Disclaimer : Yuri !!! on ICE est une série produite par MAPPA, écrite par Mitsuro Kubo et réalisée par Sayo Yamamoto.
Public averti : présence de lemons.
Il est fortement recommandé d’avoir vu l’anime avant de lire cette fanfiction, car elle se passe après la série et spoile un certain nombre d’événements racontés.
Synopsis : Quelques années après la fin de la série, Yuri et Phichit attendent Yuuri à l’aéroport de Genève, pour une compétition amicale…
Notes pour la lecture : Pour des raisons de cohérence, merci de considérer que sauf notion contraire (italique), les personnages se parlent en anglais. En effet, je trouve logique que, vu les nationalités très diverses des personnages, eux-même se parlent dans cette langue. Je n’ai pas traduit toutes les phrases en japonais et russe, je peux le faire si besoin. Si un Russophone me lit et peut me corriger, ça sera avec plaisir, car je me suis dépatouillé avec google trad parce que sorti de da, niet et dasvidania, y avait pas grand monde ici ^^’.
Pour les gens que ça dit, préparez une petite playlist avec dans l’ordre :
Ring your Song, de Kajiura Yuki, extrait de la BO de Tsubasa Chronicles
Now We Are Free, extrait de la BO du film Gladiator
Lilium, générique d’Elfen Lied.
You are the only one, de Sergey Lazarev
Crazy in Love, ici la version de Sofia Karlberg.
All of me, de John Legend.
Pour info : Le Yuri japonais = Yuuri, le Yuri russe = Yuri ou Yurio, et Victor est ici écrit avec un k.
Version “corrigée” mise en ligne le 12/07/2017. Pas de changements dans le contenu et l’histoire, juste correction de détails et des coquilles qu’il restait et suppression des “faux” chapitres nécessaires pour vous y retrouver lorsque l’histoire était postée par épisodes.
Crazy Love
Fanfiction Yuri !!! on Ice
de Ninou Cyrico
« Tu le vois, Phichit ? »
Le petit Thaïlandais dénia du chef en grimaçant. Il regarda avec un soupir le grand jeune homme blond aux cheveux longs qui le dépassait désormais de près d’une tête et qui jura en russe, trépignant sur place.
« … Mais qu’est-ce qu’il fout, ce crétin !
– Calme-toi, Yuri, on va se faire repérer… »
Dans le grand aéroport de Genève, les deux patineurs restaient discrets, désireux de ne pas attirer les journalistes qui rôdaient là, à l’affût de l’arrivée de leur ami japonais. Le téléphone de Phichit sonna. Ah, Chris ? Phichit décrocha rapidement alors que Yuri continuait à guetter, son habituel air renfrogné sur le visage.
« Oui, Chris, tu l’as trouvé ?
– Non, et vous ?
– Non ! Ah, c’est pas vrai, mais l’avion est arrivé depuis presque 20 min ! Qu’est-ce qui se passe !
– Aucune idée ! Évitez le hall 3, c’est blindé de cameramen !
– Noté, merci !
– Pich’, le voilà ! » s’exclama Yuri en lui filant un vif coup de coude.
Le Thaïlandais sursauta et suivit du regard la direction que lui indiquait le jeune Russe. Il sourit, soulagé, en reconnaissant à son tour la silhouette de son meilleur ami, tout de noir vêtu, capuche de veste relevé et lunettes noires. Il traînait une grosse valise de la main droite, tenant son bras gauche replié contre sa poitrine, main gantée, et semblait nerveux.
« C’est bon, Chris, on l’a trouvé !
– Super ! Je préviens Leo et on se retrouve au parking ! »
Phichit raccrocha rapidement pour suivre en courant Yuri qui avait filé en direction du nouveau venu qui sursauta avant de le reconnaître et se tendit avant de sursauter lorsque deux grands bras l’étreignirent avec force.
« Putain, mais tu foutais quoi, crétin de porcelet, ça fait une demi-heure qu’on poireaute !
– Oh, désolé… »
Yuri lâcha son meilleur ennemi avec un soupir énervé alors que Phichit lui souriait avant de l’étreindre aussi rapidement :
« Salut, Yuuri, bienvenue ! Ça nous fait super plaisir que tu sois là !
– Merci, Phichit… » répondit Yuuri avec un petit sourire en tapotant son dos de sa main droite.
Yuri prit la valise d’autorité et dit :
« Bon allez, on file avant que les journaleux nous chopent ! Pas envie de me battre !
– Oui, dépêchons-nous, il y en a plein… opina Phichit. Viens vite, on est garé sur le parking… »
Yuri fila et Phichit et Yuuri suivirent plus lentement, le Thaïlandais surveillant toujours les environs.
« Ça ira ?
– Oui, oui… J’ai juste pas pu dormir dans l’avion, trop de trous d’air, on a été secoué comme pas possible…
– On t’emmène direct à l’hôtel. Tu vas pouvoir souffler avant le début des entraînements… Il y a juste la conférence de presse ce soir…
– Oui, j’ai noté ça.
– Tu euh… Tu voudras y venir ?
– Oui, je ne pensais pas y couper… Mais bon, je ne voudrais pas qu’on en oublie de parler de la compétition, ça m’ennuierait, surtout pour vous…
– On verra, t’en fais pas…
– On les recadrera, s’ils font chier ! » râla Yuri devant eux.
Yuuri sourit. Lorsqu’il voyait Yuri maintenant, il avait bien du mal à se souvenir du frêle adolescent angélique qu’il avait connu six ans plus tôt. À 21 ans, « Yurio » était désormais plus grand que Viktor et tout aussi remarquablement bien fait. Toujours aussi caractériel, par contre… Et toujours si prompt à balancer des coups de pieds. Surtout dans les dents des journalistes ces derniers temps.
Passant dans le hall suivant, ils s’arrêtèrent, suspicieux, en en voyant un troupeau, mais ce dernier était groupé et ne regardait pas vers eux. Yurio fronça un peu plus les sourcils en regardant ce qui les agglutinait comme ça :
« Oh putain, c’est JJ et le petit Amerloque qui viennent d’arriver ! Venez, on fonce, ils vont les occuper un moment !! »
Phichit et Yuuri échangèrent un regard et un hochement de tête et ils filèrent sans demander leur reste. Sur le parking, Chris et Leo les attendaient près de la grande voiture noire louée par les organisateurs pour le championnat.
Dès qu’il les vit, Chris se précipita pour serrer à son tour Yuuri dans ses bras sans sommation. À nouveau, le Japonais sursauta, puis eut un petit sourire en tapotant le dos du grand Suisse, toujours de sa main droite.
« Salut, Chris…
– Salut, Yuuri. »
Chris le lâcha, gardant ses mains sur ses épaules :
« Bon sang, ça fait du bien de te voir ! Ça va ? »
Yuuri sourit une nouvelle fois :
« Oui, oui, ne t’en fais pas. Ça me fait plaisir de vous voir aussi. Mais vous n’étiez pas tous obligés de venir… Bonjour, Leo, ajouta-t-il gentiment en serrant la main du jeune Américain.
– Bienvenue, Yuuri ! » répondit gentiment ce dernier.
Phichit ouvrit la voiture et lui répondit :
« Vu la taille de l’aéroport, on s’est dit qu’on ne serait pas trop de quatre pour repérer les journalistes et t’aider à les éviter. Et puis, on avait que ça à faire, aujourd’hui. Le vrai entraînement ne commence que demain, on était tranquille.
– Tout le monde est là ?
– Oui, oui, il ne manquait que toi, JJ et Ross, confirma Leo.
– Ross… ? Ah, le petit prodige américain, c’est ça ? »
Yurio chargea la valise dans le coffre et monta à l’arrière avec Phichit et Leo, alors que Chris prenait le volant et que Yuuri montait près de lui. Le Suisse démarra et sortit de parking pour les conduire à Edelweiss, cette petite ville un peu perdue dans les montagnes que tous connaissaient bien, y venant souvent depuis plusieurs années, chaque printemps, pour un championnat amical très cher au cœur de tous les patineurs du monde. Yuuri abaissa enfin sa capuche et passa sa main dans ses cheveux avant d’enlever ses lunettes noires, sans en remettre d’autres. Il n’en avait plus besoin depuis qu’il s’était fait opérer, trois ans plus tôt.
Tous virent alors le pansement au niveau de son arcade sourcilière gauche et le bleu sur sa tempe, un peu plus bas. Yurio serra les poings en grondant, Phichit et Leo eurent la même grimace navrée et enfin, Chris posa la question que tous avaient en tête sans oser la formuler :
« Comment va Viktor ? »
Yuuri le regarda un instant et haussa les épaules avec un sourire :
« Oh, bien, bien… Aussi bien que possible. Il vous salue tous.
– Je les retiens, ces vieux cons… grogna Yurio.
– Arrête, Yurio, c’est pas leur faute… soupira Yuuri.
– De qui tu parles ? demanda Leo, intrigué.
– De notre fédé ! Si ces connards avaient accepté que Yuuri vienne avec nous la semaine dernière, au lieu de faire chier parce qu’“il est pas russe gna gna”, Viktor serait pas resté à Saint-Pétersbourg avec lui, ils auraient été tranquilles ici et rien ne serait arrivé ! »
Il y eut un silence et Yuuri répéta :
« C’est pas leur faute, on te l’a déjà dit. Viktor te l’a déjà dit. Il a choisi de rester de son propre chef et personne ne pouvait prévoir ce qui s’est passé.
– N’empêche qu’ils font chier à te traiter comme un paria et qu’ils n’avaient pas à refuser que tu fasses le voyage avec nous ! »
Yuuri soupira et renonça. C’était sûrement plus simple pour Yurio d’avoir des gens contre qui tourner sa colère.
« Bordel, ça fait presque six ans que tu vis et que tu t’entraînes à Saint-Pétersbourg ! Et c’est limite s’ils te considèrent pas toujours comme un espion !…
– Hein ?! » sursautèrent ensemble Phichit, Leo et Chris.
Yuuri eut un petit rire à ce souvenir. Et ça énerva encore plus Yurio :
« Putain, mais ça t’amuse en plus !!!
– Sumimasen… Mais quand j’y repense, c’était tellement n’importe quoi…
– C’est quoi, cette histoire ? demanda Chris en s’arrêtant à un feu rouge.
– J’ai eu droit à un interrogatoire en règle des autorités russes quelques semaines après mon arrivée à Saint-Pétersbourg, quand ils ont pigé que je voulais vraiment rester. Il semblerait que je sois tombé sur des vieux de la vieille pas encore sorti de la Guerre Froide… Parce que comme Japonais, j’étais sûrement un espion des États-Unis.
– Tu es sérieux ?
– Tout à fait. J’ai appris ce jour-là, d’ailleurs, que le Japon et la Russie étaient en guerre.
– Hein ?! re-sursautèrent ensemble Phichit, Leo et Chris.
– Oui… Aucune armistice n’a été signé depuis 1945… Je ne savais pas, mais donc, nous sommes formellement citoyens de deux nations ennemies. Viktor trouve ça très romantique. »
Le téléphone du Japonais sonna. Il le sortit de sa poche et un sourire très doux se fit sur ses lèvres. Il décrocha sans attendre et dit :
« Privet, dorogoy…
– Konnichiwa, koi, lui répondit une voix aussi douce que fatiguée. Ben alors, tu t’es transformé en ninja pendant le vol ?… Comment tu as fait pour esquiver les journalistes ? Moi qui attendais les images de ton arrivée ! »
Yuuri eut un petit rire :
« Tu me verras ce soir à la conférence.
– Mais euh…
– Sois fort.
– Merci. Ton vol s’est bien passé ? Tu es où, du coup ?
– Tranquille. Je suis dans la voiture, Phichit est venu me chercher avec Yuri, Chris et Leo.
– Waouh, sacré commando ! Je comprends mieux l’esquive. Tu peux mettre le haut-parleur ?
– Bien sûr ! »
Yuuri s’exécuta et tint le téléphone plus près des autres.
« Salut les gars !
– Eh, salut Viktor ! s’exclama Phichit, souriant.
– Comment tu vas ? renchérit Leo.
– Ça va et vous ? Vous survivrez sans moi ?
– On va essayer ! répondit Phichit. Mais tu vas nous manquer !
– Tu me devais une revanche de l’an dernier ! gronda Yurio.
– Je sais, désolé. Il faudra t’y faire, tu resteras sur une défaite !
– Tu me paieras ça !
– À la vodka, quand tu veux ! »
Ils rirent, à part Yurio qui grogna. Viktor toussa :
« Oh bon sang, ça fait mal…
– Reste tranquille, Viktor… soupira tendrement Yuuri.
– Si je peux pas rire, c’est pas drôle…
– Ton homme a raison, Viktor, intervint Chris. Il faut te reposer.
– Je sais, je sais… Mais c’est vraiment pas drôle. Bon allez, un dernier truc et je vous laisse, le repas va arriver… S’ils me trouvent au tel’, je vais encore me faire engueuler.
– Dis-nous ? le relança Phichit.
– Alors je sais que Yuuri va me ramener la médaille d’or, mais je compte sur vous pour pas la lui offrir ! Y a intérêt à ce qu’il la mérite ! C’est pas parce que je suis pas là et que c’est sa dernière compet’ qu’il faut le ménager ! »
Et ils ré-éclatèrent de rire, surtout quand Yurio s’écria :
« Non, mais tu délires ! C’est moi qui vais l’avoir ! Ça t’apprendra à me priver de ma revanche !
– Eh mais c’est pas juste ! Pourquoi tu te venges sur moi ! répliqua Yuuri, amusé.
– Bon, intervint Chris. On arrive aussi. Viktor, tu permets que je coache ton homme ? Yakov m’a demandé de m’en charger, il se sentait pas à le gérer en plus des filles et de Yuri.
– Ah… Ben si tu veux, mais tu pourras, en plus de Sara et Emil ?
– Oui, t’en fais pas. De toute façon, c’est pour le principe, il est grand, il se débrouillera. Mais tu connais le règlement, ils vont l’emmerder s’il a pas un référent.
– Ça te va, Yuuri ? demanda sérieusement Viktor.
– Oh oui, sans souci. Merci, Chris, c’est gentil.
– Oh, de rien. C’est quand même le moins que je puisse faire… »
Viktor soupira :
« Bon, OK. Je te le confie, Chris. Mais si tu lui roules une pelle, t’es mort. »
Chris sursauta, les autres échangèrent des regards sans comprendre. Yuuri lâcha avec un sourire en coin :
« Sans concours de vodka, il y a peu de chance que ça dérape. »
Chris se gara sans rien dire, regardant ailleurs, et Yuuri coupa le haut-parleur. Il reprit tendrement en remettant l’appareil à son oreille :
« Bon, on est à l’hôtel, dorogoy. Je te laisse… Tu prends bien soin de toi, d’accord ?
– Oui, d’accord. Toi aussi, prends soin de toi. Daïsuki.
– Ya toshe tebya lyublyu.
– Mattane.
– Dasvidania. »
Yuuri raccrocha et rempocha son téléphone. Il sortit de la voiture en dernier et s’étira lentement. Yurio reprit sa valise et râla :
« Allez, on se rentre ! »
Il partit sans attendre. Leo le suivit et Phichit également. Chris soupira en regardant Yuuri :
« Comment t’es au courant pour le concours de vodka ?
– Viktor n’a pas beaucoup de secret pour moi, tu sais.
– Oh… Tu ne m’en veux pas, j’espère ? C’était juste un coup comme ça, tu sais, il n’y a jamais rien eu d’autre… »
Les deux hommes commencèrent à marcher vers l’hôtel :
« Pourquoi je t’en voudrais ? Ça s’est passé largement avant que je le rencontre, non ? Il m’a dit qu’il avait 22 ans ?
– C’est ça, et moi 19… Juste une beuverie qui a dérapé. Vraiment.
– Ne t’en fais pas. Il n’y a aucun problème. »
Chris hocha la tête et lui ouvrit la grande porte de verre.
« Tu te reposes un peu et on fait un point au dîner ?
– D’accord. Merci.
– Yuuri-sempaiiiiiiiiiii !!!!! » cria une voix larmoyante.
Yuuri sursauta et se tourna juste à temps pour recevoir le jeune homme qui lui sauta au cou.
« Oh, Kenjirô-kun… Konnichiwa… »
Yuuri sourit, attendri. Son jeune compatriote était vraiment en larmes.
« … J’étais tellement inquiet quand j’ai su… Tu vas bien ? Dis ? Et Viktor-san ?…
– Ça va, ça va, ne t’en fais pas… Et Viktor aussi. Il est toujours à l’hôpital, mais il va bien.
– Yukatta… »
Kenjirô le lâcha et Yuuri lui sourit gentiment. Lui aussi avait bien grandi. Toujours aussi frêle, mais désormais aussi haut que lui.
Yuuri lui tapota l’épaule, toujours de sa main droite :
« Allez, ça va, calme-toi. Viktor est très content que ce soit toi qui aies bénéficié de son forfait. Il te souhaite bonne chance. Alors fais-lui honneur. »
Kenjirô essuya ses yeux et se dressa pour hocher vivement la tête.
Sara arriva en courant, suivie par Emil et Michele :
« Yuuri ! Ça va ?
– Salut, Sara. Salut, les gars. »
Il dût, à eux aussi, leur assurer que ça allait avant de s’excuser, il voulait vraiment aller se doucher et dormir un peu avant la conférence de presse. Il rejoignit Yurio qui l’attendait à la banque d’accueil, récupéra sa clé et ils se dirigèrent vers l’ascenseur.
« Bon sang, soupira Emil en les regardant. Il a quand même l’air de s’être pris un sacré gnon…
– Ouais… Sur le coup, on a vraiment cru qu’il allait déclarer forfait aussi… renchérit Michele.
– Ça aurait vraiment été trop dur… soupira Sara, sincèrement navrée. Que ça soit arrivé juste avant leur dernière compétition, c’est vraiment dégueulasse… »
Dans l’ascenseur, Yurio avait croisé les bras, grognon, et Yuuri bâilla.
« Tu veux qu’on vienne te chercher pour la conférence ? fit le Russe.
– Oh oui, volontiers. Avec le décalage horaire, je risque de ne pas me réveiller. »
Il y eut un silence.
« Sérieux, ça ira ? demanda encore Yurio.
– Oui.
– Pour de vrai ? insista le jeune homme.
– Tu t’inquiètes pour moi ou quoi ? le charia gentiment le Japonais, amusé.
– Pas du tout ! se défendit vivement Yurio. Mais t’es plus tout jeune et j’ai juste pas envie de gagner parce que tu auras présumé de tes forces ! »
Il pointa Yuuri du doigt :
« C’est ta dernière compet’ et déjà que Viktor m’a lâché, alors tu me dois un beau duel ! T’as pas intérêt à te lancer là-dedans si tu peux pas assumer ! »
Yuuri sourit, cette fois ci avec un regard de défi.
« C’est toute l’estime que tu me portes, à croire que je viendrais sans en être capable ? »
Yurio le regarda, un peu surpris, puis recroisa les bras :
« T’as intérêt à déchirer !
– J’ai une médaille d’or à ramener à Saint-Pétersbourg à quelqu’un que j’aime.
– Ça, tu peux te brosser !
– Alors, rendez-vous sur la glace. »
Yuuri tendit son poing droit à Yurio qui le frappa avec le sien avec un sourire en coin :
« Ouais ! »
Les portes s’ouvrirent et ils sortirent dans le couloir. Yurio portait toujours la valise et il l’amena jusqu’à la chambre. Cette dernière était double. Yuuri soupira. Yurio posa la valise près du premier lit :
« Allez, je te laisse ? Repose-toi bien. Et t’hésite pas hein, on est là.
– Je sais. Merci.
– De rien. »
Yurio lui tapota l’épaule.
« De rien. » répéta-t-il, incapable de rien trouver d’autre à dire.
Il sortit. Yuuri sourit. Sacré gamin, toujours aussi maladroit…
Resté seul, Yuuri s’assit un instant sur le lit. Il enleva sa veste sans mouvement brusque, puis, délicatement, retira le gant de sa main gauche, soigneusement bandée. Il enleva son pull et son t-shirt avec la même lenteur, découvrant un torse où on voyait encore quelques ecchymoses et surtout, le bandage qui couvrait en fait son bras gauche de la main jusqu’au coude. Il bougea sa main lentement. Ne pas forcer. Mais ça allait. Il ôta lentement le bandage, bougea tout aussi lentement son poignet, puis son bras, grimaçant un peu. Ça irait. Il faudrait bien que ça aille.
Il acheva de se déshabiller et alla ouvrir sa valise, prendre sa trousse de toilettes, pour aller à la salle de bain. Belle et claire, la pièce était grande, avec une douche italienne. Il se glissa sous le jet sans attendre. L’eau chaude le détendit enfin un peu. Il retira son pansement avec une petite grimace, mais c’était bien cicatrisé. Ses pensées le ramenèrent bien vite à Viktor et il se mit à trembler.
Au souvenir du visage en sang de son compagnon et de cet improbable sourire lorsqu’il avait dit : « Dieu soit loué… Tu n’as rien… ».
Non non non…
Je ne dois pas penser à ça maintenant.
Il se frotta le visage. Il avait eu si peur…
Il se secoua en passant ses mains dans ses cheveux pour les ramener en arrière.
Tu es vivant. Tu vas bien. Je dois me reprendre. Tu m’as demandé de te ramener cette médaille. Je la ramènerai. C’est mon dernier championnat. Et je partirai en vainqueur. Tu seras fier.
Yuuri inspira un grand coup. Il n’y avait rien qu’il aimait plus au monde que de voir son compagnon le regarder avec les yeux pétillants de fierté, débordant d’amour.
Tu m’as toujours poussé à aller plus loin. Je vais leur prouver à tous que tu as été le meilleur des maîtres. Quoi qu’ils en disent. Jamais je ne permettrais qu’on doute de toi.
*********
Yuuri avait dormi comme une masse, mais contrairement à ce qu’il avait pensé, il se réveilla dans les temps. Il avait dormi nu, s’étant écroulé sur le lit au sortir de la douche. Heureusement, la chambre était assez chaude. Il s’habilla d’un simple pantalon de survêt et d’un t-shirt gris, rebanda soigneusement son bras et sa main, enfila ses baskets, prit son téléphone, sa veste et sortit. Il n’eut que le temps de se demander où se passait la conférence qu’une voix le fit sursauter :
« Eh, salut, Yuuri ! »
Il se tourna et sourit :
« Tiens, salut Seung-Gil ! »
Le Coréen lui serra la main fermement.
« Comment tu vas ?
– Bien, merci, et toi ?
– Bien. Et Viktor ? demanda ensuite Seung-Gil sans relever le bandage.
– Tout doux.
– Il est encore à l’hosto, c’est ça ?
– Oui. »
Ils prirent le chemin de l’ascenseur. Seung-Gil demanda encore :
« Il a quoi, au juste ? Les journaux ont dit tout et n’importe quoi et les réseaux sociaux, je t’en parle même pas…
– Une cotte cassée, deux fêlées et surtout le genou droit en vrac. Le reste, c’est déjà presque oublié.
– Ah, moins grave que je pensais. J’avais lu des histoires de coma et d’hémorragies internes assez glauques…
– Non, ça non. Il était sonné, mais il n’a pas perdu connaissance et Dieu merci, il n’a rien eu dont il ne puisse pas se remettre. »
En sortant de l’ascenseur, ils tombèrent nez à nez avec Yurio et Otabek.
« Ah, te voilà ! lui dit le blond. On montait justement te chercher. »
Otabek tendit la main à Yuuri qui la serra sitôt sorti de l’ascenseur. Le Kazakh lui tapota aussi l’épaule.
« Bienvenue.
– Merci.
– Allez, on se bouge, on va être à la bourre ! » reprit Yurio.
Ils rejoignirent la salle où se passait la conférence. Une longue table de dix places les attendait. Les autres étaient déjà là, la plupart assis. Voyant les quatre derniers venus, JJ se releva pour venir saluer Yuuri. Il y eut un certain nombre de flashs lorsqu’ils se serrèrent la main.
« Salut, Yuuri.
– Salut, JJ.
– Content de te voir. Sincèrement. Et tu transmettras tous mes vœux de guérison à Viktor.
– Merci et merci pour lui. »
Avisant une jeune tête toute nouvelle pour lui qui le toisait avec une franche suspicion, pour ne pas dire un certain dégoût, Yuuri préféra le saluer d’un signe de tête. C’était John Ross, un tout jeune Américain de 16 ans, surdoué qui faisait ses premiers pas parmi les seniors. Le garçon tourna vivement la tête sans répondre à son salut silencieux. Yuuri ne releva pas et vint s’asseoir entre Phichit et Kenjirô qui lui faisaient signe et lui avaient gardé une place.
Les dix patineurs furent bientôt tous assis et attendirent un peu que les flashs se calment.
L’homme qui allait cadrer la conversation prit son micro.
« Bonjour à tous, bienvenue, et bienvenue à nos athlètes. Sont présents pour ce 18e Championnat des Glaces, de gauche à droite, Jean-Jacques Leroy, qui patinera pour le Canada, John Ross, le benjamin du groupe, dont c’est la première vraie compétition chez les seniors, et Leo de la Iglesia, qui patineront pour les États-Unis, Phichit Chulanont, pour la Thaïlande, Yuuri Katsuki, le doyen du groupe du haut de ses 29 ans, dont toute l’équipe du championnat salue le courage pour être venu malgré l’agression dont lui et son compagnon Viktor Nikiforov ont été victimes la semaine dernière… »
Yuuri eut un sourire gêné alors que des applaudissements se faisaient entendre, y compris parmi les autres patineurs.
« … Viktor Nikiforov qui restera le grand absent de ce championnat, auquel nous pensons tous très fort et à qui nous souhaitons un rétablissement rapide. Vient ensuite Kenjirô Minami, sélectionné en dernière minute suite à l’abandon par forfait de Viktor Nikiforov. Yuuri Katsuki et lui patineront pour le Japon. Puis Yuri Plisetski, seul représentant de la Russie, Otabek Altin pour le Kazakhstan, Emil Nekola pour la Tchéquie et enfin Seung-Gil Lee pour la Corée. Je rappelle que la compétition, qui exige des programmes originaux après sélection des patineurs sur leurs programmes de l’année précédente, commencera après-demain, mercredi, avec le programme court des hommes, le jour suivant aura lieu celui des dames, puis le programme libre des hommes et enfin celui des dames. Le gala d’exhibition clôturera le tout dimanche, avec la remise des médailles. Nous attendons vos questions. »
Il y eut un petit flottement, puis quelques mains se levèrent.
« Une question pour Yuuri Katsuki, s’il vous plaît. Pouvez-vous nous informer de l’état de santé actuel de Viktor Nikiforov et du vôtre ? »
Yuuri soupira. Bon sang, il en était sûr… Il se redressa vers le micro et réfléchit un instant avant de répondre :
« Merci. Avant toute chose, je tiens à dire que je suis venu ici en tant que patineur japonais pour participer au championnat. Je ne suis pas ici pour parler de ma vie privée, d’une enquête dont je ne sais de toute façon rien et je ne veux pas que cette conférence soit parasitée par les événements de la semaine passée. Je vais donc faire un rapide état des lieux pour vous répondre, mais je vous prierai de ne plus aborder la question après cela. »
Il marqua une pause et reprit :
« En ce qui me concerne, mes blessures étaient vraiment superficielles et je vais très bien, je vous remercie. Lorsque j’ai quitté Saint-Pétersbourg ce matin, Viktor était toujours à l’hôpital, qu’il devrait quitter d’ici quelques jours si tout va bien. Il se remet doucement, mais ses blessures ne sont pas si dramatiques, ni handicapantes à long terme. Son moral est excellent et s’il regrette d’être privé de sa dernière compétition, c’est plus parce que c’est un événement qui lui tenait à cœur avec des gens qu’il apprécie, mais il est heureux de partir sur sa dernière médaille d’argent au Grand Prix. Il tenait à remercier, et moi également, toutes les personnes qui nous ont soutenu dans cette épreuve. Nous avons été inondés de messages, surtout via Internet, et ça nous a vraiment fait très chaud au cœur. Merci aussi aux personnes qui ont lancé une pétition pour demander justice, ça nous a beaucoup surpris, mais ça aussi, ça nous a réellement touchés. Viktor va aussi bien que possible et je n’ai aucun doute sur le fait qu’il se remettra très vite, beaucoup plus vite que nous le pensons tous, moi y compris, pour aller de l’avant, comme il l’a toujours fait. C’est un homme dont le plus grand talent est de toujours nous surprendre, dont la spécialité est de déjouer les pronostics, preuve s’il en faut, être toujours sur les podiums à 33 ans, et ce n’est pas ça qui va l’arrêter. Nos projets n’ont pas changé, nous nous retirerons comme prévu des compétitions après ce championnat. Nous n’avons pas encore décidé exactement de la suite, mais ça va commencer par de bonnes, grosses et longues vacances. Enfin, juste parce qu’on nous a posé la question, Makkachin va très bien et a été confié à un ami sûr le temps de l’hospitalisation de Viktor. »
Yurio opina du chef à cette dernière phrase, ce qui lui valut un regard intrigué d’Otabek qui se pencha pour lui demander tout bas :
« Un ami à toi aussi ?
– Mon grand-père. »
Otabek hocha la tête avec un sourire.
D’autres questions suivirent, Yuuri suivit ça plaisamment, intervenant comme d’autres parfois, et l’ambiance était plutôt à la bonne humeur. Seul le petit John restait peu loquace, pas très à l’aise au milieu de ces adultes qui se connaissaient depuis des années et avaient la vanne très facile. Le garçon sursauta d’ailleurs lorsqu’une question lui fut posée directement :
« Monsieur Ross, comment vivez-vous d’avoir été sélectionné à cette compétition ? »
Bonne question, songea Yuuri. Le Championnat des Glaces était une compétition assez particulière et d’habitude, réservé à des patineurs mûrs, il suffisait de voir la moyenne d’âge. Il était très rare qu’un patineur si jeune y accède. Le dernier en date était Yurio, qui y avait été convié lui aussi dès ses 16 ans. Et le premier, Viktor, invité dès le premier Championnat, 18 ans plus tôt, alors qu’il en avait 15.
« Euh… C’est un grand honneur d’être ici, entouré de si grands patineurs… J’espère être à la hauteur, mais j’ai confiance en Dieu qui m’a toujours guidé vers la victoire et je n’ai aucun doute sur le fait que ce sera aussi le cas ici. »
Un ange passa.
Yuuri leva un sourcil dubitatif et échangea un regard perplexe avec Phichit et Kenjirô. Ce dernier haussa les épaules. Yuuri jeta un oeil à sa gauche pour interroger les autres du regard. Yurio dénia du chef en grognant, Otabek lui fit signe de laisser couler et Seung-Gil aussi.
La conférence s’acheva peu après. Les dix patineurs se levèrent et se laissèrent photographier poliment avant de se retirer.
*********
Yuuri et Chris rejoignirent le restaurant de l’hôtel après avoir fait un point sur l’organisation de la journée d’entraînement du Japonais le lendemain.
« On fait comme ça ?
– On fait comme ça ! »
Les deux hommes se tapèrent dans la main et, laissant le Suisse rejoindre la table des Italiens et d’Emil qu’il coachait désormais avec Michele, Yuuri alla vers Phichit qui lui faisait signe, attablé avec Kenjirô, Yurio et Otabek.
« Désolé pour le retard ! leur dit-il en s’asseyant.
– Y a pas de souci, on est pas aux pièces ! lui répondit Phichit, tout sourire. Tu as faim ?
– Très !…
– Je me prendrais bien le burger maison, moi, dit Yurio avec un sourire en coin. Si leurs frites sont aussi bonnes que l’an dernier… Et toi, porcelet ?
– Va te faire foutre, rigola Yuuri en regardant la carte.
– Moi aussi, je t’aime. »
Six ans qu’il le narguait à propos de son poids… Yurio faisait attention, mais il n’avait pas autant que Yuuri le risque de grossir au moindre faux pas ou à chaque séjour chez ses parents. Viktor et lui n’avaient pu, en six ans, prendre que trois fois des vacances à Hasetsu. Les trois fois, Yuuri était revenu avec pas mal de kilos à perdre. Ce qu’il admit bien volontiers lorsqu’Otabek s’en étonna.
« La génétique est contre moi !
– Je confirme, sa mère est une boule, confirma Yurio en posant son menu.
– Eh, ma mère est adorable !
– Ah, mais j’ai pas dit le contraire. Une adorable boule. »
Yuuri posa la carte à son tour en lui tirant la langue. Yurio croisa ses bras sur la table et reprit :
« Mais elle t’a mal élevé aussi, à te gaver de katsudon…
– Dans mes souvenirs, tu crachais pas dessus non plus.
– Ben ça t’en faisait moins…
– C’est ça, c’était pour me rendre service…
– Tout à fait ! »
Kenjirô bâilla et soupira :
« La cuisine d’Hiroko-san, j’en bave rien que d’y penser !
– Les cuisines des mamans, c’est toujours les meilleures, sourit Otabek.
– La tienne faisait quoi ? lui demanda Phichit, curieux.
– Soudjouk quand on pouvait, mais c’est surtout ses mantys qui me tirent des larmes chaque fois que j’y retourne.
– Ah, soudjouk, se souvint Yurio, tu m’avais fait goûter ! C’étaient les saucisses de cheval, là ?
– C’est ça, opina le Kazakh.
– Et le manty, c’est quoi ? demanda Yuuri.
– Un beignet fait avec de viande hachée d’agneau et de mouton, assaisonnée de poivre noir. Ça cuit à la vapeur et on sert avec de la sauce à l’oignon, et celle de ma mère, c’est juste orgasmique.
– Ça a l’air sympa ! reconnut le Thaï alors que les autres opinaient du chef.
– Et toi, Phichit, c’était quoi ?
– Nouilles ou riz sautés, et là, elle mettait toujours tout ce qui lui passait par la main dedans !… Mais à chaque fois, c’était super bon ! Pourtant, je vous jure qu’on a eu des trucs complètement invraisemblables! »
Un serveur rejoignit leur table :
« Tout va bien, messieurs ? Vous avez choisi ?
– Oui, merci ! »
Ils commandèrent et le débat culinaire continua un moment, jusqu’à ce qu’ils soient servis. Puis ils se mirent à manger avec appétit, Yurio demandant régulièrement à Yuuri s’il était sûr de ne pas vouloir de frites avec sa grosse salade composée.
Au bout d’un moment cependant, la conversation se fit un peu plus vive et attira l’attention des autres tables alentours.
« Mytho, disait Yurio.
– Non, j’y arrive encore, répondait Yuuri.
– Sérieux ? s’étonna Phichit.
– Oui, bien sûr que oui…
– Tu bluffes ! répéta Yurio.
– Non.
– Si.
– Non.
– Si.
– Tu fais chier, Yurochka.
– Moi je dis que tu bluffes, c’est tout, porcelet.
– Ben c’est vrai qu’à ton âge… » reconnut Phichit.
Yuuri se leva :
« Putain, vous êtes lourds… »
Il s’éloigna un peu de la table pour effectuer un grand écart facial avec une facilité qui laissa pantois la moitié des personnes présentes. Il croisa les bras :
« Oui, j’arrive toujours à faire le grand écart à froid. Ça va là, vous me croyez ? »
Ses comparses avaient éclaté de rire, sauf Kenjirô qui le regardait avec une admiration, pour ne pas dire une adoration, totale, et il n’était pas le seul dans l’assistance. Yuuri rit aussi et se releva :
« Non mais les mecs, mes deux heures d’étirements tous les matins, c’est pas pour le plaisir.
– T’oublie la course, ajouta Yurio.
– Ça, c’est pas pour la souplesse, lui répondit Yuuri en se rasseyant.
– Endurance ? demanda Otabek.
– Ben y en faut pour sortir 4 quadruples…
– Surtout en 2e partie de programme, sourit Phichit. Là-dessus, tu me bluffes à chaque fois. Même JJ commence à avoir du mal…
– Et Viktor, il en est où ? s’enquit encore le Kazakh.
– Il en tient encore trois sans souci. »
Il y eut un silence pendant lequel ils réalisèrent tous à quel point il était délicat d’encore dire ça au présent. Mais aucun ne le dit à voix haute. Ils changèrent de sujet.
Kenjirô les laissa assez vite, fatigué, et les quatre amis, le repas fini, décidèrent d’aller profiter de la douceur du soir sur une terrasse avec quelques bières.
Seuls et au calme, assis au sol sous le ciel étoilé, ils restèrent un moment silencieux avant que Yurio ne demande, jambes pliées contre son torse et bras autour, sombre :
« Sérieux, il pourra repatiner ? »
Yuuri soupira tristement avant de répondre :
« Les médecins ne savaient pas trop… On espère. Normalement oui. Reste à savoir combien de temps ça peut prendre… Les côtes, ça devrait être rapide. Le genou, on sait pas.
– Putain mais pourquoi c’est arrivé… soupira encore le jeune Russe.
– Vous les avez reconnus, ces gars ? » demanda Otabek, grave.
Yuuri dénia du chef, triste. Il passa son bras autour de son genou gauche, dressé, et répondit :
« Non. On ne les connaissait pas. C’étaient sûrement juste cinq cons bourrés qui ont voulu casser du pédé…
– C’est vraiment pour ça… Qu’ils vous ont attaqués… ? » bredouilla Phichit, horrifié.
Yuuri haussa les épaules.
« J’en sais rien. Viktor ne m’a rien dit à moi, mais apparemment, c’est ce qu’il a dit aux flics. Eux m’ont demandé de confirmer, mais j’ai pas pu… J’ai rien compris à ce qu’ils racontaient… »
Il eut un petit rire triste :
« Mon niveau de russe injurieux et bourré est pas terrible.
– C’est pas ta faute… » lui dit doucement Phichit en passant son bras autour de ses épaules.
Yuuri renifla en haussant à nouveau les épaules :
« Je sais, mais… »
Il baissa la tête et eut un sanglot :
« Viktor, merde… »
Il y eut un silence. Les autres attendirent, pensant tous : vas-y, Yuuri, vas-y, raconte. Garde pas ça pour toi… On est là.
« … On rentrait comme tous les soirs… Le pont qui longe le parc Tchaïkovski… On était tranquille… On se tenait même pas la main ni rien… On parlait de nos chorés… Alors oui, peut-être qu’on a fait trois pas de danse, j’en sais plus rien… Ces mecs nous sont tombés dessus d’un coup… Ils puaient l’alcool… Ils gueulaient, j’ai rien compris… Je me suis pris un coup sans le voir venir… Viktor m’a attrapé, il leur parlait, mais ils l’ont juste frappé aussi… Après… Viktor m’a poussé du pont… Il m’a dit “pardon” et il m’a poussé dans le vide… »
Il sanglota encore.
« Il savait qu’on était au-dessus des grandes haies du parc… Qu’elles allaient amortir ma chute… J’suis tombé sur le bras, mais sur le coup j’ai rien senti… J’étais complètement sonné… J’ai couru comme un fou, mais l’escalier pour remonter était super loin… Quand je suis enfin arrivé, j’ai hurlé et les mecs se sont barrés… Et Viktor… »
Phichit resserra ses bras autour de lui
« …Viktor était par terre… Le visage en sang… J’ai cru qu’il était… Je l’ai pris dans mes bras… Et il m’a souri… Il respirait mal, il a caressé ma joue et il a juste dit “Dieu soit loué… Tu n’as rien…” »
Yuuri se tut. Il renifla, se calmant lentement. Phichit ne l’avait pas lâché et Yurio serrait les poings, tremblant de rage. Otabek était sincèrement navré. Yuuri inspira un grand coup et reprit :
« Je sais même plus comment j’ai fait pour appeler les secours… L’ambulance est arrivée assez vite… Et Viktor me répétait que ça allait, qu’il était heureux que je n’ai rien, qu’il ne fallait pas que je m’en fasse… Sans arrêt… Et j’ai pas lâché sa main jusqu’à l’hôpital… Jusqu’à ce qu’ils l’embarquent pour le soigner… C’est là que j’ai commencé à avoir mal aussi… Ils m’ont soigné aussi… Je comprenais pas la moitié de ce qu’ils me demandaient… J’étais vraiment en état de choc…
– On le serait à moins… soupira Otabek et Yurio opina du chef avec un soupir.
– … C’est quand ils ont vu nos papiers qu’ils ont compris qui on était… La police est arrivée et j’y comprenais rien non plus… Ils ont pas insisté, les médecins leur ont dit de me lâcher… Ils sont repartis voir où ça en était du côté de Viktor… Moi, les médecins me disaient sans arrêt qu’il allait s’en sortir, que c’était pas si grave… J’ai mangé et j’ai attendu… J’ai aucune idée de l’heure qu’il était lorsque j’ai enfin pu le voir… Ils venaient de l’installer dans sa chambre. Ils m’ont expliqué ce qu’il avait… Je suis resté près de lui un moment… Il me disait toujours la même chose… Que c’était pas grave, qu’il était vraiment soulagé que je n’ai rien… Que ça allait aller… Que la seule chose qui comptait, c’est qu’on soit en vie… »
Il se redressa et souffla un coup.
« … Ça devait être 3 ou 4h quand je suis rentré… Ils m’ont appelé un taxi… Il fallait que je le laisse se reposer et que je dorme aussi… Makkachin s’est mis à couiner derrière la porte dès qu’il m’a entendu… Et moi, je suis tombé à genoux et j’ai fondu en larmes en le serrant dans mes bras… C’est le téléphone qui m’a réveillé vers 11h, je crois… Georgi qui s’inquiétait de pas nous voir à l’entraînement… Il était désolé quand je lui ai expliqué… Après, je suis retourné à l’hôpital… Les policiers venaient d’interroger Viktor, ils m’ont demandé de confirmer si nos agresseurs nous avaient bien traité de pédés et d’enculés, parlé de honte et de perversion, mais sérieux, j’en savais rien… Mais bon, c’était pour le principe, ils avaient vraiment l’air de s’en foutre aussi… Si ça avait pas été Viktor et moi, y aurait sûrement même pas eu de plainte… »
Un nouveau silence.
« Il a déclaré forfait dans la foulée. Mais il m’a demandé de ne pas le faire… Je voulais, parce que je voulais rester près de lui… Mais il m’a demandé de venir… De lui ramener la médaille… Je voulais pas, mais il a vraiment insisté… Il se serait trop senti coupable de me priver de ça, alors j’ai fini par accepter… Ton grand-père a été génial, Yuri. Vraiment. C’est super gentil de lui avoir demandé de nous aider… »
Yurio regarda ailleurs, un peu rose, but une gorgée de bière et grogna :
« Ça va, fais pas suer, c’est normal. Il vous aime bien, il était content d’être utile…
– Viktor m’a dit qu’il passe pas mal de temps avec lui. Il lui apprend à jouer aux échecs…
– Et donc, c’est lui qui s’occupe de Makkachin ? sourit Otabek. Tu n’as pas voulu l’embarquer ? Vous l’aviez bien, ici, l’an dernier ?
– Oui, mais là, je ne sentais vraiment pas à l’emmener. Viktor sera content de l’avoir près de lui quand il sortira de l’hôpital. »
Ils eurent tous quatre un petit rire lorsque Phichit soupira en lâchant enfin Yuuri :
« Makkachin, le plus grand amour de Viktor…
– Clair qu’il y tient à sa peluche ! opina Yurio. Quel âge il a, d’ailleurs ?
– Ben, il est pas très loin de toi, en fait, répondit Yuuri.
– Sérieux ? sursauta Otabek.
– Non, j’exagère un peu. Il a 17 ans, je crois. Mais il est encore super en forme. Il court avec moi tous les matins… »
Ils ne tardèrent pas à aller se coucher. Phichit, Yurio et Otabek se firent un devoir de ramener Yuuri à sa chambre. Ils l’étreignirent tous trois, chacun leur tour, avant de le laisser.
« Allez dors bien, lui dit Phichit.
– Faut que tu sois en forme pour gagner cette médaille, ajouta Otabek.
– Ouais, parce qu’on va pas te la filer comme ça ! renchérit Phichit.
– J’y compte bien ! »
Il leur sourit :
« Merci, les gars.
– De rien, crétin. File dormir. Je me charge de te botter le cul aussi longtemps que Viktor pourra plus lever la jambe pour. » conclut Yurio avec un sourire en coin.
Yuuri hocha la tête, souriant aussi :
« Ça aussi, j’y compte bien ! »
Yuuri se coucha sans attendre et mit un moment à s’endormir. Ça faisait une éternité qu’il ne s’était pas retrouvé seul pour une compétition, seul dans une chambre d’hôtel. Une éternité… Presque six ans.
Allongé sur le dos, il finit par plier ses bras sous sa tête avec un soupir.
Six ans… Les six années les plus folles et surtout les plus heureuses de sa vie… Des journées sur la glace et des nuits blotti dans les bras de l’homme qu’il avait tant admiré avant de simplement l’aimer et dont il ne comprenait toujours pas vraiment pourquoi il avait débarqué ainsi dans sa vie et l’avait aimé, lui aussi, au point de ne plus jamais en sortir, au point de l’emmener avec lui au sommet de podiums dont ni l’un ni l’autre n’était jamais descendu depuis. À une exception près où Viktor, sortant d’une grippe, avait fini 4e (et lui 3e pour la même raison).
Yuuri l’avait suivi à Saint-Pétersbourg sans hésiter. Ça n’avait pas été facile, plusieurs des responsables de la fédération russe le détestant ouvertement, les uns de l’intérêt que lui portait Viktor, les autres de le leur avoir pris un an, avec ça de médailles en moins pour leur chère patrie. Le tout souvent saupoudré d’une bonne couche d’homophobie, d’ailleurs. Ça avait inquiété Viktor, mais Yuuri n’en avait strictement rien à faire. Pas comme si être danseur et patineur était facile à vivre socialement pour un jeune garçon au Japon, il avait été à bonne école là-dessus, ça faisait très longtemps qu’il avait appris à ignorer ça. Et il assumait totalement d’avoir volé Viktor pendant un an, surtout, voire y compris quand on le lui faisait remarquer.
Deux choses comptaient pour Yuuri, Viktor et le patin. Tout comme les trois seules priorités de Viktor étaient Yuuri, le patin et Makkachin.
Yuuri sourit en pensant à la facilité avec laquelle le vieux chien l’avait adopté, allant jusqu’à attendre poliment la fin de leurs étreintes pour les rejoindre dans le lit, désireux de dormir avec son maître comme il en avait toujours eu l’habitude. L’attachement de Viktor pour son chien était aussi étrange qu’excessif pour des yeux extérieurs et Yuuri lui-même avait mis un moment à comprendre pourquoi son amant tenait tellement à cette grosse peluche si sympathique. Tout simplement parce que Makkachin était sa seule famille.
Hiroko ne pensait sincèrement pas à mal lorsqu’elle avait dit à Viktor que ses parents devaient vraiment être fiers de lui, un soir au dîner, quelques jours après leur retour de Barcelone. Viktor avait souri sans répondre, mais son sourire avait sonné douloureusement faux aux yeux de son amant.
Plus tard, après sa douche et s’essuyant d’ailleurs encore les cheveux, en le rejoignant dans sa chambre, devenue leur chambre commune, Yuuri avait trouvé son compagnon assis au bord du grand lit, contemplant une vieille photo très abîmée. À ses pieds, Makkachin était couché et sommeillait.
« Vitya ? Daïjobô ? »
Le Russe avait sursauté :
« Chto ?!… Oh, Yuuchan… »
Yuuri s’était assis à côté de lui, gardant sa serviette autour de son cou.
« Qu’est-ce qu’il y a ?
– Rien, je me demandais si ta mère avait raison… Si ces deux-là sont fiers de moi, où qu’ils soient… »
Il lui avait montré la vieille photo et Yuuri avait sursauté. On y voyait une femme enceinte et derrière elle, la tenant tendrement, les mains sur le ventre rond, un grand gaillard. Tous deux étaient radieux. L’homme était impressionnant, mais Yuuri n’avait eu besoin de rien de plus pour la reconnaître, elle :
« Tu es vraiment le portait craché de ta mère…
– N’est-ce pas.
– Comment elle s’appelle ?
– Ils s’appelaient Dimitri et Elizaveta. »
Yuuri avait noté le passé avant de regarder son compagnon, tremblant :
« … Ils sont… ? »
Viktor lui avait souri et avait caressé ses cheveux :
« Ne t’en fais pas. Ça fait longtemps. Je ne les ai pas connus.
– Vraiment… ? »
Le Russe avait soupiré avant de poser ses coudes sur ses cuisses :
« Ma mère est morte quand je suis né et mon père était soldat. Il n’était jamais là et il a été tué en Tchétchénie quand j’avais quatre ans. Je n’ai aucun souvenir de lui. J’ai été mis dans un orphelinat tenu par des religieuses adorables, une surtout, tout ronde comme ta mère… avait souri Viktor. Jusqu’à ce que je sois repéré par la Fédération. La suite, tu la connais, je pense. Des années d’entraînement et des années de gloire… »
Yuuri en avait les larmes aux yeux. Viktor l’avait regardé et lui avait encore souri en caressant doucement sa joue :
« Pourquoi tu pleures ? Ce n’est pas grave, tu sais. Ça ne me manque pas. On ne peut pas regretter ce qu’on a pas connu. »
Yuuri n’avait pas répondu. Qu’aurait-il pu dire ? Tu as dû être si seul…
Il avait suivi Viktor à Saint-Pétersbourg sans hésiter et sans réfléchir, décidé à devenir sa famille. Décidé à tout faire pour que plus jamais, Viktor n’ait que son chien pour l’aimer.
*********
Chris regarda sa montre, un peu inquiet. Presque 10h ? Où restait Yuuri ? Pas qu’il s’ennuie avec Sara, Monica et Emil à coacher, mais tout de même.
Sur la grande patinoire située juste à côté de l’hôtel qui lui était d’ailleurs dédié le temps de ce championnat, les patineurs et les patineuses s’entraînaient tranquillement dans une excellente ambiance, si l’on exceptait le petit John Ross, chaperonné très rigoureusement par son propre coach, un certain Billy Bull, et sa mère, Linda Ross, une femme à peu près aussi souriante qu’une grille de salle d’exécution et d’une rigueur religieuse qui aurait fait passer Donald Trump pour le Dalaï-Lama.
Ces derniers avaient jusqu’ici tenu l’adolescent à l’écart des autres, soupçonnés d’un tas de choses plus ou moins définies, mais le fait qu’ils ne soient pour la plupart ni Américains, ni protestants, voir (drame) même pas chrétiens du tout parfois, et on ne parlait même pas des mœurs odieuses et perverses de certains, devait y être pour beaucoup.
« Eh, Chris ! appela Yurio en venant au bord de la glace, suivi de Phichit. T’as des nouvelles de Yuuri ?
– Ben non justement, ça m’inquiète un peu… »
Yurio grommela. Son chignon se défaisait, il enleva carrément l’élastique et ébouriffa un instant sa tignasse pour le refaire.
« Tu l’as vu, ce matin ? demanda encore Phichit à Chris.
– Euh, non… »
Linda Ross, qui écoutait ça d’une oreille, non loin de là, songea que si cet horrible pervers n’était même pas fichu d’être prêt à s’entraîner à une heure si tardive, c’était possiblement qu’il avait dû passer une nuit de débauche ou pire encore. Elle en frémit de dégoût.
Yurio rattacha ses cheveux :
« J’espère qu’il lui est rien arrivé…
– Je vais l’appeler… » dit Phichit.
Le Thaï allait sortir de la glace pour prendre son téléphone lorsque Yuuri arriva, à bout de souffle. Il rejoignit Chris et les deux autres en courant :
« Sumimasen… »
Yurio rigola et Chris sourit :
« Houlà, respire. T’as piqué un sprint ou quoi ? »
Yuuri opina du chef.
Linda Ross se dit que s’il était dans cet état alors que l’hôtel était à deux pas…
« Désolé, vraiment, je me suis perdu… »
Entre l’hôtel et ici ? Seigneur, c’était ça qui avait gagné tant de médailles… ?
Yuuri se redressa enfin, ayant un peu repris son souffle.
« … Désolé, répéta-t-il. J’étais perdu dans mes pensées, j’ai pas du tout fait gaffe et quand je l’ai réalisé, je savais plus du tout où j’étais… J’avais tellement l’habitude de suivre Viktor et Makka que j’avais absolument pas réalisé à quel point je connaissais pas la ville… »
Ses amis rirent et il rit avec eux en ramenant en arrière à deux mains ses cheveux trempés de sueur :
« Du coup, le temps que je trouve quelqu’un parlant suffisamment bien anglais pour me renseigner, me voilà, mais j’ai perdu une bonne 1/2h alors oui, j’ai bien sprinté sur la fin…
– C’est pas grave, content de te voir !
– T’as pas un GPS sur ton tel ? demanda Phichit.
– Euh, je connais pas l’adresse du centre par cœur… » avoua Yuuri et ils éclatèrent de rire tous les quatre.
Yuuri esquiva souplement la tape que lui destinait Chris.
« Putain, mais t’es vraiment un boulet ! »
Ils se calmèrent et Chris reprit en posant sa main sur sa hanche :
« Allez, douche, miam et tu reviens ?
– Oui chef !
– J’ai vu les cuistots, tout est OK. Ils savent comment tu fonctionnes, depuis le temps, ils avaient tout prévu.
– Ah, trop cool ! Eh, vous savez que le gardien de la patinoire avait laissé la clé pour moi à l’accueil pour ce matin ? »
Yurio eut un petit rire en secouant la tête alors que Phichit et Chris souriaient :
« Vraiment ?
– Tu as pu venir direct à 6h, alors ?
– Direct, juste après mon premier petit dej’ !
– Ils sont vraiment aux petits soins pour nous, ici, sourit Phichit en croisant les bras.
– Grave, soupira Yurio en s’accoudant à la barrière. À ce niveau, c’est plus de la compet’, c’est des vacances… »
Ils rirent encore et Yuuri fila. Chris le regarda partir avec un soupir, souriant.
« Ce mec est un grand malade.
– Et encore, là il est plutôt calme… soupira Yurio.
– Eh, Yuri, ça fait un moment que je voulais te demander, commença Phichit. C’est vrai cette histoire qu’ils s’entraînent même la nuit ? »
Yurio rigola en se redressant.
Le jeune John Ross vint faire une petite pause près de sa mère.
« Non, enfin c’est arrivé une seule fois, expliqua le Russe en s’agrippant au rebord pour s’étirer un bon coup. Et ils avaient un décalage horaire dans les pattes. En fait… »
Il se redressa.
« … On les a laissés un soir, ils voulaient rester un peu pour bosser un truc, donc, bon, ça, ça arrive, à tout le monde, donc pas de souci, sauf que quand j’ai redébarqué le matin suivant, vers 8h, ils étaient encore là… Et Viktor me dit : “Tiens, t’as oublié un truc ?”… Ces deux crétins s’étaient bien entraînés toute la nuit, pas vu le temps passer et ils avaient même pas vu le jour se lever… Et quand je leur ai dit, Yuuri qui sort “Ah, je me disais bien que je commençais à fatiguer un peu.”… Yakov les a renvoyés en hurlant, c’est Georgi qui les a reconduits. On s’est foutu de leur gueule pendant deux mois… »
Chris soupira encore en secouant la tête alors que Phichit riait :
« Deux grands malades !
– Ah, pis quand ils partent ensemble dans un truc, ils sont redoutables ! confirma Yurio.
– N’empêche, c’est incroyable ce qu’ils ont fait l’un de l’autre ! Tu te souviens, Chris ? Toutes les rumeurs qui ont circulé pendant l’année de pause de Viktor ? Qu’il avait fait ça pour avoir un prétexte pour arrêter, parce qu’il se faisait trop vieux pour la compet’, et tout ?
– Ouais, et ça, c’étaient les softs ! Pas mal de gens le voyaient fini, c’est clair, opina le Suisse en croisant les bras.
– Et quand il est revenu, à quel point son propre patinage avait changé ? Il avait jamais été si beau, une vraie renaissance !
– Grave, son Ode à la Joie nous a tous fait chialer comme des cons ! »
Yurio sourit. Clair que Viktor avait bien remis en place tous ceux qui avaient eu le malheur de prédire sa retraite. Sa danse avait gagné en humanité, en douceur, sans rien perdre en technique.
Et Yurio ne voyait qu’une cause à cela, et fréquentant son aîné tous les jours, il voyait cette cause de près : un Japonais un peu con, mais aussi fou de Viktor que Viktor était fou de lui. Et tout le monde avait bien dû l’admettre, même ceux que ça emmerdait bien, Viktor n’avait jamais été aussi radieux. Le patineur un peu froid et difficilement accessible s’était révélé un homme d’une immense sensibilité et d’une incroyable gentillesse. Et reboosté pour les compet’ comme il ne l’était plus depuis des années, il avait bien trouvé le second souffle qu’il cherchait.
Quant à Yuuri, Yurio devait bien l’admettre, il avait gagné dans l’affaire, en plus du cœur de Viktor, la seule chose qui manquait à ses danses : de l’assurance. Il était devenu, lui aussi, aussi magnifique que très dur à vaincre et le trio n’avait de cesse de squatter les podiums du monde entier depuis, dans des ordres variables, tout se jouant bien souvent à quelques dixièmes de point, si bien que ça faisait bien longtemps qu’on ne parlait plus du N°1 mondial, mais des numéros 1 mondiaux.
L’annonce du départ en retraite de Yuuri et Viktor avait dû en faire hurler de joie plus d’un, et combien s’étaient aussi secrètement réjouis de l’agression dont avaient été victimes les deux amants, à l’idée qu’un place était enfin libérée sur le podium ?
« … Yuuri est vraiment super impressionnant… continua Phichit. Se lever à 5h et 1/2 tous les matins pour s’étirer deux heures, courir une heure ou une heure et demie avant de s’entraîner, c’est dingue !
– Ouais, il assure grave ! opina Chris.
– Et réussir à faire se lever Viktor tous les matins pour courir avec lui alors que Yakov a galéré pendant 15 ans à le tirer du lit, c’est un exploit ! » ajouta Yurio et ils rirent encore.
Pas très loin d’eux, le jeune John avait écouté ça avec grand intérêt. Bien que sa morale ne puisse que condamner les mœurs obscènes de Viktor et Yuuri, lui, contrairement à sa mère et son entraîneur, les admirait tout de même comme patineurs. Il avait été, enfant, extrêmement triste lorsque Viktor avait fait sa pause, inquiet de ne jamais le revoir et il se souvenait très bien de l’Ode à la Joie qui avait marqué son retour. Lui avait aussi avait pleuré devant la télé, ce jour-là. Il l’avait dansé pendant des semaines, sans doute le connaissait-il encore par cœur.
Sa mère avait sans doute raison lorsqu’elle disait que cette agression était un signe de la colère de Dieu contre eux, mais au fond de lui, l’adolescent regrettait amèrement d’avoir perdu la seule occasion qu’il avait eu d’affronter son idole, et même probablement de le rencontrer.
Appelés par Yakov et Celestino, Yurio et Phichit repartirent sur la glace en zigzagant.
*********
Yuuri rentra tranquillement se doucher dans sa chambre et passer en tenue d’entraînement : son bon vieux pantalon de survêt noir à bandes bleues, aussi increvable que confortable, t-shirt noir, un sweat bleu marine léger, mais chaud, au cas où. Il mit ses patins et ses gants dans son sac avec une serviette, sa gourde et de quoi grignoter au cas où aussi, de quoi se laver et un t-shirt propre, bleu cette fois, rebanda son bras par sécurité puisque ça allait mieux, enfila ses baskets et fila.
Il fut un arrêt au restaurant où le serveur vint immédiatement l’accueillir, aimable :
« Monsieur Katsuki, nous commencions à nous inquiéter ! Tout va bien ?
– Oui, merci. Je me suis perdu pendant mon jogging, désolé. Ce n’est pas trop tard, du coup ?
– Non, ne craignez rien ! Vous savez bien que pendant le championnat, nous sommes à votre disposition. Venez vous installer, je vous apporte tout ça tout de suite ! »
Yuuri le remercia. La salle était presque vide, à l’exception de quelques lèves-tard. Son téléphone vibra pendant qu’il attendait. Texto de Viktor :
Bon appétit, toi. Tout va bien ?
Il répondit, un sourire tendre aux lèvres :
Ben j’ai encore eu froid cette nuit, ça fait une semaine, c’est bizarre, je crois qu’il manque un truc dans mon lit. Sinon ça va, et toi ?
La réponse lui arriva avec un thé fumant.
Pareil. Je me fais suer dans cet hôpital, vivement que je me casse… Tu remercieras Phichit pour les photos qu’il met en ligne, ça m’occupe. Il est sympa le petit Américain ?
Yuuri sourit et fit la moue avant de répondre :
J’ai pas encore pu lui parler. En tout cas, il est doué.
Le serveur lui apporta deux œufs au bacon fumant et un bol de céréales.
« Merci !
– De rien, vous voudrez un jus de fruit ?
– Si vous avez encore le pomme-raisin-gingembre, volontiers !
– On a encore. Je vous l’emmène tout de suite ! »
Yuuri attaqua son second déjeuner tranquillement, échangeant encore quelques messages avec son amoureux, puis ce dernier le laissa : il devait repasser une radio pour voir l’état de ses côtes.
Yuuri l’embrassa virtuellement et se remit à ses œufs. Il se régalait lorsqu’une silhouette familière s’approcha :
« Yuuri-kun, ohayo !
– Eeeh ? Yuzuru-sempai ! Ohayogozaimasu ! »
Ils se serrèrent la main, tout sourire tous deux, et l’autre Japonais demanda :
« Tu permets que je te tienne un peu compagnie ?
– Avec plaisir, assieds-toi ! Tu es là en tant que coach pour les Japonais ?
– À moitié, on est deux avec Honda, chapeauté par le vieil Katayama, répondit Yuzuru en s’installant.
– Il est toujours là, lui ?
– Increvable. Il te saluera sûrement d’ici dimanche. »
Yuuri opina du chef alors que le serveur lui apportait le smoothie pour frais mixé. Yuzuru demanda un thé et reprit :
« Tu as l’air en forme. Nous avons tous été très inquiets pour toi.
– C’est gentil, sourit Yuuri, mais je vais bien. Mon bras tire un peu, mais rien de grave. J’ai jamais eu besoin de lui pour sauter.
– Pour te rattraper, plutôt ?
– Houlà oui, souvent ! »
Ils rirent, échangèrent trois banalités, puis il y eut un silence et Yuzuru reprit :
« Je suis très fier de ce que tu es devenu.
– Merci !
– En fait, je vais être franc avec toi. Katayama m’a prié de venir tâter le terrain pour savoir si éventuellement peut-être tu serais susceptible d’envisager la possibilité de revenir au Japon. »
Yuuri le regarda, hilare :
« Il a vraiment mis autant de conditionnel que ça ?
– Non, plus, je t’ai résumé. » répondit Yuzuru et ils rirent encore tous les deux.
Il y eut un silence, puis l’ancien patineur reprit :
« Hasetsu ne te manque pas ? »
Yuuri haussa les épaules.
« Si, un peu. Mais tu sais très bien ce qui me retient à Saint-Pétersbourg.
– Il va bien ?
– Aussi bien que possible.
– Qu’est-ce que vous avez prévu ?
– Pour le moment, rien du tout et c’est pas une blague. On voulait juste se payer de bonnes vacances pour, justement, voir la suite sereinement sans personne dans nos pattes pour nous influencer. Là, avec cette histoire, ça va un peu reporter, mais il n’y a rien d’urgent de toute façon. Ça fait six ans qu’on bosse quasi non-stop, on a assez de sous de côté pour une année sabbatique si besoin…
– Tu rentres à Saint-Pétersbourg lundi ?
– Oui, le temps de la convalescence de Viktor au moins, mais je t’assure qu’aucune décision n’est prise.
– Ça ferait du bien, un entraîneur de ton niveau, au Japon. On me l’a bien fait comprendre. Après, je vous connais tous les deux et je ne veux surtout pas que ça cause des tensions entre vous. Vraiment, Yuuri-kun, crois-moi là-dessus. Les vieux de la fédé sont assez secs à ce sujet, ils râlent à propos de délires patriotiques, mais je ne veux pas que tu te sentes obligé de revenir pour une question de devoir débile. Ta place est auprès de Viktor et tant qu’elle le sera, vous devrez voir ça ensemble.
– Marrant, j’ai les mêmes à Saint-Pétersbourg…
– Les mêmes vieux patriotes ? »
Yuuri opina.
« Houlà oui, avec de bons vieux relents de Guerre Froide, du bonheur !
– Tu es courageux de vivre avec ça.
– Tu l’as dit, ma place est auprès de Viktor. Il faudrait bien plus que deux-trois vieux débiles pour réussir à nous séparer. »
Yuzuru opina du chef, souriant :
« Je suis vraiment heureux de l’homme que tu es devenu. Si jamais la vie te l’impose, n’oublie pas qu’il y a une place pour toi dans ton pays. Moi, je n’ai rien à te dire de plus.
– Merci, Sempai. »
*********
Yuuri sortit pensivement de l’hôtel. Le soleil était radieux et il mit machinalement sa main en visière un instant avant de prendre la direction de la patinoire.
Rentrer au Japon pour y devenir entraîneur… Il fit la moue. Hasetsu lui manquait, c’était un fait, indéniable. Tentant, mais il n’avait plus tellement envie de dépendre d’une fédération… Il soupira. De toute façon, il doutait vraiment que Viktor accepte de quitter Saint-Pétersbourg, son amant était bien trop attaché à sa ville et son pays, même si lui aussi un peu las de sa fédération.
Bah, on verra ça plus tard, pensa-t-il. Il faut déjà qu’il se remette… On a le temps.
« Euh, excusez-moi ? »
Il sursauta et regarda la jolie petite brunette qui lui souriait, foulard argenté sur la tête et lunettes de soleil. Tête connue, lui sembla-t-il, mais d’où donc ?
« Vous êtes Yuuri Katsuki ?
– Euh, oui… Mlle ?
– Elisabeth Orwell !… Mais vous devez me connaître mieux sous le nom de Betty Monroe, je pense. »
Elle enleva ses lunettes alors que la lumière se faisait dans la tête de Yuuri. Il lui sourit aussi :
« Enchanté, Mlle Orwell. Vous cherchez l’autre Yuri, j’imagine ?
– Vous pouvez m’appeler Betty ! Et oui, j’avoue. Je viens d’arriver, je ne sais pas trop où est la patinoire… Enfin, si ça ne dérange pas que je vienne ?
– Oh non, je vous en prie. Venez, c’est par là. Et vous pouvez m’appeler Yuuri aussi. »
Elle le suivit, toute contente :
« Merci ! Je suis contente de vous voir en si bonne forme… Votre ami va bien ?
– Il se remet tranquillement.
– Vous pourrez lui transmettre mes vœux ? J’aurais vraiment aimé le rencontrer.
– Bah, ça viendra sûrement, non ? Vous ne comptez pas passer à Saint-Pétersbourg un de ces jours ? demanda-t-il gentiment.
– Oh, j’adorerais ! Il paraît que c’est une ville magnifique !
– Je vous le confirme, c’est une ville magnifique. Prévoyez une petite laine en hiver, par contre.
– Comme quand vous patinez sur la Volga ?
– Tout à fait ! »
Ils eurent un petit rire.
« Il vous a montré les photos ?
– Oui ! C’était vraiment adorable ! »
Pas très facile de patiner en parka, mais bon sang, ça avait été un des dimanches les plus drôles de sa vie !
Ils arrivèrent dans le grand bâtiment et Yuuri se fit un devoir d’accompagner la demoiselle jusqu’à la patinoire elle-même et là, jusqu’aux Russes qui faisaient un petit briefing autour de Yakov. Yuuri fit signe à Betty et ils restèrent tous deux sagement à distance jusqu’à ce que le vieux coach ait fini. Yurio resta au bord pour boire un coup, hochant la tête aux consignes de Yakov, et manqua de peu de lui recracher à la figure l’eau qu’il avait en bouche lorsqu’il aperçut la jeune femme qui lui faisait signe, radieuse, en s’approchant enfin.
Yakov fronça un sourcil suspicieux et Yuuri manqua d’éclater de rire lorsqu’un sourire aussi surpris que tendre se fit sur les lèvres de son jeune ami. Décidé à laisser les deux jeunes gens tranquilles, il repartit, il était temps qu’il s’y mette.
Phichit, qui n’avait rien loupé de la scène, vint patiner près du bord pour le suivre :
« Eh Yuuri, c’est qui cette jolie brune ?
– Betty Monroe, l’actrice américaine qui sort avec Yuri. Je t’en avais parlé, tu te souviens ?
– Ah oui, je l’avais pas reconnue !… Eh, je savais pas qu’elle venait !
– Moi non plus, mais Yuri est super discret quand il s’agit d’elle. Si elle postait pas des trucs sur eux, je pense qu’on aurait jamais rien su.
– C’est bien la miss qu’il a connue l’an dernier, quand il a été aux States tourner dans la série, là, euh…
– CSI : Crime Scene Investigation.
– C’est ça ! »
Ils étaient arrivés près des bancs et Yuuri s’y assit et posa son sac pour enfiler ses patins. Phichit resta à l’attendre au bord :
« C’est cool pour lui qu’elle soit là !
– Oui, mais méfiance, ça risque de le booster.
– Ça rajoutera du challenge !! »
Yuuri hocha la tête avec un sourire, se mit en t-shirt, enfila ses gants et rejoignit son ami sur la glace :
« En tout cas, c’est la première fois que je le vois sourire comme ça !
– ’Faudra que je les prenne en photo !
– Oui et balance en ligne, Viktor s’ennuie à l’hosto.
– Pas de souci ! »
Yuuri et Chris échangèrent un signe de tête à distance, puis Yuuri et Phichit se tapèrent la main joyeusement avant de prendre de la vitesse.
Le Thaï rejoignit Celestino qui l’appelait et Yuuri inspira un coup et se mit au boulot. Son programme court était largement au point, le Libre demandait encore un peu de boulot, mais ça allait, à l’exception d’une série de pas et pirouettes qu’il n’arrivait pas à bien doser. Il hésitait sur l’ordre des mouvements.
Très concentré, le Japonais glissait sans même remarquer le nombre de regards braqués sur lui. La plupart des autres patineurs ou patineuses, là depuis 8 ou 9h du matin, étaient en pause à cette heure. La fluidité et la rigueur de ses pas, de ses sauts et de ses pirouettes ne manquaient jamais de surprendre même les plus aguerris d’entre eux et les plus jeunes étaient sincèrement admiratifs, surtout ceux qui le voyaient pour la première fois « en vrai ». Ce qui était le cas du jeune John bien sûr, mais aussi de quatre des patineuses sélectionnées, Asuka, une Japonaise de 17 ans à peu près aussi béate que Kenjirô, He Pao, une Chinoise de 19 ans, Marie, une française de 19 ans également, toutes deux impressionnées, au contraire de Cindy, 21 ans, Afro-Américaine qui le toisait avec scepticisme.
Yuuri s’entraînait sans forcer, bougeant même son bras gauche avec une certaine lenteur pour le chauffer en douceur. Il n’avait d’ailleurs pas enlevé son bandage. Il fit quelques triples, mais évita les quadruples pour le moment.
Au bout d’un moment, il rejoignit Otabek, Emil et Leo qui soufflaient un peu au bord, avec Chris.
« Jolis, tes triples, lui dit le Tchèque.
– Merci. T’as toujours du mal sur les enchaînements de sauts, toi, non ?
– Ouais, mais je progresse !… Au fait, ça en est où le complot pour dimanche ? »
Yuuri prit sa serviette, que lui tendait Chris, et s’essuya le visage avant de répondre, se souvenant de l’affaire :
« Oh, bonne question !… Alors, ’faut demander aux autres, mais Seung-Gil, Yuri et moi, c’est bon, Otabek, c’était bon pour toi aussi, je crois ? »
Le Kazakh opina du chef.
« Leo est super chaud, continua Yuuri et l’Américain sautilla en opinant du chef, tout sourire, Phichit aussi, Kenjirô, je vous en parle même pas, on aurait dit qu’un gosse le matin de Noël, toi, ben, aussi, je crois que JJ était d’accord et le gamin, ben tu devais pas lui en parler, Leo ?
– Si, opina Leo. Mais comme il a pas le net, j’ai pas réussi à le joindre. Je voulais qu’on lui en parle aujourd’hui… Ça fait un peu court, mais on sait jamais, il est doué. »
Il y eut un silence et Chris dit avec un sourire :
« Seung-Gil a vraiment eu une super idée, sur ce coup-là !
– Grave ! sautilla encore Leo, arrachant un sourire à Otabek. Mais c’est vraiment trop dommage que Viktor puisse pas voir ça en vrai !
– Pourquoi, t’avais à ce point envie de le voir fondre en larmes ? rigola Emil.
– Non, mais quand même, c’est con…
– Moi, ça me paraît d’autant plus important de le faire malgré son absence, dit Otabek et Chris opina. Surtout après son agression. Honnêtement, les gars, il a été notre inspiration à tous. Lui rendre hommage, c’est quand même le moins qu’on puisse faire. »
Il y eut un silence, ils hochèrent tous la tête. Yuuri sourit :
« Je pense vraiment que ça va lui faire très plaisir. Mais ça serait vraiment bien qu’on le fasse tous, donc que le petit en soit aussi.
– Je vais lui en causer ! » dit joyeusement Leo et il fila vers le garçon qui s’étirait un peu plus loin, à côté de sa mère, sentant la fatigue de la matinée le gagner.
Yuuri demanda sa bouteille d’eau à Chris et ce dernier n’eut que le temps de se tourner pour la chercher que l’ensemble des individus présents sursautèrent en chœur en entendant soudain madame Ross hurler qu’il était hors de question que son fils participe à ça et qu’eux-mêmes devraient avoir honte de rendre hommage à un tel dépravé, puni par Dieu par ses péchés et personne ne saura jamais ce qui aurait suivi, car elle fut interrompue par l’arrivée d’un vieux monsieur barbu, assez frêle et souriant, qui approchait doucement avec une canne, et dit aimablement :
« Eh bien, eh bien, que se passe-t-il, ici ? »
Billy Bull avait stoppé précipitamment Linda en le voyant, paniqué. Le vieux monsieur s’arrêta près d’elle et lui sourit :
« Ça ne se fait pas d’embêter des patineurs en hurlant en plein entraînement, madame Ross. Et encore moins d’insulter un convalescent, fut-il absent.
– Je ne crois pas vous connaître, lui répliqua-t-elle sèchement, encore toute tremblante de rage.
– Je n’ai effectivement pas pu vous accueillir hier et je m’en excuse. Ma petite-fille a accouché et je tenais à être à ses côtés. Je venais justement me présenter à vous et également accueillir Jean-Jacques Leroy et Yuuri Katsuki. Je suis Albrecht Weissman, le cofondateur et actuel directeur du Championnat des Glaces. »
Si le regard sombre du Japonais sur Linda n’avait échappé à aucun de ses amis, il avait disparu aussi vite qu’il était venu lorsque Weissman était apparu. Yuuri aimait beaucoup ce vieil homme, très gentil avec Viktor et lui, et que Viktor aimait d’ailleurs beaucoup aussi.
« … C’est avec beaucoup de plaisir que j’ai validé la participation de votre fils, cette année, lorsque mon comité m’a soumis sa liste. »
Alors que le jeune John regardait avec un petit sourire curieux ce vieux monsieur à l’air si gentil et que sa mère grommelait, Billy Bull déclara avec une énergie beaucoup trop stressée :
« C’est un immense honneur pour nous d’avoir été sélectionné, monsieur Weissman. John est très heureux et très fier ! Hein, John ? »
L’adolescent sursauta, les regarda l’un l’autre, puis dit en s’approchant du vieil homme qui le regardait avec bonté :
« Oui, je suis très heureux d’être ici. Merci beaucoup, monsieur Weissman. »
Ils se serrèrent la main alors que JJ approchait. Yuuri embraya sans se presser.
« Bonjour, monsieur Weissman ! »
Le maître des lieux serra amicalement la main du Canadien :
« Bonjour, Jean-Jacques. Toutes mes félicitations pour votre petit garçon ! Comment va votre épouse ?
– Comme une jeune mère radieuse ! Merci beaucoup. Elle est navrée de ne pas être là, mais nous avons jugé Alain encore un peu petit pour un voyage pareil.
– Vous avez bien eu raison. Un bébé, il faut le tenir tranquille pendant ses premiers mois. Vous avez bonne mine, en tout cas.
– C’est qu’on est toujours si bien chez vous ! »
Le vieux monsieur gloussa :
« Petit flatteur !…
– En tout cas, je compte bien ramener la médaille à mon fils ! »
Entendant ça, Otabek murmura, faisant rire Emil et Chris :
« ’Va pas y avoir assez de médailles pour tout le monde !
– Que le meilleur gagne ! sourit le Suisse.
– On sait qui c’est, le meilleur… soupira Emil en s’accoudant à la barrière. Reste à savoir s’il pourra tout donner sans son Viktor.
– Ça va être super intéressant, cette année. » opina Otabek.
Après avoir fini son échange avec JJ, Weissman se tourna vers Yuuri qui s’inclina poliment.
« Bonjour, monsieur Weissman.
– Oh, Yuuri, je vous en prie, ne soyez pas si formel ! » s’empressa le vieil homme en serrant avec énergie sa main dans les deux siennes.
Yuuri lui sourit gentiment en posant sa seconde main sur celle du vieux monsieur.
« Comment va le Chrysanthème de Kyushu ?
– Bien, c’est toujours un honneur d’être ici. Viktor vous salue et vous prie d’accepter ses excuses pour vous avoir fait faux bond.
– Je le reconnais bien là ! sourit Weissman. Première absence en 18 ans, il va nous manquer. Mais nous avons eu bien trop peur pour vous. Transmettez-lui tous mes vœux de rétablissement et surtout, n’hésitez pas à venir me rendre visite dès qu’il ira mieux.
– Merci infiniment. »
Weissman lâcha les mains de son vis-à-vis et lui dit avec un sourire malicieux :
« J’aurais une surprise pour vous cet après-midi. J’espère que ça vous fera plaisir.
– Vous connaissant, je n’ai pas beaucoup de doute… Merci.
– Attendez de voir avant de me remercier. Bien, je ne vous dérange pas plus. Accepteriez-vous de manger en ma compagnie ce midi, avec votre ami Phichit ?
– J’en serai très honoré et je ne pense pas que ça le dérangera… »
Phichit, qui s’était approché, opina du chef, tout sourire :
« Effectivement ! Merci beaucoup ! »
Weissman hocha la tête, content, les salua et repartit.
Il y eut un silence et un petit flottement. Phichit regardait Yuuri dont le regard brun se posa sur John, pas très à l’aise, Billy, suspicieux, et Linda, qui suintait le dégoût et le mépris, avant de revenir sur l’adolescent qui se tendit nerveusement. Yuuri se tourna vers lui et toute l’assemblée retint son souffle, mais il s’inclina et dit :
« Je te souhaite bonne chance pour ta première compétition chez les seniors. Viktor te souhaite aussi bonne chance, il aurait aimé te rencontrer… commença-t-il avant d’ajouter en jetant un oeil à Linda : Tout dépravé qu’il soit, il sait reconnaître le talent et ne pas s’arrêter à ses préjugés. »
Il s’inclina encore devant le garçon et finit avec un sourire :
« Pour le reste, rendez-vous sur la glace. »
Yuuri se remit à patiner sans attendre et Phichit embraya dans le même mouvement. Leo suivit, il essayerait de parler à John seul à seul dès qu’il pourrait. Emil, qui était toujours avec Chris et Otabek, leur dit tout bas :
« Fair-play, 1, puritanisme, 0. »
Ils opinèrent tous deux du chef dans un bel ensemble.
Leo rejoignit sa propre coach qui lui fit signe du bord, Jenny Wesley, une quinquagénaire blonde avec une queue de cheval et une casquette. Elle toisait Billy et Linda avec sévérité :
« Si elle remet ça, je demande à Weissman de lui interdire l’accès aux entraînements.
– Elle manquerait pas à grand-monde, je pense… »
Yuuri, calme et à nouveau concentré, continua à patiner tranquillement. Pas moyen de trouver une combinaison valable, fluide, pour cette série de pas et de pirouettes… Bon sang, c’était dingue… Comment pouvait-il régler ça…
Il finit par renoncer, regrettant amèrement l’absence de Viktor. Son co-chorégraphe aurait sûrement eu une idée pour régler ça.
Autour de lui, personne n’avait vu le moindre problème.
Il rejoignit le bord, pensif. Chris était occupé, mais avait laissé sa serviette et sa bouteille là. Il but un peu et s’essuya.
« Yuuri-sempai ? »
Il se tourna et sourit à Kenjirô qui l’avait rejoint :
« Bonjour, Kenjirô-kun. Ça va ?
– Oui, merci ! Je m’excuse de te déranger, mais je voulais te présenter Asuka… »
Kenjirô se poussa et Yuuri vit alors la jeune Japonaise qui se cachait derrière son jeune fan, toute timide. Elle s’inclina très bas, le faisant sursauter, et dit très vite :
« Yuuri-san, je suis très honorée de faire votre connaissance. »
Mal à l’aise, il agita ses mains devant lui :
« Houlà, pitié pas le “san” !… Sempai me va très bien !… Enchanté aussi, Asuka-kôhaï. »
Elle se redressa et le regarda, toute rose. Lui sourit. Ah bon sang, qu’est-ce qu’il se sentait vieux dans ces situations…
« En fait, euh, nous avions une question… reprit Kenjirô. Yuzuru-san et Honda-san ont dû nous laisser un moment et Asuka a dû mal sur un saut… Nous aurions voulu savoir si tu pouvais nous aider ? »
La demoiselle avait à nouveau baissé la tête, très gênée, mais Yuuri sourit et opina. Voilà qui lui changerait les idées de ces fichus pas mal coordonnés.
Lorsque Yuzuru et Honda revinrent avec le vieux Katayama, ils trouvèrent Asuka littéralement dans les mains de Yuuri qui la positionnait, plaçant à ce moment ses pieds comme il fallait pour qu’elle saute au mieux :
« … Bien en appuie sur le droit, sinon ça déséquilibre et autant tu peux quand même à peu près sauter, autant tu risques de tomber en retombant ou de ne pas pouvoir enchaîner un autre saut proprement… »
Il parlait japonais, ce que beaucoup de personnes autour, regardant la scène et désireux de suivre, regrettaient, et la jeune femme, qui avait tout d’abord rougi lorsqu’il avait pris les choses, c’est-à-dire elle, en main, était désormais à l’aise et très concentrée sur ce qu’il disait. Yuuri n’avait pas eu le moindre geste déplacé, ne touchant rien qu’il ne doive pour l’aider.
Il s’écarta et la jeune femme refit un essai, sautant bien mieux, même si elle manqua encore de chuter à l’atterrissage. Il y eut quelques applaudissements, Yuzuru et Honda échangèrent un sourire, et Yuuri, qui l’avait regardée, grave et bras croisés, hocha la tête :
« Un peu moins d’élan et ça sera bon.
– Merci beaucoup, Yuuri-sempai ! lui dit-elle joyeusement en s’inclinant.
– De rien. Tu es très douée. » lui répondit-il en souriant gentiment.
Elle sursauta, toute rouge, et Phichit qui avait tout filmé, bien sûr, gloussa et il ne fut pas le seul.
Ce Yuuri… Toujours aussi inconscient de son charme, c’en était presque flippant.
Elle le remercia en s’inclinant encore très bas et lui se gratta la tête, très gêné, avant de bredouiller que ce n’était rien du tout et Honda, qui rigolait doucement aussi avec Yuzuru, vint à son aide :
« Bonjour, Yuuri-kun, merci de t’être occupé d’Asuka.
– Oh, Honda-san, bonjour… »
Yuuri glissa jusqu’à eux :
« De rien… Elle est vraiment douée. »
Honda et Yuzuru opinèrent du chef.
« C’est un de nos plus grands espoirs. C’est un grand honneur pour nous qu’elle ait été invitée cette année, intervint Katayama en s’approchant à son tour. Bonjour, Yuuri-kun.
– Katayama-san, ça faisait longtemps. Vous avez l’air en forme. » le salua poliment Yuuri.
L’ancien champion et entraîneur, désormais un des hauts responsables de la fédération japonaise, sourit poliment lui aussi :
« Merci. Tu as l’air en forme aussi. Nous avons été très inquiets lorsque nous avons appris ce qui t’était arrivé. »
Yuuri eut un sourire très sec :
« Merci. »
Chris l’appelant, il s’inclina rapidement et s’éloigna. Yuzuru et Honda échangèrent un regard entendu. Il y avait une certaine visite au onsen que Yuuri n’avait visiblement pas oubliée.
« Qu’est-ce qu’il y a, Chris ?
– Ton portable a sonné…
– Ah, merci, tu peux me le passer ? »
Chris s’exécuta et Yuuri sourit. Tiens, Viktor ?
Ben alors, je te manque à ce point que tu te mettes à draguer ? 😉
Yuuri soupira et se tourna pour crier :
« Phichit, t’aurais pu attendre cinq minutes ! »
Le Thaï éclata de rire :
« Désolé, trop tentant ! »
Yuuri soupira avec un soupir. Chris lui demanda, amusé :
« Quoi, il a déjà mis ton petit cours en ligne ?
– À Détroit, on l’appelait le posteur fou… »
Laissant le Suisse hilare, il répondit aussitôt :
Tu n’as pas compris ce que je disais dans le vidéo ? C’est tout Phichit, ça, à poster sans sous-titres… ^^
La réponse arriva rapidement :
Si, si, j’ai suivi en gros, t’en fais pas. 😉 Elle est douée. Par contre, dis-lui de faire gaffe à ses appuis, c’est faiblard à gauche.
Yuuri sourit. Il regarda un instant la demoiselle. Viktor avait l’œil, même sur une vidéo matée vite fait sur son portable…
Sinon, comment tu vas ? Ça bosse dur ?
Tout à fait et toi, repos j’espère ?
Bien obligé, c’est qu’ils me surveillent de près…
Courage, dorogoy !
Il y eut un peu plus de temps avant le message suivant.
Tu me manques…
Toi aussi, répondit Yuuri avec un petit sourire triste. Je t’appelle pendant ma pause ?
Oui, d’accord. Bonjour à tout le monde et mes amitiés à la petite Betty.
Je lui dirais. M. Weissman te salue et te souhaite de vite aller mieux. Et il veut te voir dès que tu seras sur pied.
C’est gentil, remercie-le de ma part.
La matinée s’acheva tranquillement et les patineurs filèrent se rincer un coup avant le déjeuner dans les douches communes de la patinoire. Habitués de longue date à ça, les neuf adultes y allèrent sans se poser de question. John était un peu gêné, mais finalement plutôt content qu’on l’ait laissé venir sans problème.
Il fut surpris de découvrir la musculature de ses aînés. Lui-même se sentit tout gringalet, ce qu’il était pourtant loin d’être. Il était mince, certes, mais tout de même plus qu’honorablement musclé.
« Putain, mais t’as vraiment pas un pet’ de graisse, porcelet ! »
Yuuri tira la langue à Yurio en laissant ses affaires sur le banc et en sortant son gel douche :
« Qu’est-ce que tu crois, pour être le meilleur, ’faut s’entretenir.
– Ouais, ouais, c’est ça, frime ! Tu riras moins quand j’aurais la médaille d’or !
– Tu veux dire à ta prochaine compet’ ? Sûr que tu l’auras sans souci, vu qu’on sera plus là. »
John prit son propre savon, un peu rose, mais puisque ça ne dérangeait personne d’être nu, il les suivit dans les douches. Ça papota tranquillement de tout et rien sous l’eau, mais surtout technique, et le garçon se retrouva finalement mêlé à la conversation assez naturellement.
Tout alla donc pour le mieux jusqu’à ce qu’un cri ne retentisse des vestiaires lorsque Yurio et Otabek y retournèrent, ayant fini les premiers. Un cri féminin… ? Et la voix de Linda Ross…
Yuuri et Phichit échangèrent un regard inquiet et se hâtèrent d’aller voir, encore tout dégoulinants, ne prenant que le temps de mettre leur serviette autour de leur taille, et celle de Phichit était un peu petite pour ça.
« … Comment avez-vous osé emmener mon fils avec vous, bande de pervers ! hurlait l’Américaine, aussi rouge que furieuse.
– Non mais elle se calme, la mégère ! répliqua Yurio, pas moins furieux. On peut savoir ce que vous foutez là, d’abord ?! C’est un espace réservé, vous croyez quoi, on est pas chez mamie, là !
– Qu’est-ce que vous avez fait à mon Johnny !
– Hein ?
– Vous croyez que je n’ai pas compris votre complot de dépravés !… »
Alertés par ses cris, Michele et Chris, qui n’étaient pas loin, entrèrent à leur tour :
« Qu’est-ce qui se passe ?… Ben, qu’est-ce que vous faites là, Mme Ross ? demanda le Suisse, stupéfait.
– Je suis sûre que cette bande de pervers…
– Non mais tu vas la fermer, ta gueule ! » explosa Yurio.
Otabek et Phichit lui saisirent chacun un bras dans une synchronisation parfaite.
« Votre fils finit de se laver, Madame, il est juste là dans les douches, il n’y a aucun souci… dit Yuuri.
– Vous, je vous défends de me parler ! Comment osez-vous peloter en public une pauvre fille, vous n’en avez pas assez de votre sale pervers de Russe !… Si vous touchez à mon John… »
Otabek et Phichit s’attendirent à ceinturer un Yurio grondant pour ne pas qu’il se jette à la gorge de Linda Ross, mais un geste de Yuuri le retint alors qu’il la coupait :
« Je vous interdis d’insulter Viktor. »
Le ton charriait des icebergs et ce n’était rien à côté du regard qui fit même frémir Chris et Michele alors qu’il ne leur était absolument pas destiné.
Yuuri en colère était un bloc de glace plus terrifiant que dix Yurio fou de rage.
Linda en resta mouchée, impressionnée malgré elle, et Chris se reprit et en profita pour reprendre les choses en main :
« Dans tous les cas, vous n’avez rien à faire là, Mme. Merci de sortir immédiatement et d’attendre dehors.
– Mais mon fils…
– Votre fils se douche. Le règlement de ce championnat est très strict et ce genre d’incident pourrait avoir des conséquences vraiment très fâcheuses que personne ne souhaite. Alors vous allez nous suivre dehors sans plus faire de vague et immédiatement.
– Ne nous forcez pas à en référer à la fédération américaine. » ajouta Michele aussi fermement.
John sortit de la douche avec Leo et Emil, tous trois ayant fort pudiquement leur serviette autour de la taille aussi.
« Ben maman, ça va ? Qu’est-ce que tu fais là ?… » demanda le garçon, le plus innocemment possible.
Ils avaient bien sûr tout entendu, mais il avait fallu un petit moment pour que ses aînés parviennent à le convaincre de sortir. John était aussi stupéfait que terrorisé de ce qui se passait.
Sans laisser à Linda Ross le temps de répondre, JJ sortit, lui en tenu d’Adam, et se fit un devoir d’aller faire une révérence devant l’Américaine tétanisée :
« Oh, Madame, mille excuses de vous imposer ma plastique si parfaite… »
Elle recula, blafarde, et Chris et Michele en profitèrent pour la faire sortir alors que John l’assurait qu’il se dépêchait de la rejoindre, et que Kenjirô et Seung-Gil sortaient à leur tour des douches.
Il y eut un petit flottement, puis ils éclatèrent tous de rire quand JJ se retourna pour leur dire avec un grand sourire et un clin d’oeil :
« C’est comme ça qu’on fait fuir une bigote ! »
Le petit John s’en voulut un peu de rire avec eux, mais il devait bien admettre qu’il se sentait bien en leur compagnie et que, même s’il comprenait les inquiétudes de sa mère, sa surveillance permanente lui pesait un peu.
Il fila vite. Yurio se séchait les cheveux lorsque Phichit remarqua, déclenchant un nouveau fou-rire général :
« N’empêche, si elle trouve vraiment que Yuuri a peloté la petite Asuka, ça doit vraiment faire un moment qu’elle s’est pas faite peloter ! »
Yuuri opina en enfilant son t-shirt. Lui et Phichit partirent aussi sans tarder, ne voulant pas faire attendre M. Weissman.
« Non, mais elle est cinglée, c’te bonne femme ! reprit JJ. Bon, je sais la réputation que se traîne Viktor, mais prendre Yuuri pour un pervers, ’faut vraiment voir le mal partout !
– Déjà le prendre pour un gay, ça montre bien qu’elle a rien compris. » soupira Yurio en s’asseyant pour enfiler ses baskets.
Otabek opina du chef alors que Leo demandait, intrigué :
« Il est pas gay, Yuuri ? »
Yurio dénia du chef :
« Non, clairement, non. Il aime pas les mecs, il aime Viktor. Viktor est gay, lui oui, vraiment. Mais Yuuri, que dalle.
– C’est vrai que Viktor s’est fait sauter par la moitié des patineurs du Mondial ? demanda Emil, curieux.
– Non, ça c’est des ragots de merde de jaloux. Comme les accusations de pédophilie, c’est des conneries. Il a jamais touché un gosse ou alors quand il en était un.
– C’est vrai qu’il y avait eu des sales rumeurs, se souvint Seung-Gil en se repeignant. Vous vous souvenez ? C’est quand tu avais été au Japon, non ?
– Ouais, les quelques semaines que j’y ai passées quand il a fait sa pause, opina Yurio en hochant la tête. Pas mal de personnes ont déliré sur ce qui s’était passé là-bas…
– Ça a grave craché sur Viktor à ce moment, quand même ! soupira Léo.
– Ah ben vu la colère de tous les cons qui ont hurlé à la trahison, à l’abandon de la mère-patrie et tout, ça y a déjà été fort, soupira Yurio, mais alors après le baiser en Chine, ça a vraiment été la fête aux connards !
– Je me demande vraiment comment il fait pour vivre avec ça… » murmura Emil.
Il y eut un silence. Ouais, même en connaissant Viktor depuis parfois plus de dix ans, tous l’admiraient, les admiraient, Yuuri et lui, de tenir bons face aux flots de haine qu’ils essuyaient si souvent.
Otabek soupira et dit :
« Je pense que Viktor n’en a rien à foutre parce que vivre avec Yuuri est la seule chose qui compte pour lui. »
À nouveau, Yurio opina du chef :
« Et inversement. »
*********
« Vous êtes sérieux ? »
Albrecht Weissman regardait Yuuri avec une stupéfaction teintée d’amusement alors que Phichit rigolait doucement dans son verre.
Tous trois installés à une petite table ronde couverte d’une nappe et de couverts anciens, dans une petite pièce à part du restaurant, décorée d’une cheminée en marbre et éclairée de larges fenêtres, le vieil homme et ses deux invités finissaient leurs entrées, des petites salades au chèvre chaud. Yuuri prit son verre de vin en répondant, souriant :
« Tout à fait.
– Vous vous mettiez des handicaps sur certaines compétitions ? Vraiment ?
– Un pari à la base, mais ça nous est resté.
– C’était pas l’histoire du championnat de Russie ? demanda Phichit en reposant son verre.
– Si, c’était ça. » opina Yuuri avant de boire une gorgée.
Il fit tourner le vin dans son verre et demanda à son hôte tout intrigué :
« Vous vous souvenez la dernière fois que Viktor a participé aux sélections pour les championnats de Russie ?
– Oui, très bien. Ça m’avait surpris, il y avait des années qu’il ne l’avait pas fait et il a déclaré forfait juste après.
– Et pour cause, il ne voulait pas y aller, il a juste dû parce qu’il avait perdu un pari.
– Oh, racontez-moi ça ? »
Yuuri hocha la tête et croisa les bras devant son assiette vide :
« Eh bien, un jour, Yuri et lui avaient parié je ne sais plus trop quoi, une histoire de pirouettes, je crois, enfin bref, Yuri a gagné et le gage de Viktor était qu’il devait aller aux sélections des championnats de Russie… Mais bon, comme c’était trop facile… Parce que bon comment dire, les médailles d’or de Russie, Viktor en a de quoi se faire un lingot ou deux, Yuri a en plus exigé qu’il y aille en improvisation.
– Vraiment ?! Mon Dieu, et Viktor a accepté ?
– Oui, Viktor a accepté. Et Yuri nous a accompagnés le jour dit et pour être sûr qu’il ne triche pas, il a pris une chanson au hasard sur le lecteur MP3 de Viktor, histoire qu’au moins il connaisse la musique… Et voilà donc notre Viktor en jean et t-shirt lancé sur la glace… Il y a été tranquille, il a pas placé de quadruples, ni rien, du coup il n’a fini que 3e… Et en partant, on croise un juge qui nous dit : “Pas mal, mais on sent que ça n’a pas été assez préparé.” »
Yuuri conclut en haussant les épaules devant ses amis hilares :
« On a explosé de rire, je pense qu’il se demande encore pourquoi. »
Une jolie serveuse apporta la suite, poulet grillé accompagné de riz et de légumes.
« Et c’est pas à Lisbonne que vous aviez parié un truc, aussi ? se souvint Phichit, amusé.
– Si, inverser nos programmes d’exhibition, c’est pour ça que Yuri a dansé l’Ode à la Joie de Viktor, Viktor mon Gloria et moi l’Agape. Mais bon, ça c’est pas si dur… On s’entraîne ensemble, nos programmes, on les connaît.
– En tout cas, je suis impatient de voir ce que vous allez danser demain ! s’exclama Albrecht, tout sourire. Et je suis aussi impatient d’être à dimanche, même si Viktor nous manquera cruellement.
– Ça lui fera très plaisir tout de même, j’en suis sûr, dit doucement Yuuri.
– Vous revoulez du vin ?
– Non merci, je dois faire gaffe jusqu’à dimanche si je veux rentrer dans ma tenue. »
Lorsqu’ils repartirent, le repas fini, Phichit et Yuuri reprirent tranquillement le chemin de la patinoire. Ils sortirent dans la cour et laissant son ami filer devant, Yuuri y resta un peu le temps d’appeler Viktor.
Il faisait toujours très beau, presque trop chaud, et il alla machinalement sous les arbres, un peu plus loin, pour être à l’ombre.
Dring dring.
« Coucou, Yuuchan… murmura une voix ensommeillée.
– Oh, je te réveille, Vitya ? Désolé…
– Pas grave… Hmmmmm… J’ai piqué du nez après le repas, j’ai l’impression… Un peu costauds, leurs antidouleurs… Ça va, toi ?
– Oui oui… J’ai mangé avec M. Weissman et Phichit, on a bien rigolé…
– C’est bien.
– Et toi, ça va ? demanda doucement Yuuri en camouflant son inquiétude derrière un ton enjoué.
– Ouais… J’en ai vraiment marre d’être ici, mais ça va…
– Les médecins disent quoi ?
– Encore deux jours au moins… Mais sérieux, j’avais presqu’envie de signer une décharge… Je serais aussi bien chez nous s’il s’agit juste de rester couché… Au moins, j’aurais Makkachin et nos DVD… »
Yuuri fronça les sourcils et soupira en s’asseyant dans l’herbe :
« S’il te plaît, mon ange, fais pas de bêtises, hein ? Je sais que c’est dur pour toi, mais il faut mieux que tu restes s’ils le disent… Ils ne te gardent pas pour le plaisir.
– Oh… Désolé, je voulais pas t’inquiéter, mon chrysanthème. Je vais être sage, promis. Et toi, fais le maximum pour tout défoncer demain et vendredi, d’accord ?
– Oui, oui… Ne t’en fais pas.
– Et quand je dis le maximum, je veux aussi dire qu’il ne faudra pas te retenir dans la chambre ce soir, même si je suis pas là, OK ? »
Yuuri sursauta.
« … Viktor !… »
Il trembla et balbutia, tout rouge :
« Tu sais bien que j’ai horreur de ça sans toi !
– Tu sais bien que tu en as besoin pour relâcher la pression avant une compet’. »
Il y eut un silence. Yuuri grimaça.
« Vitya…
– Onegai, koi.
– …
– Onegai.
– … Je te déteste… » gémit Yuuri en retenant ses larmes.
Yuuri entendit son amant avoir un petit rire triste :
« Moi aussi, je t’aime, Yuuri. Et je veux que tu penses très fort à moi ce soir, à nous, pour que tu te sentes bien et que demain, tu prouves encore au monde que tu es le meilleur. »
C’est toi, le meilleur… pensa Yuuri.
« Yuuchan, watashi no tame ni kore wo shite kudasai… »[S’il te plaît, Yuuchan, fais ça pour moi.]
Yuuri inspira un grand coup avant de répondre :
« D’accord.
– Spasibo. [Merci.]
– Ya lyublyu tebya vsey dushoy… [Je t’aime de toute mon âme.]
– Je sais, Yuuri. Je sais. Watashi mo ai shiteru.
– Tu me paieras ça.
– Dès que je pourrais respirer sans douleur, tu pourras me faire tout ce que tu voudras, joli chrysanthème, c’est promis. »
Yuuri tremblait un peu. Il sourit malgré tout :
« Tout ce que je voudrais, hein ? Tu vas pleurer, dorogoy…
– C’est bien pour ça que j’ai dit “dès que je pourrais respirer sans douleur”, koi. Je te connais. T’es pas endurant que sur la glace. »
Yuuri pouffa. Clair que quand Viktor le cherchait à ce niveau, c’était souvent lui qui demandait grâce en premier…
« Bon, tu y retournes, Yuuchan ? Je crois que t’as un entraînement…
– Ouais… Et toi, ’faut que tu te reposes… Nikolai passe, cet aprem ?
– Normalement, oui, on a une partie d’échecs sur le feu.
– Tu le salueras de ma part. Je te rappelle ce soir ?
– Oui, si tu veux.
– Prends soin de toi, Vitya.
– Promis, Yuuchan. Promis. Bon courage pour ton entraînement.
– Merci.
– Ai shiteru.
– Ya tebya lyublyu. »
Yuuri raccrocha et le téléphone tomba dans l’herbe alors qu’il ne retenait plus ses larmes. Il replia ses bras autour de ses genoux, enfouit sa tête dedans et eut un sanglot.
Viktor, t’es vraiment con…
Pourquoi je suis là ? Pourquoi je t’ai écouté ? Qu’est-ce que j’en ai à battre de cette médaille ? Ma seule place est près de toi…
Imaginer son amant seul dans cette chambre blafarde lui brisait le cœur.
« … Houlà ben ça va pas mieux, toi… » grommela une voix avant de soupirer.
Il sentit un bras passer autour de ses épaules :
« T’es quand même une putain de pleureuse, porcelet… »
Yuuri sanglota encore et Yurio le tira dans ses bras et caressa sa tête :
« Allez, arrête ça, crétin. Il va s’en tirer, ton mec. Mais toi, c’est pas comme ça que tu vas lui rapporter la médaille ! »
Yuuri sursauta en entendant couiner et en sentant une petite langue humide contre sa main. Il se redressa, stupéfait, pour découvrir un chien bicolore qui le regardait avec tristesse. Yurio le lâcha.
« Et voilà, en plus tu inquiètes Snoopy ! »
Yuuri caressa la petite tête poilue :
« Qui c’est, ça ?
– Snoopy, t’écoute quand on te parle ? C’est le beagle de Betty. »
Yuuri regarda son jeune ami :
« Ta copine a un beagle noir et blanc qui s’appelle Snoopy ?
– Ben ouais, elle connaît ses classiques.
– Tout à fait ! » approuva joyeusement la jeune femme qui venait de les rejoindre.
Elle tendit un paquet de mouchoirs à Yuuri avec un sourire gentil :
« Ça ira ?
– Ouais… dit-il en le prenant. Ça ira… »
Il souffla un gros coup avant de se moucher. Betty s’assit à côté de Yurio et prit sa main. Le jeune homme lui jeta un oeil, un peu rose, mais se laissa faire.
« Désolé, je crois qu’il fallait que ça sorte.
– Tu viens de l’appeler ?
– Ouais…
– Et ?
– Ben il en a marre et il veut signer une décharge pour rentrer… »
Yuuri savait très bien lire entre les lignes avec son Viktor. Ce dernier était sûrement dans le même état que lui à Saint-Pétersbourg… Mais sans amis pour le soutenir.
« Ah merde, reconnut Yurio.
– Reste poli ! » lui dit Betty.
Le chien se mit à trotter autour d’eux en remuant la queue.
« Tu veux que je prévienne Grand Père ?
– Ben, je veux pas le déranger ?
– T’inquiètes ! Il est discret, il fera juste un peu plus gaffe. »
Yuuri ramassa son portable alors que Yurio sortait le sien pour envoyer un texto à Nikolai. Pour son âge, le vieil homme avait admirablement bien appris à se servir du smartphone que son petit-fils lui avait offert.
Yuuri caressa encore Snoopy qui lui lécha la main en remuant la queue et Betty lui dit :
« Il vous aime bien, on dirait.
– Wouf ! approuva le chien.
– Il a l’air gentil…
– Vous aimez les chiens ?
– J’en ai eu un, quand j’étais ado… Là, on a celui de Viktor, mais il se fait vieux… Je pense que je vais essayer de le convaincre d’en adopter un jeune… Ça sera moins dur pour lui, je ne pense pas que Makkachin va encore vivre dix ans… Enfin, je dis ça, mais c’est le chien de Viktor et il est aussi improbable que lui… »
Le portable de Yurio siffla alors que le jeune Russe opinait à la dernière phrase du Japonais :
« Improbable, ouais, tu peux le dire. Un peu comme votre couple, en fait…
– Ouais, un peu comme beaucoup de choses avec Viktor… Il dit quoi, Nikolai ? demanda Yuuri alors que Yurio souriait en lisant le message.
– Qu’il va le tenir à l’œil, mais que si jamais Viktor décide effectivement de quitter l’hôpital plus tôt, il restera avec lui à l’appart jusqu’à ton retour. »
Yuuri sourit, soulagé :
« Vraiment ? Merci beaucoup, il est vraiment gentil.
– De rien ! »
Yurio se leva :
« Allez, pour la peine, tu me portes jusqu’à la patinoire ! »
Betty resta interdite alors que Yuuri rigolait et se levait avec un soupir :
« Chuis p’t’être une putain de pleureuse, mais toi t’es une sacrée feignasse !
– Je garde mes forces pour demain ! »
Yuuri s’accroupit devant lui, lui tournant le dos :
« Comme si c’était 500 mètres avec une crevette comme toi sur le dos qui allait me crever… »
Yurio grimpa et Yuuri se releva effectivement sans mal.
« Tu sais ce qu’elle te dit, la crevette ?
– Qu’elle a pas envie de finir en tempura ? »
Betty les suivit avec Snoopy, aussi amusée qu’incrédule.
« C’est dommage, ça ferait un gros tempura. Et tu servirais enfin à quelque chose.
– Tu vas arrêter de te foutre de ma gueule ?
– Ça me paraît assez peu probable. Et puis arrête de me chercher sans arrêt, aussi. Sérieux, à croire que tu peux pas te passer de moi !
– Crève !
– Ah ça, jamais ! Ça te ferait trop plaisir ! »
Ça continua sur ce ton-là jusqu’à la patinoire, devant laquelle Phichit et Mila et Emil et Sara valsaient élégamment devant un Michele grognon, un Otabek et un Seung-Gil goguenards, une Asuka, une Marie et une He Pao toutes roses et une Cindy décidément un peu bougonne, au son du Beau Danube Bleu qui sortait du portable de Chris.
Yuuri s’arrêta près d’eux :
« Allez, descends de ton carrosse, Cendrillon.
– Merci, chère citrouille ! » répondit Yurio en se laissant glisser au sol.
Phichit fit tournoyer Mila et Betty rejoignit Yurio et prit sa main, le faisant encore rosir. Snoopy s’assit, dubitatif. Yuuri demanda, amusé, en croisant les bras :
« Il se passe quoi, ici ? Vous montez une école de danse de salon ?
– C’est la faute à Phichit ! répondit Chris en pointant le Thaï du doigt, le faisant éclater de rire.
– Qu’esse t’as foutu encore ? sourit Yuuri.
– Alors je proteste, c’est leur faute à elles, répondit Phichit sans cesser de valser, mais en montrant les demoiselles, qui piquèrent un fard, d’un signe de tête. Elles voulaient savoir si c’était vrai que c’était toi qui guidais quand vous dansiez, avec Viktor… Du coup, je leur ai montré votre tango de l’an dernier et puis la valse, là-dessus Sara a dit qu’elle ne savait pas danser la valse, Emil lui a dit qu’il allait lui montrer et ça nous a fait envie avec Mila ! »
Yuuri opina du chef en pouffant.
« Alors c’est moi qui guide au tango et à la valse, mais c’est Viktor qui guide au rock et à la salsa. Et le reste, ça dépend de l’humeur.
– C’est comme ça que vous choisissez qui fait la femme le soir ? » demanda une voix derrière Yuuri alors qu’un coude se posait sur son épaule.
Yuuri n’avait pas décroisé les bras et regarda JJ, blasé, alors que ce dernier rigolait :
« Non mais t’inquiètes, on sait tous que Viktor est une grosse passive…
– Était. » le corrigea posément Yuuri sans laisser aux autres le temps d’intervenir.
Il y eut un petit flottement. JJ fronça un sourcil :
« Pardon ?
– Était. » répéta toujours aussi calmement le Japonais.
JJ s’écarta un peu de Yuuri et posa ses poings sur ses hanches, fronçant un deuxième sourcil :
« Tu veux dire que c’est toi qui…
– Je veux dire que ça aussi, ça dépend de l’humeur, répondit Yuuri avec un sourire, cette fois. Tu sais, mon vieux, y a que chez les hétéros que ça s’emboîte que dans un sens, enfin sans matos, je veux dire. Parce que je suppose te connaissant que t’as jamais demandé ça à ta douce, ce qui est ton droit le plus strict, mais crois-moi, tu sais pas ce que tu perds. »
JJ trouva brusquement qu’il était largement temps pour lui de recommencer l’entraînement et il fila à l’intérieur sans demander son reste alors que les autres riaient de bon cœur, même Otabek et Seung-Gil et les filles, sauf Asuka et Marie qui étaient à nouveau toutes rouges.
Yuuri avait regardé le Canadien disparaître avec un petit sourire en coin et il dit :
« Je compte sur vous, les mecs. Je veux pas de ce crétin avec moi sur le podium.
– T’inquiètes, lui dit Yurio avec un sourire mauvais, c’était prévu. »
Phichit lâcha enfin Mila et opina :
« Grave ! On va lui apprendre un peu l’humilité ! »
La jolie Black rigolait et dit avec un grand sourire :
« Eh ben, moi qui croyais que les Japonais, c’était timide et ça s’écrasait !
– Je ne suis pas sûr d’être très représentatif, après trois ans à Detroit et six à Saint-Pétersbourg… répondit Yuuri qui n’avait pas perdu son petit sourire.
– C’est vrai, ça, il tient beaucoup mieux l’alcool, maintenant, intervint Yurio, les faisant à nouveau rire. C’est con, c’est vachement moins drôle du coup.
– Ouais, la dernière fois, c’est toi qui as fini à poil en imitant Lady Gaga. Betty, tu veux voir la vidéo ? opina encore Yuuri avant de filer en courant sans attendre car Yurio gronda et se précipita à sa poursuite en criant :
– Je vais te tuer ! »
Betty les regarda disparaître à l’intérieur, aussi amusée que stupéfaite :
« Ils sont toujours comme ça ?
– Toujours, opina Mila, hilare. Et encore, quand Viktor est là, c’est pire, ils sont trois. »
*********
Les patineurs déjà sur la glace s’étaient un peu demandés pourquoi les deux Yuri, en arrivant, avaient fait une course autour un moment, le blond furieux poursuivant le brun hilare, tellement hilare qu’il avait fini par se faire rattraper et se faire vider une bouteille d’eau sur la tête. Peu de personnes parlaient assez russe pour comprendre ce que hurlait le jeune champion, mais son ami japonais riait encore lorsque, tout dégoulinant, il fila aux vestiaires se sécher.
Seul Yakov avait soupiré, désespéré :
« Mais ils n’arrêtent jamais… »
Betty s’installa tranquillement au bord de la glace et son amoureux se remit au boulot, redevenu sérieux.
Yuuri ne tarda pas à revenir et se posa sur un banc pour enfiler ses patins en chantonnant. Il avait retrouvé la pêche, assez pour tout écraser en beauté le lendemain. Il ne fit pas attention au jeune John qui lui passa devant pour aller aux toilettes, alors qu’il lassait soigneusement son patin gauche, mais il s’était redressé pour vérifier que tout était bien noué lorsque le garçon repassa, laissant tomber un bout de papier à ses pieds. Yuuri allait l’interpeller, mais sa mère n’était pas loin et, voulant éviter un nouveau scandale, il se dit qu’il le lui rendrait plus tard. Cependant, en le ramassant, il s’aperçut que ça lui était en fait destiné :
« Je peux peut-être essayer de danser l’Ode à la Joie dimanche, mais pas un mot à ma mère ni à Billy. »
Yuuri eut un sourire et jeta à nouveau un oeil à l’adolescent.
Pas si con que ça, ce gosse. S’il arrivait à se débarrasser de sa mère, y aurait moyen d’en faire quelque chose.
Il rangea le papier dans sa poche et rejoignit lui-même la glace. En y pénétrant, il soupira d’aise. Il s’étonnait toujours lui-même d’avoir autant de bonheur à simplement poser ses patins sur la glace malgré les années passées. Il n’y avait que dans les bras de Viktor qu’il se sentait autant à sa place que là.
L’après-midi se passa tranquillement et vers 16h, tout le monde fit une pause. Yuuri sortit un peu se poser au soleil, assis dans l’herbe, avec Phichit, Yurio, Betty et Otabek.
Il regardait Phichit faire une démonstration de danse traditionnelle thaï à ses amis, Snoopy sautillant autour de lui, tout excité, lorsqu’un cri lui fit se pétrifier :
« Yujisan !!!!! »
Il se leva pour regarder, stupéfait, la petite fille qui accourait avec un grand sourire :
« Eeh ? Aki-chan ?! »
Il s’accroupit pour l’attraper et la lever dans ses bras avec un sourire incrédule :
« Aki-chan ? Ben qu’est-ce que tu fais là, ma puce ? »
Il se figea en voyant M. Weissman arriver avec… Ses parents ?!
Il resta con.
Yurio s’était levé aussi et agita son bras, tout content :
« Eh, Hiroko, Toshiya, bienvenue ! »
Yuuri sursauta lorsque la fillette, dans ses bras, demanda, inquiète :
« Yujisan, ça ne va pas ?
– Hein ?! Euh, si… Si si… Je euh… »
Il reposa la fillette au sol et sa mère vint l’étreindre alors que M. Weissman expliquait :
« Voici votre surprise… J’espère qu’elle vous fait plaisir ? Pardonnez-moi d’avoir pris la liberté d’inviter vos parents, mais vu les circonstances, j’ai pensé que vous aviez besoin d’un peu plus de soutien que vos camarades… »
Toshiya sourit en rejoignant son épouse alors que Yuuri reniflait.
Yurio se pencha vers Betty et lui murmura :
« Il te reste des mouchoirs ? »
Hiroko frotta le dos de son fils, tout sourire :
« M. Weissman nous a appelés avant-hier et nous a gentiment invités. Mari et Koji n’ont pas voulu venir, mais nous, nous nous sommes dits que ça nous ferait un peu de vacances, il n’y a pas beaucoup de clients en cette saison, ils peuvent gérer l’onsen sans nous. Et nous avons emmené Akichan, elle voulait absolument revoir son tonton chéri. »
La petite fille restait accroché à la jambe de Yuuri et opina, tout sourire.
« Mari et Koji doivent être ravis d’être un peu tranquilles ! » ajouta Toshiya.
Yuuri essuya ses yeux et hocha la tête :
« C’est très gentil d’être là… Merci beaucoup…
– Oh, on s’est dit qu’après tout, c’était ta dernière compétition, répondit son père. On n’a pas pu venir souvent te soutenir, on te devait bien ça ! »
Otabek regardait les nouveaux venus avec curiosité, bras croisés et un petit sourire aux lèvres, et il dit :
« Eh ben si avec ça, il ne nous rebat pas le record du monde…
– Venez, je vais vous présenter. » dit Yurio.
Il s’approcha et les autres suivirent.
Hiroko lui sourit :
« Oh, Yuri-kun ! Tu as bien grandi !
– Bonjour, Hiroko. Vous allez bien ?
– Très bien ! Le vol a été un peu long, mais ça va ! »
Otabek sourit :
« Eh, vous parlez très bien anglais !
– Beaucoup de clients étrangers, bien obligés ! répondit Toshiya.
– Je vous présente Otabek Altin, Phichit Chulanont, que vous devez avoir déjà vus quelque part, et ma euh… »
Il piqua un fard et Betty s’avança et leur tendit la main alors qu’Otabek, Phichit et Yuuri éclataient de rire.
« Sa petite amie ! dit-elle. Betty, enchantée ! »
Yurio jeta un oeil sombre à ses trois amis, mais ne dit rien. Phichit serra la main de Toshiya et Hiroko en s’excusant :
« Navré de ne jamais avoir pu vous rendre visite, il y a des années que Yuuri m’invite…
– Ce n’est pas grave ! répondit Hiroko, tout sourire. Je suis très heureuse de te rencontrer, Yuuri nous a souvent parlé de toi ! Et n’hésite pas, quand tu voudras ! Nous avons toujours de la place pour les amis ! Ça vaut pour vous aussi, d’ailleurs ! » ajouta-t-elle pour tous les autres.
Yuuri reprit dans ses bras Aki, qui tiraillait son survêt.
« Et voici notre petite Aki, la fille de la grande sœur de Yuuri.
– C’est qui ? demanda la fillette.
– Des amis, lui répondit gentiment son oncle.
– Ce sont les messieurs qui veulent vos médailles, à Vicchan et toi ? »
Yuuri serra la fillette en riant :
« Oh bon sang, tu m’as manqué ! »
Chris arriva sur ses entrefaites avec Yakov, chacun cherchant son Yuri, parce que bon, la pause était largement finie.
Yuuri rendit sa nièce à ses parents après lui avoir fait un petit bisou et les patineurs retournèrent sur la glace. Albrecht, Betty, Snoopy sagement sur ses genoux, Toshiya, Hiroko et la petite Aki s’installèrent tranquillement dans les gradins pour regarder ça.
« Et alors, comment avez-vous connu Yuri-kun ? demanda Hiroko à Betty.
– Oh, je suis actrice dans une série et il a tourné avec nous pour un épisode l’an dernier…
– Ah oui ! Je me disais bien que votre tête me disais quelque chose. Yuuri nous en avait parlé, du coup, nous avions regardé l’épisode… C’était un peu surprenant de le retrouver dans son propre rôle dans CSI…
– C’est un de nos scénaristes, qui est un gros fan de patinage qui lui l’avait rencontré au Skate America et qui lui avait proposé… J’avoue, je n’y connaissais rien, mais j’étais très curieuse quand j’ai lu le script… Et puis le jour dit, il est arrivé tout bougon et un des acteurs l’a un peu pris de haut, parce que soit disant le patin, c’est un truc de gonzesse… Et là, ben, Yuri a croisé les bras et a posé son pied sur son épaule sans le moindre effort en lui disant : “Ben vas-y, Virilman, essaye de faire ça.”… Ça a un peu calmé tout de monde. »
Hiroko eut un petit rire :
« Oh, je vois très bien ! Yuuri et Viktor ont fait la même chose avec Koji, notre gendre… Il n’est pas méchant, mais il avait un peu trop bu ce soir-là, comme on avait bien fêté leur arrivée, et il les a un peu cherchés… Ils se sont regardés, ils ont souri et ils ont chacun posé un pied sur une de ses épaules…
– Ça doit être un truc de patineur.
– Sûrement !
– Enfin bon, il a tourné les scènes pour lesquelles il était là, ça s’est très bien passé, il n’était pas très à l’aise, mais il jouait bien, il est doué, et le lendemain, on avait rendez-vous à la patinoire pour une autre scène… Et là, c’était plus le même… Il était beaucoup plus à l’aise… Et quand on l’a vu patiner, whaow !… Il était magnifique ! J’ai eu un vrai gros coup de cœur !… » avoua la demoiselle, un peu rose.
Sur la glace, les deux Yuri virevoltaient l’un autour de l’autre, alors que Yakov hurlait on ne savait quoi et que Phichit et Otabek se marraient. Les deux s’arrêtèrent et Yuuri prit une position de matador et Yurio se fit des cornes avec ses mains pour lui foncer dessus.
Les spectateurs se mirent à rire et ils étaient loin d’être les seuls.
Yurio lui fonça cinq fois dessus sans parvenir à le toucher et après ça, il arrêta et ils se frappèrent la main, visiblement aussi amusés l’un que l’autre.
Yakov avait l’air désespéré.
« Ils s’entendent toujours aussi bien, remarqua Toshiya, content, et son épouse opina.
– Ils se connaissent depuis longtemps ? demanda Betty. Yuri me parle souvent de lui et de Viktor, mais je n’en sais pas trop plus ?
– Six ans ! lui répondit Hiroko. Yuri-kun a débarqué sans prévenir un peu après Viktor. Une vraie petite tornade ! Il n’est pas resté très longtemps, mais nous l’avons regretté… Ça faisait du bien à notre Yuuri qu’il soit là. Ils avaient beau être en concurrence et Yuri-kun très colérique, ça les a bien motivés tous les deux et on voyait bien que Viktor aussi était content qu’il soit là. »
L’entraînement se finit sans plus d’incidents. Le petit groupe de spectateurs redescendit des gradins pour rejoindre les patineurs qui quittaient la glace.
« … Mais sans problème que je le place ! disait Yurio à Yuuri qui se marrait doucement. Non, mais tu crois quoi, porcelet ?
– Que t’as intérêt, parce que sinon, on a pas fini de se foutre de ta gueule !
– Qu’est-ce qui se passe ? demanda Betty alors que son chien allait sautiller autour de Yurio.
– Il a perdu ! chantonna Yuuri en allant s’asseoir pour enlever ses patins.
– Mais je vais le faire, t’es pas le seul à pouvoir placer tes sauts en fin de programme ! »
Phichit riait aussi et Otabek soupira, amusé :
« Non, mais tu le sais que tu perds toujours à la corrida.
– J’ai gagné deux fois contre Viktor ! » protesta Yurio.
Interdit de douche commune cette fois, le petit John grommelait et Yuuri, le voyant, se redressa et tapa des mains comme si quelque chose lui revenait en tête :
« Ah les gens, j’ai les clés et j’ouvre à 6h, si y a des courageux ou des courageuses demain matin !
– Merci de l’info ! lui dit Leo. J’y penserai si je tombe du lit aussi tôt qu’aujourd’hui ! »
John lui jeta un oeil avant de suivre sa mère à l’hôtel.
La petite Aki trotta jusqu’à son oncle, le regardant avec des grands yeux émerveillés :
« Yujisan, t’es trop fort !
– Merci, Acchan.
– Dis, c’est vrai que Vicchan est resté à votre maison parce qu’il est malade ?
– Oui, il se repose là-bas.
– Tu pourras lui faire un gros bisou pour moi au téléphone ? »
Yuuri sourit, hocha la tête et se leva pour aller se laver :
« Promis. »
Il suivit les autres vers les douches. Phichit passa son bras autour de ses épaules :
« Dis voir, on voulait aller boire un coup en ville ce soir, si ça te dit ?
– Oh, c’est gentil, mais je pensais rester un peu avec mes parents, en fait… Enfin, je verrais. Si ça se trouve, avec le décalage horaire, ils vont se coucher tôt… »
Une fois douchés, les patineurs et patineuses regagnèrent l’hôtel pour se poser un peu avant le dîner.
Il faisait très bon et Yuuri se dit qu’une petite balade en ville serait effectivement sympa, tout comme une petite soirée en terrasse. Il verrait ce qu’en diraient ses parents. Il repassa dans sa chambre laisser ses affaires et soupira en s’asseyant sur le lit et en prenant son téléphone.
Vu le décalage horaire, il était déjà presque 20h à Saint-Pétersbourg et Viktor n’allait pas tarder à dormir.
Dring dring dring.
« Coucou, Yuuchan !
– Coucou, Vitya. Ça va, tu ne dormais pas ?
– Non, je regardais la télé en t’attendant.
– Comment ça va, ce soir ?
– Je crois que j’ai réussi à comprendre la différence entre les tours et les fous, mais j’ai du mal avec les cavaliers.
– Bien, c’est toujours ça de pris.
– N’est-ce pas. Et toi, ça va ?
– Oui, tranquille. Tu as loupé une petite corrida.
– Oh ? Zut, Phichit n’a pas filmé ? Qui a gagné ?
– Moi.
– Et il doit faire quoi ?
– Placer son dernier quadruple dans les 15 dernières secondes de son programme demain. »
Viktor eut un petit rire :
« T’es vache !
– Oh, il devrait y arriver sans souci.
– Oui, ça j’ai peu de doute. Ça lui fera même un bon challenge.
– Ouais. ‘Faut bien que je l’embête un peu pour ma dernière compet’…
– Clair. Ça lui fera des souvenirs. »
Il y eut un silence, puis Viktor reprit plus sérieusement :
« Tu avais bien emmené ce que je voulais lui offrir pour dimanche ?
– Oui, ne t’en fais pas, ils sont dans mon sac. Mais tu es sûr que tu ne veux pas lui offrir toi-même ? Je peux les ramener, tu sais, tu peux lui donner plus tard ?
– Non, c’est gentil d’y penser, koi, mais je préfère pas attendre. Par contre, tu diras à Phichit de filmer, je veux voir sa tête !
– Promis ! »
Yuuri descendit tranquillement un peu plus tard et retrouva sans mal ses parents qui étaient au restaurant, faisant dîner la petite Aki qui s’endormait dans son assiette. Il sourit et vint s’asseoir près d’eux.
« Viktor vous salue et il t’embrasse aussi, Acchan.
– Comment va-t-il ? demanda Hiroko.
– Il se repose, ça va. »
Il n’en dit pas plus devant la fillette. De toute façon, ses parents étaient au courant. Il les avait appelés dès que possible, avant que la nouvelle n’arrive au Japon, ne voulant surtout pas qu’ils l’apprennent par la presse.
Toshiya emmena une Aki déjà endormie pour la coucher et Hiroko sourit à son fils :
« Tu es content que nous soyons là ? »
Il sourit aussi :
« Bien sûr. Ça m’a vraiment surpris, mais je suis très heureux. On passera sûrement vous voir un moment quand Viktor ira mieux.
– Quand vous voudrez ! Vous êtes toujours les bienvenus !
– Koji nous en veut toujours ?
– Non, ça va, il en rit, maintenant. Il a fini par admettre que tenter un concours de saké avec vous était idiot… Heureusement que vous l’aviez arrêté. »
Yuuri sourit encore sans répondre. Viktor et lui n’avaient juste pas eu envie de finir la nuit à l’hôpital et expliquer un coma éthylique, c’était uniquement ça qui les avait fait prendre la bouteille à son beau-frère de toute façon incapable de la récupérer.
« Il était un peu jaloux, il faut dire… Acchan vous collait tout le temps, surtout Viktor… »
Yuuri hocha la tête avec un petit rire. C’était une grande histoire d’amour entre sa nièce et son compagnon. Viktor aimait bien les enfants en général, mais la fillette était un vrai petit gluon avec lui dès qu’il était dans le secteur. D’ailleurs, elle avait voulu l’épouser un moment et avait été très triste quand ils lui avaient expliqué qu’il était en quelque sorte déjà marié à son oncle.
« Elle s’est vraiment mise au patin, tu sais… Elle les a emmenés, je crois, d’ailleurs.
– Oh, vraiment ? Il faudra qu’elle me montre ça ! »
Il dîna avec ses parents, mais ceux-ci, comme il l’avait pensé, étaient fatigués du voyage et se couchèrent sans tarder. Yuuri les raccompagna à leur chambre, puis passa dans la sienne enfiler un jean et prendre une veste noire pour accompagner ses amis.
Edelweiss était une petite ville, presque un gros village, très paisible et ils y étaient connus. Les épreuves en elles-mêmes se dérouleraient comme toujours à la grande patinoire de Genève, devant un public nombreux et sûrement pas mal de journalistes, mais ici, ils étaient tranquilles le temps des entraînements, car seuls les proches invités et quelques journalistes respectueux étaient admis dans l’enceinte de l’hôtel. De la même façon, un étage était réservé aux patineurs seuls pour qu’ils soient tranquillement entre eux. Cette année, exceptionnellement, Linda Ross y avait une chambre, séparée de celle de son fils malgré ses demandes, et uniquement à cause du jeune âge de ce dernier.
Chris, Otabek, Yurio, Phichit, Seung-Gil, Kenjirô et Leo l’attendaient donc et ils partirent tranquillement à pied. La nuit était vraiment douce et Yuuri soupira en regardant la lune presque pleine.
« Dire qu’il neigeait à Saint-Pétersbourg quand je suis parti hier…
– Il fait encore si froid que ça, là-bas ? sursauta Kenjirô.
– Oui, confirma Yurio, ça arrive pas tous les ans, mais cette année, ça traîne un peu.
– Ah, je me disais bien que c’était bizarre que vous restiez en t-shirt ! » dit Leo.
Lui avait déjà une veste douillette alors que celles des deux Yuri étaient nouées à la taille de leur propriétaire.
« Ah ben toi, forcément, Los Angeles, c’est pas la même chanson…
– Eh les mecs, ça vous dit un billard au Paddy’s ? proposa Phichit.
– J’en suis ! répondit Otabek. Yuri me doit une revanche de l’an dernier ! »
Le Russe opina avec un sourire railleur :
« Défi accepté ! »
Kenjirô restait prudemment près de son sempai et lui demanda :
« C’est quoi ça, le Paddy’s ?
– Un pub très sympa où on aime bien aller quand on se retrouve ici. Ne t’en fais pas, ils servent des boissons sans alcool si tu veux… » lui dit gentiment son aîné, connaissant sa timidité comme son aversion pour l’alcool.
Kenjirô opina, aussi intimidé que content d’avoir été convié à la soirée.
Ils arrivèrent bientôt et la patronne et son personnel les accueillirent gaiement, presque inquiets de ne pas les avoir encore vus. Les politesses faites, Yurio, Otabek, Leo et Seung-Gil allèrent réquisitionner un des billards alors que Yuuri, Chris et Phichit commandaient la première tournée. Kenjirô les aida à apporter les verres et les chopes à la table voisine du billard où ils s’installèrent.
Ils trinquèrent à Viktor et à l’épreuve du lendemain, joyeusement, et les quatre joueurs attaquèrent leur partie sous l’œil des autres.
Leo fut le premier éliminé et Chris le remplaça alors que Billy, l’entraîneur du petit John Ross, entrait dans le pub. Il s’installa au comptoir, regardant les garçons d’un oeil suspicieux. Ces derniers le repérèrent sans trop faire attention à lui, jusqu’à ce qu’il ne s’approche avec sa chope.
Leo le salua alors que les autres se contentaient de signes de tête.
Yuuri remplaça Seung-Gil au billard et l’entraîneur américain, qui regardait le Japonais avec un mépris assez évident, finit par lâcher :
« Eh ben on voit que vous avez l’habitude de manier des queues. »
Yuuri ne lui adressa même pas un regard alors que plusieurs de ses amis avaient tiqué et Yurio et Phichit froncé un sourcil.
La balle blanche frappa trois boules dont deux allèrent dans des trous.
« Joli, commenta Otabek et Seung-Gil opina.
– À toi, dit Yuuri à Yurio.
– Yep ! »
Le blond se pencha pour se mettre en position et Billy ricana :
« Joli p’tit cul, je me demande combien de mecs en ont profité… »
Yurio trembla alors que Yuuri lui disait avec un soupir, en russe :
« T’abaisse pas à rentrer dans son jeu. »
Yurio grommela, frappa avec soin son coup et se redressa pour regarder un instant l’Américain avant d’avoir un sourire dédaigneux :
« Ah pardon, j’ai cru que c’était un mec qui essayait de me provoquer. »
Les autres se regardèrent et Yuuri soupira à nouveau, avec un sourire cette fois. Incorrigible… Il avait très bien compris où son jeune ami voulait aller et il décida de laisser faire, ça ferait une bonne leçon à ce crétin. Heureusement que Betty n’était pas là.
« Pardon ?! sursauta Billy, déjà furieux.
– Tu crois que tu m’impressionnes avec ta chope de flotte ? »
Bon sang, songea Yuuri, mais c’est qu’il rougit à vu d’oeil, l’Américain…
« Qu’est-ce que tu as contre la bière, petit con ?
– Boisson de gonzesse, c’est tout, répondit le Russe en prenant son propre verre, du whisky sec dans son cas. Sérieux, gars, même Yuuri a pris de la brune… »
Otabek sourit en voyant Phichit sortir innocemment son portable. La scène allait être immortalisée, visiblement.
« Qu’est-ce que tu crois, que je peux pas boire de whisky ?! gronda Billy.
– Depuis quand ça sait boire, les Américains ?
– Tu me cherches, pisseux, j’te prends au whisky quand tu veux ! »
Yuuri secoua la tête alors qu’Otabek murmurait :
« Ça marche à chaque fois, c’est dingue…
– Ah ben ça les cons, on connaît. » lui répondit Seung-Gil.
Leo et Chris hochèrent la tête. Tous les patineurs et danseurs du monde avaient sans doute eu à gérer un crétin de macho remettant en cause leur virilité un jour ou l’autre.
Yurio eut un sourire narquois en appelant la patronne d’un claquement de doigt aussi classe que théâtral :
« Epona, aurais-tu une bonne bouteille de whisky, ma belle ? Monsieur veut me prouver qu’il a des couilles. »
Alors que les autres clients avaient regardé la scène avec intérêt ou inquiétude, la patronne rigola :
« Pas de souci, installez-vous, je vous apporte ça tout de suite. »
Yurio laissa sa queue de billard à Chris :
« J’en ai pas pour longtemps.
– Pas de souci ! »
Il s’assit face à un Billy grondant à une table et Epona apporta, amusée, une bouteille et deux petits verres.
« À toi l’honneur. » invita poliment Yurio.
Billy se servit généreusement, décidé à monter qu’il n’avait pas peur, et Yurio suivit sans broncher. Les deux hommes vidèrent leurs verres d’une traite sans ciller.
Yuuri profita de la pause pour apprendre à Kenjirô à jouer au billard, ne surveillant que d’un oeil le duel, au contraire des autres, désireux surtout de s’assurer que Billy, s’il avait l’alcool mauvais, ne fasse pas de grabuge.
« C’est quand même plus sympa à la vodka. » soupira Yurio au cinquième verre, alors que son vis-à-vis commençait à vaciller sur sa chaise.
Otabek et Chris sourirent quand Leo leur chuchota :
« ’Sont quand même pas humains ces Russes ! »
Quatre verres plus tard, Billy s’écroula sur la table et Yurio se leva avec un soupir et sans même un tremblement :
« Ça, c’est fait. On reprend ? »
Epona et ses deux serveurs se chargèrent de l’entraîneur qui se vit transporté dans une autre salle où il pourrait cuver en paix. Il grogna un peu, mais dut bien se laisser faire.
Yurio vint reprendre sa queue de billard et Yuuri lui sourit :
« Joli.
– Dommage que Viktor n’ait pas été là… C’est encore plus drôle à deux contre un.
– Je lui enverrai la vidéo ! dit Phichit en les rejoignant, très amusé.
– ’La mets pas en ligne, on va avoir des problèmes avec ma fédé, dit Leo.
– T’inquiètes, je mets pas en ligne, je lui enverrai en PV ! »
Otabek vint reprendre sa queue aussi :
« On en était où ? »
Un peu plus tard, voyant Kenjirô bâiller, Yuuri songea qu’il avait bien envie de se rentrer, lui aussi. Laissant donc les autres finir tranquillement, lui, Kenjirô et Leo reprirent donc le chemin du centre.
La nuit était calme et les trois hommes arrivèrent sans encombre. Ils se laissèrent dans le couloir, au sortir de l’ascenseur, se souhaitèrent bonne nuit et rentrèrent chacun dans leur chambre.
Yuuri se coucha sans attendre et plia ses bras sous sa tête.
Bon bon bon.
Yuuchan, watashi no tame ni kore wo shite kudasai…
Il ferma les yeux et fit le vide. Il n’allait pas y arriver comme ça… Il fallait qu’il pense à quelque chose pour le motiver.
…
Un long corps fin et pâle, alangui près de lui dans un grand lit, nu, dans l’aube morne d’un matin d’hiver glacial à Saint-Pétersbourg…
Il rentrouvrit les yeux en commençant à se caresser doucement à travers son boxer.
Un sourire se fit sur ses lèvres.
Yuuri… ?
Un souvenir plus ancien encore remontait à sa mémoire.
Yuuri… Serre-moi dans tes bras… S’il te plaît…
Le souvenir d’une nuit passée dans un hôtel en Chine, au soir d’une finale de sélection du Grand Prix.
*********
Chine, six ans plus tôt.
Yuuri était heureux, ce soir-là, triplement heureux. D’avoir pu dire à Viktor, même en larmes dans ce parking, la seule chose qu’il avait besoin qu’il sache.
Fais-moi confiance, c’est tout !… Tu n’as rien à dire ! Reste juste à mes côtés !
D’avoir obtenu la médaille d’argent, aussi. Et il était content que Phichit ait eu l’or. Son ami était tout fou et ça lui faisait beaucoup de bien de le voir si radieux.
Mais bien sûr, plus que tout, c’était impensable baiser de Viktor à la fin de sa prestation qui le faisait marcher à une dizaine de centimètres du sol depuis. Et sans patins.
Viktor… Monsieur J’aime-surprendre-mon-monde. Yuuri sourit. Heureusement qu’il n’était pas cardiaque… Ça aurait vraiment été dangereux avec ce beau Russe.
Yuuri regarda son coach qui parlait sereinement avec divers officiels, au banquet, souriant et détendu. Charmeur, comme toujours. Le Japonais but une gorgée de champagne, rêveur.
« Yuuri ! l’appela Phichit en agitant le bras, un peu plus loin. Viens voir, viens voir ! »
Yuuri le rejoignit, intrigué. Son jeune ami passa son bras autour de lui :
« Regarde, on était aux infos nationales en Thaïlande !! »
Yuuri regarda l’écran du portable de son ami. Il ne lisait pas le thaï et en parlait trois ou quatre mots, mais ça avait effectivement l’air d’un journal télé. Indéniablement.
« C’est chouette ! » dit-il, sincère.
Les deux garçons allèrent un peu danser. Phichit fit une pause alors que son ami continuait à tournoyer tout seul, tout sourire, au son d’une chanson d’amour mielleuse qui collait donc plutôt bien à son état d’esprit présent.
La chanson s’acheva et il s’étira, se sentant très heureux.
La vie était belle ce soir-là… Que demander de plus ?
« Yuuri ? »
Il sourit à Viktor qui venait de le rejoindre et qui lui demanda gentiment :
« Ça va ? »
Le Japonais lui répondit joyeusement :
« Très bien !
– Tu n’as pas trop bu ?…
– Non, non, pourquoi ? »
Viktor sourit sans répondre. Une autre chanson commença, un slow et le sourire de Viktor s’adoucit et il tendit la main à Yuuri :
« Tu veux danser ? »
Yuuri la prit et se blottit contre lui, tout rose. Il sentit Viktor rire doucement, passa ses bras autour de sa taille et soupira d’aise en sentant les bras de son bien-aimé coach passer autour de ses épaules.
« Viktor…
– Hm ?
– Merci.
– Pourquoi ?
– … Pour tout… »
Le cœur de Yuuri fit un petit bond dans sa poitrine lorsqu’il sentit les bras de Viktor se resserrer, son visage s’enfouir dans ses cheveux et qu’il entendit :
« C’est à moi de te remercier… »
Toujours tout rose et intrigué, le Japonais releva la tête pour regarder le Russe.
Les fins yeux bleu-vert étaient à peine entrouverts et pourtant, ils brûlaient d’une douceur, mais aussi d’un désir bien réels.
« … Me remercier moi ? Pourquoi ? »
Viktor sourit sans répondre, encore, et se pencha. Le baiser qui suivit n’avait rien à voir avec l’autre. Les deux hommes avaient cessé de danser à la même seconde, yeux clos. Leur étreinte s’était resserrée. Le baiser n’était ni passionné, ni profond. Il ne dura pas si longtemps, d’ailleurs. Ils rouvrirent les yeux, souriant tendrement tous les deux. Viktor caressa les cheveux noirs et Yuuri enfouit son visage dans son cou. La danse reprit comme elle avait cessé, jusqu’à la fin de la chanson.
Un peu plus tard, ils quittaient tranquillement la salle avec Phichit et Chris. Le Thaï et le Suisse les laissèrent chacun leur tour et, restés seuls dans l’ascenseur, Viktor et Yuuri échangèrent un regard avant que le Japonais se revienne se blottir dans les bras du Russe.
« Yuuri ? Tu es sûr que tu n’as pas trop bu ?
– Certain !… Je fais attention, j’ai déjà fait des trucs très cons, bourré. Pourquoi, j’ai l’air ?
– Euuuuh, non non… »
Viktor le serra tendrement.
« Tu viens dans ma chambre… ? » demanda encore Yuuri, tout rouge cette fois.
Viktor sourit et hocha la tête :
« Oui, d’accord. »
Dire que Yuuri avait le trac était très en dessous de la réalité. Mais, champagne aidant peut-être, il était bien décidé. Il avait envie de se donner à Viktor, de tout lui donner.
La porte de la chambre se referma et Yuuri retint Viktor quand celui-ci voulut allumer la lumière :
« Non, s’il te plaît… »
Viktor sourit dans la pénombre et ils s’enlacèrent à nouveau, s’embrassant à nouveau, bien plus passionnément cette fois. Viktor tenait son visage entre ses mains. Les mains de Yuuri étaient dans le dos du Russe, accrochées à sa chemise. Il haletait déjà, gémissant. Le baiser s’était fait profond. La langue de Viktor explorait sa bouche et rien que ça l’excitait comme un fou.
« Yuuri… ? »
Viktor le regardait tendrement, mais il attendait une réponse.
« Nani… ? bafouilla le Japonais, un peu inquiet.
– Tout va bien, ne t’en fais pas, tout va bien. »
Viktor souriait. Ses longues mains caressaient le visage de Yuuri qui le regarda sans comprendre.
« Qu’est-ce qu’il y a… ?… Viktor ?…
– Tout va bien, répéta le Russe. Je voulais juste savoir si tu avais des préservatifs ? »
Yuuri le regarda sans trop comprendre :
« …Euh… Non… ? »
Viktor sourit encore et l’embrassa avant de lui dire :
« Je m’en doutais. J’en ai, je vais les chercher. J’arrive…
– Viktor… ? »
Le Russe l’embrassa encore.
« Ne t’en fais pas, j’ai tout ce qu’il faut. »
Yuuri le regarda filer sans parvenir à le retenir. Un peu sonné, il alla s’asseoir sur le lit. Viktor revint très vite, sa chambre était après tout voisine de la sienne. Le Russe vint s’asseoir près de lui :
« Yuuri ? Ça va ? »
Yuuri sourit et lui sauta au cou. Un instant plus tard, ils roulaient sur le lit, enlacés, s’embrassant à nouveau. Yuuri finit par se retrouver sous Viktor, ses bras autour de ses épaules. Viktor le caressait avec force. Yuuri se sentait très dur et sacrément à l’étroit. Et Viktor n’était pas en reste, il le sentait bien. Les lèvres du Russe quittèrent les siennes pour descendre dans son cou. Yuuri gémit. Il entendit Viktor glousser et le Russe se redressa un instant pour le contempler. Il souriait tendrement. La longue main pâle caressa la tête, puis la joue de Yuuri :
« Prekrasna… »
Yuuri sourit, tendit ses mains tremblantes pour caresser aussi le visage de Viktor.
« Utsukushî… »
Ils eurent un petit rire ensemble. Viktor se pencha à nouveau pour l’embrasser tendrement :
« Yuuri… ?
– Nani ?
– Yuuri… Serre-moi dans tes bras… S’il te plaît… »
Yuuri passa ses bras autour de Viktor pour le serrer fort. Le Russe l’étreignit un instant avec un soupir.
« Viktor ?
– Hmm ?
– Je suis désolé, je sais pas trop quoi faire… C’est ma première fois…
– Je sais. Ne t’en fais pas. Et je vais tout faire pour que tu passes un bon moment…
– Hn… Mais toi aussi, je veux que tu passes un bon moment… »
Viktor sourit encore en le regardant. Il semblait avoir les larmes aux yeux. Yuuri ne comprit pas trop pourquoi, sur le coup. Il était trop ému, trop rempli de sentiments trop forts qu’il ne connaissait pas, pour comprendre ce qui se passait, ce soir-là, dans la tête et le cœur de Viktor.
Ce dernier l’embrassa à nouveau, puis ses lèvres reprirent leur exploration sur sa peau. Viktor déboutonna sa chemise et l’écarta pour caresser sa poitrine et ses lèvres suivirent ses mains rapidement. Yuuri se laissa déshabiller, rougissant lorsque Viktor lui retira son boxer, dévoilant son érection. Le sourire de Viktor se fit gourmand.
Il se pencha, restant à quatre pattes au-dessus de Yuuri, embrassant ses lèvres, puis son cou alors qu’une de ses mains se mettait à caresser lentement son sexe. Yuuri gémit plus fort.
« Viktor… Viktor… »
Yuuri essaya de se reprendre un peu, désireux de ne pas laisser tout le boulot à Viktor. Il s’attaqua à sa chemise qu’il parvint à lui retirer assez vite. Il passa au pantalon, l’ouvrit et osa glisser sa main pour caresser le sexe du Russe malgré ses tremblements. Le pantalon était un peu moulant, mais Viktor l’aida à l’enlever rapidement. Il enleva son propre boxer aussi rapidement et guida la main de Yuuri jusqu’à son sexe. Yuuri se mit à le caresser maladroitement. Il était un peu plus long que le sien, mais un peu moins large.
Viktor prit ce qu’il avait emmené, qui attendait sagement sur la table de nuit, et il déroula soigneusement un préservatif sur le sexe de Yuuri. Ce dernier se laissa faire, intrigué, avant de crier quand il sentit Viktor le prendre en bouche. Cri de surprise qui fit presque instantanément place à de purs râles de plaisir.
Il se redressa sur ses coudes comme il put pour regarder son amant. Viktor avait les yeux clos, très concentré sur ce qu’il faisait, et Yuuri tendit une main peu sure pour caresser ses cheveux avant de retomber sur le lit dans un nouveau cri alors que des doigts fins se glissaient derrière ses bourses pour cajoler une petite zone, là, dont il ignorait jusque l’existence jusqu’à cet instant, mais qui s’avérait très sensible.
Il était à une seconde de l’orgasme quand Viktor s’arrêta, le laissant pantelant.
Le Russe gloussa encore de le voir à bout de souffle, alangui sur le lit, et revint l’enlacer et l’embrasser avec tendresse, avant de lui murmurer :
« Tu es prêt, mon Yuuri ? »
Yuuri sourit :
« Oui…
– Bien. »
Yuuri ferma les yeux avec un soupir. Il sentit Viktor se redresser et l’entendit prendre quelque chose. Un peu plus tard, il rentrouvrit les yeux en sentant une main et du froid sur son sexe, toujours couvert de son préservatif.
« Viktor… ? »
Il regarda avec étonnement le Russe s’installer à califourchon sur ses hanches et un instant plus tard, ce dernier s’empala sur lui en gémissant à son tour.
Yuuri resta surpris autant qu’il était ébloui par le spectacle incroyable d’un Viktor haletant, les yeux bleu-vert perdus dans son plaisir, qui commença à le chevaucher rapidement. Ils se mirent à crier tous deux. Les mains de Yuuri se resserrèrent sur le drap alors qu’il tentait de se reprendre. Ce n’était pas ça qu’il avait voulu… Mais si c’était ce que Viktor voulait, lui… ?
Il se redressa dans un ultime effort pour prendre son amant dans ses bras. Un sourire un peu incrédule se fit sur les lèvres de Viktor qui se pencha pour répondre à l’étreinte. Ils s’embrassèrent, leurs doigts s’entremêlèrent et un instant plus tard, Yuuri jouit dans un cri en pressant Viktor dans ses bras, provoquant aussi l’orgasme de ce dernier qu’il sentit se cambrer brutalement.
Yuuri retomba sur le dos, bras en croix. Il gémit encore en sentant Viktor le libérer et un instant plus tard, le Russe tomba plus qu’il ne s’allongea sur lui. Yuuri passa ses bras autour de lui et sourit.
« Tu bandes encore…
– Toi non… Ça va ?
– Ouais… Tu m’as bien eu, mais ça va…
– Hm ? »
Viktor l’enlaça aussi, intrigué :
« Ça ne t’a pas plu ?
– Si… Si, c’était bien… »
Yuuri se tourna pour faire face à son amant et glissa sa main pour caresser son sexe qui redurcit un peu dans sa main.
« Viktor… ?
– Tu veux m’aider à me finir ?
– On peut dire ça… »
Yuuri rebascula sur le dos, tirant Viktor au-dessus de lui :
« Prends-moi, s’il te plaît…
– Hein ?… »
Le Russe le regardait avec une surprise plus que sincère.
« S’il te plaît… » répéta Yuuri en caressant son visage.
Il se redressa pour l’embrasser. Viktor finit par sourire :
« D’accord… »
Il avait l’air un peu hésitant, mais il se redressa et prit un autre préservatif qu’il déroula sur ses doigts avant de les enduire de gel lubrifiant.
Ah, c’était ça le froid… se dit Yuuri.
Viktor se lécha les lèvres avant de glisser sa main entre les cuisses de Yuuri, qui les écarta largement, pour la mener jusqu’à son orifice qu’il effleura. Yuuri frémit avec un sourire, refermant les yeux.
Viktor le pénétra lentement, surveillant très attentivement son visage, comme terrifié par l’idée de lui faire mal. Mais Yuuri appréciait plutôt la chose et ses yeux se rentrouvrirent alors qu’il se mettait à bouger machinalement ses hanches pour augmenter la stimulation. Il finit par gémir :
« Viktor, viens… Maintenant, viens…
– Tu es euh… Vraiment sûr de toi… ?
– Haï… »
Viktor retira ses doigts, déroula un préservatif sur son sexe et mit du lubrifiant. Puis, il se positionna :
« Euh, missionnaire, ça te va… ?
– Oui ! Viens ! »
Yuuri lui tendit les bras et Viktor sourit en se laissant enlacer, saisissant ses hanches pour le pénétrer lentement. Yuuri se cambra en resserrant l’étreinte de ses bras comme celle de ses jambes autour de Viktor. Ce dernier se mit en mouvement lentement, décidément bien peu sûr de lui, et Yuuri savoura sa douceur avant de lui murmurer :
« Je suis à toi… Enfin…
– Yuuri… ?
– Enfin… Tout à toi… Mon amour… »
Viktor le regarda un instant, à nouveau au bord des larmes.
« Yuuri… »
Il le serra dans ses bras et enfouit son visage dans son cou pour cacher ses pleurs.
« Mon Yuuri… »
Il se remit en mouvement en lui et ils se mirent rapidement à crier encore leur plaisir ensemble, leurs cœurs battant à l’unisson l’un contre l’autre. Yuuri répétait son nom comme une prière, Viktor le comblait tout entier, le plaisir qu’il ressentait lui faisait juste tout oublier. Plus rien d’autre dans cet univers n’existait à cet instant que l’homme qu’il aimait en lui.
Il jouit dans un dernier coup de rein de Viktor, se resserrant sur lui et le faisant jouir également dans une ultime étreinte.
Ils restèrent à nouveau à bout de souffle tous deux. Viktor eut le réflexe de se dégager, avant de se blottir contre Yuuri avec un soupir.
Un moment passa avant que le Russe ne souffle un coup.
« Waouh.
– C’était bon… » murmura Yuuri.
Il sourit et caressa la tête de Viktor qui se redressa le temps de retirer le préservatif usagé et de les essuyer tous deux, avant de se rallonger confortablement contre le flanc du Japonais qui le regardait à travers ses paupières mis-closes.
« Tu as aimé ? Je ne t’ai pas fait mal ? » s’enquit le Russe.
Le sourire de Yuuri s’élargit :
« Non, non, ça va… Pourquoi tu t’inquiètes à ce point, c’était bien, tu sais… ?
– Ben en fait… C’était la première fois que je euh… Que j’étais comment dire… Actif. »
Yuuri rouvrit les yeux, surpris :
« C’est vrai ?
– Euuuuh… Oui. »
Le Japonais se tourna pour l’étreindre, fou de joie :
« Viktor !
– Eh !
– Mon Viktor…
– Yuuri ? Qu’est-ce qui te prend ?
– Rien… C’est juste… »
Il l’embrassa :
« Savoir que c’était une première fois pour toi aussi… Ça me rend heureux, c’est tout… »
Viktor sourit et le serra dans ses bras.
« Idiot. »
Yuuri avait gloussé sans répondre. Ils s’étaient endormis comme ça, tranquillement dans leur bulle, hors du monde.
*********
Yuuri soupira en regardant sa main poisseuse et se leva pour aller la rincer. Elle ne vaudrait jamais celle de son amant, mais ça faisait toujours du bien quand même. Il se recoucha sans attendre. Dodo. Il avait un championnat à gagner.
*********
John Ross s’était couché très tôt pour pouvoir se lever très tôt en douce, espérant que sa mère ne l’entendrait pas. Il avait un peu peur. Même dans la chambre d’à-côté, elle était capable de tout percevoir. Il n’avait pas peur que de ça, d’ailleurs. Il avait bien compris que l’annonce qu’avait fait son concurrent japonais la veille lui était en partie destinée, mais il craignait un peu que ce soit un piège… Après tout, on lui avait assez répété de se méfier des pervers… Même si le Japonais s’était jusqu’ici montré correct avec lui, qui savait ce dont il pouvait être capable ?
Mais il voulait vraiment participer le dimanche et pour ça, il fallait bien qu’il puisse lui parler sans sa mère et Billy.
Il quitta sa chambre sur la pointe des pieds. Il était 6h30 et tout était calme. Le couloir était vide et il rejoignit l’ascenseur, très nerveux.
Dans le hall de l’hôtel, il aperçut Otabek qui partait en direction de la patinoire. Tout était vide à l’exception du veilleur qui dormait à l’accueil. Content de ne pas risquer d’être vu, le garçon rejoignit son aîné à la porte.
Le Kazakh lui sourit alors qu’ils sortaient, mais ne parla qu’une fois qu’ils furent dehors.
« Salut, John.
– Bonjour ! »
John était un peu rassuré. Certes, Otabek n’était ni Américain, ni protestant, mais au moins, il était hétérosexuel.
« Si tôt levé ?
– Oui ! Toi aussi ? »
Otabek haussa les épaules alors qu’ils traversaient la cour. Le ciel était encore sombre et il faisait très frais.
« Je dors toujours très peu la veille des compet’… Bien, mais peu.
– Houlà, moi j’ai dormi comme une souche, il faut dire qu’on s’est couché très tôt. »
La porte de la patinoire était bien ouverte et tout était silencieux. Ils rejoignirent la salle d’échauffement, seule pièce allumée.
Yuuri faisait ses abdos et leur jeta un oeil alors qu’ils entraient. Il prit le temps de finir sa série avant de les saluer en se relevant :
« Salut les gars ! »
Il essuya son visage en sueur avec sa serviette et vint pour leur serrer la main. Otabek la serra avec un sourire :
« Salut, Yuuri.
– Salut ! … Salut, John !
– Bonjour… »
L’adolescent lui serra la main un peu trop rapidement, mais Yuuri ne releva pas son malaise et croisa les bras.
« C’est bien que tu sois là. J’ai eu ton message, hier. Tu voulais danser l’Ode à la Joie ? »
Otabek regarda le garçon avec surprise et ce dernier détourna les yeux en se grattant la nuque, très mal à l’aise :
« Ben… C’est la seule choré de lui que je connais bien… Mais je sais pas si j’ai le niveau… »
Otabek posa ses mains sur ses hanches, grave. Yuuri répondit, très sérieux :
« Tu placeras pas ses 4 quadruples, c’est clair, mais pour la choré elle-même, moi je pense qu’il n’y a aucun problème.
– Je pense aussi, opina Otabek. Pour la danse elle-même, aucun souci. Pas tous les quadruples, c’est clair. Et les triples… Y en avait combien ? »
Yuuri réfléchit un instant, son index posé sur ses lèvres. Otabek sourit. Dingue comme par instant, on pouvait voir Viktor en le regardant…
« De tête, entre 5 et 7 selon le nombre de quadruples et de combo… J’ai sa presta de Paris sur mon ordi, il faudrait qu’on regarde. »
Otabek sourit et hocha la tête :
« Le Championnat d’Europe du grand retour… Oh bon sang, c’était juste de la folie… Y avait combien entre lui et Yuri ?
– 0,09 points, répondit Yuuri. Mais c’est pas le plus petit écart qu’on ait eu… »
Le Japonais retourna sur le tapis de sol et s’y assit pour commencer ses étirements. Otabek enleva sa veste et l’imita. John hésita un peu, puis les rejoignit.
« Attends que je me rappelle, reprit le Kazakh en se mettant à l’œuvre. Le plus petit, c’était il y a trois ans, c’est ça ? Aux Mondiaux ? C’est pas là, le dernier record du monde ?
– Si, c’est là.
– Euh, se permit John alors que ça lui revenait. La finale où vous avez battu le record tous les deux avec l’autre Yuri au Libre ?
– En fait, tous les trois avec Viktor, corrigea Yuuri en écartant ses jambes en grand écart et en se penchant vers l’avant pour croiser ses bras au sol. Mais comme c’est Viktor qui finissait, son score à lui a moins marqué. En fait, on passait comme ça : moi, Yuri et lui.
– La routine jusque-là, sourit Otabek et Yuuri hocha la tête.
– … Et là, je bats le record du monde… Viktor l’avait repris à 222,58 deux ans avant, je le passe à 222,68. Yuri furibard, bien sûr, j’avais pas encore quitté la glace qu’il hurlait déjà que ça n’allait pas se passer comme ça… Viktor tout content qui lui fait le coup du “pas cap”…
– Le truc qui marche toujours avec lui.
– Toujours. Donc Yuri se lance et me bat à 222,72.
– Et Viktor qui prend le fou-rire du siècle… rigola encore Otabek en s’en souvenant.
– Et moi donc !… Il était à peine calmé quand ça a été son tour. C’est peut-être ça qui l’a empêché de nous battre… Mais il a battu son record précédent tout de même, il a eu 222,65. »
Ils sursautèrent tous trois lorsqu’une joyeuse voix féminine les salua :
« Salut les mecs ! »
C’était Cindy, la jolie Afro-Américaine, accompagnée de Mila et Marie, la petite Française.
« Salut les filles ! répondit Yuuri en se redressant sur ses bras, toujours en grand écart. Eh bien, j’ai bien fait de prévenir. Y a des lèves-tôt ici !
– Moins que toi, sourit Mila. T’es là depuis 6h ?
– Ben ouais, comme d’hab’. Allez, fais tes pompes !
– Tu comptes ?
– Non désolé, ’faut que je sois sérieux. J’ai une compet’ cet aprem.
– Sur quoi tu danses ? demanda Cindy en s’asseyant près d’eux pour commencer ses exercices, curieuse.
– Tu verras bien !
– Allez, un indice ?
– Hmmm, je vais être tout en blanc.
– Tu vas patiner le bonhomme de neige de Frozen ? » [La Reine des neiges en fr]
Ils éclatèrent tous de rire et Mila tapota des mains :
« Super idée, j’adorerais voir ça !
– C’est pas ça, répondit Yuuri, mais effectivement, y a un concept à exploiter ! »
Ils continuèrent dans la bonne humeur jusqu’à 8h moins 5, heure où Yuuri annonça qu’il partait courir. Cindy et Asuka, arrivée entre temps, demandèrent si elles pouvaient venir, ce qu’il accepta volontiers.
C’est donc tout aussi naturellement qu’elles l’accompagnèrent au restaurant à leur retour vers 9h30, pour manger un petit bout avant de retourner à la patinoire. Yurio y était avec Betty et son chien qui vint joyeusement accueillir les nouveaux venus. Du coup, ils s’installèrent à leur table. Les présentations faites ou refaites, Yuuri remarqua :
« T’es pas très matinal.
– Non, un peu la flemme, là, admit le jeune Russe.
– Vous êtes rentrés si tard que ça ?
– Même pas, on a juste fini la partie en cours, on vous a suivis assez vite. »
Le serveur apporta son jus de fruits, ses œufs et ses céréales à Yuuri sans même demander, avant de prendre gentiment la commande pour les demoiselles. Yurio et Betty, pas pressés, décidèrent de rester afin de tous partir ensemble à la patinoire.
Ils devisaient plaisamment lorsqu’une Linda Ross furieuse se précipita vers leur table :
« QU’EST-CE QUE VOUS AVEZ FAIT À BILLY !!! »
Yuuri avait sursauté, ne l’ayant pas entendue arriver dans son dos. Yurio la toisait froidement :
« Qu’est-ce qu’elle veut, l’Amerloque ? »
Yuuri se tourna pour la regarder, fronçant un sourcil inquiet.
« Ne faites pas l’innocent ! Billy est malade, incapable de se lever ! Priver mon Johnny de son coach le jour du programme court, c’est… C’est pitoyable ! Déloyal et… »
Yurio eut un sourire moqueur et Yuuri, voyant le serveur parler avec un des hommes de la sécurité et ce dernier filer, se remit à ses œufs.
« On peut savoir ce qu’il vous a raconté, ce gros con ? trancha Yurio alors que Betty les regardait, lui, Yuuri et Linda, inquiète. Parce que ’faut remettre les choses dans l’ordre. Il serait pas venu nous faire chier, je l’aurais pas remis à sa place. »
Yuuri hocha la tête en sauçant tranquillement son jaune d’œufs.
Deux hommes de la sécurité arrivèrent :
« Un problème, messieurs-dames ?
– J’exige la disqualification de ces hommes ! Ils ont monté un traquenard contre mon fils et… »
Linda fut stoppée net par l’éclat de rire de Yuuri. Yurio eut un sourire en le voyant se lever. Le Japonais avait fini de manger, il prit son verre pour le finir aussi et regarda Linda Ross, profondément amusé :
« On a monté un traquenard, non mais genre on a que ça à foutre ! »
Il vida le verre, le reposa, croisa les bras et la toisa un instant avant de reprendre avec calme :
« Nous sommes des danseurs, madame. Des patineurs. Chez nous, les choses se règlent sur la glace. Uniquement sur la glace. À la loyale.
– Ne croyez pas que ça va se passer comme ça !… Je vais prévenir la fédération américaine, et mondiale, et…
– Et nous serons huit à témoigner que nous jouions au billard quand Billy est venu nous insulter, Yuri et moi, la coupa Yuuri, froid cette fois. Plus le personnel du pub, voir les clients si vous voulez. Et si ça suffit pas, Phichit a filmé. Et on dira aussi que c’est suite à ces insultes que Billy a accepté de régler ça au whisky avec Yuri. Et si le coach de votre fils est assez idiot, déjà pour venir nous emmerder, ensuite pour accepter un duel à boire avec Yuri et surtout pour ne pas savoir s’arrêter avant de tomber raide une veille de compet’, il n’a clairement que ce qu’il mérite ce matin à chougner dans son lit ! Sérieux, provoquer Yuri à boire ? D’où vous sortez pour ne pas nous connaître au point de ne pas savoir que la seule chose plus conne au monde que de provoquer Yuri à un jeu à boire, c’est d’y provoquer Viktor ?! »
Le responsable de la sécurité arrivait à son tour avec M. Weissman, graves. Ils furent près d’eux alors que le Japonais finissait :
« Et lâchez-le, votre gosse ! Croyez-moi, il n’a besoin ni de ce crétin ni de vous pour patiner et vous le freinez plus qu’autre chose avec vos conneries ! »
M. Weissman regardait Yuuri avec une surprise inquiète. Voir le Japonais énervé était assez rare pour être noté, mais ses paroles étaient sincères, il le savait.
« Je vous interdis de me dire ce que je dois faire avec mon fils ! cria à nouveau Linda Ross. Ce n’est pas à un pervers qui n’a et n’aura jamais d’enfant de me faire la morale là-dessus ! »
Yuuri rigola et désigna du pouce Yurio, toujours assis à la table derrière lui :
« Vous déconnez ? Ça fait 5 ans que je me traîne celui-là.
– Eh ! protesta Yurio alors que les filles éclataient de rire à la table avec d’autres autour, dont les hommes de la sécurité qui durent tousser pour le camoufler.
– Alors je veux bien vous concéder que j’ai pas changé ses couches, mais j’ai quand même épongé ses premières cuites, et ça, ça compte, surtout en Russie. »
Yurio se leva en grondant avec un grand sourire carnassier :
« T’as intérêt à courir, porcelet… »
Yuuri lui jeta un oeil :
« Bon, vous m’excuserez, ’faut que j’y aille ! »
Il échappa d’un cheveu à la main du Russe et fila en courant. Yurio le poursuivit sans attendre.
M. Weissman les regarda disparaître avec un soupir amusé.
« Ah bon sang, ce qu’ils vont nous manquer… »
Betty se leva avec Asuka et Cindy. La Japonaise s’inclina poliment devant Linda et les quatre hommes alors que Cindy disait :
« Il a pas tort Yuuri, vous savez, John il est super bon, il peut se passer d’un coach une journée.
– Et qui va l’entraîner ce matin ? Et le guider cet après-midi ?
– Un des neuf plus grands patineurs du monde qui est là, ou un des autres coachs présents ? répondit M. Weissman, aimable. Ne craignez rien, Mme Ross. Votre fils n’est pas perdu, je suis sûr que Jenny Wesley, par exemple, peut s’occuper de lui. C’est une femme très compétente. Personne ne souhaite que la performance de votre garçon soit mise à mal, soyez-en sûre. Venez, vous allons voir ça avec lui immédiatement. »
Linda grommela, mais suivit le vieil homme. Les filles suivirent aussi et les hommes de la sécurité embrayèrent, le responsable disant à ses gars de retourner à leur poste, lui allait voir la suite.
Dans le hall de l’hôtel, ils croisèrent Toshiya et Hiroko, qui regardaient la porte vitrée, interloqués. La petite Aki, elle, trottait en sa direction :
« Il court vite ‘Jisan… »
Yuuri courait vite, de fait, car il savait pertinemment que si Yurio était bien moins endurant que lui, il n’en courait pas moins bien plus vite sur les courtes distances. Il fut cependant à la patinoire avant lui et s’apprêtait à courir autour comme la veille pour échapper à la fureur blonde qui le poursuivait lorsque Phichit l’interpella :
« Eh Yuuri, salut ! Viens voir, s’il te plaît ! »
Intrigué, le Japonais rejoignit son ami qui était avec Otabek, Leo, Emil et John. Chris était au bord près d’eux.
« Salut les gars, qu’est-ce qui se passe ?
– Ben on a profité que la mère de Johnny était partie voir ce que foutait son coach pour qu’il nous montre un peu pour l’Ode à la Joie et il le tient vraiment pas mal ! Il paraît que tu as la vidéo de Paris ? On pourra regarder ça ce soir ou demain ?
– Oui, bien sûr. »
Yurio les rejoignit et Yuuri esquiva agilement sa claque avant de se cacher derrière Chris :
« Eh, pouce, on parle sérieux, là ! »
Le Russe fronça un sourcil en posant ses poings sur ses hanches :
« Qu’est-ce qu’il y a ?
– On parlait de dimanche, lui expliqua Otabek. John veut danser l’Ode à la Joie. »
L’adolescent se gratta la tête, tout rose, et se tendit nerveusement lorsque les yeux verts se posèrent sur lui, graves. Il y eut un silence avant que Yurio ne lâche enfin :
« Avec max 2 quadruples et 4 triples, ça passerait. »
Il regarda Yuuri qui hocha la tête :
« J’aurais dit 5 au max en remplaçant le combo quadruple et triple par une triple et double. »
Chris et Emil échangèrent un regard et Leo tapota l’épaule de John :
« Qu’est-ce que tu en dis ?
– Vous pensez vraiment que je peux ? » bredouilla l’adolescent avec un sourire incrédule.
Yurio croisa les bras :
« La question, c’est plus comment te faire répéter ça sans que ta mère et ton coach l’apprennent.
– Le coach, on est tranquille pour aujourd’hui, apparemment…
– Sérieux ? rigola Emil et il ajouta pour Yurio : Tu l’as mis minable à ce point ? »
Le Russe haussa les épaules sans décroiser les bras :
« Neuf verres. Franchement, j’étais déçu. Je m’attendais à mieux. Toi, t’avais tenu 14, non ?
– Ouais, mais c’était à la vodka. »
John les regarda, vaguement inquiet :
« De quoi vous parlez, il y a un problème avec Billy ? »
Il se demanda pourquoi ils rigolaient et Otabek posa une main paternelle sur son épaule pour lui répondre très sérieusement :
« Je vais te donner un excellent conseil. Ne fais pas comme ton coach. Ne t’avise jamais de défier Yuri à un jeu à boire. La seule personne au monde qui le bat à ça, c’est Viktor. C’est très impressionnant à voir, mais c’est surtout pas à faire. »
L’entraînement commença, les garçons répétant avec grand sérieux pour l’après-midi. Pas de corrida ou de courses poursuites ce matin-là, car même si l’ambiance restait excellente, elle était studieuse. L’heure était à la concentration.
Le repas de midi fut un peu plus détendu. Vers 14h, les patineurs montèrent dans le bus qui allait les conduire à la patinoire de Genève, où ils auraient encore une heure pour s’échauffer avant le lancement du championnat lui-même, à 16h.
Il était 15h37 lorsque Yuuri, qui avait rejoint les loges, reçut un coup de fil. C’était le numéro de Nikolai, le grand-père de Yurio. Intrigué, il décrocha sans attendre :
« Oui ?
– Coucou, Yuuchan ! dit une voix aussi inattendue que tendre.
– Vitya ? »
Yuuri sourit doucement :
« Ben qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu m’appelles avec le portable de Nikolai ?
– Juste pour t’embrasser avant la compet’ et te prévenir… J’ai un souci avec le mien, il est tombé sur le carrelage et il ne veut plus démarrer, du tout, c’était pour te prévenir de pas t’inquiéter et de me joindre sur celui-là en attendant. Tu n’as pas essayé de m’appeler ? »
Les deux hommes s’étaient échangé des textos dans la matinée, mais ne s’étaient pas parlé ce jour-là.
« Non, je voulais pas te déranger. Ça va ?
– Oui, tout va bien, ne t’en fais pas. Bon, je t’embête pas plus, mon amour. Je serai devant ma télé tout à l’heure, alors défonce tout, OK ? Je suis avec toi.
– Je sais. Tu es là, je le sais. Ne t’en fais pas. Je vais te ramener cette médaille. Ya tebya lyublyu.
– Ai shiteru. »
Viktor raccrocha d’une main tremblante et poussa un gros soupir en laissant le téléphone tomber près de lui sur le canapé. Bon sang, pourvu qu’il ait réussi. Pourvu que Yuuri n’ait rien remarqué. Resté silencieux, à ses pieds, pendant l’appel, comme il le lui avait demandé, Makkachin se redressa et couina. Viktor caressa la tête poilue et lui dit en russe :
« Ça va, ça va… »
Il prit sa tête dans ses mains avec un nouveau soupir. Pas dupe, le chien grimpa sur le canapé pour venir lui lécher la joue en couinant à nouveau. Viktor sourit tristement :
« Impossible de te la faire, à toi… »
Nikolai arriva et posa doucement un vieux plaid aussi douillet qu’usé sur les épaules du blessé.
« Ça ira ?
– Oui, merci, répondit Viktor en s’emballant mieux dans le tissu chaud alors que son chien se couchait contre sa cuisse.
– Tu ne lui as rien dit ?
– À 1/2h de la compétition ? C’était le meilleur moyen de tout foutre en l’air… Non, il ne faut pas qu’il sache. Je ne veux pas l’inquiéter, ni inquiéter Yuri. Ils n’ont pas besoin de savoir. Il faut qu’ils se donnent à fond.
– Oui, ne t’en fais pas. »
Le vieil homme posa encore deux mugs fumants sur la table basse avant de s’asseoir près du patineur et d’allumer sa télé en disant :
« J’ai eu le vieil ami dont je t’ai parlé. Il n’y a aucun problème, il va nous aider.
– Merci. »
Sur l’écran, une jolie blonde annonça que la retransmission du programme court homme du Championnat des Glaces allait commencer.
« De rien, répondit Nikolai et il lui sourit : Yuri t’a confié à moi. Je n’allais pas laisser le seul père qu’ait eu mon petit-fils tomber comme ça. »
Viktor eut un sourire. Nikolai lui donna sa tasse et lui tapota l’épaule. Si on exceptait sa fatigue visible et les quelques marques qui restaient sur son visage, Viktor n’avait pas si mauvaise mine. L’attelle de sa jambe droite était posée près de lui et il tenait son bras gauche replié par réflexe contre ses côtes blessées. Fragile, oui. Mais le vieil homme était sûr d’avoir face à lui un homme bien plus fort que ne le pensaient ces imbéciles et il était bien décidé à l’aider à le leur prouver.
*********
La patinoire de Genève était pleine à craquer, comme tous les ans. M. Weissman guida gentiment ses invités jusqu’aux gradins qui leur étaient réservés, premiers rangs juste à côté des vestiaires. Ils communiquaient d’ailleurs avec ses derniers et les patineurs les rejoindraient sûrement au fil des prestations.
Interdite de rester avec son fils que chapeautaient Jenny et Chris, Linda Ross était énervée et s’assit en grommelant. Hiroko et Toshiya se retrouvèrent près d’elle, avant les quelques autres proches des patineurs et surtout les patineuses, venues voir le programme court de leurs collègues masculins avec beaucoup de curiosité et d’impatience.
La petite Aki grimpa à la barrière pour mieux voir, même s’il n’y avait encore rien à voir, de fait. Elle était vraiment émerveillée.
Côté patineurs, ça s’échauffait tranquillement. Au bout d’un moment, Betty, qui était restée avec Yurio, rejoignit les parents de Yuuri qui lui avaient gentiment gardé une place.
« Désolée !
– Aucun souci ! lui répondit gentiment Hiroko. Tout va bien ?
– Oui, oui ! Heureusement que j’étais là, j’ai aidé votre fils à se maquiller. Il avait du mal, il m’a expliqué que c’était Viktor qui le préparait, d’habitude.
– Ah oui, c’est vrai. C’est même lui qui le coiffe, d’ailleurs. Ils sont comment ?
– Houlàlà, très concentrés, c’est dingue… C’est la première fois que je suis là pour une compétition, c’est fou, j’ai l’impression de voir d’autres personnes. C’est presque effrayant ! »
La voix de M. Weissman retentit dans la patinoire :
« Mesdames et Messieurs, soyez les bienvenus à cette 18e édition du Championnat des Glaces. Vous allez aujourd’hui assister au programme court des hommes… »
Suivi la liste des participants, puis celle des membres du jury. Puis M. Weissman continua :
« Cette édition est spécialement dédiée à notre très cher ami Viktor Nikiforov, qui nous manque très cruellement cette année, privé de ce qui devait être sa dernière compétition suite à l’agression dont lui et son compagnon ont été victimes. Viktor a participé à tous les Championnats des Glaces depuis 18 ans, depuis le tout premier, alors qu’il avait 15 ans, et comme je sais qu’il nous regarde depuis sa chambre d’hôpital à Saint-Pétersbourg, je vous demande à tous de l’applaudir très fort. »
Suivit une véritable ovation qui dura jusqu’à ce que M. Weissman ne reprenne, souriant :
« Merci infiniment. Nous allons procéder au tirage au sort de l’ordre de passage des patineurs. »
Les dix patineurs attendaient sagement, tous en tenue, leurs vestes de survêt sur le dos. Le tirage au sort se faisait par âge, du plus jeune au plus âgé. John piocha donc en premier dans le sac et en tira le numéro 9. Yurio suivit et pesta en voyant le numéro 1. Il pria jusqu’au bout pour que Yuuri n’ait pas le 10, peine perdue. Yuuri passait en dernier et souriait déjà, satisfait de ce coup de main du destin, alors que son ami russe soupirait :
« Bon sang, je déteste ça ! »
Un peu intrigué et surtout très nerveux, John lui demanda :
« Pourquoi ? Il ne va pas avoir la pression de tous nous avoir vus ?… On échange si tu veux ? Moi j’aurais préféré le 1 ! »
Otabek, qui passait 6e, eut un petit rire en l’entendant. Intrigué aussi, Kenjirô regardait Yuuri qui avait fermé les yeux et respirait calmement, caressant machinalement de sa main gauche l’anneau doré qui brillait à son index droit, passé sur le gant blanc qui la couvrait.
« Il va surtout pouvoir adapter sa danse pour nous battre en toute tranquillité puisqu’il aura tous nos scores, répondit le Kazakh, amusé. Il est redoutable à ce jeu-là. Il peut ajouter un saut ou deux en dernière minute juste pour rattraper les points.
– Alors que moi, je vais devoir me défoncer d’entrée pour assurer la suite, soupira Yurio.
– Et avec ton dernier quadruple à la toute fin.
– Ouais, en plus ! »
Il gronda et cria à Yuuri :
« Tu me paieras ça, porcelet ! »
Yuuri rouvrit les yeux et lui sourit :
« Davai ! »
Le jeune Russe grogna et enleva sa veste de survêt pour découvrir un débardeur noir à col haut. En bas, il portait un pantalon brun, un peu bouffant aux cuisses et mimant des bottes sur ses mollets. Ses cheveux étaient coiffés en deux tresses sur les côtés qui n’en formaient plus qu’une sur sa nuque. Yakov lui tapota l’épaule :
« Allez. Fais honneur à ton pays. »
Il inspira un grand coup avant de s’élancer sur la glace, grave et concentré, alors que la femme qui faisait les annonces et commentait clamait :
« Pour la Russie… Yuri Plisetski !!! »
Chris, qui était près de Yuuri, sourit :
« Toujours aussi sérieux. C’est vraiment le jour et la nuit avec Viktor. »
Yuuri sourit alors que son jeune ami se mettait en position sur la glace, ses salutations au public finies. Il croisa ses mains devant son visage et replia un peu sa jambe gauche derrière lui.
La chanson commença et une voix féminine douce et légère commença à chanter :
Now we come so far from darkness
And we’ll never be apart
So we leave for tomorrow
To start our lives again…
« Il patine aujourd’hui sur Ring your song, chantée par Eri Itô, une chanson de Kajiura Yuki, extraite de la bande originale de Tsubasa Chronicle, série que lui aurait fait découvrir son rival et ami Yuuri Katsuki… »
La musique était lente et belle et Yurio glissait sur les notes aussi aisément que sur la glace, magnifique, lui aussi. Très concentré, il enchaînait ses pirouettes et ses sauts avec la facilité apparente d’un champion de 21 ans qui avait déjà été 2 fois champion du monde et détenait le record actuel.
Find me there my tiny feathers
Of my holy ancient days
You will calm all my sadness
And sing your song
Only for me…
« Quadruple salchow et triple salchow ! … »
Suivit un long passage musical. Yurio ne lâchait rien, très concentré. Yuuri le regardait avec calme, à côté de l’admiration d’Emil, Kenjirô et John. Otabek souriait aussi, comme Phichit et Leo. Seung-Gil était grave et JJ plus nerveux qu’il ne voulait le montrer.
Yuuri hocha la tête quand le garçon plaça sans faute son troisième quadruple alors que la chanson reprenait :
Find me there my tiny feathers
Of my holy ancient days
I will calm all your sadness
And see my song
Only for you
Yurio sauta une ultime fois dans les dernières notes de piano légères qui conclurent le morceau avant de tournoyer pour s’immobiliser dans sa position de départ.
Yuuri sourit et se mit à applaudir avec les autres alors que son jeune ami, à bout de souffle, levait un poing victorieux. Puis il salua le public qui l’acclamait, un peu plus souriant, avant de sortir de la glace.
Emil, Kenjirô et John applaudissaient encore, les yeux pétillants. Il remit les protections de ses lames alors que Yakov lui disait :
« Trop risqué, le dernier saut. Quand est-ce que vous allez arrêter ces paris idiots ?
– De quoi tu te plains, il est passé, non… » grogna le garçon.
Alors que Leo se préparait à y aller, Yurio et son vieux coach allèrent s’asseoir sur le banc officiel pour attendre la note qui ne tarda pas à tomber, déclenchant un tonnerre d’applaudissements dans la patinoire : 109,65.
« Eh ben ça commence fort ! » remarqua Phichit, tout sourire.
Une Betty en larmes passa entre eux pour aller sauter au cou d’un Yurio qui venait de se lever et sursauta, surpris, avant de répondre à l’étreinte avec un sourire aussi doux qu’étonné :
« Ben sladkaya… ? »
Elle le regarda et essuya ses yeux en reniflant :
« Oh honey tu étais tellement beau… »
Il rosit, un peu gêné, et se tendit lorsqu’elle l’embrassa sans sommation. Une caméra passant par là montra ça au public qui rit un peu et applaudit et siffla beaucoup.
Leo s’élança, tout sourire, dans un joli costume vert et or. Il obtint un très honorable 98,32. Les patineurs se succédèrent sous les applaudissements d’un public très enthousiaste. Kenjirô et Emil battirent leur record personnel, Seung-Gil et Phichit firent un joli sans faute, mais Yurio restait en tête. Otabek le talonna de peu avec son 106,84, prenant la seconde place. Puis ce fut le tour de JJ, qui était 8e.
Le Canadien portait un costume assez flashy, dans les bleu-mauve. Il avança pour se retrouver à côté de Yuuri qui applaudissait, un petit sourire aux lèvres, Phichit qui revenait vers eux. John, pas loin, stressait de plus en plus face au niveau de ses adversaires.
« Bien, allons montrer au monde celui que tous attendent… » fanfaronna JJ en enlevant les protections de ses lames.
Yuuri, qui étreignait un Phichit tout content d’avoir réussi à placer trois quadruples, ne releva pas. Alors que le Thaï allait s’asseoir sur le banc avec un Celestino plus que satisfait, JJ en remit une couche :
« Place au king ! »
Yuuri ne dit rien, se contentant d’un soupir amusé. JJ grommela alors que le score de Phichit tombait : 101,95. Yuuri applaudit à nouveau son ami, souriant doucement.
JJ s’élança sur la glace. John regarda Otabek qui approchait de Yuuri avec Yurio et Betty, ces deux derniers se tenant la main :
« Tu n’as rien répliqué ?
– Ça aurait pas été fair-play. » répondit tranquillement le Japonais.
Les trois patineurs eurent un petit rire alors que Betty demandait :
« Qu’est-ce que vous avez tous contre ce gars ?
– Rien, rien, il est juste lourd à tout le temps se la péter… soupira Yuuri.
– En plus, il continue alors qu’il baisse… ajouta Otabek alors que le programme de JJ commençait. Il veut absolument une dernière médaille d’or, c’est presque triste…
– Il l’aura peut-être enfin l’an prochain si Yuri se casse une jambe… Il est pas si mauvais, admit Yuuri avec un sourire en coin. Il a réussi à nous chourer l’argent aux Mondiaux, une fois… L’année où Viktor et moi avions eu la grippe un mois avant.
– Ouais, heureusement que j’étais là pour sauver les meubles et garder l’or ! » rigola Yurio.
Ils regardèrent le Canadien qui manqua de peu de se vautrer à la réception de son 3e quadruple. Yuuri soupira et il s’écarta un peu de ses amis pour refaire encore des mouvements d’échauffements, moulinets de bras, ça le détendait toujours. Avisant le petit John pas loin, il le trouva vraiment nerveux et s’approcha de lui :
« Eh, zen, petit.
– Hein ? »
Le garçon avait sursauté et le regarda, fronçant les sourcils :
« Quoi ?
– Zen. » répéta doucement Yuuri.
Le garçon semblait suspicieux et Yuuri sourit et caressa sa tête :
« Tu n’as rien à perdre. »
John avait sursauté, mais ne le repoussa pas. Yuuri continua :
« Il n’y a pas d’enjeu, ici. On est là parce qu’on est les meilleurs, c’est tout, et si tu es là, c’est que tu en fais partie. Ne t’en fais pas pour rien. Tu as très largement le niveau pour ne pas avoir honte quoi que tu fasses. Prends ça comme un galop d’essai, patine comme tu l’aimes et oublie le reste. Tu auras le temps de stresser pour les vraies compet’. »
John le regarda. On lui avait bourré le moue pour cette première compétition chez les seniors, sur son devoir de faire une entrée fracassante, mais le Japonais n’avait finalement pas tort, c’était une compétition amicale. Il était certes important de faire de son mieux, mais ça, il le faisait toujours. Il demanda :
« C’est vrai que Viktor regarde depuis l’hôpital ? »
Le sourire de Yuuri s’élargit alors que JJ finissait sous des applaudissements enthousiastes.
« Oui. Il est là. Montre-lui ce que tu as dans le ventre. »
JJ revint et Chris et Jenny vinrent faire un dernier point avec l’adolescent. Le Canadien était un peu bougon, il n’avait pas pu placer son quatrième quadruple qui était devenu un triple et avec sa quasi-chute, il n’obtint que 97,35.
John s’élança sur la glace après un dernier regard à Yuuri qui lui sourit en hochant la tête. Le jeune homme avait une tenue bleu clair et blanche très belle. Il joignit ses mains devant son visage, comme en prière, et Yuuri frémit malgré lui lorsqu’il reconnut la musique, une chanson qui lui filait la chair de poule et un texte si étrange, mélange de mots qui n’existaient pas :
Anol shalom
Anol sheh lay konnud de ne um (shaddai)
Flavum
Nom de leesh
Ham de nam um das
La um de
Flavne…
« Oooooh j’adore cette chanson !!! » murmura Betty.
Yuuri croisa les bras pour regarder John placer un triple flip alors que la voix commentait dans les hauts-parleurs :
« Très joli saut très bien placé !… John Ross patine ici sur Now we are free, extrait du film Gladiator… Et un triple boucle !… »
Chris s’était approché du Japonais :
« Il est bon, ce gosse.
– Ouais, c’est bien. Yuri avait peur de s’ennuyer sans nous, ça l’occupera…
– Hmmm… Il sera pas à son niveau tout de suite… »
L’adolescent plaça un quadruple salchow et même s’il dut se rattraper et que sa main effleura la glace, le nombre de tour y était et il ne perdit pas le rythme.
« Il y sera vite. »
La chanson s’acheva et John s’immobilisa, les bras levés, comme implorant. Les applaudissements furent très longs à cesser, alors que le garçon revenait, essoufflé, mais souriant. Sa mère put cette fois le rejoindre et elle l’étreignit avant de le suivre sur le banc avec Jenny.
Chris, pour sa part, tapota l’épaule de Yuuri :
« À toi de jouer, champion. Tu sais ce que tu as à faire !
– Oh oui, t’en fais pas ! » répondit le Japonais avec un sourire.
Il enleva sa veste de survêt, dévoilant un costume blanc moulant, décoré simplement de broderies argentées formant des arabesques sur son bras gauche, sa poitrine et sa jambe droite. Chris pensa que le khôl lui donnait un regard plus profond. Il enleva les protections de ses lames alors que le score de John tombait : 100,58. L’adolescent avait battu son record personnel et se plaçait quatrième… Pour le moment.
Yuuri sourit et ferma les yeux en inspirant un grand coup avant de s’élancer sur la glace.
« Gamba ! » lui cria Yurio.
On y est… Mon dernier programme court…
Il salua, souriant, paisible. Les applaudissements se firent plus forts lorsqu’il embrassa son anneau, songeant à celui qui faisait de même à la même seconde à des milliers de kilomètres de là.
Geste qui provoqua un petit pincement dans le cœur de ses amis et de pas mal de gens dans le public, tant tous étaient habitués, depuis six ans, à les voir, Viktor et lui, lier leurs mains pour embrasser ce que tous considéraient bel et bien comme des alliances avant chaque danse de chaque compétition où qu’ils soient dans le monde.
Regarde-moi, Vitya…
Il cacha son visage de ses mains et une voix féminine commença une chanson lente qui elle aussi, donna la chair de poule à pas mal de monde dans l’assistance :
Os iusti meditabitur sapientiam, [La bouche du Juste murmure la sagesse]
Et lingua eius loquetur indicium… [Et sa langue prononce le jugement]
Yuuri se mit à glisser lentement, tournoyant sans bouger ses mains.
Beatus vir qui suffert tentationem, [Bienheureux celui qui souffre la tentation]
Quoniqm cum probates fuerit accipient coronam vitae. [car après avoir été testé, il recevra la couronne de vie]
Il écarta enfin les bras pour s’élancer pour son premier saut, un quadruple boucle piqué et il enchaîna sans peine un triple dans la foulée.
Kyrie, fons bonitatis. [Seigneur, source de bonté]
Kyrie, ignis divine, eleison. [seigneur, feu divin, prends pitié]
O quam sancta, quam serena, [Ô si sacrée, si sereine]
Quam benigma, quam amoena esse Virgo creditur. [Si bienveillante, si aimable est cette vierge qui croit]
Il glissait sans mal, enchaînait les pas, les sauts et les pirouettes avec une maestria qui laissait le public émerveillé et une sérénité qui forçait l’admiration de tous. Son visage n’exprimait que de la tranquillité. Il avait totalement le contrôle.
O quam sancta, quam serena, [Ô si sacrée, si sereine]
Quam benigma, quam amoena,[Si bienveillante, si aimable]
O castitatis lilium.[Ô lys de pureté]
Comme il en avait l’habitude, il plaça ses principaux sauts en seconde partie de programme sans même se poser de question. Bon sang, mais quel bonheur d’être là… Il sentait presque le regard doux et aimant de son amant malgré tout.
Tu es là, Vitya… Regarde, regarde encore ce que tu as fait de moi…
Kyrie, fons bonitatis. [Seigneur, source de bonté]
Kyrie, ignis divine, eleison. [seigneur, feu divin, prends pitié]
O quam sancta, quam serena, [Ô si sacrée, si sereine]
Quam benigma, quam amoena, [Si bienveillante, si aimable]
O castitatis lilium. [Ô lys de pureté]
Il finit bien sûr sur un quadruple flip alors que le public était en grande partie debout pour l’applaudir. Il tournoya encore un instant avant d’achever, un genou au sol et ses mains croisées sur sa poitrine.
À bout de souffle, il se releva lentement et salua, souriant. Il pensait que ça allait passer et le regard grave de Yurio le conforta dans cette idée. Phichit lui sauta au cou, Chris lui tapota le dos et lui dit :
« Magnifique, Yuuri.
– Merci, Chris.
– Je pense que Viktor est en larmes devant sa télé ! »
Yuuri sourit. Ça, peut-être… Il l’appellerait pour voir, mais pour l’instant, il alla s’asseoir sur le banc avec le Suisse.
« … Une très belle performance sur Lillium, le générique du manga Elfen Lied… Yuuri Katsuki décidément inébranlable malgré les années et l’absence de son compagnon… Il a déclaré vouloir lui ramener la médaille d’or pour son dernier championnat… Ah, nous avons son score… Oh fabuleux ! Il passe en tête avec 112,97 points ! »
Chris se mit à rire en lui tapotant encore le dos :
« Bravo, mon vieux ! »
Yuuri sourit et se releva pour saluer encore le public qui l’ovationnait. Puis il rejoignit les autres. Yurio lui tendit une main levée qu’il frappa et le Russe déclara avec un sourire :
« Je vais te bouffer au Libre, porcelet.
– Je t’attends, Yurochka. Je t’attends et t’as intérêt à assurer. »
Un instant plus tard et alors que le public commençait à partir, Emil cria à la cantonade, les faisant tous éclater de rire :
« Allez, à la douche les mecs ! On sent tous la mouflette impériale, là !
– Ouais, toi c’est même le sconse de Moldavie ! lui jeta Chris et les rires redoublèrent. Allez vite vous laver et on se rentre ! »
Linda Ross faillit retenir son fils, mais Chris la rassura : cette patinoire-là était équipée de douches individuelles, certes communes, mais son fils y aurait son intimité. Elle le laissa donc aller malgré ses réticences.
Dans le couloir, Yuuri dit au garçon :
« Félicitations pour ton nouveau record perso.
– Merci !… Et merci aussi pour ce que tu m’as dit. C’est gentil de m’avoir aidé à y aller…
– De rien. »
Lorsque le garçon sortit de la douche, les autres étaient déjà presque tous partis, ne restaient là à se rhabiller que Leo, Emil et Kenjirô. Les quatre jeunes gens rejoignirent bientôt le hall où se trouvaient les autres, entourés de journalistes. Les parents de Yuuri et la petite Aki, toute sourire bien que fatiguée, dans les bras de son grand-père, étaient à l’écart avec Linda Ross. Cette dernière voulut rejoindre son fils, mais ce dernier et ses camarades furent cernés avant qu’elle n’y parvienne.
John et les autres répondirent aux questions dans la bonne humeur. Un peu plus loin, Yurio et Betty étaient pris par d’autres, tout comme tous l’étaient, à l’exception de Yuuri qui n’avait pas l’air là ?…
Le cherchant du regard, John finit par le voir un peu à l’écart. Il était visiblement au téléphone, marchant un peu plus loin, un doux sourire aux lèvres. Il sembla au garçon qu’il pleurait et il en eut la certitude en le voyant s’essuyer les yeux en riant. Puis, Yuuri hocha la tête et revint vers eux, enfin vers Yurio à qui il passa son téléphone :
« Tiens, il veut te parler.
– Da… »
Yurio prit l’appareil et s’éloigna à son tour. Betty le laissa faire et sourit à Yuuri :
« C’est Viktor ?
– Hn. »
Le Japonais essuya encore ses yeux et une journaliste lui demanda :
« Comment votre compagnon a trouvé votre performance, M. Katsuki ?
– Il a beaucoup apprécié. Il a beaucoup apprécié toutes les performances, cela dit. Il est très heureux des records battus et il est impatient de voir les programmes libres.
– Et vous-même, confiant pour vendredi ?
– Tout à fait ! Je n’ai aucun doute sur ma victoire, mais ça va être un vrai challenge. Les scores sont très serrés, et pas qu’entre Yuri et moi, ce qui laisse beaucoup de possibilités. C’est bien. Ça va maintenir tout le monde à fond et ça, c’est toujours ce qui peut se passer de mieux dans une compétition. »
Yurio revint et lui retendit le téléphone.
« Il veut te recauser. » dit-il en russe.
Yuuri hocha la tête et reprit l’appareil en s’éloignant à nouveau :
« Oui, Vitya ?
– Je vais vous laisser. Je vais manger et dormir, je suis fatigué. Passez une bonne soirée, tous, et encore bravo, mon amour. Et ne t’en fais pas pour vendredi, tout se passera bien. Je serai avec toi.
– Tu y étais déjà tout à l’heure… J’ai bien senti ton regard sur moi.
– Comme si 2200 km pouvaient nous séparer… »
Ils eurent un petit rire tous deux.
« Je t’embrasse, Yuuchan. Dasvidania.
– Oui, Vitya, repose-toi bien. Mattane. »
Il raccrocha et rempocha son téléphone avant de rejoindre les autres. Il répondit encore à quelques questions, se laissa prendre en photo et rejoignit l’équipe complète pour l’habituel selfie collectif de Phichit.
Ceci fait, il put enfin rejoindre ses parents. Son père, portant toujours une Aki ensommeillée, lui tapota le bras alors que sa mère l’étreignait, toute contente :
« Bravo, Yuuchan ! C’était superbe !
– Merci, Maman. Je suis content que vous ayez pu voir ça en vrai. »
Sa mère frotta son dos et lui sourit :
« Je vais te gaver de katsudon à ton retour ! »
Ils rirent et son père dit encore :
« Nous sommes vraiment très fiers de toi.
– Merci, Papa. Merci pour tout, vraiment. »
*********
Mis dans la confidence de longue date du projet des patineurs pour leur gala d’exhibition, Albrecht Weissman se fit un plaisir de venir en aide aux garçons le soir pour que John puisse aller regarder les vidéos de l’Ode à la Joie sans que sa mère le sache. Le dîner fini, le vieil homme invita Linda Ross et les parents de Yuuri à finir la soirée en sa compagnie. John promit à sa mère qu’il allait se coucher, fatigué de sa journée, mais il fila en fait dans la chambre du Japonais où ce dernier l’attendait, branchant son ordi sur la grande télé. Phichit était assis sur le lit du fond avec Otabek, Aki, Yurio et Betty sur l’autre. Il y avait un gros paquet de marshmallows et quelques bières au sol, et aussi des canettes de soda.
Ne se doutant de rien, Linda Ross écoutait avec un intérêt poli M. Weissman raconter comment sa défunte épouse, ancienne patineuse, l’avait poussé à monter ce championnat pour offrir aux patineurs un moment de compétition convivial.
« Mon épouse a fait sa carrière durant la Guerre Froide, elle a beaucoup souffert des tensions nationalistes qui empoisonnaient les compétitions par moment. Même si ça va un peu mieux aujourd’hui, ce n’est pas encore gagné pour tout le monde. Il était très important pour elle que les patineurs puissent se retrouver entre eux loin de ces questions, juste pour le plaisir de s’affronter sans enjeu. »
Hiroko hocha la tête, souriante :
« Quelle merveilleuse idée ! Mais vous n’avez jamais eu de souci ?
– En choisissant les patineurs avec soin pour être sûr d’avoir des gens biens, aucun. Ce n’est pas pour rien que Viktor a été le seul Russe invité pendant un moment… C’est bien parce qu’il ne fait pas de politique. »
Toshiya opina avec un petit rire :
« Alors ça, c’est sûr que lui, c’est comme Yuuri, tant qu’il a ses patins et de la glace, ça pourrait être un pingouin au gouvernement, il ne le remarquerait même pas !
– Je ne suis effectivement pas sûr que Viktor ait beaucoup plus d’intérêt pour le Kremlin…
– Ils manquent de patriotisme à ce point ? » grogna Linda Ross.
Les parents de Yuuri la regardèrent sans perdre leur sourire alors qu’Albrecht déniait du chef :
« Rien à voir. J’avoue ne pas trop connaître votre fils sur ces questions, dit-il aux Katsuki, mais Viktor est très attaché à son pays. Il a souvent eu des propositions pour aller patiner ailleurs, surtout dans sa jeunesse. Il n’y faisait même pas attention. Pour lui, patiner pour un autre pays que le sien est juste inimaginable. Il peut vivre et s’entraîner ailleurs, mais il n’aurait jamais concouru sous un autre drapeau.
– Yuuri aussi ne voudrait pas patiner pour un autre pays, dit sa mère. Il a eu des soucis avec la fédération japonaise lorsqu’il s’est installé à Saint-Pétersbourg… Apparemment, ils avaient peur, justement, qu’il décide de prendre la nationalité russe et qu’il se mette à patiner pour eux… Ils sont venus le voir pour lui en parler la première fois qu’ils sont revenus passer quelques jours au onsen… Eh bien il en faut pour mettre mon fils en colère, mais ils y sont arrivés. Je crois que c’était la première fois que Viktor le voyait comme ça, il était très surpris.
– Heureusement, ça ne dure pas… soupira Toshiya.
– Votre Yuuri est plutôt de bon caractère, c’est un garçon sympathique, dit Albrecht. J’avoue, j’étais très curieux lorsque Viktor m’a demandé s’il pouvait venir avec lui, il y a cinq ans. Viktor en couple et officiellement, ça, ça a été une vraie surprise ! »
Dans sa chambre, Yuuri éternua et sa nièce sourit :
« Quelqu’un parle de toi, Yujisan ! »
Il avait enfin réussi à brancher l’ordinateur et la télé et il lança la vidéo.
« C’est la retransmission qu’on avait récupérée sur Internet.
– C’est pas cette finale de Coupe d’Europe qu’il y avait l’autre crétin d’Allemand, là ? demanda Otabek.
– Oh, si ! se souvint Yurio. Oh le boulet, celui-là ! Tu te souviens ? demanda-t-il à Yuuri qui vint s’asseoir près de lui, prenant sa nièce sur ses genoux.
– Friedrich Von Lerstein.
– C’est ça ! se souvint Yurio en claquant des doigts.
– Tu te souviens de son nom ? s’étonna Otabek.
– Je me souviens surtout de la façon dont Viktor et Yuri l’ont laminé, répondit le Japonais.
– Son nom me dit quelque chose… réfléchit Phichit. Ah, on verra après, ça commence ! »
Ils se mirent à regarder la vidéo en silence, Yuuri expliquant juste à sa nièce ce que c’était.
Sur l’écran, on voyait Viktor en train de se préparer au bord de la glace, très calme, souriant, écoutant les conseils de Yakov en hochant la tête. Yuuri était près de lui aussi, bras croisés. Il avait encore ses lunettes. Il souriait doucement. Il avait pris les protège-lames de son amant et ce dernier l’avait embrassé rapidement. Le public avait sifflé, amusé, et les deux hommes ri avant que Yuuri ne prenne la main de Viktor et n’embrasse son anneau. La voix du commentateur expliquait :
« … Viktor Nikiforov qui fait ici son grand retour, très attendu, après son année de pause. Notez bien qu’aucune information n’a filtré sur son programme, on sait juste qu’il s’agit de l’Ode à la Joie… »
Viktor s’était élancé sur la glace, radieux, sous les applaudissements d’un public visiblement très content de le revoir.
« … Il a fini ses entraînements seul au Japon ces dernières semaines, au calme, a-t-il dit, puisqu’il y a accompagné son compagnon Yuuri Katsuki qui participait aux Quatre Continents, qui se déroulait cette année à Kyoto et qu’il a d’ailleurs remporté avec brio… »
La musique avait commencé et Viktor avait attaqué quasi d’entrée avec une combo quadruple-triple placée avec autant d’aplomb que de plaisir, si on en croyait le sourire doux qui ne quittait pas ses lèvres.
Yuuri sourit en le revoyant. Viktor avait été vraiment heureux de reprendre la compétition. Il en avait sué pour reprendre en si peu de temps son niveau d’avant sa pause, mais il y était arrivé et il allait le prouver avec talent.
Le second commentateur avait pris la parole :
« Quadruple salchow et triple salchow… Très belle exécution… Il enchaîne sur une pirouette assise…
– Eh bien, dire que certains l’annonçaient fini, quelle leçon il est en train de donner… Ah… Quadruple flip !!!…
– Sa signature, devenue celle de son compagnon.
– Tout à fait, tout le monde l’attendait… »
La vidéo avait montré un instant les deux Yuri, l’encore petit Russe grognon à côté du Japonais qui souriait toujours, toujours bras croisés, ne quittant pas des yeux Viktor qui rayonnait plus que jamais. Yuuri n’était pas le seul à être émerveillé, mais lui avait vu son amant lutter d’arrache-pied pour mettre en place ce programme, s’imposant une difficulté qui avait fait s’inquiéter de nombreuses personnes. Et il était là aujourd’hui, superbe, roi en train de reprendre son trône sans laisser la moindre chance à ses prétendants.
Viktor avait fini par une longue pirouette qui s’achevait presque dans la même position que le Yuri On Ice de Yuuri, une main sur le cœur et l’autre tendue vers lui, paume levée, alors que le public était déjà debout pour l’applaudir.
Yurio avait tout donné. Viktor l’avait battu au final de 0,09 points et signé son retour d’une médaille d’or qui annonçait bien qu’il n’était pas revenu pour la déco.
Yuuri mit la vidéo en pause. Aki applaudissait, toute contente. John sursauta lorsque Phichit lui dit :
« Alors, qu’est-ce que tu en penses ?
– Bon sang, soupira le garçon, ému. Ça me retourne encore de le revoir…
– Ça reste une de ses danses les plus touchantes, opina Yuuri. Le contexte y était aussi…
– Ouais, clair qu’il avait fait fort… Ça a bien fermé leur gueule à pas mal de cons… soupira Yurio.
– Dont ce crétin d’Allemand, sourit Otabek.
– Ah, putain, celui-là, mais je l’aurais bouffé ! »
Phichit eut un petit rire :
« Ça me dit très vaguement quelque chose, vous pouvez me rappeler ?
– J’avais dû t’en parler et on l’a croisé aux Mondiaux derrière… lui répondit Yuuri. Un petit minet de 21 ans qui se la pétait, genre JJ à côté, c’est l’humilité incarnée… C’était son premier championnat d’Europe et il se voyait déjà au sommet du podium, mais bon, visiblement, il n’avait jamais eu de vrais adversaires, en fait… Il était bon, hein, mais clairement pas du niveau de Yuri et Viktor… Et aussi con que pédant, alors il nous a fait chier dans les vestiaires… Mais de la provoc’ de bas étage en plus, à coup de vieille tarlouze qu’a plus rien à faire là, que qu’est-ce qu’il s’imagine à 28 ans, il est temps de dégager, de toute façon il va tomber raide en deux sauts… Même moi, il me cherchait…
– “Retourne le sucer à Moscou !”… se souvint Yurio.
– Classe ! nota Phichit.
– Mais ta réponse m’avait fait exploser de rire ! se souvint Otabek et Yurio rigola en opinant.
– T’avais dit quoi ? demanda John, amusé.
– “On habite à Saint-Pétersbourg.”… Viktor le calculait même pas… Je crois qu’il lui a jeté un oeil, mais il s’échauffait et répétait sa danse tranquille… Toi, par contre, t’as failli le bouffer, effectivement, ajouta-t-il pour Yurio.
– Mais grave ! C’est qu’il me prenait de haut, ce con ! “Retourne en maternelle !”, non mais j’avais déjà 3 médailles en international senior !… Heureusement qu’il est passé avant d’avoir le temps d’en ressortir une… C’était des coups à ce que je sois disqualifié pour coups et blessures…
– Et pour finir, acheva Otabek, il nous fait sa danse, il revient tout fier de ses trois quadruples, Viktor y va… Il revient nous emmerder à expliquer que ce vieux pédé va se planter et Yuuri qui lui jette sans un regard : “Tu as déjà perdu.”. »
Yurio rit en s’en souvenant :
« Oh oui, bon sang, celle-là, elle était magnifique… Très calme, très polie, on a explosé de rire et là-dessus, Viktor a réglé la question tout seul avec ses quatre quadruples… »
Puis les patineurs se mirent un peu à parler de la choré en elle-même pour mettre au point avec John ce qu’il pouvait faire. Mais restait la question de comment il pouvait s’entraîner sans que ses deux chaperons ne s’en mêlent. Si occuper Linda pouvait être gérable avec la complicité de M. Weissman, se débarrasser de Billy allait demander une autre stratégie.
Ils durent en rester là, car Yuuri reçut un message de sa mère, complice aussi, l’informant que Linda n’allait pas tarder à rentrer dans sa chambre. Sûr qu’elle allait venir vérifier qu’il dormait bien dans la sienne, John y fila rapidement, remerciant les autres.
Un peu plus tard, on toqua à la porte. Hiroko venait chercher Aki pour la coucher. Elle salua tout le monde. La petite bande s’était mise devant les autres vidéos que Yuuri avait, beaucoup de danses de lui et ses amis.
Ils ne veillèrent pas trop, tout de même fatigués par leurs premières épreuves. Yuuri se regarda encore l’Ode à la Joie, couché dans son lit, son ordi sur les genoux, et caressa l’écran, le visage radieux de son amant en gros plan à l’annonce de sa note, du bout des doigts, avec un sourire.
Mon Viktor… J’aimerais tellement que tu sois là… Tu dois te sentir si seul…
Il était bien, ici, avec ses amis. Mais il ne pouvait pas s’empêcher d’avoir hâte de rentrer à Saint-Pétersbourg, de retrouver Viktor et de se blottir dans ses bras.
*********
Le lendemain matin, comme la veille, ils furent un certain nombre à se retrouver dans la salle d’entraînement très tôt pour s’échauffer. Yurio en fut, cette fois, et il faisait un concours de pompes avec Otabek, Phichit et Leo lorsque Yuuri se dit qu’il était temps qu’il aille courir. Asuka et Cindy furent encore partantes pour l’accompagner et cette fois-ci, Kenjirô décida de les accompagner. Les trois Japonais et l’Américaine partirent alors tranquillement alors que le jour se levait à peine, dans les rues encore fraîches d’Edelweiss.
Les trois jeunes gens avaient un peu de mal à suivre son rythme et lui revenait donc régulièrement à leur hauteur ou les attendait en faisant d’autres exercices, comme sautiller en balançant ses bras sur un banc ou un trottoir.
Le soleil commençait à chauffer l’air quand ils revinrent au centre. Yuuri était en tête, serein, pressé de se prendre une bonne douche et de manger un bout. Il arriva dans la cour et sursauta en entendant un aboiement familier.
Il s’arrêta net, pétrifié, en voyant arriver vers lui un grand caniche brun-gris qui aboyait joyeusement. Les yeux du Japonais s’agrandirent exagérément :
« Makka ?… »
Il s’accroupit en tremblant et l’animal le rejoignit, remuant la queue, tout content, et se dressa pour lui lécher la joue. Lui le regarda, vraiment stupéfait, et le toucha en tremblant, comme pour s’assurer qu’il était bien réel :
« … Makkachin ?… Mais… Qu’est-ce que… »
Yuuri regarda l’hôtel, au fond de la cour.
« … tu fais là… ? »
Il se releva.
« Masaka… »
Il repartit en courant de toutes ses forces vers l’hôtel, alors que les trois autres arrivaient derrière lui. Ils ralentirent, surpris, en voyant Yuuri filer si vite et Kenjirô sursauta à son tour en reconnaissant le chien qui partait à sa suite.
« Ben ? Makka ?
– Tu le connais ? demanda Cindy, surprise.
– C’est le chien de Viktor… »
Yuuri avait très probablement battu le record du 100 mètres, c’est en tout cas ce que se demanda l’employée de l’hôtel qui le vit arriver et lui ouvrit la porte en verre. Hagards, les yeux bruns firent le tour du hall pour s’arrêter sur celui qui se levait lentement du fauteuil où il était assis, dans le salon d’accueil, s’appuyant sur une béquille, car sa jambe droite était gainée dans une attelle de la hanche à la cheville.
Yuuri ne vit ni ses parents, ni sa nièce, ni Nikolai, ni M. Weissman. Il ne vit que Viktor qui avançait lentement vers lui, souriant doucement :
« Eh, Yuuchan… Ohayô…
– …
– Yuuchan ?… »
Yuuri le rejoignit et passa ses bras autour de la taille de Viktor pour se serrer contre lui, prenant soin de se serrer contre son flanc droit, les larmes aux yeux :
« … Mais qu’est-ce que tu fais là… »
Le bras gauche du grand Russe passa autour de lui :
« Tu me manquais trop…
– Mais un voyage pareil dans ton état, t’es cinglé… »
Le bras le serra plus fort et Viktor enfouit son visage dans ses cheveux sans répondre. Yuuri eut la sensation un peu étrange d’une étreinte étrangement forte, un peu désespérée. Il n’y avait pourtant pas si longtemps qu’ils s’étaient séparés ?… Il s’écarta un peu pour regarder son amant, lui souriant doucement :
« Bienvenue, Vitya.
– Spasibo.
– Tu dois être épuisé…
– Da… »
Viktor le regarda un instant avant de le serrer à nouveau, très fort, de son bras gauche. À nouveau, Yuuri trouva cette étreinte inhabituelle, curieusement énergique. Il lui sembla que Viktor tremblait un peu. Il devait être à bout de forces.
Yuuri l’embrassa doucement :
« Tu as faim ?
– Da. »
Yuuri sourit :
« Un bon petit dej’ et un gros dodo, ça te va ?
– Ça serait parfait… Justement, c’est ce qu’Albrecht me disait… »
Makkachin les rejoignit, langue pendante et queue remuante, et se dressa contre Yuuri qui sourit et le caressa :
« Toi aussi, dodo, je sens. »
Ils se séparèrent, sauf la main droite de Yuuri qui le lâcha pas la gauche de Viktor. Les autres osèrent enfin les rejoindre. Yuuri salua Nikolai qui lui sourit et le félicita pour son score de la veille, puis s’excusa, il voulait aller saluer son petit-fils. Arrivés entre temps sans trop oser approcher, Kenjirô, Asuka et Cindy regardaient la scène, incrédules. Phichit, qui sortait du restaurant, car il venait de faire sa pause de 9h, de l’autre côté du hall, sursauta et ne put bien sûr pas se retenir de faire une photo des deux amants avant d’aller saluer Viktor.
Si bien qu’à quelques centaines de mètres de là, à la patinoire, le portable de Chris sonna et il fronça un sourcil avant de déclarer, après avoir regardé le message du Thaï :
« Bon les mecs, c’est officiel, Yuuri va vous exploser demain.
– Hein ? »
Les garçons étaient toujours dans la salle d’échauffement, laissant la glace aux filles en priorité ce matin-là, puisqu’elles avaient leur épreuve l’après-midi. Yurio, qui s’étirait, en grand-écart sur le sol, le regarda :
« Quoi, il s’est passé un truc ?
– Ouais.
– Un truc qui le booste ?
– Ouais.
– Plus que la présence de ses parents ?
– Ouais.
– Attends… intervint Otabek en posant son altère et se redressant sur le banc. T’es quand même pas en train de sous-entendre… ?
– Ben…
– Viktor est là ?! » tilta Yurio.
Il bondit sur ses jambes et Chris lui laissa sans résistance son téléphone :
« Der’mo !
– Jolie photo, nota Emil qui regardait par-dessus son épaule.
– Qu’est-ce que c’est que cette connerie… » murmura encore le jeune Russe.
Il avait eu son grand-père au téléphone la veille au soir… Et ce dernier ne lui avait rien dit alors qu’il était forcément au courant ?… Le garçon fronça les sourcils. Il avait un très mauvais pressentiment. Viktor n’avait pas pu quitter Saint-Pétersbourg si vite, dans son état, juste pour le fun… Il rendit son portable à Chris.
« J’y vais, mon grand-père doit être là… »
Il fila sans attendre et les autres décidèrent de laisser couler, ne voulant pas déranger les retrouvailles.
Yurio prit sa veste et sortit de la patinoire. Apercevant son grand-père qui approchait, il courut à sa rencontre, à la fois heureux et inquiet de le voir. Ils s’étreignirent :
« Grand-Père ! Ça va ?
– Bonjour, Yurochka. Oui, ça va, ne t’en fais pas. Tu m’as senti venir, ou quoi ?
– Phichit nous a prévenus que Viktor était là et je me suis dit que tu devais y être aussi… »
Gardant ses mains sur les épaules de Nikolai, son petit-fils lui demanda, grave :
« Viktor va bien ?
– Aussi bien que possible, mais il faut que je te parle.
– Qu’est-ce qui s’est passé ?
– Je vais tout te raconter… Il y a un endroit où nous pouvons être seuls ? »
Pendant ce temps, Viktor, qui ne lâchait pas la main de Yuuri, était allé se poser avec ce dernier, ses parents, sa nièce et M. Weissman à une table du restaurant. Le grand Russe avait les traits tirés et était pâle comme un œuf, vraiment épuisé par son voyage, mais il souriait, visiblement très heureux d’être là.
Yuuri était de plus en plus persuadé que quelque chose n’allait pas. Viktor donnait magnifiquement le change et seul son amant, dans cette assistance, le connaissait assez pour l’avoir remarqué, mais il y avait clairement un souci. Certes, le Russe était très tactile et cherchait son contact plus que fréquemment. Ce n’était pas nouveau et c’était encore plus vrai lorsqu’ils se retrouvaient après avoir été séparés quelque temps. Mais de là à ne lâcher sa main que lorsqu’il tenait sa fourchette pour la reprendre aussitôt et à lui jeter des coups d’oeil si fréquents…? Comme s’il avait peur qu’il ne s’évapore ?… Yuuri ne fit mine de rien, acceptant pour le moment l’explication que donna Viktor, qu’il avait craqué suite au programme court et n’avait pas pu se retenir de venir pour assister au Libre, au dernier Libre de son compagnon, en compagnie de ses amis.
Le Japonais mangea ses œufs et ses céréales tranquillement, constatant au moins avec plaisir que Viktor ne manquait pas d’appétit. Puis, comme ce dernier s’endormait presque sur ses derniers toasts, Hiroko proposa qu’il aille vite se reposer et Albrecht Weissman acquiesça. Il proposa encore que le Russe voit les médecins engagés pour le championnat dès qu’il aurait un peu dormi, sauf si bien sûr, il en ressentait le besoin avant. Viktor le remercia et se leva lentement, s’appuyant sur sa béquille. Yuuri l’imita et ils saluèrent tout le monde avant de partir. Yuuri serra son champion personnel de près jusqu’à l’ascenseur. Makkachin les avait bien sûr suivis, tranquille, et s’assit le temps qu’ils arrivent à leur étage. Viktor ne lâchait toujours pas la main de Yuuri et suivit ce dernier jusqu’à leur chambre alors que le Japonais faisait attention à ne pas aller trop vite, sentant son amant vacillant.
Les bagages du Russe étaient là, un peu trop encombrants pour quelques jours, se dit Yuuri, et Viktor s’assit lentement sur le premier lit, celui dont Yuuri s’était servi, avec un gros soupir. Le Russe enleva avec soin l’attelle qui entourait sa jambe droite. Makkachin grimpa sur le même lit pour se coucher en bâillant et Yuuri sourit, se disant qu’ils s’expliqueraient plus tard.
« Tu veux de l’aide pour te déshabiller ?
– Oui, mais j’aimerais surtout prendre une bonne douche, en fait… J’ai l’impression de puer, là, j’ai pas envie de me coucher comme ça…
– D’accord… Il faut que j’en prenne une aussi, je vais t’aider… »
Yuuri ne put passer à l’acte, car on frappa énergiquement à la porte, ce qui les fit sursauter tous deux. Reconnaissant cependant ces coups plutôt typiques, Yuuri alla ouvrir et se fit presque violemment pousser par un Yurio qui entra sans autre forme de procès pour se planter devant Viktor :
« C’est quoi cette merde ?! »
Viktor le regarda sans comprendre :
« Salut, Yuri… Ça va ?…
– Moi ça va, oui, merci crétin !… »
Yuuri referma la porte après s’être assuré que le couloir était vide et alors que le jeune Russe continuait :
« Et t’as pas intérêt à m’expliquer qu’il n’y a rien parce que Grand Père m’a tout raconté, enfin tout ce que tu as daigné lui dire, et moi je m’en contenterai pas ! » finit le garçon, serrant les poings.
Yuuri les regarda et repassa devant Yurio en lui faisant signe de se calmer un peu avant d’aller s’asseoir doucement à la gauche d’un Viktor au regard fuyant, tremblant et visiblement paniqué. Yuuri passa doucement son bras autour de ses épaules et caressa sa joue avant de prendre sa main, pour lui dire doucement, en russe également :
« Ça va, tout va bien. Ne crains rien, tout va bien…
– Non, mais sérieusement, finit par balbutier Viktor sans oser les regarder ni l’un ni l’autre, y a rien de grave, ’faut pas vous en faire… »
Yurio, qui le toisait en tremblant aussi, mais lui de colère, s’écria encore :
« Mais tu vas arrêter de te foutre de nous ?!… Grand Père m’a dit qu’il avait vu Andrei sortir de ta chambre hier quand il est arrivé à l’hôpital et qu’il t’avait trouvé en larmes, en train de sangloter sur ton lit !…
– Andrei …? » releva Yuuri.
Il fronça les sourcils en regardant leur jeune ami alors que Viktor se prenait la tête dans ses mains, appuyant ses coudes sur ses cuisses, tremblant toujours.
« Andrei Biolevine ?
– Ouais, qu’est-ce qu’il t’a dit, ce vieux con ?
– Ne l’insulte pas ! » cria Viktor.
Il s’était redressé dans un sursaut et il voulut affronter Yurio du regard, mais ne tint pas. Il jura entre ses dents en détournant les yeux, visiblement au bord des larmes.
Yuuri resserra son bras autour de ses épaules et resserra aussi sa main sur celles toujours tremblantes de son amant. Andrei Biolevine, un des plus hauts responsables de la fédération russe, un de ceux qui le haïssaient le plus ouvertement, aussi, et qui n’avait de cesse de chercher à l’évincer depuis six ans, mettant Viktor dans une position infernale, car ce dernier lui devait tout. Andrei était celui qui l’avait repéré dans la petite patinoire de Saint-Pétersbourg où il allait dès qu’il avait les quelques roubles nécessaires à l’entrée, petit orphelin qui n’avait que ça pour échapper à sa vie. Andrei avait été son mentor, presqu’un père, même si ce dernier titre collait encore mieux à Yakov, et Viktor lui restait très loyalement attaché.
Jusqu’ici, un équilibre, précaire certes, mais réel, s’était maintenu entre Viktor, Yuuri et les fédérations russe et japonaise. Malgré pas mal de pressions et de tentatives plus ou moins discrètes pour faire rompre le couple, ce dernier bénéficiait de suffisamment de soutiens au sein de ces mêmes fédérations pour avoir évité de trop graves crises. Yakov, mais il n’était pas le seul, avait été un tampon plus qu’efficace et Viktor lui-même n’avait pas su tout ce qui avait pu se tramer, car beaucoup de gens étaient conscients que s’ils voulaient que leur champion continue de leur ramener des médailles, la présence du Japonais à ses côtés était devenu une nécessité. La même chose se passait pour Yuuri. Une fois le spectre d’un changement de nationalité et de fédération envolé, pas mal de responsables avaient compris que laisser le Japonais tranquille à Saint-Pétersbourg était encore le meilleur moyen pour que ce dernier continue de squatter les podiums. Ceci bien sûr sans compter tous ceux que leur histoire ne gênait tout simplement pas.
Malgré les freins nationalistes et homophobes, Viktor et Yuuri jouissaient donc, de part leur statut de champions, d’une certaine protection et d’une tranquillité relative. Mais ils avaient annoncé leur retraite…
« Vitya ? »
Yuuri caressa la tête de son compagnon, lui souriant doucement. Yurio grommelait, mais attendait.
« Tout va bien, Vitya. Quoi qu’il soit arrivé, tu ne risques rien, ici. Qu’est-ce qui s’est passé ? Andrei est venu te voir à l’hôpital ? »
Viktor soupira, tête basse, et hocha lentement la tête.
« Qu’est-ce qu’il voulait ?
– … »
Yuuri retint d’un geste Yurio qui allait se remettre à râler. Le jeune homme grogna encore avant d’aller s’appuyer sur le mur et de croiser les bras alors que Viktor reprenait péniblement :
« Il voulait que je retire notre plainte…
– Notre plainte ?… Pour l’agression ? »
Viktor hocha à nouveau la tête avant de continuer avec la même voix blessée :
« Il a dit que la fédération russe avait assez souffert de mes délires, que je leur avais assez fait honte à afficher mes dérèglements et qu’il était temps que ça s’arrête… Que même si je n’avais eu que ce que je méritais à… »
Il dut faire une pause, à nouveau au bord des larmes.
« … Même si je n’avais eu que ce que je méritais à exhiber ma perversion ainsi depuis six ans, il ne te pardonnerait jamais, parce que sans toi, rien ne serait arrivé, que jamais je n’aurais été blessé et qu’il ne comprenait même pas que j’ai pu me mettre dans cet état pour te protéger… »
Il essuya ses yeux alors que Yuuri soupirait tristement en se serrant encore un peu plus contre lui. Yurio serrait les dents et il cracha :
« Et cette histoire d’hosto ? »
Viktor frémit sans répondre. Yurio gronda :
« Viktor Dimitrievitch Nikiforov.
– …
– Réponds.
– Yuri Illitch Plisetski… finit par répondre Viktor en le regardant avec un sourire las, fatigué.
– Ouais ?
– Tu diras à ton grand-père qu’à son âge, il devrait savoir quand il doit rester discret.
– Réponds, répéta Yurio avec un sourire en coin, cette fois. Il voulait vraiment te faire interner ? »
Yuuri sursauta :
« Nani ?! »
Viktor eut un sourire triste. Il haussa les épaules et finit par avouer :
« Il m’a dit que je devais me faire soigner une fois pour toutes et qu’il allait voir avec les médecins pour me transférer dans une clinique à Moscou en urgence, avant que tu reviennes, précisa-t-il pour Yuuri qui le regarda, stupéfait, pour que ta mauvaise influence cesse de me perdre et que je revienne à la raison… Que de toute façon, il serait facile de s’arranger pour que tu ne puisses jamais revenir en Russie… »
Il y eut un silence avant qu’il ne finisse :
« … J’ai pas trop suivi la suite, je lui disais que je ne voulais pas, que je n’étais pas malade, qu’il allait me tuer s’il me séparait de toi… Mais il n’écoutait pas, il disait que je ne savais pas ce que je disais, que j’étais fou, qu’il ne te laisserait pas me voler à la Russie… Il est parti et Nikolai est arrivé… »
Viktor regarda Yurio qui le toisait, désormais plus grave que furieux.
« Il a commencé à me consoler, il me demandait ce qu’il y avait, mais j’étais incapable de parler… Et quand les médecins sont arrivés avec les formulaires pour le transfert, il leur a pris, il a regardé, il les a déchirés et il leur a ordonnés de m’apporter immédiatement une décharge, qu’il m’emmenait et que ça n’avait pas intérêt à traîner… Je ne savais pas que ton grand-père était aussi flippant quand il était en colère… Enfin bref, il m’a emmené chez lui et comme Andrei a très vite été au courant et a commencé à m’appeler pour savoir où j’étais, j’ai éteint mon téléphone…
– Ah, et c’est pour ça que tu m’as dit qu’il était cassé et qu’on devait appeler sur celui de Nikolai… » se souvint Yuuri.
Viktor opina :
« Désolé… Ça s’est passé juste avant la compétition, je ne voulais pas que vous sachiez…
– C’est pas grave, lui dit Yurio.
– Non, c’est pas grave… confirma Yuuri. La seule chose qui compte, c’est que tu sois ici. Il faut que tu te reposes, que tu te remettes de tout ça et on verra ce qu’on en fait quand tu iras mieux.
– J’ai aucune idée de ce que je vais pouvoir dire à Andrei… »
Yuuri eut un petit gloussement avant de dire :
« Je crois, moi, que ta réponse est assez claire !
– Hein ? Quelle réponse ? »
Yurio sourit aussi et vint s’asseoir de l’autre côté de Viktor, prenant soin de ne pas le faire sur la queue de Makkachin. Il passa lui aussi son bras autour de son aîné en répondant :
« Ce que ton cochon domestique veut dire, imbécile, c’est que tu as déjà répondu à Andrei. Il voulait t’interner à Moscou et te couper de Yuuri et tu te casses avant qu’il ait le temps de dire ouf pour le rejoindre ici. Si ça c’est pas un beau “va te faire foutre Andrei, je fais ce que je veux et c’est avec mon mec”, je sais pas ce qu’il te faut. »
Il y eut un silence pendant lequel les yeux de Viktor s’arrondirent alors qu’il réalisait ce que venaient de dire son amant et son ami.
« Der’mo… »
Ils se mirent à rire tous les trois. Puis Yurio se releva lentement :
« Bon allez, j’y retourne. Tu nous rejoins, Yuuri ? »
Yuuri se releva avec un hochement de tête :
« Je le lave, je le borde et j’arrive.
– OK. »
Yuuri raccompagna Yurio à la porte et le garçon lui murmura :
« On prévient Weissman ?
– Bonne question, je sais pas du tout ce que Viktor a pu lui dire, donc silence pour le moment, on verra.
– OK. »
Yurio lui jeta un oeil, puis à Viktor qui caressait Makkachin.
« Prends bien soin de lui. »
Yuuri hocha la tête et le laissa filer avant de refermer soigneusement la porte et de retourner vers son compagnon qui lui sourit et lui tendit la main :
« On disait quoi avant qu’il arrive ?
– Douche et dodo, répondit Yuuri en la prenant.
– Ah oui… »
Viktor se leva lentement. Yuuri le tira dans ses bras et l’étreignit doucement. Viktor passa ses bras autour de ses épaules et poussa un gros soupir avant de murmurer :
« Me séparer de toi, sérieusement… J’aurais moins de mal à cesser de respirer… »
Yuuri sourit :
« Et moi donc… »
Il prit le visage du Russe entre ses mains et l’embrassa :
« Je suis heureux que tu sois là. Tu m’as beaucoup manqué. »
Viktor sourit et l’embrassa aussi.
Ils se douchèrent, puis Viktor se coucha, nu comme toujours, alors que Yuuri se rhabillait. Le Japonais, cependant, ne repartit pas immédiatement. Il colla le second lit au premier et se coucha à la droite de Viktor. Ce dernier se tourna pour se blottir contre lui, posant sa tête dans son cou. Allongé ainsi sur son flanc droit, il pourrait se reposer sans peine. Yuuri passa son bras autour des épaules du Russe qui soupira encore et demanda :
« Tu veux bien rester jusqu’à ce que je dorme ?
– T’avais pas besoin de demander. »
Viktor sourit.
« Aï shiteru… »
Yuuri caressa sa tête :
« Dors. Ne t’en fais pas, tout va bien. »
Sentant son portable vibrer dans sa poche, Yuuri le sortit de sa main droite et regarda. Texto de Phichit : apparemment, la Russie, voire le monde entier, se demandait où était Viktor, si on en croyait les réseaux sociaux. Il eut un sourire et le dit à l’intéressé qui sourit aussi, dormant déjà à moitié.
« Je leur dirais bien, mais c’est con, j’ai pas rallumé mon portable…
– Je m’en charge, si tu veux.
– OK… »
Le Japonais tendit le bras pour faire un magnifique selfie de lui et d’un Viktor endormi, tout sourire, contre son flanc, et il balança ça sur l’instagram de Viktor avec un simple : Il est là, juste à sa place. Chut, vous allez me le réveiller.
Allez, prends ça dans les dents, Andrei.
Yuuri attendit d’être sûr que Viktor dormait suffisamment profondément pour s’écarter et se redresser. Il installa avec soin l’oreiller sous la tête de son amant et sourit. Il écarta sa mèche dans une caresse tendre et soupira. Puis, il remonta la couette pour que Viktor soit bien au chaud et se leva doucement.
Makkachin leva la tête et couina. Yuuri lui sourit et caressa aussi la tête poilue.
« Sois sage, Makka. Tu restes là ? »
Un long bâillement lui répondit. Il eut un petit rire.
« Repose-toi bien, toi aussi. Je reviens tout à l’heure. »
Le vieux chien se leva le temps d’aller se rallonger plus près de Viktor, à la place encore chaude de Yuuri. Ce dernier sourit, ramassa ses affaires et sortit sans bruit.
Une fois seul dans le couloir, il s’arrêta un instant et se frotta le visage.
K’so.
S’il avait toujours compris et respecté l’attachement et la loyauté de Viktor envers Andrei, lui-même ne l’avait jamais particulièrement aimé. Il respectait le mentor de son compagnon, mais l’homme lui inspirait jusque-là une indifférence polie.
Jusque-là.
Il avait accepté son mépris et son dégoût. Il avait accepté qu’Andrei fasse systématiquement semblant de pas le voir ni l’entendre pendant des semaines, jusqu’à ce qu’il finisse par lui cracher un vague bonjour suite, il avait supposé, à des pressions d’autres membres de la fédération. Yuuri avait eu son quota de couleuvres à avaler avec Andrei. Mais le Japonais s’en moquait.
Du jour où il avait accepté Viktor auprès de lui, il avait accepté d’être haï pour ça. Avant même que leur couple soit officiel, Yuuri avait accepté d’être celui qui avait volé Viktor au reste du monde avec tout ce que ça impliquait de colères et d’injures.
Parce que rien ne comptait plus pour lui que voir Viktor sourire à ses côtés.
Oui, jusqu’à ce matin-là, Yuuri se foutait royalement des pitoyables tentatives d’Andrei pour briser son couple. Mais là, le vieux Russe avait franchi une limite qu’il ne pouvait admettre. Profiter de son absence et de l’hospitalisation de Viktor, de son état de faiblesse, pour tenter de le faire interner en manigançant de lui interdire à lui de revenir en Russie… Le Japonais serra les poings.
Ce connard n’avait pas intérêt à recroiser sa route.
Il secoua la tête et gagna l’ascenseur. Allez, pas grave. Tout allait bien, Viktor avait pu s’enfuir. Et même si ça n’avait pas été le cas, il aurait été le chercher dans cette fichue clinique et en aurait fait un tas de cendres s’il avait fallu pour l’en sortir. Qu’est-ce qu’il s’imaginait, ce vieux con ? Qu’il allait gentiment attendre en chougnant à la frontière ? Laisser l’amour de sa vie se faire détruire à coup de médicaments et de thérapies de conversion ?
Bon sang, il lui aurait appris que la combativité d’un Japonais n’a rien à envier à celle d’un Russe !
Allez, allez, reprends-toi !! se secoua-t-il. Tout va bien. Viktor est là. Nous sommes en Suisse, il est à l’abri. Il faut que je reste concentré sur le Libre. Nous verrons ça plus tard. Il faut déjà qu’il se remette… Il n’y a pas que des idiots dans sa fédération. Ça ira. On pourra rentrer. Au pire…
Les portes de l’ascenseur se rouvrirent sur le hall de l’hôtel.
Au pire… Il nous reste le Japon.
Perdu dans ses pensées, il sursauta en entendant M. Weissman l’appeler :
« Yuuri ! »
Il regarda leur hôte qui venait vers lui, aimable :
« Est-ce que tout va bien ?
– Oui, oui… Viktor se repose.
– Oh, tant mieux. Il avait vraiment l’air épuisé. J’ai prévenu l’équipe médicale, ils peuvent le recevoir dès qu’il voudra.
– Merci. Nous verrons quand il sera réveillé. Pouvez-vous veiller à ce qu’il ne soit pas dérangé ? Il a éteint son portable, mais il ne faudrait pas que le téléphone de la chambre le réveille ?
– Oh, vous avez raison. Je vais prévenir le standard pour qu’il filtre les appels pour le moment. Il est parti très brusquement, je pense qu’un certain nombre de personnes vont chercher à le joindre.
– Sûrement. Mais là, il a besoin de dormir.
– Oui, oui, je vais voir ça tout de suite !
– Merci. Je vous le confie, alors. Je suis à la patinoire, n’hésitez pas s’il y a le moindre souci.
– Bien sûr, ne craignez rien. »
Le vieil homme sourit, rassurant :
« Ne vous en faites pas, Yuuri. Allez vous entraîner, Viktor n’est pas perdu. Il va pouvoir se reposer tranquillement. Tout le monde est très heureux qu’il soit là, vous savez. Le personnel de l’hôtel m’a bien dit que vous ne deviez pas hésiter, ils sont plus que jamais à votre disposition. »
Yuuri hocha la tête, grave.
« Pour le moment, il faut vraiment que le téléphone ne le dérange pas.
– Oui, je m’en occupe tout de suite. »
Yuuri regarda son hôte filer à l’accueil pour passer la consigne. Le selfie allait très vite se répandre. Andrei allait savoir où était Viktor et si personne ne l’en empêchait, il allait très probablement essayer de l’appeler.
Yuuri reprit pensivement son chemin vers la patinoire. Sur qui pouvait-il compter ? Yurio et Nikolai, sans aucun doute. Il faudrait d’ailleurs qu’il remercie le grand-père de son jeune ami pour ce qu’il avait fait. Yakov ?… Le vieux coach l’avait accepté sans peine et bien avant qu’il ne vienne à Saint-Pétersbourg. Yuuri se souvint avec un sourire du jour du Libre, lors de la finale de Moscou, où Viktor absent l’avait confié à lui. Bourru, certes, et râleur, mais le vieil entraîneur l’avait pris sous son aile alors même qu’il était le principal adversaire de Yurio. Bourru et râleur, mais toujours bienveillant envers Viktor et lui-même. Peut-être que oui, il pourrait compter sur lui…
Devait-il en parler aux autres ?…
La réponse lui vint lorsqu’il approchait. En pause dehors, Phichit et Otabek le regardèrent et son ami thaï, visiblement navré, se précipita vers lui pour le prendre dans ses bras, le faisant sursauter :
« Euh, Phichit ?…
– Putain Yuuri, je suis tellement désolé… »
Otabek les rejoignit, grave. Yuuri se fit la réflexion que ça faisait un moment qu’il n’avait pas vu ce regard résolu dans les yeux du Kazakh, hors de la glace bien sûr. Ce dernier posa sa main sur son épaule alors que Phichit le lâchait.
« Yuri nous a tout raconté. Ne t’en fais pas, juste à nous. Ça ira ? »
Yuuri les regarda tous deux avec un sourire incrédule :
« Euh… Oui, j’espère…
– S’il y a quoi que ce soit, t’hésite pas, on est là ! » déclara fermement Phichit.
Le sourire de Yuuri s’élargit.
« Merci, les gars. »
Otabek hocha la tête et reprit :
« Viktor va bien ?
– Secoué. Il dort, là. Mais ça va aller, il est bien plus fort que ça.
– Oh, aucun doute là-dessus ! sourit Phichit en passant son bras autour de ses épaules pour l’entraîner à l’intérieur de la patinoire. Magnifique, ton selfie !
– Merci.
– Une réponse adéquate à ces cons, ajouta Otabek en les suivant.
– C’est ce que je me suis dit… »
*********
Viktor se réveilla en sentant Makkachin remuer près de lui. Il sourit, ouvrit les yeux et tendit le bras pour caresser sa grosse peluche. Le chien remua la queue et se tourna, les quatre pattes en l’air, en couinant. Viktor grattouilla son ventre avant de se tourner lentement sur le dos avec un soupir. Il commençait à pouvoir rester ainsi sans trop souffrir. Il eut un petit rire alors que Makkachin se levait pour venir lui lécher le visage, tout content, avant de se recoucher avec soin contre son flanc droit. Son vieux toutou l’avait surpris, depuis qu’il l’avait retrouvé chez Nikolai, à le traiter avec une inhabituelle délicatesse, comme s’il avait compris qu’il était blessé et encore plus impressionnant, où. Viktor se mit à gratter la tête poilue en soupirant.
Tout allait bien se passer. Il n’avait aucune raison de s’en faire. Il avait assez de soutiens dans la fédération russe pour régler ça. Il allait se reposer tranquillement en attendant de pouvoir rentrer, dès qu’il aurait la certitude que cette fois, on les laisserait en paix.
Ça n’enlèverait rien au coup de poignard de son mentor. Rien à la douleur qu’il avait ressentie en comprenant à quel point ce dernier ne le comprenait pas, refusait même d’essayer de le comprendre et surtout haïssait son Yuuri, le jugeant seul responsable de ce qu’il ne voyait que comme de la perversion. Pourtant, Viktor n’avait jamais caché ses penchants à son mentor. Il avait même été un des premiers au courant, le second après Yakov, en fait. Mais ce dernier l’avait su par accident, en le trouvant, dans les vestiaires, en train de fricoter de très très près et sans beaucoup de vêtements sur le dos avec un autre jeune patineur lors d’un championnat junior, alors qu’il avait 15 ans.
Yakov ne l’avait jamais ennuyé avec ça. Il lui avait simplement conseillé d’être prudent, discret et de se protéger. Là-dessus, Viktor n’avait pas de soucis. Si la question du sida restait taboue en Russie, son premier amant avait été français, très au fait de ces questions et lui avait très bien appris ça aussi.
Ce jour-là, alors qu’il avait 14 ans, Viktor prenait sagement une douche après un bon entraînement d’avant-veille de compet’ lorsque le jeune Français sus-cité l’avait rejoint. Le garçon avait-il prémédité son coup ? Viktor n’en saurait jamais rien. Ce qu’il savait par contre, c’est que ce jeune homme, à peine plus âgé que lui, lui faisait du gringue depuis deux jours et Viktor n’était pas du tout insensible à ses avances. Il n’avait donc pas du tout non plus résisté en le sentant se glisser dans son dos, l’enlacer et se mettre à le caresser. Ça avait fini en missionnaire sur le banc du vestiaire, avec pas mal de lubrifiant et donc un préservatif, accessoires qui n’avaient quitté le Russe que lorsqu’il s’était fixé avec son Japonais, quelque temps après leur installation à Saint-Pétersbourg et après les tests médicaux d’usage.
En y réfléchissant, Andrei avait toujours refusé cette facette de sa vie, lui présentant régulièrement de jolies célibataires, répétant, à chaque fois que Viktor lui disait qu’il n’aimait pas les femmes, que c’était un caprice de jeunesse et qu’il n’avait juste pas rencontré la bonne. Ce déni avait duré et même l’arrivée du Yuuri dans sa vie n’y avait pas mis fin, le vieux Russe jugeant ce dernier seul responsable de la situation, manipulant Viktor pour le maintenir dans des mœurs obscènes qui n’étaient pas les siennes.
Viktor plia son bras gauche sous sa tête, sa main droite toujours perdue dans la fourrure de Makkachin.
C’était plutôt lui qui avait manipulé Yuuri pour le faire adhérer à des mœurs qui n’étaient pas les siennes… Enfin, qui avait essayé, plutôt, et en vain. Avant d’abandonner. Et de se faire séduire d’une façon qu’il n’aurait jamais crue possible.
Viktor ne se souvenait pas réellement de la première fois qu’il avait rencontré Yuuri. Sans doute l’avait-il croisé plusieurs fois sans le voir. Lors de la fameuse finale du Grand Prix de Sotchi, il l’avait honnêtement à peine remarqué. Il se souvenait lui avoir proposé une photo souvenir alors qu’ils quittaient la patinoire et s’être demandé pourquoi le garçon était parti sans un mot.
Le soir, au banquet, ça avait été une toute autre histoire.
Viktor avait tout d’abord considéré avec un scepticisme certain, voire une légère inquiétude, les actions du jeune homme. Pour lui qui pouvait gagner un jeu à boire à 4 contre 1, comprenez par là qu’il buvait par tour quatre verres contre quatre adversaires qui n’en buvaient qu’un chacun, voir ce jeune homme tenir encore debout et mettre la honte à ses camarades à des concours de danse improvisés, avec une telle maestria, dans son état d’ébriété, l’avait réellement impressionné. C’était aussi très touchant de le voir finalement prendre sa revanche sur eux ainsi.
Par contre, il n’avait toujours pas compris ce que cette barre métallique, improvisée pour l’occasion barre de pool-danse, faisait là, mais voir Chris en petite tenue était toujours ça de pris et la vache, c’est qu’il était aussi doué à ça que canon aussi, le Japonais !
Viktor avait donc accepté son défi avec plaisir et il devait bien l’admettre, il s’était éclaté comme rarement. Yuuri dansait très bien et leurs mouvements s’accordaient à la perfection. Il avait en plus vraiment eu l’impression que le garçon s’amusait autant que lui. Son invitation à venir au Japon et sa supplique de devenir son coach s’il gagnait n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd, mais sur le coup, Viktor n’y avait pas plus prêté attention que ça.
Car la vie avait très vite repris son cours et les compétitions s’étaient enchaînées avec autant que rapidité que de banalité pour lui. Toujours la même rengaine, les mêmes têtes… Les mêmes victoires. Il en avait marre.
Grand Prix, plié. Championnats d’Europe, pliés. Mondiaux, pliés. Plus aucun mérite. Plus aucune inspiration.
Ça faisait déjà un moment qu’il tirait sur la corde, mais il avait atteint le point de rupture. Lui qui voulait toujours surprendre n’avait plus d’idée… Les deux thèmes qu’il avait commencés à préparer pour la suite lui paraissaient aussi inconsistants l’un que l’autre. Danser l’Agapé à 27 ans avec la réputation de salope qu’il se traînait était ridicule… Et parallèlement, l’Éros ne lui allait pas mieux.
Cerise sur le pompon, après le Mondial de Tokyo, Yakov lui avait tout simplement interdit de passer ses congés à s’entraîner à la patinoire comme il le faisait toujours, prétextant qu’il avait cette année-là besoin d’un vrai break et que lui-même avait besoin de tout son temps pour l’arrivée chez les seniors du gamin, là, le petit chieur aussi doué que caractériel. Yuri Machinski.
Son successeur, paraissait-il. Viktor avait jaugé la bête. Beaucoup de potentiel, mais clairement pas assez de motivation. Sans adversaire à sa hauteur, ce gosse n’allait pas aller loin.
Exactement comme lui-même.
Bref, il en était là, à tourner en rond chez lui, vidant des bouteilles de vodka, au bord du gouffre de sentir lui échapper la seule chose qui faisait sa vie, le patin, quand, en faisant le tour des réseaux sociaux, vautré sur son canapé avec Makkachin en mode bouillotte ventrale, il était tombé sur cette fameuse vidéo. Yuuri Katsuki dansant son Stay close to me.
Tout d’abord suspicieux, il avait jeté un oeil aux commentaires. Il s’attendait à y lire des insultes et des moqueries, ne voyant pas trop comment le grand perdant de Sotchi pouvait faire ça… ? Mais non, tous les commentaires étaient élogieux, impressionnées, voir carrément émerveillés.
Alors il avait lancé la vidéo.
Et il avait eu la sensation aussi folle que dérangeante que son cœur se remettait à battre.
En une seconde, tout lui était revenu. La soirée à Sotchi. Ce beau garçon complètement ivre. Leurs danses. Et sa demande.
Be my coach, Viktor !
Viktor avait froncé les sourcils. Merde. Après tout, il l’avait gagné, son concours de danse ! Puisque plus rien ne marchait, est-ce qu’il ne fallait pas mieux tout plaquer un bon coup pour aller faire éclore ce joli chrysanthème au Japon ?
Argument bidon visant uniquement à se cacher à lui-même qu’il venait d’avoir un coup de foudre. Et c’est qu’il avait refusé de l’admettre un moment.
Il se cachait derrière sa carapace, derrière ses charmes, pour approcher un jeune homme pour lequel il éprouvait un désir d’une violence inédite pour lui. Viktor n’avait jamais connu d’amour sincère. Il s’était envoyé en l’air plus souvent qu’à son tour, avec d’autres patineurs, des inconnus, des prostitués, vivant le sexe comme une soupape de sécurité salutaire pour son équilibre mental, mais ne lui ayant jamais accordé d’autre place. Mais là, plus rien à voir. Clair qu’il crevait d’envie que Yuuri le prenne dans approximativement toutes les positions du Kamasûtra… Y avait vraiment pas que sur la glace qu’il voulait le coacher !
Mais le Russe était tombé sur un os aussi inédit pour lui que ses propres sentiments : ses tentatives de séduction n’avaient pas fonctionné.
Lui, ne pas réussir à mettre le garçon qu’il voulait dans son lit.
Décidément, il accumulait les premières dans cette histoire…
L’arrivée du gamin l’avait surpris. Ah oui, sa promesse de lui faire une choré. Merde. Il avait zappé ça. Mais en regardant les deux garçons, une idée lui était venue qui allait à la fois lui permettre de tenir sa promesse envers le petit tout en permettant au grand d’enfin se révéler. L’Agapé allait forcer le gosse à sortir de sa zone de confort et l’Eros faire éclore le chrysanthème. Et ça avait marché au-delà de ses espérances. Le jeune Yuri était certes reparti en Russie sans même un salut, mais remonté à bloc pour la suite. Quant à son Yuuri à lui… Le voir en séducteur avait été un grand moment.
Ces nouveautés lui donnaient une énergie neuve et très bienvenue. Le Japon lui plaisait, l’onsen était un endroit aussi agréable que sympathique, la famille de Yuuri l’avait adopté avec une facilité déconcertante et l’objet de son affection lui-même se révélait un garçon bien plus intéressant que prévu.
Mais puisque ses tentatives d’approche directes avaient échoué, Viktor avait finalement renoncé à le séduire pour se concentrer sur leur passion commune, décidé à tenir sa parole de lui faire gagner le Grand Prix. Le Russe avait mis de l’eau dans sa vodka, ou son saké, plutôt, pour se dire que vivre aux côtés de Yuuri pouvait lui suffire. Il regrettait presque d’avoir été si direct, jugeant, maintenant qu’il le connaissait mieux, ce garçon bien trop pur pour lui.
Les semaines étaient passées et au fur et à mesure que la préparation des programmes s’affinait, un renversement plus qu’inattendu s’était opéré. Alors même que Viktor avait renoncé à séduire Yuuri, c’était Yuuri qui avait, sans doute totalement inconsciemment tout d’abord, commencé à le séduire lui.
La violence du coup de foudre du Russe, étouffée par son abandon, avait lentement fait place à autre chose, quelque chose de bien plus doux et de bien plus profond.
Les deux hommes se rapprochaient lentement sous l’œil discret, mais attendri, d’Hiroko et Toshiya, très heureux de voir que leur fils avait retrouvé le sourire et surtout l’envie de gagner. Et très heureux aussi de le voir s’épanouir auprès de Viktor, qui les avait beaucoup intrigués à son arrivée avant de se révéler aussi gentil qu’attachant.
Et puis était arrivé le championnat de Chine.
Yuuri avait fini le Court premier. Lui était heureux, aussi fier que confiant, mais son jeune protégé s’était révélé incapable de gérer son stress. Viktor avait fait tout son possible pour l’aider, allant jusqu’à l’emmener dans le parking souterrain de la patinoire pour l’isoler. Mais rien n’y faisait. Ne sachant vraiment plus quoi faire, le Russe avait abattu sa dernière carte : menacer le garçon de le laisser s’il échouait.
Yuuri l’avait regardé avec des yeux ronds, pétrifié, avant de fondre en larmes.
Très mal à l’aise, Viktor avait tenté de rattraper le coup en lui assurant qu’il n’était pas sérieux. Le cri de Yuuri l’avait stupéfait :
« Je sais ! »
Mais bien moins que ce qu’il lui avait crié ensuite, en larmes :
« Fais-moi confiance, c’est tout ! Tu n’as rien à dire ! Reste juste à mes côtés ! »
Aussi déconcerté que chamboulé par cette déclaration, Viktor s’était donc tu et ils étaient remontés en silence. Il avait juste gardé sa main sur l’épaule du Japonais. Ce dernier l’avait curieusement trollé en faisant exprès de laisser tomber son mouchoir, le forçant à se pencher pour le rattraper et tapotant sa tête comme pour le consoler.
Curieux renversement, une fois encore…
Et il avait vu Yuuri s’élancer sur la glace avec un sourire étrange, comme soulagé, serein, alors que lui-même restait un peu inquiet.
Ça n’avait pas été la plus belle prestation de Yuuri. Main au triple axel, combo mal dosée… Viktor ne le quittait pas des yeux. Malgré tout, Yuuri ne lâchait pas. Les autres sauts passaient… Allez, dernier quadruple…
…
Un quadruple flip.
Malgré la chute, Viktor avait senti son cœur louper un battement.
Le quadruple flip, sa signature.
Yuuri ne pouvait pas plus clairement lui hurler son amour.
Alors Viktor avait couru pour le retrouver et en voyant le garçon revenir vers lui, tout sourire, il avait craqué et s’était jeté sur lui pour l’embrasser de toutes ses forces, seule réponse qu’il avait trouvée à sa déclaration. Ils avaient chuté sur la glace. Et Yuuri lui avait souri.
Le soir, la réception avait été très sympathique. Yuuri était très content de sa médaille d’argent et lui confiant de la suite. Et plus que jamais amoureux.
Ils avaient dansé un peu, échangeant un second baiser. Ils n’avaient pas trop traîné, l’avion était assez tôt le lendemain.
Une fois dans la chambre, le baiser s’était fait plus profond. Viktor était heureux et plus calme qu’il ne l’aurait cru. Il avait laissé Yuuri le temps d’aller chercher de quoi les protéger, tellement heureux de pouvoir enfin se donner à lui. Et comme il savait parfaitement que le jeune homme était vierge, il avait déployé tout son talent pour lui donner un maximum de plaisir. Il l’avait chevauché, heureux de son étreinte, de son baiser, jusqu’à ce qu’il le sente jouir en lui, ce qui avait déclenché son propre orgasme. Et alors qu’il s’allongeait contre lui, satisfait, heureux, Yuuri l’avait caressé, l’avait tiré au-dessus de lui et lui avait demandé tendrement :
« Prends-moi, s’il te plaît… »
Cette demande l’avait réellement surpris. Yuuri le voulait, lui, comme ça… ?…
Mais il avait obéi, maladroit et ému. Il l’avait préparé avec soin, terrifié à l’idée de lui faire mal. Il n’avait jamais fait ça… Pas une fois dans sa vie, mais si Yuuri le voulait, il en serait capable. Il en avait pleuré en s’enfouissant en lui.
Une première fois pour toi aussi, lui avait dit son amant après, lorsqu’il le lui avait avoué.
Il l’avait étreint.
Une première fois… Avec son premier amour.
Une première fois suivie de nombreuses autres et d’une nouvelle vie qui lui semblait soudain fabuleuse. L’inspiration était revenue, avec le désir de reprendre la compétition. Yuuri l’avait suivi à Saint-Pétersbourg sans même qu’il ait à le lui demander et les entraînements avaient repris sous l’égide d’un Yakov aussi grognon et râleur que bienveillant, qui avait donc accepté Yuuri sans faire d’histoire, le coachant même à moitié pour épauler Viktor. Yurio était un sale gosse, mais un adversaire loyal et au fil du temps, il était devenu un véritable ami pour Yuuri et un quasi-fils pour lui. L’adolescent n’avait jamais eu de souci avec leur relation et ses coups de gueule quand on les insultait étaient légendaires, tant sur le net qu’IRL.
Seule réelle ombre au tableau, Andrei.
Il n’avait pas grand-chose à faire de l’avis des autres, mais que cet homme-là refuse de voir qu’il était heureux et tente de briser son couple était assez dur à vivre pour lui.
Mais il n’aurait jamais cru qu’il irait jusqu’à tenter de profiter qu’il était seul et blessé pour le faire interner. Si Nikolai n’avait pas été là, il aurait été piégé comme un rat.
Il se demandait d’ailleurs de quelle clinique il s’agissait pour avoir rendu le vieil homme si furieux. Mais il n’était en fait pas certain d’avoir envie de le savoir.
Bon sang, quelle histoire…
Enfin, il était en Suisse, auprès de son amour et de ses amis. Tout allait bien se passer. Il n’y avait aucune raison de s’en faire.
*********
Yuuri avait beaucoup de mal à se concentrer, ce matin-là. Il finit par renoncer et rejoignit le bord. Bon allez, zen. Y avait des jours sans. Entendant Yurio jurer en russe après avoir raté un saut, il eut un sourire. Il n’était pas le seul…
Yakov soupira et ordonna au jeune homme de quitter la patinoire un moment. Yurio gronda, mais obéit. Il se posa au bord. Yuuri le rejoignit :
« Ça va ? »
Le jeune homme grogna.
« Laisse tomber, j’y suis pas, là.
– On est deux. Ça te dit qu’on sorte prendre l’air ?
– Ouais… Bon plan. »
Sans faire attention aux regards inquiets qui les accompagnèrent, ils quittèrent la glace et sortirent de la patinoire. Yuuri s’assit dans l’herbe et Yurio s’y allongea.
Il y eut un long silence avant que le jeune Russe ne soupire. Yuuri replia ses bras autour de ses genoux.
« C’est comme ça que la fédé le remercie après 18 ans de compet’ et 63 médailles… » finit par soupirer Yurio.
Yuuri eut un sourire triste.
« Ne les mets pas tous dans le même sac.
– Ça me fout la gerbe… Andrei te pourrit depuis 6 ans et là il te reproche votre agression alors que si lui avait accepté que tu viennes avec nous y a une semaine, rien en serait arrivé. Comment Viktor fait pour pas juste avoir envie de le massacrer…
– Viktor respecte l’homme à qui il doit sa carrière. » répondit posément la voix de Yakov derrière eux.
Yuuri se tourna alors que le vieil homme venait s’asseoir près d’eux péniblement, s’appuyant sur sa canne.
« La terre est basse… soupira-t-il.
– Ça ira ? lui demanda gentiment Yuuri.
– Oui, ne t’en fais pas. Vous en serez quitte pour m’aider à me relever.
– Pas de souci.
– Yakov… Est-ce que tu savais ce que tramait Andrei ? demanda Yurio en regardant les nuages.
– Non. » répondit sans hésitation le vieil entraîneur.
Il ajouta après un silence :
« Non. Et je ne l’aurais pas permis. Andrei a fait n’importe quoi… Je suis persuadé qu’il a agi de son propre chef. Jamais Sergei et les autres n’auraient permis ça non plus. Que certaines personnes veuillent que Viktor rompe avec Yuuri, c’est une chose, mais de là à le faire interner, personne n’a jamais parlé de ça.
– Putain mais c’est quoi leur problème à ces vieux cons ? explosa le garçon en se redressant brusquement. Ils font rien de mal à la fin, merde ! Ils sont heureux, c’est un crime ?
– Eh, du calme, Yuri… lui dit le Japonais, surpris.
– Non, je me calmerai pas ! Moi, ça commence, les petites remarques de merde parce que je sors avec une Américaine ! C’est quoi, la prochaine étape ? On se défonce pour gagner, on mène des vies de dingues pour ça et en plus il faudrait quoi, qu’on passe nos nuits dans un placard comme des gentilles poupées ?! Ils croient quoi, ces cons ? Ils ont beau se palucher sur nos médailles, c’est nous et nous seuls qui nous sommes sur la glace pour leur ramener ! »
Il y eut un silence alors que Yuuri le regardait, stupéfait :
« Tu as eu des remarques par rapport à Betty ?
– “Elle est rudement brune, ta copine, t’es sûr qu’elle est russe ?” cita le garçon. Et je te passe les sous-entendus sur le fait que ça soit forcément une pute puisqu’il n’y a que ça à Hollywood… »
Yakov soupira alors que Yuuri regardait son jeune ami, navré.
« Mince, désolé, je savais pas…
– Tu aurais dû nous en parler. Il n’y a aucun souci de ton côté. Et il n’y a aucune raison qu’il y en ait. Viktor… Viktor, c’est une longue histoire et c’est bien plus compliqué… »
Yakov se tut un instant. Les deux Yuri attendaient et échangèrent un regard, pareillement intrigués. Puis le vieux coach reprit :
« Viktor avait 15 ans quand j’ai découvert ça, mais je ne pense pas qu’il en était à son coup d’essai. Il l’a avoué à Andrei assez vite, mais ce dernier a juste toujours refusé d’y croire. Moi, j’ai prévenu Sergei et nous avons convenu que tant que ça restait discret, ça ne nous regardait pas. En fait, tout le problème est là. Vous voyez, la vérité, c’est qu’une espèce de pacte tacite s’était établi entre Viktor et la fédération. Tant qu’il faisait son boulot, tant qu’il gagnait, en gros, et qu’il restait discret, il pouvait faire ce qu’il voulait dans le privé. Ça ne nous regardait pas.
« Andrei n’en démordait pas, il passait son temps à lui chercher une femme, mais on arrivait à le gérer. On savait que Viktor tenait la barre et qu’il ne nous lâcherait pas. Moi, je les ai prévenus de longue date qu’il fatiguait et qu’il allait y avoir des soucis. Andrei ne voulait rien savoir et Sergei a décidé d’attendre de voir. Tout semblait aller pour eux, j’avais vraiment l’impression d’être le seul à le voir vaciller. Je savais qu’il faisait des trucs assez glauques, il a failli avoir une sale histoire avec un gigolo… Mais ça n’a finalement rien fait et l’accord tenait. L’accord a tenu plus de 15 ans. Jusqu’à ce que tu arrives… »
Il avait regardé Yuuri qui fronça les sourcils.
« Quand Viktor a tout plaqué pour te rejoindre, Andrei a pété les plombs et Sergei et moi avons eu du mal à l’empêcher de partir pour le ramener de force. Personne n’a compris, à part moi qui me suis dit qu’après tout, il avait sûrement juste besoin de vacances, qu’il allait vite revenir et que tout rentrerait dans l’ordre.
« J’avoue, je t’ai sous-estimé. Nous t’avons tous sous-estimé, sur le coup. Aucun de nous ne croyait que Viktor puisse vraiment être tombé amoureux de toi. Aucun d’entre nous ne pensait Viktor capable de tomber amoureux tout court, pour être honnête… Mais il ne revenait pas. Alors ça s’est mis à crier au complot. Il y a eu une enquête, certains se souvenaient de la soirée à Sotchi et étaient persuadés que vous étiez restés en contact, que tu l’avais séduit via des mails ou je ne sais quoi pour le faire venir au Japon. Ils n’ont jamais rien trouvé, bien sûr. Mais pour eux, surtout pour Andrei, ça ne prouvait rien.
« Après la Chine, tout était clair pour moi. Viktor t’aimait, tu l’aimais aussi et sincèrement, ça m’a réellement fait chaud au cœur de le voir comme ça. J’ai senti qu’il était sur la bonne voie pour retrouver ce qu’il avait perdu. Il allait revenir sur la glace, avec toi, et ça ne prendrait pas longtemps. Sergei a compris aussi et nous avons réussi à temporiser. Et ça n’a pas loupé, il est revenu sagement à Saint-Pétersbourg. Sauf que tu étais dans la valise et que votre relation était connue de tous. Au début, il y eut pas mal de méfiance et certains se demandaient même s’il ne valait mieux pas trouver un prétexte pour te faire expulser… Andrei le voulait, il disait sans arrêt que tu allais perdre Viktor, que tu étais là pour le perdre, pour l’empêcher de remonter sur les podiums. Viktor l’a vite démenti en enchaînant à nouveau les victoires.
« Et nous, nous avons compris que si tu partais, il te suivrait. Ah ça, il continuerait de patiner pour la Russie, mais Saint-Pétersbourg perdrait son plus grand patineur et un futur coach de génie. Alors, on a à nouveau fait pression pour qu’Andrei vous lâche. Il essayait quand même par-derrière, mais ça n’a jamais marché. Et en plus de Viktor, il y avait Yuri à ménager. Parce que dès qu’il vous a officiellement soutenus, il a été clair que lui aussi n’allait pas permettre qu’on fasse n’importe quoi. »
Yurio eut un sourire et Yuuri lui sourit aussi. Clair que pas mal de cons lui devaient des dents en moins et souvent à cause d’eux.
« Je pense qu’Andrei a paniqué suite à l’annonce de votre départ en retraite. Dans son délire, il est toujours persuadé que tu veux voler Viktor à la Russie. Il a dû se dire que tu allais le pousser à retourner au Japon pour entraîner des petits Japonais… »
Yuuri eut un sourire :
« Intéressant. Je ne me savais pas si machiavélique.
– Ça doit être parce que tu l’es pas, soupira Yurio. T’es trop con pour manigancer quoi que ce soit, de toute façon…
– Pas faux… »
Yuuri croisa les bras et réfléchit un instant :
« Je comprends mieux. Merci, Yakov.
– De rien. Andrei a dû en inquiéter plus d’un avec ses délires. Je vais faire savoir à qui de droit que ce n’est pas vrai et ça ira.
– Je pense vraiment que Viktor ne veut pas quitter la Russie. Sincèrement. Et ça ne me gène pas d’y rester. Vous n’avez pas à vous en faire. Je ne vois vraiment pas ce qui pourrait arriver pour changer ça. »
Yakov lui sourit :
« Tu aimes beaucoup Saint-Pétersbourg, n’est-ce pas ? »
Yuuri eut un petit rire et haussa les épaules :
« J’avoue, je me suis bien acclimaté. C’est une très belle ville et vos compatriotes sont plutôt sympas… »
Yurio se releva :
« Bon, on y retourne ?
– Ouais ! »
Les deux jeunes gens aidèrent le vieil homme à se relever, l’attrapant chacun par un bras, et ils rentrèrent.
Ils rigolaient lorsqu’ils renfilèrent leurs patins et ils se remirent plus sérieusement au boulot.
Les filles les laissèrent vers 11h30 pour manger et se préparer à descendre à Genève. Ils leur souhaitèrent bonne chance et restés entre eux, moins les coachs qui partaient avec les demoiselles, sauf Billy, ils continuèrent encore une petite heure à s’entraîner. Ça finit sur un joli pas de deux des deux Yuri, sommés par leurs amis de leur montrer le duo dansé des années plus tôt sur In The End de Linkin Park, préparé par Yuuri et Viktor pour une exhibition, mais que Yurio avait finalement dansé à la place de son aîné victime d’une légère foulure à la cheville lors de son programme libre.
Si Linda et Billy, ce dernier d’une humeur exécrable d’ailleurs, regardaient avec dégoût cette danse aussi scandaleuse qu’obscène, John regardait ça avec grand intérêt. Les deux hommes étaient certes magnifiques, mais la chorégraphie surtout, les faisant évoluer l’un l’autre en fonction des deux chanteurs et des deux rythmes de la chanson, était également incroyable. Yurio soulevait Yuuri comme une plume et la position finale, le blond penché en arrière, abandonné dans les bras du brun, lui coupa juste le souffle.
Il ne put se retenir d’applaudir avec les autres, ce qui lui valut un regard sombre de Billy et une tape de sa mère. Il arrêta, mais resta admiratif. Bon sang, il espérait vraiment atteindre ce niveau un jour !
Laissant ses camarades aller à la douche, Yuuri fila pour retourner à l’hôtel, après avoir dû promettre que oui, si Viktor était en état, ils les rejoignaient pour manger tous les deux.
Ce faisant, il se retrouva donc à suivre John, Linda et Billy qui repartaient aussi vers l’hôtel. Et il sourit en les entendant râler après ses patineurs obscènes et pervers qui s’exhibaient sans aucune honte ni retenue… Il ne put s’empêcher de lâcher, les faisant sursauter :
« Et encore, dans la choré initiale avec Viktor, ça finissait sur un baiser. »
Alors que Linda et Billy le regardaient, outrés autant que John était surpris, il rigola :
« Mais c’est que vous me croyez en plus !
– Quoi, vous vous moquez de nous ?! s’écria Billy.
– Tout à fait, opina le Japonais, amusé. Même si on l’a fait un certain nombre de fois quand on répétait, ça faisait hurler Yuri, c’était marrant. »
Il reprit son chemin, les dépassant, en citant son jeune ami :
« “Putain les mecs, mais prenez-vous une chambre !”, une de ses répliques préférées. »
Devinant encore les regards scandalisés derrière lui comme s’il avait des yeux dans le dos, il se tourna et leur sourit :
« Allez, à tout à l’heure ! »
Il fila sans attendre et en faisant mine de ne pas entendre les injures de Billy. Vraiment de sale humeur, lui. Pas remis de s’être fait humilier par Yurio, sans doute.
Alors qu’il traversait le hall, une femme à l’accueil l’interpella pour lui dire que Viktor n’avait pas été dérangé, conformément à sa demande, mais qu’il y avait eu quatre appels pour lui, dont trois d’Andrei Biolevine et un de Sergei Bretski.
« M. Bretski avait l’air sincèrement inquiet, il a dit qu’il ne fallait pas que M. Nikiforov hésite à le rappeler… Mais j’avoue que M. Biolevine était bien plus agressif… Il nous a presque menacés, j’avoue que je n’ai pas trop compris, il parle très mal anglais…
– Oh, ça ne doit pas être grave… répondit Yuuri.
– Nous l’espérons. Quoi qu’il en soit, n’hésitez pas s’il y a besoin de quoi que ce soit, nous sommes à votre disposition.
– Merci. »
Il repartit et prit l’ascenseur pour gagner la chambre.
Il sourit, attendri, en découvrant Viktor endormi sur le dos, Makkachin blotti contre son flanc droit. Le chien dressa la tête et couina en le voyant. Il s’assit doucement au bord du lit en lui faisant une petite caresse alors que Viktor rouvrait des yeux vagues.
« Coucou, Vitya.
– Hmmm… Oh, je me suis rendormi… ? C’est quelle heure ?
– Pas loin de midi et demi. Je venais voir si tu voulais venir manger avant de voir les médecins. Après, si tu te sens de venir, on descend à Genève encourager les filles.
– Oh, oui… Ça me va tout à fait… Bon programme. »
Le grand Russe se redressa lentement. Yuuri regarda avec tristesse le gros hématome qui marquait sa poitrine, couvrant une bonne partie de son sein gauche et de son flanc. Sa main l’effleura. Viktor sourit, la prit et l’embrassa :
« Ne t’en fais pas, ça va. J’ai déjà beaucoup moins mal.
– Et ta jambe ?
– Ça va mieux aussi. Sérieux, t’en fais pas, koi. Je suis costaud, tu sais. »
Yuuri sourit et se pencha pour l’embrasser.
« Je sais. »
Viktor sourit et prolongea le baiser. Yuuri se redressa à regret.
« Je me rince un petit coup, tu permets… Je t’aiderai à t’habiller après.
– D’accord. Je t’attends. »
Viktor se rallongea en attendant que Yuuri se douche. Après quoi le Japonais aida soigneusement son Russe à s’habiller. Une fois ceci fait et l’attelle remise, ils quittèrent la chambre pour rejoindre le restaurant, Makkachin les précédant en remuant la queue. Le chien attendit sagement devant l’ascenseur que Yuuri appelle ce dernier, les deux mains de Viktor étant occupées l’une par sa béquille et l’autre par la seconde main de Yuuri.
« Tu as faim, Vitya ?
– Un peu, ça va… Et toi ?
– Très… J’ai pas mal sué, ce matin.
– Et tu es au point ?
– Ça devrait le faire… J’ai juste un souci avec la série de pas de la seconde moitié. »
L’ascenseur arriva et ils y montèrent.
« Ah, c’est vrai, j’avais pas réglé ça… se souvint Viktor.
– J’arrive pas à trouver un enchaînement qui me va.
– Je trouvais pas non plus… Il faudra que tu me montres. Mais le reste, ça va ?
– Oui, oui, très bien. Je t’ai assez vu le faire, je le tiens bien. Et puis on l’a chorégraphié tous les deux, quand même. »
Viktor sourit et hocha la tête. Il embrassa la joue de Yuuri avant de lui dire :
« N’empêche que changer de choré 10 jours avant le Libre, t’es juste un grand malade.
– Tu le savais déjà et j’ai vraiment très envie de danser celle-là à ta place… »
Viktor hocha encore la tête avec un nouveau sourire :
« Et ça me fait très plaisir. Mais tu es un grand malade. »
Les portes de l’ascenseur se rouvrirent.
« Moi aussi, je t’aime. »
Ils sursautèrent comme leurs deux vis-à-vis, à savoir John Ross et sa mère. Cette dernière eut même un mouvement de recul que n’eut pas son fils, lui resta juste hébété. Yuuri sourit :
« Tiens, qui voilà. »
Il sortit, entraînant Viktor, alors que Makkachin allait flairer le garçon, curieux.
« Dorogoy, je te présente John Ross. John, mon compagnon, Viktor Nikiforov. »
Viktor sourit et tendit sa béquille à Yuuri, qui la prit, pour pouvoir tendre sa main droite à John.
« Enchanté ! »
John sursauta et lui tendit une main tremblante en balbutiant :
« Euh, moi aussi, très honoré… »
Viktor tendit ensuite la main à Linda qui eut encore un mouvement de recul en grimaçant. John grimaça aussi, lui gêné, alors que Yuuri toussait pour camoufler son rire en lui retendant sa béquille :
« La mère de John, Linda Ross. Je ne pense pas qu’elle te serrera la main, elle a bien trop peur que tu la contamines…
– Hein ? »
Viktor reprit la béquille en le regardant :
« … J’ai des côtes cassées, c’est pas contagieux ?
– Je ne parlais pas de cette maladie-là, dorogoy. »
Viktor fronça un sourcil avant de comprendre et de sourire :
« Ah, ça !
– Voilà. »
Viktor regarda Linda, profondément amusé :
« Mais c’est pas contagieux non plus, n’allez pas passer votre fils à la bétadine parce qu’il m’a touché, s’il vous plaît. Sérieusement, si une poignée de main suffisait à changer de bord, ça ferait longtemps que je serais devenu hétéro. »
Yuuri ne put se retenir de glousser et John les regarda, ne sachant trop comment réagir, jusqu’à ce qu’un appel ne se fasse entendre d’un peu plus loin dans le hall :
« Bon, ils se bougent le porcelet et son éleveur ? J’ai la dalle, moi ! »
Viktor et Yuuri éclatèrent de rire avec Phichit et Otabek alors que Betty regardait son Yurio avec des yeux ronds et un sourire incrédule.
Saluant les Ross d’un signe de tête, les deux amants rejoignirent leurs amis alors que Viktor lançait :
« Voilà voilà… T’es rudement pressé ! Y a des pirozhki au menu ou quoi ?
– Eh oh, y en a qui bossent pendant que tu dors ! »
Makkachin et Snoopy se tournaient autour, se flairant poliment. Yuuri reprit la béquille le temps que Viktor serre la main d’Otabek et de Phichit :
« Salut les gars ! Super, vos danses d’hier !
– Merci ! sourit Phichit.
– Comment tu te sens ? lui demanda Otabek.
– Ça va, tranquille. J’ai bien dormi, là, ça va mieux, on a pris l’avion super tôt… »
Snoopy s’était mis à sautiller autour de Makkachin, tout content, et le vieux chien remuait la queue, apparemment content aussi. Viktor regardait Betty et finit par jeter un oeil à Yurio :
« Et tu comptes nous présenter un jour ? »
Le garçon sursauta et rosit alors que ses amis riaient encore et Betty gloussa et répondit :
« Elisabeth Orwell ! Vous pouvez m’appeler Betty !
– Elisabeth… ? »
Le sourire de Viktor s’adoucit :
« Ravi de te rencontrer. Ça m’a fait très plaisir que Yuri se mette en couple, j’avais peur qu’il reste puceau plus longtemps que mon Yuuri à moi. »
Yurio sursauta alors que ça riait encore. Yuuri, amusé, passa son bras autour de la taille de Viktor :
« Ça t’a gêné ?
– Non… Du tout. »
Viktor sourit et l’embrassa rapidement :
« Tu es tellement beau au lit que je suis absolument ravi d’être le seul à connaître ça. »
Yurio grondait, mais Betty prit sa main :
« Je comprends tout à fait ! Si on y allait, tu avais faim ? »
Le jeune homme grogna :
« Tu me paieras ça, Viktor !
– À la vodka, quand tu veux. »
Laissant le jeune couple les précéder au restaurant, Phichit sourit encore à Viktor :
« Ça me fait vraiment plaisir que tu sois là, mais force pas, hein.
– T’en fais pas, je me connais, depuis le temps que je me fréquente. Et de toute façon, je vois les médecins tout à l’heure… »
Ils rejoignirent la grande table où Yurio et Betty s’installaient et où se trouvaient déjà Nikolai, Hiroko, Toshiya et la petite Aki. La fillette était à la fois très heureuse que son Vicchan soit là et très inquiète parce qu’il avait vraiment l’air malade.
Mais elle se rassura vite, car il souriait et il riait beaucoup. Donc, ça ne devait pas être si grave.
Effectivement, l’ambiance était chaleureuse à la table et les éclats de rire fréquents. Reposé, immensément soulagé d’être là et encore plus heureux d’avoir retrouvé son Yuuri, Viktor était plutôt en forme, vu son état, et radieux.
Laissant Aki et Makkachin aux bons soins de Betty, Nikolai et des autres garçons qui allaient retourner s’entraîner un moment avant le départ pour Genève, les parents de Yuuri et ce dernier accompagnèrent donc Viktor dans la zone médicalisée installée dans une grande salle du rez-de-chaussée de l’hôtel pendant la compétition. Les trois médecins et trois infirmiers n’avaient pas eu des masses de travail jusque-là, les athlètes étant globalement bien portants. Tous avaient passés les visites d’usage et ça allait. De toute façon, ces personnes n’étaient là que pour l’urgence, les hôpitaux de Genève étaient au taquet en cas de réel souci.
Viktor n’ayant pu récupérer son dossier médical en quittant l’hôpital de Saint-Pétersbourg, il expliqua comme il put aux médecins ce que leurs homologues russes lui avaient dit et leur montra et traduisit les ordonnances et les posologies qu’ils lui avaient prescrites.
Yuuri restait près de lui, attentif. Ses parents étaient assis un peu plus loin, mais ne l’étaient pas moins. Ils écoutèrent avec gravité leur fils et son compagnon raconter ce qui s’était passé le soir de l’agression, les deux récits se complétant. Les médecins voulaient être sûrs que Viktor n’avait pas eu de perte de conscience, ni de douleurs à la tête, ce qu’ils confirmèrent tous deux.
Le genou restait douloureux, mais Viktor pouvait le bouger lentement, il n’y avait rien de cassé. De la même façon, il expliqua que les côtes fêlées étaient bien remises sur la dernière radio et que la cassée commençait aussi à aller mieux. En tout cas pouvait-il rire sans trop de peine et dormir sur le dos était aussi à nouveau possible.
Les médecins lui trouvaient effectivement plutôt bonne mine, mais ils tinrent à ce qu’il aille passer une radio de ses côtes et une IRM de son genou, par sécurité. Ce qu’il accepta sans souci. Rien d’urgent cela dit, il ne fit donc pas d’histoire lorsque, contacté, l’hôpital de Genève lui proposa de voir ça le lendemain en tout début d’après-midi. Il demanda juste à être à 16h à la patinoire pour le Libre hommes, ce qui fit rire les médecins qui lui assurèrent qu’il n’y aurait pas de problème.
*********
Le ciel était couvert et l’air lourd lorsqu’ils arrivèrent à Genève. De gros orages étaient annoncés dans la soirée et la nuit.
Pas encore acclimaté, Viktor avait très chaud. Il ne portait donc qu’un t-shirt bleu pâle et un pantalon léger, là où Léo avait encore sa veste, tout comme Billy, John et sa mère, d’ailleurs, cette dernière tenant son fils à bonne distance du grand Russe. Contrariés d’avoir été « forcés » par Albrecht Weissman à venir voir les prestations des femmes, car ils auraient préféré rester au calme pour entraîner un John déjà bien crevé, le coach et Linda avaient bien du mal à cacher leur énervement.
Les garçons tentèrent d’être discrets, mais ils furent vite repérés par des journalistes qui se précipitèrent. L’ambiance était cependant à la bonne humeur et, interrogé sur son arrivée inattendue, Viktor s’en tint à la version officielle : qu’il avait craqué après le Court et quitté l’hôpital pour rejoindre illico son compagnon et ses amis. Aucun de ces derniers ne le contredit. Ça rigola doucement lorsque le grand Russe ajouta, tout sourire :
« … J’avais vraiment très envie de voir Yuuri gagner de mes propres yeux. La télé, c’est beaucoup trop petit. »
Et ça rigola tout court lorsque Yurio répliqua :
« Ouais, c’est bien, tu lui serviras de lot de consolation quand je gagnerai.
– Oh, t’es pas gentil. C’est sa dernière compet’, tu pourrais l’aider un peu.
– Justement, je l’aide. S’il l’a, c’est qu’il l’aura mérité. »
Le jeune Russe finit avec un sourire :
« “Une médaille, ça se compte en litres de sueur, sinon ça vaut rien.”, c’est bien toi qui me l’as dit, ça, non ? »
Viktor sourit et hocha la tête :
« C’est bien, j’aurais réussi à t’apprendre un truc. »
Yuuri les regarda l’un l’autre et ajouta :
« Moi j’aimais bien : “Tu sais ce que tu vaux quand tu sais qui tu bats.” »
Viktor caressa sa tête :
« Bozhe moy, mais vous m’écoutiez pour de vrai ? »
Ils rentrèrent dans la patinoire pour aller s’installer dans les gradins, mais ils n’avaient pas atteints le bord de la glace qu’un cri les fit sursauter :
« Viktoooooooooooor ! »
Yuuri eut le réflexe de tendre le bras pour stopper la jolie demoiselle qui s’apprêtait à sauter au cou de son compagnon :
« STOP ! »
Elle s’arrêta à temps :
« Oh, désolée ! »
Viktor sourit :
« Coucou, Mila ! »
La belle rousse alla quand même embrasser Viktor qui la serra doucement de son bras libre :
« Oh, ça me fait tellement plaisir que tu sois là !
– Moi aussi. Tu as l’air en forme… Fais-moi voir ce costume ? »
Elle virevolta sans lâcher sa main, dans une jolie robe noire et or, pailletée, déjà coiffée et maquillée.
« Tu es superbe ! »
L’autre Russe, Irina, petite blonde toute frêle d’à peine 18 ans, vint aussi lui sauter, tout doucement, au cou, suivie de Sara. Alors que les autres n’osaient pas trop approcher et regardaient le grand champion avec curiosité, admiration ou scepticisme, Jenny, Yuzuru et Chris vinrent rappeler leurs ouailles à l’ordre. Le Suisse vint ensuite vers son vieil ami, bras tendus :
« De quel côté je peux serrer sans te faire trop mal ?
– Ma droite.
– OK ! »
Les deux hommes s’étreignirent alors que Chris soupirait :
« Rarement été aussi heureux de te voir !
– Merci, vieux. Ça va ?
– Ouais, mais c’est plutôt à toi qu’il faut le demander !
– Ça va, t’en fais pas. J’en ai vu d’autres ! Je peux à nouveau rigoler, c’est déjà bien ! »
Yakov arrivait, rapide malgré sa canne. Chris s’écarta avec un sourire. Le vieux coach et son élève s’étreignirent sans un mot avant que le premier ne dise :
« Dobro pozhalovat’, Vitya.
– Spasibo. »
Yakov soupira et tapota le bras de Viktor :
« Prends soin de toi et ne t’inquiète de rien. J’ai eu Sergei, il va tout arranger. »
Viktor hocha la tête et sourit :
« Da. Spasibo. »
La petite troupe alla s’installer dans les gradins. Kenjirô resta à côté de Yuuri, lui-même bien sûr près de son Viktor. Yurio et Betty étaient de l’autre côté de ce dernier, Phichit et Otabek derrière avec les autres.
Les demoiselles se lancèrent et ce fut un très agréable spectacle. Le public était toujours aussi présent, réactif et chaleureux et il y avait vraiment du niveau sur la glace.
Les garçons commentaient, intéressés et souvent admiratifs.
« Bon sang, j’ai toujours mal au dos en les voyant faire ça… soupira Phichit en frottant machinalement ses lombaires alors que la petite Irina exécutait une très jolie pirouette Biellmann.
– Ah ça, on est pas tous égaux niveau souplesse ! sourit Otabek. Tu l’as tenu combien de temps, Yuri ?
– Jusqu’à mes 19 ans, mais ça devenait très chaud.
– T’étais impressionnant, n’empêche, se souvint Yuuri et Viktor hocha la tête avant de soupirer :
– Moi, à 15 ans, c’était mort. »
Lorsque vint le tour de Cindy, Viktor eut un petit sourire, soudain un peu plus intéressé, ce qu’indiquait aussi son index posé sur ses lèvres. Malgré une chute qui allait lui coûter pas mal de points, la demoiselle était plutôt très douée. Yuuri se dit qu’elle gérait mal sa vitesse, mais qu’il ne lui manquait pas grand-chose. Elle était très gracieuse et sa danse très jolie.
Mila fut impeccable et Sara également.
Puis vint la jeune Asuka et il ne fallut que quelques secondes à Viktor pour se redresser, soudain très attentif. Yuuri eut un sourire en le voyant. Un des plus grands espoirs du Japon, lui avait dit le vieux Katayama. Effectivement, il y avait du niveau. Un manque d’expérience flagrant, mais un très grand potentiel.
La jeune Nippone finit troisième, derrière Mila et Sara. Irina était cinquième et Cindy sixième et pas très contente de s’être plantée.
Il commençait à pleuvoir et le ciel grondait lorsqu’ils quittèrent Genève. La pluie ne cessant pas, ils renoncèrent à leur tour en ville et restèrent tranquillement à papoter sur la terrasse couverte de l’hôtel, contemplant l’orage, magnifique au cœur de ces montagnes. Viktor ne tint pas très tard et Yuuri le suivit, bien sûr, désireux lui aussi de bien dormir avant le Libre. Makkachin, fatigué d’avoir joué avec Snoopy, se coucha directement.
Viktor s’installa, comme au matin, bien confortablement contre le flanc de Yuuri. Ce dernier passa son bras autour de lui et s’endormit rapidement. Viktor profita un moment du souffle calme et régulier de son amant, profondément heureux d’être là, certain que c’était sa place, et pressé que cette sale histoire soit réglée.
*********
Endormi tôt, Yuuri se réveilla tôt et resta donc un moment, à écouter la pluie qui tombait toujours, tranquille.
Viktor n’avait pas bougé et dormait profondément lorsque le Japonais se dit qu’il devait quand même y aller, il avait un Libre à gagner cet après-midi-là.
Il se leva donc tout doucement pour ne pas réveiller Viktor. Makkachin dressa la tête, mais ne fit pas de bruit lorsqu’il vint prendre sa place plus près de son maître. Yuuri le caressa avant de se préparer et de quitter la chambre rapidement. Son compagnon n’avait pas bougé.
Il pleuvait vraiment fort et il se dit que si ça ne se calmait pas d’ici 8h, ça serait grillé pour le jogging ce matin-là. Ça lui arrivait de courir sous la pluie, mais celle-là était vraiment trop drue. Le veilleur de l’hôtel lui prêta gentiment un parapluie, même s’il avait déjà son K-way, pour qu’il arrive sec à la patinoire.
Il s’installa, comme il en avait pris l’habitude, dans la salle d’échauffement pour faire ses pompes, ses abdos et ses étirements.
Viktor et lui avaient un peu reparlé de la choré la veille au soir et le Russe avait des idées. Ils verraient ça tout à l’heure.
Comme les jours précédents, il fut rejoint, le temps passant, par pas mal de ses camarades. Betty vint même les rejoindre, désireuse de faire quelques exercices. Elle avait beau être en vacances, elle avait une ligne à tenir pour la reprise du tournage de sa série.
Et elle renonça très vite à suivre le rythme des personnes qui l’entouraient, impressionnée du niveau. Elle resta stupéfaite lorsque les garçons partirent sur un concours d’abdos qui consistait à en faire le plus possible en une minute. Yurio gagna sans mal. Ils embrayèrent sur un autre, là, il fallait tenir le plus longtemps possible et Yuuri les explosa en beauté.
Un peu avant 8h, le Japonais alla s’essuyer le visage et renfiler sa veste et Cindy lui demanda :
« Tu vas courir quand même ? »
Il dénia du chef :
« Non, je vais sortir Makkachin, ça me fera une pause. Viktor dort sûrement encore et notre vieux pépère n’a plus l’âge d’attendre pour faire ses besoins. »
Il croisa Phichit dans le couloir et reprit le parapluie pour courir à l’hôtel.
Il remonta rapidement à la chambre où, comme il l’avait pensé, Viktor dormait encore. Makkachin, par contre, attendait sagement derrière la porte et sortit dès qu’il l’ouvrit. Il jeta un oeil dans la chambre par acquit de conscience, mais rien à signaler. Viktor était bien couvert et toujours en chien de fusil du bon côté.
Il repartit avec le chien, se disant qu’il allait demander où ce dernier pouvait se soulager sans prendre la pluie, et bâilla alors que les portes de l’ascenseur s’ouvraient. Avant de sursauter violemment en reconnaissant la voix qui vociférait à la banque d’accueil.
Putain de bordel de merde.
Andrei.
L’anglais du Russe était vraiment exécrable et les deux pauvres employés tentaient de le calmer tout autant que le comprendre. Malgré l’heure encore matinale, plusieurs hommes de la sécurité surveillaient ça et quelques autres personnes le regardaient avec inquiétude.
Yuuri n’hésita qu’une seconde. Il s’avança d’un pas ferme, le visage fermé, vers le nouveau venu qui exigeait visiblement de voir Viktor immédiatement.
« Viktor dort encore, Andrei. » lui dit le Japonais dans un russe très posé.
Andrei sursauta et recula d’un pas, ne l’ayant pas vu venir.
« Et je ne suis pas sûr qu’il ait très envie de vous voir. » ajouta Yuuri en croisant les bras, fermement posé sur ses jambes.
Yuuri n’était pas beaucoup plus grand que le vieux responsable et il faisait facilement 20 kilos de moins. Mais il n’avait jamais eu peur de lui et ce n’était pas aujourd’hui que ça allait commencer. Il soutenait sans frémir ni ciller le regard haineux de son vis-à-vis, qui tremblait, de rage ou de dégoût, à moins que ça ne soit des deux, et il finit par lui dire :
« J’avoue que je ne m’attendais pas à vous voir débarquer ici.
– Où est Viktor ? gronda Andrei.
– Je viens de vous le dire, il dort encore.
– J’exige de le voir !
– C’est hors de question. »
Les deux hommes se toisèrent encore en silence, le Japonais aussi calme et froid que le Russe furieux et tremblant.
« Tu crois que tu pourras le garder prisonnier ?
– C’est vous qui me dites ça ? »
Yuuri eut un sourire rapide avant de reprendre, froid à nouveau :
« Qu’est-ce que vous voulez ?
– Tu le sais très bien, ce que je veux ! Je ne laisserai pas Viktor dans tes sales pattes, maudit pervers !… Je vais le faire soigner une fois pour toutes !
– …
– Je sais ce que tu manigances et je ne te laisserai pas faire ! Jamais, jamais tu ne voleras Viktor à la Russie ! Tu lui as assez volé de médailles ! »
Un grondement se fit entendre. Yuuri haussa un sourcil :
« Eeh… ?
– … Ne fais pas semblant de ne pas comprendre ! Je n’ai jamais compris comment tu avais réussi à le séduire, comment tu étais parvenu à le convaincre de te rejoindre au Japon, mais… »
Le grondement sourd s’était intensifié et Andrei s’interrompit en réalisant ce que c’était.
Makkachin s’avança, menaçant, laissant Yuuri autant qu’Andrei stupéfaits.
Makkachin, cette grosse peluche de 17 ans incapable de faire du mal à une mouche, le regardait avec des yeux brillants en montrant les crocs.
Andrei recula malgré lui alors que Yuuri, se reprenant, passait sa main dans ses cheveux. Puis le Japonais regarda le Russe avec un sourire :
« Vous savez, Andrei, la paranoïa, ça se soigne. Il paraît qu’il y a d’excellentes cliniques à Moscou pour ce type de pathologies. »
Andrei sursauta. Alors que le chien grondait toujours, Yuuri le rappela fermement. Makkachin cessa et le rejoignit sans vraiment quitter le Russe des yeux. Andrei cria encore :
« Ça ne va pas se passer comme ça ! Je vais tout expliquer aux autres ! Ils ne te laisseront pas faire !
– Si ça vous amuse. Ils sont à la patinoire, mais faites gaffe. Il y a des façons de mourir moins violentes que d’emmerder Yuri avec ce type de délires. »
Andrei partit en crachant des injures que le Japonais ne releva pas. Deux hommes de la sécurité le suivirent discrètement. Très inquiète, la jeune femme de l’accueil s’enquit en se tordant les mains :
« Tout va bien, M. Katsuki ?
– J’aurais besoin d’un endroit abrité pour faire faire ses besoins à Makkachin, s’il vous plaît ? »
Elle le regarda un instant avant de lui désigner une cour intérieure, il y avait un petit tas de fumier dans un coin couvert.
Il alla donc y lâcher le chien et prit son téléphone d’une main tremblante, restant lui près de la porte. Comme ça sonnait dans le vide, il jura en composant une autre numéro. Cette fois, ça décrocha :
« Oui, Yuuri ?
– Phichit, désolé, Yuri répondait pas, tu peux me le passer ?
– Ah, il est avec Betty et ça se bisouille…
– OK, alors tu enlèves immédiatement sa langue de la bouche de sa chérie avec mes excuses et tu me le passes, ça urge.
– Euuh, d’accord… »
Phichit n’insista pas. Il avait rarement entendu son ami si nerveux. Il entendit quelques voix de loin et un instant plus tard, celle de son jeune ami, goguenard :
« Ben qu’est-ce qu’y a, porcelet ? T’es perdu ?
– Andrei est là. »
Il y eut un blanc et Yuuri eut le réflexe salutaire d’écarter le téléphone de son oreille :
« CHTO ?!!! »
Sans la pluie, on aurait sûrement pu l’entendre de Genève.
« Yuri, reste calme, s’il te plaît. Il est parti pour vous rejoindre, là. C’est pour ça que je t’appelle.
– Qu’est-ce qu’il veut, ce connard ? »
Yurio s’était mis à parler russe et Yuuri l’entendit sortir dans le couloir.
« Viktor, bien sûr, répondit-il dans un soupir. Il est venu le sortir de mes sales griffes de pervers pour le faire soigner. Est-ce Yakov est vers vous ?
– Oui, il est arrivé… Je vais aussi prévenir Grand-Père… »
Yuuri entendit la voix d’Otabek et celle de Betty. Phichit ne devait pas être loin.
« Merci.
– On va s’en occuper. »
Yuuri hocha la tête :
« Oui. Je vais retourner avec Viktor.
– D’accord, ne le lâche pas, je te tiendrais au courant.
– OK. Il faut absolument que vous réussissiez à le raisonner avant que Viktor le voit.
– On verra si on y arrive, mais t’en fais pas, Yuuri. Reste près de Viktor en attendant. Ça va aller, on va lui apprendre à pas faire chier, à cet enfoiré.
– J’attends que tu me rappelles.
– Ouais. »
Yuuri raccrocha. Pourvu que tout se passe bien…
Il se frotta le visage et sursauta en entendant qu’on l’appelait, avant de s’apaiser en reconnaissant Albrecht Weissman.
« … Yuuri ? Est-ce que tout va bien ? »
Le vieil homme semblait très inquiet.
« J’espère… »
Makkachin revint et alla poliment le saluer, remuant la queue.
« Que se passe-t-il ? demanda Albrecht en caressant le chien. On m’a dit qu’Andrei Biolevine était là et qu’il vous avait euh, plutôt violemment parlé à l’accueil ?
– On peut dire ça comme ça… »
Le Japonais soupira, fatigué.
« Je vais retourner auprès de Viktor…
– Yuuri… »
Le vieil homme lui tapota le bras, navré :
« Je ne veux pas être indiscret, mais vous pouvez me faire confiance… Que se passe-t-il ? »
Yuuri grimaça et finit par soupirer :
« Disons que Viktor n’a pas quitté Saint-Pétersbourg que pour le plaisir de venir nous rejoindre. Il y a eu des soucis avec Andrei qui ont nécessité qu’il prenne le large rapidement…
– Mon Dieu, dans son état ? »
Voyant Nikolai sortir précipitamment de l’ascenseur, Yuuri hocha la tête. Les avisant, le grand-père de son ami les rejoignit :
« Yuuri ! Yurochka vient de me prévenir… Ça va ?
– Ça ira, Nikolai, merci.
– Retourne vite avec Viktor, on se charge du reste. »
Yuuri opina avec un petit sourire :
« Fais gaffe à ce que Yuri le tue pas.
– On va essayer d’éviter. »
Albrecht les regardait l’un l’autre. Il avait froncé les sourcils et demanda :
« Nikolai, est-il souhaitable que je vienne ?
– Je ne voudrais pas vous mêler à ça, mais c’est vrai que si Andrei sème du désordre ici, ça va vite être votre problème… »
Albrecht hocha gravement la tête :
« Alors je viens. Vous m’expliquerez ce que vous pourrez en route. Prenez soin de Viktor, Yuuri, quel que soit le problème, nous allons le régler.
– Eeh… Merci. »
Yuuri laissa les deux hommes partir rapidement et lui-même remonta.
La chambre était toujours sombre. Viktor dormait paisiblement. Yuuri reprit sa place près de lui, tentant de le faire sans le réveiller, mais il échoua. Une petite voix ensommeillée se fit entendre :
« Yuuchan ?…
– Oh… Désolé, Vitya.
– … Qu’est-ce que tu fais là ?…
– Il pleut, alors je me suis dit que plutôt que d’aller courir et tomber malade, j’allais venir te tenir compagnie le temps que tu finisses ta nuit… Dors, il est encore tôt. »
Viktor se blottit contre lui, tout sourire, tout content de ce câlin improvisé.
Yuuri passa son bras autour de ses épaules. Viktor se rendormit très vite. Le Japonais plia son bras droit sous sa tête. Sentant son portable vibrer, il regarda : Phichit. Ce dernier lui disait que suite à un souci à la patinoire de Genève, le Libre était reporté au lendemain.
Yuuri nota l’info. Vu ce qui arrivait, ce n’était pas un mal. Il ferma les yeux un instant.
Il devait se reconcentrer. Il était là pour gagner. C’était sa dernière compétition. Andrei ne lui, ne leur volerait pas ça. Il ne le laisserait ni lui prendre Viktor, ni gâcher ce championnat.
Viktor se resserra avec un frisson contre lui dans son sommeil. Yuuri sourit.
À quoi tu rêves, mon amour ?
*********
Yuuri caressait la tête de Viktor d’une main en bouquinant sur sa liseuse de l’autre lorsqu’un soupir et un bâillement l’informèrent que son beau Russe se réveillait. Il était 9h un peu passées et il n’avait toujours pas reçu de nouvelles des autres.
« Coucou, Vitya.
– Hmmm… »
Yuuri sourit en sentant Viktor se blottir un peu plus fort contre lui.
« Tu as bien dormi ?
– Super bien… J’ai fait un très joli rêve… »
Il s’étira doucement :
« On était sur une plage avec tout le monde et on mariait Yuri et Betty, et c’était toi qui recevais le bouquet quand elle le lançait alors on se mariait dans la foulée aussi…
– Oh… »
Yuuri gloussa en posant la liseuse et se tourna pour enlacer son amant :
« Ça te dirait ?
– De t’épouser pour de vrai ? Je ne sais pas si on pourra un jour, mais oui, ça me dirait bien. Pas toi ?
– Si, ça me dirait bien aussi. J’aimerais bien être ton mari, que tu sois le mien… »
Ils s’embrassèrent.
« … Mais j’ai bien peur que ça ne soit pas demain la veille, ni en Russie, ni au Japon…
– Bah, je suis sûr qu’on pourrait le faire ailleurs. »
Yuuri l’embrassa encore :
« Daïsuki. Tant que tu es près de moi, je n’ai besoin d’aucun tampon administratif pour être heureux.
– Ya lyublyu tebya vsem serdtsem… »
Le portable de Yuuri vibra et le jeune homme se tourna à regret pour le prendre. Ah, Yurio, enfin…
« Connard réexpédié à Saint-Pétersbourg. Venez quand vous voulez. »
Voyant Yuuri froncer les sourcils, Viktor s’inquiéta :
« Qu’est-ce qui se passe ?
– Eeto… »
Yuuri lui jeta un oeil gêné :
« … En fait… Andrei a débarqué ce matin…
– Chto ? sursauta Viktor.
– On s’est croisé, il était assez énervé, il voulait te voir, je lui ai dit que non, du coup il est allé voir les autres, Yuri m’a dit qu’il s’en chargeait… Yakov, Nikolai et M. Weissman devaient voir ça avec lui… Je pensais qu’ils allaient juste le calmer pour que vous puissiez vous parler et faire un point, mais… »
Il lui montra le texto.
Viktor était stupéfait.
« … Der’mo…
– Je suis désolé, Viktor… Je te jure que je voulais pas t’empêcher de le voir… »
Viktor regarda Yuuri, qui était vraiment navré, et lui sourit :
« Tu as fait ce que tu pensais être le mieux et je ne t’en demande pas plus, mon chrysanthème. »
Il caressa sa joue. Yuuri sourit en posant sa main sur la sienne.
« Allez, on se bouge ? Tu as un Libre à gagner, je crois…
– Haï… »
Yuuri se redressa en étirant ses bras :
« Il est reporté à demain, apparemment… Un souci à Genève, mais j’en sais pas plus…
– Bien, ça nous laissera le temps de voir ces pas tranquillement, alors… »
Un peu plus tard, ils descendirent au restaurant pour prendre leur petit-déjeuner. Snoopy les y accueillit joyeusement. Intrigués, ils avisèrent Yurio, qui se tenait la tête, vautré sur la table, entouré d’un Otabek grave et d’un Nikolai inquiet.
Yuuri et Viktor échangèrent un regard, alarmés, et les rejoignirent rapidement alors que les deux chiens commençaient à jouer.
« Qu’est-ce qui se passe ? demanda Viktor.
– Salut, vous deux… leur répondit Nikolai. Rien de grave, Yurochka avait besoin de se calmer un peu, ça va aller. »
Phichit arriva en courant :
« Tout va bien, tout va bien ! » dit-il, essoufflé, en s’arrêtant près de la table.
Yurio avait relevé la tête et le regardait avec des grands yeux un peu trop humides. Le Thaï continua après une inspiration :
« Juste une légère foulure, Cindy est restée avec elle, ils lui font un bandage et elles nous rejoignent. »
Tout le monde vit très clairement la tonne qui quitta les épaules du jeune Russe qui poussa un soupir à décoiffer douze chauves en se redressant. Il se leva, tremblant un peu :
« Je vais voir… »
Otabek échangea un regard avec Nikolai qui lui fit signe d’y aller et le Kazakh partit avec son jeune ami. Nikolai fit ensuite signe aux deux nouveaux venus de s’asseoir :
« Je vais vous expliquer. Tu peux leur montrer l’enregistrement, Phichit ?
– Bien sûr ! »
Yuuri et Viktor s’assirent près du vieil homme alors que le Thaï faisait de même en sortant son téléphone. Nikolaï expliqua :
« Nous avons demandé à Phichit de tout filmer, au cas où… Il n’est pas question de rien diffuser, mais on préférait qu’il reste des traces…
– Qu’est-ce qui est arrivé à Betty ? demanda Yuuri, inquiet.
– Regardez, ça sera plus simple… » dit Phichit en lui tendant le téléphone.
Il manquait le début de la conversation, ça commençait alors qu’on voyait Andrei et Yurio se faire face. Yakov était là aussi. Viktor était grave et Yuuri fronça un sourcil, le vieux Russe parlait très vite, encore plus énervé que quand il l’avait quitté. Au bout d’un moment, le Japonais soupira :
« J’arrive pas à suivre, là…
– Andrei est en train d’expliquer que tu me retiens prisonnier et qu’il faut absolument qu’ils l’aident à me récupérer, que tout est prêt à Moscou pour m’accueillir… Yakov lui demande ce que ça veut dire… Yurio râle que c’est pas moi qui ai besoin d’être soigné… sourit Viktor. … Andrei reprend… Bon sang, mais il a bu ou quoi ?… Bon, en gros il faut me couper de toi et me soigner parce que ça a assez duré… Et que leur complaisance envers toi a assez duré aussi… Qu’il ne comprend pas comment ils ont pu te tolérer si longtemps… Vu que tu n’as fait que me maintenir… Bozhe moy… Me maintenir dans mes perversions et… Voler des médailles à la Russie en espionnant nos méthodes et nos entraînements… »
Sur la vidéo, Yurio coupa plus que virulemment la parole à Andrei et Viktor continua à traduire. Phichit, qui avait filmé sans comprendre grand-chose, écoutait attentivement et Nikolai attendait. Il était arrivé à ce moment-là, avec Albrecht, et les paroles de son petit-fils l’avaient surpris autant qu’elles l’avaient ému :
« C’est quoi, ce délire ? Quand est-ce que Yuuri nous a volé des médailles ?
– Tu sais très bien ce que je veux dire ! Si ce dépravé n’avait pas séduit Viktor pour qu’il se mette à l’entraîner, vous auriez tous les deux été seuls au sommet et la Russie aurait brillé seule et…
– Mais t’as vraiment rien pigé… »
Yurio avait l’air plus atterré qu’en colère, il secoua la tête et reprit fermement :
« Yuuri ne nous a jamais volé la moindre médaille. Il les a gagnées, il les a souvent bien plus méritées que nous et ça a toujours été un honneur de me mesurer à lui. Jamais Viktor ni moi n’aurions atteint notre niveau actuel sans lui, Andrei. T’es vraiment qu’un pauvre con si tu n’as pas vu ça ! Viktor aurait raccroché depuis des années sans lui et moi, j’aurais jamais trouvé la motivation de m’améliorer à ce point ! Ouvre les yeux, Viktor crevait d’être seul au sommet, personne lui arrivait à la cheville et il en pouvait plus ! Et moi pareil, s’il n’avait pas déboulé là, s’il ne m’avait pas battu à Hasetsu, je serai resté à me complaire dans mes victoires et je me serais jamais bougé le cul ! J’ai pas gagné la médaille d’or du Grand Prix pour le fun, il y a six ans ! Je l’ai gagné pour qu’il perde, pour pas qu’il raccroche, parce que ça me foutait la gerbe qu’il laisse tomber ! Ça me foutait la gerbe qu’un mec qui avait autant donné pour atteindre ce niveau en partant de si bas lâche si tôt !… Merde, Andrei ! Yuuri n’a jamais eu notre talent, à Viktor et moi, il a pas grandi dans des écoles de patinage avec des super coachs à chaque coin de couloir, lui, il a pas eu de Yakov à 9 ans ! Il a dû bosser dix fois plus que nous pour arriver à nous rejoindre ! Et même maintenant, il se donne encore à fond, plus que nous, pour rester à niveau ! Clair que c’est pas un génie, mais c’est un bosseur comme on le sera jamais et ça a beau être un crétin, je le respecte pour ça ! »
Andrei grondait, mais ne trouvait rien à répondre. Alors que Betty, inquiète, rejoignait Yurio, Yakov était enfin intervenu :
« Yuri a raison, tu sais… Quoi que tu en penses, ce Japonais a fait beaucoup de bien à notre école. Sa persévérance en a inspiré beaucoup…
– Bon sang, mais vous êtes tous aveugles ou quoi ! Il est parvenu à vous amadouer à ce point ?!… Vous ne voyez pas qu’il n’a fait que s’incruster pour piller nos savoirs et je suis sûr qu’il projette de rentrer au Japon ! Nous priver de Viktor pour former des Japonais…
– Ah ben clair que si tu continues à les faire chier à ce point, ils risquent pas de rentrer ! jeta Yurio, moqueur.
– Andrei, reprit Yakov avec un regard à Yurio, Viktor ne veut pas quitter la Russie, arrête avec ça.
– Alors explique-moi pourquoi il est ici ! Pourquoi il a rejoint ce pervers ?!
– Parce qu’il ne veut pas être interné de force, c’est toi qui l’as fait fuir avec ça, bon sang !Et crois-moi, il ne rentrera pas tant que tu le menaceras de cette façon. Laisse-les tranquille, Andrei. Par pitié, ne le force pas à choisir, parce que ce n’est pas la Russie qu’il choisira, il ne perdra pas Yuuri pour nous.
– Et tu oses dire après ça qu’il n’a pas besoin de se faire soigner, alors qu’il est totalement dépendant de ce maudit Japonais !
– C’est un peu le principe, quand on est amoureux… »
Yurio avait dit ça le plus calmement du monde alors que Betty s’était serrée contre lui, ne comprenant rien, mais toujours très inquiète.
« C’est quoi qui te dérange ? Que Viktor soit avec un mec ou qu’il ne soit plus ton petit pantin docile à cause de ça ? C’est ça, ta façon de le remercier pour avoir tout sacrifié au patin pendant 20 ans ? »
Yuuri et Viktor pensèrent exactement ensemble un « oh noooooon » en voyant le vieux Russe serrer les poings et hurler :
« Viktor me doit tout !
– Conneries ! Tu lui as ouvert la porte, c’est tout ! C’est Yakov qui l’a géré et son propre génie qui l’a porté ! Toi, t’es resté à ramasser ses médailles et te pavaner avec ! Ça fait des années que t’es juste un poids pour lui à le faire chier ! Viktor deviendra pas hétéro pour tes beaux yeux !… »
Le jeune homme lâcha sa petite amie pour aller se planter devant Andrei et le fixer droit dans les yeux :
« … Et si tu t’obstines à essayer de le foutre à l’asile, t’auras affaire à moi et crois-moi, je serai pas le seul ! »
La suite fut assez confuse. Betty s’était approchée et, voyant Andrei lever brusquement le bras pour frapper le garçon, sans aucun doute possible, elle voulut dans un réflexe l’attraper pour le retenir. Le vieux Russe n’eut aucun mal à l’envoyer promener, elle cria en tombant et personne ne put retenir Yurio.
Le garçon balança une droite monumentale à Andrei avant de se jeter sur lui. L’image bougea, Phichit expliqua qu’il avait voulu intervenir, mais qu’Otabek lui avait dit de continuer de filmer.
Il avait fallu toute l’énergie du Kazakh, de Chris et JJ, approchés entre temps, et des deux hommes de la sécurité présents sur les lieux pour parvenir à faire lâcher prise à Yurio qui hurlait à Andrei des menaces de mort très claires liées à une interdiction formelle de retoucher à Betty.
Yakov et Nikolai avaient aidé un Andrei bien amoché à se relever. Ce dernier restait furieux et cria encore une chose avant que la vidéo ne soit coupée :
« Viktor reviendra en Russie, de gré ou de force et si c’est de force, il s’expliquera avec les juges ! C’est sa dernière chance ! »
Ça coupa là. Viktor avait froncé les sourcils, se demandant bien ce qu’Andrei voulait dire, alors que Nikolai expliquait :
« Yakov et M. Weissman ont accompagné Andrei à l’hôpital tout de suite, ils ne devraient pas tarder à revenir, il a finalement refusé d’y aller pour rentrer directement à Saint-Pétersbourg… Betty avait mal au bras, on l’a emmenée à l’infirmerie… Rien de grave, alors on est venu ici avec Yuri pour qu’il se calme… »
Yuuri hocha la tête, confus. Il était soulagé qu’Andrei soit reparti, triste que ça se soit fini ainsi, tout autant qu’inquiet de la menace latente et ému de ce que Yurio avait dit de lui. Lui aussi se demandait bien ce qu’Andrei voulait dire ? Il était certain que Viktor n’avait rien fait de mal et l’homosexualité seule n’était pas illégale en Russie ? Quel traquenard avait monté cet homme ?…
Viktor rendit son téléphone à Phichit.
Le serveur se permit enfin de venir s’enquérir si tout allait bien et de prendre commande.
Phichit rangea l’appareil :
« Merci pour la trad’ !
– De rien, merci d’avoir filmé.
– J’espère que nous n’aurons pas à nous en servir… soupira Nikolai.
– J’espère aussi… » soupira aussi Viktor.
Sentant son Yuuri un peu secoué, il passa son bras autour de ses épaules pour le serrer contre lui.
« Et sinon, demanda-t-il pour changer de sujet, c’est quoi cette histoire que le Libre est reporté à demain ?
– La patinoire a pris la foudre cette nuit, figure-toi ! lui répondit Phichit. Du coup, le temps qu’ils réparent, mort pour cet aprem. Alors on passe demain à 14h, avant les filles qui restent à 16h.
– D’accord… Pas plus mal, après ce bazar…
– C’est sûr, ça va laisser la tension retomber… »
*********
La petite bande revint à la patinoire un peu plus tard, se remettre au boulot. Globalement, les patineurs prenaient plutôt avec philosophie le report du Libre, à l’exception de John, stressé par un Billy à cran et une mère qui le bassinait avec son devoir de faire honneur à sa patrie. Le garçon aurait bien voulu être débarrassé au plus vite de cette compétition, ne serait-ce que pour pouvoir dormir.
Betty, son poignet gauche bandé avec soin, alla s’asseoir sur un banc avec Hiroko et Toshiya. La petite Aki resta à jouer avec Makkachin et Snoopy autour de la glace.
Les deux Yuri, Otabek, Phichit et Cindy se lancèrent. Viktor se posa au bord, accoudé à la barrière et Chris le rejoignit :
« Ça va ? »
Le Russe hocha la tête.
« Il voulait quoi, ce gars ? On a pas compris grand-chose ?
– … »
Viktor haussa les épaules. Il expliqua vite fait à son vieil ami ce qui s’était passé. Chris avait froncé les sourcils, les poings sur les hanches.
« Ah ouais.
– Ouais.
– Moche.
– Ouais.
– Si tu veux rester un peu ici, ça devrait pouvoir se négocier ? La Suisse te fera pas chier avec ça…
– Je note, merci. Au fait, t’es toujours avec ton, euh…
– Ludwig.
– Ludwig, c’est ça.
– Oui, on est toujours ensemble. Il sera là dimanche, il bosse, il est à Paris.
– Ah, Paris, longtemps que j’y suis pas allé… Il fait quoi, rappelle-moi ? »
Chris s’appuya sur la barrière à ses côtés :
« Il est chercheur en énergies renouvelables, pour faire simple. Là il fait quelques conférences…
– Waouh. Tu as fait comment pour rencontrer un chercheur ?
– Internet.
– Oh. Logique… »
Un moment plus tard, entendant, pas très loin de lui, Billy engueuler John qui n’arrivait pas, et de moins en moins, à faire une combinaison de sauts, Viktor, qui faisait des bulles avec son chewing-gum en surveillant son Yuuri, sourit et dit :
« Il gère mal la vitesse et la transition entre les deux, c’est pas grave… »
Billy se tourna violemment :
« De quoi vous vous mêlez, vous ! »
Viktor eut un sourire en coin :
« Non, mais moi je dis ça, c’est pour lui, hein… »
Il fit une autre bulle avant d’ajouter :
« Et vous devriez le laisser souffler avant qu’il s’écroule, aussi. »
John regardait Viktor :
« Comment je pourrais faire pour mieux gérer la vitesse ? »
Viktor lui sourit :
« Attends, on va te montrer… »
Billy s’approcha du Russe, menaçant :
« Non mais vous allez vous occuper de votre cul, ouais !
– Quoi, vous avez pas envie qu’il s’améliore ?
– On a pas besoin de vos conseils pour ça ! »
Viktor se redressa calmement. Il était largement plus grand que le coach, mais la hauteur avec lequel il le regarda, sans perdre son petit sourire, n’était pas que physique. Et Billy le comprit très bien. Il gronda :
« Retournez vous faire baiser par votre sale bouffeur de riz…
– Si seulement ! le coupa Viktor. C’est une activité qui me convient très bien d’habitude, mais là j’ai une côte cassée. »
Albrecht Weissman et Yakov revinrent enfin.
« Qu’est-ce que tu fabriques encore ? grogna le vieux coach.
– Ah, vous voilà. Tout va bien ? s’enquit Viktor.
– Andrei Biolevine est reparti, lui répondit Albrecht. Mais il ne voulait rien savoir… Je suis vraiment navré, Viktor, nous avons tout tenté… Quoi qu’il en soit, sens-toi libre de rester ici aussi longtemps qu’il le faudra et avec Yuuri, bien sûr, ajouta le vieux Suisse en tapotant amicalement son bras.
– Je rappellerai Sergei tout à l’heure… » conclut Yakov.
Viktor hocha la tête :
« Merci pour tout. J’espère vraiment que ça va s’arranger… »
Puis Albrecht regarda Billy, qui était toujours grondant.
« Que se passe-t-il ?
– Il se passe que j’ai pas besoin de l’aide de ce… Que j’ai besoin de l’aide de personne pour coacher John ! » aboya l’Américain.
Viktor eut encore un sourire :
« Si vous le dites… Moi ça fait une demi-heure que je vous entends l’engueuler sans lui donner d’autres conseils que “tu vas te concentrer oui t’es nul”, ce qui me paraît léger, même si je n’ai que six ans de coaching derrière moi, je vous l’accorde. Après, je proposais juste de lui montrer, c’est tout. »
Yakov observa John qui les regardait l’un après l’autre sans trop savoir quoi faire et le vieux coach dit :
« Il a surtout besoin d’une bonne pause. »
Billy serra les poings :
« Non, mais ils vont me lâcher les Ruskoff !
– Restez correct, M. Bull, lui ordonna Albrecht.
– Z’ont qu’à pas faire chier, merde ! Déjà l’autre pisseux l’autre soir, maintenant ces deux-là !… »
Albrecht avait froncé les sourcils. Mais ce fut John qui intervint, posant sa main sur le bras de son entraîneur :
« Eh cool, ils veulent juste m’aider… »
Billy se dégagea violemment en s’écriant :
« Toi tu pourras causer quand tu sauras sauter !… »
Déséquilibré, John ne dut son salut qu’à Otabek qui s’était approché avec d’autres et le rattrapa de justesse alors que Billy continuait en s’avançant :
« … C’est pas un enculé suceur de Jap’ et un vieux schnok qui vont me donner des leçons ! »
Personne ne saura si Billy aurait vraiment frappé qui que ce soit, mais il ne le put pas.
Viktor avait attrapé sa béquille posée près de lui et en un battement de cils, il la tenait contre la gorge du coach, plaquant ce dernier contre la barrière, et il lui jeta en le regardant droit dans les yeux :
« L’enculé suceur de Jap’ est aussi le fils d’un héros de guerre de l’Armée Rouge, monsieur l’Amerloc. N’oublie plus jamais ça. »
Les yeux bleus-verts étaient glaciaux et Viktor attendit de le voir se décomposer avant de le libérer.
Sur la glace, Otabek soutenait toujours un John flageolant, épuisé et choqué de la façon dont il avait été jeté. Attirée comme les autres, Jenny Wesley approcha, furieuse :
« Non, mais ça va pas, Billy ! Tu vas arrêter les conneries ?! Qu’est-ce qui t’a pris de pousser John comme ça, tu veux le blesser ou quoi ?! »
Elle fulminait :
« Bordel, y en a vraiment marre, là ! T’as oublié ce qu’Alan t’a dit ? C’est comme ça que tu traites le plus grand espoir de notre pays ?!
– Mêlez-vous de ce qui vous regarde, Jenny ! intervint enfin Linda.
– Ça me regarde ! Je suis pas là pour la déco, je vous rappelle que c’est MOI la responsable US ici ! Et ça fait trois jours que je supporte vos merdes, mais là, désolée, vous allez arrêter ça et tout de suite ! Billy, tu dégages, je veux plus voir ta gueule jusqu’à ce qu’Alan décide de ton sort ! Et vous Linda, si vous voulez rester, vous avez intérêt à fermer votre gueule ! Est-ce que je suis claire ?! »
Albrecht, Yakov et Viktor échangèrent un regard stupéfait. Linda s’avança et cria :
« Vous n’avez pas le droit de…
– J’ai le droit ! Tout comme vous avez le devoir de m’obéir, au nom de la Fédération et des USA ! À part si vous voulez rentrer direct et que nous soyons la risée de tous ?! »
L’argument patriotique fonctionna sur Linda qui ne put rien répliquer. Quant à Billy, il partit en jurant, mais il partit quand même.
John avait regardé ça, tout tremblant. Emil, près de lui, soupira :
« Eh ben y a de l’ambiance, ce matin ! »
Jenny avait repris son calme, enfin autant que possible, et regarda Viktor :
« Désolée, sincèrement.
– Ce n’est pas grave, Jenny. Merci beaucoup, lui répondit-il gentiment. Ça ira ?
– Ouais, ouais, t’en fais pas. »
Elle regarda John, pâle, qu’Otabek venait de ramener au bord :
« Toi, pause. Reprends-toi, je vais appeler Alan tout de suite. »
Elle fila alors que, comme Linda fumait toujours, Albrecht soupirait et il rejoignit le garçon :
« Venez vous asseoir, John, ne craignez rien. Je suis sûr que tout va bien se passer… »
Il l’emmena aimablement jusqu’à un banc tout proche où l’adolescent tomba plus qu’il ne s’assit.
Sur la glace, les deux Yuri avaient suivi ça de loin, l’aîné retenant le plus jeune qui n’aurait rien eu contre aller régler son compte à Billy.
« Non, Yuri, sérieux, t’as assez cogné pour aujourd’hui ! »
Lorsqu’Otabek revint vers eux, son jeune ami russe demanda :
« Il va bien, le gosse ? »
Otabek opina :
« Ouais, ça ira. Bon, on est débarrassé de Billy, on va pouvoir se mettre au point pour dimanche. »
Yuuri finit sa pirouette et les rejoignit sur une jambe, zigzagant tranquillement.
« Ouais, ça c’est cool, approuva Yurio.
– Viktor ne sera pas là en début d’aprem, il doit passer faire ses examens médicaux à Genève, on pourra voir ça tranquille, dit le Japonais en virevoltant autour d’eux avant de s’arrêter.
– Tu ne voulais pas y aller avec lui ?
– Ben non, comme je devais pas pouvoir à cause du Libre, on avait vu pour que mes parents l’accompagnent et on est resté là-dessus. Il veut que j’assure demain, alors il préfère que je bosse ici.
– Cool, on va pouvoir comploter tranquille ! » intervint Phichit, arrivé près d’eux entre temps, en tapotant ses mains.
Viktor faisait toujours des bulles avec son chewing-gum lorsqu’un peu plus tard, Jenny revint et lui tendit son téléphone :
« Alan voudrait te parler ?
– Ah ? Merci… »
Il prit l’appareil avec un sourire alors qu’elle allait rejoindre John.
« C’est quelle heure, à Dallas ? demanda le Russe, amusé.
– Beaucoup trop tôt ! lui répondit une voix fatiguée.
– Salut, Alan.
– Salut, Viktor. Ça va ?
– Tranquille. Et toi, monsieur le responsable des entraîneurs de la fédération américaine ?
– Comme un gars réveillé au milieu de la nuit par un coup de fil. Désolé pour Billy…
– Oh, c’était rien de grave. C’est plus pour le gamin que ça n’allait pas… continua Viktor en jetant un oeil par-dessus son épaule à John, qui faisait des étirements sur son banc, entre une Jenny réconfortante, un Albrecht tout gentil et une mère raide comme la justice et muette de colère. Sérieux, vous aviez que ça pour votre plus grand espoir ? »
Le soupir d’Alan fut une réponse éloquente en soi.
« C’est le seul que sa mère tolérait parce qu’il est aussi con et bigot qu’elle.
– Sérieux ? Pourtant, c’est quand même pas ça qui vous manque, les cons bigots, au Texas !
– Ben, en entraîneurs, si… »
Alan soupira encore :
« Il est pas si mauvais, mais il boit trop et il sait pas gérer John…
– J’ai su et vu. C’est connu, pourtant, qu’il faut pas tenter de concours à boire avec Yuri et moi…
– Ouais… Enfin bon, on a peut-être une chance de régler ça. Maintenant que John est chez les seniors et que Billy a vraiment chié dans la colle, on va enfin pouvoir foutre la pression à Linda pour qu’elle lâche du lest… Et John lui-même va de plus en plus avoir son mot à dire…
– Ouais, ben trouve-lui mieux que ça. Sérieux, vous en avez des bons, quand même !
– Je vais chercher. Ça te dirait pas ?
– Moi ? Pourquoi ?
– ’Parait que ça chauffe avec ta fédé… »
Viktor rigola en se ré-accoudant à la barrière. Yuuri fit un joli saut un peu plus loin. Les pas s’enchaînaient mieux, mais ce n’était pas encore tout à fait ça.
« Les nouvelles vont vite.
– Ah ben on peut pas dire que ton départ de Russie ait été super discret et Jenny m’a dit pour la visite de Biolevine. Il veut toujours te marier avec sa nièce ?
– Oh, plus spécifiquement avec sa nièce, je pense que n’importe quelle entité de sexe féminin lui conviendrait, maintenant, tant qu’elle est à peu près humanoïde.
– T’as pensé à mettre une robe à Yuuri ?
– Trop tard. Y aurait fallu la mettre direct… Et puis Yuuri serait pas d’accord.
– Ah ben s’il y met pas du sien… Enfin bref, si jamais le Kremlin t’emmerde trop, hésite pas à m’appeler. Tu pourrais être très tranquille chez nous… Enfin, vous pourriez, Yuuri et toi. »
Viktor eut un sourire et haussa les épaules.
« Je vais voir comment ça se passe, on a rien décidé et on va commencer par prendre de bonnes vacances. Un bon break nous fera du bien, je pense.
– Pas de souci… Penses-y juste.
– Information notée. Tu veux que je lui file un coup de main pour aujourd’hui, à ton espoir, en attendant ? Jenny a un peu de taf avec Leo et Cindy et moi, Yuuri est grand, je peux gérer ton petit en plus.
– Merci, ça serait sympa… Jenny a effectivement du boulot.
– Y a pas de souci. Ça te fera une bouteille du whisky de ton oncle.
– Aucun problème ! Tu peux me passer John ?
– Bien sûr. »
Viktor se redressa, reprit sa béquille pour rejoindre le banc tranquillement :
« En tout cas, ça m’a fait plaisir de te parler, Alan.
– Moi aussi, Viktor. Je suis content que tu ailles bien et j’espère que tu pourras vite rechausser tes patins. À bientôt.
– Merci ! Au plaisir ! »
Le grand Russe sourit au garçon qui le regardait avec de grands yeux, intimidé, et lui tendit le téléphone sans accorder la moindre attention à Linda qui s’était encore raidie à son approche, pour autant que ça soit possible. Jenny ne dit rien.
« Tiens, Alan veut te parler. »
John lui prit le téléphone d’une main peu sûre, mais Viktor se contenta d’un signe de tête et il retourna observer Yuuri en attendant.
Il soupira, rêveur, en s’accoudant une nouvelle fois à la barrière.
C’est la musique qui m’a attiré… Tu patines comme si ton corps en jouait…
Il entendait la chanson rien qu’en le regardant. Même s’ils avaient chorégraphié ça ensemble, son compagnon s’était approprié cette danse de façon tout à fait admirable.
Il se souvint avec un sourire attendri de la demande de Yuuri, mains jointes devant son visage à l’hôpital, alors que lui-même venait de parvenir à le convaincre de ne pas déclarer forfait comme lui avait dû le faire.
« Onegai.
– Yuuchan…
– Onegai onegai onegai.
– Tu veux vraiment faire ça ? »
Il avait pris ses mains et Yuuri s’était redressé, les regardant droit dans les yeux, déterminé comme rarement :
« Je ne partirai pas à Genève si tu refuses ça.
– Mais tu t’es entraîné si dur sur ton Libre ?…
– Ça m’est égal. J’aurais d’autres occasions de le danser. Je… »
Yuuri avait soupiré en regardant ailleurs un instant, cherchant ses mots. Puis il l’avait regardé à nouveau, fronçant les sourcils :
« Je veux danser sur Crazy in Love à ta place. »
Ses mains s’étaient serrées sur celle de Viktor.
« Je sais ce que cette danse représente pour toi. Je veux la danser à ta place, Vitya. S’il te plaît. Je veux montrer ça au monde. … »
Il avait pris le visage de Viktor entre ses mains et posé son front contre le sien sans que les yeux bleu-vert et les yeux bruns ne se lâchent :
« … Je veux que tous puissent admirer ton au-revoir, ton dernier message, comprendre ta danse. Te comprendre. »
Viktor avait souri et posé ses mains sur les siennes.
« D’accord. »
Il avait embrassé Yuuri avec douceur :
« Elle te ressemble aussi, après tout… »
Yuuri avait souri et hoché la tête :
« Un peu. »
Ils avaient ri tous deux.
« Merci, Vitya.
– Merci à toi, mon amour, merci de danser ça pour moi. »
Le sourire de Viktor s’élargit quand il entendit la petite voix timide derrière lui :
« Euh… Monsieur… ?
– Tu peux m’appeler Viktor, John.
– Ah euh… D’accord. »
Il se redressa et se tourna. Le garçon le regardait, mal à l’aise. Sa mère ne disait rien, mais le serrait de près, sans doute persuadé qu’il allait le dévorer, allez savoir. Jenny n’était pas loin :
« Je peux te le laisser ? Tu m’appelles si besoin.
– Pas de souci, Jenny. File t’occuper de Leo, il a l’air d’avoir un souci, il tourne en rond depuis cinq minutes…
– Ah ? »
Elle sourit :
« Et Cindy ?
– Trop nerveuse. Très douée, mais il faut qu’elle lève le pied, elle va trop vite et ça fausse ses mouvements. »
Jenny éclata de rire :
« Bon sang, t’es incroyable ! »
Il haussa les épaules.
« Allez, profite, John, dit encore Jenny en partant. C’est pas tous les jours que tu auras un entraîneur de ce niveau ! À tout à l’heure ! »
L’adolescent s’était raidi et Viktor toussota pour étouffer son rire. Linda avait serré les poings. Le grand Russe sourit ensuite à John :
« Ça va, tu as pu souffler ? Tu te sens à reprendre un peu ?
– Ça devrait aller… Merci beaucoup de t’occuper de moi…
– De rien. Je t’en prie.
– D’où connaissez-vous Alan Neels ? » demanda Linda, s’imaginant sans doute un complot.
Viktor lui sourit, amusé :
« Je patine en international depuis 19 ans, madame. Il n’y a pas grand monde que je ne connais pas dans les fédérations. Alan, je l’ai affronté à la toute fin de sa carrière, au début de la mienne. Un très grand patineur. On est toujours resté en bons termes. Le fait de ne jamais avoir réussi à me convaincre de rejoindre les États-Unis doit être un de ses grands regrets. Il vient de réessayer, d’ailleurs. »
Laissant Linda grommeler, il se retourna vers John :
« Alors, où en étais-tu ? Une combo, c’est ça ?
– Oui… Triple boucle et double axel… J’arrive pas à les enchaîner…
– J’ai vu. Souci de vitesse et de transition, comme je te disais. »
Viktor se tourna et tendit la main à la seconde où Yuuri fut à la bonne distance pour la saisir.
La main gantée du Japonais se referma sur celle de son amant et il demanda doucement :
« Oui, Viktor, qu’est-ce qu’il y a ? »
Si Linda grimaça, choquée et outrée de ce geste pourtant incroyablement naturel, une question bien plus prosaïque avait frappée John, qui était stupéfait.
Comment Yuuri Katsuki avait-il deviné que Viktor voulait qu’il vienne ?!
Il n’avait pas vu le Russe l’appeler, ni faire le moindre signe.
Bon sang, mais ces deux hommes étaient-ils proches au point d’être télépathes ?!
Viktor embrassa la main gantée et répondit :
« Nous aurions besoin de tes talents.
– Dis-moi ? »
Viktor le tira pour l’embrasser, puis lui demanda :
« Pourrais-tu nous faire un triple boucle et double axel pour montrer à notre jeune ami ? »
Yuuri fit une petite bulle de chewing-gum qui éclata avant de hocher la tête.
« Pas de problème. »
Il rendit le chewing-gum à Viktor comme il l’avait pris et il repartit sur la glace :
« Pardon les gens, j’ai besoin d’un peu de place ! »
Les autres s’écartèrent poliment pour le laisser exécuter la manœuvre, ce qu’il fit avec une facilité assez déconcertante. John regarda attentivement et Viktor filma avec son portable.
« Ça ira ? » demanda Yuuri en revenant.
Viktor opina et lui sourit :
« Oui, merci. Ça devrait aller.
– De rien. Sinon, tu as vu ?
– Oui. C’est beaucoup plus fluide comme ça, déjà, mais je pense qu’on peut faire encore mieux. Comment tu trouves la mangue ?
– Pas mal, mais je préfère chlorophylle.
– Il en reste.
– Super ! Bon, j’y retourne. N’hésite pas si besoin. Bon courage, John ! »
Yuuri repartit et John demanda :
« Tu ne le coaches pas plus que ça ?
– Il n’en a plus besoin. Lui, maintenant, c’est si je remarque quelque chose ou s’il demande. Tu as vu comment il faisait ?
– Oui, il s’élance moins vite que moi…
– Oui et ça suffit. Le mouvement de ton premier saut, s’il est bien géré, suffit à t’entraîner pour le second… »
Viktor lui repassa la vidéo au ralenti pour bien décomposer les gestes, lui expliquant posément tout, et le garçon s’élança bientôt sur la glace pour refaire un essai. Sans être parfait, c’était quand même nettement mieux.
Yuuri, qui revenait, décidé à s’en tenir là, car il était presque midi et qu’il avait faim, le vit faire et sourit :
« Eh, bien ! »
Il sortit et remit ses protège-lames. Linda s’était écartée avec dégoût.
Hiroko, qui arrivait avec les autres, vint gentiment vers lui, toute sourire :
« Ça va, Yuuri ? Tu as bien travaillé ?
– Merci, Maman. Ça va, oui. On progresse !
– Tu dois être affamé ! »
Son estomac répondit avant lui, les faisant rire.
Toshiya demanda :
« Vous savez où est Aki ?
– Elle courait autour de la patinoire avec les chiens, elle ne doit pas être loin… »
Ne la voyant pas, ils se demandèrent que faire et Viktor siffla Makkachin. Un aboiement lui répondit d’un angle de la salle. Intrigués, mais pas inquiets, Yuuri et son père allèrent voir pour découvrir, attendris, la fillette endormie contre le vieux chien, Snoopy couché aussi contre eux. Yuuri prit doucement sa nièce dans ses bras alors que les deux chiens se levaient et s’ébrouaient. Ils rejoignirent le reste de la bande alors qu’Aki se réveillait.
Un peu plus tard, tout le monde alla manger. Puis Hiroko et Toshiya partirent avec Viktor à Genève pour qu’il aille faire ses examens.
Ceux-ci se passèrent sans souci et confirmèrent que tout allait bien. Les côtes fêlées étaient remises, la cassée se ressoudait tranquillement. L’hématome commençait à se résorber.
Le genou prendrait plus de temps. Il fallait que Viktor ne reprenne pas le patin trop vite et surtout qu’il le fasse en douceur. Interdiction formelle de sauter, surtout en se rattrapant sur cette jambe, jusqu’à nouvel ordre.
« Pas de souci. Je ne prendrai pas le risque de ne plus pouvoir sauter du tout… soupira Viktor.
– Mon Dieu, un sportif raisonnable ! » sourit le médecin.
Viktor, qui se rhabillait avec l’aide d’une infirmière toute rose, lui sourit aussi.
« Je ne l’ai pas toujours été, mais j’ai passé l’âge de me mettre en danger et puis, de toute façon, je pars en retraite… »
Le médecin sourit encore :
« Vous savez qu’il y a plein de choses dans la vie en dehors du patin ?
– C’est ce que dit la légende ! rit Viktor. Mais j’ai beaucoup de retard. Je lis déjà beaucoup plus qu’à une époque et des rumeurs prétendent que j’ai des milliers de choses à voir… Et ça complote pour me mettre au jeu vidéo, aussi.
– Parfait, installez-vous confortablement, calez bien votre dos, vos bras et votre jambe, quoi que vous fassiez, lire, regarder un film ou sauver je ne sais pas quel univers. Beaucoup de repos et dans quelques mois, vous sauterez à nouveau comme un cabri.
– Super ! J’adore me prendre pour un cabri.
– Alors, tout va bien. Bon, sinon, je vais baisser les anti-douleurs. Je pense que ça ira, mais n’hésitez pas à remonter les doses si besoin.
– Ça devrait aller… Je ne suis pas douillet. »
Hiroko et Toshiya remercièrent chaleureusement le personnel de l’hôpital. Le médecin leur dit de souhaiter bonne chance à leur fils et de prendre bien soin de leur gendre, ce qu’ils promirent, faisant encore sourire Viktor.
Désireux de laisser aux patineurs le plus de temps possible pour répéter leur surprise, Hiroko et Toshiya demandèrent à leur beau-fils de leur faire faire un petit tour à Genève, sous prétexte de trouver un cadeau pour les deux Yuri.
Viktor, qui s’était quand même engagé à coacher John, se permit un petit coup de fil pour être sûr qu’il pouvait se le permettre, mais Yuuri et Jenny lui assurèrent qu’il n’y avait aucun souci, qu’ils géraient et qu’il pouvait prendre son temps.
Ils ne revinrent donc vers 16 h, tranquilles, pour découvrir les patineurs qui travaillaient sagement, Betty qui jouait à cache-cache avec Aki et les chiens autour de la glace, et Linda Ross assise dans les gradins, seule.
Yuuri rejoignit bien sûr immédiatement le bord en les voyant arriver. Yurio et Yakov approchèrent également. Mis au courant des résultats des examens, ils furent tous soulagés.
Yuuri et Yakov remercièrent les parents du Japonais d’avoir accompagné Viktor et ces derniers répondirent gentiment que c’était normal d’aider un membre de sa famille. Ce qui fit encore sourire Viktor, tout comme son amant, d’ailleurs.
« Sinon, tout s’est bien passé, ici ? demanda ensuite Viktor.
– Oui, oui, on a été sage, répondit Yuuri. On a empêché Yuri de tuer Linda Ross… Depuis, Jenny l’a virée et elle boude.
– Z’auriez dû me laisser lui en foutre une ! grogna Yurio.
– Qu’est-ce qui s’est passé ? s’enquit Hiroko, un peu inquiète.
– Ben John a fait une chute, expliqua Yuuri, sauf qu’en fait, j’étais à côté et je l’ai rattrapé, et du coup, ben, je l’ai aidé à se remettre sur pieds et j’ai machinalement frotté son dos pour virer la glace… »
Il soupira en secouant la tête alors que Yurio continuait :
« Et bien sûr, madame connasse s’est mise à hurler au viol.
– Aïe, reconnut Viktor.
– Donc, elle gueulait, Otabek et Phichit ont réussi à bloquer Yuri, John l’a rejoint pour la calmer, moi je n’ai pas osé, Jenny l’a rembarrée et lui a ordonné de dégager une fois pour toutes… Du coup, elle a été s’asseoir là… Et bon, ben, clair qu’on l’entend plus… Mais c’est pas moi qui vais aller lui demander si ça va…
– Je m’en occupe, dit Hiroko. J’ai mon thermos de thé, je vais aller lui en proposer…
– Euh, d’accord… »
Hiroko sourit et repartit tranquillement. Elle prit son sac et monta paisiblement rejoindre Linda, sous l’œil dubitatif, surpris ou inquiet des autres. Seul Toshiya était souriant, confiant et Yuuri soupira avec un petit sourire aussi.
« Ça ira ? demanda Yurio, sourcils froncés.
– Oh, je pense que s’il y a une personne ici qui peut tenter le dialogue avec cette femme, c’est bien Hiroko, répondit Toshiya.
– Clair, elle s’y connaît, ajouta Viktor et il sourit à son jeune compatriote : Elle a bien réussi à te mater, toi. »
Pendant que Viktor esquivait une tape de Yurio, Hiroko, elle, avait effectivement offert du thé à Linda qui, bien que très surprise, n’avait pas osé refuser et la Japonaise s’était assise près d’elle sans rien ajouter, attendant. Au bout d’un moment et alors que Viktor et Yuuri s’étreignaient tendrement au bord de la glace, Linda demanda avec un frémissement de dégoût :
« Mais comment faites-vous pour supporter ça ?
– Hm ? sourit Hiroko. Supporter quoi ?
– Que votre fils… Avec cet homme… »
Hiroko sourit encore :
« Mon fils est heureux. Ce n’est pas très dur à supporter. »
Linda la regarda et Hiroko continua :
« Yuuri m’a longtemps un peu inquiétée, vous savez. Ça a toujours été un garçon très secret et très solitaire. Enfant, il n’avait pas d’amis, mis à part Yuuko, qui patinait avec lui. Il a commencé la danse, le patinage, malgré les brimades, et nous avons vite compris qu’il avait vraiment un réel talent pour ça et que nous devions l’encourager. Il s’est mis à admirer Viktor quand il avait 11 ou 12 ans, je dirais. Il n’a plus eu d’autre rêve, à ce moment-là, que d’atteindre son niveau pour l’affronter un jour et lorsqu’il en a enfin eu l’occasion, il a craqué et il en a été incapable. Il avait tant donné que j’ai eu très peur… Vraiment peur qu’il ne s’en remette pas… Mais il s’est accroché comme il pouvait… Et puis Viktor est arrivé. »
Hiroko eut un petit rire. Linda écoutait, sceptique, mais silencieuse.
« Yuuri était tout paniqué !… Et nous, nous nous sommes vraiment demandé qui était ce grand homme et ce qu’il venait faire là. Enfin, qui il était, nous le savions, mais ce qu’il voulait à notre fils… C’était très drôle de les voir, aussi maladroits l’un que l’autre… Yuuri était fasciné par son idole, mais ce n’est pas d’elle qu’il est tombé amoureux… C’est de l’homme qu’il a découvert derrière elle. Et Viktor… J’ai eu l’impression d’un grand gamin en vacances, tout fou, comme libéré… J’ai compris, depuis, qu’il n’avait pas vraiment eu ni d’enfance ni d’adolescence… Aucune famille… Juste le patin. Il m’a dit jour qu’on l’avait entraîné, qu’on l’avait admiré, fantasmé, idolâtré, mais que Yuuri avait été la première personne à réellement l’aimer, sincèrement, juste lui, à le comprendre, à le voir derrière le champion. »
Hiroko sourit à Linda :
« Mon fils s’est mis à sourire, à rire, je l’ai vu devenir un très grand champion, une fierté pour nous tous et notre pays. Et au-delà de ça, je l’ai vu devenir un homme, s’épanouir, être heureux comme il ne l’avait jamais été. Aucune fille, aucun garçon ne l’avait jamais intéressé. Ça n’avait pas vraiment l’air de le faire souffrir, mais il lui manquait quelque chose, exactement comme à Viktor. C’est important, une paire de bras où se blottir, pour avancer, parfois. Je pense qu’ils en avaient autant besoin l’un que l’autre… John est votre seul enfant, n’est-ce pas ?
– Euh, oui… sursauta Linda.
– C’est un très gentil garçon. Vous n’avez pas à vous en faire pour lui. Et vous n’avez vraiment rien à craindre de mon fils ou de Viktor. Quoi que vous pensiez d’eux, ils sont complètement inoffensifs. Vraiment. Il n’y a que Viktor qui intéresse Yuuri et l’inverse est aussi vrai.
– Si vous le dites… grogna Linda.
– Je le dis ! »
Hiroko hocha la tête :
« Votre fils a vraiment tout ce qu’il faut pour devenir un très grand champion, lui aussi. Il faut juste qu’il puisse déployer ses ailes. Je me doute que ça vous fait peur et moi-même, j’ai dû me faire violence pour laisser mon Yuuri partir à Détroit. Mais nos enfants doivent grandir et nous, nous devons les accompagner de notre mieux. Il serait dommage qu’il ne devienne pas un grand champion, vraiment. Il le regretterait et serait profondément malheureux et je ne pense pas que ce soit ce que vous vouliez, n’est-ce pas ? »
Linda Ross ne répondit pas.
Pendant ce temps, John faisait une pause plus que méritée près de Viktor. Le jeune homme jetait des coups d’oeil furtifs à sa mère et le Russe finit par lui dire gentiment :
« T’en fais pas, ça ira.
– Je suis vraiment désolé… Je sais bien que Yuuri a juste voulu m’épousseter…
– Il n’y a pas de souci. Ta mère s’en fait juste pour toi… Bon, de façon très exagérée et agressive, mais ça doit juste vouloir dire qu’elle t’aime.
– C’est marrant, comme tu dis ça…
– Je suppute. Je n’y connais pas grand-chose en maman… Elle a l’air de beaucoup tenir à toi.
– Ben, oui… Il me semble qu’elle était pas comme ça avant la mort de papa, mais c’est loin, je m’en souviens mal…
– Ah, ton père est mort…
– Oui, il était soldat… Il a été tué en Irak quand j’avais 4 ans. »
Viktor avait sursauté et le regarda un instant avec des yeux ronds avant de sourire et d’ébouriffer sa tête en gloussant.
« Eh ! »
John se dégagea, amusé.
« Qu’est-ce qui te prend !
– Rien, je me disais juste que la vie est vraiment bizarre des fois.
– Pourquoi ?
– Le mien, c’était en Tchétchénie. Et j’avais 4 ans aussi. »
John sursauta à son tour.
« Pour de vrai ? »
Viktor hocha la tête. John eut un sourire :
« Tu n’as eu que ta mère aussi, alors ?
– Non, elle, je ne l’ai pas connue. Elle est morte quand je suis né.
– Oh… Désolé…
– Ne le sois pas, ce n’est pas grave.
– C’est pour ça que t’y connais pas grand-chose en maman…
– C’est ça. Hiroko essaye de rattraper le coup, mais j’ai peur que ça soit un peu tard… »
*********
Viktor coiffait son Yuuri avec soin, dans les vestiaires. Un doux sourire flottait sur ses lèvres comme sur celles de son compagnon qui ronronnait presque, les yeux clos, comme toujours.
À côté, les autres aussi se préparaient, se demandant un peu pourquoi Yuuri restait simplement tout en noir, avec un pantalon assez ample pour ne pas gêner ses mouvements et un t-shirt à manches 3/4 des plus basiques.
Entendant JJ et Emil s’interroger là-dessus, Viktor leur répondit sans les regarder, en étalant la laque sur ses mains :
« Il n’aura pas besoin de paillettes pour briller plus que vous. »
Ce qui les fit tous rire.
Viktor passa doucement ses mains dans les cheveux de Yuuri dont le sourire s’élargit.
« Dis plutôt qu’il a changé de choré à la dernière minute et que du coup, il a pas de costume… » répliqua Yurio, pantalon noir moulant et chemise blanche bouffante, occupé à se maquiller sur la table voisine.
Les autres restèrent surpris alors que Yuuri et Viktor échangeaient un regard, amusés :
« Oups, on s’est fait griller ! dit le Japonais.
– Par Yakov, moi, Mila et Irina, confirma Yurio. On vous a assez vus répéter pour repérer tout de suite que le cochon ne répétait pas son propre Libre.
– Oh, j’ai pas spécialement tenté de le cacher… reconnut Yuuri.
– Sérieux ? demanda Seung-Gil, finalement plus intrigué que surpris.
– Il m’a fait un méchant chantage, lui répondit Viktor. Il n’a accepté de vous rejoindre que si je le laissais danser mon Libre. »
Yuuri hocha la tête et se regarda. Pas une mèche qui dépassait, c’était parfait.
Il se leva pour embrasser Viktor :
« Spasibo.
– Nichego moya lyubov’. »
Ils s’étreignirent alors que ça se foutait d’eux en douce et Emil reprit la parole :
« Dis, Viktor, je me pose une question depuis hier ?
– Pose toujours, répondit le Russe en s’appuyant sur l’étagère derrière lui.
– C’est quoi cette histoire que tu es le fils d’un héros de l’Armée Rouge ?
– Quoi ?! sursauta JJ.
– Ben c’est ce qu’il a dit à l’autre crétin de Ricain hier là, quand il l’a bloqué contre la barrière…
– T’as l’ouïe fine ! sourit Seung-Gil.
– Il paraît ! reconnut le Tchèque en se grattant la nuque, un peu gêné.
– Mon père était soldat et apparemment, c’était un héros de guerre… répondit Viktor avant de regarder Yuuri : Comment il avait dit déjà, le vétéran qui était venu nous voir ?
– “Une vraie tête brûlée couverte de médailles”, cita le Japonais en glissant sa main dans la sienne.
– C’est ça.
– Ah ! … s’exclama Emil, tout sourire. Mais alors, c’est de famille ? »
Ils éclatèrent tous de rire et Viktor reconnut :
« Pas le même type de médailles, mais il y a de l’idée… »
On frappa à la porte et Betty et Otabek se pointèrent.
« Ça y est, vous êtes prêts ? Ça va bientôt commencer, dit joyeusement le petite amie de Yurio avant de trotter vers ce dernier. Ooooh, tu es superbe ! »
Voyant le Kazakh en costard, JJ siffla, admiratif :
« Eh, ça c’est pour le banquet demain soir ! »
Otabek sourit et Yurio, qui le regardait, hocha la tête :
« Classe !
– Merci. »
Ils sortirent, Yuuri prenant son dernier accessoire, mais le gardant dans un sac opaque.
Ils rejoignirent les autres dans le large couloir pour gagner tous ensemble la patinoire. Le public était là et applaudit à leur arrivée. Les gradins étaient pleins et ça les fit sourire.
« Eh ben, remarqua Leo, le report n’a pas l’air d’avoir dérangé grand monde ! »
Albrecht Weissman les rejoignit, accompagné de Yakov et d’un troisième homme qui fit froncer les sourcils des deux Yuri et hausser ceux de Viktor.
« Sergei… Décidément, tous les responsables de la fédération russe vont défiler ou quoi ? » demanda le grand patineur en venant tendre la main au responsable.
Ce dernier lui sourit en la serrant :
« Non, rassure-toi. Je suis là à titre amical, tu peux me croire. Bonjour, Yuri et Yuuri. » salua-t-il ensuite, leur tendant aussi la main.
Le jeune Russe la serra avec méfiance et le Japonais avec scepticisme.
« Bonne chance à vous deux. Je suis impatient de voir vos prestations ! »
Yurio grogna sans trop répondre et Yuuri se contenta de hocher la tête.
Sergei salua tout aussi aimablement Betty et les autres et assura Viktor qu’ils feraient tranquillement un point après la compétition. Viktor hocha la tête.
Laissant le responsable aller s’installer dans les gradins, Yuuri chuchota à Viktor :
« Tu penses qu’il est venu calmer le jeu ?
– J’espère… Mais comme il a dit, on verra ça plus tard. »
Viktor attrapa son amant par le menton et lui fit lever un peu la tête, caressant ses lèvres :
« Tu as une médaille d’or à gagner.
– Compte sur moi ! »
Ils s’embrassèrent et la voix d’Albrecht se fit entendre, remerciant le public et s’excusant auprès des personnes qui, à cause du report, allaient rater le spectacle, remerciant les athlètes d’avoir accepté de décaler, ainsi que le jury.
Voyant les deux amants enlacés, les yeux dans les yeux, Viktor parlant tout bas à un Yuuri tout sourire et tout ouïe, Phichit demanda :
« Je suis le seul à voir une jauge d’énergie se remplir à 300% au-dessus de la tête de Yuuri, là ?
– Je crois qu’il faut que tu arrêtes un peu les jeux vidéos, mais je tiens l’idée, lui répondit Otabek alors que les autres riaient.
– Je vous souhaite bon courage, les mecs ! dit Chris, qui regardait le couple avec un sourire. Surtout ceux qui visent le podium.
– Oh, tu crois, à ce point ? demanda John.
– Y a pas plus imbattable qu’un Yuuri qui veut ramener une médaille d’or à Viktor, à part des fois un autre Yuri qui veut l’en empêcher. »
L’autre Yuri en question eut un sourire mauvais :
« Clair qu’il va falloir qu’il y laisse ses tripes, ce coup-ci. »
Alors qu’il les laissait pour accompagner Betty dans les gradins, près des parents de Yuuri et de sa nièce toute excitée, Phichit demanda, les faisant encore rire :
« À votre avis, lequel des deux nous bat le record du monde ?
– Moi, je dis les deux, ou ça se jouera à pas grand-chose, répondit Otabek.
– On va quand même s’emmerder sans Yuuri et Viktor… soupira Leo. Sérieux, ne plus les entendre se vanner avec l’autre Yuri, ça va me manquer !
– Houlà, s’ils deviennent ses entraîneurs, rassure-toi, y aura aussi de l’ambiance ! sourit Phichit. Vous avez vu ce matin ? »
Ils sourirent aussi en s’en souvenant. Si rare d’entendre Viktor crier… Il les avait tous fait sursauter, à l’entraînement, surtout John qui était près de lui. Personne n’avait compris ce qu’il avait dit, à part les Russes, Otabek et Yuuri, car il avait crié dans sa langue. Mais il en avait bien après Yurio qui venait de louper un mouvement. Et contre toute attente, le jeune homme avait certes râlé un bon coup, mais avait quand même fini par lui obéir.
« … Ouais, c’est pas parce qu’ils arrêtent le squattage de podiums qu’on va en être débarrassé. »
La compétition démarra peu après, toujours dans une excellente ambiance.
Tout commença bien.
Emil, qui n’était pas là pour le podium, se fit plaisir et n’en demandait pas plus. Kenjirô suivit et fit une très belle performance qui allait le mettre en tête quelque temps. Seung-Gil, après lui, tenta un quadruple de trop qui le fit chuter. Mais il était content d’avoir essayé.
Leo s’élança après eux, tout sourire, et tout alla bien jusqu’à son troisième saut, un combo qu’il loupa. Sauf qu’il ne se releva pas.
Alarmés, Jenny appela immédiatement l’équipe médicale, mais avant, Yuuri et JJ s’étaient élancés sur la glace pour rejoindre le garçon.
Le public était silencieux, inquiet, mais Leo était conscient. Soulagés, ses aînés s’assurèrent qu’il n’avait bien mal qu’à sa cheville, comme il le disait, que sa tête entre autres n’avait rien heurté, avant de l’aider doucement à se relever et de le soutenir jusqu’au bord, sous les applaudissements vifs d’un public ému.
Viktor attendait là, grave, et tendit sa béquille au garçon, qui l’accepta à la place de JJ, car ça allait être à ce dernier. Yuuri se chargea donc de l’épauler jusqu’au banc le plus proche alors que les médecins arrivaient.
JJ attendit, respectueux, avant de s’élancer à son tour, aussi sérieux que les autres qui surveillaient ce qui se passait, tous attentifs malgré la distance qu’ils gardaient, que les médecins confirment que c’était une simple foulure, ce qu’Albrecht annonça sans attendre, pour applaudir encore, avec toute l’assistance, Leo.
Yuuri rejoignit Viktor et lui rendit sa béquille. Yurio, Phichit, Otabek et John, qui étaient avec lui, opinèrent quand il soupira :
« Eh ben, plus de peur que de mal…
– J’ai vraiment cru qu’il s’était cassé un truc ! » grimaça Phichit.
JJ était nerveux et Viktor passa son bras libre autour de Yuuri avant de soupirer à son tour :
« Il veut sauter en seconde partie, mais c’est très risqué…
– Tu penses qu’il va se planter ? lui demanda Otabek.
– J’en ai peur… »
Et Viktor avait raison, JJ n’avait plus son endurance d’antan et son dernier quadruple ne transforma en double et son dernier combo triple-double en double-simple.
C’était ensuite à John. Jenny et Viktor lui donnèrent encore deux ou trois conseils, il opina et s’élança, souriant. Jenny eut un petit rire et regarda Viktor :
« Comment tu fais pour rendre les gens confiants comme ça ?
– Aucune idée, mais crois-moi, John à côté de Yuuri, ça a été très facile. »
Le garçon patinait avec grâce sur un air de piano léger et il fut évident pour tout le monde qu’il y avait quelque chose qui avait changé en lui depuis le Court. Yurio s’approcha de son aîné pour soupirer, grognon :
« Ça t’amuse de me fabriquer des adversaires ? Après le porcelet, un petit bouffeur de burgers ? »
Viktor sourit et l’attrapa sans sommation par le cou pour le tirer contre lui :
« J’ai trop peur que tu t’ennuies, sans nous. Je te prépare de quoi t’occuper.
– Trop aimable !! grogna Yurio en tentant de se dégager.
– Tu pourrais dire merci !
– Crève !… Alors que j’allais enfin être tranquille, tu me balances un gosse dans les pattes ! »
Viktor sourit. Yurio se débattait un peu pour le principe, car il ne voulait pas lui faire mal, tout comme d’ailleurs, il râlait pour le principe.
« Il n’est pas un danger pour toi et ne le sera pas tout de suite. Tu devrais finir ta carrière tranquille si tu ne traînes pas autant que nous… »
Yurio cessa de bouger et grommela.
« Et puis, c’est pas parce qu’on sera plus en compet’ qu’on va arrêter de t’embêter. Au contraire, à trois pour te coacher, tu vas en chier ! »
Yuuri, qui les avait rejoints, opina avec un grand sourire.
John plaça ses combos avec talent et calme et revint très satisfait. Il avait toutes les raisons de l’être : il battit son propre record au Libre de plus de 20 points, se plaçant à son tour premier.
Entendant ça, Phichit, qui avait pris sa suite, applaudit, très content pour lui.
Le Thaï s’en tira plus qu’honorablement, mais deux petits chutes l’empêchèrent de prendre la tête. Il suivait cependant John de peu.
Yuuri étreignit son vieil ami tout de même très satisfait.
Otabek frappa le poing de Yurio et échangea un sourire avec Viktor avant de s’élancer à son tour.
Yuuri revint vers eux et tous trois eurent ensemble le même éclair de compréhension quand la musique démarra… Des notes très connues qui firent applaudir le public.
Le thème de James Bond.
« Je savais bien qu’il y avait une raison logique à ce costard… » sourit Viktor.
Les deux Yuri opinèrent.
« Non, mais il a la classe, il le porte bien… reconnut Yuuri.
– Ouais, cela dit, y a pas grand-chose qu’il porte mal… »
Le Kazakh faisait un James Bond somme toute assez convainquant et il prit la première place de justesse, mais il la prit.
Les deux Yuri se regardèrent, souriant, le même défi animant les yeux verts et les yeux bruns. Ils se serrèrent la main :
« Que le meilleur gagne, dit Yuuri.
– Que le meilleur gagne, répondit Yurio.
– Davai. »
Yurio rejoignit le bord de la glace et inspira un grand coup, yeux clos. Yakov l’avait rejoint, mais lui dit juste :
« Vas-y. »
Le jeune homme rouvrit les yeux, grave, et s’élança sous les applaudissements du public, aussi beau que froid et très concentré.
Viktor souriait doucement, Yuuri aussi. Sergei les rejoignit sans rien dire, se plaçant entre eux et Yakov.
Viktor était derrière Yuuri et passa ses bras autour des épaules du Japonais dont le sourire s’adoucit et qui posa sa main dessus.
La chanson commença lentement et Yurio avec elle, glissant calmement et gracieusement :
We can never let the word be unspoken
We will never let our loving go, come undone
Everything we had is staying unbroken, oh
You will always be the only one
You’re the only one…
Le rythme s’accéléra brutalement et Yurio plaça sa première combo sans un pli.
Won’t ever give up ’cause you’re still somewhere out there
Nothing or no one’s gonna keep us apart
Breaking it down but I’m still getting nowhere
Won’t stop, hold on
Thunder and lightning, it’s getting exciting
Lights up the skyline to show where you are
My love is rising, the story’s unwinding
Together we’ll make it and reach for the stars
« Il est bon, hein… murmura Viktor à l’oreille de Yuuri.
– Très, répondit le Japonais. Et très en forme… »
Le garçon enchaînait les mouvements et les sauts à une vitesse très impressionnante, collant à la musique elle-même, très dynamique.
You’re the only one, you’re my only one
You’re my life, every breath that I take
Unforgettable, so unbelievable
You’re the only one, my only one
« Elle est vraiment sympa, cette chanson…
– Tu regrettes toujours d’avoir perdu ? »
Viktor eut un petit rire et embrassa rapidement la joue de son amant.
Lui et Yurio avaient dû tirer à pile ou face, voulant tous deux danser là-dessus.
« Moi, je préfère Crazy in Love. Elle colle tellement bien à ce que tu voulais… Et puis, ta choré est super. »
I could have told you to slow down and stay down
I could have told you a secret, won’t you keep it now?
Thinking of making a showdown when love is found
Thinking of waiting till you’re around
Won’t ever give up ’cause you’re still somewhere out there
Nothing or no one’s gonna keep us apart
Breaking it down but I’m still getting nowhere
Won’t stop, hold on
« Notre choré, tu veux dire… Et tu vas tout déchirer dessus…
– Ouais.
– Il en est à combien ?
– 2 quadruples, 3 triples, deux combo triple-triple et une quadruple-double.
– Oh, joli. »
Sur la glace, Yurio ne lâchait rien et dans les gradins, Betty était en larmes et elle n’était pas la seule.
Dire que le jeune homme était magnifique aurait été une insulte, tant il était au-delà de ça, sublime et inspiré, juste extraordinaire.
John s’était approché, les yeux brillants d’admiration.
Thunder and lightning, it’s getting exciting
Lights up the skyline to show where you are
My love is rising, the story’s unwinding
Together we’ll make it and reach for the stars
You’re the only one, you’re my only one
You’re my life, every breath that I take
Unforgettable, so unbelievable
You’re the only one, my only one
La chanson ralentit un moment et Yurio fit de même, posant un genou au sol pour glisser sur la glace en écartant les bras, pour se relever aussi vite et sauter encore alors qu’elle ré-accélérait.
Thunder… (and lightning)
(It’s getting exciting) It’s getting exciting…
(Lights up the skyline to show where you are)
To show where you are…
Yuuri sourit et reprit :
« Il va me forcer à utiliser mon joker… »
Les yeux de Viktor brillèrent :
« Sérieusement ? Tu te sens à tenter ça ?
– Rien à perdre… Et puis, si je perds pour avoir tenté ça, ça sera une belle défaite. »
Viktor le serra plus fort :
« Oh bon sang je t’aime… »
(You’re the only one) You’re my only one
You’re my life, every breath that I take
Unforgettable, so unbelievable
You’re the only one, my only one
Yurio finit sur une pirouette avant de s’agenouiller, une main sur le cœur et l’autre tendue droit vers Betty qui plaqua ses mains sur sa bouche avec un sursaut.
Les applaudissements étaient plus forts que jamais et le présentateur, resté quasi muet durant la danse, signalant juste les sauts, reprit enfin, ému :
« Yuri Plisetski sur You are the only one de Sergey Lazarev, une très belle chanson et un splendide patineur qui nous a offert sa plus belle performance !… »
Yurio s’était relevé lentement, à bout de souffle, il salua, souriant, avant de rejoindre le bord et dut attraper le coin de la barrière pour éviter que Betty, qui lui sauta au cou, ne les fasse tomber tous deux sur la glace. Ce qui fit rire Yuuri qui regarda Viktor qui lui regarda ailleurs, l’air parfaitement innocent.
Laissant Yurio et Betty s’embrasser et s’étreindre sous les applaudissements et les sifflements d’un public aussi ému qu’amusé, Yuuri se tourna, lui, pour étreindre Viktor. Et cette fois-ci, les rires du public se firent clairement entendre. Mais ni Yuuri ni Viktor ne les entendirent.
La note tomba vite et ce fut à nouveau un tonnerre applaudissements : nouveau record du monde : 224,57, ce qui portait sa note totale à 333,22. Les autres patineurs n’étaient pas en reste niveau applaudissements et Otabek et Phichit se marraient.
Yurio salua encore, vint ensuite vers Yuuri et Viktor et leva une main que Yuuri saisit avec force.
« Bravo.
– Allez, essaye de faire mieux, porcelet.
– Mais pas de souci, Yurochka.
– Gamba.
– Merci. »
Le jeune homme fut ensuite rejoint par ses amis et Yakov et Sergei, très fiers de lui.
Au bord de la glace, Yuuri respirait profondément, les yeux clos. De l’autre côté de la barrière, Viktor avait posé ses mains sur les siennes, sans rien lui dire. Il le regardait avec douceur, amour, un doux sourire aux lèvres. Lorsqu’il se redressa enfin, Yuuri souriait aussi et ils se penchèrent ensemble pour s’embrasser doucement. Après quoi et alors que le public applaudissait et sifflait, les deux hommes joignirent leurs mains droites et chacun embrassa l’anneau de l’autre.
« J’y vais, dit Yuuri.
– À tout de suite. » répondit tendrement Viktor.
Yuuri sortit enfin son accessoire de son sac et laissa ce dernier au Russe.
Il s’élança et tout le monde se demanda ce qu’il tenait et la surprise fut grande lorsqu’ils comprirent en le voyant porter la chose à son visage pour le couvrir. Il s’agissait d’un masque, lisse et inexpressif, et tout le monde, sauf Viktor, se demanda ce que ça signifiait.
La musique commença, du piano lent et assez mélancolique et un malaise certain envahit l’assistance.
Et le sentant et le voyant, Viktor sourit.
I look and stare so deep in your eyes,
I touch on you more and more every time,
When you leave I’m begging you not to go,
Call your name two or three times in a row,…
Yuuri patinait lentement, mais sa danse était totalement artificielle, glaciale, comme morte. Yurio en eut un frisson que Betty, blottie contre lui, sentit et John grimaça, choqué. Bon sang, mais qu’est-ce qui se passait… ?
… Such a funny thing for me to try to explain,
How I’m feeling and my pride is the one to blame yeah.
’Cuz I know I don’t understand,
Just how your love can do what no one else can.
Personne n’applaudit le premier saut, une combo quadruple boucle-triple boucle pourtant impeccable, tant tous se sentaient mal à l’aise. Puis le refrain arriva et Yuuri enleva le masque.
Got me looking so crazy right now, your love’s
Got me looking so crazy right now,
Got me looking so crazy right now, your touch
Got me looking so crazy right now
Got me hoping you’ll page me right now, your kiss
Got me hoping you’ll save me right now
Looking so crazy in love’s,
Got me looking, got me looking so crazy in love.
Le patineur restait curieusement inexpressif, mais la danse se fit un peu plus vive, un peu comme s’il reprenait vie. En passant, il envoya le masque à Viktor qui souriait toujours et le rattrapa de sa main libre. Personne d’autre que lui n’avait vu le sourire furtif passer sur les lèvres de Yuuri. Mais ils s’étaient compris. L’effet avait parfaitement marché.
Les pas s’enchaînaient, plus souples, une nouvelle combo quadruple-triple bien plus belle, et le public sentit la tension retomber sans trop comprendre ce qui arrivait. Yurio eut un sourire alors que John respirait, soulagé.
Quel pari de cinglé… songea le jeune Russe.
When I talk to my friends so quietly,
Who he think he is? Look at what you’ve done to me,
Tennis shoes, don’t even need to buy a new dress,
You ain’t here, ain’t nobody else to impress,
It’s the way that you know what I thought I knew,
It’s the beat that my heart skips when I’m with you,
But I still don’t understand,
Just how your love can do what no one else can.
Yuuri plaça un nouveau quadruple, salchow cette fois, puis, après, un aigle tranquille, et son visage lui-même se détendait, non pas qu’il sourit, mais ça commençait à aller mieux. Il sauta une autre combo, triple axel-triple lutz, que le présentateur releva, cette fois, un peu comme s’il se réveillait. Puis les pas s’enchaînèrent, une pirouette assez simple, un triple axel seul…
Got me looking so crazy right now, your love’s
Got me looking so crazy right now,
Got me looking so crazy right now, your touch
Got me looking so crazy right now
Got me hoping you’ll save me right now, your kiss
Got me hoping you’ll save me right now
Looking so crazy in love’s,
Got me looking, got me looking so crazy in love.
Les mouvements se compliquaient, de plus en plus rapides et fluides, de plus en plus beaux. Yuuri souriait, enfin, et son bonheur d’être là transcendait sa danse. Alors que le dernier mot du refrain s’allongeait, il sauta à nouveau et si le public applaudit, il y eut un instant de flottement lorsqu’il réalisa ce qui arrivait.
La combo commença par un quadruple boucle, suivi d’un triple axel, suivi d’un double boucle, puis d’un double axel, d’une autre double boucle, pour finir sur un ultime triple axel.
Le présentateur lui-même en perdit le fil alors que Yuuri continuait comme si de rien n’était, poursuivant de la plus belle des façons par cette fichue série de pas qui les avait tant fait suer, mais qui passa toute seule, coulant comme de l’eau dans la musique.
Got me looking so crazy right now, your touch
Got me looking so crazy right now
Got me hoping you’ll page me right now, your kiss
Got me hoping you’ll save me right now
Looking so crazy in love’s
Got me looking, got me looking so crazy in love.
Uh oh, uh oh, uh oh, oh no no.
Betty, très émue, sursauta lorsqu’elle se rendit compte que Yurio pleurait.
La danse s’acheva et Yuuri n’avait jamais été si beau, si souriant, plus aucune rigidité ni hésitation dans ses mouvements, et son ultime quadruple, un quadruple flip, bien sûr, parut posé avec une maîtrise totale.
Yuuri finit les bras levés, glorieux, et les dernières notes le virent replier son bras gauche devant lui et se pencher en un dernier salut.
Les applaudissements firent trembler les murs plus sûrement que l’orage de la vieille alors que Yuuri s’écroulait, à bout de force, sur la glace.
Viktor essuya ses yeux et demanda :
« Excusez-moi, quelqu’un peut aller le récupérer ? »
Yurio le rejoignit en essayant de se reprendre. Un peu inquiète, Betty le suivit. John sursauta, comme s’il se réveillait, et regarda Viktor qui ajouta avec un sourire en coin :
« Non, parce que là, il va pas se relever tout seul… »
Yurio eut un petit rire :
« Quel crétin…
– Allez, vas-y. »
Le jeune homme enleva ses protège-lames et s’élança sur la glace.
Yuuri était sur le dos, bras en croix, regardant le plafond en attendant que son cœur se calme, ça allait mieux, mais ça n’était pas tout à fait ça.
Yurio le rejoignit et s’arrêta vers lui :
« Tu dors là, porcelet ?
– Eh, Yurochka ! C’est gentil d’être venu ! » répondit Yuuri en agitant son bras.
Yurio rigola et l’attrapa pour le tirer :
« Allez debout, je crois qu’on t’attend ! »
Yuuri se remit maladroitement sur des jambes flageolantes et le voyant, Yurio éclata de rire et le serra brusquement dans ses bras, provoquant de nouveaux applaudissements. Yuuri rit aussi et répondit à l’étreinte avec plaisir.
« T’es vraiment un grand malade, Yuuri ! »
Et comme les larmes remontaient et qu’il était hors de question qu’il pleure devant le Japonais, le jeune Russe attrapa ce dernier comme un sac pour le balancer sur son épaule, faisant éclater de rire l’ensemble de l’assistance, Yuuri y compris, qu’il ne lâcha qu’au bord, dans les bras de Viktor, qui l’étreignit aussi fort qu’il le pouvait, alors que Phichit, Otabek, John et les autres se demandaient pourquoi la note était si longue à venir.
Comme ils devaient l’apprendre un peu plus tard, c’était parce que les juges se repassaient l’enregistrement, voulant vérifier le nombre total de sauts et leurs exécutions et surtout comprendre le sens de cette danse, si ce début si déplaisant était bien volontaire.
Mais il n’y avait aucun doute. Cette danse avait été conçue pour montrer l’évolution d’un patinage désincarné, glacial, à un patinage heureux et glorieux.
Viktor soutint tendrement un Yuuri vidé jusqu’au banc officiel et l’y posa doucement avant de s’asseoir à sa gauche en posant sa béquille. Yuuri s’étira un coup et la note tomba. Et les murs se remirent à trembler à causer des applaudissements : 227,64. Yuuri gagnait avec un total de 340,61.
Le tout neuf record de Yurio n’avait pas duré, mais contrairement à certaines personnes, le jeune Russe s’en moquait, car il savait qu’il avait tout donné et il savait aussi ce que Yuuri avait risqué pour le dépasser. Une telle combo en compétition, enchaîner six sauts, était juste de la pure folie. Dans n’importe quel autre championnat, il n’en aurait même pas eu le droit. Les règles n’étaient pas aussi souples ailleurs. Yuuri avait tout misé sur sa légendaire endurance, pour tenter l’inimaginable, en plus en 2e partie de programme, au risque de ne simplement pas pouvoir finir, donc de tout perdre. À peu près personne, à part lui, Viktor et peut-être Yakov, n’avait vu que son quadruple flip s’était joué à un cheveu. Il était démentiel qu’il ait réussi à simplement achever cette danse.
« J’ai jamais été aussi fier de toi, mon chrysanthème… » lui dit tendrement Viktor alors que Yuuri se laissait étreindre, souriant.
*********
C’est dans le petit parc qui se trouvait derrière la patinoire que Yurio, Betty, Otabek et Phichit retrouvèrent Viktor et Yuuri, disparus au sortir des douches, le premier assis contre un arbre et caressant la tête du second endormi en chien de fusil, la tête sur ses cuisses.
Viktor avait vendu leur cachette en répondant avec le portable de son compagnon à un texto que ce dernier avait reçu de son ami thaï, qui demandait où il était. Le Russe avait fait une photo de son bel endormi et l’avait envoyé en l’accompagnant de « Le personne que vous voulez joindre n’est pas disponible pour le moment, veillez réessayer ultérieurement ».
Ayant une petite heure à tuer avant le Libre des filles et Yuuri étant vraiment vidé, Viktor s’était dit qu’une petite sieste dans l’herbe tiède, au calme, ne serait pas malvenue. Yuuri avait approuvé.
Leurs quatre amis s’installèrent doucement pour ne pas le réveiller. Il faisait très doux et tout était calme.
« Ça va aller ? demanda Betty à Viktor, un peu inquiète.
– Oh oui, ne t’en fais pas. Yuuri est un spécialiste de la sieste. Il va se réveiller en forme dans 20 minutes et il nous bordera tous ce soir. »
Ils parlaient assez bas. Yurio s’étira un coup et se cala dans les bras de Betty.
« Tu ne veux pas faire pareil, toi ? lui demanda-t-elle gentiment.
– Non, ça ira… Je sais pas siester, moi. Je dors soit trop soit pas assez et ça me casse.
– Et c’est pas joli, un Yuri cassé ! rigola Otabek.
– Ouais, c’est presqu’aussi pire qu’un Yuri bourré, confirma Viktor. Et c’est pas peu dire.
– Eh ! s’écria Yurio.
– Chht ! le rabrouèrent les autres.
– Je ne l’ai encore jamais vu saoul… remarqua Betty en serrant ses bras autour des épaules de Yurio qui eut un petit sourire.
– Attends demain soir ! » lui répondirent Viktor, Otabek et Phichit en chœur.
Ils pouffèrent tous trois alors que Yurio grondait sans oser râler plus fort.
« Ah bon ?
– Ah ben comment dire, les soirées d’après compet’, on a tendance à se lâcher un bon coup ! lui expliqua Viktor.
– Enfin, dès que les officiels sont couchés, ajouta Phichit. Mais vu la moyenne d’âge, ils ne tiennent pas trop longtemps…
– Ouais, parce que tant qu’ils sont là, ’faut se tenir, c’est chiant, grommela Yurio. Mais une fois qu’on est entre nous, c’est assez cool.
– Sinon, vous avez des nouvelles de Leo ? demanda Viktor.
– Oui ! Oui, oui, regarde ! »
Phichit lui montra son téléphone : Leo avait tweeté depuis l’hôpital : « Simple foulure confirmée, merci à tous et désolé de vous avoir fait peur. Ouf ! Rendez-vous après les vacances pour de nouvelles médailles ! »
« Bien, il garde la pêche, sourit Viktor. Ça fait plaisir. Et toi, Betty, tu as apprécié le spectacle ? »
Il caressait toujours les cheveux de Yuuri qui ne bronchait pas.
« Oh, oui !… J’avoue, je ne m’étais jamais vraiment intéressée au patinage avant de rencontrer Yuri et c’est la première fois que je vois une compétition en vrai… C’est vraiment génial !… Vous avez tous été super, les gars !…
– Tu as eu de la chance, lui dit Otabek. Découvrir le patinage avec Yuri et les compétitions avec le Championnat des Glaces, c’est vraiment le mieux.
– À ce point ?
– Imagine un film tourné sans contrainte avec les dix meilleurs acteurs du monde, lui dit Phichit en ressortant son téléphone qui vibrait.
– Ouais, c’est un peu ça… approuva Yurio en hochant la tête. Les dix plus grands patineurs de monde dans une compétition amicale, c’est vrai que c’est plutôt le top…
– Les meilleurs sans la pression des compétitions normales, opina Viktor. Que du bonheur.
– C’est vrai que Yuuri a dansé ton programme, tout à l’heure ? lui demanda la jeune actrice, intriguée.
– Tout à fait. C’était mon dernier Libre… Enfin, sa version, mais je n’aurais pas fait mieux.
– J’en reviens encore pas qu’il ait tenté une combo pareille… soupira Phichit, tout sourire, en regardant son téléphone. Il est juste dingue !… Oh, ça y est, on a les premiers articles !… Ooooh, écoutez ça : “Double record du monde au Championnat des Glaces : Yuuri Katsuki rend à Yuri Plisetski la monnaie des Mondiaux d’il y a trois ans. Le Japonais finit en beauté sa carrière en battant le record du monde que venait tout juste de battre son jeune rival russe. C’est avec surprise qu’on a découvert le patineur tout en noir et portant un masque pour ce qui semblait être initialement le programme libre de son compagnon Viktor Nikiforov, une danse très étrange et un pari très risqué pour Yuuri Katsuki qui est parvenu à placer une combinaison de six sauts, du jamais vu dans un championnat. Seul Viktor Nikiforov l’avait fait il y a cinq ans dans un gala d’exhibition…” Ah oui, je me souviens !… C’était pas les JO ?
– Je crois que si, sourit Viktor. Encore un pari à la con…
– Au risque de paraître idiote… C’est vraiment si fou que ça, cette série de sauts ? »
Il y eut un silence, puis Viktor haussa les épaules :
« Oui et non, avoua-t-il. C’est très variable selon les patineurs, mais à notre niveau, c’est souvent théoriquement faisable. C’est surtout que c’est interdit dans certaines compétitions. J’en ai tenu jusqu’à sept, ton Yuri l’a fait aussi et le mien est monté à neuf, mais juste pour voir, hors programme, et en plus je crois qu’il était bourré.
– Il était bourré, je confirme, intervint Yurio.
– Moi, j’en tiens quatre ! dit Phichit. Pas bourré.
– Moi cinq, ajouta Otabek. Jamais essayé bourré.
– Et pourquoi pas en compétition ?
– Trop risqué, répondit Viktor. Déjà, il y a le reste du programme à tenir et surtout, en compétition, on prend des risques, mais pas à ce point. Yuuri l’a fait parce qu’il n’avait rien à perdre et qu’il voulait faire un cadeau au petit.
– “Cadeau” ? releva le dit petit en fronçant un sourcil.
– Oui, histoire que tu ne t’ennuies pas sans nous… On s’est dit qu’on allait essayer ça, te laisser un beau record à battre. On s’est dit qu’à nous deux, on pouvait tenter… Bon, finalement, il a dû gérer ça tout seul, mais j’étais pas inquiet, je savais bien qu’il y arriverait… Tu l’as vraiment poussé dans ses derniers retranchements, par contre. Ça a été un très beau duel. Vous avez été superbes tous les deux. T’as vraiment pas démérité. »
Un sourire passa sur les lèvres de Yurio et Phichit soupira :
« Ouais, c’est clair, vous avez vraiment été fabuleux… Bon sang, je me sens tellement nul quand vous déchirez comme ça !
– T’as été très bon, t’as pas à te sentir nul. » lui dit Viktor.
Phichit lui sourit, tout content :
« Merci !
– De rien, c’est sincère… Tu manques toujours un peu de maîtrise technique, mais t’es loin d’être nul, ’faut pas déconner… »
Viktor sourit :
« T’aurais tenu tes sauts, le gamin te serait jamais passé devant. Il a beaucoup moins de charisme que toi, il manque clairement d’expérience et à mon avis, en vraie compet’, avec le stress, il va galérer. Surtout s’ils lui trouvent pas un meilleur coach que l’autre…
– Ah ça, clair qu’il va pas s’améliorer avec des cons pareils… » grogna Yurio.
Il se redressa un peu et eut un sourire :
« Mais Viktor a raison, Phichit, sérieux, t’as été bon, on joue pas dans la même cour, c’est tout… Toi, t’es le patineur le plus mignon du monde, Otabek le plus classe, moi le plus rapide et le porcelet le plus endurant…
– Bon résumé, opina Viktor.
– Et toi, tu serais quoi, alors ? lui demanda Otabek.
– Le plus expérimenté, répondit Viktor avec un sourire doux. J’ai passé l’âge d’être mignon, mais c’est clair que c’est vraiment ton point fort, Phichit. T’es beau gosse, souriant, toujours des musiques qui donnent la pêche, c’est pour ça que même si t’es pas le meilleur sur la technique, le public t’adore. La classe, je peux l’avoir, mais je la joue, alors que chez Otabek, elle est innée, c’est pour ça qu’il en impose, avec une grande maîtrise technique. Quand je t’ai connu, continua-t-il pour le Kazakh qui le regardait avec sérieux, je me suis dit que la seule chose qui te manquait, c’était un peu d’humanité…
– Sérieux ?! » sursauta Otabek.
Viktor hocha la tête sans perdre son sourire et Phichit rigola :
« ’Faut admettre, à l’époque t’étais à peu près aussi aimable que Yuri, quand vous êtes devenus potes, on s’est dit que ça allait faire un joli duo d’asociaux !
– De faux asociaux… corrigea Viktor alors que Yuuri se tournait sur le dos avec un soupir, sur ses cuisses. Mais ça vous a fait tellement de bien… Bon sang, si j’avais trouvé un ami comme ça à vos âges, ça aurait pu changer beaucoup de choses… »
Betty fronça un sourcil sans comprendre, mais n’osa pas lui demander ce que ça signifiait. L’ombre qui était passée dans les yeux des trois autres patineurs ne lui avait pas échappé, lui soufflant que ce n’était pas une question à poser.
« Et pour le reste ? demanda Phichit.
– Oh, pas compliqué. Je n’ai jamais été aussi rapide que Yurochka ni aussi endurant que Yuuri. Moi, mes atouts, c’étaient la maîtrise technique, les chorés et sans cesse me renouveler pour surprendre. Et puis, j’ai jamais eu de problèmes de stress… C’est con, mais en fait, gamin, je patinais pour le plaisir, au début je gagnais sans trop réaliser et après ben, comme je gagnais toujours, ça m’a jamais stressé… »
Il haussa les épaules avec une moue innocente alors que ses amis riaient.
« Facile, sans rival réel pendant presque dix ans… lui jeta Otabek, amusé. Avoue, tu te faisais chier avant que les deux Yuri débarquent, non ?… Quand on s’est rencontré, t’as peut-être trouvé que je manquais d’humanité, mais toi t’étais carrément désincarné !… De temps en temps, tu réalisais que quelqu’un te parlait et tu revenais un peu, et tu avais une présence sur la glace, on ne pouvait pas ne pas te regarder, mais dès que tu en sortais, bon sang, y avait plus personne…
– Ça n’a pas été la période la plus fun de ma vie, reconnut Viktor. J’étais vraiment à bout… »
Il sourit à nouveau quand la main de Yuuri se posa sur la sienne :
« J’étais en bout de course… Alors j’ai été manger des katsudon au Japon… Hein Kobuta-chan ? dit-il tendrement en se penchant vers son compagnon qui s’étirait.
– Oh, ça faisait un moment que tu m’avais pas appelé comme ça… »
Yuuri se redressa tranquillement.
« On t’a réveillé ? demanda Phichit.
– Non, non… Ça va…
– Bien dormi, mon chrysanthème ?
– Très bien, merci, mon cadeau de Noël…
– Oh. Ça faisait un moment que tu ne m’avais pas appelé comme ça non plus. »
Ils échangèrent un petit bisou et Yuuri s’installa contre Viktor, câlin :
« De quoi vous parliez ?
– Ils cherchaient qui a le plus gros… lui répondit Betty et ils sursautèrent avant qu’elle n’ajoute avec un clin d’oeil : Le plus gros point fort comme patineurs.
– Ah… Je me disais aussi ! lui répondit Yuuri alors que les autres riaient. Non parce que qui a le plus gros sexe, on le sait… C’est Chris.
– Ah ? rigola Betty.
– Ben, depuis le temps qu’on se prend des douches ensemble… »
Un peu plus tard, ils retournaient à la patinoire pour le Libre des filles.
Comme l’avant-veille, la compétition fut de très haut niveau dans une excellente ambiance. Les demoiselles étaient en forme, belles et gracieuses et surtout décidées à ne pas déparer après les prestations de leurs collègues masculins. Aucun record mondial ne tomba ce jour-là parmi elles, mais deux records personnels.
Cindy fit une très belle prestation sur Try everything de Shakira. Battant donc son record, elle finit 4e et comme pour le Court, Asuka et elle furent les seules qui éveillèrent réellement l’intérêt de Viktor. Ce fut encore plus vrai pour la Japonaise que pour l’Américaine, d’ailleurs, car elle parvint, sur une très émouvante interprétation de Nandemonaiya de Radwimps, à finir deuxième, volant la médaille d’argent à Sara, mais ne parvenant pas à prendre l’or à une Mila sublime sur Le Lac des cygnes.
Asuka souriait tout de même, radieuse d’avoir battu son record de près de 15 points. Alors que les garçons les avaient rejoints dans les vestiaires pour récupérer leurs affaires avant de rentrer, elle se précipita vers Yuuri pour s’incliner respectueusement devant lui, se répandant en remerciements pour son aide. Il sursauta, aussi surpris que mal à l’aise, agitant encore ses mains devant lui alors que ses amis riaient de bon cœur derrière lui.
Pendant ce temps, Viktor attendait sagement, regardant la glace déserte et la patinoire qui se vidait, perdu dans ses pensées.
Il souriait doucement. Son sourire s’élargit lorsqu’il entendit Sergei lui demander gentiment :
« Tu es triste ? »
Le responsable vint à côté de lui et il dénia du chef :
« Non. Non, c’est bizarre, je m’attendais à l’être, mais finalement, non. Au contraire, je me sens très bien… Un vrai sentiment d’accomplissement, une page qui se tourne, mais le livre n’est pas fini pour autant. Tu sais, j’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à entraîner le petit Américain… »
Sergei hocha la tête :
« C’est bien… Tu as beaucoup à donner aux générations à venir.
– Nous avons, Sergei. »
Le responsable regarda Viktor qui lui souriait toujours, mais son sourire n’était plus tout à fait aussi amical. Sergei connaissait Viktor depuis suffisamment longtemps pour savoir ce que ça signifiait. Il tenta tout de même :
« Hmmm… Tu sais, ça ne sera pas facile.
– Explique-toi ?
– Andrei a rallié pas mal de monde dans la fédération… Ton départ précipité a joué contre toi… Il prétend que ton ami l’a insulté… Et le fait que Yuri s’en soit aussi pris à lui…
– Andrei a blessé Betty, Sergei. Yuri ne l’aurait pas frappé sans ça, tu le sais très bien.
– Je sais, oui, mais la fédération a pris peur…
– Yuri est un bagarreur, c’est pas nouveau, mais il est loyal envers elle. C’est quoi, le problème ?
– Ils ont peur qu’il quitte la Russie à cause de son Américaine.
– Encore Andrei ?
– Oui, mais il n’est pas le seul. Yuri a déjà fait des séjours assez longs aux USA et on sait qu’il a eu des contacts avec Alan Neels.
– Et alors, j’en ai eu toute ma carrière… » soupira Viktor avec un haussement d’épaules.
Sergei secoua la tête :
« Je ne doute pas plus de lui que je ne doute de toi, Viktor.
– Mais ?
– Mais comme je te le disais, Andrei a paniqué et rallié du monde. Aucun de nos jeunes patineurs n’est à votre niveau, à Mila, Yuri et toi. Et même si Yuri et elle ont encore quelques belles années devant eux, ils ont peur que personne ne puisse prendre la relève. Alors si en plus, vous quittiez Saint-Pétersbourg…
– Il n’en a jamais été question.
– Alors, quand comptes-tu rentrer ?
– Nous rentrerons quand j’aurais l’engagement formel de la fédération qu’ils nous laissent tranquilles. Je suis fatigué de devoir me justifier sur ma vie privée, Sergei. Yuuri et moi sommes plus que largement majeurs et vaccinés. Il n’a jamais fait de souci et pour ma part, je pense avoir été suffisamment patient.
– Je te l’ai dit, ça ne sera pas facile. Beaucoup de monde n’a pas compris ton départ…
– Refuser d’être foutu à l’asile, c’est un acte de trahison, maintenant ?
– Andrei prétend que ce n’était qu’une maison de santé et que tu t’y serais juste reposé un peu, seul, pour faire le point sur la suite.
– Ben voyons. Tu demanderas à Nikolaï, vu la façon dont il a déchiré les feuilles et dont il m’a sorti de l’hôpital, j’ai comme un doute. Et bizarrement là-dessus, je lui fais plus confiance qu’à Andrei.
– Oui, je sais, mais encore une fois, c’est une parole contre une parole et, pardonne-moi, parce que j’en suis vraiment navré, mais ta parole ne pèsera pas lourd face à celle d’Andrei, après ce qui s’est passé. »
Il y eut un silence. Puis Sergei reprit :
« Tu as vraiment changé. Tu ne rentreras pas sans lui, n’est-ce pas ? »
Viktor eut un nouveau sourire :
« Est-ce que tu as vu le Libre de Yuuri, Sergei ?
– Oui. Il a été très impressionnant, digne de toi. Tu as vraiment fait du lui un patineur exceptionnel. Beaucoup t’en veulent pour ça. Tout comme ils doivent déjà lui en vouloir d’avoir repris le record du monde à Yuri, d’ailleurs.
– Et tout le monde oublie ce que lui a fait de moi.
– Que veux-tu dire ?
– Que tout le problème vient d’un point de vue biaisé. Vous vous êtes focalisés sur le fait que j’avais permis à Yuuri de progresser, mais aucun d’entre vous n’a jamais réalisé à quel point l’inverse est aussi vrai. Est-ce que tu te souviens du Yuri on Ice de Yuuri, Sergei ?
– Bien sûr.
– Il voulait exprimer tout son amour. Lorsque s’est posé la question de quoi préparer pour ce championnat, mon dernier championnat, j’ai fait un point sur l’ensemble de mes danses. Je voulais une conclusion. Je voulais une danse qui résume ma carrière, qui résume ma vie. Revisualise ce qu’a dansé Yuuri tout à l’heure en m’imaginant à sa place. Tout, la danse froide et morte, le masque et la suite. Imagine que dans mon projet initial, ce masque, je devais le remettre dans les mains de Yuuri. Pas le jeter comme il l’a fait, vraiment le lui donner. En fait, dans l’idéal, j’aurais voulu patiner autour de lui, qu’il soit avec moi sur la glace… Mais bon, pas possible en compétition, même ici. Mais j’y penserai pour une autre fois… Ça ferait un beau duo. Quoi qu’il en soit, si la chanson s’appelle Crazy in Love, moi, j’avais appelé ma danse Renaissance. »
Sergei le regardait avec gravité. Viktor lui sourit encore :
« Ceci répond-il à ta question ? »
Sergei soupira et hocha la tête :
« Je vois, oui.
– Bien. Alors voici. Mes conditions pour rentrer sont celles-là : vous nous foutez la paix une fois pour toutes, Andrei nous lâche une fois pour toutes et je ne veux plus jamais m’entendre dire que j’ai besoin de me faire soigner. Je ne veux plus jamais qu’on menace Yuuri d’expulsion non plus. Et rien de tout ça n’est négociable. »
Il y eut un silence.
Yuuri, qui avait fini de ranger ses affaires et cherchait Viktor, les rejoignit avec son sac à dos et sa valise à roulettes, intrigué :
« Vous êtes encore là ? Tout va bien ? »
Viktor lui sourit et prit sa main :
« Très bien. Vous êtes prêts ?
– Oui, on vous attend. Ils voudraient rentrer vite, ils annoncent encore des orages.
– Bien, allons-y, alors. »
Viktor sourit encore à Yuuri et dit :
« Allez, encore une exhibition et vacances ! »
Yuuri eut un petit rire alors qu’ils partaient tous trois.
« Tu ne m’as toujours pas dit ce que tu dansais pour ta dernière exhibition… couina Viktor en faisant la moue.
– Je t’ai dit que c’était une surprise. » répondit tendrement Yuuri en passant son bras autour de sa taille.
Viktor passa le sien autour de ses épaules.
« J’aime bien les surprises…
– Mais tu es un vilain curieux.
– Oui ! »
Ils rejoignirent les autres qui les attendaient devant la patinoire. Plusieurs journalistes étaient encore par là, prenant d’ultimes images des patineurs et patineuses et de leurs proches.
Yurio, qui tenait ses patins à deux doigts par-dessus son épaule, regarda les trois hommes arriver, grave. Sergei ne semblait pas contrarié, juste un peu perdu dans ses pensées. Il allait sûrement tenter de rattraper le coup… Il était plus que temps qu’Andrei arrête de…
Le cri d’Hiroko le fit sursauter et il réagit avant de vraiment comprendre.
« ABUNAÏ YUURI !!! »
Sur le coup, il ne vit qu’une silhouette tenter de se jeter sur Viktor et Yuuri… Stoppée net par le projectile qu’il avait lancé par réflexe et qu’elle prit en pleine tête…
Ses patins.
Yuuri avait poussé en un battement de cils Viktor derrière lui alors que Sergei se reprenait et se précipitait sur l’homme qui, bien que sonné, tentait de se relever.
Yuuri et Viktor se regardèrent, atterrés, et ils étaient loin d’être les seuls.
Les vigiles vinrent prêter secours à Sergei alors que les autres reconnaissaient à leur tour Billy Bull qui se mit à hurler des injures en anglais. Il avait l’air totalement ivre, mais ils crurent comprendre qu’il en voulait beaucoup à Viktor de l’avoir fait virer.
« Putain, mais c’est vraiment la fête aux connards… » grommela Yurio.
Il rejoignit ses amis. Yuuri fronçait les sourcils, ses bras autour de son amant qui tremblait un peu, pâle. Alarmés, les parents de Yuuri, Nikolaï et Albrecht s’étaient également précipités.
« Ça va ? demanda Yurio.
– Ça ira… répondit le Japonais. Vitya ?
– Oui, oui, ça ira… » confirma Viktor.
Il se redressa et inspira un coup avant qu’Hiroko ne le fasse sursauter en l’étreignant alors même que Toshiya tapotait l’épaule de son fils, navré. Aki était un peu plus loin, dans les bras de Betty qui lui disait que tout allait bien.
Yurio hocha la tête et alla ramasser ses patins alors que les autres les rejoignaient aussi, inquiets. Les vigiles avaient appelé la police et plus que fermement éloigné Billy. Les journalistes aussi s’approchèrent, mais sans se précipiter.
« Bon sang, mais c’est tout de même fou… soupira Albrecht.
– Heureusement que personne n’a été blessé… marmonna Nikolaï.
– Ça, vous pouvez le dire ! » soupira aussi Phichit et Otabek secoua la tête avant de rejoindre Yurio.
Le juron du jeune Russe lui fit accélérer le pas :
« Eh, qu’est-ce qu’il y a ?
– J’ai un patin de foutu…
– Neni ïä ? »
Les autres se regardèrent, inquiets, alors que le Kazakh regardait et soupirait, sourcils froncés :
« Govno… »
Ils revinrent vers les autres alors que Yurio grommelait en frottant la lame incriminée :
« Et j’ai pas ma paire de rechange, la chaussure était déchirée…
– C’est quoi, le souci ? demanda Viktor, sérieux.
– La lame est un peu faussée… »
Yurio montra ça à son aîné qui grimaça. Effectivement, la lame noire était légèrement tordue.
« Bon, c’est juste la lame, il suffirait d’en monter une autre… » nota le grand Russe après avoir regardé l’objet.
Yuuri s’était approché et donna un petit coup de coude à Viktor avec un sourire.
Ce dernier lui jeta un oeil sceptique avant de comprendre et de sourire à son tour :
« Tu les as là ?
– Je crois, attends… »
Le Japonais ôta son sac à dos et le posa au sol avant de se mettre à chercher quelque chose dedans. Les autres se regardèrent, intrigués. L’instinct de Phichit lui souffla de sortir son téléphone pour filmer la suite et il eut bien raison.
« Machita ! » chantonna Yuuri avant de se redresser avec un petit paquet long qu’il tendit à Viktor en se relevant.
Yurio les regardait avec une franche suspicion, sourcils froncés. Betty l’avait rejoint, Aki toujours dans ses bras.
« Bon, dit Viktor en tendant à son tour la chose à son jeune ami, alors en vrai je voulais te les offrir demain… Mais je pense que ça peut servir avant. »
Yurio fit la moue et déballa l’objet en se disant que ça ne pouvait quand même pas être… ?
Son sursaut fut tel qu’il faillit les lâcher. Il regarda Viktor qui lui souriait gentiment et le garçon resserra ses mains sur les deux lames dorées :
« Qu’est-ce… ?
– Je t’ai dit tout à l’heure que Yuuri te laissait un record à battre comme cadeau pour son départ. Ça, c’est mon cadeau à moi. »
Il posa sa main sur celle du jeune homme qui tremblait un peu :
« J’ai gagné pas mal de médailles avec elles, alors je voulais te les laisser pour que tu accomplisses la seule chose que je te souhaite de tout mon cœur. »
Viktor sourit et caressa sa joue avant de poser sa main sur son épaule :
« Surpasse-moi. »
Yurio hocha la tête en retenant ses larmes et le voyant, Viktor l’attrapa pour le serrer dans ses bras. Le garçon pourrait y pleurer en toute discrétion. Il serra ses poings sur le T-shirt de Viktor, tremblant, et lorsqu’il le repoussa, ce fut pour garder ses mains sur ses épaules et lui dire en le regardant droit dans les yeux :
« Je vais effacer ton nom de tous les livres du patinage du monde, je te le jure. Plus personne ne se souviendra de toi lorsque moi, je raccrocherai, tellement j’aurais brillé plus que toi. »
Viktor souriait et Yurio le lâcha pour pointer Yuuri du doigt :
« Et toi, c’est pareil ! Je vais en faire du bortsch de ton record !
– Trois ans. » répondit Yuuri en croisant les bras avec un grand sourire, soutenant sans peine le regard de son meilleur ennemi.
Yurio eut un sourire dédaigneux avant de lui tendre son poing :
« Il me faudra moins de temps que ça.
– Tenu. » répondit le Japonais en le frappant avec le sien.
*********
Rentrés sans plus d’encombre à l’hôtel, tout le monde repassa dans sa chambre se poser un peu avant le dîner. Le ciel était menaçant et l’air un peu lourd, mais l’orage ne venait pas.
Alors que Viktor se douchait, Yuuri reprit son ordinateur pour faire le tour des réseaux sociaux. Ceux-ci étaient occupés par son record et par la tentative d’agression de Billy et ce qui avait suivi. Le Japonais s’était assis à la tête du lit, contre le mur, et Makkachin vint se coucher contre lui.
Il resta un peu sur Facebook, remerciant toutes les personnes qui le félicitaient et ignorant les autres. Il avait mis un moment à dresser sa fanbase, mais cette dernière était désormais sage et respectait le plus souvent sa volonté de ne pas répondre aux rageux, aux homophobes et aux haters et de les laisser cracher leur venin tous seuls.
Les messages étaient plutôt sympathiques et il répondait tranquillement à quelques commentaires lorsque Viktor sortit de la douche, encore tout humide et nu mis à part la serviette avec laquelle il se frottait la tête en chantonnant You’re the only one.
Il vint s’asseoir au bord du lit et mit la serviette autour de son cou avec un gros soupir.
« Ouh que ça fait du bien !
– Je t’assure que tu ne sentais pas si mauvais que ça.
– Je te crois, mais tu sais bien que je n’aime pas en avoir l’impression… J’ai vraiment trop transpiré cet après-midi… Quand je pense qu’il neigeait quand j’ai quitté Saint-Pétersbourg… Le changement de température est un peu violent, là.
– J’ai eu le même problème… Dis, les autres voulaient aller faire un petit tour au Paddy’s, ce soir, ça te dit ?
– Oh oui, volontiers. Si je repars d’ici sans avoir bu une Guiness, Epona va me maudire. »
On toqua timidement à la porte. Yuuri posa rapidement l’ordinateur et se leva pour aller ouvrir et John entra et referma la porte sans lui laisser le temps de dire ouf. Très surpris, le Japonais regarda le garçon avec des yeux ronds et ce n’est pas la question de John qui les allait les aider à reprendre leur forme naturelle :
« Euh, je peux rester ici un moment ?
– Eeeh ?! »
Le garçon le regarda, suppliant :
« S’il te plaît !!… Je me suis engueulé avec ma mère et cette chambre est la seule où elle ne viendra pas me chercher ! »
Viktor explosa de rire en entendant ça et Yuuri lui-même se mit à rire aussi :
« Bon, OK, rentre… »
Viktor en était tombé à la renverse sur le lit, mais par un quelconque miracle, sa serviette avait migré de son cou à ses hanches dans l’intervalle, posée stratégiquement en ne cachant que le nécessaire, cela dit.
Makkachin regardait son maître, dubitatif, et Yuuri revint vers le lit, amusé :
« Respire, mon amour, respire ! »
Viktor finit par se calmer et se redressa sur un coude en essuyant ses yeux.
« Assieds-toi, John… Et toi, va t’habiller, vieil impudique !
– Oui, mon chéri. »
Viktor se leva doucement pour retourner à la salle de bain, prenant ses habits au passage. John sursauta en le regardant avant de secouer vivement la tête et Yuuri se réinstalla et reprit son ordinateur en soupirant avec un sourire :
« Oui, je sais, à poil il ferait tomber le pape enceint. Rien de trop grave, avec ta mère ?
– Je sais pas… Elle disait que c’était un scandale que Billy ait été arrêté… Mais j’étais pas d’accord… Je euh… »
Il jeta un oeil un peu gêné au Japonais :
« … Franchement, je vous comprends pas et je suis dégoûté rien que de penser à ce que vous faites…
– Ben penses-y pas, dit Viktor de la salle de bain.
– … Mais agresser quelqu’un, ça se fait pas… Surtout pas un blessé… Et puis… Elle m’énerve… Elle peut pas dire en même temps que Dieu pardonne tout et de l’autre juger et condamner sans arrêt… À un moment ’faut se décider… »
Yuuri avait souri et lui répondit gentiment :
« C’est souvent plus facile de juger.
– … Je… Je vous comprends vraiment pas…
– Qui te demande de comprendre ? »
John regarda Yuuri qui lui souriait toujours, bienveillant, et qui reprit :
« Viktor ne comprend pas que je puisse aimer le poisson cru…
– Ah mais n’en parle pas, confirma Viktor, sérieux comment tu fais pour avaler ça ?
– … Ben je lui demande pas de comprendre ou de se forcer, continua Yuuri en jetant un oeil amusé du côté de la salle de bain. C’est ses goûts, c’est tout. Et puis ça m’en fait plus, ajouta-t-il avec un clin d’oeil à l’adolescent.
– Ah oui, garde ma part, aucun souci ! confirma encore Viktor.
– Mais vous savez enfin euh… Pourquoi vous êtes comme ça ?
– Moi, je ne suis pas comme ça, lui répondit Yuuri.
– Tu n’es pas homosexuel ?
– Non, uniquement viktorsexuel. »
Viktor se remit à rire et ils l’entendirent :
« Ah qu’il est doux de savoir qu’on est le centre du monde de la personne qu’on aime ! »
Yuuri jeta un nouvel oeil amusé vers la salle de bain et reprit pour John :
« Bon, en règle générale, il est plus supportable que ça.
– EH !
– Il y a beaucoup de rumeurs sur lui… dit John, amusé aussi malgré lui.
– Rançon de la gloire… dit encore Viktor. Même moi je les connais pas toutes ! J’en ai encore appris une belle ce matin, d’ailleurs. Il paraît que je t’ai dragué, John, t’es au courant ? »
Le garçon sursauta alors que Yuuri soupirait :
« Pas pire que celle qui dit que je filme quand il ramène un gigolo à la maison…
– Vraiment ? sursauta encore John.
– Si tu savais… »
Yuuri haussa les épaules :
« Viktor a eu pas mal d’aventures avant que je le rencontre, personne d’autre que moi depuis, mais pas mal de monde n’y croit pas et s’imagine des trucs très chelous… »
Le téléphone de Yuuri sonna, il regarda, sourit et décrocha :