D’une rive à l’autre (Nouvelle d’Halloween 2018)

Synopsis : Un soir d’Halloween, un mafieux apprend que son fils sort avec un de ces hommes… Furieux, il décide de faire tuer ce dernier… Mais peut-être n’est-ce pas le bon soir pour jouer avec la mort…

Nouvelle à déconseiller à un public très sensible. Pas de sexe, mais des propos et des actes violents.

 

D’une Rive à l’autre

Nouvelle de Ninou Cyrico

Halloween 2018

 

C’était une nuit sombre et orageuse. Une nuit d’automne glaciale. Dans les faits, il n’était pas si tard. A peine le début de soirée. Mais on était le 31 octobre et la journée avait été couverte et pluvieuse. Il avait donc plus ou moins fait nuit toute la journée et l’obscurité était tombée très vite, dès 16h.

Le grand manoir était vieux et perdu au milieu de nulle part, de forêts et de collines où il n’y avait pas grand-chose à part des champignons, des biches et quelques sangliers. Et des fois, des fraises des bois. Mais là, ce n’était pas la saison. Les animaux étaient tranquilles autour de cette maison, car aucun chasseur ne s’en approchait. Vu les propriétaires des lieux, ça aurait été du suicide et ça se savait très bien.

Car régnait sur ce beau reste du XVIIIe siècle un très grand homme très fort, même si plus rond et dégarni qu’il ne l’avait été, mais il ne fallait surtout pas le lui faire remarquer. Cet homme était féru d’art, d’opéra et de peinture principalement. Son épouse aussi, elle peignait d’ailleurs elle-même. Ils adoraient passer des heures au coin du feu de leur grande cheminée, à écouter du Rossini ou du Mozart, surtout après une dure journée à régler leurs divers trafics, vérifier les comptes de leurs dealers et de leurs proxénètes ou exécuter deux ou trois traîtres, rivaux ou mauvais payeurs.

Être mafieux n’était pas de tout repos, surtout à leur niveau.

Ce soir-là, cependant, la tension était palpable entre le couple qui se préparait à sortir pour aller dîner chez des collègues irlandais, qui les avaient invités pour Halloween. Ou, pour être exact, l’épouse, dans une jolie robe de soirée noire, longue et scintillante, tentait de calmer son mari. Ils étaient dans leur chambre. Elle lui disait doucement, occupée à se maquiller à sa table de coiffure :

« Tout de même, Christophe, tu aurais pu prendre le temps de leur parler… »

Mais il était fou de rage, encore tout rouge, à moitié écumant, et répliqua avec violence :

« Et puis quoi encore ! »

Il n’arrivait pas à nouer sa cravate, debout devant le miroir de leur grande armoire, tant il tremblait :

« Me faire ça, à moi, après tout ce que j’ai fait pour lui ! Je le sauve, le nourris, l’accueille sous mon propre toit, et voilà comment il me remercie !… »

Elle restait très calme et se pencha pour tracer avec soin son trait d’eyeliner.

« Ah, c’est tout toi, ça. Tu t’énerves, tu prends des décisions sur un coup de sang, sans même chercher à comprendre…

– Quoi !! Tu ne voulais quand même pas que je laisse passer ça ! vociféra-t-il.

– Tu aurais quand même pu leur parler, au lieu d’envoyer Paulo et ses copains, répondit-elle gentiment en traçant le second trait. Ils manquent de subtilité. Ils font faire n’importe quoi… Tu auras l’air malin si on apprend que ce n’était pas vrai, ou s’ils échouent…

– Echouer, à six contre un, une tapette, en plus ? Voyons, Louisa, ma chérie, sois sérieuse ! »

Louisa soupira avec un petit sourire sans répondre. Cette histoire était ridicule. Mais elle savait que lorsqu’il était dans cet état, il ne servait à rien de tenter de raisonner son Christophe. Elle renonça donc, se contempla avec satisfaction, se leva et alla lui nouer sa cravate.

« Tu es magnifique. » dit-elle.

Elle l’embrassa.

« Allons, viens, nous verrons ça plus tard, nous allons être en retard. »

Elle prit la main de son époux un peu radouci et l’entraîna. Elle n’était pas inquiète. Les deux « tapettes » s’en sortiraient très bien toutes seules, elle en était sûre, et tout ce qu’elle pouvait faire pour les aider était d’éloigner son mari de cette maison le temps de.

Ça et un petit texto.

Dans un autre couloir de l’étage, deux hommes gardaient une porte en rigolant plutôt vulgairement. L’un d’eux posa son oreille contre la porte en ricanant et haussa les épaules : 

« On l’entend pas… Qu’est-ce que tu crois qu’il fait ?

– Oh, je parie qu’il chiale sa mère comme une pisseuse, cet enculé ! »

Ils rirent encore tous deux.

« Ah clair qu’il va moins la ramener sans son chéri, c’te tarlouze ! Il a déjà du cul d’être le fils de boss, sinon paf, deux balles dans le chou comme son mec ! »

A l’intérieur de la chambre, tout était noir et un silence lugubre régnait, que seuls deux bruits interrompaient régulièrement. Un surtout. Celui d’une lame qu’on aiguisait avec soin. L’autre était, moins souvent, un reniflement.

Les deux hommes à la porte avaient raison sur un point. Leur prisonnier pleurait, assis au sol contre le mur, seul dans sa chambre où il avait été jeté sans sommation après une gifle qui l’avait à moitié sonné, à l’annonce que son secret était découvert et que son amant allait être exécuté sans plus de sommation.

Là où, par contre, ils se trompaient lourdement, c’est qu’il n’était pas exactement en train de chialer sa mère comme une pisseuse. Il pleurait certes, mais de rage. Il était fou furieux et chaque rire, derrière cette maudite porte, ne faisait qu’augmenter sa colère. Chaque rire ne le faisait affuter que plus soigneusement la lame de son long couteau.

Il allait leur fracasser la gueule, à cette bande de connards. Il allait tellement les démolir qu’il leur faudrait un permis de construire pour ressembler à nouveau à quelque chose, tellement massacrer les responsables de cette merde que les pompes funèbres n’auraient plus rien à mettre dans leurs cercueils.

Dimitri, putain…

Ils vont nous payer ça, je te le jure.

 

********* 

 

Manuella était vautrée sur son canapé avec un bon bouquin, trentenaire emballée dans un plaid douillet, ses cheveux bruns bouclés relevés en un chignon anarchique, avec une grande tasse de thé et un gros paquet de bretzels, lorsque son téléphone vibra.

L’appareil était posé sur la table basse, à côté. Elle grogna quand même et faillit ne pas le prendre, mais se ravisa en grommelant. Si on la dérangeait à cette heure-ci un jour de repos, ça pouvait être grave. Ou plutôt, ça avait intérêt à l’être, sinon ça allait chier.

Fallait toujours que ça arrive pile au moment d’un super twist, en plus, ces messages à la con…

Elle fronça les sourcils. Que lui voulait Louisa ? Manuella regarda l’heure à sa pendule, au mur. Son amie était censée être en route pour la soirée des Irlandais, là ?…

Le cri lui échappa sans qu’elle parvienne à le retenir :

« QUOI ! »

Elle se mit à trembler, ahurie :

« Putain, mais c’est pas vrai ! »

Tentant de se reprendre, elle composa le numéro de Dimitri à toute vitesse.

Répondeur.

« Et merde ! »

Elle se leva d’un bond, désormais furieuse, envoyant voler le plaid, en composant un autre numéro.

« Réponds, Mathis, merde… »

Re-répondeur.

Elle inspira un grand coup pour reprendre son calme. Elle passa sa main libre sur son visage, puis jura :

« Putain putain putain… Mais je vais le défoncer, ce sale vieux con… »

Elle fila dans sa chambre en composant un troisième numéro et ouvrit l’armoire alors que ça décrochait, cette fois :

« Mana ? Qu’est-ce qui se passe ? »

La voix était masculine, douce et intriguée, avec un léger accent russe.

« Je te dérange pas, Piotr ? dit-elle nerveusement en sortant un jean et un pull et en les jetant sur son petit lit.

– Tu ne me déranges jamais, ma belle. Mais tu as l’air furax. Un problème ?

– Ouais. Lou vient de m’envoyer un message. Chris a découvert pour Dimitri et Mathis, il a ordonné à Paulo et sa bande de glands de tuer Dimitri et apparemment, Mathis est enfermé dans sa chambre. »

Il y eut un blanc au bout de la ligne.

« Der’mo… » [Merde…]

Elle jeta un t-shirt à manches longues sur le lit et se pencha pour attraper des chaussettes :

« J’y file, j’espère que je vais arriver à temps.

Da. Et qu’est-ce que tu attends de moi ? »

Elle s’assit sur le lit et commença à s’habiller :

« Trouve qui a vendu la mèche à Chris et pourquoi. Je le sens pas, là, ça pue la merde.

– OK, compte sur moi, Mana. Je vais te trouver ça.

– Merci. Tiens-moi au courant, je file.

Da. A tout à l’heure. Bonne chance. »

Piotr raccrocha sans attendre et passa sa main sur ses lèvres, grave.

Ce petit Russe de 43 ans était assis à son bureau, car il était sagement en train de se faire une petite partie de Counter Strike lorsque son téléphone avait sonné.

Il s’accouda à la plaque de bois blanche et réfléchit. Manuella avait raison, c’était très étrange que cette info soit arrivée aux oreilles de Chris ce jour-là, précisément, alors qu’il y avait ce repas chez les Irlandais…

Il éteignit son jeu, puis son ordi en réfléchissant toujours.

Piotr était au service de la famille depuis longtemps, à celui de Manuella depuis moins longtemps.

Lorsque la demoiselle était arrivée d’on ne savait trop où, elle s’était heurtée à pas mal de moqueries et de réticences. Pas mal de monde considérait visiblement qu’il fallait un pénis pour savoir se servir d’une arme à feu.

Louisa l’avait par contre très bien accueillie, elle, toute contente d’avoir une collègue. La femme de Christophe avait été une tueuse remarquable en son temps et, bien qu’elle ait arrêté après la naissance de ses deux fils, elle reprenait son petit Beretta de temps en temps quand le besoin s’en faisait sentir. Elle avait donc accordé quelques contrats à Manuella qui les avait exécutés, eux et les personnes concernées, avec un professionnalisme tout à fait remarquable, lui aussi.

Suite à ça, elle était rapidement montée en grade au sein du clan et, si certains avaient eu mal à leur virilité à cause de ça, ceux qui avaient tenté de s’en prendre à elle ou de l’agresser pour lui rappeler sa place de faible femme avaient eu quelques petits soucis.

Le premier avait pris une claque assez magistrale. Le deuxième avait eu un bras cassé et elle avait prévenu qu’elle ferait la peau au troisième, qui s’était donc pris deux balles dans la tête. Il n’y avait, sans grande surprise, jamais eu de quatrième.

Manuella était un électron libre, mais fidèle au clan et à Louisa, et, proche de Mathis, le plus jeune fils de cette dernière, elle l’avait donc été aussi de Dimitri. Et lorsque ce dernier s’était rapproché du jeune homme, leur relation avait été immédiatement évidente pour elle.

Elle avait pour ainsi dire su qu’ils étaient ensemble avant eux. Et comme ça lui allait, elle les avait couverts. Elle savait bien que ce vieil idiot de Chris ne prendrait pas bien ça du tout et que donc, ça ne servait à rien qu’il soit au courant.

Piotr était de cet avis aussi. Lui aimait bien Dimitri et ce n’était pas que par affinité d’origine et de vodka. Son concitoyen était un homme aussi efficace que discret, un ami fiable et sincèrement dévoué à la famille qui l’avait recueilli à son arrivée en France, alors qu’il n’avait plus rien ni personne.

Piotr se souvenait encore du jour où il l’avait rencontré. Dimitri venait d’arriver, grand homme amaigri et taciturne aux cheveux poivre et sel, comme sa barbe hirsute, aux yeux bleu-vert tristes. Il cherchait un autre de leurs compatriotes, décédé quelques mois plus tôt dans un règlement de comptes, ce qui avait attiré l’attention de membres du clan. Désireux de savoir ce que cet inconnu faisait là et voulait au défunt, ces derniers l’avaient donc attrapé et, devant la barrière de la langue, l’avaient emmené à Piotr.

Dimitri ne voulait rien au mort, à part de l’aide. C’était un ancien ami à lui, il espérait qu’il puisse l’héberger, ou lui dire où aller, le cas échéant, car il venait de débarquer sans rien d’autre que ce qu’il avait sur le dos et un petit sac. Il avait dû quitter Moscou en catastrophe suite à des soucis avec des trafiquants, avait-il expliqué sans plus entrer dans les détails. Une fois lavé, rasé et nourri, Piotr lui avait trouvé un boulot de videur dans une de leurs boites et rapidement, le Russe avait appris le français et fait ses preuves, jusqu’à devenir un des gardes de la maison perdue dans les collines. Maison dans laquelle il avait rencontré Manuella et Mathis.

Piotr soupira et reprit son téléphone. Il fallait qu’il trouve qui était derrière tout ça.

 

*********

 

Attaché à l’arrière de la camionnette où on l’avait jeté avec un manque de tact notoire et qui l’emmenait quelque part dans ces collines qu’il avait appris à aimer, au fil des mois, Dimitri était, assez curieusement, très serein.

Couché sur le sol froid du véhicule, seul, il fredonnait une vieille berceuse et souriait doucement.

Il n’avait pas la moindre peur, ni le moindre regret. Il avait de toute façon toujours plus ou moins su que ça se finirait comme ça, que le destin le rattraperait un jour ou l’autre. Il était heureux de ce qu’il avait pu grapiller comme bonheur, de ce qu’il avait vécu. C’était tellement plus que ce qu’il avait espéré… Mais quand on était pédé, ça finissait toujours par se payer, pas vrai ? C’était ce que sa mère lui avait dit, il y avait bien longtemps…

Il aurait bien aimé dire au revoir à Mathis, lui dire merci. Il espérait que Jonas avait pu lui transmettre le message. Ça tombait bien qu’il l’ait croisé, quand ils l’emmenaient. Paulo et quatre de ses gars lui étaient tombés dessus alors qu’il se demandait tranquillement quelle cravate mettre le soir, puisqu’il escortait Chris et Louisa chez les Irlandais. Sans doute l’auraient-ils abattu sans autre forme de procès sans la sacro-sainte règle qui voulait qu’on ne verse pas de sang à l’intérieur de la maison. Juste un sursis, le temps de l’emmener dans les collines lui coller deux balles dans la tête et l’enterrer discrètement.

Ils avaient solidement attaché ses bras dans son dos avant de l’embarquer, deux gars le tenant fermement. Pas fous, ces crétins. Ils savaient à qui ils avaient à faire… Et donc, dans le hall, ils avaient croisé Jonas.

Le frère aîné de Mathis, très surpris, avait accouru :

« Eh ! Vous foutez quoi, là ! »

Paulo, qui ne se sentait sûrement plus d’avoir été chargé par le boss en personne de liquider Dimitri, avait répliqué avec la classe qui le caractérisait :

« On vient d’apprendre que cette tarlouze se tapait ton frangin ! Mais t’en fais pas, ton père nous a demandé de régler ça ! Ça fera un sale pervers de moins ! »

Jonas avait sursauté, stupéfait, avant de fixer Dimitri avec des yeux ronds :

« Quoi ?! »

Attendant des injures ou des coups qui n’étaient pas venus, Dimitri avait tristement souri à Jonas et dit avec sa douceur habituelle :

« Jo, tu veux bien me rendre un dernier service, s’il te plaît ? »

Jonas avait froncé les sourcils, mais s’était approché devant lui en balbutiant :

« Tu as… Vraiment… Avec Mathis… ? »

Le Russe avait souri sans répondre et reprit :

« Est-ce que tu pourrais prendre mon anneau et le donner à ton frère, s’il te plaît ? »

Si Paulo ou un de ses gars avait été tenté de faire une blague sur le fait que Dimitri veuille donner son anneau à Mathis, aucun n’avait osé la faire devant Jonas qui avait fait la moue et obtempéré, passant derrière le prisonnier pour retirer de son majeur gauche l’anneau argenté qui s’y trouvait.

« Dis-lui merci, s’il te plaît, avait continué Dimitri. Que c’était bien et que je l’attendrais de l’autre côté… »

Il avait encore souri à Jonas qui était revenu devant lui :

« Peu importe où je serai, je l’attendrai. »

La camionnette tourna brusquement et les secousses qui suivirent informèrent Dimitri qu’ils venaient de quitter la route pour s’avancer plus profondément dans les bois.

Un petit rire suivi d’un petit coup de pied dans son épaule le firent sursauter.

« T’as l’air malin. »

Il leva le nez et fronça un sourcil vers le jeune homme brun aux yeux clairs, mal rasé, vêtu d’un jean élimé et d’une veste de survêt clair à la capuche remontée sur sa tête, qui le regardait, franchement goguenard.

« Qu’est-ce que tu fous là ? » fut tout ce que Dimitri, surpris de le voir, parvint à dire.

Le jeune homme se pencha, amusé :

« Je passais. »

Dimitri se redressa comme il put :

« Te fous pas de moi, Aliocha.

– Ni toi de moi, Dima. Qu’est-ce que tu fous dans ce camion ? Tu vas vraiment laisser ces cons te tuer comme ça ?

– J’aimerais bien t’y voir… »

Un coup de frein brutal envoya Dimitri contre la paroi, lui arrachant un grognement.

« Tu m’as fait une promesse, Dima… »

Un instant plus tard, les portes s’ouvrirent et des mains attrapèrent ses chevilles pour le faire sortir. Il chuta sur le sol boueux et grogna encore. Deux gars le ramassèrent et le relevèrent brusquement. Il réalisa alors qu’ils n’étaient que trois. Paulo n’était pas là, il n’y avait que son second et les deux qui le tenaient. Le second avait une pelle qu’il tendit au gars de gauche :

« Je reste ici. Faites vite. »

Les deux gars partirent, entraînant un Dimitri qui avait un petit coup de barre. Il se laissa mener, perdu dans ses pensées. Les paroles d’Aliocha le laissaient perplexe. Sa simple présence l’aurait dû, mais là, il se souvenait surtout de cette promesse. Aliocha la lui avait arrachée…

Jure-moi que tu vas vivre, Dima. Jure-moi que tu seras heureux.

Il faisait sombre. Comme le gars de gauche tenait la pelle, celui de droite éclairait la route avec son téléphone portable. Une chouette hulula au loin.

Ils trouvèrent un endroit adéquat, une zone assez grande entre les arbres pour y creuser une tombe. Ils jetèrent Dimitri au sol et ce dernier grogna une troisième fois. Le sol était meuble, humide et froid.

Dimitri attendit les balles. Elles ne vinrent pas. Il finit donc par se tourner sur le côté pour se redresser comme il pouvait et resta dubitatif lorsqu’il comprit pourquoi on ne l’abattait pas.

Ses bourreaux étaient en train de se disputer parce qu’aucun des deux ne voulait creuser.

Dimitri se tortilla et parvint non sans mal à se mettre à genoux. Et resta donc à regarder les deux hommes manquer d’en venir aux mains. Et les mots d’Aliocha lui revinrent en tête : « Tu vas vraiment laisser ces cons te tuer comme ça ? » et à nouveau, alors que la simple présence d’Aliocha dans cette camionnette aurait dû être sa principale préoccupation, Dimitri songea qu’il avait froid et que franchement, c’était un peu insultant pour lui qu’on ait chargé des crétins pareils de son sort.

Pédé ou pas, il avait tout de même été un homme loyal et avait toujours bien fait son boulot. Merde, quoi. Confier son exécution à des personnes dignes et respectueuses aurait été plus correct.

Il soupira et ce bruit attira l’attention des deux zozos qui échangèrent un regard et ricanèrent. Dimitri les regarda revenir vers lui, toujours dubitatif, et ce qui suivit ne fut pas pour aider. Alors que celui au téléphone l’éclairait d’une main, sortant son flingue de l’autre, le second posa un instant la pelle pour le détacher, avant de la lui mettre dans les mains en ordonnant, mauvais :

« Creuse. »

Dimitri se frotta un instant les poignets, les regardant l’un après l’autre en se demandant si c’était une blague. Mais visiblement, non…

Il se releva lentement, s’appuyant sur la pelle, alors que le gars au téléphone le braquait, et soupira encore. Bon, ben, puisque, visiblement, une quelconque entité divine avait décidé de s’amuser de lui ce soir-là, autant faire les choses comme il fallait.

Il retint un bâillement et se mit à creuser.

La terre molle ne fit pas de difficulté. Il écoutait d’une oreille les gars parler de choses ineptes, râler qu’il faisait froid, se demander s’il allait se remettre à pleuvoir. Il se remit à fredonner sa berceuse. Creuser, au moins, le réchauffait, lui, alors qu’il ne doutait pas une seconde que ses bourreaux s’engourdissaient. Mais le flingue le visait toujours, aussi creusait-il docilement.

Au bout d’un moment tout de même et alors que le trou se faisait assez grand, Dimitri étant à moitié sous la hauteur du sol, l’un d’eux gueula enfin :

« Magne-toi ! On se pèle ! 

– Grave, c’est assez grand, là ! » fit l’autre.

Dimitri répondit posément :

« Da, da, j’ai presque fini… »

Il jeta un œil aux deux hommes et ajouta avec un grand sourire :

« J’aime bien avoir de la place… »

Il enfonça la pelle pour prendre une bonne pelleté de terre.

« … Y a que dans le cul de Mathis que j’aime être à l’étroit. »

Le sursaut dégouté des deux gars suffit.

Celui au flingue se prit la pelleté de terre humide en plein visage, lui arrachant un cri et faisant tomber le téléphone. Dans la pénombre, la pelle frappa ensuite le second au genou, le faisant basculer et, une seconde plus tard, une main ferme l’attira dans le trou où sa nuque fut brisée sans autre forme de procès.

L’autre parvint à redresser son arme en jurant, mais dans le noir et paniqué, il ne vit rien et la pelle s’abattit sur lui avec force. Un peu plus tard, son cadavre rejoignait celui de son pote.

Dimitri se gratta la tête.

Il avait bien sûr repris le flingue et jeta un œil plus loin, vers la lumière de la camionnette. Visiblement, le troisième larron n’avait rien entendu.

Non, mais vraiment, que son exécution ait été confié à ces gars était vraiment insultant.

Dimitri se demanda comment faire. La camionnette était allumée et assez loin des arbres. Aucun moyen d’approcher sans être vu. Tirer sur l’homme de si loin était risqué… Dimitri n’était pas si bon tireur, de nuit, et ses yeux, habitués à la pénombre, auraient du mal à la lumière des phares. Il pouvait attendre qu’il s’inquiète et se pointe, mais c’était aussi risquer qu’il appelle des renforts.

Or, Dimitri avait faim. Il avait donc envie de se casser d’ici au plus vite.

Il eut un sourire en coin. Il prit l’arme et tira dans le sol. Puis, il attendit.

Comme prévu, le bruit de l’arme avait attiré l’attention du bras droit de Paulo. Au bout d’un moment, ce dernier sortit du véhicule et cria :

« Bon, vous vous magnez, ouais !! Faut quand même pas deux plombes pour buter une tarlouze et l’enterrer ! »

Dimitri eut un sourire et ne bougea pas. Comme prévu, le gars se ramena assez vite, toujours en criant des insultes. Dans un souci tout à fait conscient d’économie de balles, car l’entité divine joueuse seule savait s’il en aurait encore besoin, Dimitri se fit un devoir de lever sans un bruit la pelle pour l’abattre vigoureusement sur la tête de l’homme dès qu’il fut à sa portée. Deux autres coups achevèrent sans traîner l’individu et Dimitri soupira en frissonnant. Il avait bien sué. Cette courte attente, dans le froid, l’avait frigorifié.

Il se fit pourtant un devoir de finir les choses proprement. Il fit les poches des morts, prenant leurs armes, bijoux, téléphones, portefeuilles et autres. Pas qu’il soit un charognard. C’était juste la règle : faire tout ce qui pouvait retarder la possible identification des corps si jamais on les retrouvait. Il aurait, en d’autres instants, poussé le perfectionnisme jusqu’à les déshabiller, mais là, il n’en eut pas le courage. Il y avait très peu de chances qu’un randonneur du dimanche les retrouve, mais on n’était pas si près du manoir, donc, autant faire quand même le minimum.

Il reprit la pelle pour les enterrer avec soin, tassa bien, mais pas trop, et remit des feuilles mortes et de l’humus par-dessus. A la faible lueur du portable, ce n’était pas si mal. Ça irait bien…

Il repartit avec sa pelle et grimpa à la place du conducteur.

« Tu vois, quand tu veux… »

Il regarda Aliocha, assis tranquillement à la place du mort.

Dimitri inspira un coup sans répondre en posant ses mains sur le volant. Le moteur ronronnait, tournant pour laisser les phares et le chauffage, ce qui n’était pas du tout écologique. Mais cette chaleur était une bénédiction. Le grand Russe posa un instant sa tête sur ses bras, s’étirant. Bon sang, qu’est-ce qu’il aurait donné pour une douche brulante et un bon repas chaud !

« Tu vas faire quoi, maintenant ? »

Aliocha le regardait avec tendresse, souriant, même s’il était toujours aussi clairement amusé.

« Bonne question… » reconnut Dimitri en se redressant sans grande énergie.

Le plus simple aurait bien entendu été de s’enfuir. Partir, loin. Mais pour aller où ? Et sans rien ? Même quand il avait fui Moscou, il n’était pas si démuni. Et puis…

Laisser Mathis ?

Comme s’il avait lu dans ses pensées, et après tout, Dimitri n’aurait pas été à ça près, Aliocha hocha la tête :

« Je crois que quelqu’un t’attend. »

Dimitri hocha la tête à son tour, enleva le frein à main et débraya.

« Oui. Quelqu’un m’attend. »

 

********* 

 

Mathis avait fini par se lever lentement, allumer sa lampe de chevet et tomber assis sur son lit. Tremblant de colère, encore, il avait pris sa tête dans ses mains et sangloté malgré lui.

Dimitri…

Où était-il ? Est-ce qu’il était déjà mort ? Où est-ce que ces fumiers l’avaient emmené ? Ils allaient vraiment le tuer et le laisser là-bas, tout seul dans cette boue glaciale ? Il faisait si froid dans la forêt… Il pleuvait à nouveau…

Tout ça tournait dans sa tête sans trêve.

Il renifla. Avant de sursauter en entendant quelque chose cogner sa vitre. Il était au premier étage. Il se redressa et regarda, pensant qu’une rafale de vent avait rabattu la pluie, mais sa fenêtre était sèche ?…

Le bruit se répéta et il fronça les sourcils, cette fois. Il se leva, renifla en essuyant ses yeux et alla voir. Dehors, il faisait nuit noire. Il fronça les sourcils et ouvrit la fenêtre. Et recula violemment lorsqu’une main tremblante agrippa comme elle put le rebord. Avant de retenir un cri et de la saisir pour aider son propriétaire à rentrer.

A bout de force et trempé jusqu’aux os, Dimitri s’écroula sur le sol, plus mort que vif.

Mathis ne prit que le temps d’être sûr qu’il n’y avait personne dehors, qu’on ne pouvait pas les avoir vus, avant de refermer la fenêtre et de se précipiter près de lui.

Il cria tout bas :

« Dima ! »

Il le prit dans ses bras, tremblant lui aussi, mais ce n’était pas de froid, l’aida à se redresser et ils se regardèrent un instant, le Russe reprenant son souffle, son amant à nouveau au bord des larmes :

« Dima ? Tu vas bien ? Tu n’es pas blessé ?… Tu es gelé… Tu… »

Des lèvres affamées lui coupèrent la parole alors que deux bras humides et glacés l’étreignaient avec force. Mathis répondit au baiser en le pressant contre lui également, soulagé comme il ne l’avait jamais été.

« Mon Dima… 

– Désolé… J’ai pas osé appeler… J’avais peur qu’ils t’aient piqué ton téléphone…

– Tu as bien fait, il est resté en bas… J’ai pas pu le prendre quand ils m’ont attrapé… »  

Il caressa les cheveux poivre et sel et murmura :

« Il faut te réchauffer… Planque-toi dans ma salle de bain et prends une douche… Je vais essayer de les envoyer chercher à manger… »

Trop épuisé pour négocier, Dimitri hocha la tête. Cet endroit serait sûrement le dernier où on viendrait le chercher pour le moment. Le manoir était désert, à part les quelques hommes qui le gardaient et étaient restés au chaud en bas et les deux qui devaient toujours être devant la porte de Mathis. Ils avaient quelques heures avant que Chris et Louisa ne reviennent avec Jonas, quelques heures pour trouver une solution, peut-être pour partir ensemble. Il verrait. Pour le moment, Mathis avait raison, il devait se réchauffer et manger un peu.

Ils s’embrassèrent encore, s’étreignirent encore. Ils étaient vivants et ensemble. C’était plutôt une bonne base pour la suite.

Mathis l’aida à se relever et l’accompagna jusqu’à sa salle de bain. Elle était assez loin du couloir, ses gardiens n’entendraient rien. Laissant son Russe, il retourna à la porte et frappa. Les deux mous du bulbe étaient encore là, mais comme ils se faisaient bien suer et qu’ils avaient très faim aussi, ils ne firent pas tant de difficulté à la demande du jeune homme de lui apporter à manger, du chaud et beaucoup parce qu’il avait très faim, y voyant surtout une bonne occasion d’aller se nourrir eux-mêmes. Ils prirent donc leur temps. Lorsqu’ils revinrent enfin, Mathis ne manqua pas de le leur faire remarquer :

« Ça va, tranquille, les gars ? Vous bougerez vos culs un peu plus vite, la prochaine fois ! »

L’un des deux posa le gros plateau bien chargé sur le bureau alors que l’autre jetait un œil méprisant au garçon :

« Pour ce qu’est de bouger mon cul, j’ai aucune leçon à recevoir qu’un sale enculé ! »

Le poing de Mathis l’envoya au sol avant qu’il ait le temps de dire ouf :

« Le sale enculé est le fils de ton boss et il a besoin d’aucun ordre pour te crever, connard ! »

Un violent coup de pied suivit. Effrayé, l’autre recula un peu vers la sortie alors que Mathis continuait, furieux :

« Oublie plus jamais ça, sale fils de pute ! PLUS JAMAIS !! Et maintenant, dégagez ! Je veux plus voir vos gueules et si je vous entends encore rigoler derrière ma porte, je vous jure que vous finirez aussi enterrés dans les bois avant d’avoir eu le temps de dire ouf, est-ce que je suis clair ?! »

Les deux hommes détalèrent sans demander leur reste. S’ils refermèrent la porte à clé, ce fut sûrement autant pour enfermer le garçon que pour s’assurer qu’il ne sortirait pas les égorger.

Dimitri sortit de la salle de bain où il était resté caché le temps de. Vêtu de la robe de chambre douillette, mais un peu courte pour lui, de son hôte, il rejoignit ce dernier pour l’enlacer doucement par derrière et embrasser sa nuque.

Mathis inspira un grand coup pour se calmer.

« Ça va aller… » murmura Dimitri.

Mathis sourit :

« Oui. Viens, il y a un thermos, je pense que c’est de la soupe, ça te fera du bien… »

 

********* 

 

Manuella arriva au manoir bien plus tard qu’elle n’avait voulu, à cause de cette fichue pluie. Elle freina devant le parvis, sortit et claqua violemment sa portière. Le trajet ne l’avait pas vraiment calmée, car elle était persuadée que c’était trop tard pour Dimitri et elle n’avait pas réussi à avoir Mathis.

Elle entra. La porte n’était pas fermée, mais les gars restés à garder le lieu sortirent du salon voisin, où ils se trouvaient, pour venir voir qui arrivait dans le hall. Le gardien en chef, un grand Maghrébin au longs cheveux bouclés et aux yeux fins, intrigué de la voir là, s’avança :

« Mana ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Elle enleva sa veste mouillée en répondant virulemment :

« Comment ça, qu’est-ce qui se passe !! C’est plutôt moi qui devrais poser la question ! Où est Dimitri ? Et Mathis ? »

Il grimaça et détourna les yeux, mal à l’aise :

« Mathis est là-haut et ben… Dimitri… On sait pas, ils sont pas encore revenus. »

Elle avait accroché sa veste au portemanteau et se retourna pour le regarder :

« Pas revenus ? Ça fait combien de temps ?

– Euh, j’sais pas, longtemps… »

Il semblait réaliser lui-même qu’effectivement, ça commençait à faire :

« Merde, t’as raison, ça fait plus de deux heures… Ils foutent quoi, ces cons…

– C’était qui ?

– Euh, Al, Ralph et Sammy, je crois… »

Mana le regarda un instant avec des yeux ronds :

« Attends, Sayf… C’est ces tocards que Paulo a envoyé pour buter Dimitri ? T’es sérieux ? Seulement trois gars et ceux-là ?

– Ben… »

Il haussa les épaules, tout à fait conscient du ridicule de la chose.

Elle soupira, blasée, et reprit avec une moue lasse, très lasse :

« Donc Mathis ?

– Toujours en haut, dans sa chambre… »

Elle hocha la tête et en prit le chemin. Il fit signe aux autres de ne pas bouger et la suivit :

« C’est Val et Nico qui le gardent.

– Paulo est où ?

– Il a accompagné les boss chez les Irlandais avec Jonas pour remplacer Dimitri.

– Eh ben, j’espère qu’il ne va rien se passer, parce que si on doit compter sur lui… »

Elle commença à monter l’escalier qui était au fond du grand hall :

« Tu sais qui a balancé l’info à Chris ?

– Un coup de fil, on en a pas su plus. Il a vu rouge et tu connais la suite. Même Louisa a rien pu faire… Il a ordonné à Paulo de se charger de Dimitri et lui est allé chercher Mathis, lui a foutu une claque et l’a fait traîner dans sa chambre en lui gueulant qu’ils verraient ça à son retour et qu’il avait intérêt à rentrer dans le rang pour pas lui faire honte et ce genre de trucs…

– Je vois… »

Sayf hésita, puis ajouta, sincère :

« Désolé, Mana… Tu sais qu’on peut rien faire quand Chris est dans cet état… »

Elle ne put pas le contredire, très peu de personnes osaient tenir tête au caïd lorsqu’il était en colère. C’était souvent léthal. Elle lui aurait sûrement collé trois claques ou cassé un genou pour le calmer, elle, mais elle n’était pas là et elle pouvait comprendre que Louisa n’ait pas voulu aller si loin. Ça aurait pu pourrir un peu leur vie conjugale.

Val et Nico étaient dans le couloir, mais pas si près que ça de la porte. Val était assis au sol et Nico appuyé sur le mur, près de lui, avec un bel hématome sur la tempe. Manuella ne fit que leur jeter un œil et s’arrêta à leur hauteur, tendant la main :

« La clé. »

Val la regardait, surpris, mais Nico s’écria :

« Le boss a dit, il ne voit personne !

– Le boss est pas là et tu seras mort avant qu’il rentre si tu me pètes les ovaires. »

Val se leva lentement et sortit la clé de sa poche :

« Tu es témoin, Sayf, qu’elle nous l’a pris de force !

– Ouais, ouais, on a compris, on va couvrir vos miches… » soupira Sayf.

Manuella prit la clé et alla déverrouiller la porte qu’elle ouvrit sans attendre avant de froncer les sourcils, de rentrer précipitamment en la claquant.

Les trois hommes la regardèrent faire sans réagir.

Dans la chambre, Manuella, le dos collé à la porte qu’elle avait refermée en hâte, regardait Mathis et Dimitri, le premier sur son fauteuil à côté du lit sur lequel le second était assis. Visiblement, ils finissaient de manger. Ils s’étaient pétrifiés tous deux. Mathis fut le premier à se reprendre. Il se leva :

« Mana ? Qu’est-ce que tu fais là ? »

Elle se redressa, se tourna pour verrouiller la porte de l’intérieur avant de répondre :

« Ta mère m’a envoyé un message… »

Elle les regarda l’un l’autre, sincèrement soulagée :

« Vous allez bien ?

– Ouais, ouais… »

Il retourna s’asseoir et elle alla s’installer au bord du lit, non loin de Dimitri. Elle tapota son bras :

« Rarement été si contente de te voir.

Da. Moi aussi. Tu disais, Louisa t’a prévenue ?

– Ouais… »

Elle sortit son téléphone et leur montra le texto.

« J’ai fait aussi vite que j’ai pu… Comment tu t’en es sorti ? »

Dimitri, qui s’était fait un petit sandwich, haussa les épaules :

« Ils m’ont filé la pelle parce qu’ils ne voulaient pas creuser. »

Mathis tendit le paquet de chips à Manuella qui rigola :

« Tu déconnes ?

Niet.

– Ils t’ont filé une pelle à toi, le gars qui a tué dix gars avec un cure-dent ? »

Mathis eut un petit rire aussi alors que Dimitri soupirait :

« Ah mais arrêtez avec ça !!… C’est n’importe quoi, cette rumeur, c’est complètement exagéré…

– Ah ?

Da… Ils n’étaient que cinq et c’était un pique à brochette… »

Mathis se retint d’éclater de rire alors que Manuella regardait Dimitri avec un amusement certain :

« T’as tué cinq mecs avec un pique à brochette ?…

– J’avais que ça sous la main…

– Ouais, c’est déjà pas mal en fait, tu sais… »

Il haussa encore les épaules et elle reprit avec un sourire en coin :

« Toujours est-il que dans tous les cas, t’es pas vraiment le genre de mecs à qui je laisserais une pelle si jamais je devais te descendre… Je savais qu’ils avaient pas inventé l’eau tiède, mais là quand même, c’était un peu du suicide…

– C’est un peu ce que je me suis dit… Que s’ils voulaient à ce point m’aider, j’allais pas les décevoir… »

Il y eut un silence pendant qu’elle mangeait quelques chips et que lui finissait son sandwich. Mathis demanda plus sérieusement :

« Mana, tu sais ce qu’on peut faire ? Papa ne va pas se calmer comme ça, hein ?

– J’ai bien peur que non…

– Tu sais où on pourrait aller ? demanda Dimitri.

– On peut vous trouver une planque le temps de voir… S’il se calme, on vous laisse revenir, sinon, on pourra trouver où vous envoyer. Y a pas mal de monde sur qui vous pouvez compter, je pense. Ça devrait aller. »

Les deux hommes échangèrent un sourire, soulagés.

« Je vais aller récupérer tes affaires. Ça devrait pas être dur de les convaincre de me les laisser. Tu as gardé le véhicule avec lequel ils t’avaient emmené ?

Da, je l’ai garé plus loin. Il reste assez d’essence… »

Le téléphone de Manuella vivra. Elle regarda et décrocha après un regard entendu aux garçons.

« Oui, Piotr ?

– Mana, c’est la cata. Il faut que tu reviennes à Lyon tout de suite !

– Qu’est-ce qui se passe ?

– J’ai trouvé qui a balancé Dimitri. C’est un coup des Ritals.

– Quoi ? Attends… »

Elle mit le haut-parleur et reprit :

« On t’écoute tous les trois, vas-y… »

Il y eut un petit blanc avant que Piotr ne reprenne :

« Tous les trois ? Mathis ? Dimitri ? Tu t’en es tiré ?

Da, sve v poryadke, spasibo. » [Oui, tout va bien, merci.]

Piotr soupira, soulagé.

« Slava bogu… [Dieu soit loué…] Bon, je vais faire vite. C’est Julio qui a passé le coup de fil. Ils voulaient se débarrasser de Dimitri pour affaiblir le clan. Dès qu’ils ont su qu’il était avec Mathis, c’était plié. Ils savaient que Chris ne le supporterait pas. Ils ont fait ça aujourd’hui parce qu’ils veulent attaquer la fête des Irlandais pour liquider tout le monde. Ils savaient qu’on y serait pas, Mana, et sans Dimitri et Mathis en plus, ils pensent qu’ils peuvent y aller tranquille. Vous savez que les Irlandais ne sont pas les mieux gardés. »

Manuella jura entre ses dents alors que Mathis restait choqué et que Dimitri avait froncé les sourcils. Effectivement, les Irlandais, connus pour leur neutralité polie dans les affaires de tout le monde, n’avaient pas et de loin les meilleurs gardes du corps du coin. Si les Ritals attaquaient chez eux, il y avait de bonnes chances que ça fonctionne très bien.

« OK. J’arrive. » répondit Manuella.

Dimitri et Mathis se regardèrent et le second ajouta :

« On en est. »

Manuella les regarda, surpris :

« Euh vous êtes sûrs ?…

– Hors de question de laisser ces connards faire sans réagir ! » répondit Mathis et Dimitri hocha la tête.

Piotr reprit, visiblement soulagé :

« J’essaye de rameuter un peu de monde. On se rappelle.

– OK. »

Manuella se leva :

« Je vais te chercher des fringues et tes armes, Dima. Je pense pas qu’il faut tenter le diable. J’imagine que tu es arrivé par la fenêtre, vous pourrez filer par là ?

– Oui, sans souci. J’ai l’habitude de faire le mur, répondit Mathis et Dimitri opina.

– OK, alors je vous apporte ça vite et je vous attendrais dans ma caisse.

– D’accord ! »

Manuella ressortit sans attendre, referma la porte et fit signe à Sayf, qui attendait là. S’il avait entendu quoi que ce soit, il n’en dit rien. Il la suivit. Ils repassèrent devant les deux autres qui leur jetèrent des regards sombres sans rien dire.

« Mathis veut récupérer les affaires de Dimitri, je vais lui apporter.

– OK. »

Ils redescendirent au rez-de-chaussée pour gagner la petite chambre du Russe, restée comme à son départ précipité. Les vêtements étaient sur le lit, elle sortit un sac pour les mettre dedans avec d’autres.

« J’ai reçu un coup de fil de Piotr. Il a peur que les Ritals essayent d’attaquer ce soir. Soyez vigilants, ils vont peut-être venir faire un tour ici.

– Ok, compte sur nous. »

Manuella prit tout ce qu’elle put et remonta sans attendre. Elle ne traîna pas dans la chambre et jeta la clé aux deux gars en en ressortant :

« Vous approchez pas, il est toujours aussi furax. »

Et elle repartit. Elle regagna sa voiture et fit mine de partir pour rester garée plus bas, hors de vue de la maison. Ils la rejoignirent rapidement.

Dimitri prit le volant, ils savaient tous les trois que c’était lui qui conduirait le mieux. Manuella se mit près de lui et Mathis à l’arrière.

Dimitri prit le temps de s’arrêter à la camionnette pour récupérer un truc. Mathis et Manuella échangèrent un regard pareillement surpris lorsqu’il revint avec la pelle.

Il la donna à Mathis qui la glissa à ses pieds, derrière les sièges :

« Qu’est-ce que tu veux faire avec ça ?

– Défoncer la gueule de Julio.

– Ah oui, approuva Manuella. Bien vu.

– Ouais, sourit Mathis, mauvais. Ça leur apprendra à s’occuper de leur cul, à ces connards. »

 

********* 

 

Jonas devait reconnaître qu’Enora était sans aucun doute la créature la plus délicieuse qu’il lui avait été donné de rencontrer. Cette flamboyante rousse aux yeux d’émeraudes était la deuxième fille de leurs hôtes. Elle avait trois ans de moins que lui et il se disait que ça n’avait aucune importance. Rien n’avait d’importance, de toute façon, dès qu’elle était dans un périmètre proche de lui. La même pièce, la même maison, la même ville, la même planète…

Ce soir-là, le jeune homme était cependant assez mal à l’aise. Il n’arrivait pas vraiment à profiter de la soirée pourtant fort sympathique qui se déroulait autour de lui. Son père était calmé, sa mère radieuse, Paulo trop intimidé pour faire chier, bref, ça aurait dû aller. Enora n’était pas loin… Mais rien à faire, ça ne passait pas.

Il restait à fumer sur le balcon, assis au sol, l’anneau de Dimitri dans la main, complètement perdu et ne sachant absolument pas quoi faire.

La nouvelle l’avait abasourdi et il n’avait pas pu réagir. Et il se maudissait. Il se maudissait de ne pas avoir empêché ça. De ne pas avoir sauvé Dimitri. De ne pas avoir calmé son père. De ne pas avoir eu le courage de courir rejoindre Mathis. De ne pas avoir vu que Mathis était gay. Qu’il était avec Dimitri. Il se maudissait de ne pas avoir pu aider son petit frère, de l’avoir laissé seul alors qu’il venait de perdre l’homme qu’il aimait juste parce que leur père avait pété un câble.

Comment avait-il pu être aveugle à ce point ? Rétrospectivement, ça crevait les yeux, bon sang !!

Il regarda l’anneau, dans sa main.

Comment pourrait-il regarder à nouveau Mathis dans les yeux après ça ?…

Dis-lui merci, s’il te plaît. Que c’était bien et que je l’attendrai de l’autre côté.

Il sursauta lorsqu’on s’assit à côté de lui.

Un peu surprise que son chevalier servant préféré ne lui fasse pas sa cour habituelle, Enora l’avait rejoint.

« Ça ne va pas, Jo ? » demanda-t-elle.

Il grimaça un sourire :

« Tu vas prendre froid, beauté…

– Je pourrais te dire la même chose ! … Qu’est-ce que tu as à rester tout seul ici, il pèle ? »

Il haussa les épaules.

« Je peux te confier un secret… ?

– Bien sûr ! Tu peux tout me dire ! »

Elle se releva, tirant son bras :

« Mais viens, on sera mieux au chaud et il n’y a personne à la cuisine ! »

Il obtempéra et la suivit.

Une fois là-bas, il s’assit à la table et elle sortit deux bières du frigo avant de le rejoindre. Elle s’assit aussi. Il y eut un silence pendant lequel ils burent un peu.

« Alors, qu’est-ce qu’il y a ? finit par demander la demoiselle avec gentillesse.

– Mes parents vous ont menti, tout à l’heure… Mathis n’est pas malade… »

Il lui jeta un œil, un peu hésitant, puis se lança et lui raconta tout. Elle resta stupéfaite.

Si pour elle, Mathis était un ami, un garçon qu’elle connaissait depuis toujours et qu’elle aimait beaucoup, Dimitri, lui, était plus une haute silhouette tranquille et silencieuse, jamais loin, souvent souriant, toujours attentif et vigilant. Si elle avait parfois surpris son regard sur Mathis, ça ne l’avait jamais choquée ou intriguée outre mesure.

Maintenant qu’elle y réfléchissait, c’était vrai que Mathis avait toujours été aussi gentil que poliment distant avec ses sœurs et elle, manifestant autant d’intérêt à leur compagnie que de désintérêt envers les possibles sentiments amoureux qu’elles avaient pu lui exprimer, surtout la plus jeune, Sioban, qui en avait pendant un moment très sérieusement pincé pour lui. Leurs pères les voyaient d’ailleurs bien ensemble.

Enora s’accouda à la table, posa sa joue dans sa main, une moue tristement dubitative au visage, et finit par dire :

« C’est moche…

– J’ai vraiment été con…

– Dis pas ça, Jo ! s’exclama-t-elle en se redressant vivement. C’est normal que tu aies été pris de court !… Mais c’est vraiment moche… ‘Faut qu’on trouve un truc pour aider Mathis… »

L’aînée des rouquines, Gwen, les rejoignit et sursauta devant leur air :

« Houlà ! Je dérange ?…

– Non non ! la rassura Jonas.

– Qu’est-ce qu’il y a ? lui demanda Enora.

– Euh, je voulais taxer une clope à Jo, j’en ai plus ?

– J’ai tout fumé, désolé… »

Enora se leva :

« Bon, ben venez, on va en acheter.

– Hein ? sursauta Jonas.

– Tu crois ? demanda sa sœur.

– Oui, c’est à peine 9h, on en trouvera au bistro de la place, il est ouvert tard… »

Elle fit un clin d’œil à Jonas :

« Et puis on pourra causer tranquille ! »

Il eut un sourire, comprenant. Il finit sa bière d’une traite et se leva :

« Ouais, marcher au frais, ça fera du bien… »

Ils sortirent de la cuisine tous les trois. Gwen alla prévenir leurs parents qui étaient au salon avec Sioban, qui s’ennuyait sec et sauta donc sur l’occasion pour filer, se joignant à eux.

Les quatre jeunes gens partirent donc tranquillement, il ne pleuvait plus. Ils traversèrent le grand jardin, désert et calme, et sortirent dans la rue, calme, elle aussi, pour aller au bistro sus-cité à pied. Ce n’était pas loin.

Ils étaient déjà loin lorsque les voitures des Ritals arrivèrent de l’autre bout de cette même rue.

 

********* 

 

Dimitri arrêta la voiture à l’entrée de la rue et désigna d’un signe de tête les véhicules garés plus loin. Manuella fronça les sourcils et Mathis gronda.

« J’espère qu’on arrive pas trop tard. » dit la tueuse en sortant son flingue.

Elle vérifia le chargeur. Dimitri eut un sourire rapide et mauvais :

« Trop tard ou pas, on va faire le ménage.

– On attend Piotr ou pas ? demanda-t-elle.

– Tu as des nouvelles ? s’enquit Mathis, en sortant son propre revolver.  

– Non, mais je peux le rappeler.

– Fais toujours, soupira Dimitri. On a une minute… »

Manuella hocha la tête et rappela l’autre Russe qui décrocha sans attendre :

« Oui, Mana, je t’écoute ? »

Le son était mauvais, il était visiblement en haut-parleurs et en voiture.

« Tu en es où ?

– J’allais te rappeler, on arrive. J’ai ramené Gigi, Michel, Ahmed et Julien, et Messy, Geoff et Bruno doivent nous rejoindre.

– Cool.

– On a eu plus d’infos, en cassant une jambe à Tonio. Apparemment, ils seraient une bonne dizaine. Peut-être une quinzaine.

– Eh bé, ça fait du monde.

– Vous êtes où, vous ?

– Devant.

– Il y a l’autre entrée, derrière, par le fond du jardin, dit Mathis. On peut se faufiler et passer par la porte du sous-sol pour entrer. Ils doivent avoir quelques gars dans le jardin, mais on devrait les éviter. »

Dimitri hocha la tête. La maison était isolée dans son grand jardin, ils pourraient agir sans trop de risques d’attirer l’attention du voisinage.

« Ok, faites comme ça, dit Piotr. On s’occupera des gars de devant et du jardin et on vous rejoint dedans.

– OK ! »

Manuella et Mathis sortirent du véhicule et Dimitri fit demi-tour pour aller se garer un peu plus loin, ne voulant pas que si des renforts ennemis arrivent, ils repèrent la voiture.

Il alla jusqu’à la petite place voisine et y trouva de quoi ranger proprement la voiture, entre un gros 4×4 polluant dont il ne comprendrait jamais l’intérêt en ville (à part compenser quelque chose chez son propriétaire ?) et un platane. Il soupira et se frotta les yeux.

« Soirée de merde, hein ? »

Il tourna la tête pour regarder, à sa droite, Aliocha qui souriait toujours, l’air aussi amusé que précédemment.

« Tu peux le dire… »

Aliocha lui sourit et Dimitri secoua la tête :

« T’aimes bien te mettre à la place du mort, on dirait.

– Ça me va plutôt bien, non ?

– Dur de dire le contraire. »

Il y eut un silence avant que Dimitri ne reprenne sur le ton de la conversation :

« Et sinon, qu’est-ce que tu fous là ? »

Le sourire d’Aliocha s’élargit :

« T’es pas content de me voir ou quoi ?

– Si, mais tu avoueras que j’avais quelques raisons de ne pas m’y attendre… »

Le sourire d’Aliocha se fit plus doux :

« Je te l’ai dit, je passais. Tu m’as semblé avoir besoin d’un petit coup de main pour te remonter le moral.

– Pour me rappeler ma promesse…

– Aussi, oui. »

Dimitri soupira encore.

« Je ne t’avais pas oublié, tu sais.

– Je sais. »

Dimitri sursauta violemment lorsqu’on frappa à la vitre, à sa gauche. Se tournant brusquement, il reconnut sans mal qui était là. Surpris autant qu’un peu inquiet, il baissa la vitre :

« Jo ? Qu’est-ce que tu fous là ?

– J’allais te poser la question ? » répondit le grand frère de Mathis, visiblement plus intrigué qu’énervé.

Dimitri vit que le trio de rouquines était là aussi :

« Vous n’étiez pas avec vos parents ? »

 Il referma la vitre et sortit prudemment.

« On était parti acheter des clopes… commença Jonas et Sioban le coupa en se jetant au cou du grand Russe qui sursauta :

– Putain, j’suis trop contente que tu t’en sois tiré !! »

Dimitri s’était raidi et ses mains se crispèrent. Il n’avait pas la moindre idée de quoi faire. Heureusement, elle le lâcha vite. Jonas avait croisé les bras :

« Ça m’étonne pas tant que ça, en fait… Content de te revoir aussi. Mais qu’est-ce que tu fous là à garer la caisse de Mana ? »

Dimitri ouvrit la portière arrière et se pencha :

« Ça tombe très bien que vous soyez là, parce qu’on a appris que toute cette merde était un coup monté des Ritals et il y a des chances qu’ils soient là pour essayer de buter tout le monde… »

Il se redressa avec sa pelle :

« … Alors c’est déjà cool si vous n’êtes pas otages avec vos parents… »

Ils le regardaient, stupéfaits. Il posa l’outil sur son épaule :

« Je vous dirais bien de rester ici et de nous attendre, mais ça serait un peu insultant, non ? Vous avez vos flingues ? »

Gwen fut la première à se reprendre :

« Tu es sûr de ça ?

– A part si tu connais les voitures garées devant ton portail… »

Manuella et Mathis, un peu inquiets de ne pas le voir revenir, arrivèrent. Mathis, soulagé de voir son frère et les filles indemnes, ne fit aucun commentaire à Jonas sur ce qui s’était passé. Jonas n’en fit pas plus. Si leurs parents étaient en danger, il était plutôt heureux d’avoir Dimitri, Mathis et Manuella avec lui pour les aider.

Après un bref débriefing, Enora déclara :

« Il y a des armes cachées dans la cabane du jardin.

– Alors allez les chercher pendant qu’on entre, dit Dimitri en sortant son propre flingue et en lui donnant. On a pas le temps d’attendre, mais vous pourrez nous rejoindre après.

– OK ! »

Ils partirent tous les sept et se faufilèrent par une ruelle qui passait à l’arrière du jardin. Pendant le trajet, Jonas rendit discrètement son anneau à Dimitri et ils échangèrent un regard entendu.

Ils règleraient ça plus tard.

 Il n’y avait pas un bruit et ils poussèrent la porte lentement. Elle ne grinçait heureusement pas assez pour attirer l’attention. Le trio fila vers la maison alors que le quatuor allait à la cabane. Jonas n’avait pas fait d’histoire. Même s’il était l’aîné, il savait depuis longtemps que Mathis était un tueur bien plus redoutable que lui. Et puis, être sauvé par son fils gay, son amant et une gonzesse serait une bonne leçon pour son crétin sexiste et macho de père…

 

*********

 

Mathis, son revolver bien en main, regardait tout autour d’eux pendant que Dimitri ouvrait la trappe de la cave. Manuella tenait la pelle d’une main et sa propre arme de l’autre.

La trappe était un peu coincée, mais Dieu merci, ni verrouillée, ni rouillée tout court. Dimitri arriva à ses fins assez vite, sans trop de bruit, et ils glissèrent par là pour retomber agilement sur leurs pieds, dans la cave.

Cette dernière était noire et silencieuse. Ils attendirent un peu, sur leurs gardes, mais, s’ils pouvaient entendre des pas au-dessus, il semblait n’y avoir personne à leur niveau.

Leurs yeux se firent vite à l’obscurité ambiante et ils avancèrent, Mathis en tête, tenant fermement son arme à deux mains, Dimitri après lui, tenant non moins fermement sa pelle et Manuella fermant la marche, couvrant leurs arrières tout aussi soigneusement.

Mathis connaissait bien les lieux, il y avait assez joué à cache-cache avec Jonas et les filles. Il avançait prudemment, mais sans hésiter.

Arrivés à la porte qui donnait sur l’escalier menant à l’étage, ils s’arrêtèrent et Mathis écouta. Entendant des voix, il leur fit signe et ils se placèrent avec soin, lui et Dimitri chacun d’un côté de la porte et Manuella en face, derrière un vieux meuble caché par une bâche.

Mathis ouvrit la porte qui, il le savait, grinçait horriblement et, de fait, les fit grimacer. Mais ça eut l’effet escompté : faire descendre les personnes qui se trouvaient là. Ils entendirent une voix dire :

« Ça doit être Jonas et les filles qui reviennent… »

Deux à l’oreille. Ça se confirma rapidement. Et deux cadavres plus tard, les trois infiltrés se faufilèrent, dans le même ordre, par l’escalier. Connaissant bien mieux la maison que ceux qui l’avaient prise d’assaut, ils avançaient prudemment, mais rapidement, venant sans mal à bout des trois autres hommes qui gardaient le hall d’entrée. Il fallait éviter qu’ils puissent appeler du renfort de dehors, même si dans les faits, Jonas et les filles avaient dû commencer à s’en occuper.

Le salon était un peu plus loin et ils tendirent à nouveau l’oreille. Plusieurs voix, plutôt énervées. Ils échangèrent un regard. Julio et son chef Rodrigue étaient en train de s’engueuler plus que virulemment avec… Eh bien, surtout Louisa, à l’oreille, à propos de territoire et de rançon.

« T’es pas en position de la ramener, connasse ! cria Rodrigue.

– Ouais ben aies les couilles de tirer alors, parce que tu peux te brosser pour avoir mon accord ! »

Mathis fit signe et ils avancèrent. Il y avait deux entrées au salon : une par la cuisine et l’autre par le couloir où ils étaient. Manuella fila dans la cuisine, vide, alors que Mathis et Dimitri avançaient en silence et le regard sombre du premier n’annonçaient rien de bon pour leurs ennemis.

Et ce n’est pas le bruit de claque qui suivit qui allait le calmer.

Ils se tapirent et, à la seconde où Manuella jaillit de la cuisine en criant : 

« Bougez plus ! »

Faisant se tourner vers elle toutes les personnes présentes au salon, eux jaillirent aussi. Alors que Dimitri frappait Julio dans le dos avec le plat de sa pelle, Mathis faisait de tête avec la crosse de son arme sur la tête de Rodrigue. Les deux hommes chutèrent au sol et les trois autres sbires qui se trouvaient là restèrent bêtes et l’un d’eux jeta son arme et leva les mains immédiatement. Le second fit de même quand Manuella abattit le troisième qui avait tenté de lui tirer dessus.

Assis sur le canapé, Chris, visiblement à moitié sonné, en tout bas blessé au front, regardait son fils avec stupeur, autant que Louisa, assise à côté de lui. Les parents des demoiselles, assis là aussi, n’étaient pas vraiment moins estomaqués.

Mais Mathis ne leur accorda pas un regard. Tremblant de colère, il donna un violent coup de pied à Rodrigue :

« D’où tu permets d’insulter ma mère, fumier ! »

Dimitri eut un sourire amoureux en le regardant faire, qui se fit mauvais lorsque Julio tenta de se relever. Le Russe se fit un malin plaisir à lui remettre un coup de pelle pour le tenir au sol :

« Toi, tu bouges pas. »

Mathis s’accroupit près de Rodrigue :

« Bien pensé, votre merde, les gars. Très bien pensé. Mais là, j’ai tellement de raisons de vous buter que vous allez être très heureux que je puisse le faire qu’une seule fois. »

Il attrapa la tête de sa victime pour la frapper au sol.

« C’était de qui, cette glorieuse idée de nous balancer à mon père ? »

Dimitri posa son pied sur le dos de Julio qui tentait encore de se relever :

« Arrête, Math, tu vas salir le tapis. »

Mathis eut un sourire :

« Trop tard pour ça…

– Ce que tu es négligent. »

Mathis jeta un œil à son homme qui ajouta, amusé :

« Ce n’est pas très poli pour nos hôtes. »

Puis ils regardèrent Julio qui s’écria :

« C’est ça ! Faites votre prière, les tarlouzes ! Attendez que nos gars arrivent… ! »

Dimitri lui redonna un bon coup de pelle alors que Manuella gloussait :

« Tu parles de cinq qu’on a butés en montant ou de ceux dont Jonas et les filles ont dû d’occuper ? Et Piotr arrive avec dix gars, au cas où… »

Furieux, Julio tenta une nouvelle fois de se relever en hurlant, ce qui ne lui valut qu’un nouveau coup de pelle en plein tête, cette fois.

« Cette fois, c’est toi qui salis, Dima.

– Légitime défense. » répondit innocemment le Russe.

Comme Rodrigue se redressait à son tour faiblement, le visage en sang, Mathis le laissa faire et demanda à nouveau :

« Donc, cette merde, c’est l’idée de qui ? »

Rodrigue essuya un peu le sang qui coulait de ses lèvres fendues et répondit :

« Julio… C’est lui qui vous a repérés au ciné le mois dernier et qui a convaincu mon oncle de monter ça… Ils savaient que vous deviez venir ici et ils se sont dit que sans toi et Dimitri, ils pourraient se ramener sans problème… »

Dimitri soupira :

« Je t’avais dit que c’était pas une bonne idée d’aller voir ce film de merde…

– Oh ça va, on s’était bien marré… » répondit Mathis en se relevant.

Jonas et les demoiselles arrivèrent. Sioban et Enora se précipitèrent vers leurs parents et Jonas eut un sourire soulagé en voyant les siens en vie. Gwen restait sur ses gardes.

« OK, reprit Mathis, plus sérieux. Voilà le deal, Rodrigue. Je veux pas spécialement déclencher une guerre de gangs, alors toi et ceux de tes gars qu’on a pas butés, vous allez dégager fissa. Par contre, vous nous laissez ce connard, parce que je ne laisserais pas passer l’insulte qui m’a été faite, qui nous a été faite, à Dimitri et moi. Et si ton clan nous cherche encore une seule fois là-dessus, il nous trouvera pour de vrai. Pas de seconde chance. Dis-le à ton cher tonton. Je suis clair ? »

Rodrigue soupira et hocha la tête.

« Magnez vos culs avant que je change d’avis. »

 

********* 

 

Jonas retint son rire en revenant dans le salon.

Gwen et Sioban avaient fait du café pour tout le monde et Enora préparait des cookies. Dans le salon, leurs parents se reprenaient et ceux des deux garçons aussi. Louisa soignait la tempe de Chris qui restait grognon.

« Oh, arrête un peu ! finit par le houspiller Louisa. Si tu n’avais pas pris la mouche sans réfléchir comme un idiot, on en serait pas là, à la fin !! Estime-toi plutôt heureux qu’ils soient venus quand même ! Après un coup pareil, ils auraient tout aussi bien pu nous laisser mourir ici ! »

Avisant Jonas qui les regardait, amusé et bras croisés, elle lui sourit :

« Où en sommes-nous, mon grand ?

– Je pense que Mathis et Dimitri ne vont pas tarder… Manuella, Piotr et les autres ont fait le ménage. Ils ont retrouvé Paulo, au fait… Il a prétendu qu’il était parti chercher des secours. On a un gros doute… »

Une douce odeur de cookies commença à se répandre dans l’air. 

Louisa mit un joli petit pansement sur la petite blessure :

« Inutile jusqu’au bout, celui-là. »

Manuella arriva :

« C’est bon, tout est nettoyé…

– Tu veux du café ? lui demanda gentiment Gwen.

– Volontiers… »

Manuella s’assit et demanda posément :

« Bon. Et maintenant, on fait quoi ? »

Devant le silence qui suivit et en prenant la tasse que lui tendait Gwen, elle reprit :

« Mathis et son mec, que Chris a très diplomatiquement essayé de faire buter il y a quelques heures, ne vont pas tarder à revenir. Ils m’ont joliment aidé à sauver vos miches qui étaient un petit peu mal barrées, ‘faut l’admettre. Alors, tu as le droit de leur cracher encore dessus, Chris, mais je serais toi, je m’abstiendrai… Mathis est un peu énervé, ce soir. »

Jonas prit la parole :

« Moi, je suis plutôt pour qu’on leur foute la paix… Je donne pas cher du clan sans eux et Mana, on a bien vu ce soir. »

Chris faisait clairement la gueule et n’avait aucune envie de le reconnaitre, mais il était clair que Jonas avait raison.

Dimitri et surtout Mathis étaient des tueurs redoutables et surtout redoutés. Et visiblement, quoi qu’il en ait pensé, le fait qu’ils soient ensemble ne changeaient rien à ça. Ça n’était pas pour rien que Rodrigue avait rendu les armes à leur arrivée. Contrairement à Julio qui avait cru que le simple fait qu’ils soient gays rendait désormais les deux hommes inoffensifs, lui avait compris que cette information sur leurs mœurs n’enlevait rien du tout à leurs compétences.

Manuella approuva tranquillement :

« Ouais, clair que vous avez eu du bol qu’ils veuillent venir, parce que sans eux j’aurais dû attendre Piotr et je pense qu’on serait arrivé un peu trop tard… »

Louisa referma la petite boite à pharmacie et reprit :

« Je te jure que tu n’as absolument pas perdu le moindre gramme de virilité en te faisant sauver par une femme et deux gays, mon chéri. Promis. »

Piotr arriva sur ces entrefaites avec Mathis et Dimitri.

Chris se renfrogna encore.

La maîtresse des lieux, Riannon, se leva pour aller étreindre avec force Mathis :

« Merci ! »

Son époux, Yorrick, la suivit pour aller leur serrer la main, à lui et Dimitri. Si Mathis avait sursauté, mal à l’aise, son ami se contenta de sourire poliment sans rien dire d’autre que :

« De rien. »

Il posa sa pelle contre la haute étagère couverte de livres qui se trouvait là et accepta avec un hochement de tête la tasse de café que lui proposa Gwen. Il resta cependant debout, un peu en retrait. Il était vraiment crevé et n’attendait plus que de pouvoir rentrer se coucher.

Mathis, lui, s’il accepta une tasse aussi, tomba assis avec un soupir sur un fauteuil vide. Regardant son père avec une suspicion froide, il se tourna vers sa mère, tout doux, lorsque cette dernière lui demanda gentiment :

« Tout va bien ?

– Ça devrait, on a fini… Vu ce qui restait quand on a rendu Julio, les Ritals devraient nous foutre la paix. Mais s’ils insistent, c’est pas grave, on en débitera deux-trois autres. »

Enora arriva avec un grand plateau de cookies fumants. Elle le déposa sur la table basse et regarda tout le monde. Ses parents se rassirent dans un silence un peu gêné.

« Merci beaucoup, Enora, ils ont l’air délicieux. » l’interrompit gentiment Jonas.

Piotr reçut aussi sa tasse, prit deux cookies et alla à côté de Dimitri. Il lui donna un biscuit. Dimitri le remercia d’un sourire.

Louisa prit un cookie et soupira :

« Enfin un peu de calme…

– Clair, souffla Manuella. Heureusement que j’étais censée être de repos, moi. »

Elle se redressa pour se servir aussi et pointa Louisa et Chris du doigt :

« Je prends mon WE et gare à vos culs si on me dérange ! »

Ça rigola doucement, sauf Chris toujours bougon, et Louisa lui répondit :

« Promis, on sera sage. De toute façon, on a retrouvé Mathis et Dimitri et vu le ménage de ce soir, on devrait ne plus risquer grand-chose pendant quelques jours. »

Chris sortit enfin de son silence pour cracher :

« Comme si j’avais besoin de deux tapettes pour me défendre ! »

Il y eut un silence choqué avant que Mathis ne réplique avec un sourire en coin :

« Ah ben, tu l’as bien prouvé ce soir. »

Chris serra les poings.

« Quoi, j’attendais juste une occasion pour les défoncer !

– Ben voyons.

– Et je les aurais pas pris en traître comme un chochotte ! »

Mathis ricana, ce qui ne fit qu’accentuer la colère de son père :

« Et ça te fait rire ?!

– Me faire traiter de chochotte par un gars qui chougne dès qu’il va se faire soigner une carie ou qui hurle dès qu’on évoque la possibilité d’un RV chez le proctologue, pardon, mais là ouais, ça me fait rire. »

Les autres les regardaient, partagés entre l’angoisse d’une bagarre et l’amusement des répliques.

Mathis se pencha pour ajouter, venimeux :

« Moi je peux me prendre une bite dans le cul sans chialer, et vu la taille de celle de Dima, je crois vraiment pas que c’est moi la chochotte ici. »

Dimitri sursauta violemment et faillit s’étrangler avec le morceau de cookie qu’il mangeait. Piotr lui tapa dans le dos en se retenant d’éclater de rire. Louisa, Yorrick, Enora, Gwen et Jonas se retinrent également, alors que Sioban et sa mère rosissaient.

Mais, sans grande surprise, ça n’amusa pas Chris.

« C’est moi que tu traites de chochotte ?!

– Ouais. » répliqua Mathis, sans un sourire cette fois.

Goutte de trop pour Chris qui se jeta sur son fils dans un rugissement. Mathis et lui chutèrent au sol, à côté de l’étagère. Jonas bondit sur ses jambes, comme Yorrick. Tous deux se précipitèrent pour saisir Chris alors que Dimitri faisait de même avec Piotr pour attraper Mathis.

Louisa et Manuella échangèrent un regard las alors que les quatre hommes peinaient à séparer les deux rageux qui s’invectivaient avec un vocabulaire aussi varié que fleuri.

La table basse n’avait pas volée et les cookies étaient saufs.

Jonas et les trois autres parvinrent enfin à séparer Chris et son fils et ce dernier criait :

« Rien à foutre, tu retouches à mon mec et je te défonce !! »

Remis sur ses jambes, Chris se dégagea violemment et saisit la pelle avec rage. Mais il ne put frapper Mathis.

L’étagère s’écroula sur lui sans sommation.

Les autres avaient reculé d’un bond, évitant le meuble et ses livres. Louisa se leva dans un sursaut et tous restèrent stupéfaits.

Sauf Dimitri qui lança un regard très lourd de sens à Aliocha qui regardait ailleurs, l’air totalement innocent, et secoua la tête avant d’aller saisir l’étagère pour la redresser. Se reprenant, les autres l’aidèrent immédiatement et Louisa se précipita.

Dimitri reprit la pelle.

Chris était bien sonné, mais ça ne semblait pas pire que ça. Louisa le dégagea et Yorrick et Jonas l’aidèrent à le relever. Yorrick soupira avec lassitude :

« Je sais que ton mari a la tête dure, Lou, mais je crois qu’un petit tour aux Urgences s’imposent… Deux fois en une soirée, c’est quand même beaucoup.

– J’allais le dire… » soupira Louisa.

Elle croisa les bras et secoua la tête :

« Bon sang, mais qu’est-ce qui m’a fichu deux crétins pareils… »

Elle regarda Mathis qui grognait encore un peu, mais que Dimitri tenait toujours, à moitié pour le calmer et à moitié pour être sûr qu’il ne resaute à la gorge de personne.

« Bien, finissez sans nous, on vous tiendra au courant… »

Yorrick et Riannon se firent un devoir d’accompagner Louisa et un Chris toujours grogui à l’hôpital.

Restés seuls, leurs enfants et Dimitri, Manuella et Piotr finirent les cookies et restèrent sagement à parler de tout et rien.

Dimitri, assis sur le canapé avec Mathis, s’endormit à moitié et, dès qu’ils eurent confirmation que Chris n’avait rien de grave, mais passerait la nuit en observation, Manuella proposa de rentrer.

Jonas et Piotr restèrent avec quelques autres pour ne pas laisser les demoiselles seules, le temps que leurs parents rentrent. Manuella emmena Dimitri et Mathis chez elles et leur laissa la chambre d’amis. Il était vraiment trop tard pour refaire la route jusqu’au manoir.

Mathis prit le temps de se rincer un coup et lorsqu’il arriva dans la chambre, Dimitri dormait cette fois pour de bon, couché en chien de fusil dans le lit.

Mathis sourit, attendri, et se blottit dans son dos avant de remonter la grosse couette sur eux. Il ferma les yeux avec un gros soupir et s’endormit sans attendre.

 

********* 

 

Dimitri frissonna dans l’air glacé du parc et regarda autour de lui. La brume rendait le lieu irréel. Les arbres étaient à peine visibles, le chemin perdu au milieu de rien, tout comme la rive. L’eau était calme, pas le moindre remous.

Dimitri souffla dans ses mains gantées et les frotta avant d’avancer. Il connaissait ce lieu…

Le chemin longeait la rive et, comme il s’en souvenait, il y avait un banc un peu plus loin. Assis là, Aliocha lui sourit et lui fit signe. Dimitri sourit et le rejoignit. Il s’assit près de lui :

« Ça faisait longtemps, hein…

– Ouais… On venait souvent ici, c’était le bon temps. »

Il y eut un silence.

« Tu es vraiment juste… passé comme ça ?

– Ouais… Pourquoi, tu voulais que je reste ? »

Aliocha lui sourit, amusé.

« Pas forcément… J’imagine que t’es pas si mal, là-bas.

– C’est plutôt cool. Mais tu manques un peu.

– Tu pourras attendre ?

– Oh oui… On a le temps, là-bas. »

Dimitri hocha la tête et sourit un peu tristement.

« C’était sympa de te revoir un peu. Et merci du coup de main.

– De rien. »

Une main glaciale caressa la joue de Dimitri et les lèvres qui se posèrent sur les siennes ne l’étaient pas moins. Il répondit pourtant avec tendresse au baiser.

« Moi aussi, j’ai été heureux de te revoir, de te rappeler ta promesse et de t’aider un peu. »

Il se leva, souriant avec une douceur sincère :

« Il faut que j’y aille. On se reverra plus tard. Prends soin de toi d’ici là, Dima. Et prends aussi soin de lui. »

Dimitri opina du chef, les larmes aux yeux.

Une barque sombre était là, sur l’eau, et Aliocha y grimpa sans attendre.

Elle partit sans un bruit sur l’eau. Aliocha se tourna et lui fit un dernier signe de la main. Dimitri répondit d’un geste, aussi :

« A bientôt. »

L’embarcation disparut dans la brume.

Dimitri laissa ses larmes couler. Puis, il se secoua et se leva lentement.

Il fallait qu’il rentre. Quelqu’un l’attendait.

 

********* 

 

Quand Mathis se réveilla au matin, il se demanda où il était. Puis, s’en souvenant, il se redressa mollement sur ses bras.

Il était seul dans le lit et il bâilla avant d’en sortir. Passant dans le couloir, il entendit que l’eau coulait dans la salle de bain. Se demandant qui se douchait, il eut la réponse en voyant son amant dans la cuisine, assis à la table, un grand mug de café dans les mains.

« Salut, Dima… »

Dimitri, l’air crevé, sursauta.

« Oh… Bonjour, Mathis… »

Le jeune homme vint l’embrasser :

« Tu as bien dormi ?

– Ca ira…

– Y a du nouveau ?

– Mana m’a dit que ta mère l’avait appelée, qu’ils étaient rentrés au manoir ce matin et qu’on pouvait revenir. Apparemment, ton père est calmé.

– Sérieux ? »

Dimitri haussa les épaules :

« Deux coups sur la tête, ça a dû lui remettre les idées en place… »

Mathis gloussa.

« On est tous les trois attendus pour le déjeuner. » ajouta Dimitri.

Comme les deux hommes n’avaient pas de vêtements de rechange, ils partirent sans trop tarder pour avoir le temps de se doucher avant le repas. Louisa les accueillit, toute sourire, dès l’entrée, où aucun des hommes de main présents ne fit le moindre commentaire :

« Coucou, vous avez fait bonne route ?

– Sans souci, puisqu’il n’y a plus de pluie. » répondit Manuella.

Louisa embrassa Mathis et surprit tout le monde en faisant de même avec Dimitri.

« On attend aussi les Irlandais et Jonas. Allez vite vous préparer, les garçons. Fais-toi beau, Dimitri, tu fais partie de la famille, maintenant, il est hors de question que tu me fasses honte avec une cravate moche. »

Dimitri la regarda un instant, dubitatif, avant d’hocher la tête :

« Compte sur moi, belle-maman. »

Mathis rigolait et il prit une seconde la main de Dimitri :

« Fais gaffe, elle est redoutable quand elle trouve une cravate moche…

– Je n’ai aucun doute là-dessus… »

Comme certaines de ces affaires étaient restées dans la chambre de Mathis, Dimitri l’y accompagna pour les récupérer.

Enfin seul avec Mathis, il l’attrapa pour le presser dans ses bras avec force. Mathis, soulagé aussi, l’embrassa avec fougue et Dimitri répondit avec bonheur.

Puis, il dût redescendre rapidement pour aller se laver et se changer dans la sienne. Ce faisant, il recroisa Louisa dans le couloir. Il grimaça, puis se lança :

« Louisa ?

– Oui ? »

Elle lui sourit, intriguée :

« Besoin d’aide pour le choix de la cravate ?

– Non, merci. Je me posais une question…

– Quoi donc ?

– Ça ne te gène vraiment pas, pour Mathis et moi ?

– Non, plus maintenant.

– Maintenant que ? »

Elle sourit :

« Maintenant que tu as prouvé que tu étais digne de lui. »

Elle se pencha pour ajouter tout bas :

« Parce qu’il était hors de question que je laisse mon fils chéri à un mec même pas fichu de buter trois crétins pour prouver son amour. »

Il rit discrètement :

« Je comprends mieux. Heureux de ne pas t’avoir déçue, dans ce cas. »

La journée passa rapidement et bien. Les Irlandais étaient contents que tout aille bien, les filles toutes heureuses pour Mathis. Jonas, s’il semblait par moment un peu sceptique, vivait tout cela avec philosophie.

Chris était radouci et s’il râlait, on sentait que c’était plus pour le principe de ne pas avoir l’air d’avoir cédé trop vite qu’autre chose.

Mathis se demandait quand même si les coups sur la tête n’avaient pas été un peu violents.

La nuit tombait et le jeune homme, qui cherchait son Russe, le trouva sur un balcon, perdu dans ses pensées, sa cigarette se consumant dans une de ses mains gantées, l’autre tenant une vieille photo abimée.

« Dima ? Ça va ? » s’enquit Mathis, un peu inquiet.

Dimitri lui sourit.

« Da, da…

– Tu vas prendre froid… » reprit le jeune homme en s’approchant de lui.

Dimitri lui sourit encore.

« Ne t’en fais pas.

– C’est quoi, cette photo ? »

Dimitri la lui tendit et tira une bouffée.

Mathis plissa les yeux.

Il reconnut Dimitri, bien plus jeune et visiblement hilare, et derrière lui, un autre jeune homme brun, hilare aussi, qui avait ses bras autour de ses épaules.

« Qui c’est ?

– Alexei Illitch Doravnof. Mon Aliocha. »

Voyant Mathis froncer un sourcil, Dimitri sourit tendrement et ajouta :

« Il est mort il y a six ans, à Moscou. »

Mathis sursauta, regarda la photo, puis Dimitri :

« Oh. Il est… ?… Désolé euh… Il s’est fait descendre… ? C’était ça, le problème avec les malfrats ? C’est pour ça que tu es parti ? »

Dimitri sourit à nouveau et dénia du chef, triste :

« Non. Il avait le sida. »

Mathis sursauta à nouveau, comprenant soudain bien mieux pourquoi Dimitri avait été si rigide sur la question des capotes au début de leur relation, refusant obstinément tout rapport non protégé jusqu’à ce que les tests soient définitifs.

« Mais c’est quand même un peu pour ça… Il voulait quitter la Russie et venir en France. Il disait qu’on serait bien ici, qu’on aurait le droit d’être ensemble tranquille… On a emprunté de l’argent à ces gars pour pouvoir partir… Mais… La maladie nous a rattrapés. L’argent, il m’a servi à payer ses soins, enfin ce qu’ils ont pu, et puis son enterrement… Après, oui, je suis parti… Il voulait tellement venir ici que je n’ai pas cherché ailleurs… Sans lui, j’étais nulle part partout, de toute façon… »

Dimitri caressa la tête et la joue de Mathis qui le regardait avec de grands yeux tout tristes.

« Jusqu’à toi… »

Mathis le serra dans ses bras et Dimitri répondit à l’étreinte avec force.

Il ferma les yeux.

Prends soin de toi d’ici là, Dima. Et prends aussi soin de lui. 

Dimitri sourit.

Juré, Aliocha. Et cette fois, je n’oublierai pas.

 

FIN

(8 commentaires)

  1. ohhhhhhhhhh… Mathis fout pas une bonne branlée à Chris… je suis déçue…

    Sinon, bonne histoire, même si le coup du fantôme qui fait tomber l’étagère de livres c’est quand même un peu gros…

    Il y a quelques bons persos (Mathis, Dimitri, Enora, Louisa, etc), qui font qu’on aurait aimé une histoire plus développée pour en apprendre plus sur eux (parce qu’ils ont un super caractère ^^). On sent que ça pourrait être développé en grosse nouvelle, petit roman ^^

    Merci pour cette histoire (lu bien trop vite, comme d’habitude), en attendant la suite d’héritages ^^

    1. @Armelle : … Merci, méeuh non pas de roman prévu là-dessus… B***** j’en ai déjà bien trop à écrire !!! ^^’
      Enfin merci quand même !! 🙂

      1. oui, oui ^^ beaucoup de supers romans que j’attends avec impatience ^^
        n’empêche que un de plus avec eux… j’aurai pas dit non XD
        bisous et courage pour la suite !

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