L’Orage du destin – Nouvelle de Nowel 2014

Nouvelle cadeau de Nowel 2014 ! Tout public, en espérant que ça vous plaise !

Synopsis : Fuyant on ne sait trop quoi mais ça viendra, un jeune homme entre dans un bar pour échapper à un orage…

 

L’Orage du destin

Lorsqu’il repenserait à cette soirée, des années plus tard, Nathan se dirait que la vie, ça tenait quand même souvent du hasard. Sa défunte grand-mère disait souvent que le hasard était le nom que prenait Dieu pour passer inaperçu. Nathan n’était pas fondamentalement croyant… Mais l’important était avec le recul que ce soir-là, il ait sans le savoir poussé la porte d’une nouvelle vie en plus de celle d’un drôle de bar.

C’était un soir de juin, et Nathan traînait, en plus de sa colère et de sa peine déjà fort lourdes moralement, un nombre conséquent de bagages non moins lourds physiquement, deux immenses sacs à roulettes, un énorme sac à dos, deux sacs en bandoulière, et, probablement juste pour le fun, quelques autres plus petits accrochés aux poignées des plus grands. Bref, beaucoup trop de choses pour ce jeune homme blond fort bien vêtu. Et comme les choses n’allaient visiblement pas encore assez mal pour lui, le ciel décida d’en rajouter une couche en laissant éclater un orage très bruyant accompagné d’une pluie bien sûr diluvienne, sinon c’est pas drôle.

Les rues de la ville se vidèrent en un clin d’œil et Nathan poussa alors la première porte qu’il trouva sans même faire attention ni à l’enseigne ni rien, juste désireux de s’abriter, et son entrée fut pour le moins remarquée.

Il faut dire que l’endroit était plutôt calme en ce début de soirée, une grande salle large, sans doute très claire par beau temps, car toute la façade, à gauche, était percée de grandes fenêtres, face au long comptoir. Au fond, une petite scène, vide. Les tables rectangulaires, noires veinées de rouge, étaient entourées de banquettes carmin qui semblèrent au jeune homme très attirantes.

Derrière le comptoir, se trouvait un trentenaire, blond lui aussi, mais bien plus grand et fin que lui. Il avait les bras croisés et le regardait, visiblement sceptique. Les quelques autres clients également. Nathan était très gêné et ne savait pas trop quoi faire. L’autre blond lui demanda alors avec un petit sourire amusé :

« Besoin d’un coup de main ? »

Nathan soupira avec un sourire, lui aussi. Il devait avoir l’air pitoyable.

« Euh, je veux bien, merci… »

Le barman hocha la tête et vint le soulager de suffisamment de sacs pour qu’il puisse s’installer à une table. Il poussa un autre soupir, soulagé cette fois.

« Je vous sers quelque chose ?

– Un café, s’il vous plaît. »

Le barman retourna derrière son comptoir pour lui préparer ça et c’est alors qu’il s’affairait en sifflotant que jaillirent soudain par la porte battante de la cuisine, près de lui, un jeune homme brun poursuivi par un autre plus grand et fort qui réussit à lui saisir le bras alors qu’il avait filé dans la salle pour lui renverser une bouteille d’eau sur la tête en disant, riant :

« Là, ça t’apprendra, sale gosse !

– Aaaaah maiiiiiiiis !!! » se débattit le garçon, hilare aussi.

Ça rit dans la salle et le barman leur jeta un regard blasé et soupira :

« Bon, c’est bientôt fini, vous deux ? »

Nathan, qui avait sorti une serviette d’un des sacs pour se sécher la tête, regardait les deux hommes, stupéfait. Où était-il tombé ?… Le blond posa une tasse fumante sur le comptoir :

« Allez, Ange, bosse un peu !

– Eh mais c’est pas juste ! fit semblant de râler le jeune homme, mais il riait trop pour que ça soit crédible. Je me suis fait honteusement tremper, là, alors que j’avais presque rien fait ! Et toi tu me laisses même pas le temps de me sécher, après je vais choper une pneumonie et je pourrais plus chanter et je vais finir dépressif et me suicider en me jetant d’un trottoir ! »

Le barman rit avec eux. Nathan sourit, amusé malgré lui. Il regarda mieux les deux bruns. Ange devait avoir à peu près son âge, la vingtaine donc, il était assez grand et magnifiquement fait, car son jean moulant ne cachait pas grand-chose et son débardeur non plus, les cheveux longs et présentement dégoulinants coiffés en une tresse ébouriffée. Il inspirait vraiment la sympathie, aussi avenant que beau. L’autre avait quelques années de plus, une montagne de muscles de près de deux mètres typé asiatique, cheveux en brosse et l’air plus sévère, mais aussi amusé que les autres à cet instant.

« … Trempé par mon propre batteur en plus et à une heure et demie du concert !

– T’es pas encore à l’agonie, alors apporte ça à ce jeune homme avant que ça refroidisse.

– C’est bien parce que c’est toi, chef ! »

Ange vint prendre le café pour venir le poser devant Nathan avec un grand sourire :

« Voilà, désolé pour l’attente ! »

Nathan allait le remercier lorsque leurs regards se croisèrent et ses mots restèrent coincés dans sa gorge. Il venait d’être happé par deux yeux gris légèrement bleutés absolument superbes, et un sourire non moins envoûtant. Ange avait plongé de la même façon dans les yeux verts de Nathan, mais il détourna la tête rapidement, gêné. Il s’éloigna d’un pas un peu incertain en disant comme pour changer de sujet :

« Bon ils foutent quoi, faut qu’on s’installe là ! »

Nathan garda sa serviette autour de son cou et sortit un bloc-notes d’un autre sac. Il devait se reprendre et faire le point… Il ne regrettait absolument pas d’avoir foutu le camp, mais il fallait qu’il organise un peu la suite. En buvant son café, il compta qu’il avait de quoi passer quelques nuits dans un hôtel pas trop cher, le temps peut-être d’obtenir en urgence une chambre universitaire, de l’aide… Mais convaincre les services sociaux qu’on avait besoin d’aide quand on portait son nom, ce n’était pas gagné.

Il était tellement perdu dans ses pensées qu’il n’avait pas du tout fait attention à ce qui se passait autour de lui, à la scène qui s’installait, aux gens qui arrivaient, jusqu’à ce que les lumières s’éteignent. Il leva le nez de son bloc-notes, intrigué. Une voix magnifique s’éleva alors dans le silence. Nathan regarda la scène et y vit Ange, encadré d’une violoniste et d’un guitariste, et derrière eux, une batterie derrière laquelle était assis le grand costaud qui lui avait renversé de l’eau dessus.

Nathan sourit et appuya son menton sur sa main, rêveur. Ange avait une voix extraordinaire et il se laissa emmener un moment loin de ses soucis, juste porté par la musique et les chansons. Le groupe joua une bonne heure, puis la salle se ralluma, et Ange et les musiciens saluèrent, bras dessus bras dessous, sous les applaudissements enthousiastes et chaleureux du public. Le bar se vida en grande partie et Nathan soupira. Il n’avait pas envie de partir, mais l’heure tournait et il fallait qu’il trouve un hôtel…

Le barman vint alors vers lui :

« Euh, vous revoulez quelque chose ? C’est pas une obligation, hein, mais je réalise que je ne suis pas revenu vous voir, ce qui est totalement indigne de moi, j’ai honte ? Vous n’avez pas faim ?

– Euh, si… Mais à cette heure-ci, il vous reste quelque chose ?

– Normalement non, mais là, je dois préparer quelque chose pour le quatuor de maestros, alors quand y en a pour quatre, y en a pour cinq. »

Nathan sourit :

« J’adorerais, votre bar est vraiment agréable… Mais il commence à se faire tard. Sauriez-vous me conseiller un hôtel dans le secteur ? »

Le barman le regarda un instant. Ce garçon parlait remarquablement bien… Il se demandait d’où il sortait. Il posa ses poings sur ses hanches et lui répondit :

« Ben, ici, j’ai des chambres… »

Nathan le regarda, surpris.

« C’est marqué à la porte, “hôtel-bar-restaurant”…

– Oh. Désolé, je suis entré un peu vite, à cause de la pluie…

– Pas de souci… En fait, le bâtiment est à moi et du coup, j’ai des chambres… Au-dessus… expliqua l’autre blond en montrant le plafond avec son index.

– Et euh, vous les louez combien ?

– 30 € la nuit, petit-déjeuner compris. »

Cette fois, Nathan resta bête. Voyant son air et ses yeux ronds, le barman rigola :

« Oui, je sais, c’est pas comme ça que je vais faire fortune.

– Ça, c’est votre problème, mais j’avoue que dans ma situation, ça m’arrangerait plutôt, lui dit Nathan, amusé lui aussi. Sans compter que l’idée de repartir avec ce bazar ne me réjouissait pas beaucoup, je vous l’avoue.

– Je peux comprendre ça ! Vous vous baladez souvent avec votre maison complète ?

– Non, mais il faut un début à tout et c’est une longue histoire.

– Alors vous me la raconterez plus tard, sinon vous n’êtes pas près de manger. Je vais dire à Ange et Matt de vous aider à monter vos affaires pendant que je vous prépare quelque chose… »

Les quatre musiciens arrivèrent alors d’une petite porte à droite de la scène, visiblement de très bonne humeur. Ange esquiva en riant une claque du grand brun et fila se cacher derrière le barman en couinant :

« Sveeeeeeen, Matt y m’embête !!! »

Ledit Sven sourit, amusé.

« Si vous arrêtiez de faire les idiots le temps d’aider ce jeune homme à monter son bazar dans une chambre, les garçons ?

– Bisou d’abord ! » répondit le grand brun.

Et il attrapa Sven sans sommation pour le tirer dans ses bras et lui rouler une pelle. Les autres éclatèrent de rire et Nathan resta un instant surpris avant de sourire. Ah, au moins ici, on ne l’embêterait pas pour ça.

« Matt, si tu veux manger, il faut me lâcher, dit doucement Sven.

– Et si je veux te manger toi ? roucoula Matt en lui faisant les yeux doux.

– Uniquement en dessert, mon chéri, tu sais bien, et quand les enfants sont couchés ! »

Ils rirent encore, Nathan avec eux cette fois.

Ange vint saisir la poignée d’un des gros sacs à roulettes :

« On le met où, Sven ?

– En face de toi, c’est dispo… répondit Sven en allant chercher une clé derrière le comptoir pour lui envoyer.

– OK ! » répondit Ange en l’attrapant au vol de sa main libre.

Nathan regarda avec stupeur Matt prendre le second sac à roulettes et l’énorme sac à dos avec une facilité déconcertante. Voyant son regard impressionné, Ange rigola et lui dit :

« Quinze ans de batterie ! Il est invaincu au bras de fer !

– Ça, je te crois sur parole… »

Nathan suivit les deux jeunes gens qui passèrent une porte à droite du comptoir et commencèrent à monter un large escalier. Deux étages plus haut, Ange lui ouvrit une porte dans un long couloir qui en comptait quatre et le précéda dans ce qui se révéla être une grande pièce bien meublée, d’un lit deux places fait, d’un bureau, de plusieurs grandes étagères vides et de deux fauteuils.

« Tu as une salle de bain là et des WC aussi… lui dit Ange.

– Ça tient quasi du studio… remarqua Nathan, surpris.

– Manque qu’une cuisine, confirma Matt.

– C’est curieux de louer ça si peu cher…

– Oh, ça c’est Sven. Tant qu’il gagne de quoi faire tourner, il cherche pas plus, expliqua Matt.

– C’est comment ton nom ? demanda Ange.

– Nathan. Nathan Sychla d’Ozegow. »

Nathan soupira… Les yeux ronds quand il se présentait, il avait l’habitude, mais ça le mettait toujours mal à l’aise.

« Euh… Si on allait manger ? Sven nous attend peut-être… » tenta-t-il.

Ils redescendirent tous les trois. La violoniste et le guitariste étaient en train de mettre les couverts sur deux tables rapprochées pour l’occasion. Le bar était fermé.

Ils furent bientôt attablés, dans une ambiance joyeuse, Nathan entre Ange et Sven. Le jeune chanteur était décidément sympathique et se montra vite entreprenant. Nathan se laissa draguer sans trop résister. Ange était aussi beau que gentil et Nathan avait très envie de se sentir désiré… Et besoin, surtout, d’y croire encore. Autour, les autres rigolaient doucement en ne faisant mine de rien.

Mais ça n’alla pas plus loin ce soir-là, les deux jeunes gens étant trop fatigués pour ça. Ils parlèrent encore très longtemps dans le couloir, entre leurs deux chambres, puis allèrent se coucher chacun de leur côté.

Nathan dormit tard. Il avait éteint son téléphone, il ne voulait pas être dérangé. Il appellerait son avocat plus tard dans la journée… Il se réveilla vers 11 h et commença par essayer de se rendormir. Il n’y parvint pas et sa vessie et son estomac ne tardèrent pas à comploter une alliance machiavélique pour le forcer à se lever. Il leur céda en grognant, passa à la salle de bain, calmer la première révoltée et se doucher, avant de descendre en bâillant.

Sven était derrière son comptoir et le bar tranquille. Le patron sourit à son hôte :

« Salut, jeune homme ! Bien dormi ?

– Comme une souche. Bonjour, Sven. Vous allez bien ?

– Très bien. Tu peux me tutoyer… Tu veux un café ?

– Euh, un thé plutôt, si vous… si tu as…

– J’ai !

– Les autres ne sont pas là ?

– Oh, il n’y a que Matt et Ange qui vivent vraiment ici, tu sais. Et ils sont partis faire des courses. Il me reste quelques croissants…

– Ah, je veux bien, merci. »

Sven le servit, salua un couple qui venait d’entrer et alla prendre leur commande. Nathan mangea tranquillement. Il se sentait bien, ici. Il se demandait s’il pouvait rester un peu… Il avait envie de mieux connaître Ange qui lui plaisait beaucoup, et comme il pensait à lui, il le vit entrer et blêmit, stupéfait, en voyant dans ses bras un petit bonhomme d’un an ou deux qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau.

Choqué, Nathan resta bête alors qu’Ange posait le petit bonhomme au sol et lui disait :

« Tu es sage, bébé ? Je dois aider Matt à ranger les courses.

– À vient zouer ap’ès papa ?

– Oui, oui, je viens jouer après. Promis. »

Sven sourit en voyant le petit garçon et revint au comptoir préparer la commande du couple. Nathan resta sceptique, contrarié, et l’était toujours quand Ange revint.

Le jeune chanteur sourit en le voyant et vint vers lui :

« Salut, Nathan ! Ça va ?

– Ouais… »

Le ton froid de Nathan surprit Ange qui bredouilla :

« Euh, y a un problème… ? T’as l’air fâché… »

Nathan finit son thé sans répondre, mais Ange insista gentiment :

« T’étais plus cool hier soir…

– Ben hier soir y avait pas un petit bonhomme qui t’appelait papa. »

Ange fronça un sourcil, puis, comprenant le malentendu, il agita vivement ses mains :

« Ah oui mais non mais c’est pas ce que tu crois…

– Quoi, c’est pas ton fils ? demanda Nathan en le regardant, sourcils froncés à son tour.

– Si, ça si, mais euh c’est pas pour ça que je suis avec une nana, je veux dire… »

Comme Nathan se tournait face à lui, visiblement pas convaincu, Ange se gratta la tête, puis soupira :

« Bon, je vais être clair avec toi… Je l’adore, mon gosse, hein. Mais en fait, à la base, c’est juste un pari foireux…

– Pardon ?! »

Ange ne peut se retenir de glousser devant les yeux ronds du blond :

« Ouais, en fait euh, c’était à une soirée, on était bien beurré, et y a un gros lourd qui nous a fait chier avec une pote lesbienne qu’on avait juste peur de découvrir que le plaisir hétéro c’était le top, et tout, alors on en a eu marre et on lui a parié une bouteille de vodka qu’on avait pas peur et euh, comment dire, on a gagné la bouteille et euh, ce petit gars-là neuf mois après… »

Nathan resta coi un instant avant de glousser à son tour :

« Ah ouais…

– Ben ouais… Après, Chloé me le laisse parce qu’elle touche pas terre avec son taf… Elle est en Chine là je crois… Ou en Russie, chais plus… »

Le petit bonhomme, qui suivait Sven entre le comptoir et les tables, réalisa que son père était revenu et courut vers lui :

« Papa papa !!! »

Ange s’accroupit pour le prendre dans ses bras et l’y serra fort avant de se relever.

« Je te présente mon petit Loup, Nathan.

– Bonjour, Loup, salua Nathan.

– Bo’zour ! »

Le petit bonhomme était vraiment le portrait craché de son père.

« Viens zouer papa ?

– Oui, oui, on y va ! »

Nathan les regarda s’installer à une table et se dit qu’il avait un coup de fil à passer… Il remonta dans sa chambre, ralluma son téléphone. Il effaça sans même les lire et les écouter les textos et les messages de Thomas et ceux de son beau-père et appela son avocat qui répondit aussitôt :

« Bonjour, Nathan, content d’avoir enfin de vos nouvelles…

– Bonjour, Maître. Ça va, désolé de vous avoir inquiété.

– Ce n’est pas grave. L’essentiel, c’est que vous alliez bien. Votre beau-père m’a appelé trente-six fois…

– Je vais changer de téléphone, je vous donnerai mon nouveau numéro. »

Il y eut un silence.

« Que s’est-il passé, Nathan ? demanda doucement l’avocat.

– Thomas a rompu, répondit douloureusement Nathan. Parce que mon beau-père lui a offert le boulot de ses rêves en échange. »

Il y eut un nouveau silence, choqué à l’autre bout du fil. Nathan sentit brutalement les larmes lui monter aux yeux, comme si, sa colère passée, toute sa douleur jaillissait d’un coup au souvenir de son après-midi de la veille.

« J’ai pris toutes mes affaires et je suis parti, j’ai même pas voulu discuter ou réfléchir…

– Je ne peux pas vous le reprocher ! Bon sang, comment a-t-il osé ça… Que comptez-vous faire ?

– Mes projets n’ont pas changé. Je ne prendrai pas sa succession. Je veux continuer mes études et devenir professeur. Ça sera sans Thomas, c’est tout. Je ne rentrerai pas, et je voulais que vous vous assuriez que mon beau-père ne va pas bloquer mes comptes. Vu ses copinages avec mon banquier, j’ai des craintes sérieuses à ce sujet…

– Je vais voir ça immédiatement, vous pouvez compter sur moi.

– Merci, Maître.

– Je vous en prie… Reposez-vous bien pendant vos vacances et continuez vos cours tranquillement en septembre, Nathan. Je veillerai à ce que tout aille bien. »

Le garçon redescendit. Ça lui faisait un peu chaud au cœur d’avoir parlé avec son vieil avocat. Maître Dubuisson était de son côté, il le savait, et serait un rempart infranchissable entre son beau-père et lui, bref, ce qu’il lui fallait pour continuer sa vie en paix.

Le garçon se dit avec une certaine amertume que Thomas était un idiot… Et son regard tomba, quand il rentra dans le bar, sur Ange qui venait d’attraper son fils et le soulevait en riant. Et Nathan eut un pâle sourire en se disant : Pourquoi pas…

Nathan revint s’asseoir au comptoir avec une petite mine. Il n’avait rien de spécial à faire, n’ayant plus de cours et aucune envie de bosser ceux à venir. Sven vint vers lui :

« Eh, ça va ?

– On tient bon, lui répondit le garçon. Dites-moi, Sven, euh pardon, dis-moi, combien de temps puis-je rester ici ?

– Aussi longtemps que tu paieras, moi j’ai de la place, ne te prive pas. Je reverrais le tarif si tu restes vraiment longtemps, mais sérieux, si t’as nulle part où aller, tu t’en fais pas, ça me gène pas du tout de t’aider.

– Ça m’arrangerait au moins le temps de voir… J’ai pas mal d’économies, mais je préférerais ne pas toutes les passer dans un logement plus cher pour le moment…

– Ben c’est réglé alors. Y a pas de souci de mon côté.

– Merci. »

Matt arriva de la cuisine et sourit :

« Tiens, notre escargot ! Tu vas bien ?

– Escargot ? releva Nathan en fronçant un sourcil.

– Il dit ça parce que tu es arrivé avec ta maison sur ton dos hier, expliqua Sven.

– Ah, ça… »

Ange s’approcha à son tour et déposa Loup sur le siège voisin de celui de Nathan :

« Je peux le laisser ici ? Les clients arrivent, là, ‘faut que je me mette au boulot.

– Moi, ça me va. Tu pourras garder un oeil sur lui si je suis occupé, Nathan ? demanda Sven.

– Euh, oui, oui, bien sûr…

– Merci, Nathan, c’est gentil ! » lui dit Ange.

Il embrassa doucement son fils :

« Allez sois sage, bébé…

– Bon t’avail papa ! »

Nathan resta au comptoir et y mangea, très vite amadoué par le petit Loup qui était juste adorable. L’enfant était gentil et curieux, juste assez bavard pour animer sans être pénible, attentif quand on lui parlait et Nathan se surprit à prendre vraiment du plaisir à lui expliquer des choses. Les grands yeux émerveillés du petit bonhomme quand il lui expliqua, aussi simplement que possible, qu’il y avait des tas d’étoiles et sûrement autant de galaxies, beaucoup plus qu’on en voyait, lui firent vraiment chaud au cœur.

Le rush de midi apaisé, Ange vint se poser pour manger à son tour. Amusé de voir son fils si enthousiaste, il les écouta un moment. Son repas fini, il prit Loup dans ses bras pour l’emmener à la sieste. Loup salua tout le monde et se laissa emmener. Quand il redescendit un peu plus tard, Ange revint au comptoir pour boire un café et dit à Nathan :

« Merci de t’être occupé de lui, c’est gentil.

– Tu l’as déjà dit et pas de quoi, c’est normal. Et puis, il est vraiment adorable.

– Ah euh, merci…

– Il te ressemble. »

Ange rosit et se gratta la tête, gêné. Nathan le trouva vraiment adorable aussi. Puis le chanteur reprit un peu vite :

« Si t’as rien à faire cet aprem, euh, je voulais l’emmener faire un tour au musée d’histoire naturelle… J’ai vu qu’ils avaient une expo sympa pour les tout-petits alors euh bon voilà quoi…

– Faut que je passe changer de numéro de téléphone, sinon j’ai rien de spécial à faire, donc volontiers.

– Ah ben on peut voir ça en route et euh… On y va après sa sieste alors… ?

– D’accord. »

Ange reprit son service et Nathan monta dans sa chambre, où il installa un peu plus ses affaires, puisqu’il savait maintenant qu’il allait rester suffisamment longtemps pour que ça vaille le coup.

Un peu rasséréné de retrouver ses livres sur les étagères, ses vêtements dans le placard mural, ses cahiers, classeurs et son ordi sur le bureau, il se demandait s’il pouvait accrocher quelques posters au mur quand on vint toquer à sa porte. C’était Ange qui venait le chercher, Loup était réveillé. Nathan leur sourit :

« Ah, j’ai pas vu le temps passer… Je vérifie mon sac et j’arrive… »

Loup se faufila entre les jambes de son père pour trotter dans la chambre. Ange le suivit un peu plus calmement et, voyant les livres, dit :

« Ben ça en fait, dis donc…

– Et encore, je n’ai pas tout sorti ! Il faudrait une étagère de plus.

– On doit avoir ça… C’est quoi, des livres d’histoire ? Ah ouais, tu disais que t’étais en histoire à la fac hier, c’est vrai… C’est sur quoi que tu bosses ?

– Oh, ça ne va pas trop te parler, disons les discours des chrétiens pendant les croisades, au Moyen-Âge. Comment ils expliquaient que les musulmans étaient très méchants et qu’il fallait absolument aller leur faire la guerre.

– Ah, déjà à l’époque ? sourit Ange.

– Oui, sourit aussi Ange, déjà à l’époque, les Américains en moins, mais sinon, les discours n’ont pas vraiment changé, c’en est presque effrayant. Bon, j’ai tout ce qu’il faut, on y va ? »

Ange souleva Loup dans ses bras et ils descendirent :

« Et toi, alors, tu es serveur ici ?

– Oui, j’ai tenté le conservatoire, mais sans grand succès, alors je bosse ici, Sven est plutôt cool, il nous laisse faire des concerts quand on veut…

– J’ai beaucoup aimé, en tout cas.

– Ah euh, merci…

– Tu chantes très bien et les mélodies sont très agréables… En tout cas, c’est bien meilleur que la moyenne de ce que j’entends quand je croise une radio ou un poste de télé… »

Ange gloussa et répondit :

« On bosse dur… Mais ça commence à marcher un peu, c’est cool… »

Ils passèrent tous trois un excellent après-midi, entre le musée et son exposition et le centre-ville où ils trouvèrent sans mal une boutique pour que Nathan puisse changer de numéro de portable. Ils passèrent aussi dans une librairie où Nathan trouva quelques livres d’histoire et un roman et Ange quelques mangas et quelques livres illustrés pour son fils. Puis ils rentrèrent au bar.

La soirée fut encore très sympathique. Nathan se sentait décidément bien au milieu de cette drôle de bande de gens qui avait décidé de vivre ensemble sans plus de raison que leur envie.

Les jours se mirent à se succéder sans ombre. Nathan et Ange se tournaient toujours autour sans trop aller plus loin, juste pour le plaisir de prendre leur temps. L’été arrivait, radieux, Nathan se remit à travailler à son mémoire, squattant une table. Il appréciait le calme du lieu, sa clientèle paisible et aimable, si différente du milieu trop friqué et guindé dans lequel il avait grandi.

Ange partageait son temps entre son boulot de serveur, son fils, Nathan et la composition de nouvelles chansons pour l’automne. Ils firent quelques concerts, toujours aussi bien accueillis, et c’est à l’issue de l’un d’eux que dans les coulisses, Loup contempla avec de grands yeux curieux son père et Nathan échanger leur premier baiser.

Ce qui leur valut de se faire arroser au champomy par Matt et Sven, qui guettaient ça depuis fort longtemps.

Le lendemain, alors qu’ils se promenaient en amoureux dans le grand parc de la ville, Nathan se sentit obligé de raconter ce qui lui était arrivé à Ange. Ils s’assirent sur un banc, au bord du lac, et l’étudiant commença :

« Je voulais te parler de quelque chose, Ange…

– Oui ?

– En fait, j’aimerais bien construire quelque chose de sérieux avec toi, alors je me disais que je te devais la vérité…

– Tu m’inquiètes à parler si sérieusement… »

Nathan sourit :

« Non, non, t’en fais pas. »

Ange passa son bras autour de ses épaules.

« Le soir où je suis arrivé au bar, je venais de tout plaquer. Je vivais avec un garçon depuis deux ans, et il m’a annoncé que tout était fini parce que mon beau-père lui avait offert un super boulot s’il rompait avec moi. »

Ange sursauta :

« Sérieux ? Et il a accepté ?

– Ben oui.

– … Sympa… Et c’est quoi son problème à ton beau-père ?

– Ça, c’est une longue histoire… »

Nathan eut un sourire triste :

« J’avais onze ans quand ma mère a épousé ce gars, et franchement, au début, ça allait vraiment bien. Il était très gentil avec moi, très amoureux de ma mère, je m’entendais très bien avec sa fille… Et puis, les années ont passé, ils n’ont pas pu avoir d’autre enfant et un jour… Ça lui a pris comme ça, je n’ai rien compris, il m’a annoncé que puisqu’il n’avait pas de fils, il voulait que je prenne sa succession à la tête de sa grande entreprise d’événementiel… Je ne voulais pas, je ne veux toujours pas, et donc, il fait tout ce qu’il trouve intelligent de faire pour m’y pousser…

– C’est moche, mais c’est quoi le rapport avec ton mec ?

– Ah, pardon. Ça, c’est sa deuxième obsession, que je me marie pour avoir plein d’enfants et perpétuer la lignée…

– Il est au courant qu’on est au XXIe siècle et qu’aujourd’hui, les enfants on peut en avoir hors mariage, et même en étant gay ?

– Tu parles d’un homme qui n’a toujours pas compris que sa fille rêvait de prendre sa succession et en avait toutes les compétences.

– Laisse-moi deviner, pour lui, il lui manque une paire de couilles ?

– Tu as tout compris. »

Ange hocha la tête et embrassa furtivement Nathan :

« Mais ta mère dit rien ?

– Elle n’est plus là pour ça.

– Oh. »

Ange resserra son bras et appuya sa tête contre celle de Nathan :

« Désolée, je savais pas.

– C’est pas grave. Tant qu’elle a été là, elle était avec moi. Depuis, j’ai mes grands-parents et mon avocat de mon côté. C’est déjà très bien ! »

Il y eut un silence. Un canard s’envola du lac.

« Merci de m’avoir dit tout ça. C’est dingue, quand même… soupira encore Ange. Moi, je viens du fin fond de la campagne, d’un village où comment dire, on est pas vraiment réputé pour être super open, du coup je balisais quand j’ai pigé que j’étais gay… Et quand ça s’est su, y a trois cons qui me sont tombés dessus, alors j’ai réussi à rentrer à la ferme, mais ils m’ont chopé dans la cour, mes frères et mon père sont arrivés aussi, et là je me suis dit que j’étais mort… Et en fait, quand ils ont su pourquoi ces mecs en avaient après moi, ils leur ont défoncé la gueule et après mon père m’a filé une gifle monumentale en me disant que la prochaine fois que je leur cachais un truc de ce genre, je m’en prendrais deux. »

Nathan rit et Ange fit de même.

Les deux jeunes gens n’eurent pas droit à la même douche champomiesque le matin où ils furent surpris tous deux dans le lit de Nathan, peu de temps plus tard.

Le temps passa encore, l’automne arriva. Les cours de Nathan reprirent et la vie suivit son cours. Nathan avait presque oublié Thomas et son beau-père. Il s’était officiellement installé au bar et les jours passaient sereinement, son master 2 se passait très bien et il était juste heureux.

Lorsque, après une série de concerts particulièrement réussis, Ange et ses musiciens apprirent que des producteurs les avaient repérés, ils furent très contents, mais ne changèrent rien à leurs habitudes, se méfiant des rumeurs.

Début décembre, Ange sut avec surprise que sa famille, à qui il avait dit qu’il était en couple, s’invitait au bar pour le réveillon de Noël. Sven prit la chose d’autant plus bien que la mère de son jeune serveur proposait de s’occuper du repas s’il lui laissait la cuisine.

Il était très embêté, mais Nathan prit bien la chose. Il se montra au contraire ravi à la perspective de rencontrer sa belle-famille. Ange resta un peu nerveux, mais il se dit que ça allait bien se passer.

Son attention fut accaparée par un autre sujet. Il reçut, quelques jours avant Noël, un coup de fil d’une aimable productrice qui désirait les rencontrer, lui et ses musiciens. Un peu surpris, le garçon accepta, mais suite à un problème d’agenda, le rendez-vous dut être pris avec son assistant et le 24 à 14h. Ça n’arrangeait pas du tout Ange qui accepta en grommelant, déjà contrarié de devoir y aller seul, car ses amis n’étaient plus en ville, rentrés dans leurs familles pour les fêtes, trop loin pour revenir, et en plus, sa famille à lui arrivait vers 15h, et il risquait de ne pas être là pour les accueillir.

Il se rendit donc au lieu dit en se disant qu’il allait vite expédier ça, puisque de toute façon, il était hors de question qu’il s’engage sans les autres.

Il y alla en bus, et alors qu’il arrivait, il reçut un texto de Nathan qui lui souhaitait bonne chance et lui disait qu’il passerait le chercher dans sa nouvelle petite voiture.

Ange se demandait pourquoi Nathan avait voulu s’acheter une voiture, mais ça servait de temps en temps et là ça allait l’arranger.

Le jeune chanteur arriva un peu en avance et fut rapidement introduit dans une pièce avec deux canapés où se trouvait, assis sur l’un d’eux, un quadragénaire et debout devant la fenêtre, un autre homme auquel Ange ne fit d’abord pas attention, car celui du canapé se leva pour venir lui serrer la main avec énergie :

« Monsieur Aubade, bienvenue ! Madame Covenant vous prie de l’excuser, elle est en réunion. Je suis Serge Chancir, asseyez-vous, je vous prie.

– Euh, enchanté… » répondit prudemment Ange en répondant à la poignée de main avec une moue un peu sceptique.

Cet homme lui apparaissait comme un mauvais VRP…

Ils s’assirent chacun sur un canapé, l’un en face de l’autre. Ange commença :

« Je suis venu voir ce que vous comptiez nous proposer, mais je ne m’engagerai pas sans le reste du groupe…

– Ce n’est pas gênant, c’est précisément à vous que je voulais parler. Enfin, pardon, que nous voulions parler… »

L’autre homme s’approcha alors, et Ange s’enfonça dans le dossier en croisant les bras. Il le sentait moyen, là…

Nathan arriva à l’heure dite et se gara. Il regarda sa montre, Ange devait avoir bientôt fini… Il allait prendre un livre pour patienter quand une silhouette en train de fumer devant la porte de l’immeuble le pétrifia.

« Thomas… ? »

Il fronça les sourcils :

« Mais qu’est-ce qu’il fout là, ce connard… murmura-t-il avant de blêmir : C’est pas vrai… »

Il sortit de sa voiture et fonça vers son ex :

« Thomas ! »

L’autre sursauta et recula, paniqué :

« Oh euh Nathan salut comment tu vas ?…

– Mal, très mal, parce que je n’avais vraiment, mais vraiment pas envie de te revoir, encore moins la veille du Noël ! Tu as cinq secondes pour m’expliquer ce que tu fais ici.

– Euh non mais rien je passais… bredouilla le garçon en reculant encore.

– Bien tenté, joue encore.

– Euh, ben…

– D’accord, je t’aide. Cette histoire de contrat, c’est un coup de mon beau-père ?

– Euh, à la base non mais en fait oui… »

Nathan croisa les bras et continua en pianotant sur ses bras :

« Peux mieux faire.

– C’est à dire qu’il a su pour le rendez-vous parce qu’il connaît le gars, alors il a demandé s’il pouvait venir… »

Nathan ferma les yeux et inspira un grand coup. Il trembla et poussa Thomas pour entrer dans le bâtiment. Il resta aussi correct que possible avec la dame de l’accueil et grimpa à l’étage qu’elle lui indiqua. Il chercha fébrilement le bureau de ce M. Chancir et y entra sans frapper.

Sur le canapé, Ange était profondément dubitatif. Face à lui, Chancir et un quinquagénaire fort bien conservé et Nathan sentit sa fureur remonter à sa simple vue.

« Oh, Nathan, lui dit cet homme avec un grand sourire.

– Bon, soupira Ange en regardant le papier qu’il avait en main, après avoir jeté un oeil à Nathan par-dessus son épaule. J’ai un joli chèque et la promesse d’une carrière fabuleuse… »

Nathan trembla et serra les poings.

Ange se mit à fouiller dans une de ses poches. Chancir semblait aussi ravi et demanda :

« Si vous cherchez un stylo, je…

– Non, non… Merci… »

Nathan s’approcha en tremblant :

« Ange…

– Ah voilà… »

Le jeune chanteur sortit avec un soupir un briquet de sa poche et devant les regards médusés de ses deux vis-à-vis, il mit très simplement feu au chèque. Il le déposa dans le cendrier posé là et leur sourit :

« Donc, ma réponse, allez vous faire foutre et au revoir. »

Il se leva et se tourna :

« Merci d’être venu, mon chéri. On y va ? L’heure tourne. »

Nathan sourit, ému :

« Ouais, on y va… »

Il jeta un regard sombre à son beau-père qui se leva, fâché :

« Vous préférez rester à servir des bières dans votre bar miteux, M. Aubade ?

– Euh,… Alors en fait ouais, répondit Ange. Ouais, parce que j’aime beaucoup chanter, mais j’aime encore plus mon mec et surtout, il est hors de questions que je signe un contrat avec des gens qui sont capables d’un tel coup de pute. Sur ce, vous m’excuserez, mais ma famille doit nous attendre au bar…

– Elle va être déçue que vous restiez serveur… »

Cette fois, Ange rigola et répliqua :

« Vous, vous connaissez pas mes parents. Si je me ramène en leur disant que je deviens chanteur parce que j’ai lâché Nathan, je vais me faire démonter la gueule. Sur ce, au revoir et à jamais. »

Ange prit la main de Nathan et l’entraîna, mais le beau-père dit encore :

« Tu as un amant bien vulgaire, Nathan… »

Nathan le regarda et répondit avec un sourire froid :

« Un garçon sincère et honnête, tu devrais en prendre de la graine. Ça me ferait des vacances. Et donne mon bonjour à Sandrine, en espérant qu’un jour tu te rendes compte qu’elle existe… Ça aussi, ça me ferait des vacances. Et tant qu’on y est, pense à m’oublier, merci. »

Ils sortirent du bureau et tombèrent sur madame Covenant, une minuscule femme qui leur sourit et trotta vers eux :

« Ah, monsieur Aubade ! Tout s’est bien passé ?

– Euh, alors non. Rien de personnel contre vous, hein, mais votre Chancir, là, il m’a un peu lourdé à s’occuper plus de ma vie personnelle que de mon groupe, alors je vous aime bien, mais ma vie privée, c’est pas vos salades. »

Elle fronça les sourcils et regarda sévèrement, derrière eux, Chancir qui arrivait.

« Ça doit être un malentendu… Bon, passez de bonnes fêtes, monsieur Aubade. Je m’occupe personnellement de ça et je vous rappelle dès que possible. »

Les deux jeunes gens échangèrent un regard, la saluèrent et partirent. En bas, ils recroisèrent Thomas qui s’écarta précipitamment et son attitude intrigua Ange qui le toisa avec scepticisme alors que Nathan lui jetait un glacial :

« A jamais, Thomas.

– Ah, c’est lui ? Attends, attends… »

Ange attrapa la main du jeune homme et la serra avec énergie :

« Merci, vieux. T’as vraiment un sale con, mais si tu l’étais pas, j’aurais jamais rencontré Nathan, donc merci. Joyeux Noël ! »

Nathan ne put retenir son rire et Ange revint vers lui et prit sa main.

« Allez magne, on va être à la bourre ! »

Ils partirent tranquillement à leur voiture et Nathan se mit au volant. Ange se permit encore un doigt d’honneur au beau-père de son ami qui sortait du bâtiment avant de monter. Nathan accrochait le GPS et n’avait rien vu. :

« Ceinture, mon rossignol…

– Arrête de m’appeler comme ça…

– Ceinture quand même.

– Oui, oui, mais je suis pas un rossignol… »

Nathan démarra et ils rentrèrent. Lorsqu’ils poussèrent la porte du bar, Nathan couinait avec une moue suppliante :

« Mais si dis-moi…

– Non.

– Maiiiiis euh Ange… ?

– Non.

– S’il te plaît…

– Non, je te jure, te prends pas la tête avec ça…

– Mais allez dis-le moi…

– Non, franchement non, ça vaut pas le coup, juré… »

Un trentenaire brun du gabarit de Matt fondit sur Ange pour le soulever avec énergie :

« Salut frangin !

– Waaah… ! sursauta Ange. Oh, salut, Jeff… Je t’avais pas vu, vous êtes déjà là…

– Ouais, on vous attendait ! »

Le grand brun reposa Ange et l’étreignit vigoureusement alors d’un autre grand brun arrivait, suivi d’un couple de quinquagénaires plus petits, bien ronds tous deux, et deux jeunes femmes. Ange étreignit tout le monde avec un grand sourire : son autre frère, ses parents, sa belle-soeur et sa sœur. Puis, il les présenta à Nathan qui se vit non sans surprise étreint avec la même énergie. Encore peu habitué à ce type de familiarités, Nathan se laissa faire en essayant de ne pas être trop tendu…

Au comptoir, Sven servait à boire à tout le monde. Le bar n’était pas encore fermé, et la petite famille était installée sur une grande table. Assis près de son ami, Matt regardait la scène avec intérêt. Il prit le plateau que Sven lui désignait en se penchant pour lui murmurer :

« Ils sont cool la famille d’Ange…

– Ouais, très gentils et spontanés ! Nathan a l’air un peu stressé.

– Ben les sept d’un coup, ça fait un choc… »

Le jeune étudiant était effectivement un peu tendu, contemplant avec un sourire curieux la famille de son compagnon. Une joyeuse bande qui semblait toute prête à l’accueillir en son sein. Et la suite de la journée le lui prouva, une succession de bons moments au milieu de gens sympathiques qui lui firent assez vite oublier la dernière tentative de son beau-père et ce dernier. Nathan se coucha très tard et ravi. Il se blottit contre Ange dès que celui-ci le rejoignit :

« Alors, tu en dis quoi ? demanda ce dernier.

– Ils sont adorables.

– Merci.

– Tu veux toujours pas me le dire ? »

Ange mit quelques secondes à comprendre et soupira :

« Non, mon Nath. Tu n’as pas besoin de savoir le montant de ce chèque. »

*********

L’après-midi se tirait, au lycée, et la dernière heure de la semaine de cours de Nathan s’annonçait agitée. Pour pallier ça, il avait prévu de laisser ses élèves en roue libre pour un travail en binôme. Comme ça, pas de risque de passer une heure à leur demander de se taire…

Il se promena un peu dans les rangs le temps de s’assurer que tout le monde était lancé et s’arrêta au fond, à côté de deux mignonnes petites greluches qui étaient occupées à lire une revue sous leur table. Elles gloussaient et il se racla poliment la gorge, ce qui les fit sursauter.

« Alors, mesdemoiselles, cette étude des documents sur le Débarquement ?

– Euh, on y va, on y va ! »

Avisant un visage familier dans ladite revue, il continua, toujours très aimable :

« Merci, mais puis-je vous emprunter ceci le temps de ? J’ai peur que ça ne vous aide pas à vous concentrer. »

Nathan tendit la main et comme elles faisaient la tête, il ajouta :

« Je vous le rends à la fin du cours et je ne pique pas le poster, promis. »

Elles acceptèrent, désormais plus intriguées qu’autre chose, et le virent avec stupéfaction retourner à son bureau pour se mettre à lire l’interview de leur groupe préféré…

Nathan se dit, rêveur, qu’Ange était vraiment photogénique… Et aussi qu’il lui manquait beaucoup et que dix jours pour préparer un concert, même très important, c’était définitivement trop long.

Et cerise sur le pompon, il se retrouvait tout seul pour fêter ses trente ans.

Ange lui avait promis qu’ils fêteraient ça et qu’il s’occuperait de tout. Mais Nathan avait la ferme intention de bouder au moins cinq minutes lorsqu’ils se retrouveraient le lendemain pour le concert, pour le principe, et surtout pour avoir le plaisir d’avoir un Ange prêt à tout pour se faire pardonner.

Et quand il disait prêt à tout… Hmmmm miam miam.

Il allait rentrer et probablement passer la soirée à tenir compagnie à Sven, délaissés qu’ils étaient tous deux. Et pour l’heure, il allait lire cette interview, car il se souvenait qu’Ange avait grommelé qu’on lui avait posé des questions « un peu trop perso ».

Entre banalités, anecdotes musicales et annonce de prochain album, une question fit froncer les sourcils à Nathan :

« Ange, on vous a reproché d’avoir été blessant envers une fan qui était très active sur votre site, ainsi que sur Facebook et Twitter… »

Nathan s’en souvenait trop bien. Il lut attentivement la suite :

« Vous parlez de la demoiselle qui me harcelait ?

– Le verbe harceler est peut-être…

– Tout à fait justifié, dans le cas d’une personne qui a pu laisser jusqu’à 30 messages par jour, qui s’était mis à insulter, voire menacer d’autres personnes, en particulier la personne qui partage ma vie, puisqu’elle avait décidé que c’était sa place, allant jusqu’à tenter un chantage au suicide. Oui, j’ai dû la recadrer et oui, j’ai été très ferme. Je suis absolument désolé pour cette jeune fille, qui je vous le rappelle avait 15 ans, qu’elle ait été suffisamment en détresse pour n’avoir que mon image à laquelle s’accrocher, et j’ai averti les personnes qu’il fallait pour qu’elle soit prise en charge, ça a été fait. Mais ça n’excusera jamais pour moi les flots d’injures qu’elle a déversés sur la personne que j’aime, qui partage ma vie depuis bientôt dix ans et que je n’ai absolument ni intention ni envie de laisser tomber, encore moins pour quelqu’un qui rêve des fabuleux voyages que nous ferons puisque j’ai les moyens. Je vis avec quelqu’un qui m’a connu serveur, chanteur débutant, qui m’a soutenu aussi longtemps qu’il a fallu en, justement, payant mes factures un bon moment. Quelqu’un qui est toujours là pour mon fils, pour mes amis, ma famille, moi, et je suis désolé pour toutes les personnes qui rêvent de partager ma vie, mais la place est prise depuis longtemps et pour toujours. »

Nathan soupira. Bon, il bouderait peut-être que trois minutes.

Le cours s’acheva et comme promis, il rendit la revue aux deux demoiselles.

« Merci beaucoup.

– On savait pas que vous aimiez ce groupe…

– Si, beaucoup et depuis longtemps. »

Il ajouta avec un sourire en se levant :

« Je vous souhaite un bon WE. »

Et il n’ajouta pas qu’il serait au concert tant attendu le lendemain, ne voulant pas les faire bisquer.

Il rangea ses affaires, constata qu’il avait reçu de nouveaux textos de bon anniversaire, mais toujours pas celui d’Ange, grogna, repassa vite fait en salle des profs avant de rejoindre le parking et sa voiture. Il ouvrait la portière lorsqu’il sursauta violemment en entendant :

« Bonsoir, mon amour. »

Il se retourna brusquement et resta bête, les yeux ronds, avant de bredouiller :

« Ange… ? Je rêve, qu’est-ce que tu fais là ? »

Une étreinte et un long baiser interrompirent un moment le dialogue naissant.

« Bon anniversaire, Nathan !

– Merci mon chéri…Mais sérieusement, tu n’es pas censé être à Paris pour préparer un concert…

– Si, mais j’ai posé mon vendredi en RTT.

– Ange… »

Ange gloussa et l’embrassa encore :

« T’en fais pas. C’était prévu depuis le début. Il était hors de question que je loupe ton anniversaire. Du coup, on a tout bouclé ce matin, et j’ai sauté dans le train après manger pour te rejoindre. Et comme promis, je me suis occupé de tout. Et ça commence par un restaurant en amoureux. Qu’est-ce que tu en dis ?

– Ça me va… Mais Loup ?

– Sven l’a récupéré, t’en fais pas. »

Ange prit donc le volant pour conduire son amoureux dans une petite pizzeria familiale où ils purent discrètement roucouler dans un petit coin tranquille. Nathan s’amusa à faire du pied à Ange, qui le contemplait d’un regard qui en annonçait pour la fin de la soirée.

Ils rentrèrent ensuite au bar où ils vivaient toujours, et où une surprise de taille attendait Ange, en la présence de tous leurs amis et même des quelques collègues qui savaient avec qui il vivait.

C’est donc que vers 2 h du matin qu’ils allèrent se coucher, car il fallait quand même dormir quelques heures avant de remonter à Paris pour le concert. Leur nuit fut très courte, comme celle de Matt et Sven, purent-ils constater en descendant avec Loup pour déjeuner, en voyant leur mine fatiguée aussi. Ils s’installèrent au comptoir. Le bar était fermé, ce jour-là, et ils mangèrent tranquillement tous les cinq. Loup était tout excité. Ce n’était pas la première fois qu’il verrait son père en concert, mais dans une si grande salle et à Paris, ça lui paraissait fabuleux.

Perdu dans ses pensées, Nathan sursauta quand Ange lui demanda si ça allait :

« Hein ?! Euh, oui, oui…

– Tu dors debout ?

– Un peu, je me reposerai dans le train.

– À quoi tu pensais ?

– À l’orage qui m’a fait entrer ici…

– Houlà, tu me fiches un coup de vieux… rigola Sven.

– T’es pas vieux ! le gronda Matt.

– C’est quand tu as rencontré papa ?

– C’est ça…

– C’est vrai que tu avais toute ta maison avec toi ?

– En gros, oui.

– Tu crois que mamie a raison quand elle dit que c’était le destin ? »

Nathan et Ange échangèrent un sourire. Le destin, le hasard, Dieu… Finalement, quelle importance…

Fin

24/12/2014, 00h08

(14 commentaires)

  1. Là aussi je t’avais donné mon avis de vive voix et je me rappelle plus tout ce que j’ai dit XD

    En gros, très belle histoire, toujours bien écrite. J’adore ton humour et surtout le personnage d’Ange : “Merci mec d’être un tel connard, grâce à toi je suis heureux !” et puis “Non chéri je t’assure que tu n’as pas besoin de savoir le nombre de zéro qu’il y avait sur le chèque” MDR

    Bref, si tu as d’autres pépites dans tes fonds de tiroirs, hésite pas ! Merci de nous faire partager tes histoires.

    1. @Armelle : Mes tiroirs sont un peu vides à ce niveau, à force de faire, mais bon, on prépare d’autres choses… :p

  2. Bon noel un peu en retard ma tite Ninou, je rentre de chez mes parents et que vois-je un beau cadeau, tout mimi, tout trognon… Bon ben je range mon fouet alors…

    Bon weekend

    1. Au fait désolé de reposter un poste, mais la team yaoi x yuri ferme ! C’est trop triste *snif snif* du coup (pessimiste comme pas possible), mais tu arrêtes pas ton site Ninou ?! ?????? (une âme désespérée de lire davantage de tes oeuvres)

      1. @Pouika : Non, non, ces deux activités étaient totalement distinctes, rien à craindre 🙂 ! J’ai pas attendu YxY pour écrire et sa triste disparition ne m’arrêtera pas 🙂 !

  3. Salut Ninou, merci pour ce cadeau de noël ! Au fait j’ai commencé à lire et à se paragraphe je crois que tu voulais dire Nathan et pas Ange, non ? “Ange dormit tard. Il avait éteint son téléphone, il ne voulait pas être dérangé. Il appellerait son avocat plus tard dans la journée… Il se réveilla vers 11 h et commença par essayer de se rendormir. Il n’y parvint pas et sa vessie et son estomac ne tardèrent pas à comploter une alliance machiavélique pour le forcer à se lever. Il leur céda en grognant, passa à la salle de bain, calmer la première révoltée et se doucher, avant de descendre en bâillant.” ?

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