagir, Nael les braqua, mais il hésitait : le bruit risquait de rameuter d’autres personnes pas forcément saoules…

Joel s’avança, aussi menaçant que son état le lui permettait. Nael s’apprêtait à l’abattre, lorsqu’un truc roula entre ses pieds… Une espèce de petite boite de conserve qui dégageait de la fumée…

Une bombe fumigène !?…

Nael sentit une main agripper son bras et le tirer en arrière. Le nuage de fumée grandissait, les cachant maintenant aux yeux de leurs ennemis.

Nael aida Pantin à soutenir Sam et ils partirent aussi vite que possible. Ils sortirent et regagnèrent la voiture. Nael installa Sam à la place du passager. Puis, il regarda Pantin :

« Tu te balades souvent avec des bombes fumigènes dans les poches, petit ?

– Non, mais là bon… J’ai pensé… J’ai eu tort ?… »

Un immense sourire illumina le visage de Nael. Il pressa le garçon dans ses bras.

« Tu es un ange, Pantin… » murmura-t-il.

Il le lâcha. Les grands yeux noirs le fixaient, gentiment intrigués.

« Rentre vite, dit encore le tueur. Il y a des médicaments pour lui dans le coffre. Soigne-le bien. Veille bien sur lui.

– Promis ! »

Ils s’étreignirent encore.

« Au revoir, petit Pantin. Merci pour tout.

– Oh, non… »

Le garçon regarda le tueur :

« … C’est à moi de te remercier !… Merci, Nael. Prends bien soin de toi.

– Compte sur moi. Allez, file. »

Pantin prit le volant et partit rapidement.

Nael regarda la voiture disparaître. Enfin, ce problème-là était réglé.

Il alla s’asseoir sur un banc de pierre et s’alluma une cigarette. À l’intérieur de la maison, la fête battait son plein. Le tueur se sentait fatigué. La commande lui parut lourde, lorsqu’il la sortit de sa poche. Il était 21h37. Il faisait nuit noire. Visiblement, l’alerte n’avait pas été donnée. Sans doute étaient-ils tous trop ivres pour avoir pris Joel et les deux autres au sérieux.

Nael fuma tranquillement sa cigarette. Il écrasa paisiblement le mégot au sol, puis appuya sur le second bouton de la commande.

Une déflagration gigantesque raya la bâtisse et tous ceux qui s’y trouvaient de la surface de la Terre.

Nael soupira. Il posa la commande et s’en alla.

 

Chapitre 34 :

Pantin entendit de très loin l’explosion, mais il n’y fit pas attention. Il s’arrêta à un feu rouge, regarda Sam et sourit. Je suis là, mon amour, pensa-t-il. Je vais te soigner.

Les routes étaient très calmes, ce dimanche soir-là. Pantin rentra dans la maison perdue au milieu des Monts du Lyonnais. Il se gara dans la cour. Le chat se précipita pour se frotter à ses jambes. Le garçon sourit et le souleva dans ses bras :

« Oui minou, c’est nous… On est là… »

Il le reposa au sol et alla sortir Sam de la voiture. Il le guida doucement jusqu’à son lit. Sam referma les yeux. Le garçon alla chercher le sac de médicaments et son propre sac dans le coffre. Le chat était près de Sam, sur le lit, il faisait sa toilette.

Pantin déshabilla entièrement Sam, et le lava. Il se dit que cette barbe de quelques jours lui allait très bien. Puis, il pansa soigneusement son corps. Il veilla particulièrement à sa jambe. La balle n’avait fait que traverser le muscle. Pantin lava la blessure, qui commençait à bien cicatriser, et fit un beau pansement. Puis, il couvrit Sam et l’embrassa doucement. Il se releva, il allait manger un peu. En sortant, il se tourna pour regarder son maître et soupira d’aise.

Il redescendit. Le chat s’était endormi sur le lit. Pantin alla rallumer le chauffage, puis fit le tour à la cuisine. Il se fit chauffer une bête conserve. Après quoi, il alla sortir du pain du congélateur pour le lendemain.

Il était tard. Le garçon alla se coucher près de son amant et s’endormit en souriant.

Le jour était levé depuis un bon moment lorsque Pantin se réveilla. Il ne fit pas exprès, d’ailleurs. C’est le chat qui le tira des bras de Morphée en venant lui lécher la joue. Le jeune homme ouvrit des yeux vagues, s’étira mollement, soupira. Puis, il sourit, en voyant Sam et se rapprocha de lui. Le chat sauta au sol. Pantin soupira encore, se sentant merveilleusement bien. Puis, il entendit le téléphone sonner. Ça doit être Nael, se dit-il. Il fit un petit bisou à Sam, puis se leva et sortit vite de la pièce, descendit l’escalier en courant, pour aller décrocher.

« Allo ?… réussit-il à dire, tout essoufflé.

– Et rose, elle vécut ce que vivent les roses… entendit-il.

– Euh,… L’espace d’un matin. » acheva machinalement le garçon, qui connaissait ses classiques.

Il y eut un petit blanc.

« Lieutenant ?… tenta-t-on.

– Ah non, répondit Pantin. Il n’est pas encore réveillé… Vous devriez rappeler plus tard.

– Qui est là ?!…

– Je pourrais vous poser la même question… Vous êtes qui ?…

– Mais je…

– … Parce que je me méfie, maintenant. Rappelez dans l’après-midi si vous voulez… Sam sera réveillé. »

Pantin raccrocha sans attendre de réponse. Puis, il se dit qu’il avait très faim. Il alla se faire un sandwich avec le pain qui était décongelé. Puis, il remonta voir Sam.

Ce dernier n’avait pas bougé. Le garçon le découvrit, inspecta son corps, remit un peu de pommade ici ou là, fit fondre quelques comprimés dans de l’eau et les lui fit boire, puis le recouvrit doucement, et se rallongea près de lui. Il n’osait pas se blottir contre sa peau, il avait peur de lui faire mal.

Il dormait doucement lorsque Sam, en toussant, le réveilla. Le garçon ouvrit des yeux intrigués, puis se redressa. Sam se réveillait. Il jetait un œil très vague autour de lui. Il tenta de se redresser sur ses bras. Pantin se précipita pour le soutenir. Sam sursauta en le sentant, et le regarda un moment avant de l’identifier et de murmurer :

« … Pantin… ?… »

Le convalescent déglutit, regarda à nouveau autour de lui, hagard. Pantin le rallongea doucement.

« … Où je suis ?… Qu’est-ce qui se passe… ?… articula le blessé.

– Tu es chez toi, mon amour, répondit tendrement son amant. Tu es chez toi, dans ta chambre. Tout va bien. Repose-toi, je suis là. Tout va bien. »

Sam regarda Pantin et tendit une main lasse pour caresser son visage.

« … Mon Pantin… C’est vraiment toi ?… Tu vas bien ? »

Pantin prit la main dans les siennes et l’embrassa.

« Je vais très bien, dit-il. Ne te fatigue pas… Tu as faim ?

– Oui, très…

– Tu as envie de quelque chose en particulier ?…

– Non… Qu’est-ce qui s’est passé ?… »

Sam se réveillait et sentait son cerveau sortir de la brume. Ses souvenirs revenaient.

« Où est Nael ? » demanda-t-il.

Il tenta à nouveau de se redresser. Pantin l’aida à s’asseoir contre ses oreillers.

« Comment est-ce que je suis revenu ici ?…

– Comment te sens-tu ?

– Un peu vague… Mais pas mal… Moins mal…

– Alors, je t’expliquerai quand tu ne seras plus vague du tout. Reste là. Je vais te faire quelque chose à manger. »

Pantin allait descendre du lit lorsque Sam l’attrapa et le tira dans ses bras. Ils s’enlacèrent et échangèrent un long baiser. Sam serra très fort son amant dans ses bras.

« Mon Pantin… murmura-t-il. J’étais si inquiet…

– Et moi donc ! répondit le garçon, et il ajouta avec un petit sourire : Préviens-moi, la prochaine fois que tu te fais enlever. »

Sam rigola.

« Promis. Mais toi, promets-moi que tu ne feras pas sauter la moitié de Lyon pour me récupérer !

– Ça dépendra… Peut-être que le tiers suffira ?… »

 

Chapitre 35 :

Pantin s’affairait en chantonnant dans la cuisine. Il avait trouvé quelques pommes de terre dans un placard et un steak dans le congélateur. De quoi faire un bon repas bien digeste à son maître. Il se hâtait.

Il sursauta soudain en entendant du bruit dans l’escalier. Il sortit voir. C’était Sam, qui avait enfilé sa robe de chambre et descendait péniblement, en se tenant au mur d’un côté et à la rambarde de l’autre. Pantin frémit et se précipita pour l’aider. Sam eut un sourire en le laissant passer son bras autour de ses épaules :

« Tu es fou ! s’écria le garçon. Tu n’aurais jamais dû te lever !

– Ça va, mon chéri. Ne t’en fais pas. Je suis bien réveillé, maintenant.

– Oui bon mais ta jambe, hein ?!… Il faut pas que ta blessure se rouvre ! Elle cicatrisait à peine, hier soir !…

– Je fais attention, Pantin. Ne t’en fais pas. »

Pantin soutint Sam jusqu’à une chaise de la cuisine. Puis, il retourna à ses casseroles. Le chat vint voir ce qui se passait par là. Du bruit dans la cuisine, ça l’intéressait toujours. Sam regardait Pantin avec une profonde tendresse. Le garçon lui installa rapidement des couverts et le servit.

« Merci, mon petit cœur.

– de rien… Ne mange pas trop vite.

– Tu me couves comme un bébé… »

Pantin caressa la tête de Sam.

« Tu adores ça… »

Le téléphone sonna à nouveau. Pantin alla dans le salon pour décrocher.

« Allo ?…

– Pantin ? demanda une voix nerveuse.

– Oui ? Qui est-ce ?

– Enzo. Ça va ?

– Ah, Salut !… Oui, ça va, et toi ?

– Bien… Enfin, pas mal… Sam est avec toi ?

– Oui… On est rentré… Vous avez réussi à vous en sortir ?

– Oui, dès qu’Anna s’est réveillée… Justement, je t’appelle de sa part. Vous savez pas où est Nael ?

– Ah non… Non non… Il doit nous appeler, mais il ne l’a pas encore fait.

– OK. Quand il le fera, dis-lui que les gars de la DST le cherchent, mais qu’ils ne lui veulent pas de mal. D’accord ?

– Euh, oui… D’accord.

– Sam va bien ?

– Aussi bien que possible !

– Super. Bon, il faut que je te laisse. Donne mon bonjour et celui d’Anna à Sam.

– Pas de problème !

– Allez, à bientôt.

– Oui, avec plaisir, à plus ! »

Pantin raccrocha et retourna à la cuisine.

« Tu as le bonjour d’Enzo et d’Anna. » dit-il à Sam, qui mangeait sagement.

Sam opina avec un sourire. Puis il fronça les sourcils, déglutit et s’exclama :

« Comment ils ont eu notre numéro ?! »

Pantin fit la moue. Il n’y avait pas pensé.

« Ah oui, bonne question, reconnut-il. Mais bon, continua-t-il, tu sais, moi, avec tous ses agents secrets, je m’étonne plus de rien.

– Quoi ?…

– Ben, c’est vrai… La DGSE aussi, ils doivent avoir les moyens de te retrouver… »

Le garçon avait dit ça le plus simplement du monde, en mettant les casseroles sales dans l’évier. Il s’accroupit pour prendre le liquide vaisselle dans le placard du dessous. Sam le regardait, sourcils froncés :

« Attends, Pantin. De qui tu parles ? »

Pantin se redressa, regarda Sam et lui sourit. Mais il ne put pas répondre, car on frappa fermement à la porte. Le garçon échangea un regarda avec Sam qui se leva péniblement.

« Pantin, il y a un flingue dans le deuxième placard… Tu peux me le passer ?

– Il n’y ait plus, je l’avais pris. Il est en haut.

– Alors, cours le chercher. »

Le garçon opina et fila. On frappa à nouveau. Puis Sam, qui était resté à la cuisine, plaqué contre le mur à gauche de la porte, entendit la porte s’ouvrit. Deux personnes entrèrent. Pourvu que Pantin ne se fasse pas voir… pensa-t-il.

« Il y a quelqu’un ? » entendit-il crier.

La voix du commandant Burlaut. Sam ne bougea pas. Il n’était pas en position d’accorder sa confiance à une autre personne que son colonel. Or, la voix de ce dernier s’éleva aussi :

« Vous êtes là, Lieutenant ? »

Sam poussa un soupir de soulagement et sortit de la cuisine, s’appuyant au mur :

« Je suis là, Colonel.

– Lieutenant ! s’exclama chaleureusement le colonel en venant vers lui. Ça fait plaisir de vous voir !

– C’est réciproque. » répondit Sam avec un sourire las.

Les deux hommes se serrèrent la main.

« Nous étions très inquiets pour vous.

– Vous n’étiez pas les seuls. »

Sam soupira encore.

« Venez au salon, dit-il encore. Désolé, mais nous serons mieux assis… Surtout moi. C’est par là. »

Sam leur montra la direction et s’y avança en premier.

« Votre jambe ? s’inquiéta le colonel.

– Rien de très grave. » le rassura Sam.

Il salua le commandant en passant près de lui. La poignée de main fut plus sèche et Burlaut déclara :

« Vous nous devez beaucoup d’explications, Lieutenant.

– On va voir tout ça. »

Sam s’assit sur un canapé et fit signe à ses hôtes de faire de même. Le colonel Boudet s’installa face à lui alors que Burlaut restait à roder dans la pièce.

« Comment vous en êtes-vous sorti ? demanda Boudet.

– Je n’en sais foutrement rien, répondit Sam avec un sourire. Vous avec retrouvé la personne qui m’a vendu ?

– C’est en cours… »

Sam opina, se demandant où restait Pantin.

« … Nous aurons sûrement la réponse dans la journée, ajouta Boudet. Comment se fait-il que vous ne sachiez pas ce qui vous est arrivé ?

– J’étais drogué, j’ai émergé il y a une heure ou deux…

– Vous ne savez donc pas ce qui s’est passé.

– Non, probablement pas ? »

Boudet allait continuer lorsque le déclic d’une arme les fit sursauter tous deux.

Pantin était entré sans le moindre bruit, pour aller doucement poser le canon de son arme sur la nuque de Burlaut qui, près de la porte, accroupi, bidouillait une curieuse petite boite et des fils.

 

Chapitre 36 :

« Qui c’est çui-là, mon chéri ? » demanda doucement le garçon.

Sam et Boudet échangèrent un regard, puis Boudet se leva et alla voir.

« Vous vouliez nous faire sauter, commandant ? »

Burlaut grogna, puis se leva brusquement, repoussant Pantin et Boudet, et s’enfuit. Pantin tira plusieurs fois sans l’atteindre.

Le fuyard disparut dans les bois.

« Je crois que nous avons notre traître, dit Sam. Le téléphone est là, colonel. Ça va, Pantin ?… »

Le garçon se releva en grommelant, aida le colonel à faire de même, puis alla voir à la fenêtre.

« Pourquoi est-il parti à pied ? demanda le garçon. C’est très bête…

– C’est moi qui avais les clés de la voiture. » soupira le colonel.

Il prit le téléphone et composa rapidement un numéro. Il demanda qu’on ordonne immédiatement à toutes les polices du coin de le quadriller, dès qu’on leur aurait fait passer une photo du fuyard. Et que ça saute !

Un autre téléphone sonna. C’était la deuxième ligne, celle qui aboutissait à la cuisine. Sam demanda à Pantin d’aller voir. Le garçon lui laissa l’arme, puis obéit.

Le colonel raccrocha :

« Quelle histoire ! Je n’aurais jamais cru ça de Burlaut !

– J’ai appris à ne pas trop me fier à ce que je crois, colonel. »

Pantin revint en rigolant, tenant le téléphone :

« Comment ça, ‘cinglé’ ?… Oui… ? Ah, de Sam !… Oui, alors, là, d’accord. Sam m’a rendu cinglé, là, je veux bien… D’accord… Hein ?… Oui, oui oui, je te le passe. OK. Encore merci. Salut. »

Pantin tendit le combiné à Sam, qui était toujours sur le canapé, en lui disant :

« Tiens, c’est Nael.

– Nael ? » sursauta Sam.

Il prit vivement le combiné. Le colonel fronça les sourcils.

« Allo ?

– Sam ?

– Où es-tu ?

– Comment tu vas ?

– Ça va…

– Bien réveillé ?

– Ouais…

– Bien. J’avais peur que tu aies quelques séquelles. Je vais pouvoir partir tranquille…

– Tu t’en vas ?

– Ouais. Tout est en ordre. Je peux m’en aller.

– T’es rudement énigmatique, ce matin, Nael…

– Ton Pantin va plutôt bien, j’ai l’impression. »

Sam regarda son amant, qui s’était assis près de lui, et sourit.

« J’ai l’impression aussi.

– C’est très bien. Garde-le bien surtout, Sam. Rends-le très heureux.

– Ça, tu peux compter sur moi. Mais toi, alors ?

– Quoi, moi ?

– C’est toi qui m’as sauvé, Nael ?

– Qui veux-tu que ce soit. Mais ton Pantin m’a bien aidé.

– Qu’est-ce que tu vas devenir ?

– Probablement la même chose que ce que j’ai confié à Pantin. Dis-lui de l’emmener, tout à l’heure.

– Tu pourrais t’expliquer ?

– Demande-lui. Je vais te laisser. J’aimerais profiter du silence, pour le peu de temps qu’il me reste. »

Sam frémit :

« Nael ! Qu’est-ce que… ?!

– Je m’en vais, Sam.

– Quoi… ? Non, tu vas pas faire ça !

– Si. J’ai déjà beaucoup trop attendu.

– Mais pourquoi ?… Tu peux t’en sortir…

– Mais je ne le veux pas, Sam. Même pour toi. Je te demande pardon, mon ami. Mais je sais que tu comprendras, quand tu sauras.

– Ne fais pas ça ! Où est-ce que tu es ?!

– Au revoir, Sam.

– OÙ EST-CE QUE TU ES ?!

– Devine. Tu le sais. Tu n’as pas failli à ton serment, Sam. Tu ne m’as pas déçu. Au revoir. »

Nael raccrocha. Il soupira doucement. Il éteignit son téléphone pour être sûr qu’on ne le dérangerait plus. Il regarda l’étang. Tout était blanc. Tout était calme. Si calme…

Nael se sentait bien. Le poison coulait lentement dans ses veines. Il allait juste s’endormir. Il allait rejoindre Sandra. Enfin.

Il se sentait si bien. Là, dans son décor… Pouvoir mourir en paix, quelle chance, pensa-t-il. Au calme dans les Dombes, loin de toute cette merde…

Le vent fit un peu bruisser les feuilles alentour.

Nael se coucha dans la neige. Il regarda le ciel, si blanc, lui aussi.

Il ferma les yeux un moment. Le vent soufflait. Il lui sembla entendre un murmure :

« Mon amour… »

Il rouvrit les yeux. Elle était là, si belle, si pâle… Elle était près de lui. Elle souriait.

Il tendit les bras vers elle.

« Sandra… »

Enfin, il allait pouvoir la presser dans ses bras, l’embrasser, et rester auprès d’elle.

Il y avait si longtemps…

Sa vie s’échappa sans même qu’il s’en rende compte. Il mourut plus heureux qu’il n’avait jamais vécu.

 

Chapitre 37 :

Sam resta un instant pétrifié, puis le combiné lui échappa des mains et tomba au sol. Il prit sa tête dans ses mains. Inquiet, Pantin le secoua :
« Sam !… Qu’est-ce qu’il y a ?!…
– Nael… Il va… »
Il essuya machinalement ses yeux.
« Vous savez où il est ? demanda le colonel, alarmé et gêné par la trop visible douleur de Sam. On peut lui envoyer des secours ?
– C’est trop tard… » murmura Sam.
Il se leva lentement :
« S’il nous a appelés, c’est qu’on ne peut plus rien faire. »
Il soupira.
« Je vais m’habiller. Il faut qu’on y aille.
– Tu crois ? demanda Pantin.
– C’est pour ça qu’il a appelé. »
Sam sortit. Pantin et Boudet se regardèrent.
« Il semble très affecté… dit le colonel.
– Il l’est. » dit le garçon en ramassant le téléphone et en appuyant sur le bouton qui raccrochait.
Il y eut un silence, puis il ajouta, comme pour lui-même :
« Il faudra que je lui dise…
– Quoi donc ?
– Que Nael n’avait pas le choix. »
Le garçon se leva à son tour :
« Je vais l’aider. »
Il laissa le colonel qui opinait et grimpa rapidement l’escalier. Sam se débattait avec un jean, quand il entra dans la chambre. Le garçon eut un sourire et s’agenouilla à ses pieds pour l’assister avec soin, sans rien dire.
« Nael te demande de prendre ce qu’il t’a confié… » dit Sam.
Pantin regarda un instant sin amant et se dit qu’il dominait superbement sa douleur.
« Je m’en doutais, répondit-il.
– C’est quoi ?
– Les cendres de sa femme. »
Sam eut un petit sursaut, surpris :
« Quoi ?
– Elles sont dans mon sac. Je vais virer les armes et les papiers… À moins que tu veuilles qu’on les emmène ?
– Garde un flingue.
– D’accord. »
Le jeune homme aida encore Sam à mettre ses chaussettes et ses chaussures, puis alla prendre le sac qu’il avait laissé près du lit.
Il sortit les grenades, les bombes fumigènes et les dossiers, vérifia l’arme qui y était et l’y remit, et passa le sac à son épaule. Sam avait enfilé un t-shirt et un pull. Ils redescendirent.
Le colonel les attendait dans le hall.
« Vous montez avec nous ?
– Je vous suis. Où allons-nous ?
– Dans les Dombes. »
Sam regarda son amant et lui demanda gentiment :
« Tu peux m’y conduire, Pantin ?
– Bien sûr.
– Vous avez votre permis, jeune homme ? demanda Boudet, un peu sceptique.
– Non, je sais conduire. » répondit Pantin.
Sam eut un sourire.
« Venez avec moi, dit le colonel. Je vous ferais raccompagner. Ce n’est pas le moment de risquer de se faire remarquer par la police, et puis j’ai une plaque officielle, ça aidera.
– D’accord. » répondit Sam.
Pantin opina du chef. Ils partirent. Sam, à la place du mort, guidait Boudet qui conduisait. Le colonel fonçait, il avait mis sa sirène. A l’arrière, Pantin serrait son sac dans ses bras. Il fredonnait une vieille chanson.
Il regardait Sam, à travers le rétroviseur. Sam immensément triste… et le garçon se disait : je lui expliquerai, Nael. Je lui raconterai. Il comprendra. Il te comprendra.
Ils arrivèrent bientôt et Boudet se gara sur le parking du petit restaurant. Sam trembla. Pantin prit doucement son bras :
« Tu es sûr que tu veux le faire ? demanda-t-il avec la même douceur.
-. Il faut. Vous ne le retrouverez pas, sinon… S’il a choisi ce lieu, c’est pour que ça soit moi qui le trouve. »
Sam partit en boitant, porté par la volonté d’être là pour Nael comme Nael avait été là pour lui. Concentré sur cette idée, il n’avait plus ni mal, ni même froid. Pantin et Boudet le suivaient en silence. Au milieu du chemin, le téléphone du colonel sonna. Sam ne l’entendit même pas. Pantin jeta un œil derrière lui pour voir si le colonel suivait. Il avait sorti l’appareil et parlait. Il manqua de trébucher une fois. Pantin veillait à rester en vue pour qu’il ne les perde pas.
« Burlaut est arrêté. » dit Boudet en rempochant son appareil.
Pantin hocha la tête :
« Bien, dit-il, une bonne chose de faite. »
Au bout d’un moment, ils débouchèrent sur le terre-plein qui dominait l’étang. Pantin et Boudet restèrent soufflés par la beauté du paysage.
Sam était tombé à genoux près de corps de Nael, sans même avoir vraiment remarqué la douleur qui avait frappé sa cuisse.
Le tueur reposait, paisiblement allongé dans la neige. Il semblait dormir.
Un doux sourire flottait sur ses lèvres.
Sam prit le corps froid dans ses bras, tremblant.
« Nael… Mais pourquoi ?… murmura-t-il. Pourquoi ?… Tu souris dans la mort comme tu n’avais jamais souri ?… »
Pantin vint s’agenouiller derrière Sam, passa ses bras autour de ses épaules et murmura :
« Il le fallait, Sam.
– Qu’est-ce que tu dis… ?
– Je t’expliquerai, mon amour.
– Il est mort seul…
– Oh non… Je suis sûr qu’elle était là…
– Qui, “elle” ?…
– Sandra. Sa femme.
– Mais… »
Sam se tourna vers son amant :
« … Elle est morte ?… C’est bien ce que tu as dit… ? Ses cendres… »
Pantin essuya tendrement les larmes de son maître :
« Regarde, il sourit. Il est heureux. »

 

Chapitre 38 :

Quelques heures plus tard, dans les locaux de la DST, un médecin examinait Sam. Pantin n’était pas loin.

« Je ne vois rien de plus à faire… dit le docteur après une prise de sang, à la fin de son examen. Votre ami vous a très bien soigné. On vous dira les résultats… Continuez bien les médicaments une semaine, surveillez la blessure, joignez-nous s’il y a le moindre souci, mais à mon avis, si vous vous tenez tranquille, ça ira.

– Merci, doc’. » murmura Sam, avant de renfiler le t-shirt et le pull que Pantin lui tendait.

Le jeune homme l’aida ensuite à finir de s’habiller. Puis, ils saluèrent le médecin et sortirent. Les couloirs étaient assez calmes. Une secrétaire vint apporter une enveloppe à Sam :

« Lieutenant, on a trouvé ça dans la poche du mort, dit-elle. C’était pour vous. »

Sam la prit, un peu hésitant, et la tourna dans ses mains. Pantin demanda à la femme :

« Ils en sont où, avec le corps ?

– L’empoisonnement a été confirmé par les premières analyses. Les médecins-légistes se demandent si ça vaut le coup de faire une autopsie complète, vu qu’il n’y a aucune trace externe. Ils attendent de voir ce qu’ils en disent au-dessus…

– D’accord. Merci. »

Sam s’assit sur un banc, dans le couloir. Pantin s’assit à côté, en passant ses bras autour de lui. Un petit sourire passa sur les lèvres de Sam. Il ouvrit l’enveloppe, déplia les feuilles et passa un bras autour de la taille de son jeune amant.

« Pour Samuel, le seul ami que la vie m’ait donné.

Lorsque tu liras ces lignes, je serai mort. Encore une fois, je te demande pardon, car je sais que tu vas avoir très mal. Mais je n’avais pas le choix. Je sais que tu penses le contraire. Tu te trompes. Je compte sur ton petit ange pour t’expliquer pourquoi.

Sache juste que je meure heureux, et que si tu m’as donné la force de vivre un peu plus, tu m’as aussi et surtout donné celle de mourir. Il y avait bien trop longtemps que je n’avais plus ces forces. Merci, mon ami. Tu m’as donné le courage de mourir, de quitter cette vie que je ne vivais plus depuis près de 25 ans.

Remercie aussi ton petit Pantin. Il n’est pas pour rien dans cette force, lui non plus.

Veille bien sur lui, Sam. Ne le laisse pas. Donne-lui tout le bonheur que je n’ai pas eu. Sinon, il perdra son âme comme j’ai perdu la mienne. Et c’est pour la sauver que je t’ai sauvé. Pour qu’elle ne s’envole pas comme la mienne s’est envolée.

Je deviens lyrique… Il est donc temps que je te laisse.

J’ai une dernière chose à te demander. Je voudrais que tu préviennes mes parents et mon frère. Tu trouveras leur numéro dans mon calepin, qu’Anna a certainement pris avant de partir de chez moi.

Je vous demande juste de ne pas leur dire ce que j’étais devenu. Épargnez-leur cette souffrance.

Dernière chose, je souhaite que vous brûliez mon corps et que vous mêliez mes cendres à celles de Sandra, que ton Pantin garde surement avec grand soin. Libre à vous de les garder ou de les disperser… Laissez-moi juste ne faire plus qu’un avec elle. Laissez la mort nous unir, puisque la vie n’a pas pu le faire.

Voilà. Je crois n’avoir rien oublié.

Merci, encore une fois, pour tout.

Au revoir, mon ami.

                           Nathanael Giuffrida »

Sam soupira, replia le papier, et regarda son jeune amant. Pantin avait lu par-dessus son épaule. Il était très ému.

« Tu peux peut-être m’expliquer, maintenant ?

– Oui, mon amour. »

Pantin embrassa doucement la joue de Sam. Il caressa ses cheveux, et commença :

« Nael m’a raconté, l’autre soir. »

L’arrivée inopinée d’Enzo et Anna l’interrompit. Sam se leva péniblement. La fatigue le rattrapait. Anna lui fit la bise. Enzo et Pantin s’étreignirent. Puis Enzo lui mit sa peluche dans les mains :

« Tiens, tu l’avais oubliée.

– Oh, merci ! »

Anna regarda Sam.

« Ça va ? demanda-t-elle.

– On fera pour, répondit Sam. Et toi ?

– Ça va… j’ai un peu de mal à réaliser ce qu’il a fait pour nous sauver…

– Quoi ? demanda Pantin.

– Vous ne savez pas ? continua la jeune femme. La fête de Picandet s’est terminée par un gros feu d’artifice… Nael avait mis des bombes dans toute la maison. On a repêché 37 cadavres.

– C’est vrai ? balbutia Sam, atterré.

– Ça va, Enzo ? » s’inquiéta Pantin.

Le fils de Picandet haussa les épaules.

« Ouais… fit-il. Ça va. Je crois que je n’aimais pas beaucoup mon père. »

Il y eut un silence. Pantin tapota le bras de son ami, navré. Sam fit la moue et reprit pour Anna :

« C’était toi, la taupe de la DGSE ?

– Eh oui !

– Beau boulot. Tu as le calepin de Nael ?

– Oui ?

– Passe-le-moi, s’il te plaît. »

Elle obéit, intriguée. Il le feuilleta.

« Ils sont là… murmura-t-il. II faudra les appeler…

– Appeler qui, Lieutenant ? » demanda Boudet, qui venait vers eux.

Sam le regarda :

« La famille de Nael.

– Rien ne presse, vous pourrez le faire tout à l’heure. Venez, tous les quatre. Le colonel Rondat et moi-même aimerions bien avoir tous les détails de cette histoire. »

 

Chapitre 39 :

Ils suivirent le petit homme jusqu’à son bureau, où les attendait le supérieur d’Anna. Les présentations faites, ils s’assirent.

« Vous avez vos papiers, “Pantin” ? demanda Boudet.

– Non, répondit le jeune homme.

– Qui êtes-vous ?

– Le compagnon de Sam. Et rien d’autre.

– Qui est-ce, Lieutenant ? soupira Boudet.

– Mon amant, répondit Sam en rigolant presque. Moi non plus, je n’en sais pas plus. Je l’ai ramassé au bord de la route, il y a quatre ans, en gros. »

Sam prit la main de son jeune amoureux qui lui sourit.

« Vous n’avez pas fait de recherche ? insista Boudet. Vous auriez pu, ici.

– J’aurais pu, reconnut Sam.

– Mais vous ne l’avez pas fait.

– Je ne l’ai pas fait.

– Pourquoi ?

– Parce que vous l’auriez su et je n’avais pas envie. Et puis, comme il ne devait rien savoir de moi, je ne voyais pas de raison de savoir quelque chose de lui. »

Il y eut un silence. Puis Boudet déclara avec plus d’humeur que de fermeté :

« Comptez sur nous pour les faire, ces recherches.

– Pourquoi faire… grogna Pantin. Je suis majeur.

– Vous avez quatre cadavres sur la conscience, jeune homme ! répliqua le colonel.

– Qui vous a dit que c’était moi ? rétorqua le garçon en fronçant les sourcils.

– Qui d’autre ?

– C’était Nael… » intervint Enzo.

Il mentit avec une facilité déconcertante :

« … Ça faisait partie de son plan pour déstabiliser mon père… »

Ni Anna, ni Sam ne le contredirent. Boudet fit la moue, pas convaincu, et il soupira :

« Nous chercherons quand même qui vous êtes.

– Pouvons-nous passer à l’affaire qui nous intéresse ? » intervint Rondat.

Tour à tour, Anna, Sam, Enzo et Pantin racontèrent ce qui s’était passé, en omettant soigneusement les crimes de Pantin. Boudet et Rondat étaient le premier surpris, le second sceptique.

« Ça m’étonne beaucoup d’un homme comme Giuffrida. Vous le décrivez comme un sauveur… C’était un criminel ! s’exclama le supérieur d’Anna.

– C’était un homme droit et un homme de parole, déclara posément Sam.

– On voit bien que vous ne l’avez pas connu. » ajouta Anna.

Enzo et Pantin opinèrent.

« Et puis, pourquoi s’est-il suicidé ? reprit Rondat.

– Il n’a fait que tuer son corps, dit doucement Pantin. Son âme était morte depuis très longtemps. »

Sam regarda son Pantin.

« Tu vas enfin t’expliquer ? »

Pantin lui sourit tendrement et opina. Il raconta pudiquement ce que Nael lui avait avoué : son amour pour une morte.

« Nael est mort pour la rejoindre, dit encore le garçon. Il a préféré ça à finir sa vie en prison pour tout ce qu’il a fait, et qu’il a essayé de racheter comme il a pu en nous sauvant tous les quatre.

– En éliminant Picandet et son état-major… acheva Rondat. Ma foi, ça se tient… Et que faisons-nous, maintenant ?

– Picandet est mort, dit Anna. Son clan est exsangue, et les étrangers aussi. Vous vouliez vous en débarrasser, il ne reste que quelques miettes à balayer.

– Certes, reconnut Boudet. Pas comme nous l’avions prévu, mais c’est fait. Comment voyez-vous la suite des évènements, tous les quatre ?

– Je prendrais bien des vacances… fit Sam en s’étirant. Ça fait super longtemps que je n’ai pas vu mes parents… Et mon crétin de frangin… J’irais bien passer Noël avec eux… Ça te dit, Pantin ?

– Comme tu voudras, répondit le garçon.

– Ouais, ‘prendrais bien des vacances aussi, dit Anna. Enzo ?…

– Bien sûr… Mais pas trop, hein, j’ai mes partiels… »

Anna rigola et embrassa son jeune amant.

« On va voir ça ! » dit-elle.

Les deux colonels échangèrent un regard entendu.

« Vous les avez bien méritées, approuva Rondat.

– Oui, dit Boudet. Affaire classée. »

Sam se gratta la tête. Il demanda s’il pouvait joindre les parents de Nael. Boudet lui tendit son téléphone.

Sam tomba sur de braves gens, à l’accent espagnol très prononcé. Il mit le haut-parleur pour que tous puissent entendre. Il leur expliqua pudiquement le motif de son appel. Ils furent visiblement très émus. Ils expliquèrent qu’ils n’avaient pas vu leur grand fils depuis près de vingt ans, mais il n’avait jamais cessé de leur écrire et de leur envoyer de l’argent. Ils allaient venir au plus vite. Ils vivaient à Bordeaux. Ils seraient sûrement là dans la journée du lendemain. Samuel leur donna l’adresse du funérarium où allait être emmené le corps. Puis, il leur dit qu’il serait là, le lendemain. Ils le remercièrent avec chaleur.

Il raccrocha avec un gros soupire et rendit le téléphone à son chef. Pantin prit sa main.

« Nael souhaitait qu’ils ne sachent pas ce qu’il était devenu, dit Sam.

– Comptez sur notre discrétion, le rassura Boudet.

– Merci.

– Et rentrez vous reposer, continua le colonel. Vous devez être en forme pour demain.

– À vos ordres, Colonel… » répondit Sam avec un sourire.

 

Chapitre 40 :

Les deux amants restèrent sur Lyon. Ils allaient passer la nuit dans le petit appartement de Sam.

Ce dernier mangea, puis alla se coucher. Pantin prit une bonne douche avant d’aller s’allonger dans ses bras.

« Comment te sens-tu, Sam ? demanda-t-il doucement.

– Épuisé, mais bien… Nael est en paix, et tu es près de moi. Que demander de plus… ? »

Ils s’enlacèrent et échangèrent un long baiser.

« Pantin ?

– Oui, mon âme ?

– Ton âme ?… N’exagère pas. Je voulais juste te dire… Qui que tu sois, parce qu’ils trouveront… Ça ne changera rien. »

Pantin sourit et répondit :

« Je suis pour toujours ton Pantin. L’autre est mort sous la neige. Moi, je suis né de tes mains.

– De mes caresses ?

– Et de ton amour.

– Et qu’est-ce que tu feras quand je serai vieux, moche et impuissant ?

– Tu ne seras jamais assez vieux, moche et impuissant pour que je cesse de t’aimer.

– C’est gentil. »

Ils s’embrassèrent encore.

« Tu es heureux, Sam ?

– Oui, et toi ?

– Oui. Parce que tu l’es. »

 

FIN.

(184 commentaires)

  1. Alors que dire de nouveau ?… bin rien en fait XD

    Très sympa comme histoire, j’aime beaucoup ^^ Comme d’habitude tu manies plutôt bien les intrigues policières et j’aime ton style !

    Un peu triste pour Nael mais petites questions : pourquoi Sam ne fait aucun commentaire à Pantin sur la peluche ? Et est-ce que les chefs vont trouver l’identité de Pantin et prévenir ses parents ? Tu pourrais pas faire un epilogue pour raconter tout ça ? XD

    1. @Armelle : Merci, j’étais pas très contente de moi à l’époque, mais ça reste un truc sympa.

      Sinon : Aucune idée, oui sûrement mais Pantin va les envoyer chier, et non pas d’épilogue prévu.

  2. On a droit à une fin toute mignonne qui clôt l’histoire tout en douceur, que demander de plus? 🙂
    Pour faire un tit bilan de cette histoire, et de ce que j’en ai pensé, je dirais que j’ai bien aimé! Ce n’est pas la meilleure que j’ai lu sur ce site, j’ai parfois eu du mal à ressentir l’action, et le style n’est pas le même que maintenant, mais je ne pense pas qu’il soit utile de souligner tout les défauts, du fait que dans les romans qui suivent, ils sont largement corrigés (Je pense notamment au Mome d’Alger qui m’a vraiment marquée et que j’ai adoré.)
    Sinon, les personnages étaient vraiment divers, attachants, intriguant et intéressants, et j’ai aimé l’histoire de Pantin autant que celle de Nael. Tu avais, même à l’époque, un style agréable qui donne envie de continuer à lire, sans voir le temps passer, l’histoire est bien trouvée, en bref, j’ai passé un bon moment chaque week-end.

    Sur ce, j’ai hâte de voir ce qui va suivre!

    Bonne semaine ^^

    1. @Leloir : Merci beaucoup 🙂 ! Oui, ce texte est vieux et pas exempt de défauts, et franchement, il reste très loin de ce que j’avais en tête à l’époque… ais bon, finalement ça se lit.

      Merci beaucoup d’avoir suivi et accroche-toi car sur le prochain, on revient en 1996/1997… ^^

      Bonne semaine 🙂 !

    1. @Amakay : Ben il me reste un truc, ouais… Après euh, on verra, le petit conte hétéro ou de l’impro… ^^ Bonne semaine, bizoux !

  3. Merci pour ce chapitre supplémentaire! Comme a chaque fois, c’est un bon moment à passer, avant de reprendre les cours 🙂 La mort de Nael est définitivement toujours plus touchante, avec ce petit mot qu’il laisse à Sam.
    Bonne semaine ^^

  4. J’ai trouve la reaction de Sam face a Nael tout aussi emouvante que la mort de ce dernier 🙂 Maintenant, reste plus qu’a voir comment l’histoire va se conclure!

    1. @Leloir : Moui, ben c’était quand même vraiment devenu son ami… Là il reste 3 chapitres, mais vu comme le dernier est court, je ferais pitêtre un combo…

      Bonne semaine et merci de me suivre ! 🙂

        1. @Leloir : Ben j’ai une vieille histoire d’anges et de démons… Un espèce de conte pas yaoi… et deux trucs vraiment pas ressortables ^^’ !!

  5. Bonne et heureuse année ma bibiche, une bonne santé et tout ce qui peut te faire envie pour cette année 2016. Sniff sniff pour Nael mais sera plus heureux là où il est… avec sa petite chérie.

    1. @Amakay : Bonannée 🙂 !!!! Tout plein de bonheur et d’amûr pour toi et tous ceux que tu aimes 🙂 !!! Et oui, t’en fais pas pour lui, il est bien mieux là qu’en prison à vie… 🙂

  6. Une jolie fin pour Nael, même si ça serre un peu le cœur de le voir mourir, on s’y accroche au fil de l’histoire 🙂
    Au passage, bonne année!

    1. @Leloir : Oui, c’était un peu la seule issue pour lui, mais bon, au moins il retrouve sa chérie 🙂 ! Bonnannée à toi !!!

  7. Intéressante, l’histoire de Pantin! Comme celle de la plus part de tes personnes, pour ce que j’en ai vu 🙂 On comprend mieux sa relation vis à vis de Sam.
    Reste à voir comment tout ça va se finir!

    1. @Leloir : Oui, il est bien atteint ce petit, mais ça se tient, vu son histoire. Et comment ça va se finir, bé, tu verras ! 🙂 Bonne semaine 🙂 !

    1. @Amakay : Eh si ! Toutes les bonnes choses ont une fin 😉 !! Mais y en a encore un peu, t’en fais pas. Tu vas avoir le temps de te préparer psychologiquement. Bizoux bonne semaine !

  8. Plus ça avance, plus on veut en savoir sur Pantin :3 Et j’avoue avoir trouvé sa conversation avec Enzo particulièrement amusante, au vu des grosses différences entre les deux.
    Bonne continuation 🙂

    1. @Leloir : Oui, les deux jeunes gens n’ont pas tout à fait le même vécu, on va dire ^^ ! Et oui, oui, vous en saurez plus sur Pantin. ^^
      Merci et à bientôt 🙂 !

  9. Chouette, Pantin est de retour même si la surprise d’Halloween qui ne faisait pas peur était très bien aussi.
    Ne me dis pas que Pantin est le fils de Joël??????
    Bonne semaine

  10. Salut merci pour ce chapitre 29 mais j’ai un peu de mal avec cette phrase : ” Je mets les dernières PLACES en place sur mon échiquier. Ce soir, je fais échec et mat à Picandet.” c’est pas plutôt pièces ?
    et ici “Je vous. Et vous, Enzo ?” ce n’est pas plutôt je vois, désolé je suis chiante, mais ça ma fait arrêter ma lecture pour relire, tes pensées dépassait tes doigts hihi

    En saurons-nous davantage sur Pantin ? Son vrai prénom, sa famille, sa vie ????

    Vite la suite, une semaine de torture d’esprit !

    1. @Pouika : Eh ben mam’zelle on doublonne ? ^^

      Oui, effectivement, j’ai tapé ça un peu vite hier désolée… 🙂 Merci de ton attention et oui, tu en sauras plus. Pas tout, mais plus. ^^Bonne semaine !

  11. Salut merci pour ce chapitre 29 mais j’ai un peu de mal avec cettephrase : ” Je mets les dernières PLACES en place sur mon échiquier. Ce soir, je fais échec et mat à Picandet.” c’est pas plutôt pièces ?

    En saurons-nous davantage sur Pantin ? Son vrai prénom, sa famille, sa vie ????

    Vite la suite, une semaine de torture d’esprit !

  12. Ça va lui faire tout drôle à Picandet, quand Nael va se rebiffer pour sauver Sam :3
    Sinon, comme à chaque fois, j’aime et j’attends la suite! 🙂

  13. Merci pour ce chapitre 27 !!! L’histoire de Nael lui correspond, je trépigne d’impatience de découvrir celle de Pantin, par contre quand Nael dit 4 : c’est Sam, Pantin, Enzo et Anna ?

  14. Et de un, maintenant on attend l’histoire de pantin! J’ai bien aimé celle de Nael, elle correspond au personnage, je trouve ^^.
    Bonne semaine 🙂

  15. Me revoici de retour après une trop longue absence. Bien bien cette suite, on attend l’épilogue…. heureux j’espère.

    Bizbiz et bonne semaine

      1. Oui, oui, j’ai repris mes études tout en bossant alors ça me prends beaucoup de temps, j’en avais délaissé ma Ninou chérie et tout ces petits bishonens sniff!!

      1. pas de problème hihi ! j’en fait aussi des erreurs, mais là j’ai un peu bugé en lisant par ce que je pensais à tumblr , du coup je me suis dis s’assoir sur un site internet, ?! et après j’ai compris

  16. Bonsoir 🙂

    Ca fait un moment que je suis tes histoires – presque un an en fait – et j’ai vraiment envie de te donner mon avis dessus! Pour l’instant, Pantin me plait beaucoup, on a envie d’en savoir plus sur l’histoire des personnages et sur ce qui va se passer. Et puis ils sont attachant ^^
    Les revelations sur Nael sont intrigantes, vivement les prochains chapitres!

    1. @Leloir : Bonjour, bonsoir, ou comme tu veux selon l’heure où tu liras ma réponse.
      Merci beaucoup de me suivre et aussi de me donner ton avis, c’est sympa. 🙂 Pantin est une histoire qui date de 2000, mais j’avoue qu’à la reprendre, je la trouve moins pire que ce dont je me souvenais ^^’. J’aime bien ces persos aussi, et toute la base de cette histoire était justement leur rencontre et leurs histoires, surtout Nael et Pantin. Merci de suivre en tout cas, et à bientôt :3 !

  17. J’adore la réplique de Nael “tuer 30 monstres pour en sauver 4, dont un complètement fou, c’est ok ?”
    hihi pauvre Nael et Sandra, c’est qui une fiancée, une soeur, une amie ???

    1. @Pouika : Oui je m’étais bien fait rire en l’écrivant et aussi en la retapant celle-là. POur ce qui est de ta question, réponse dans deux chapitre :p ! ^^

  18. Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin ! Pantin !

    Commentaire inutile mais encourageant !!!!

  19. Non !!!!
    tu ne t’appelles pas Ninou ni Cyrico mais bon sadique, tortionnaire , tortureuse (je suis pas sur que ça existe … SI et c’est de la frustration !!!!)

    enfin merci pour cette rencontre spectaculaire tout de même !

  20. Je m’en doutais pour anna , son arrivée coïncidait, mais où est donc Pantin !!!! A quand la rencontre Pantin /Nael / Anna !!!! Tu me rend chèvre beeeehhhh ! (après la vache et la chèvre , dans le prochain message hihi)

  21. intéressant ce chapitre 20, pressée de voir la rencontre de Nael et Pantin !!!

    Petites questions (qui peut être simplement (au minimum) par oui ou non,
    en saurons-nous davantage sur le passé :
    – de Pantin ?
    – et de Nael ?

  22. Je comprend mieux pourquoi il y a le 19 et le 20 ! il est vachement (meuuuh) court le 19, mais permet de comprendre un petit peu Pantin (il est un peu bizarre quand m^me : tiens et si j’allais tuer de très très très… dangereux criminel, moi pauvre pantin ……)

    enfin je file lire le 20 !

          1. Oh une vache ?! (hihi) désolé trop tenantant > mais bon j’ai une bonne excuse, tu m’as tendue la perche alors …

    1. @Amakay : Désolée, pas de yaoi entre Sam et Nael (je sais que les chaines et tout ça peut en faire fantasmer, mais ‘faut pas abuser). ^^

      1. pas de problème, j’attends toujours avec impatience la fin le week end pour te lire ! J’adore tes idées et otn style (le mien étant trop brouillon)

  23. non, trop court, la suite la suite, je ne pourrais jamais attendre une seconde de plus, alors une semaine !!!! ouin tortionnaire, sadique !!!!

      1. ouf, étant très pessimiste et avec ce qui arrive à la maison, je me suis fais des films, t’en fais pas, du moment que tu vas bien prend ton temps et concentre toi sur ta vie, d’accord ?

      1. MErci pour ce chapitre 7, et les fesses à l’air avec le petit ozieau qui dit bonjour ! hihi A la semaine prochaine certaienement!!!

  24. J’adore “la voie douce du tueur” un peu bizarre et hilarant à la fois

    par contre DST ? ça signifie quoi ?

    oh encore des calinous, dis donc ils savent que leur langues sert aussi et surtout à parler avec de découvrir bucalement celle de l’autre ?! hihi

    MErci pour ce chapitre 6 !

    1. @Pouika : J’aime bien l’idée du tueur très doux.

      DST : Direction de la Surveillance du Territoire, un ancien service d’espionnage français. je crois qu’il n’existe plus ou qu’il a pris un autre nom.

      Sinon, comme je disais, ça se met à causer dans le chapitre 7.

      Bonne semaine !

      1. chapitre 7 ???
        *réfléchit intensément *boum*> explosion du cerveau

        … euh encore deux chapitres pour connaitre son petit nom ouin !!!!!

  25. Ah ben celle là je m’y attendais pas, je me doutais que c’était un gros méchant tout vilain mais delà à avoir un gentil…. bien !

    bonne semaine

  26. OHHHH J’ai eu 2 chapitres en rentrant chouette !!!!!! Un tueur qui fait des câlins avec des minous et des minets…… trop mignon !

  27. ça commence à se préciser (et merci pour tes précisions (et désolé pour cette répition( et pardon pour les parenthèses dans les parenthèse, bref excuse moi, je dois te paraitre folle)))

    1. @Pouika : Hi hi hi pas de souci ^^ ! N’hésite pas s’il y a d’autres choses qui ne te paraissent pas claires !

    1. @Pouika : De rien et euh oups… En résumé l’homme qui a recueilli le garçon s’appelle Sam, travaille comme assistant pour un tueur de la mafia qui s’appelle Nael, qui travaille lui pour un caïd, Picandet, qui a un petit frère qui s’appelle Joel.Je crois que c’est à peu près ça… :p

        1. @Pouika : Fred est un homme de main lambda qui gardait la porte ce jour-là. ^^ te casse pas la tête, chuis même pas sûre qu’on le revoit…

  28. Coucou,

    Ce petit couple attire ma curiosité… Vivement le prochain chapitre. Chapitre que je devrais attendre un peu car je pars en vacances la semaine prochaine. Direction le lac d’Annecy pour une semaine de verdure et de repos. Snif mes cheris prenez bien soin de maman Ninou…

    biz

    1. @Amakay : Merci, en espérant que la suite te plaise aussi…
      Sinon ben cool pour toi, repose-toi bien, il parait que c’est joli. ^^
      Et t’en fais pas on tiendra bon ^^ !!! Biz !

  29. un second chapitre tout aussi intéressant, mais j’ai quelques petites remarques négatives:
    – pas un échange “oral” > ups je veux dire de parole hein, on c’est bien compris hihi, parce que oralement et sexuellement c’est vu
    – et les lemons (j’adore ça c’est pas le problème), mais le pourquoi du comment ..

    D’ailleurs, tu sais combien de chapitre tu feras (ou as) ?

    1. @Pouika : Coucou ! Alors, les dialogues, ça va venir, mais là de fait, ils ne disent effectivement rien ^^’ ! Pour ce qui est des lemons, oui ça commence fort, mais l’histoire commence bientôt et ça va se calmer et raconter des trucs plus intéressants… :p

      J’ai 39 chapitres sur cette histoire, si j’en crois mon cahier. ^^

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