Petite histoire dans la grande (Théâtre – Complet)

Voici une pièce de théâtre en cinq actes que j’ai écrite au tout début des années 2000, pour un comédien que j’ai connu à ce moment-là et que j’ai perdu de vue depuis, ce qui fait que cette pièce n’a jamais été montée. Si ça dit quelqu’un, faites-moi signe.

Le version que je vais mettre ici est la dernière, celle de 2002.

L’action se passe pendant la Seconde Guerre Mondiale. Davyd, un jeune résistant est l’amant de Pascalys, qu’on dit plutôt collabo…

Cette pièce est dédiée à Heinz Heger et à tous les Hommes au Triangle Rose.

 

Petite Histoire dans la grande

Personnages

Davyd, résistant, environ 25 ans.

Irène, soeur de Davyd, 21 ans.

Yves, père de Davyd et d’Irène, ancien de Verdun: il boite.

Mariette, mère de Davyd et d’Irène, polyglotte.

Pascalys, amant de Davyd, 21 ans.

Friedrich, déserteur allemand, environ 25 ans.

Claude, chef du réseau.

Martin, ArmandJoëlle, résistants.

Mr Martel, père de Pascalys, collaborationniste.

Mme Martel, mère de Pascalys.

Charles Gandier, chef des réseaux.

Père Félix, curé du village.

Eloïne, petite Juive, environ 6-7 ans.

John et Alan, soldats américains.

Louise, femme de Martin.

Maître Verny, vieux notaire.

Gérard, un gendarme.

Quelques villageois.

Le facteur. 

Incipit

La pièce commence en 1942. L’action se déroule dans un village de la région lyonnaise, dans le café d’Yves, le père de Davyd et d’Irène.

 

Acte I

(L’intérieur du bar. La pendule indique 6 h 50. Les rideaux sont fermés.

            Davyd entrouvre la porte de sa chambre, regarde s’il n’y a personne, inquiet, puis sort, pieds et torse nus, regarde encore, et fait signe derrière lui.)

            Davyd : Venez, c’est bon…

(Pascalys, parfaitement habillé, et très bien, sort en rigolant.)

            Pascalys : Vous voyez bien que vous aviez tort de vous en faire…

            Davyd (inquiet) : Oui, mais ils ne vont plus tarder !… Filez vite !

            Pascalys (insouciant) : Ils bougent quand ?…

            Davyd (inquiet) : Vers 7h, allez-y…

            Pascalys (insouciant) : Alors, nous avons bien le temps…

            Davyd (inquiet) : Non, partez !… Ils vont arriver…

            Pascalys (joueur) : Embrassez-moi d’abord.

            Davyd (suppliant) : Pascalys, bon sang !

            Pascalys (sensuel) : Embrassez-moi, Davyd.

(Davyd soupire, obéit en essayant de faire vite, mais Pascalys lui saute au cou et prolonge profondément la chose. Ils s’écartent.)

            Davyd (tendre) : Vous êtes fou…

(Irène arrive d’en haut. Elle sursaute, sourit, et descend vite en s’écriant vivement 🙂

            Irène : Qu’est-ce que vous faites, vous deux ?!… Ça va pas la tête ?… Papa et maman seront là dans une seconde !…

(Pascalys fouille ses poches.)

            Pascalys (amusé) : Zut, j’ai perdu mes clés…

            Davyd : C’est pas vrai !… (Il prend Pascalys par le bras et l’entraîne vers sa chambre.) Venez, vous avez dû les perdre dans ma chambre.

(Ils y retournent. Irène rigole, passe derrière le comptoir et allume la radio.)

            Radio : … Et nous nous félicitons, aujourd’hui 18 avril 1942, du retour de monsieur Laval au poste de président du Conseil…

            Irène : J’aime mieux Radio Londres. Avec leurs messages codés, ils sont beaucoup plus rigolos.

(Mariette arrive d’en haut.)

            Mariette : Éteins ça, Irène ! Tu sais bien que ça énerve ton père !

(Irène rigole encore et éteint la radio.)

            Mariette : Davyd dort encore ?

            Irène : Non, non… Il heu… Il est dans sa chambre…

(Pascalys revient en rigolant, suivi par Davyd qui, lui, semble un peu énervé.)

            Pascalys (galant) : Bonjour, madame.

            Mariette (glaciale) : Qu’est-ce que vous faites là, vous ?!

(Pascalys s’approche, baise galamment sa main.)

            Pascalys : Et bien comment dire… J’ai dû m’endormir à la fin de notre petit jeu et je suppose que le bon cœur de Davyd l’a empêché de me réveiller…

            Davyd (le tire vers la porte de la cuisine) : Filez, bon sang ! Mon père sera là dans deux secondes !…Allez !… Partez par le jardin, ce sera plus discret…

(Il entraîne Pascalys dans la cuisine. Yves arrive, il boite.)

            Yves : Bon, au boulot…

(Ils s’activent tous trois, ouvrent le bar. Yves va ouvrir la porte et les rideaux.)

            Yves (content) : Il fait très beau…

(Davyd revient, baille, fatigué, s’étire.)

            Irène : Regardez qui voilà…

            Yves (amusé) : Et bien, Davyd ! En voilà une tenue !

            Davyd (gêné) : Oui, heu… J’étais heu… (Il montre la direction.) Une envie pressante…

            Yves : Tu as encore l’air bien fatigué. Allez, avoue. Jusqu’à quelle heure as-tu joué aux cartes avec le fils Martel ?

Davyd (gêné) : Oh… J’ai franchement pas regardé l’heure… Il heu… Il voulait absolument gagner… Enfin, bon… Tu le connais…

(Irène pouffe. Mariette lui jette un œil noir.)

Yves : Quand même ! Vous pourriez surveiller l’heure !… Il ne fait peut-être rien, mais tu travailles, toi !…

Mariette (sèche) : C’est vrai. Il pourrait faire attention. Lui qui se dit ton ami…

Irène : Voyons maman ! C’est précisément par amitié que Pascalys vient si souvent (Elle sourit à Davyd.) jouer aux cartes avec Davyd !

(Yves sort par la cuisine.)

Mariette (énervée) : Bon sang, Davyd ! Ça va durer encore longtemps ?!

Davyd (soupire) : Oh, tu ne vas pas recommencer !

Mariette : Je ne plaisante pas…

Davyd (grogne) : J’avais compris.

Mariette : … Ça va finir par te faire des problèmes !… Déjà que le réseau voit votre amitié d’un mauvais œil !… S’ils apprenaient…

Davyd (sec) : Quoi ?!… Je sais qu’Armand et Martin détestent Pascalys !… Et alors ?

Mariette : Tu ne te rends pas compte…

Davyd (s’énerve) : Ce dont je me rends compte, c’est que tout le monde s’intéresse à des choses qui ne regardent que moi ! Comme, par exemple, mes parties de cartes avec Pascalys ! … Et que ça m’énerve !… Je vais m’habiller.

(Il va dans sa chambre et claque la porte.)

Irène : Tu l’as fâché.

Mariette : Quand cessera-t-il de réagir comme un enfant !… Se conduire ainsi !… C’est beaucoup trop dangereux !

Irène : Ce n’est pas un bon prétexte.

Mariette (interloquée) : Pardon ?!

Irène : Il y a trois ans que Davyd et Pascalys « jouent aux cartes » et personne ne penserait à mal. Ils sont devenus amis dès que Pascalys est revenu, au début de la guerre. Personne ne se doute de rien.

Mariette (inquiète) : Mais tu te rends compte !…Si ça se savait…!

Irène (ferme) : Il n’y a aucune raison à ça.

            (Quelques clients arrivent. Irène sert au comptoir, Mariette dans la salle. Davyd revient et passe derrière le comptoir, il se sert un café. Arrivent Martin et Armand. Ils s’assoient au comptoir, vers Davyd qui les sert.)

Armand : Pas tant !

(Davyd arrête de verser et bâille.)

Armand : J’vais pas faire du bon boulot, moi, après !

Irène (rigole) : Et voilà !… Armand et Martin viennent boire un coup avant le travail et après hop !… Ils voient leurs pelles en double !

Armand (fâché) : Oh toi, ça va, hein !

Martin : T’as l’air rudement crevé, Davyd… T’as encore joué toute la nuit avec (méprisant) le fils Martel, non ?

Davyd (bâille encore) : Si…

Armand (méprisant aussi) : Ah, tu devrais pas. Ce p’tit bourgeois qui pète plus haut que son cul parce qu’il faisait ses études à Lyon ! Un jour, tu vas trop lui en dire.

Davyd (hausse les épaules) : Je vois pas ce que ça risque.

(Il range la bouteille.)

Martin (toujours méprisant) : Ce que ça risque ?! Tu demandes ce que ça risque d’aller parler à ce sale petit collabo ?!

(Davyd sursaute puis se retourne lentement.)

            Davyd (sourcils froncés) : Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Pascalys n’est pas un collabo !

(Irène s’approche, intriguée et inquiète.)

Armand (sec et méprisant aussi) : Tu rigoles ? Ton copain est un grand ami du chef de la Weimar du village ! La bonne nous a dit que quand le père Martel fait une fête pour ses chers boches, le fils reste des heures à blablater avec le lieutenant ! Et puis il va le voir un peu souvent, depuis qu’ils sont installés à l’auberge !

Martin (toujours pareil) : Ouais. Un peu trop souvent.

Davyd (bonhomme) : Et alors, Martin ? Qu’est-ce que ça prouve ?

(Martin s’apprête à répondre, mais l’entrée tonitruante de Martel l’interrompt. Silence dans le bar.)

Irène (moqueuse) : M. Martel ! Quelle bonne surprise !… Vous désirez boire quelque chose ?

Martel (violent : côté bestial) : Quelqu’un ici peut-il me dire où est mon fils ?!

(Il est très en colère, il vient vers Davyd.)

Martel (même jeu) : Tu l’as pas vu, toi ?!

Davyd (bonhomme) : Ah non…

Martel (grognant presque) : Quoi, il était pas avec toi hier soir ?!

Davyd (idem) : Ah si, mais il est parti dès qu’on a eu fini…

            Martel (même jeu) : À quelle heure ?!

Davyd (même jeu aussi) : Ah ça, je sais pas…

Martel (idem) : Te fous pas de moi ! Et puis laisse mon fils tranquille !… J’en ai assez de le voir traîner avec des communistes, c’est clair ?!

Irène (ironique) : C’est vrai que les gens qui récupèrent les biens des Juifs pour trois francs sont beaucoup plus fréquentables.

Martel (criant) : Ça veut dire quoi, ça ?!

Irène (même jeu) : Vous croyez vraiment qu’on ne sait pas comment vous l’avez acquise, la librairie de la Rue Chaude.

Martel (vociférant) : Ah, mais je ne vais pas me laisser insulter par une petite traîtresse à la Patrie !

Davyd (fâché) : Qui est quoi ?!

Martin (fâché aussi) : Non, mais pour qui il se prend, celui-là ?

Armand (fâché aussi) : C’est pas un bourgeois décadent qui va nous insulter !

Davyd (calme et ferme) : À votre place, je ne ferais pas trop le malin ici, Martel. Vous êtes… Comment dire…

Irène (douce et ferme) : En très nette infériorité. Pas vrai, vous autres ?

Les autres (fâchés) : Ouais !

(Martel recule vers la porte.)

Martel : ‘Croyez pas que vous allez vous en tirer comme ça !

(Il sort en claquant la porte.)

Irène : Les portes claquent beaucoup, ce matin…

(Davyd rigole.)

Mariette : Faites attention, les enfants ! Martel a des relations !… Il pourrait nous faire des problèmes !

(Joëlle entre, elle se précipite vers Davyd, Martin et Armand, très émue.)

Joëlle : Dieu merci, vous êtes là !… Vous savez la nouvelle ?

Armand (peur) : Staline est mort ?!

Joëlle : Non !… Ah, toi et ta Russie !

Armand : Quoi, moi et ma Russie ?!

Davyd : Oh, vous vous disputerez plus tard ! Qu’est-ce qui se passe, Joëlle ?

            Joëlle : Les Juifs du moulin !

Davyd (inquiet) : Quoi ?

Joëlle : Ils les ont arrêtés hier soir !

(Stupeur générale.)

            Martin (en jetant un regard lourd de significations à Davyd, dit comme une évidence) : Et voilà !

Davyd (sec) : Quoi « et voilà » ?

Martin : Voilà ce que c’est de faire confiance au fils Martel !

Davyd (même jeu) : Comment ça ?

Martin : Il savait que les Juifs étaient au moulin, pas vrai ?

Irène (rigole presque) : Arrête, Martin ! Tout le monde le savait !

Martin : Peut-être ! Mais moi j’ai vu Pascalys entrer chez le lieutenant, hier après-midi !

Davyd (glacial) : Qu’est-ce que ça prouve ?

Martin (fier de sa logique) : Que c’est lui qui les a balancés !

Davyd (énervé) : Mais ça n’a aucun sens ! Il le savait depuis le début ! Pourquoi il les aurait balancés hier !

(Pascalys entre, accompagné du père Félix.)

Martin : C’est le genre de petit cadeau qui entretient l’amitié !

Pascalys (s’approchant avec le père) : Bonjour, Davyd ! Comment allez-vous, mon ami ?… Pas trop épuisé après notre long combat de cette nuit ?

(Ils se serrent la main.)

Davyd (gentil) : Ca va, et vous-même ?

Pascalys : Ça va, je vous remercie.

(Il voit le regard noir de Martin et d’Armand.)

            Pascalys (les regarde, leur sourit, aimable) : Messieurs ? Vous vouliez me dire quelque chose?

Martin (inquisiteur) : Qu’est-ce vous êtes allé faire chez le lieutenant, hier ?

Pascalys (calme) : Pas grand-chose… Pourquoi ?

Martin (idem) : Les Juifs du moulin ont été arrêtés, hier soir.

(Pascalys le regarde un moment, comprend, puis sourit tristement.)

Pascalys : Je ramenais au lieutenant un livre qu’il m’avait prêté.

Armand (sec) : Z’avez pas l’air surpris.

(Pascalys le regarde, calme.)

Pascalys : Par l’arrestation des Juifs ? J’étais au courant. Lorsque je suis arrivé à l’auberge, le lieutenant partait pour les arrêter.

(Il soupire, triste.)

            Davyd (tapote l’épaule de Pascalys) : Vous n’avez donc rien à vous reprocher.

(Pascalys lui sourit, triste.)

            Martin (méprisant) : Parce que tu le crois ?

Irène : Toi non, on dirait.

Père Félix (sentencieux) : Il est pêché d’accuser un innocent.

Martin (sec) : Qu’est-ce qui vous permet de dire qu’il est innocent ?

Père Félix : Je sais qui est coupable.

(Stupeur. Un silence.)

Davyd (pressant) : Vraiment ? Qui est-ce ?

Père Félix : Je ne puis le dire. Je suis tenu par le secret de la confession. Il est inviolable. Mais je peux vous assurer que ce n’est pas le jeune Martel.

Armand : Je ne vous crois pas ! Une fois de plus, un curé protège un bourgeois, c’est tout !

Père Félix : Oh, je sais ce que vous et vos amis communistes pensez de moi, Armand. Je dis la vérité, mais si vous ne voulez pas me croire…

Armand (énervé) Je vous croirai le jour où vous jurerez sur Marx !

Pascalys (doucement moqueur) : Vous me croiriez si je vous jurais que j’étais innocent sur Marx et Lénine, Armand ?

(Il lui sourit, moqueur ni méprisant, ni méchant. Armand le foudroie du regard.)

Armand (sec) : Je ne croirai jamais quelqu’un qui fait ami-ami avec les boches !

Pascalys (toujours très doux) : C’est donc un crime pour vous d’avoir une relation amicale avec un homme intelligent, cultivé, sans ami loin de son foyer ?

Martin : C’est un boche !

Pascalys (les regarde tous les deux, même jeu) C’est aussi quelqu’un qui connaît par cœur le Contrat social de Rousseau et les Pensées de Pascal… Et en français…

Davyd : C’est de cela que vous parlez quand vous parlez des heures avec lui ?

Pascalys (regarde Davyd et lui sourit) : Entre autres choses, mon ami… Nous parlons de Kant, de Nietzsche et d’Hegel, aussi… Je suis la seule personne ici à parler correctement allemand, à part votre mère, notre chère Alsacienne patriote, si patriote qu’elle ne leur adresse pas la parole… C’est surtout cela qui l’a attaché à moi, ce pauvre lieutenant, je suppose…

Davyd (souriant) : C’est vrai que ce n’est pas avec nous que vous pouvez avoir ce genre de discussions.

Pascalys (lui sourit aussi) : Il ne tiendrait qu’à vous que ça change, mon ami.

Mariette (sèche) : Mon patriotisme vous amuse, Pascalys ?

Pascalys : Grand dieu, non, madame ! Au contraire, il vous honore !

Martin (à Pascalys) : Vous jouez, aussi ?

Pascalys (sourire évasif) : Ça nous arrive.

(Irène et Davyd échangent un regard inquiet. Irène s’approche, Davyd garde son regard inquiet.)

Irène (l’air de ne pas y toucher) : Et à quoi jouez-vous avec ce lieutenant ?… (insiste) Aux cartes ?

Pascalys : Ça nous arrive…

(Il regarde Davyd et reprend 🙂

            Pascalys : Mais il n’y joue pas aussi bien que vous, mon ami… Nous jouons surtout aux échecs.

(Davyd regarde Pascalys sans répondre, il a toujours l’air inquiet.)

Pascalys (hésite, puis 🙂 : Personne ne joue mieux aux cartes que vous, soyez-en sûr.

(Entrée tonitruante de Martel.)

Martel (voit Pascalys) : Ah te voilà toi !

Pascalys (joyeusement) : Bonjour, père ! Comment allez-vous ?

Martel (énervé) : Où as-tu passé la nuit ?!

Pascalys : Et bien… Je l’ai commencé à jouer aux cartes avec Davyd, je l’ai continuée dans mon lit et puis voilà… Que voulez-vous que je vous dise ?

Martel (très agressif) : Je ne t’ai pas entendu rentrer ! Ni vu ce matin !

Pascalys (très détendu) : C’est normal. Je suis rentré très tard et j’ai fait très attention à ne pas faire de bruit pour ne pas vous réveiller. Et ce matin je suis sorti très tôt… Je voulais aller voir le lever du soleil sur le lac… C’est en en revenant que j’ai rencontré le père Félix…

(Le père Félix opine.)

Martel (même jeu) : Je t’ai déjà interdit de venir jouer avec ce terroriste !

Pascalys (rigole et regarde Davyd) : Davyd, un terroriste ? Vous plaisantez, père…

Martel (même jeu) : Un terroriste, parfaitement !

Pascalys (sourit à Davyd) : Vous ètes un terroriste, mon ami ?

Davyd (l’air parfaitement innocent) : S’il veut dire que je ne sais pas chanter Maréchal, nous voilà par coeur, oui…

(Tout le monde éclate de rire, sauf Martel.

Yves revient.)

            Martel (même jeu) : Ce lieu est un repaire de communistes !

Pascalys (rigole) : Oh, vraiment ?

Martel (même jeu) : Je suis sûr que c’étaient eux qui ravitaillaient les Juifs du moulin !

(Là, plus personne ne rit.)

Pascalys (murmure, triste) : Les malheureux…

Martel (criant) : Ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient ! Comme tous ceux de leur race qui empoisonnaient notre patrie !

Yves (sec) : Allez raconter ça à vos amis, Martel. Mais dehors.

Martel (même jeu, crie) : Me parlez pas comme ça ! Je suis un vrai patriote, moi !

Yves (soupire énervé) : Oh, pitié !

Martel (idem) : Parfaitement ! Je suis fidèle au Maréchal, le grand vainqueur de Verdun !

Yves (sec) : J’y étais, à Verdun. Ça n’a pas été une victoire, ça a été une boucherie. Foutez le camp, Martel.

Martel (toujours pareil) : J’ai pas d’ordre à recevoir de vous !

Yves (soupir énervé) : Davyd ? Veux-tu bien me donner un coup de main ?

Davyd (sourire mauvais) : Avec grand plaisir.

(Ils attrapent Martel chacun par un bras et le jettent dehors.)

            Voix de Martel : Vous me payerez ça !

Pascalys : Bien. Je vais essayer de le calmer.

Yves (s’approche de Pascalys) : Bonjour, Pascalys. Comment vas-tu ?

(Ils se serrent la main.)

Pascalys : Ça va ça va…

Yves : Voudrais-tu bien laisser mon fils dormir plus tôt ?

Pascalys (sourit et regarde Davyd) : Le pauvre !… C’est plus fort que moi… J’ai horreur de perdre… Je vais essayer d’y penser, monsieur. Je me sauve. Au revoir, tout le monde…

(Il s’arrête devant Davyd et lui serre la main.)

Pascalys : Au revoir, mon ami. La prochaine fois, nous jouerons aux échecs, d’accord ? Ce sera moins long…

Davyd (souriant) : Ce sera avec plaisir. Au revoir, Pascalys.

Pascalys : Ah, au fait, je vais m’absenter quelques jours la semaine prochaine… Je vais dans une propriété de mon père, en Auvergne…

Davyd : Merci de me prévenir.

Pascalys (gentil) : C’est bien naturel… Au revoir.

Davyd : À très bientôt.

(Pascalys lui fait un clin d’œil et sort.

            Les gens sortent peu à peu. Irène sort chercher le courrier, dont le journal qu’elle se met à feuilleter. Martin et Armand partent en jetant des yeux pas très gentils à Davyd. Ce dernier parle avec Joëlle, sans se rendre compte des oeillades enflammées qu’elle lui lance. Irène vient vers eux.)

Irène : Écoutez ça ! Les nazis recherchent un SS qui a déserté !

Mariette (s’approche) : Un SS déserteur ?

Yves (rit) : C’est Hitler qui va être fâché !

Davyd : Comment il s’appelle ?

Irène : Friedrich Dresden… Il y a sa photo, regarde… Plutôt beau gosse, non ?

Davyd (regarde et apprécie) : Si… Et une récompense à qui le trouvera…

Irène : Ben tiens ! Il était officier, il doit en savoir long.

Joëlle : Si on pouvait mettre la main dessus, ça ferait un allié intéressant. Il en aurait des choses à nous dire !

Yves : Ça, c’est sûr. Il est dans le coin ?

Irène : C’est ce qu’ils disent…

Joëlle : Bon, je dois y aller. Au revoir, vous autres. (A Davyd, sensuelle 🙂 A ce soir, Davyd.

(Davyd lui fait un petit signe de la main. Elle sort. Mariette se met à balayer le bar. Yves repart à la cuisine.)

Davyd (en aparté, à Irène, inquiet ) : Pourvu qu’ils oublient Pascalys…

Irène : Ça m’étonnerait.

Davyd : Tu te rends compte…? Ils… Ils seraient capables de le descendre !

Irène : Voui… Mais tu sais, ce que moi j’espère, c’est qu’ils ne se doutent pas de la manière dont vous jouez aux cartes, ou qu’ils ne doutent pas de ta loyauté, sinon ils vont te descendre avec lui.

Davyd : Je ne pense pas que je pourrais vivre sans lui, Irène…

Irène : J’ai compris. (Elle a un sourire doux.) J’irai brûler un cierge pour vous deux.

 

Acte II

(La nuit suivante. Réunion de résistants, autour de deux tables l’une près de l’autre : Davyd, Claude, Martin, Armand, Joëlle. Le bar est sombre; les rideaux fermés.)

Claude : Il faut que nous fassions quelque chose !

Martin (las) : Mais quoi, Claude !? Quoi !

Joëlle : Martin a raison, Claude ! Qu’est-ce qu’on peut faire ? Tant qu’ils le gardent comme ça, on est bloqué !

Davyd (soupire) : Il faut qu’on trouve un moyen de sortir Charles de là. Son arrestation est une catastrophe… C’est lui qui dirigeait tous les réseaux du coin. Tout le monde lui obéissait et le respectait… On n’arrivera jamais à tous se remettre d’accord pour un nouveau chef. Ils ne vont pas le garder là-bas éternellement… Ils vont le transférer à Lyon… Une fois là-bas, ce sera trop tard pour nous.

Joëlle : Si nous pouvions avoir l’heure et le trajet du transfert !

Armand : Vous croyez qu’il va parler ?

Davyd : Non. Charles ne parlera pas. Ils pourront le couper en tranches, il ne parlera pas.

Claude : Davyd a raison. Nous n’avons rien à craindre de ce côté-là. Mais il a aussi raison sur l’autre point : sauver Charles est le seul moyen de garder les réseaux du coin unis.

Martin : Y aurait qu’une solution : avoir l’heure et le trajet du transfert…

(Irène apparait en haut, pieds nus, en chemise de nuit, enveloppée dans un grand châle, elle descend l’escalier.)

Irène : Vous n’avez rien entendu ?

Davyd (se lève et s’approche de sa soeur) : Quoi ?

Irène : J’ai entendu du bruit dans le jardin… Je vais voir…

(Elle sort par la porte de la cuisine. Davyd se gratte la tête, intrigué. Un petit moment passe. Les résistants s’entreregardent, eux aussi intrigués.)

Voix d’Irène : Davyd ! Va chercher maman !

(Davyd sursaute, puis hausse les épaules et monte l’escalier.

Davyd revient avec Mariette en robe de chambre, qui sort par la porte de la cuisine.

Un peu plus tard, Irène et Mariette reviennent avec un jeune homme qui a l’air très apeuré. Mariette prend une chaise.)

Mariette : Du kannst sitzen. [Tu peux t’asseoir.]

Le jeune homme (fatigué) : Danke… [Merci…]

(Il s’assoit et regarde les résistants, très inquiet.)

Mariette : Ich gehe meinen Mann finden. [Je vais chercher mon mari.]

(Elle remonte l’escalier et sort.

Les résistants regardent cet inconnu avec une grande méfiance. Lui a l’air mort de peur. Irène va derrière le bar, sert un verre de gnôle qu’elle apporte au jeune homme.)

Le jeune homme : Danke… [Merci…]

Davyd : Qui c’est celui-là, Irène ?

Irène (est derrière le jeune homme, a les mains sur ses épaules, rassurante, sourit) : Devinez ?

Claude : Irène ! Bon sang, vous croyez que c’est l’heure de jouer aux devinettes ?

Irène : Bon, bon… C’est Friedrich Dresden.

Davyd (sursaute) : Quoi ?

Joëlle : C’est vrai ?

Martin (les regarde tous les deux) : Quoi, vous le connaissez ?

Claude : Qui est-ce ?

Irène : Un SS qui a déserté.

Armand : Vrai ?

Irène : Ça fait trois jours qu’il a tous les nazis du Rhône sur le dos.

Martin (sceptique) : Et il atterrit dans votre jardin ?

(Mariette revient avec Yves.)

Yves (amusé, à Davyd) : Pas encore couché, toi ?

Davyd (rigole) : Papa ! C’est moi qui ferme la porte !

(Yves regarde Friedrich qui tremble et a un sourire crispé.)

Yves : Alors c’est lui, je suppose ?

Friedrich (mort de peur, voix minuscule) : Gute Abend mein Herr… (à Mariette, crispé) Er ist Ihr Mann ? [Bonsoir monsieur… C’est votre mari ?]

Mariette : Ja, hab keine Angst. [Oui, n’aie pas peur.]

Martin : C’est peut-être un piège !

Irène : Non, il ne comprend vraiment pas le français.

Armand : Qu’est-ce que tu en sais ?

Irène : J’ai vérifié. Je l’ai traité de tous les noms et même pire. Il aurait réagi.

Martin : Il sait peut-être se tenir.

Mariette : Même un homme qui sait se tenir aurait réagi à ce qu’elle lui a dit, rassure-toi. Elle a vraiment été très, très vulgaire.

Friedrich (les regarde tous avec de grands yeux) : Was wollt ihr machen? [Que voulez-vous faire ?]

Armand : Qu’esse y dit ?

Mariette : Il demande ce qu’on veut faire.

Yves : Bon, allez. On va le planquer en bas. (Aux résistants) Donnez-moi un coup de main, vous.

(Yves ouvre la trappe, après qu’ils aient poussé une table.)

Joëlle : Dans votre cave ? Tous les bars ont une cave !… Si des soldats viennent, ils la fouilleront tout de suite…

Irène : Ils ne fouilleront pas la cave sous la cave.

Joëlle (interloquée) : Vous avez une cave sous votre cave ?!

Irène (opine) : Oui, une cache datant de la Révolution, parait-il… On y accède par une autre trappe, mais celle-là est bien cachée.

Yves (à Friedrich) : Venez.

Mariette (aide Friedrich à se lever) : Komm. [Viens.]

(Yves descend avec une lampe, suivi de Friedrich puis de Mariette. Yves remonte. Un peu plus tard, Mariette. Yves referme la trappe.)

Mariette : Pauvre garçon ! Il est terrorisé.

Yves : Bon !

(Il va au bar, prend des verres et une bouteille et sert tout le monde. Irène se tourne vers la porte, visiblement intriguée. Elle s’avance vers la porte, écoute, tire un peu le rideau, regarde, puis elle tourne la clé, ouvre la porte et sort discrètement, les autres ne se sont rendu compte de rien.)

Claude : Il faudra le questionner, ce petit. Il doit savoir des choses.

Yves (ferme) : Je vous conseille de le questionner gentiment.

Martin (rouspète) : Ho hé en quoi ça te regarde, toi ?!

Yves (s’énerve) : Friedrich est mon hôte ! Et vous êtes ici chez moi ! Compris ?!

(Silence impressionné.)

Davyd (s’approche gentiment de son père) : Calme-toi, papa. Tu ne vas pas arriver à te rendormir…

Yves : Tu as raison. (Il respire profondément.)

Mariette (bâille) : Moi, je retourne me coucher. (Elle monte.) Bonne fin de nuit à tout le monde.

Yves (tendre) : Dors bien.

Martin : Bon. Et qu’est-ce qu’on fait pour le fils Martel ?

(Davyd pâlit et frémit.)

Martin : C’est que bon, il a balancé les Juifs du moulin, quand même…

Davyd (cri du cœur) : C’est pas lui !

Armand : Oh, arrête, Davyd ! On sait que tu l’aimes bien, mais là quand même !

Davyd : C’est pas lui ! Je suis sûr que c’est pas lui !

Claude : On verra plus tard. Ce qui compte pour le moment, c’est de libérer Charles : (À Yves) Yves ?

Yves (s’approche) : Oui ?

Claude : Puisque Friedrich est ton hôte,… tu pourrais lui demander s’il sait quelque chose sur Charles ?

Yves (opine) : Je verrai avec Mariette.

Voix d’Irène (de dehors) : Davyd ! (Elle rentre en courant, essoufflée, se précipite vers son frère.)… Davyd !

Davyd (inquiet) : Quoi ?

Irène (pose ses mains sur les bras de son frère, reprend son souffle) : Sois fort, grand frère…

Davyd (très inquiet) : Quoi ?!

Irène : Ils viennent d’arrêter Pascalys…

Davyd (crie) : Quoi ?!… Qui ?… Pourquoi ?

Irène : Des SS… Ils les ont arrêtés, lui et le lieutenant… Je les ai vus devant l’auberge…

Davyd (recule, vacille, voix meurtrie) : Non ! Tu n’es pas en train de dire…

Irène (sans le regarder) : Si.

(Il tremble, recule, semble fou. Les autres ne savent pas quoi faire.

Davyd tombe assis sur une chaise et prend sa tête dans ses mains.)

Acte III

 

(Le bar est vide. Il est presque 19 h. Les rideaux sont ouverts.

            Davyd est seul à une table, il est livide, épuisé, désespéré. Il a beaucoup pleuré.

            Yves entre par la cuisine. Il voit Davyd, s’arrête, hésite, visiblement très ennuyé.)

Yves (hésitant, se force) : Heu… Comment…. Comment te sens-tu ?

(Davyd lui jette un regard triste et ennuyé aussi.

            Ils ne savent plus quoi se dire !

            Davyd hoche la tête sans parvenir à répondre.

            Mariette arrive de la cuisine, pose son bac à linge sur la table.)

            Yves (essaye) : Davyd, heu…

Mariette (le coupe brusquement, inquiète pour Davyd) : Mais laisse-le donc !

(Irène rentre, elle a l’air très lasse. Elle est très bien habillée, coiffée et maquillée. Elle soupire, pose son sac et enlève son chapeau. Davyd la fixe, éperdu.)

Mariette (vient vers elle, pressée) : Alors ?

Irène (la regarde, vague sourire) : J’ai réussi à le voir.

(Davyd, Yves et Mariette la regardent.)

Irène : … J’ai baratiné le garde, je lui ai dit que j’étais sa fiancée… J’ai réussi à l’apitoyer, mais c’est surtout la bouteille de vin que je lui ai donnée qui l’a rendu si compréhensif, à mon avis… Il m’a laissé le voir presque un quart d’heure… Il est… Il est d’un courage extraordinaire… Pourtant, il sait ce qui l’attend… Il est digne. En trois jours, il est devenu un homme. Voilà, c’est tout… Sauf…

(Elle reprend son sac, en tire une enveloppe qu’elle va donner à Davyd, qui la regarde et la tourne sans oser l’ouvrir.)

Irène (doucement, à Davyd) : Le reste est à toi.

(Elle caresse doucement ses cheveux, va au bar. Yves lui sert un verre de blanc, la devinant encore très émue. Mariette se met à balayer le bar.

            Davyd ouvre l’enveloppe en tremblant, il se met à lire : le « fantôme » de Pascalys se met à lui tourner autour.)

            « Fantôme » de Pascalys :

Bonjour, mon ami.

J’espère que vous lirez ces lignes jusqu’au bout. Je suppose que vous me haïssez. Je le comprends. Ça a dû être très dur pour vous d’apprendre que j’étais l’amant du Lieutenant. Car vous le savez, j’imagine… La patronne de l’auberge a tout vu et elle n’est pas réputée pour sa discrétion…

Je vous demande pardon. J’ai agi avec vous comme avec un pantin. Je vous aimais, pourtant, et je vous aime encore. Croyez-moi, Davyd, au-delà de votre haine… Je vous aime. Je n’ai jamais aimé le Lieutenant. D’ailleurs, il faisait très mal l’amour. Je ne sais pas trop pourquoi j’ai accepté ses avances. Par pitié, je crois, ou par jeu… Le gout du risque, le besoin d’être utile à quelque chose… Je suis joueur, Davyd. Vous plus que tout autre le savez. J’ai joué et j’ai perdu. Ça arrive. C’est ainsi. Vous ne me reverrez jamais. Je sais qu’ils vont me tuer, parce que le Lieutenant n’avait pas le droit de m’aimer. Vous n’imaginez pas à quel point les SS détestent les gens comme nous, Davyd… Ils ont failli descendre le Lieutenant dans le lit.

Je vous fais mes plus sincères excuses, je sais que vous me détestez. Peu importe, où que j’aille, Paradis ou Enfer, je vous y attendrais. De tout mon amour… Car je vous jure que je vous aime.

Je vais essayer de vous le prouver : je sais que vous et votre groupe de résistants cherchez un moyen de libérer votre chef, Charles Gandier. Le Lieutenant m’avait parlé de lui. Ce pauvre type avait la confidence sur l’oreiller très facile. Charles sera transféré à Lyon le 14 dans la soirée, le convoi passera sur la route du Closet vers 22 h. J’ignore si, après ce qui nous est arrivé, au Lieutenant et à moi, cela sera maintenu. Mais si ça l’est, et que ça peut vous permettre de sauver Charles, au moins n’aurais-je pas partagé les draps de ce boche pour rien.

Mon cher Davyd…

J’aurais tant voulu vous embrasser, vous dire que je vous aimais, une dernière fois…

Je préfère m’en aller en emportant votre dernier sourire.

Je vous aime, Davyd.

Adieu.

Éternellement à vous, dans ce monde et dans l’autre,

Pascalys Martel.

(Le « fantôme » embrasse Davyd et disparait. Davyd effleure ses lèvres avec sa main, puis retient un sanglot et va vite dans sa chambre avec sa lettre.)

            Yves (hésitant) : Il… Heu… Il heu… (s’écrit) Mais qu’est-ce qui se passe, à la fin ?!

Mariette (prend le bac de linge et monte en vitesse) : Il faut que je m’occupe du linge.

(Elle sort !

            Yves reste embêté. Irène le regarde en souriant doucement.)

            Irène (douce) : Tu n’as pas compris, papa ?

Yves (planté au milieu du bar, la regarde) : Quoi ?…

Irène (douce) : Tu n’as pas compris.

Yves : Quoi ?…

(Un silence. Il s’approche d’elle.)

Yves : Irène !… Qu’est-ce qui se passe ?…

Irène (même jeu) : Davyd a beaucoup de peine.

Yves (soupire, énervé) : Ça, tu peux le dire !… Impossible de lui parler depuis trois jours, sans se faire agresser !… Il ne dit plus un mot !… Il ne mange plus rien !… On dirait un mort-vivant !…

Irène (opine) : Il va très mal.

Yves : Mais pourquoi ?!

Irène (douce) : Tu n’as pas compris. C’est sa façon d’avoir du chagrin pour son ami.

Yves : Comment, mais… Ce n’est pas un chagrin d’ami, ça !

Irène (même jeu) : Non, papa. (Claire) C’est un chagrin d’amour.

(Yves reste sidéré.)

Yves (balbutie, toute petite voix) : Comment ?!

Irène (même jeu, sourire doux.) : Davyd pleure son amour, papa. Rien d’autre.

Yves (ne veut pas comprendre) : Sa petite fiancée a rompu…?…

Irène (toujours pareil) : Davyd n’a jamais eu de petite fiancée.

Yves : Mais alors, de quel amour parles-tu ?

Irène : De celui de Davyd et Pascalys, papa.

(Yves gigote, très mal à l’aise. Irène sourit encore. Un silence.)

Yves : Davyd et… Pascalys…?…

Irène : Oui, papa.

Yves : Davyd et Pascalys ?

Irène (boit) : Hm, hm.

Yves (essaye de se fâcher) : Tu plaisantes ?

Irène (toujours douce) : Non, papa.

Yves (agité) : Davyd et Pascalys?!…. Mais ce n’est pas possible !…

Irène : Oh que si.

Yves : Nooooon…!… Tu te moques de moi !

Irène : Oh que non.

Yves (sec) : Davyd et Pascalys.

Irène : Oui.

Yves (hésitant) : Mais alors, heu… Leurs parties de cartes…

(Irène sourit encore. Yves fait un geste vague, ennuyé. Irène opine avec un grand sourire.)

Yves (abasourdi) : Non?!…

Irène : Si.

Yves (s’énerve) : Sous mon toit ?!… Oh, les petits salauds !

Irène : Quoi ? Voyons, papa, ils ne faisaient rien de mal.

Yves (fâché) : Comment, rien de mal ?!… Des… Des cochonneries pareilles !

Irène : Papa !

Yves (même jeu) : Quoi ?!

Irène (très ferme, mais toujours très douce) : Aucune loi dans ce pays n’interdit à Davyd de faire ce qu’il veut à Pascalys. Pascalys est d’accord et ils sont tous les deux majeurs.

Yves (choqué) : Irène !

Irène (même jeu) : Quoi ?… C’est bien de ça qu’on parle, non ?… Tu es en droit d’en penser ce que tu veux, papa. Absolument ce que tu veux. Mais sois au moins bien conscient d’une chose : durant ces trois années, Davyd a été mieux que durant tout le reste de sa vie. Et moi, je ne l’avais jamais vu si bien. Aucune fille ne lui a jamais donné ça. Si ça n’avait été que des « cochonneries », comme tu dis, tu crois que Davyd serait dans cet état, depuis trois jours ? Il était heureux, bon sang !… Simplement heureux.

Yves (complètement décontenancé par le calme d’Irène) : Quoi ?… Tu les défends ?!…

Irène (sourit) : Oui, papa. Et toi ?

Yves (même jeu) : … Quoi, moi…?…

Irène : Oui, toi. Toi, papa. Qu’est-ce que tu vas faire, toi ?

Yves (s’est un peu repris) : Que veux-tu dire ?

Irène (se lève, fait quelques pas) : Que c’est à toi de décider. À toi seul. Tu peux le renier et le chasser, à coups de pied ou de fusil, au choix, ou le garder. Mais si tu le gardes, il faut que tu le gardes tel qu’il est.

Yves (sec) : Pédé.

Irène (sourire amusé) : Tu peux le dire comme ça.

Yves : Mais Davyd pédé ! Ce n’est pas possible !

(Il se bat tout seul, Irène le regarde, plus amusée qu’autre chose.)

Yves : … Ça doit être Pascalys qui l’a séduit ! Et Davyd s’est laissé faire, il est tellement influençable !… Hein Irène ?… Ça lui ressemble bien, ça, à Pascalys !… De séduire, comme ça, de manipuler !… Mais Davyd va s’en remettre, maintenant que Pascalys n’est plus là, hein,… Irène… C’était juste ça !… Dès que Davyd aura rencontré la femme de sa vie, il l’épousera !… (Suppliant 🙂 Hein, Irène ?!…

Irène (sourit doucement) : Tu peux aussi le prendre comme ça. Mais tu sais très bien que ce n’est pas vrai.

(Lourd silence. Davyd revient, pâle, défait, tenant la lettre serrée dans sa main.)

Davyd (très ému) : Irène… Papa… Je heu… Dans sa lettre,… Il dit heu… Pour Charles…

Irène (fronce les sourcils, s’approche, et doucement) : Quoi, Davyd ?…

(Il lui montre. Mariette revient. Irène se mord les lèvres.)

            Irène : Mon dieu…

Yves et Mariette : Quoi ?

Irène : Il dit… Le transfert de Charles…

(Ils se regardent.)

Yves (décide) : Irène, va chercher Joëlle et Armand, Mariette, va chercher Martin, je m’occupe de Claude.

(Ils sortent tous trois. Resté seul, Davyd soupire, range la lettre dans sa poche et se met à ranger le bar, pour la réunion : il ferme les rideaux, écarte les chaises pour rapprocher les tables.

            Joëlle arrive, dans une charmante petite robe. Elle saute au cou de Davyd, pour lui faire la bise.)

Joëlle (langoureuse) : Bonjour, Davyd !

Davyd (enlève les bras de son cou) : Salut, Joëlle.

Joëlle (minaude) : Tu as vu la robe que je me suis faite pour le baptême de mon neveu ? Comment tu la trouves ?

Davyd (bête) : Heu…

Joëlle (même jeu) : Elle te plait ?

(Davyd reste visiblement très sceptique.)

Joëlle (s’inquiète) : Qu’est-ce que tu as ?… Tu as l’air très triste…

Davyd (sourit tristement) : Je le suis.

Joëlle : Tu penses encore à Pascalys ?

(Davyd frémit.)

            Joëlle (douce) : Oh, Davyd… Je sais que c’est dur de perdre un ami, mais t’y peux rien… Et puis, franchement, après ce qu’il a fait…

Davyd (grogne, se remet à installer) : Quoi, « après ce qu’il a fait ? »

Joëlle : Comment, t’es pas au courant ?… Tu sais pas pourquoi ils l’ont arrêté ?! Mais lui et le Lieutenant…

Davyd (la coupe, violent) : Je sais !

Joëlle (reste interdite, puis reprend) : Et ça ne te suffit pas ?…

Davyd (violent, car meurtri) : Pour quoi ?!… Pour rayer Pascalys de ma mémoire ?!… Il se faisait baiser par un boche, et après ?! J’étais pas propriétaire de son cul !

Joëlle (choquée) : Oh !

Davyd (idem) : Quoi ?… C’est bien de ça qu’on parle, non ?… Tu le traiterais pareil, même s’il avait fait ça avec un Français ! (Il vient se planter devant elle, et crache, soudain glacial 🙂 S’il avait fait ça avec moi, par exemple ?… Qu’est-ce que tu dirais ?… À moi aussi, tu jetterais des pierres… Moi, aussi, tu me dénoncerais aux boches pour qu’ils me déportent avec lui !…

(Un silence. Joëlle comprend. Elle est très émue. Elle a un geste pour caresser la joue de Davyd, se retient.)

Joëlle : C’est ça que tu voudrais… Oh Davyd ! Comme tu dois avoir mal… Mais… Ne crains rien… Je ne dirais rien à personne… Et toi… Toi, tu finiras par t’en sortir… Avec le temps, ça passera… La douleur, ça passe toujours…

(Les trois autres arrivent avec les trois autres, par-derrière. Irène ouvre la trappe à Friedrich qui sort. Ils vont pour s’installer, quand on frappe à la porte de derrière. Friedrich va se cacher derrière le comptoir, Irène va ouvrir. Une femme entre, avec une petite fille fatiguée dans les bras.)

Irène (referme vite) : Mme Martel ?

Mme Martel (très digne) : Bonsoir à tous.

Joëlle : Mais je la connais cette petite ! C’est Eloïne !

Claude : La petite Juive ?

Mariette : Elle n’était pas au moulin ?

Mme Martel : Je l’ai trouvée cachée dans ma cave.

Irène : Qui l’a cachée dans votre cave ?

Mme Martel : Pascalys.

(Silence surpris)

Mme Martel : Mr Yves ? Mme Mariette ?…

Yves : Madame ?

Mme Martel : Puis-je vous confier cette enfant ? Je n’ose pas imaginer ce qui arriverait si mon mari la trouvait… Depuis que Pascalys a été… arrêté… Il cherche un moyen de remonter dans l’estime des occupants…

Irène : Avoir renié son fils ne lui a pas suffi ?

Mme Martel (triste) : Non. (Elle soupire.) Mon petit Pascalys… (Elle donne Eloïne à Mariette et vient vers Davyd.) Merci de… de l’affection que vous avez donnée à Pascalys.

Davyd (ému) : J’aurais fait bien plus si j’avais pu, madame.

(Mme Martel part, très digne.

            Les autres se regardent, émus malgré eux. Mariette monte coucher Eloïne. Friedrich revient vers les autres.)

            Claude (à Davyd) : Bon… Pouvons-nous connaitre la raison de cette convocation, Davyd ?

Davyd (hésitant) : Irène a réussi à voir Pascalys tout à l’heure… Il lui a donné une lettre pour moi…. Il veut me prouver qu’il est mon ami, heu…. Alors, il dit que Charles va être transféré le 14 et que ça passera sur la route du Closet vers 22 h.. C’est le Lieutenant,… qui lui avait dit…

Martin (violent) : Et t’y crois, pauvre crétin ?! C’est un piège, ça crève les yeux ! Si on y va, les boches vont nous tomber dessus !

(Les autres s’entreregardent, interrogatifs. Martin reprend, même ton.)

Martin : Quoi ?!… Vous n’allez quand même pas croire ce collabo !… Un petit pédé, en plus !… Et qui allait se faire baiser par….

Davyd (hurle) : TA GUEULE !!!

(Martin reste ahuri. Irène, qui était près de Davyd, tend son bras devant lui pour l’empêcher d’avancer.)

Davyd (explose) : Si tu redis ça, je te tue !

Martin (essaye de crier plus fort) : Quoi, tu le sautais aussi ?!

Yves (« bondit ») : Répète ça, toi ! Répète-le que mon fils est un pédé !

Martin (les regarde, grogne, puis grommelle) : Quand même Davyd n’avait pas à être si ami avec un collabo !

Davyd (ferme) : Pascalys n’était pas un collabo.

Martin (énerve) : Si !… Il a balancé les Juifs…

Davyd (le coupe, sec) : C’était pas lui.

(Mariette revient.)

Armand (à Davyd) : Comment tu peux en être si sûr ?

Davyd (le regarde) : Je connais Pascalys.

Friedrich (à Mariette) : Was passiert ? [Qu’est-ce qui se passe ?]

(Mariette lui chuchote.)

Claude : On verra ça plus tard, les gars, bon sang ! Et puis de toute façon, coupable ou pas, ça m’étonnerait qu’il revienne.

Davyd : Qu’est-ce que tu ordonnes, Claude ?

Claude : J’hésite…

Friedrich: Es ist absolut richtig ! Ich habe es ihnen sagen gehört ! |C’est totalement vrai ! Je les avais entendu le dire !]

Mariette : Il dit que c’est vrai, qu’il a entendu ses supérieurs en parler.

(Silence.)

Claude : Bien. Alors, on tente le coup. C’est notre seule chance.

(Ils s’assoient, sauf Irène, Mariette, Yves et Friedrich.)

            Mariette : Heu…

            Claude : Oui, Mariette ?

            Mariette : Friedrich veut vous aider… Il veut vous prouver que vous pouvez lui faire confiance…

Claude : Dis-lui qu’au premier geste suspect, on le descend.

Mariette (à Friedrich) : Wenn du ein Verräter bist, werden sie dich toten. [Si tu es un traître, ils te tueront.]

Friedrich: Ich weiB es. Ich will brauchbar sein. [Je sais. Je veux être utile.]

Mariette : Il sait. Il veut être utile.

Joëlle : Ça peut être un bon test.

Armand : Que veux-tu dire ?

Joëlle : S’il vous accompagne et qu’il descend quatre SS, c’est qu’il est digne de confiance.

Davyd : Ça, c’est pas faux. Et puis, bon, on risque quoi ? Il reste tout le temps à la cave, il n’a aucun moyen de contact avec l’extérieur… Je vois pas le tort qu’il pourrait nous faire…

            Armand : Et puis, en dernier recours, on peut le descendre !

Claude : Bon, assis-toi, Friedrich.

            Mariette (sourit) : Sitz. [Assis-toi.]

            Friedrich (ému, sourit): Danke. [Merci.]

 

Acte IV

(Le bar, sombre : c’est la nuit, la pendule indique plus de minuit. Les rideaux sont fermés. Mariette et Irène jouent aux cartes à une table.

            Yves arrive d’en haut.)

Yves : Eloïne dort comme un ange. Toujours rien ?

Irène : Rien. Ça commence à être inquiétant.

Mariette : Le fourgon avait peut-être du retard….

Irène (sourit) : On va dire ça…

            Yves : Pourvu qu’ils réussissent ! (Il se bat tout seul, frappant l’air avec sa canne.) Ah ! Sans cette maudite jambe, j’y serais allé aussi !

Mariette : Yves ! Ne fais pas l’enfant, pense à ton dos ! Viens plutôt jouer avec nous !

(Il s’assoit, distribue, ils jouent.)

Irène : Belote. Rebelote.

Yves : Tu triches !

Irène : Peut-être. (Elle sourit.) Mais je gagne.

(Davyd entre par la porte de la cuisine. Il soutient, avec Claude, Charles qui a une blessure à l’épaule droite. Friedrich les suit, il porte les fusils, et Armand ferme la porte avant d’aller s’assoir dans un coin.)

Yves : Mon dieu !

(Ils se lèvent, Yves s’approche.)

Charles (un peu vague) : Ce cher Yves ! Comment allez-vous ?

Yves : Bien, Charles, bien… Mais ce n’est pas votre cas, on dirait… Allongez-le sur la table.

(Ils obéissent. Charles plie son bras gauche sous sa tête.)

Yves : Mariette, va faire chauffer de l’eau. (Il enlève la chemise de Charles, regarde la blessure.)

Yves : Aïe… Ils ne vous ont pas loupé !… Hm, apporte du whisky, Irène… On va vous saouler, Charles…

Charles : Il n’y a pas d’autre moyen ?

Yves : Vous préférez qu’on vous assomme ?

Charles : Réflexion faite, j’adore le whisky !…

Irène (revient avec la bouteille) : Ça tombe bien. Allez, au boulot !

(Yves soutient Charles qui s’est redressé sur son bras valide. Irène le sert, il commence à boire.

            Pendant ce temps, Friedrich et Davyd sont allés ranger les fusils dans la cave, sous l’œil de Claude qui les leur faisait passer. Armand rumine dans son coin. Davyd et Claude s’approchent de lui pour voir ce qu’il a. Friedrich va soutenir Charles à la place d’Yves qui va chercher une lame fine et des linges propres.

            Davyd s’accroupit près d’Armand.)

Davyd : Eh, ça va pas ?…

(Armand hausse les épaules, soupire, puis demande sourdement 🙂

            Armand : Pourquoi on les a tués ?

(Davyd et Claude se regardent, interdits.)

Armand : Qu’est-ce qu’ils nous avaient fait ?

Davyd : Tu doutes ?

Armand (soupire encore) : J’ai eu une heure et demie, allongé sur le sol, pour me mettre à douter… On a beau se dire que ce sont des fachos, qu’ils font souffrir toute l’Europe… On a tué cinq hommes, ce soir. Ces cinq-là, qu’est-ce qu’ils nous avaient fait ?…

Claude : C’était eux ou nous, Armand…

Armand : … Et les otages qu’ils vont fusiller pour ça ?…

Davyd : Armand…

Armand : … Tous ces morts ! Pourquoi ?…

Davyd : Armand, écoute…

(Armand le regarde.)

Davyd : À moi non plus, ça ne m’a pas fait plaisir de descendre ce type, quand il visait Charles. Et si tu veux tout savoir, oui, j’ai hésité. Le temps de me rappeler que je n’avais pas le choix !… Je ne le connaissais pas. Il ne m’avait jamais rien fait. C’était un être humain, comme moi. Mais il allait tuer le seul homme capable de veiller sur notre lutte ! Le seul chef que nous avions, que tous les groupes du coin respectaient et sans lequel on était foutu ! La question, c’est pas : pourquoi ces cinq-là. C’est la guerre, Armand, merde ! On se bat ! On a choisi de se battre !… Et il le faut !… Tu vas bientôt être père !… Tu crois que tu as envie que ton enfant grandisse dans une France coincée entre Hitler et Pétain ?…

Armand : Non…

Davyd (se relève) : Rentre, repose-toi. La question, c’est pas nous. C’est une saloperie, cette guerre. L’enjeu, c’est pas la France. L’enjeu nous dépasse…

Armand : C’est contre les fachos…

(Davyd hoche négativement la tête, songeur.)

Claude : Non, Armand. Je vois ce que veut dire Davyd. Ça arrive que je pense ça, aussi. L’enjeu, c’est l’Humanité… Et ce qu’on veut qu’elle devienne.

(Armand leur sert la main et sort.

            Pendant ce temps, Charles a vidé la bouteille. Il est donc complètement saoul, et apte à être opéré.)

Charles (euphorique) : Ah, c’est la plus belle nuit de ma vie !… Si l’on excepte mon dépucelage ! Dites donc, vous n’avez pas changé la décoration, Yves ?

(Friedrich le tient fermement allongé sur la table. Mariette amène l’eau, Davyd et Claude s’assoient pas loin, pour souffler un peu, surveillant ce qui se passe du coin de l’œil, Irène leur apporte à boire.)

Charles (idem) : Davyd, tu tires très bien, je te félicite ! Et vous (à Friedrich) … Je ne sais pas comment vous vous appelez, mais félicitations aussi ! (Friedrich sourit poliment.)

(Yves nettoie la plaie et se met à l’œuvre.)

Charles (décidément joyeux) : Vraiment, quelle équipe vous faites ! Il faudra que vous fassiez du foot ensemble après la guerre !… Dites-moi, Yves, j’ai l’impression que vous me grattez l’omoplate, là, c’est normal ?

Yves : La balle est profonde…

Charles (idem) : Je ne savais pas que vous étiez chirurgien…

Yves : J’ai fait des trucs comme ça en 14-18… Quand un copain était blessé, le toubib était pas forcément là assez vite…

Charles (idem) : Félicitations à vous aussi…

Yves : Ah, la voilà… (Il la sort.) Belle bête.

Charles (idem) : Gardez-la-moi en souvenir !

(Yves va se laver les mains derrière le comptoir. Irène mouille un linge et nettoie la plaie.)

Irène : Ça vous fera une belle cicatrice.

Charles (idem) : Tant mieux. J’adore les souvenirs. (Riant.) Je la montrerai à mes petits enfants !

(Mariette fait assoir Charles et bande soigneusement sa blessure.)

Yves (revenant vers eux) : Aidez-moi, Claude. Nous allons le descendre.

Claude : Pardon ?!

            Yves (voit que Claude n’a pas compris) : Mais à la cave !

            Claude : Ah ! (Un silence) Vous m’avez fait peur….

Irène : Et où va dormir Friedrich ?

Yves : Avec lui. Le lit est assez large. (Il ouvre la trappe.)

Friedrich : Was passiert ? [Qu’est-ce qu’il y a ?]

Mariette : Er muB mit dir schlafen. Wir haben kein andere Zimmer. [Il doit dormir avec toi, nous n’avons pas d’autre chambre.]

Friedrich : Kein Problem. [Aucun problème.]

(Yves et Claude descendent Charles.)

Charles : Bonne nuit tout le monde !

(Friedrich descend. Yves et Claude remontent. Yves ferme la trappe.)

Davyd (las) : Tout est en ordre, Claude ?

            Claude : Oui, je pense…

Irène : Comment ça s’est passé ?

            Claude (hausse les épaules) : Assez bien vu les circonstances… Mais nous avons eu peur…

Davyd (soupire) : Ils avaient presque une heure de retard… On y croyait plus. On était prêt à partir. On commençait à être sérieusement mal au fond de notre fossé… Et puis on l’a entendue…

Claude : Une simple camionnette. Il y avait cinq soldats… Armand a abattu le conducteur et celui qui était près de lui avec la mitraillette… Friedrich et Davyd étaient à l’arrière… Ils ont fait feu sur les soldats dès qu’ils sont descendus…

Davyd : Charles avait compris ce qui se passait… Il se battait avec un soldat dans le camion. C’est à ce moment-là qu’il a été blessé… Le coup l’a projeté dehors… (Davyd passe sa main sur ses yeux.) J’ai eu la peur de ma vie, j’ai cru qu’il l’avait tué… Le soldat a sauté… Je l’ai descendu… Friedrich, Armand et Martin ont fini…

Claude : Je les attendais dans la voiture. Ils sont vite montés et on a décampé.

            Irène : Vous les avez tous tués ?

Davyd (secoue la tête) : Oui, … Sûrement. On a bien mis trois quarts d’heure à revenir. Ils ne feront peut-être pas le lien avec ici… C’est un peu loin.

Claude (soupire) : Bien, je vous laisse… Je rentre… Bonne fin de nuit à tous.

Davyd : Salut, Claude.

Yves : Au revoir.

(Claude sort par la cuisine.

            Irène et Mariette montent se coucher. Yves et Davyd se mettent à ranger, d’abord en silence, puis 🙂

Davyd : Papa ?

Yves : Heu… Oui ?…

Davyd : Tu voulais me dire quelque chose ?

(Yves reste bête. Davyd lui jette un œil.)

Davyd : Ça fait une semaine que tu essayes de me dire quelque chose. C’est quoi ?

            Yves : Heu… C’est… C’est délicat….

Davyd : C’est à propos de moi et Pascalys ?

Yves : Heu…. Oui….

Davyd : Tu veux savoir si je vais épouser Joëlle, maintenant que Pascalys n’est plus là ?

(Yves ne sait pas quoi répondre. Davyd lui sourit.)

Davyd : C’est non.

Yves : … Elle est pourtant charmante…

Davyd : Je n’ai pas dit le contraire.

Yves : Qu’a-t-elle qui ne te va pas ?

Davyd : C’est une femme.

Yves : Ah.

Davyd (lui sourit encore) : Je ne veux pas la rendre malheureuse, papa. Ni elle, ni aucune autre. J’aime mieux finir ma vie seul.

Yves : C’est parce que tu n’as pas rencontré la bonne…

Davyd (triste) : J’avais rencontré le bon… Il va mourir, si ce n’est déjà fait.

Yves : … Ce n’était pas très sérieux…

Davyd (idem) : Tu ne comprends pas. (Il regarde son père ) Je l’aimais… Je l’aime. Aucune femme ne pourra me donner ce que lui me donnait !…. Je n’y peux rien…. Je me sens…. Veuf…. (Il rigole tristement.) C’est absurde, je ne trouve pas d’autre mot…

Yves (ennuyé) : Mais… Une femme… Ça ne te dit rien ?

Davyd : Rien d’attirant… J’aime bien les femmes comme amies, mais le reste…

Yves : … Oui ?…

Davyd : Non,… Rien d’autre, vraiment.

Yves : Mais quand même, ce n’est pas possible, ça ! Aimer un homme comme on aime une femme !

Davyd : Si. Je te jure que si. De l’aimer, au point de ne plus vivre que pour le voir sourire…. J’espère, au moins, qu’avec l’évasion de Charles, Pascalys ne restera pas que comme un pédé dans les mémoires….

Yves : Quand même ! Il a été avec le lieutenant !

Davyd (frémit, puis, doux) : C’est vrai… Mais il ne m’avait jamais juré fidélité… Et puis… C’est moi qu’il aimait…

Yves (grogne) : Qu’en sais-tu ? Ah, il s’est bien foutu de toi ! À aller dans les draps de ce Boche, et toi, tu me parles d’amour ?

Davyd (doux) : Et après ? Quand ton oncle courait après les filles de ferme, ça n’a jamais voulu dire qu’il n’aimait pas sa femme !

(Yves grommelle sans répondre. Ils ont fini. Yves commence à monter.)

Yves : Réfléchis, quand même…. À mon avis, c’est pas viable à long terme, ces trucs-là.

Davyd : Il n’y a pas à réfléchir, papa. C’est comme ça.

(Ils sortent, Yves en haut et Davyd par la porte de sa chambre.)

            (Pause. Noir.

            Puis, lumière, petit à petit, venant de dehors : le jour se lève. La pendule indique neuf heures. On entend un coq.

            Irène arrive, habillée, de charmante humeur… Elle fredonne, va derrière le comptoir, faire du café. Puis, elle va ouvrir la trappe, on y a frappé. Friedrich sort.

            Friedrich s’assoit au comptoir, Irène lui sert du café.)

Friedrich (articule) : Merci.

Irène (plus beau sourire) : De rien…

(Elle ramène en arrière une mèche qui tombait sur le nez de Friedrich. Il la dévore littéralement des yeux. Irène prend le balai, sort de derrière le comptoir et se met à balayer gracieusement. Friedrich ne la quitte pas des yeux.)

Friedrich (sourire rêveur) : Sie sind schöne… [Vous êtes belle…]

Irène (lui sourit) : Merci.

Friedrich : Ich glaube, daB ich Sie liebe… [je crois que je vous aime…]

Irène (émue) : Vraiment ?…Heu… Richtig ? [Vraiment ?]

Friedrich : Ja.

Irène (s’approche) : Essayez en français ?

Friedrich (réfléchit une seconde, puis) : Je vous aime… (Il regarde Irène et sourit doucement.)

Irène (s’approche tout près de lui ) : Je vais essayer en allemand… Ich liebe dich…? [Je t’aime ?]

(Elle le regarde, interrogative. Il sourit, caresse ses cheveux.

            La tête de Charles sort de la trappe. Il regarde autour de lui, voit les amoureux, regarde ailleurs et tousse. Irène et Friedrich sursautent. Irène embrasse rapidement la joue de Friedrich, s’approche de la trappe, se penche.)

Irène (gronde gentiment) : Vous n’avez pas honte d’être déjà debout, vous ?

Charles (la regarde, rigole) : Bonjour, Irène. Vous êtes très en beauté, ce matin…

Irène (faussement choquée) : Et séducteur avec ça ! Venez boire votre café au lieu de dire des bêtises plus grosses que vous !

Charles : Bien volontiers, mais ne parlez pas si fort, j’ai mal au crâne…

(Charles rigole, sort de son trou. Il va s’assoir près de Friedrich. Irène retourne derrière le comptoir et lui sert une tasse.)

Charles (à Friedrich) : Guten Tag. [Bonjour.]

Friedrich (sourit) : Bonjour.

            (Davyd sort de sa chambre, bâille, s’étire. Irène lui sort une tasse et le sert.)

Charles (joyeux) : Et voilà mon sauveur ! Viens là que je te remercie !

Davyd (approche, gêné) : Oh, je vous en prie ! C’était bien normal !

Charles (serre Davyd dans son bras valide) : Et modeste avec ça ! (Il se tourne vers Irène.) Vous savez, Irène, c’est un héros votre frère ! Quand l’autre soldat s’est jeté sur moi pour m’achever, Davyd a été le seul à réagir assez vite pour l’arrêter !

Davyd : Les autres l’auraient fait ! Ils étaient juste occupés avec les autres soldats !

Charles : Et c’est toi qui l’as fait. (Il sourit.) Je te revaudrai ça.

(On frappe à la porte. Ils se regardent une seconde puis Charles et Friedrich filent dans la cave. Irène cache une tasse pour qu’il n’en reste que deux, Davyd referme la trappe, puis ramasse le balai et fait mine de balayer. Quand tout est prêt, Irène ouvre la porte.

            Un gendarme las et bedonnant entre.)

            Irène : Gérard ? Qu’est-ce qui se passe ?

Gérard : Une histoire de fous ! Figure-toi que des résistants ont fait évader un de leurs chefs cette nuit, sur la route du Closet ! Y a tout un régiment de SS qui a débarqué ce matin, ils veulent tout fouiller ! Et ils nous ont réveillés pour les aider ! Un dimanche matin, tu te rends compte ?!

Davyd (pose le balai et s’approche) : Vous voulez boire quelque chose ?

Gérard : C’est pas d’refus…

            (Irène le sert.)

Gérard : Quand même, ils manquent pas d’air ces boches… Vous avez rien remarqué ?

Davyd (hausse les épaules) : Ben non, m’enfin, si des gars ont fait du raffut route du Closet, y sont sûrement pas ici, c’est pas tout près. Ils ont dû gagner le maquis.

Irène : C’est vrai. C’est dangereux de trainer en ville après un coup pareil. Les soldats qu’ils ont agressés pourraient les reconnaitre.

Gérard : Oh ça pas de risque ! Ils les ont tous tués !

Davyd : Vraiment ?

Gérard : Ouais, mais ça ils veulent pas que ça s’ébruite.

Davyd : Nous sommes des tombes.

Irène : Encore un verre ?

Gérard : Non, non… Je vais y aller…. Désolé pour le dérangement…

(Il va vers la porte.)

Gérard : Si les autres passent, dites-leur que j’ai tout bien fouillé…

Davyd : Pourquoi vous ne le faites pas ?

Gérard (sourire complice) : J’ai de bonnes raisons de croire qu’on peut vous faire confiance… Quand on a du si bon vin, on ne peut pas ne pas être de bons patriotes. Au plaisir.

Irène : Au revoir.

(Gérard sort.

            Davyd et Irène se regardent.)

Davyd : Il était sérieux ?

Irène : À mon avis, il fait de la résistance passive. Gérard est tout à fait le genre d’homme à ne pas obéir à des gens qui l’ont privé de ses croissants du dimanche matin. Va leur ouvrir, ils doivent s’inquiéter.

(Davyd ouvre la trappe et les appelle.)

            Davyd : C’est bon, vous pouvez venir !

            (Irène ressort la troisième tasse de café. Charles et Friedrich ressortent, ils soupirent, soulagés, retournent s’assoir au bar. Eloïne arrive d’en haut.)

            Eloïne : Bonjour…

            (Davyd la soulève et l’assoit à un tabouret du bar. Irène l’embrasse et lui sert un bol de lait.)

            Charles : On a eu chaud…

Davyd : C’est clair.

Charles : Au fait ! Comment avez-vous fait pour me retrouver ?

Davyd (regarde Irène qui lui fait signe de foncer) : Et bien… Vous vous souvenez de Pascalys Martel ?

Charles : Bien sûr. Ce brave garçon !

Davyd (opine) : C’est lui qui nous a transmis la date, l’heure et la route de votre transfert.

Charles (sourit) : Vraiment ? Décidément, il n’est pas près d’arrêter de me surprendre ! Il a fait ça ? Quel courage il a eu !… Il faudra vraiment que je le remercie !

Davyd (sourire triste) : Vous ne pourrez pas.

Charles (surpris) : Pourquoi donc ?

Irène : Pascalys a été arrêté il y a deux semaines. Il avait une relation… un peu trop intime… avec le lieutenant. Ils les ont arrêtés tous les deux. Ils les ont déportés. Juste avant son départ, j’ai pu voir Pascalys et il m’a remis une lettre avec ces renseignements pour vous libérer.

Charles : Vraiment ? Alors il est encore plus digne de respect !… Quel coup de poker, si les gardiens avaient trouvé cette lettre… Il l’avait su par le Lieutenant?

Irène : Oui, il avait la confidence facile dans leurs moments d’intimité.

Charles (hoche la tête) : Ouais… Pauvre Pascalys,… Vraiment, il était digne de se battre ! Il ne s’agira pas que son nom se perde !

Davyd (ému) : Merci, Charles.

 

Acte V

 

(Mariette balaie le bar. Yves frotte son comptoir.)

Yves : Je t’assure, ça m’inquiète vraiment.

Mariette : Il y a de quoi !… Franchement, je ne sais plus quoi faire… On lui a présenté toutes les filles qu’on connaissait… Et rien !… Il se contente de leur dire « bonjour » et « comment allez-vous » et « ravi de vous avoir rencontrée » !…

Yves : C’est vrai que la fin de la guerre l’a beaucoup occupé… Mais tout de même ! Il y a presque six mois qu’elle est finie, ici !… Mais non !… Il reste là, à se complaire dans ses souvenirs, sans faire attention aux femmes !… Pourtant, on lui a présenté de beaux partis !

(Irène arrive de la cuisine, largement enceinte, suivie par Eloïne.)

            Irène : Je ne trouve pas qu’il ait l’air malheureux…. Un peu mélancolique, peut-être…

Eloïne : Oui, il est content… Il est toujours content…. Je trouve qu’il va bien, moi.

(Ils se taisent, car Davyd arrive de dehors. Il est infiniment serein.)

            Davyd : Et ben ?… Vous en faites, des têtes…

Eloïne : On s’inquiète pour toi.

Davyd (sourit) : Pour moi?… Quelle drôle d’idée !… Je vais très bien.

(Il va dans sa chambre.)

            Irène : Vous voyez.

Mariette (énervée) : Oh arrête ! Tu sais très bien de quoi on veut parler !… Trois ans que ça dure !… Il ne va quand même pas passer sa vie à se complaire dans ses souvenirs !

Yves : C’est vrai, ça commence à bien faire. Il a 28 ans. Il serait temps qu’il fasse sa vie…. On ne va pas le garder ici éternellement !

Irène : Il faut lui laisser le temps. (à Eloïne) Viens, toi. On va aller chercher le linge. Il doit être sec.

(Elle prend la main de la fillette et elles sortent par la cuisine.)

Mariette : Elle ne se rend pas compte…

(Armand rentre et s’assoit au comptoir.)

Yves : Bonjour !… Comment ça va ?

Armand : Ça va.

Mariette : Quoi de neuf ?

Armand : Charles est ici… Il a deux-trois affaires à régler… Heureusement qu’il est là… Nos collègues de la dernière heure ont beaucoup trop de zèle… Déjà qu’on a pas pu les empêcher de tuer Martel…

Yves : Vous avez sauvé sa femme…

Armand : Ouais, mais bon. Martel était un collabo, mais il aurait quand même fallu le juger… Enfin… C’est vrai que sa femme l’a échappé belle… Sans Davyd et moi, ils la tondaient… Ces mecs, putain, y manquent pas d’air ! Résistants deux mois avant la libération, et ça joue les héros !

Mariette : L’histoire jugera.

Armand : J’espère !… Quand je pense qu’ils ont voulu faire la peau à Friedrich ! Et qu’il y en a encore pour le traiter de sale boche !… Alors qu’il est avec nous depuis 42 !

Mariette : Ce n’était pas très malin.

Yves : C’était surtout dangereux !… Parce qu’Irène aurait fait un massacre, avec le fusil, pour le défendre, son Friedrich !

Armand : Ouais!… Ta fille a un sacré carafon !… Heureusement que Charles et Davyd sont arrivés à temps !… Ça aurait pu très mal finir…

(Deux soldats américains entrent, accompagnés d’un jeune homme en civil, pâle, las, avec une barbe fine et une casquette.)

Premier Soldat : Hello everybody ! [Salut tout le monde !]

Second Soldat (fort accent) : Bonjour.

Yves (salut militaire amusé) : Messieurs ! Qu’est-ce que je vous sers ?

(Les deux soldats vont s’assoir au comptoir, le jeune homme reste à regarder autour de lui.)

Second Soldat : Well… Vous avez du bon vin rouge ?

Yves : Et comment ! Nous sommes en France, tout de même ! Et dans Les Coteaux du Lyonnais en plus !

Premier Soldat : What did he say ? [Qu’est-ce qu’il a dit ?]

Second : He’s got red wine… Do you want some ? [Il a du vin rouge… Tu en veux ?]

Premier : Yeah !! [Ouais !!]

Second : Okay. Deux verres, s’il vous plait.

Yves : Et vous, jeune homme ?

(Le jeune homme fait un geste vague, sans répondre. Yves hausse les épaules et sert les soldats.)

Yves : D’où venez-vous, dites-nous ?

Second : Errr… En droite ligne de Berlin.

(Eloïne revient.)

Eloïne : Mariette, Irène demande…

(Elle s’interrompt en voyant le jeune homme, puis un immense sourire éclaire son visage, elle court lui sauter au cou.)

Eloïne : Pascalys ! Pascalys !

(Pascalys le regarde, sourit un peu, puis la serre.)

Pascalys : Eloïne…

Eloïne (joyeuse) : Que je suis contente ! Tu es revenu !

(Les autres, sauf les soldats, sont estomaqués. Armand file discrètement.)

Pascalys : Eloïne…

(Irène revient à son tour.)

            Irène : Ça vient ce… (Elle voit Pascalys.) Oh nom de dieu !… (Elle s’approche et sourit.) Un revenant !…

Eloïne : C’est Pascalys !

Irène (sourit) : Alors ça pour une surprise !

(Elle va l’embrasser.)

Pascalys (la serre doucement) : Bonjour, Irène… Heu… Ça va ? (Il sourit.) Ça en a l’air…

Irène : Ça se voit tant que ça ?

Pascalys : Ben oui, quand même… C’est pour quand ?

Irène : Heu, officiellement, mars… (Elle chuchote 🙂 Mais il y a des chances pour qu’il soit prématuré de quelques mois.

Pascalys (rigole et opine) : Je vois…

Irène (chuchote encore) : Papa et maman étaient un peu réticents, alors…

Pascalys (rigole encore) : Je vois, je vois… Félicitations… Et le papa ?

Irène : Oh, vous ne le connaissez pas… Pas encore. Comment allez-vous, vous-même ?

Pascalys (Eloïne dans un bras et Irène dans l’autre) : Un accueil comme ça, ça fait chaud au cœur.

Yves : Heu… Bonjour, Pascalys…

(Pascalys lui sourit.)

Pascalys : Bonjour, monsieur.

(Il va vers lui et lui tend la main. Yves la serre après une hésitation.)

Yves (ne sait pas quoi dire) : Heu… Ça va ?

Pascalys (aimable) : On fait aller…

Mariette (intriguée) : Présentez-nous donc vos amis…

Pascalys : Oh, pardonnez-moi… Je manque à tous mes devoirs… Je vous présente Alan (le premier) et John (le second)… Boys, these are Yves, Mariette, Irène and Eloïne. [Les gars, voici Yves, Mariette, Irène et Eloïne.]

John : Réellement enchanté.

Alan : Nice to meet you. [Enchanté.]

Irène : Dites, Pascalys… (Il la regarde.) Vous partez entre deux soldats allemands et vous revenez entre deux soldats américains… Vous pouvez nous expliquer ça ?

Pascalys : Oh… Ça, c’est une très longue histoire.

John : Ça, tu peux le dire !… Houlala, comme vous dites !… Enfin, ça fait plaisir de voir que tu as des amis, ici ! On ne t’a pas ramené pour rien !

Pascalys (lui sourit tristement) : On verra…

Irène (appelle) : Davyd !

Pascalys (lui prend le bras, inquiet) : Vous… Vous croyez que c’est une bonne idée ?…

Irène (lui sourit) : Faites-moi confiance. (Appelle) Davyd !

(Davyd sort de sa chambre, bonhomme, un livre à la main. Il s’approche, serein, comme tout à l’heure, puis voit Pascalys et reste pétrifié, cloué sur place. Le livre tombe.

            Les autres observent, Irène sourit.

            Pascalys s’approche, doucement, extrêmement ému, il hésite, tremble.)

            Pascalys (balbutie) : Comme vous êtes pâle, mon ami… On dirait… On dirait que vous avez vu un fantôme…

(Un petit silence.)

Davyd (très ému) : Parce que… Vous êtes réel ?

Pascalys (très ému aussi) : Il me semble…

(Davyd presse brusquement Pascalys dans ses bras. Ils s’étreignent.

            Yves et Mariette échangent un regard, ennuyés.)

Eloïne (à Yves et Mariette) Ah !… Vous voyez qu’il va bien !

Yves : Mouais.

Mariette : Ça ne va pas forcément arranger les choses.

Alan (à John) : So, that’s Davyd, eh ? [Donc, c’est Davyd,hein ?]

John : Well… I assume, so. [Ben… Je pense, oui.]

Alan (rigole) : They seem glad to see each other… [Ils ont l’air contents de se voir.]

John (rigole aussi) : Yes, very glad. They look quite, em… Close… [Oui, très contents. Ils ont l’air euh, proches…]

(Ils rigolent. Irène les regarde, amusée.)

Irène : Effectivement, ils sont très bons amis et très contents de se retrouver.

Mariette (soupire) : Je ne vois pas ce que ça a de drôle.

(Des villageois hargneux, menés par Martin (arme au poing) entrent virulemment, faisant sursauter tout le monde.)

Un villageois : Il est là !…

(Ils essayent de se précipiter sur Pascalys, mais Davyd s’interpose.)

Davyd (ferme) : On se calme… Qu’est-ce qui se passe ?

(Pascalys les regarde, intrigué, mais pas inquiet.)

Martin (montre son arme) : On vient faire justice ! Pousse-toi !

Davyd : J’adore ta conception de la justice, Martin…

Irène (vient près de son frère) : On peut connaitre le crime ?…

Un villageois : Tu demandes le crime de ce sale collabo ?!

Martin : T’as oublié les Juifs du moulin ?!

Pascalys (doux) : Oh… Vous avez la rancune tenace…

Davyd (ferme) : C’était pas lui !

Martin : Oh, arrête, tu veux ! Laisse-nous faire justice ! T’en mêle pas si tu veux pas y passer aussi !

Yves (s’approche, énervé) : Ça veut dire quoi, ça, Martin ?

Martin : Que justice doit être faite et que ceux qui veulent pas vont le regretter !

(Alan et John, qui se concertaient, s’interposent à leur tour, armes à la main.)

John : Messieurs, nous sommes dans l’obligation d’intervenir…

Un villageois (sec) : Ça vous regarde pas !

John (cherche un peu ses mots) : Oh… Si. Voyez-vous, Pascalys est notre ami, et, errr, nous avons reçu comme mission de le ramener ici et de le protéger. And cette dernière chose me parait… indispensable…, vu votre… agressivité.

Alan : Do we need to take our guns out ? [Devons-nous sortir nos armes ?]

John : Not yet. [Pas encore.] Messieurs, je vous prie de vous calmer. Nous n’hésiterons pas à employer la force.

Martin (violent) : Nous aussi ! C’est pas des Ricains qui vont faire la loi chez nous !

John : Vous voulez parier ?

Pascalys (grogne) : J’ai mal à la tête, Davyd… Je pourrais m’allonger un peu ?…

Davyd (lui sourit) : Dans un instant, s’il vous plait.

Un villageois : Même si c’est pas lui qui a balancé les Youpins, il a quand même été se faire baiser par un boche !

(Un silence.)

Pascalys : Ah… Ça, c’est vrai… C’est pour ça qu’ils m’ont déporté, d’ailleurs…

John : Well, messieurs, Pascalys a payé ses erreurs…

Martin : C’est pas trois ans de tôle qui rachèteront 18 morts !

John : De « tôle » ?… God ! Ce n’est pas en prison que nous avons trouvé Pascalys… C’est en Enfer.

Pascalys (frémit) : Ferme-la, John. De toute façon, ils ne comprendront pas.

Un villageois : Mais il nous prend pour des cons !

Pascalys (très profondément meurtri) : Je vous prends pour des gens qui ne savez pas ce que c’est que de n’être qu’un numéro, que de se réveiller tous les matins sans savoir si on sera encore vivant une demi-heure après… Moi, je dis que l’Enfer, à côté, ça doit faire doucement rigoler.

John : Tu es le seul à pouvoir le dire. En plus, il a été notre meilleur interprète… Sans lui, nous ne serions jamais arrivés à Berlin si vite.

Martin : Ouais, p’t’être, mais les 18 Juifs…

Irène : 17.

Martin : Qu’est-ce que tu dis, toi ?!

Irène : Je dis 17. Parce que 18 moins 1, ça fait 17. Eloïne comptant pour une personne.

(Charles, Armand et Friedrich arrivent, armés et énervés. Friedrich se précipite vers Irène.)

Friedrich (accent allemand) : Ça va, toi ?

Irène : Mais oui…

Charles : Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?!… Non, mais oh !… J’peux pas tourner le dos deux secondes sans que vous tuiez quelqu’un, ou quoi ?!

Un villageois : Heu, calmez-vous, m’sieur Gandier… On va vous expliquer…

Charles : C’est ça, expliquez-moi… Qui est le présumé coupable, déjà ?

Irène : Le beau brun planqué derrière Davyd.

Charles (à qui Pascalys tire sa casquette) : Qui ?… Pascalys Martel, c’est ça ?

Davyd : C’est ça.

Charles (hoche la tête) : Si je croyais, je considérerais volontiers ton retour comme un miracle, Pascalys…

Pascalys (sourire las) : C’en est peut-être un, Charles.

(Ils se serrent la main. Tout le monde est abasourdi.)

Charles (à Pascalys) : Moi qui craignais de ne jamais pouvoir te remercier pour tout ce que tu as fait !

Pascalys : Oh,… C’était bien naturel…

Armand : De quoi vous parlez, heu…?…

Charles (à Pascalys) : Naturel !… Je te dois la vie ! (chaleureux) Tu as eu un courage !… Tu te rends compte de ce qu’ils auraient fait s’ils avaient trouvé ta lettre ? S’ils avaient su ?…

Pascalys : Ça faisait partie des règles du jeu. Je savais ce que je faisais.

Martin : C’est quoi, cette histoire ! Tout ce qu’il a fait, c’est se faire tringler par un boche et balancer les Juifs !

Charles : C’est exact, il a été l’amant d’un officier de la Weimar… Mais c’était sur mon ordre, et comme espion.

(Silence stupéfait.)

Armand (sidéré) : Tu… Tu plaisantes…?…

Charles : Non. Oh que non ! Vous croyiez que les informations que je vous fournissais, je les tirais d’un chapeau avec une baguette magique ? Les opérations, les convois, tout ça ?…

Davyd (à Pascalys) : Mais alors, vous et lui… C’était pour ça ?

Pascalys (le regarde et lui sourit) : Vous ne pensiez tout de même pas que j’y allais pour le plaisir ?… C’était un pauvre type, ce lieutenant. Il baisait très mal. Mais il était très bavard, après.

Charles : Sans compter ce qu’il vous a fait passer pour me libérer.

Martin (méprisant) : Peuh ! Un pédé, c’est juste bon à…

Pascalys (le coupe) : Vous, vous ne m’aimez pas.

Martin : T’as balancé dix-hui…

Irène et Davyd (le coupent, secs) : On sait !

Pascalys : Il a de la suite dans les idées, cet homme.

Eloïne (va prendre sa main) : Oui, et puis y dit rien que des mensonges qui sont même pas vrais…

(Un silence, ils la regardent.)

            Yves : Qu’est-ce que tu veux dire, Eloïne ?

Eloïne : C’est pas Pascalys qui nous a dénoncés… Il est gentil, Pascalys !… Il était venu pour nous prévenir.

(Charles s’accroupit devant elle et demande doucement 🙂

Charles : Raconte-nous, Eloïne…

Eloïne : On était tous au moulin et puis Pascalys est arrivé… Il était tout essoufflé… Il a dit qu’il fallait qu’on parte, que les soldats arrivaient… Il était venu à cheval pour nous prévenir… Et puis on a entendu les camions qui arrivaient… Alors papa il m’a mise dans les bras de Pascalys et Pascalys il lui a juré qu’il s’occuperait toujours de moi et il m’a emmenée… Il avait l’air très triste… On a galopé et il m’a cachée chez lui dans sa cave… Il m’apportait des jouets et à manger et puis après, c’est sa maman qui est venue et elle m’a amenée ici et puis voilà…

(Un silence. Tous s’entreregardent. Charles se relève.)

Charles : Comment le savais-tu, Pascalys ?

Pascalys (sombre) : Je venais voir le Lieutenant pour lui ramener un livre et lui partait les arrêter… Alors, je me suis dit qu’en coupant à travers bois à cheval, je pouvais arriver assez vite pour les prévenir… C’est ce que j’ai fait… J’ai couru chez moi et j’ai sauté sur mon cheval… Je suis parti au galop… Mais je suis arrivé trop tard… J’ai pu sauver Eloïne… Je voulais la cacher dans la propriété auvergnate de mon père. Je n’ai pas pu. Comme je n’ai pas pu sauver les autres…

(Il est au bord des larmes. Davyd pose doucement sa main sur son épaule, Pascalys pose sa main dessus.)

Davyd : Vous avez fait ce que vous pouviez…

Pascalys : J’aurais pu faire plus. (Il soupire, énervé.) J’ai vraiment mal au crâne, Davyd. Est-ce que je pourrais m’allonger un peu ?!

Davyd : Bien sûr, venez…

(Il l’entraine vers sa chambre, lorsqu’une femme arrive, affolée, ils s’arrêtent et regardent.)

La femme (affolée) : J’arrive trop tard ?! Il l’a tué ?!

Charles (vient vers elle, aimable.) : Que dites-vous, madame ? Vous êtes ?

Yves (s’approche aussi) : C’est Louise… La femme de Martin…

(Ce dernier devient furieux.)

Martin (violent) : Qu’est-ce que tu fous là, toi ?!

Louise (regarde Yves et Charles) : Répondez-moi ! Il l’a tué ?

Charles : Qui a tué qui ?

Louise : Mon mari ! Il a tué Pascalys ?!

Charles : Non, non… Rassurez-vous…

Louise : Pascalys est innocent !

Martin (très violent) : Ferme-la, sale garce !

Louise (a peur, mais continue) : Je ne veux pas que Pascalys paye pour ça, il est innocent !

Martin : Ta gueule, salope !

(Pascalys et Davyd se regardent, puis s’approchent un peu.)

Charles : Vous savez qui a dénoncé ces Juifs, madame ?

(Louise hésite, le regarde. Martin, à bout, braque son arme sur elle, mais Armand se précipite et attrape son bras, le coup part, mais ne blesse personne.

            Davyd s’est mis devant Pascalys pour le protégé, il ne voit pas que Pascalys s’est statufié. Friedrich prend Irène dans ses bras pour la protégée aussi, les autres se sont jetés sur Martin pour le maitriser. Eloïne est cachée derrière Irène et Friedrich.

            Les autres ont maitrisé Martin, qu’Armand et Alan tiennent fermement.)

            Charles (à Louise) : Votre mari étant calmé, pourriez-vous vous expliquer, madame ?

Louise (soupire tristement) : Un des Juifs était mon amant, monsieur… (Un silence) C’est mon mari qui les a dénoncés, quand il l’a su…

(Stupeur générale.

            Martin essaye de se jeter sur sa femme, mais les autres le retiennent.)

            Martin : Sale pute ! Garce ! Salope ! Trainée ! (etc., selon l’inspiration.)

Charles : Armand, Friedrich !… On l’emmène au poste. Venez aussi, madame.

(Charles, Armand, Friedrich, qui tiennent Martin, sortent, suivis par Louise et les autres villageois.)

Mariette : Quelle histoire !

Irène : En tout cas, Pascalys est innocenté.

Yves : Oui, c’est vrai. Mais à mon avis, les gens vont le mépriser quand même… Il vaudrait mieux qu’il parte.

Irène : Ce qui arrangerait bien vos affaires.

(Davyd se tourne vers Pascalys et se rend compte que ce dernier est pétrifié.)

Davyd (inquiet) : Pascalys ?…

(Pascalys sursaute, mais ne le voit pas. Il halète, regarde autour de lui, fait quelques pas, hagard. Il marmonne en allemand. Il parle à des gens qui ne sont pas là, terrifié, suppliant.)

            Pascalys : Es ist nicht wahr… Ich will nicht… Unmöglich… Heinz… Heinz !… Töt… Nicht er… Nicht möglich… Heinz… Sie haben kein Recht es zu machen… (Etc., il répète.) [Ce n’est pas vrai… Je ne veux pas… Impossible… Heinz… Heinz !… Mort… Pas lui… Pas possible… Heinz… Vous n’avez pas le droit de faire ça…]

(Les autres le regardent, interdits.

            Les deux soldats américains échangent un regard désolé.)

Alan : Poor, poor boy… [Pauvre,pauvre garçon…]

John (soupire) : Make him sit… [Fais-le s’asseoir…] Monsieur ? Un peu d’eau pour lui, s’il vous plait ?…

Yves : Heu oui, bien sûr…

(Alan est allé prendre Pascalys, qui divague toujours, par le bras. Il l’installe avec beaucoup de soin et de douceur à une table. John apporte un pichet d’eau. Ils restent un peu vers lui, puis se regardent, et reviennent vers les autres. Davyd est très inquiet.)

Eloïne : Qu’est-ce qu’il a, Pascalys ?

Davyd : Je ne sais pas… (Il n’ose pas s’approcher de Pascalys.) Qu’est-ce qu’il a ? (Il regarde les deux soldats.) Vous savez ce qu’il a ?

John (opine) : Oui,… C’est… les coups de feu… Ça lui fait toujours ça… Il s’absente, il retourne là-bas… Mais il revient vite… Ne vous en faites pas, ça passe…

Davyd (insiste, inquiet) : Où, « là-bas » ?!

John (l’emmène à l’écart) : Dans le camp où on l’a trouvé… vous n’imaginez pas… Un Enfer, cet endroit… Des centaines, ils étaient… des squelettes, à peine vivants !… Et Pascalys… Il m’a raconté… Il avait rencontré un Autrichien… Heinz… Ils étaient très liés et puis… (John jette un œil à Pascalys et parle moins fort.) Un jour ce type s’est fait attraper par trois SS et heu… ils l’ont torturé et après… ils ont forcé Pascalys à l’achever…

Davyd (horrifié, mais parle bas aussi) : Quoi ?!

John : Depuis, les coups de feu…

Davyd : Oh merde…

Alan (s’approche) : John, can we go to a hotel ?… I’m tired… [John, on peut aller à un hôtel ? Je suis fatigué…]

John : Oh !… Yes, yes… Heu… Il y a un hôtel par ici ?… Nous voudrions nous reposer…

Irène : Il y a une auberge. Je vais vous y conduire, venez.

(Irène et les deux soldats partent, Mariette monte avec Eloïne et Yves sort par la cuisine.

Davyd reste seul un moment. Il va fermer les rideaux. Pascalys secoue la tête, regarde autour de lui, hagard.)

Pascalys : Davyd… Qu’est-ce qui s’est passé ?

            Davyd (lui sourit, vient vers lui) : Rien. Comment vous sentez-vous ?

Pascalys (soupire) : Ça va… Je suis désolé, Davyd… Je ne me contrôle plus.

(Pascalys se lève. Davyd lui sourit gentiment.)

            Davyd : Ce n’est pas grave…

Pascalys (fait quelques pas, s’étire) : Aujourd’hui, peut-être… Mais demain ?

Davyd (intrigué) : Que voulez-vous dire ?

Pascalys : Combien de temps pourrez-vous me supporter ?

Davyd (inquiet) : Que voulez-vous dire ?

(Pascalys le regarde un instant.)

Pascalys (ton cassant) : Soit, Davyd. Vous l’aurez voulu. (Sourire ironique.) Mais vous avez raison, après tout. Autant ne pas recommencer à se mentir.

(Davyd le regarde sans rien dire.)

Pascalys (ton sec, tranchant, Pascalys regarde Davyd bien en face, inflexible) : J’ai été déporté dans un camp de travail au sud-ouest de l’Allemagne. Avec un joli triangle rose. Je savais ce qui m’attendait. Une fin inhumaine. Mais je n’en voulais pas. Je voulais vivre. Et j’étais prêt à tout pour ça. Alors, j’ai fait la pute. Tous ceux qui pouvaient me donner un supplément de nourriture pouvaient faire ce qu’ils voulaient de mon corps.

(Davyd détourne son regard.)

Pascalys (cynique) : Ça y est, je vous dégoute ?

Davyd (le regarde) : Non, non !… Continuez… Enfin,… si vous voulez…

Pascalys (même attitude) : Je me suis haï, Davyd. Je n’étais plus rien. Rien. Un cul, et encore… L’enfer, ça doit être ça… Mais j’étais vivant… J’avais assez à manger… Au bout d’un moment, j’ai été récupéré par le doyen du camp… J’avais… Une bonne réputation… Il faisait ça très souvent… très mal… Il me faisait très mal… Il m’aimait bien. Il m’a donné un poste tranquille et de la nourriture en plus… Et moi je serrais les dents, j’attendais que ça passe… Et puis… J’ai rencontré Heinz… Un autre Triangle Rose… Nous sommes devenus très bons amis. Jusqu’au jour où il a bousculé un SS… Alors, ils l’ont attrapé… Ils l’ont torturé… Pendant des heures… Vous n’imagineriez pas tout ce qu’ils lui ont fait, Davyd… Ça dépasse l’entendement… Des heures… Et après… Après… Ils m’ont mis le flingue dans la main et ils m’ont dit : « Tue-le. » Je ne voulais pas. Je voulais pas… Mais je l’ai fait, parce que Heinz me l’a demandé… Il m’a supplié… Et je l’ai fait. Je l’ai tué. (Pascalys regarde Davyd qui passe sa main devant ses yeux.) Après, j’ai failli devenir fou. Si j’ai survécu, c’est grâce au doyen. Il m’aimait bien. Il m’a protégé. (Un silence.) Depuis la mort de Heinz, je vis au bord de la folie, Davyd. Je fais des cauchemars à longueur de nuit, et je m’absente, comme tout à l’heure… Je n’en peux plus.

Davyd : Pascalys… (Il va pour le prendre dans ses bras, Pascalys le repousse.) Je suis là, moi… Je vous aime… Je… Je vais m’occuper de vous… Tout va bien se passer, je vous aime…

Pascalys (regarde Davyd) : Bien sûr que tu m’aimes, Davyd… Mais est-ce que ce sera suffisant ?

Davyd : Il faut que tu aies confiance.

            Pascalys : Et les gens, ici… Et tous ces souvenirs ?…

Davyd : Tu oublieras…

Pascalys : Jamais. Et eux non plus n’oublieront pas. Tu le sais très bien.

Davyd (soupire, fait quelques pas) : Il doit y avoir une solution.

(Irène revient.)

            Irène : Ah ?… Ça va mieux, Pascalys ?

Pascalys (s’assoit) : Bof… J’aurais peut-être mieux fait d’y crever, dans ce camp… Ça vous poserait moins de problèmes…

Davyd : Je t’interdis de dire ça ! Il y a forcément une solution !

Irène : Oui, il y en a une. Il faut que vous partiez tous les deux.

Davyd : Partir ?

Irène : Oui, Davyd. Même s’ils ne veulent plus le tuer, les gens ici verront toujours Pascalys comme un sale petit pédé… Ils ne tarderont pas à comprendre ce qu’il y a entre vous. Et puis, pense à papa et maman !… Ils ne supporteront jamais de vous voir ensemble !… Surtout si ça se sait !…

(Un vieil homme encore assez fringant entre.)

            Le vieil homme : C’est bien ici que je peux trouver le jeune Martel ?

Pascalys (lève la main) : C’est moi, parait-il… (Il le regarde.) On se connait ?

Le vieil homme (lui tire son chapeau) : Maître Verny. Je suis le notaire de vos parents. Mme Martel, votre mère m’envoie régler quelques affaires avec vous.

Pascalys (se lève, ému) : Ma mère ?… Mon Dieu !… Elle… Elle va bien ?… Elle est ici ?… Bon sang…. Maman… Il faut que j’aille la voir…

Maitre Verny (le retient) : Elle ne le souhaite pas.

Pascalys (frappé par la foudre) : Pardon ?!…

Maître Verny : C’est pour cela qu’elle m’envoie. Votre mère ne souhaite plus vous voir. Venez, asseyons-nous. Je vais vous expliquer.

(Hagard, Pascalys se laisse entrainer vers une table et s’assoit, comme le notaire. Davyd s’approche.)

Maître Verny (sort des papiers) : Votre mère s’est décidée dès qu’elle a su votre retour. Votre père étant décédé, elle est prête à vous laisser la propriété auvergnate et la fortune de votre père, qui vous assureraient une rente plus que convenable, et la sienne lorsqu’elle mourra. Mais c’est à la condition que vous partiez vivre en Auvergne et que vous ne reveniez jamais.

(Pascalys est anéanti.)

Pascalys : Maman…

Maître Verny : Elle pouvait pardonner à un fils mort tué par les Allemands. Pas à un vivant.

Pascalys (à lui-même, froid) : Alors, j’ai survécu pour être renié par ma mère…

(Un silence.)

Pascalys : Très bien. J’accepte.

(Il signe les papiers. Puis le notaire se lève.)

Pascalys : Maître ?…

Maître Verny : Oui ?

Pascalys : Pouvez-vous… Lui transmettre un message ?…

Maître Verny : Oui…

Pascalys (se lève) : Dites-lui que je l’aime… Que je n’ai jamais voulu lui faire de mal… Dites-lui aussi… Que j’ai vécu en Enfer pendant trois ans… Et que je suis mort des dizaines de fois dans ce camp… Et que c’est pour ça qu’aujourd’hui, j’aurais voulu la serrer dans mes bras… Que je regrette qu’elle ne l’ait pas compris… Que je lui pardonne… Et que si un jour, elle veut me revoir, elle sera toujours la bienvenue.

Maître Verny : Comptez sur moi. Au revoir, monsieur.

Pascalys : Au revoir, Maître.

(Le notaire sort. Un silence. Pascalys soupire, détruit. Davyd vient vers lui, pose sa main sur son épaule. Pascalys le repousse violemment. Irène sursaute, Davyd reste effaré. Pascalys tremble de rage.)

Davyd : Qu’est-ce qu’il y a ?

Pascalys : Qu’est-ce que tu attends pour me le dire ?

Davyd : Te dire quoi ?

Pascalys : Que tu ne veux plus de moi !

Davyd : Quoi ?!

Pascalys (violent) : Arrête de te foutre de moi, Davyd !… Et dis-le-moi !

(Davyd est stupéfait.)

Pascalys (même jeu) : Plus personne ne veut de moi !… Personne ne veut plus m’aimer !… Ma propre mère… Et pourquoi est-ce qu’on voudrait encore de moi ?!… Une pute complètement cinglée, voilà ce que je suis ! Et tu prétends m’aimer ? Tu prétends que tu veux de moi ?!

(Davyd reste très calme.)

Davyd : Oui, je veux de toi. Pascalys, si les autres te laissent, ce sont eux qui ont tort. Je suis là, moi. Et je ne te laisserais pas. Je veux vivre avec toi. Je vais partir avec toi, je ne te laisserais pas tomber. T’es un mec bien.

(Il l’embrasse rapidement. Pascalys le regarde, stupéfait. Il lui saute au cou. Ils s’étreignent rapidement puis se séparent.)

Davyd (doucement) : Quand veux-tu que nous partions ?

Pascalys : Tu viens vraiment ?

Davyd : Oui.

Pascalys : Je sais pas, heu… Dis-moi, tu crois qu’on pourrait emmener Eloïne ?… J’avais juré à ses parents de veiller sur elle, il serait temps que je m’y mette…

Davyd : On devrait pouvoir arranger ça.

Irène : C’est le mieux que vous pouvez faire. Partez. Ici, vous n’aurez jamais la paix.

Davyd (sourit à sa soeur) : Écoute Irène, Pascalys, c’est la voix de la sagesse… Alors, quand ?

Pascalys : Demain, ce serait pas mal… Ça me laisserait souffler un peu… J’en ai bien besoin.

Davyd : D’accord. Tu viens ? On va faire mes bagages…

Pascalys (sourit) : D’accord.

(Ils vont dans la chambre de Davyd. Irène rigole, va y frapper.)

Voix de Davyd : Quoi ?

Irène : Faites aussi les bagages.

                                               RIDEAU !!!

 

(23 commentaires)

  1. trop triste ce qu’il a vécu au camp… et malheureusement trop réaliste… y compris le retour au pays et les réactions des gens…

    sinon pas mal ta pièce de théâtre ! tu devrais essayer de la proposer à des metteurs en scène ^^

    et tu pourrais en écrire une autre sur un sujet plus gai ? j’aimerai bien lire ^^

    merci pour ce texte, je vais en lire un autre ^^

    1. @Armelle : Inspiré des mémoires de Heinz Heger, Les Hommes au triangle rose, ça retourne bien le bide, mais c’est assez intéressant.
      Sinon, à l’origine, je l’avais écrit pour et avec l’aide d’un comédien, mais je l’ai perdu de vue depuis.
      Merci en tout cas !!

        1. @Pouika : Comme je l’ai dit dans ma news du 14 mars, j’ai retrouvé quelques vieux trucs dans un carton, que je vais sûrement vous sortir dans les semaines à venir. C’est à l’étude…

    1. @Pouika : Euuuuuuuuuuuh aaargh comment dire Pascalys va être déporté et euuuh ben tu verras… ^^ Après tu commences à me connaître… Ca devrait te laisser un indice…

      1. euh …. pas forcément, tu vas tuer pascalys et Davyd tombera fou d’amour pour un autre homme qui lui fera oublié son premier ?!

    1. @Pouika : Merci. Oui, c’est plus simple à regarder qu’à lire… D’ailleurs moi y a des auteurs de théâtre que j’adore, mais que je n’arrive pas à lire… :p

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