Une histoire de plumes [Nouvelle pour les dix ans du site]

Synopsis : Mark Leth, mercenaire apatride, est arrêté alors qu’il vient tranquillement passer un peu de vacances en France. Son interrogatoire mené par le commandant Ismael Evrard montre vite qu’il a été faussement accusé. Rapidement relâché, il est cependant recontacté par Ismael qui a un job pour lui. Le commandant enquête en effet sur d’étranges morts semblant liés à un rituel ésotérique et a besoin d’un homme fiable et dont, surtout, il puisse être sûr qu’il n’est pas mêlé à cette drôle d’affaire…

 

Une histoire de plumes

Nouvelle pour les dix ans du site

 

Le responsable de la sécurité se massa les tempes, se sentant très très très fatigué. Beaucoup trop pour un lundi matin.

L’homme qui lui faisait face, tout jeune trentenaire, bel homme brun mal rasé, aux très beaux et fins yeux bleu-vert, était pourtant aimable et souriant. Certes peu loquace, mais il s’était laissé arrêter sans résister, menotter et emmener sans plus protester, avait sagement attendu son tour dans le couloir, alors que vu l’arsenal qu’il avait dans son grand sac de sport, et les cinq couteaux et le revolver qu’on avait retrouvés sur lui, il ne faisait pas trop de doute qu’on avait affaire à quelqu’un de plutôt dangereux.

Mais cet homme avait aussi quatre passeports avec chacun un nom différent, de quatre nationalités, française, américaine, russe et britannique, ainsi que pas mal de liquide de plusieurs devises, les mêmes que les passeports, plus des riyals, de l’argent saoudien.

Le flegme avec lequel il semblait appréhender son arrestation, survenue à l’aéroport de Lyon-St-Exupéry suite à une dénonciation, n’était pas pour rassurer les agents qui le gardaient.

Cet homme qui les regardait avec un petit sourire tout gentil leur faisait irrémédiablement froid dans le dos.

Autant dire que lorsque des agents de la DGSI bien équipés et à l’air bien moins aimables arrivèrent pour l’emmener sans explication, tout le personnel de l’aéroport se sentit profondément soulagé.

L’inconnu se laissa embarquer avec le même calme, mais le coup d’œil qu’il jeta rapidement aux deux qui portaient ses sacs et sa valise pour être sûr que ses affaires le suivaient n’échappa pas au responsable de son transfert, un petit bonhomme grisonnant un peu trapu au regard aussi calme que vigilant.

Le prisonnier demeura silencieux durant tout le trajet, assis entre deux molosses qui devaient faire trois ou quatre fois son poids à eux deux, mais ses sourires fugaces lorsque ces derniers échangeaient des blagues avec leur chauffeur auraient dû, s’ils y avaient fait attention, les informer qu’il comprenait parfaitement le français.

Mais ça n’échappa pas au petit bonhomme qui était à l’avant, à la place du mort.

Emmené sans attendre dans une salle d’interrogatoire d’une dizaine de mètres carré, l’homme se vit menotter à la table. Les chaines étaient cependant assez longues pour qu’il puisse tranquillement porter sa main à sa bouche lorsqu’il bâilla et appuyer sa joue sur sa main, accoudé à la table de fer froide, l’air un peu fatigué.

Il sourit lorsque le petit bonhomme posa un grand mug de café devant lui.

« Sans sucre, je crois, monsieur Leth ? »

Le sourire s’élargit et il dit enfin, avec un léger accent indéfinissable :

« Vous avez l’air bien renseigné.

C’est que vous êtes un homme plutôt connu pour nous. » répondit le petit bonhomme en s’asseyant face à lui avec sa propre tasse et un dossier sous le bras.

Le prisonnier fit la moue, visiblement admiratif.

« De là à connaître mon vrai nom, reprit-il en prenant la tasse dans ses mains pour en respirer le fumet. C’est tout de même assez rare.

On est pas si nuls à la DGSI, vous savez.

Je vois ça. »

L’homme but une gorgée de café avec un plaisir visible, avant de soupirer de satisfaction. Puis, il posa la tasse, la gardant entre ses mains :

« Mais je n’ai rien fait de répréhensible sur votre territoire. Alors pourquoi m’arrêter ? Et d’ailleurs, à qui ai-je l’honneur ? »

Son vis-à-vis répondit poliment en ouvrant le dossier :

« Capitaine Bastien Gandier.

Enchanté.

J’aimerai vous dire ‘’de même’’, mais pour répondre à votre première question, vous êtes soupçonné d’être venu en France pour aider des terroristes en vue de prochains attentats, donc ça ne m’enchante pas, vous le comprendrez. »

Leth resta bête un instant, cligna des yeux avant de froncer les sourcils :

« Dénonciation d’un quelconque agent des États-Unis ? »

Gandier fronça les sourcils à son tour :

« Comment vous… ? »

Mais il fut interrompu par le bruit de la porte et une voix énervée s’écria :

« Bordel, Gandier, je t’avais dit de m’attendre ! »

Le prisonnier regarda avec surprise un trentenaire en fauteuil roulant venir se garer près du capitaine qui semblait avoir perdu quelques centimètres. Courts cheveux noirs ébouriffés, teint mat et yeux en amande noirs, bref, bien typé d’un peu loin au Sud, l’homme toisa Leth alors que Gandier lui répondait, pas fier :

« Mes excuses, Commandant, mais on en était à se présenter…

Mouais.

Tout à fait, confirma aimablement leur voisin de table, toujours tranquille, en rappuyant sa joue dans sa main droite, intrigué par le nouveau venu, et tenant la tasse de l’autre, pas plus gêné ou nerveux que ça. Mark Leth, enchanté, commandant… ? »

Le brun le regarda avec sérieux avant de répondre enfin :

« Ismael Evrard. »

Les deux hommes se toisèrent un instant en silence, Mark Leth aussi tranquille qu’Ismael Evrard était grave.

« Je demandais à votre subordonné pour quels motifs j’étais retenu, puisque je n’ai jamais rien fait d’illégal sur le sol français et que je ne crois pas faire l’objet d’un mandat d’arrêt international ? On me soupçonne de connivence avec des terroristes, il parait ?

Vous le niez ?

Ben oui, moi qui venais juste souffler un peu dans un pays tranquille en attendant un nouveau boulot, je me retrouve chopé direct à la descente de l’avion sans explication…

Votre petit arsenal privé est un motif à lui seul.

Rôh tout de suite, si on peut plus se promener avec quelques couteaux, un Beretta, un Famas, un mini-Uzi et une Kalash…

Vous devriez savoir que nous sommes légalement en État d’Urgence.

Je n’ai pas la moindre idée de ce que c’est et cet ‘’arsenal’’, comme vous dites, c’est juste tout ce que je possède…

Disons que suite aux attentats dont a été victime notre pays, nos mesures sécuritaires sont plus importantes, lui expliqua Gandier.

Ah, je vois.

Qu’est-ce que vous venez faire ici, sérieusement, Leth ? » demanda froidement Ismael Evrard.

Mark Leth lui répondit avec le même sourire calme :

« Je vous l’ai dit. Vacances. Vous pouvez vérifier mes réservations, j’ai une chambre d’hôtel ici à Lyon pour dix jours, je l’ai réservée tout à fait normalement en ligne. Non mais sérieux, les gars, vous pensez vraiment que si j’étais venu rejoindre un groupe terroriste, j’aurais pris un avion de ligne normal, surtout en arrivant d’Arabie Saoudite ?

Avec un faux passeport français, monsieur ‘’François Lebernard’’.

Oh ça va, ça on le fait tous… »

Mark Leth se renfrogna :

« J’aurais dû prendre le britannique, celui-là c’est un faux passeport diplomatique, j’aurais eu la paix… 

Gregor MacEvan, soupira Ismael Evrard. Ou le russe, monsieur Dimitri Svalogski…

Vous savez vraiment tout, sourit encore Mark Leth.

Et pourquoi vous n’avez pas utilisé votre vrai passeport, monsieur John Washington ?…

Le vrai-faux que la CIA m’a filé ? Ben justement parce qu’ils me l’ont fait sauter… J’en reviens donc à la question que je posais au capitaine quand vous êtes arrivés. Votre petit coup de fil pour me balancer, il vient de l’ambassade américaine.

Et si c’était le cas ?

C’EST le cas. C’est d’une mesquinerie, c’est tout eux, ça… »

Il y eut un nouveau silence avant qu’Ismael Evrard ne croise les bras :

« Pourquoi les Américains voudraient nuire à un mercenaire sans foi ni maître de votre genre ?

Parce que j’ai fait foirer un de leurs complots à la noix à Riyad et qu’ils ne l’ont pas digéré. Ils ont joué aux cons, ils ont perdu et ils sont pas bons perdants.

Expliquez-vous. »

Mark soupira et finit sa tasse avant de reprendre de bonne grâce :

« J’étais sous contrat à Riyad comme garde du corps pour le petit frère du prince Ahmed Ibn Nasser, plutôt un gars cool et moderne… Enfin disons moyenne haute pour le pays. Et j’ai été contacté par l’ambassade américaine qui m’a demandé d’éliminer sa femme, la femme du prince, avec tous un tas d’arguments et de documents comme quoi elle était de mèche avec un groupe d’extrémistes pour faire assassiner son mari et mettre leur oncle, un sacré vieux con, lui, pour le coup, aux manettes, que ça allait faire plein de terroristes parce qu’il allait les payer et les envoyer partout, tout ça. Ça m’a paru bizarre, mais comme je vous disais, je l’aimais bien, le prince Ahmed, alors j’ai fureté de mon côté et j’ai fini par découvrir que, déjà, cette dame était enceinte. J’ai donc prévenu l’ambassade que je ne tuais pas les enfants, et que ça serait sans moi ou alors après l’accouchement.

Parce que tuer des femmes, ça vous gêne pas ?… fit Ismael.

Y a que des machos débiles pour croire que les femmes, c’est jamais dangereux.

Hmmm… Un point pour vous.

Mais bref, ils ont insisté, ils me disaient que l’attentat aurait lieu trop tôt… Ça a fini par m’énerver, alors j’ai creusé un peu plus et j’ai fini par comprendre le vrai but, et surtout, que ma vraie cible, c’était justement ce bébé, parce que la vérité, c’était que l’autre frère d’Ahmed lorgnait le pouvoir et voyait d’un très très mauvais œil que son aîné ait un héritier alors que jusqu’ici, c’était lui, son héritier, et qu’il espérait bien le rester, quitte à forcer un peu le destin… Et surtout soudoyer les Américains à coups de promesses de plein de pétrole, de pognon et autres quand il serait aux manettes. Du coup, j’ai été tout balancer au petit frère, celui que je servais, un brave petit gars sans aucune prétention au trône, lui, qui m’a permis de rencontrer son grand frère en personne pour tout lui dire aussi. Alors, le complot a été démantelé, le frère comploteur exilé à l’autre bout de leur désert, et les négociations avec les Américains pour que ça reste secret ont dû être saignantes, puisque l’ambassadeur a changé en moins de deux semaines… J’en ai pas su beaucoup plus, moi, mais on m’a plus ou moins fait comprendre que je n’étais plus considéré comme fiable par les Etats-Unis et que je ne pourrais plus bosser pour eux. Honnêtement, j’ai gardé le passeport juste en souvenir… »

Mark eut un sourire amusé :

« Comme si j’avais besoin d’eux pour trouver du boulot… »

Les deux agents français restaient sceptiques.

« Pourquoi vous n’êtes pas resté à Riyad, si vous étiez en si bon terme avec le prince Ibn Nasser ? demanda Ismael, toujours grave.

Disons que son petit frère exigeait de moi des services un peu trop intimes et que ça commençait à se savoir… Rien d’inhabituel, mais bon, tant que ça restait discret, Ibn Nasser fermait les yeux. Là ça l’embêtait un peu, il nous a convoqués pour nous dire qu’il n’avait pas envie que ça dégénère, donc qu’il me payait un billet d’avion pour où je voulais avec une belle prime et il a demandé à son frère d’éviter que ça sorte de sa chambre, à l’avenir, parce qu’il n’avait aucune envie d’un scandale de ce genre. Du coup, je me suis dit que ça faisait longtemps que je n’étais pas venu me reposer ici et j’avais quitté le pays avant la nuit. »

Bastien fit la moue et Ismael soupira en décroisant enfin les bras :

« Bien. Si vous permettez, nous allons vérifier tout ça… Si nos agents sur place confirment vos dires, nous devrions pouvoir vous relâcher rapidement. Mais vous comprendrez que dans ce contexte, on ne peut pas se fier à votre parole sans chercher plus loin.

Je ferais pareil à votre place, y a pas de souci, bâilla Mark. Si vous pouviez juste me laisser prendre une douche et manger un bout ? J’ai presque six heures d’avion dans les pattes plus tout votre bordel, là, quand même… »

Ismael eut un sourire :

« On va voir ça. »

Mark se laissa emmener sans plus faire de problème et Ismael veilla à ce qu’il puisse effectivement se laver et se restaurer. Puis, il retourna à son bureau et lança l’ordre de contacter l’ambassade de France à Riyad pour qu’ils mènent leur enquête rapidement.

Bastien le rejoignit un peu plus tard, lui apportant une grande tasse de thé et quelques documents.

« Ah, merci…

De rien, vous avez du nouveau ?

Pas encore, et de ton côté ?

Non, il est toujours aussi calme. Il fait la sieste, apparemment.

Pas vraiment le comportement d’un mec aux abois.

Pas vraiment, non… »

Bastien s’assit et soupira alors qu’Ismael prenait les feuilles et les survolait rapidement :

« On avait bien besoin que les Américains nous fassent un coup pareil en ce moment…

Je te le fais pas dire… Rien de nouveau sur notre affaire non plus ?

Rien… Mais ça pue. »

Les deux hommes avaient en effet une affaire bien plus importante à régler, deux meurtres étranges dont l’enquête leur avait été confiée, car ils touchaient un haut-fonctionnaire du ministère de la culture et une attachée française à l’ambassade d’Autriche.

Ces deux morts avaient en commun d’avoir eu lieu la même nuit, le premier lors d’une espèce de rituel bizarre, le second suivant un appel à la police le dénonçant. Si lui était mort dans une espèce de cave, allongé sur un étrange autel, l’endroit entier couvert de dessins ésotériques, il ne faisait guère de toute qu’on avait voulu, elle, la faire taire, puisqu’elle avait été retrouvée dans une ruelle voisine, tuée très simplement d’une balle dans la tête. Mais l’enregistrement de la police était pour le moins curieux. On y entendait la voix paniquée de la victime tenant des propos assez peu cohérents sur un groupe de fous qui voulaient la tuer car elle avait découvert qu’ils voulaient faire on ne savait quoi, car elle avait crié avant que la conversation ne se coupe.

Ismael referma le dossier. Rien de nouveau… Il se massa les tempes.

« C’est pas possible. Il y a forcément des gens qui bloquent des infos…

Je suis d’accord, Commandant, mais je vois pas trop ce qu’on peut faire… »

Ismael grimaça. Lui avait une idée, mais il savait que son supérieur ne le lui permettrait pas.

Restait qu’elle était sûrement la seule personne qui pourrait les éclairer sur le côté ésotérique du premier meurtre…

L’ambassade de Riyad ne traîna pas, puisque Mark Leth n’avait pas fini sa sieste lorsqu’Ismael reçut un appel d’un contact d’Arabie Saoudite lui confirmant sans équivoque les faits que leur avait rapportés le mercenaire. Même si l’affaire était restée confidentielle, le changement d’ambassadeur américain et l’exil du frère du prince n’étaient pas passés inaperçus pour le milieu diplomatique et les mœurs du benjamin de la fratrie n’étaient pas vraiment un secret non plus… Il changeait un peu plus fréquemment de garde du corps que la moyenne… Et ces derniers étaient souvent des Occidentaux fort bien faits de leur personne… Tout à fait dans le genre de Mark Leth.

Parallèlement, la réservation de l’hôtel avait été faite de façon tout à fait transparente, si on exceptait qu’il avait utilisé son faux passeport français, et l’historique de ses conversations téléphoniques, textos et mails, sur son téléphone, n’indiquait rien de suspect.

Ismael décida de ne pas se prendre plus la tête avec Leth et ordonna sa remise en liberté immédiate. Par acquis de conscience, il ordonna également qu’il reste sous surveillance, mais il était à peu près sûr que le mercenaire ne leur avait pas menti et n’était en rien mêlé à un quelconque groupe terroriste. Restait qu’il serait vite connu que Mark Leth était en France et qu’il n’était pas impossible que certaines personnes ne le contactent pour l’embaucher. Ce genre de mec, il fallait quand même mieux garder un œil dessus. Mais tant qu’il était en vacances, il n’y avait aucune raison de s’en faire.

Il sourit en voyant le vidéo de surveillance de libération de Leth. Il dormait vraiment très profondément dans sa cellule et le garde qui était venu le chercher avait même dû aller le secouer pour le réveiller et le faire sortir.

Ouais, vraiment pas stressé, ce gars…

Dès qu’il eut récupéré ses bagages, Mark sortit en saluant poliment les gardes et appela un taxi pour aller sans attendre à son hôtel.

Ismael se remit donc à son autre enquête et étudiait l’emploi du temps du haut-fonctionnaire tué lorsque son supérieur, le colonel Landry, grand homme au crâne rasé pour cacher sa calvitie et qui se faisait un point d’honneur à garder la ligne et la forme malgré ses 62 ans, entra sans frapper dans son bureau.

Les deux hommes ne s’appréciaient guère, aussi Ismael, son sursaut passé, soupira :

« Que puis-je, Colonel ?

J’ai vu que vous aviez relâché Mark Leth, jeta froidement Landry.

Aucune raison de le garder. Mais il reste sous surveillance, répondit Ismael, placide.

Vous êtes sûr de vous ? Notre informateur était pourtant clair.

Notre informateur nous a baratinés parce que Leth les a plantés à Riyad et qu’ils veulent l’emmerder. J’ai autre chose à faire qu’entrer dans ce genre de guéguerre à la con. Il reste sous surveillance parce qu’on ne peut pas lâcher un type de son genre dans la nature sans garder un œil dessus.

Mouais. Vous assumerez la responsabilité de tout ce qui pourra arriver…

J’assume toujours mes responsabilités, Colonel. »

Les deux hommes se toisèrent un moment.

« Concernant notre autre affaire, reprit Ismael, je suis de plus en plus persuadé que certaines personnes bloquent des informations. L’emploi du temps qu’on nous a fourni n’est pas crédible pour un sou. Celui de l’attachée ne l’est pas plus, il faudrait qu’on puisse pousser nos investigations plus loin.

Je venais vous voir à ce sujet, nous avons les résultats des autopsies, répondit Landry en venant lui tendre des feuilles.

Ah. Et ? le relança Ismael en les prenant.

Pour elle, sans surprise, c’est la balle qu’elle s’est pris dans la tête. Lui, c’est plus délicat, sa mort est ‘’naturelle’’, enfin, les légistes n’ont rien trouvé de spécial à part qu’il a été drogué, mais rien de mortel, juste de quoi l’endormir… Ils ne comprennent pas trop.

Ça pue quand même le rituel ésotérique chelou.

Ouais. »

Ismael regarda son supérieur, attendant un ordre qui ne vint bien sûr pas. Il retint un soupir exaspéré. L’obstination de Landry à ne pas vouloir faire appel à la seule personne qui pouvait les aider là-dessus lui tapait sur les nerfs.

*********

Mark Leth arriva à son hôtel, un des plus luxueux, mais des plus discrets, de Lyon, se fit enregistrer en s’excusant de son retard, mais le personnel de ce genre d’endroit ne posait pas de question. Il se retrouva rapidement dans une grande chambre avec tout le confort possible et se dit qu’il allait commencer par se prendre un bon bain, parce que le lit sommaire de sa cellule n’avait pas été d’excellente qualité et qu’il avait un peu mal au dos, surtout après le vol et les heures assis à attendre ses interrogatoires.

Il laissa donc ses affaires dans la chambre, à l’exception d’un boxer propre, et fila directement à la salle de bain pour se faire couler un bon bain bien chaud où il se plongea dans attendre.

Vu l’heure, il allait rester là à se reposer pour le reste de la journée. S’il s’en sentait l’énergie, il descendrait manger au restaurant, mais plus probablement, il se ferait monter son dîner pour ne pas avoir à se rhabiller. Flemme flemme.

Il soupira d’aise.

Le salaire de son job à Riyad additionnée à la prime finale du prince le mettait à l’abri du besoin un moment, il comptait bien en profiter pour souffler un bon coup. Il aimait bien la France, il aimait bien Lyon, il avait le temps. Il se doutait bien qu’il était sous surveillance, mais à part si les Américains poussaient jusqu’à tenter de l’agresser, il n’y avait aucune raison qu’il doive commettre quoi que ce soit d’illégal durant son séjour ici.

Il allait falloir qu’il regarde un peu quoi faire et visiter, il devait y avoir du nouveau dans la ville et ses alentours, depuis le temps qu’il n’y était pas venu.

Lorsqu’il sortit de son bain, Mark ne fit qu’enfiler un peignoir blanc moelleux à souhait par-dessus son boxer. Il alla se poser sur le sofa qui faisait face à la très grande télé et alluma cette dernière pour avoir un peu de compagnie. Après avoir un moment zappé d’inepties en inepties, il finit par s’arrêter sur un dessin animé et se releva en bâillant pour aller chercher sa tablette dans sa valise. Il se dit en la sortant qu’il n’avait pas beaucoup de vêtements et qu’il allait aussi devoir régler ça. Puis, il retourna sur le sofa et chercha tranquillement, sur le site de l’office du tourisme de la ville, quoi faire.

Mark était mercenaire pour ainsi dire de naissance. Mais il était aussi un homme curieux et toujours désireux de découvrir et d’apprendre. Ses voyages l’avaient beaucoup servi là-dessus, le rendant très ouvert, et ce sur tout, les personnes, leurs cultures, leurs coutumes, leurs cuisines et leurs mœurs.

S’il en jugeait certaines plus sympathiques que d’autres, tant que ça ne le menaçait pas personnellement, il avait tendance à laisser couler, quoi qu’il en pense. Il déplorait par exemple que l’Arabie Saoudite condamne encore à mort les homosexuels, lui-même ayant des mœurs très libres et n’ayant jamais compris en quoi ça pouvait poser problème, tant que c’était entre grandes personnes consentantes, et n’avait à ce titre répondu aux avances de son protégé qu’après que ce dernier lui ait juré que son aîné tolérait sa conduite, tant qu’elle restait discrète, et qu’il ne finirait pas au bout d’une corde pour ça.

Le temps passant, il œuvrait d’ailleurs de plus en plus comme garde du corps que comme pur combattant, missions souvent plus calmes, généralement moins dangereuses et surtout fréquemment bien mieux payées.

Il commençait à se faire une petite liste mentale de choses à visiter lorsque son estomac l’informa qu’il était temps de le remplir. Il posa la tablette, alla prendre le menu posé sur le meuble de l’entrée et un peu plus tard, on lui apporta un copieux dîner qu’il mangea tranquillement devant un bon film.

Puis, il se coucha sans trop tarder, fatigué par cette drôle de journée.

Il repensa au commandant qui l’avait interrogé, Ismael Evrard. Bien son type… Un beau métis avec du caractère. Il se demandait s’il était aussi froid dans le privé. Assez étrange qu’un handicapé occupe un poste de ce genre à la DGSI… Il trouvait ça plutôt bien, cela dit, mais il ne s’y serait pas attendu.

Il s’endormit rapidement, sans plus se poser de question.

*********

Ce matin-là, Ismael était de sale humeur.

De très sale humeur.

Cette affaire lui pesait sur les nerfs, ses nerfs pesaient sur ses douleurs dorsales et il avait donc très peu et mal dormi malgré les cachets.

Ensuite, son bus avait été pris dans un bouchon à cause de deux crétins qui avaient bloqué un croisement en avançant au milieu du passage au feu vert sans en avoir la place, bloquant tout le carrefour pendant 1/2h.

Et cerise sur le pompon, lorsqu’il était enfin arrivé au boulot, ça avait été pour que Gandier lui annonce qu’un nouveau crime avait eu lieu dans la nuit, similaire à l’espèce de sacrifice du haut-fonctionnaire, mais qu’il y avait eu, apparemment, une tentative de « nettoyage de la salle » avant qu’un des vigiles n’appelle la police.

Sauf que si, la première fois, le mort avait été retrouvé dans un espèce de vieux garage abandonné, là, on était dans le sous-sol d’un lycée. Et pas n’importe lequel : le lycée international de Lyon, où enfants de la haute société lyonnaise côtoyaient enfants de la population diplomatique locale.

La victime était un homme d’une vingtaine d’années, ils cherchaient son identité. Comme pour le haut-fonctionnaire, pas de traces de blessure visible, juste un corps mort, couché sur un autel, dans une salle recouverte de signes ésotériques cette fois en partie effacés.

Le vigile qui avait donné l’alerte était en vie, mais profondément choqué. Il était prostré. Impossible donc de l’interroger pour savoir ce qu’il avait vu.

Ismael vida une grande tasse de thé en réfléchissant et son air sombre n’était pas pour rassurer Bastien, ni les deux autres hommes qui attendaient ses ordres, debout devant son bureau.

Ismael n’en avait plus rien à péter des aprioris de merde de Landry, il allait prendre sur lui d’aller la voir.

Cette fois, c’était sûr : cette affaire touchait du beau monde et ils avaient des complices très haut et bien placés. Des gens capables d’avoir accès à cet endroit, de préparer une cérémonie pareille…

Des gens qui définitivement, se foutaient de sa gueule et de son enquête.

Des gens qui, d’ailleurs, si on prenait en compte le temps que la police avait mis à daigner arriver, leur laissant le temps d’effacer une partie des murs, et celui que cette même police avait mis à les prévenir, ses gars et lui, de ce nouveau meurtre, avaient le bras long, des pions dans la police et sans doute même dans la DGSI, il en était quasi certain.

En qui pouvait-il avoir confiance ?

Il s’accouda à son bureau, ses poings serrés l’un dans l’autre devant sa bouche, le visage fermé.

Bastien, sans nul doute. Brave gars sorti fils de paysans, issu de l’armée, son fidèle bras-droit était sans conteste hors du coup. Mais il lui fallait un autre homme pour l’aider, quelqu’un qui ne pouvait en aucune façon être lié à cette affaire.

Un visage popa dans son esprit.

Il plissa les yeux et eut un sourire en coin.

Il connaissait un mercenaire apatride qui allait devoir écourter ses vacances.

*********

Mark aimait beaucoup les musées.

C’était calme, plein de jolies choses et très apaisant.

Ce matin-là, il visitait le musée des Beaux-Arts, de très bonne humeur.

Depuis son arrivée, trois jours auparavant, il s’était reposé, bien remis du décalage horaire, avait eu le temps de se racheter des vêtements cools dans de sympathiques friperies solidaires, de découvrir quelques très bons restaurants, de se promener, de revisiter la basilique de Fourvière avec son magnifique panorama sur la ville, et là, comme le temps était un peu plus menaçant, il s’était dit qu’un musée pour être sûr d’être au sec, ça lui irait très bien.

L’endroit avait bien changé, ou alors c’étaient ses souvenirs trop anciens qui lui jouaient des tours…

Il s’assit sur un banc, dans une grande salle, devant un tableau immense représentant le jugement de Salomon.

Cette légende (Mark n’était pas croyant), qu’il avait découverte sur le tard en parlant religion avec un collègue juif au hasard d’un contrat, l’avait toujours plutôt amusée. Les leçons de morale et de bonne conduite des Livres Saints, quels qu’ils soient, étaient vraiment lunaires pour lui qui avait vu, partout et quelque que soit leur foi, tant de personnes mourir en leurs noms…

Cela dit, le tableau en tant que tel était joli. Salomon, à droite, sur son trône, drapé de rouge, barbu et grave, au centre, une femme en jaune semblant plaider sa cause, à gauche, une autre, à genoux, présentant l’objet du jugement, un joli bébé tout rose, le tout dans un décor orientaliste des plus fantasmé…

Il tourna la tête en entendant le bruit de béquilles à sa gauche et sourit, surpris, en voyant Ismael Evrard s’asseoir à côté de lui avec un soulagement visible.

« Tiens, vous pouvez marcher, en fait ?

Je peux quand je n’ai pas trop mal et surtout quand je suis obligé d’aller dans un vieux palais qui manque salement de rampes et d’ascenseur. »

Mark hocha la tête, compatissant :

« Ah, ça, les normes en ces temps-là…

M’en parlez pas ! Aucun respect des personnes à mobilité réduite !

Je vous remercie de l’effort, mais vous ne me ferez pas croire que vous n’aviez pas mon numéro, si vous vouliez me parler.

Votre numéro, celui de la chambre de votre hôtel, votre mail et votre compte Twitter… Inactif d’ailleurs, il ne vous sert qu’à suivre d’autres comptes. Mais en fait, il y a un avantage de fou avec le fait de se voir et de parler en direct.

Ça ne laisse pas de trace.

Exactement. »

Ismael eut un sourire :

« Vous comprenez vite. C’est une qualité que j’apprécie.

Mon boulot demande souvent d’être très réactif. Mais de quoi vouliez-vous donc me parler pour ne pas vouloir que ça laisse de trace ?

Ça en laissera selon ce qu’on va se dire… En fait, je crois savoir que vous êtes toujours en vacances et que personne ne vous a contacté pour un job depuis votre arrivée ?

Exact.

Puis-je donc vous considérer comme potentiellement disponible ? »

Mark le regarda avant de rigoler :

« Vous, vous avez un boulot pour moi ?

Ça vous dirait ? lui demanda Ismael avec un sourire amusé, lui aussi.

Dites-moi toujours de quoi il s’agit ?

De meurtres bizarres sûrement commis par des gens très puissants avec beaucoup d’yeux et d’oreilles à leur compte. Bref, j’ai besoin d’un homme dont je suis sûr qu’il n’y soit pas mêlé et qui est loyal à son employeur une fois son contrat passé.

Je n’ai qu’une parole et qu’un patron quand je m’engage, c’est vrai et je vous remercie de le reconnaître, mais comment pouvez-vous être sûr que je ne suis pas mêlé à vos meurtres ?

Parce que les premiers ont eu lieu quatre jours avant votre arrivée à Lyon. »

Mark fit la moue et hocha la tête :

« Ah, je vois. Avant même que je sache que j’allais quitter Riyad, donc.

Ce qui rend votre implication assez peu probable.

Effectivement, d’autant que la téléportation n’est pas encore d’actualité. Ceci dit, merci de votre offre, mais je ne suis pas vraiment un enquêteur, vous êtes sûr que je peux vous aider ?

De ce que je sais de votre profil, vous êtes tout sauf un idiot, vous n’avez rien à faire du rang social des personnes qui vous font face et vous êtes plutôt très bon combattant, y compris en situation d’urgence. Côté cerveau de l’enquête, je pense que moi, Gandier et l’autre personne que je dois aller chercher suffiront, mais un allié comme vous à nos côtés, œil neuf sur tout et force de frappe réelle au cas où nos ennemis s’avèreraient plus agressifs que prévus, je pense que ça ne sera pas de trop. »

A nouveau, Mark sourit, hocha la tête et demanda, goguenard :

« J’ai droit à votre sécu et aux congés payés ?

Ah ça, ‘faudra voir, vous voulez un vrai contrat officiel ?

Si ça vous arrange, moi, tant que je sais à qui obéir et que je suis payé, je m’en fous.

On va voir ça… dit Ismael en se relevant lentement, s’appuyant sur ses béquilles. Mais ça pourrait être bien, ça nous couvrirait si besoin…

Euh, si vous le dites… »

Mark se leva, remarquant alors qu’il dépassait le commandant d’une bonne demi-tête, et lui emboita le pas :

« Par contre, vous gérez tout, vous êtes prévenu. Je vous connais, vous les Français, avec vos papiers pour tout et n’importe quoi…

Que voulez-vous, il faut bien justifier le salaire de nos fonctionnaires… Allez, on va faire ça bien. Vous aurez peut-être même des RTT si vous êtes sage… 

Ça se mange ?

Pas vraiment, non…

Dommage, si y a bien un truc qui m’a jamais déçu chez vous, c’est votre cuisine… »

*********

Mark n’avait qu’une parole, c’était une vérité qui lui valait d’être connu et reconnu comme fiable. La seule autre règle absolue pour lui était qu’il ne tuait pas d’enfant. Certains avaient donc cru intelligent de lui envoyer des enfants assassins pour se débarrasser de lui, mais ne pas tuer ne voulait pas dire ne pas se défendre et si Mark avait effectivement épargné les petits tueurs, les confiant à des personnes plus bienveillantes quand il l’avait pu, leurs commanditaires, eux, ne lui avaient pas échappé.

Globalement, il évitait les morts superflues, surtout civiles, de la même façon qu’il n’aimait pas faire souffrir inutilement. Aussi avait-il appris à être très efficace quand il devait avoir recours à la torture, tout comme il savait instinctivement reconnaître les personnes sur qui elle serait de toute façon vaine.

De son point de vue, seconder un commandant de la DGSI français sur une petite affaire de meurtres, c’était quasi toujours des vacances. Il était même plutôt curieux de voir comment ça pouvait se passer dans un pays aussi tranquille, ça allait l’occuper et si ça payait un peu, que demander de plus…

Il suivit donc Ismael, allant respectueusement à son rythme, jusqu’à la voiture qui les attendait devant le musée. Il salua d’un signe de tête Bastien Gandier qui patientait, appuyé sur la carrosserie, bras croisés, et qui lui rendit son salut de même avant d’ouvrir la portière arrière à Ismael qui monta et s’assit avec, à nouveau, un soulagement visible. Bastien l’aida à poser ses béquilles au sol avant de refermer la portière et fit signe à Mark de monter à l’avant.

Ce dernier s’installa donc à la place du mort et boucla sagement sa ceinture pendant que le capitaine reprenait le volant.

« Croix-Rousse, Commandant ?

Fissa, répondit Ismael.

Le colonel va pas aimer… sourit Bastien en démarrant.

Il s’expliquera avec elle. » répondit Ismael en fermant les yeux.

Mark ne fit pas de commentaire et il y eut un silence avant que le commandant ne lui demande sans rouvrir les yeux :

« Vous avez votre Beretta, j’espère, Leth ?

Bien sûr, répondit très naturellement le mercenaire avant d’ajouter avec un sourire en coin : J’évite le Uzi en ville, il dépasse de ma poche.

Vous avez peur d’être attaqué ici ? s’étonna Bastien.

Mon monde est petit et plein de gens rancuniers. » répondit toujours aussi naturellement Mark en regardant, par la vitre, la rue étroite et montante, aux vieux immeubles couverts de graffitis, dans laquelle Bastien avait engagé leur voiture.

Il sourit en voyant un jeune papa galérer à escalader la pente, poussant une énorme poussette dans laquelle aux moins trois bambins semblaient d’agiter.

A l’arrière, Ismael retint un bâillement en sortant son smartphone, avant d’appeler :

« Oui, Lola ?… Bonjour. … Oui, ça va merci, et vous ?… … Houlà, ben bon courage !… Dites voir, je vous appelais parce que j’aurais besoin d’un contrat, là… Oui, j’ai eu besoin de renfort, un gars qui n’est pas de chez nous. … Ah, bonne question, attendez… »

Ismael regarda Mark à travers le rétroviseur avant :

« Leth, vous avez un document avec votre vrai nom quelque part ou aucun ?… »

Mark lui jeta un œil interrogatif par le même miroir avant que le commandant ne précise :

« C’est pour savoir si on peut faire le contrat sous votre vrai nom ?… Ça serait mieux… »

Mark soupira, visiblement à contre-cœur :

« J’ai un vieux passeport périmé depuis longtemps…

Quel pays ?

Suisse. »

Les deux français sursautèrent et s’exclamèrent ensemble :

« Vous êtes suisse ?! »

Mark les regarda, visiblement partagé entre l’amusement et la tristesse :

« Non, mon père l’a été sur la fin, du coup, il m’en avait fait profiter. »

Ismael fronça les sourcils, mais n’insista pas et reprit :

« Bon, on fera avec. »

Il reprit son téléphone :

« Lola ?… Oui, donc, un CDD… Disons un mois, c’est large, mais bon, comme ça on est tranquille et puis, on pourra renouveller… Mark Leth, donc… Mark avec un k et l-e-t-h. … Ouais, ben, faites ce que vous pouvez, on passera avec lui tout à l’heure pour le reste… D’accord, ‘vous prenez pas la tête, je vous fais confiance. A tout à l’heure. »

Il raccrocha :

« Il faudra aussi votre date de naissance et deux-trois autres infos qui devraient être sur ce vieux passeport…

Pas de souci. Mais il est à l’hôtel.

On y repassera, alors. »

Bastien regardait à droite à gauche depuis un moment et grommela :

« Je vais vous laisser devant chez elle, je peux pas me garer, là, aucune place…

OK, soupira Ismael. Ben tu nous rejoins si tu en trouves une, sinon je t’appelle quand on revient.

A vos ordres ! »

Il s’arrêta donc un instant, complètement indifférent aux klaxons des voitures qui le suivaient, le temps que Mark et Ismael ne descendent, le premier faisait le tour du véhicule pour aider le second, souriant et remerciant d’un signe de main le chauffeur pourtant furieux de la voiture de derrière. Cette fois, le commandant avait prit un sac à dos.

Une fois sur le trottoir étroit et toujours aussi pentu, Ismael désigna d’un signe de tête une vieille porte d’immeuble en bois massif à Mark.

« C’est là.

J’espère pour vous qu’il y a un ascenseur…

J’espère pour moi que cette fois, il n’est pas en panne… »

Le commandant s’avança et sonna à l’interphone. Un instant passa avant qu’une voix grésillante, mais visiblement féminine, ne réponde :

« Ouais ?

Gabrielle ? C’est Ismael. Vous pouvez nous ouvrir ?

Yep. »

Un bip retentit et, voyant son compagnon peiner à pousser la lourde porte, Mark s’en chargea. Effectivement, il y avait de la masse…

Le couloir d’entrée était très étroit et conduisait sur un départ d’escalier guère plus large, escalier qui s’enroulait autour d’un ascenseur antédiluvien, mais qui semblait fonctionnel. La cabine était minuscule, tant que Mark demanda :

« C’est au combien ?

Troisième.

OK, je monte à pied, pas la peine de se serrer là-dedans. »

Ismael ne fit pas d’histoire, ses béquilles prenait un peu de place et il apprécia le désir de son nouveau subordonné de lui laisser un minimum de confort.

Soit l’ascenseur était très lent, soit Mark était monté en courant, toujours est-il qu’il était là quand Ismael sortit. Ce dernier eut un sourire et alla frapper à la porte de gauche. Un instant passa avant qu’elle ne s’ouvre sur une petite gonzesse pas très épaisse, aux courts cheveux châtain sombre ébouriffés, aux traits fins et aux yeux noisette.

Elle était vêtue très légèrement d’une brassière et d’un pantacourt en toile noirs, pieds nus. Ses bras et, pour ce qu’on pouvait en voir, son torse étaient couverts de tatouages qu’il ne vit pas bien, des formes entremêlées ou des motifs végétaux pour le bras gauche et le corps, alors qu’un long serpent s’enroulait autour de son bras droit, sa tête finissant sur le dos de sa main.

Si Ismael la salua, un peu nerveux, Mark, pour sa part, eut une impression extrêmement bizarre en la découvrant.

Cette femme dégageait une drôle d’aura, totalement inconnue de lui, une force indéniable et tout aussi étrangement paisible, mais surtout, il était incapable de lui donner un âge.

Elle ne semblait pas très vieille, pas de ride, pas le moindre cheveu blanc, mais lorsque le regard noisette se posa sur lui, la seule chose qui lui vint à l’esprit fut l’image de sa grand-mère adoptive. Une très vieille dame.

Toi, se dit-il, je sais pas d’où tu sors, mais tu viens de loin…

« Bonjour, Gabrielle, merci beaucoup d’avoir bien voulu me voir…

Je t’en prie, Ismael. J’imagine que pour que tu aies pris sur toi de me contacter dans le dos de ton colonel, c’est que c’est sérieux. Entre, enfin, entrez… les invita-t-elle en ouvrant plus largement la porte et en se poussant. Mignon, ton nouveau mec, ajouta-t-elle alors qu’Ismael entrait, les faisant sursauter tous deux et le commandant s’écrier, piqué au vif :

C’est pas mon mec !

Ah, pardon, s’excusa-t-elle avec un sourire amusé, alors que Mark s’avançait, lui en se retenant de rire, et ce n’est pas ce qu’elle dit ensuite qui allait l’aider à se calmer : Dommage, il est mignon, vous iriez bien ensemble. »

Ismael grogna sans répondre et Mark la laissa passer, les suivant tout deux dans un endroit qui devait le laisser tellement pantois qu’il en oublia un moment ce qui venait de se dire.

L’appartement était minuscule, décrépi, un TI d’à peine 30m², estima-t-il, constitué d’une seule pièce à vivre avec un clic-clac plié en canapé, un vieux fauteuil, une petite table basse, et au fond, une kitchenette derrière un petit comptoir. Mais ce qui sécha sur place le mercenaire fut que les murs entiers étaient couverts de bibliothèques débordantes de livres, mais en fait, des livres, il y en avait juste partout, jusque sur les rebord des deux fenêtres, en piles plus ou moins vacillantes, et surtout autant de vieux ouvrages datant de plusieurs siècles pour certains, il en était sûr, que de livres tout neufs.

Alors que Mark regardait tout autour de lui avec des yeux ronds, persuadé d’être tombé dans une autre dimension, Ismael se laissa tomber plus qu’il ne s’assit sur le clic-clac et se mit à fouiller dans le sac qu’il avait pris :

« J’ai besoin de votre avis sur une affaire…

Je t’en prie !… Vous voulez du thé, j’allais en faire ? demanda-t-elle en passant derrière le comptoir.

Ah oui, merci, répondit Ismael.

Et toi ? demanda-t-elle à Mark qui sursauta, ramené au réel.

Hein ?…

Est-ce que tu veux du thé ?

Ah euh oui, volontiers, merci… »

Elle hocha la tête et se mit à l’œuvre :

« Wolong aux fruits, ça vous va ?

Oui, oui, pas de souci… répondit Ismael en ouvrant un dossier.

Je connais pas, mais je veux bien goûter, dit Mark, pour sa part, en s’approchant d’une des étagères, attiré par un gros livre sur la tranche duquel était inscrit en lettres dorées : Arab Art.

Cette bibliothèque était surréaliste…

« Vous permettez ? » demanda-t-il et il attendit l’accord de son hôtesse pour le sortir délicatement et le feuilleter.

Le livre était lourd, mais rempli de planches en couleurs de siècles d’art moyen-oriental : bijoux, objets, bâtiments…

« Il est chouette, hein ? lui dit Gabrielle, souriante, en apportant les tasses.

Magnifique… reconnut-il.

Un faible pour l’art arabe ?

Pour l’art en général… »

Il rangea le livre et poussa quelques livres sur la table basse pour qu’elle puisse y poser les tasses. Puis, la laissant s’asseoir près d’Ismael, lui s’assit sur le vieux fauteuil, après l’avoir débarrassé de la pile de livre qui s’y trouvait.

Ismael reprit donc les faits plus en détail, leur montrant cette fois des photos des scènes de crimes.

« Alors, pour le moment, nous en sommes à trois morts, commença-t-il, mais j’ai une sale impression. Les deux premières remontent à sept jours, elle était une attachée française à l’ambassade autrichienne. Divorcée sans enfant et sans histoire, ni sa famille, ni ses amis n’ont compris ce qui avait pu se passer. Elle a été abattue d’une balle en pleine tête dans une rue, pas très loin de l’autre meurtre… Donc, tout laisse à croire qu’elle a juste été témoin de quelque chose et qu’on a voulu la faire taire. Juste avant de mourir, elle a appelé la police pour dénoncer une bande de fous, elle était complètement paniquée, elle n’a pas eu le temps d’en dire plus. Fort à parier qu’ils l’ont attrapée et tuée juste à ce moment-là.

« L’autre mort a été trouvé dans un hangar à deux rues de là. Là, rien à voir. Un homme de 42 ans, haut-fonctionnaire du ministère de la culture détaché à la Métropole. Nu, sur un espèce d’autel improvisé, mais c’est surtout que tout l’endroit était couvert de dessins ésotériques, c’est pour ça que je voulais votre avis… L’autopsie n’a rien donné pour lui, il a juste été endormi, mais ce n’est pas ça qui l’a tué et il n’y a aucune trace de blessures ni rien d’autre. On cherche des infos, mais le ministère de la culture est frileux et fait traîner… On a à peine pu prévenir ses proches et apriori, ils ne savent rien. »

Très vite, le visage de Gabrielle s’était fermé. Elle regardait les photos des fameux dessins avec une gravité glaçante.

« Le troisième mort date de cette nuit, un homme plus jeune, la vingtaine, pareil, nu sur un autel avec des dessins similaires, sauf que là, ça s’est passé dans la cave du lycée international, un endroit où on entre pas comme on veut… C’est un vigile qui a donné l’alerte, mais il est prostré depuis et vu le temps que les flics ont mis à arriver, une partie des dessins a été effacé… »

Mark fit la moue en prenant sa tasse :

« Ils ont pris le temps d’effacer les dessins, mais ont laissé le cadavre ? C’est complètement idiot…

Je ne comprends pas non plus. » admit Ismael en prenant la sienne.

Gabrielle se massa un instant le front.

« Ça vous dit quelque chose… ? lui demanda Ismael, un peu suppliant.

Tu as bien fait de venir me prévenir, lui répondit-elle avec grand sérieux. Tu peux m’emmener sur les lieux ?

Euh, oui, bien sûr… »

Mark finit sa tasse en regardant lui-même les photos. Ça sentait le rituel foireux. Il était par contre intrigué de voir ça en France, il avait été plus habitué à ce genre de choses en Afrique ou en Asie… Il se souvenait même d’un sale trafic d’enfants albinos en Tanzanie… Une quinzaine, qu’un collègue et lui avaient sauvés d’une bande de sorciers cinglés qui voulaient les tuer pour en faire des potions magiques, après leur enlèvement d’un centre où ils vivaient sous protection.

Comme quoi, finalement, y a des cons superstitieux partout, se dit-il alors qu’Ismael vidait rapidement sa tasse.

« Il est possible que je doive appeler des potes si mes doutes se confirment, dit-elle en rassemblant les documents.

Si vous le jugez nécessaire, y a pas de souci, lui répondit le commandant.

Merci. »

*********

Bastien revint les chercher dès que son commandant l’appela. Il avait tourné en rond dans le quartier, enfin pour autant que les nombreux sens interdits le lui avait permis, sans parvenir à trouver de place. Il fut rapidement là et, si Mark remonta à l’avant, Ismael et Gabrielle, qui n’avait enfilé d’un long gilet et des sandales et pris un sac ridiculement petit, s’installèrent à l’arrière.

« Gandier, on va au hangar du premier meurtre.

OK, Commandant. »

Le début du trajet se fit en silence avant que Gabrielle, qui était derrière Mark, ne se penche pour lui demander :

« Au fait, c’est comment, ton nom ?

J’en ai plein, mais en ce moment, c’est le vrai, Mark.

Besoin d’avoir plusieurs noms ?

Ça peut servir, selon les situations et les endroits… »

Ismael sortit avec fatigue son smartphone vibrant de sa poche et soupira avant de décrocher :

« Evrard. … Oui, Colonel, justement, je suis en train. … Oui, eh bien il y a des choses que je dois aller voir sur place, c’est comme ça. … Quoi… ?… »

Il fronça les sourcils :

« Oui, désolé, je vous entends mal. … Donc, oui, effectivement, j’ai engagé Mark Leth pour m’aider sur cette enquête. … Bon sang, mais on en a déjà parlé, le ministère et l’ambassade nous cachent des infos, j’ai besoin de quelqu’un de fiable pour m’aider. … Oui, eh bien moi, je lui fais confiance. … Là ? … On retourne sur la première scène de crime. … Besoin de vérifier des choses, je vous ferai le rapport plus tard. »

Ismael retint mal un soupir exaspéré.

« Colonel, jusqu’à preuve du contraire, je suis seul à gérer cette enquête, alors soit vous me la retirez, soit vous me lâchez, merci. »

Le ton était glacial et dans la voiture, les trois autres le regardèrent avec surprise, impressionnés.

« Bien. Alors je vous dis à plus tard, je vous tiens au courant. »

Il raccrocha en grognant :

« Putain de sale vieux raciste de merde ! »

Mark eut un sourire en coin alors que Bastien, navré, disait :

« Je sais que ça me regarde pas, Commandant, mais vous devriez vraiment aller parler au général Fridon.

C’est à l’étude, gronda sourdement Ismael.

Ce que vous êtes usants à vous prendre la tête pour ce genre de chose… » soupira Gabrielle.

Ismael lui jeta un regard suspicieux avant qu’elle n’ajoute, blasée :

« Sérieux, depuis tout ce temps, toujours à ne pas comprendre que vous êtes tous égaux dans cette vie, entendre encore qu’une personne puisse en mépriser une autre parce qu’elle n’est pas de la même ethnie, c’est vraiment désespérant… »

Il y eut un silence. Mark hocha la tête. De son point de vue d’apatride qui avait vu tant de pays et de cultures, c’était effectivement quelque chose qu’il n’avait jamais vraiment compris. Enfant, il était trop « blanc », ailleurs, plus tard, pas assez, ou pas de la bonne religion, pas de la bonne tradition… Ceux qui le voulaient avaient toujours une bonne raison de le regarder de travers.

Ils arrivèrent au vieux hangar, alors que Mark se disait qu’il commençait à avoir faim. Le juron d’Ismael le tira de ses considérations bassement physiologiques et lorsqu’il vit Bastien bondir de la voiture, il se dit qu’il devait y avoir un sérieux souci.

Il sortit et rejoignit rapidement le capitaine :

« C’est quoi, le problème ?

Ben, il n’y a plus de scellés sur les portes… Elles étaient censées être verrouillées le temps de l’enquête…

Ce qui veut dire… »

Ismael les rejoignit avec Gabrielle, lui peinant sur ses béquilles et elle clairement sur ses gardes.

« Restez là, dit Mark en sortant son arme, je vais jeter un œil dedans.

Je vous suis. » dit Bastien en sortant la sienne.

La porte se laissa pousser sans résister et les deux hommes entrèrent prudemment, mais pour rien.

L’endroit était vide et surtout, complètement nettoyé. Plus aucune trace des dessins ni de rien d’autre.

Bastien ressortit immédiatement alors que Mark faisait quelques pas. Un vieux hangar désert… S’il n’avait pas vu les photos, il aurait pu jurer que rien ne s’était passé ici…

Bastien revint avec Ismael et Gabrielle. Le premier était furieux et la seconde s’avança jusqu’au centre du hangar, où elle plaqua ses mains l’une contre l’autre devant son visage et ferma les yeux.

Se demandant ce qu’elle faisait, Mark fut à nouveau tiré de ses pensées par Ismael qui avait repris son téléphone et ordonnait visiblement plus que fermement à la personne qui surveillait les prélèvement encore en cours sur le site du meurtre de la nuit précédente de ne laisser personne d’autre que les équipes connues pénétrer l’endroit, sous aucun prétexte, avant de passer un autre appel à une personne qu’il incendia littéralement d’avoir laissé le premier site sans surveillance malgré ses ordres. Avant de blêmir :

« Pardon ?… C’est Landry qui a ordonné de cesser la surveillance ?! »

Le commandant se mit à trembler de rage.

« OK, merci de l’info. »

Il raccrocha sans un mot de plus et se frotta le visage comme il put avec ses béquilles, tentant de se reprendre.

« Je vais le buter… Je vais vraiment le buter… »

Gabrielle revint :

« Il ne mérite pas que tu te salisses les mains sur lui, Ismael. L’autre endroit est encore intact ?

Oui, Dieu merci, nos équipes n’ont pas fini les prélèvements…

Alors on y va tout de suite. Il n’y a plus rien ici, ils ont tout effacé, les dessins et le reste. »

Ismael hocha la tête et inspira un grand coup.

Ils remontèrent immédiatement dans la voiture et Bastien repartit en trombe, sortant même le gyrophare, cette fois, pour qu’ils aillent au plus vite.

Ils furent donc au lycée international en un temps record.

Ils n’eurent aucun mal à rejoindre, dans la cave, l’endroit du méfait.

Plusieurs de leurs agents gardaient les lieux, dont le responsable qui salua Ismael avec respect :

« Commandant, vous vouliez revoir la scène de crime ?

On en est où ?

Ils ont presque fini, ils allaient emmener le corps. Côté prélèvements, ils ont fini, ils remballent.

Donc, on peut y aller ?

Oui, oui… »

Merci. »

Ismael passa et entra sans voir l’homme tiquer lorsqu’il vit Gabrielle. Bastien et Mark suivirent sans un mot.

La salle était grande et bien éclairée par des néons. Ce qui était étrange, c’est qu’elle avait des allures d’amphithéâtre, une pièce en demi cercle avec des gradins, une estrade avec cet autel sur lequel reposait le corps nu d’un jeune homme blond, l’air simplement endormi, tout en béton nu, avec des dessins semblables à ceux des photos, en partie effacés sur le mur, derrière l’estrade et sur les côtés.

Gabrielle descendit pour aller voir le corps. Les personnes qui s’apprêtaient à le poser sur la civière pour l’enfermer dans le sac d’usage la laissèrent regarder, passer sa main sur le corps sans rien dire, puis elle hocha la tête, les remercia et, comme dans le hangar, revint se placer au centre pour, à nouveau, joindre ses mains devant son visage et fermer les yeux.

Ismael ne pouvant descendre les marches, il alla s’asseoir sur le plus haut gradin, heureusement tout près de la porte.

Les divers techniciens et employés de la police scientifique, le voyant, vinrent lui faire leurs premiers rapports. Mark les écouta d’une oreille dire qu’ils avaient quelques cheveux et empreintes, alors que le cadavre était emmené.

Le mercenaire était plus intrigué par cette drôle de petite bonne femme qui rouvrit rapidement les yeux et sortit son smartphone de son petit sac.

Il sourit en l’entendant pester après son correspondant qui ne répondait pas, et composer un autre numéro. Là, elle eut un rapide sourire :

« Mike ?… Oui, excuse, est-ce qu’à tout hasard Raph est avec toi ? Oui ? … OK, vous pouvez me rejoindre tout de suite, là on a une très très très grosse merde dont il va falloir qu’on s’occupe très vite et j’ai besoin de vous. Ouais. OK, je vous attends, et sérieux, faites vite. »

Elle raccrocha et Mark sourit, intrigué. Avant de sursauter lorsqu’une voix masculine hurla :

« QU’EST-CE QUE CETTE FEMME FAIT LÀ ! »

Il se tourna pour découvrir un sexagénaire furieux, qui écarta sans aucun ménagement les personnes qui entouraient Ismael pour continuer, furieux :

« Je vous avais interdit de faire à nouveau appel à elle, Commandant ! Cette fois vous dépassez les bornes et je vais vous… »

Ismael s’était levé malgré une douleur visible et lui coupa la parole sans plus de politesse :

« Vous allez quoi, me virer de cette enquête pour la planter comme le putain d’incompétent que vous êtes ?! Comment avez-vous osé lever la surveillance de la première scène de crime, et sans même m’avertir ! Les sceaux ont été forcés, tous les indices effacés ! Vous êtes content de vous ?! »

Mark et Bastien se précipitèrent, craignant sincèrement que les deux hommes n’en viennent aux mains, mais Gabrielle les prit de vitesse.

Elle les rejoignit en disant d’un ton qui glaça le sang de tous :

« Tu oublies un léger détail, Landry. »

Et devant le regard stupéfait des témoins de la scène, cette petite femme saisit le grand colonel par le col pour le soulever du sol comme s’il avait pesé dix grammes pour lui dire en le regardant droit dans les yeux :

« Primo, je n’ai aucun ordre à recevoir de toi. Secundo, comment de fois il faudra qu’on vous répète, à toi et tes crétins de potes, que quand vous avez ce genre de gribouillis sur des murs, vous nous appelez direct, tout de suite, sans discuter et sans réfléchir ? Que ce n’est pas un choix que vous avez, mais un devoir et qu’il est absolu ? »

Elle le laissa retomber et il dût s’appuyer au mur tant ses jambes tremblaient.

Une autre voix masculine, grave et un peu cassée, se fit alors entendre de l’entrée :

« Reprends-toi, Gaby, il ne mérite pas ta colère. »

Les regards se tournèrent alors vers le grand homme élancé qui avait dit ça avec calme. Blond cendré très bien coiffé, bel homme aux pommettes hautes, aux traits anguleux et aux yeux bruns, vêtu d’un costume trois pièces impeccable et probablement sur mesure, chaussures elles aussi de marque et cirées avec soin, il regardait la scène avec un air un peu las, mais très doux.

Derrière lui se trouvait un plus petit bonhomme bien plus frêle, brun aux cheveux longs bouclés retenus dans une couette basse, vêtu d’un pantacourt en jean, d’un t-shirt avec une licorne arc-en-ciel sous une veste de survet’ grise à capuche, avec des basquettes basses un peu usées. Lui avait de grands yeux argentés et semblait un peu intimidé.

Les voyant, Gabrielle les salua d’un signe de tête :

« Ah, merci d’avoir fait si vite, les gars.

On t’en prie, répondit le grand.

Oui, ça avait l’air urgent… Désolé, j’avais oublié de rallumer le téléphone en sortant du cinéma. »

Elle les rejoignit :

« Vous étiez au cinéma ?

Tu y crois, cet idiot n’y avait jamais été. » sourit le grand, amusé.

Gabrielle regarda le petit, stupéfaite :

« Sérieux ? Raph, t’avais jamais été au ciné ?

Oh, tu sais, moi, leurs trucs modernes… »

Elle gloussa.

L’arrivée de cet étrange duo avait fait retomber la tension et Ismael les rejoignit :

« Ce sont les amis dont vous m’aviez parlés, Gabrielle ?

Oui, Ismael. Je te présente Mikhael et Raphael, lui répondit-elle en désignant successivement le grand, puis le petit. Les gars, le capitaine Ismael Evrard, c’est lui qui dirige cette enquête de leur côté. »

Les deux nouveaux venus hochèrent la tête.

« Raph, tu peux me dire ce que tu ressens dans cette pièce ?

Bien sûr… »

Le petit bonhomme descendit en sautillant et se plaça là où elle s’était placée plus tôt. Ils le virent rapidement se mettre à trembler et Mikhael fronça les sourcils pour le rejoindre :

« Eh, Raph, ça va ?! »

Raphael pleurait lorsqu’il le regarda.

Du haut des marches, Mark fronça les sourcils, comme Ismael, alors que Gabrielle soupirait, grave :

« C’est bien ce que je craignais… »

Deuxième Partie

Le silence régnait désormais dans la pièce alors que Mikhael avait posé ses mains sur les épaules de son ami et son front contre le sien avant de fermer les yeux.

Si Ismael se rassit lentement, grave, Mark tenait à l’œil Landry qui restait très nerveux, visiblement toujours furieux, mais que la remise en place de Gabrielle semblait avoir calmé.

Bastien regardait avec un air plus dubitatif les deux hommes au milieu de la pièce, un peu comme les autres personnes qui étaient encore là, et Mark croisa les bras pour les regarder également. Il voyait les lèvres de Mikhael bouger, il parlait visiblement tout bas à son ami.

Pour le mercenaire, il émanait de ces deux-là une aura similaire à celle de Gabrielle, une force aussi tranquille qu’indéniable, des êtres sans âge… Mikhael aurait semblé le plus âgé des trois a priori, et Raphael le plus jeune, mais ce n’était qu’une impression due à leur allure, notamment leurs habits. Bien sûr qu’un grand homme très bien habillé et coiffé avait l’air plus vieux qu’un petit homme plus frêle et habillé quasi comme un ado. Non, Mark n’avait jamais connu de personnes de ce genre… Et vu ce qu’il avait bourlingué, ça le titillait plutôt pas mal.

 Ces trois-là… Qui étaient-ils ?

Mikhael s’écarta de Raphael et ils rouvrirent les yeux.

« Ça ira ? demanda doucement le grand blond au petit brun qui hocha la tête et essuya ses yeux avant de répondre :

– Ça ira, merci… Je pense que je peux essayer un truc… Mais il faudrait que des gens sortent, je n’y arriverai pas avec tant de monde… »

Mikhael et Gabrielle échangèrent un regard et se firent donc un devoir d’évacuer tout le monde, malgré les protestations de Landry, qui cela dit ne durèrent que jusqu’à ce que le grand blond ne l’approche.

Mark ne fit pas d’histoire, il aida juste Ismael à avancer. Puis, Gabrielle rentra et referma la porte alors de Mikhael restait dehors pour se planter devant, interdisant à quiconque de passer.

Alors que Landry s’éloignait en sortant son téléphone, toujours en colère, Ismael soupira et, le voyant, Mikhael lui sourit :

« Ne vous en faites pas, Raph sait gérer ce genre de choses. »

Ismael hocha la tête :

« Je n’en doute pas… Vous êtes des… collègues… de Gabrielle, c’est ça ? »

L’expression arracha un sourire cette fois amusé au grand homme :

« J’imagine qu’on peut dire ça comme ça. »

Ismael soupira en cherchant un siège des yeux autour de lui :

« Elle m’avait dit qu’elle n’était pas seule… Mais j’avoue, ça ne me rassure pas des masses qu’elle vous ait appelés… Pas que je doute qu’il y ait besoin de vous, hein ! ajouta-t-il vivement, mais Mikhael ne parut pas offusqué. Mais bon, c’est que c’est pire que ce que je pensais et ça ne me rassure pas des masses… »

Mikhael le regarda, toujours souriant, et tapota doucement son épaule :

« Au contraire, ne craignez rien. Nous sommes là pour vous aider et nous allons le faire.

– Mais ça pue, non ?

– On va voir ce que Raph nous dit. Mais ça m’étonnerait que ça pue trop pour nous. »

Bastien s’approcha de son supérieur :

« Vous voulez que j’aille chercher votre fauteuil, Commandant ?

– Euh, je veux bien, oui, merci… » admit Ismael.

Bastien hocha la tête et fila.

Mark restait vigilant, mais la plupart des personnes des équipes techniques se proposaient de partir, ayant fini leurs relevés sur les lieux.

La porte se rouvrit enfin sur Gabrielle qui dit :

« C’est bon, il a réussi.

– Parfait, sourit Mikhael, voyons ça. »

Il la suivit la l’intérieur et voyant Ismael peiner, Mark se fit un devoir de l’aider à nouveau, prenant son bras pour l’aider à retourner dans la pièce et quelle ne fut pas leur surprise de découvrir que toutes les inscriptions effacées étaient là, les symboles brillant même curieusement, même si très faiblement.

Au centre, les trois comparses regardaient tout ça avec gravité.

Mark aida Ismael à les rejoindre, il s’assit en bas des marches, sur un rebord, regardant les inscriptions avec autant de stupeur que de curiosité :

« Vous avez fait ça comment ? demanda-t-il à Raphael, qui, fatigué, vint s’asseoir à ses côtés.

– Je sais réparer ce qui a été brisé.

– Et c’est quoi, ces gribouillis ? demanda Mark, lui plus inquiet que curieux.

– Une langue très ancienne utilisée pour pratiquer de très anciens rituels, lui répondit Gabrielle.

– Cool, et ce rituel-là, c’est quoi, vous savez ? »

Mikhael fit la moue, mais elle répondit encore au mercenaire :

« Apparemment, une saloperie visant à réincarner l’âme d’un mort dans le corps d’un vivant. »

Ismael la regarda avec surprise :

« C’est possible, ça ?

– Au prix de la destruction de l’âme de corps choisi… Et c’est bien ça le souci : il faut une âme suffisamment faible pour ne pas résister, ce qui n’a pas été le cas dans leurs deux tentatives.

– Dans tous les cas, c’est une magie prohibée, intervint Mikhael avec calme. Mais j’ai peur qu’ils recommencent… »

Raphael hocha la tête :

« Oui, je n’ai pas senti de panique, ni d’envie de renoncer… Plutôt de la colère et une très forte volonté… »

Ismael se prit la tête dans ses mains : 

« Merde… »

Raphael lui demanda :

« Où a eu lieu la première tentative ? »

Ismael se redressa et regarda Mark :

« Leth, vous pouvez aller chercher les mecs du labo, qu’ils prennent en photo ce qui manquait ?

– Bien sûr. »

Le mercenaire ressortit et rappela les photographes qui revinrent, restèrent un peu surpris que les dessins effacés soient réapparus, mais se mirent à l’œuvre sans discuter.

Mark resta un instant dans le couloir. Landry n’était plus là, Bastien revenait avec le fauteuil, et lui-même sursauta en sentant son portable vibrer. Surpris, il regarda, c’était sa seconde carte Sim et il sourit en voyant qui le textotait :

« Ben alors Markus, on traîne à Lyon ? »

Un collègue eurasien qu’il n’avait pas vu depuis un petit moment, mais avec qui il avait toujours eu une très bonne relation.

Il jeta un œil dans la salle et, comme Ismael parlait toujours avec les autres sans sembler avoir besoin de lui, il prévint Bastien, arrivé à sa hauteur, qu’il restait là le temps d’un petit coup de fil et, le capitaine hochant la tête, il fit quelques pas pour appeler. Sans surprise, ça décrocha rapidement et les deux hommes se mirent à parler dans un jargon qui mélangeait pas mal de langues et qu’ils maîtrisaient pourtant tous deux à la perfection :

« Salut, Pao !

Salut, vieux.

Les nouvelles vont vite, dis-moi, comment t’as su que j’étais là ?

Ben figure-toi que j’y suis aussi !

Sérieux ? Qu’est-ce que tu fous à Lyon ?

Un petit job pour Interpol, c’est eux qui t’ont repéré et comme ils savaient qu’on se connaît, ils me l’ont dit.

Ah ouais, c’est vrai qu’ils sont là, eux… Tu bosses avec eux ?

Je les aide sur un truc à la con, tu te souviens le cartel de Mexico ?

Ouais ?

Apparemment, on leur a pas assez démonté la gueule, ils essayent de se retaper. Du coup, Interpol voulait des infos et m’ont contacté… Ils voulaient savoir si tu pouvais leur en filer aussi, d’ailleurs.

Sur ces cons, j’en sais pas beaucoup plus que toi… Faudrait choper Santiago, c’est lui qui nous avait engagés, il en sait sûrement plus…

Ouais, on le cherche. Et toi, qu’est-ce que tu fous là ?

Ben j’étais venu en vacances, souffler un peu dans un pays calme, et je me suis fait embaucher par leurs espions, figure-toi. Une histoire de meurtres zarbs.

Ah ouais ?

Ouais !

Du coup, t’es encore là un moment ?

Oh oui, on a pas fini, là.

Ça te dit, on se boit une bière un de ces soirs ?

Ah ben grave, avec plaisir, vieux ! Tu crèches où ?

Je squatte une piaule chez le vieux Maurice, tu te souviens ?

Oh oui, papy Maurice ! C’est vrai qu’il était français ! Pas encore crevée, cette vieille charogne ?

Non, et content d’être revenu ici. Ça commençait à chauffer pour sa gueule à Hong Kong… Interpol voulait me fournir un appart, mais je préfère gérer ça tout seul… Il a pas mal de chambres et elles sont nickel. Pas trop envie qu’ils me fliquent plus qu’ils ne le font déjà. T’es où, toi ?

Un hôtel bien luxueux, j’avais la thune, j’ai voulu me faire plaisir…

T’as bien raison ! ‘Faut savoir se faire du bien ! Bon, je te laisse, ça râle à côté… T’es dispo ce soir ?

Chais pas, je peux te rappeler ?

– Ouais ouais, quand tu veux !

– Et ben à très vite alors, vieux frère !

– Avec plaisir, Markus ! »

Mark raccrocha, tout sourire. Il avait pas mal crapahuté avec Pao. Si la chance avait voulu qu’ils ne se retrouvent jamais dans des camps opposés, elle leur avait aussi permis de devenir amis et au hasard de leurs rencontres et de leurs missions, ils avaient souvent formé un duo plutôt redoutable.

Le cartel de Mexico n’avait pas été le seul à en faire les frais…

Mark rempocha son téléphone et revint voir où les choses en étaient. Les photographes avaient fini rangeaient à nouveau leur matériel alors que Bastien aidait Ismael à remonter lentement les marches, ayant dû laisser le fauteuil en haut.

Tout le monde sortit, la porte fut scellée et Ismael ordonna qu’elle reste gardée jusqu’à nouvel ordre.

Raphael semblait vraiment fatigué. Il souriait pourtant lorsqu’il demanda à Ismael :

« Gaby m’a dit que l’homme qui avait averti la police était à l’hôpital, car il était en état de choc ?

– Oui, vous voudriez le voir ?

– Je pense que je peux peut-être l’aider…

– Force pas, Raph, soupira Mikhael, grave.

– T’en fais pas, Mike…

– Si si je m’en fais, je te connais… »

Landry revint à ce moment, toujours nerveux, mais visiblement calmé, pour déclarer sèchement à Ismael qui venait juste de se rasseoir dans son fauteuil avec un soulagement visible :

« Le général Fridon voudrait nous voir tous les deux au plus vite pour faire un point sur cette affaire.

– D’accord, je vous suis… Gandier, je laisse voir avec nos amis ce qu’ils ont demandé, Leth, vous me poussez ? On va en profiter pour vous faire signer votre contrat. »

Bastien avait hoché la tête et n’en dit pas plus, conscient que si Ismael avait dit les choses ainsi, c’est qu’il ne voulait pas que son colonel sache ce que venait de demander Raphael. Mark ne dit rien de plus, l’ayant compris aussi. Il empoigna le fauteuil en disant :

« J’espère qu’après ça, on pourra enfin manger ?

– Ah, ça pourrait être une bonne idée, reconnut Ismael en regardant Gabrielle.

– Allez-y tranquille, on se tient au courant. » répondit-elle au regard du commandant.

Ismael hocha la tête et il fit signe à Mark de suivre Landry qui ne les avait guère attendus.

« Vous connaissez un bon resto pas loin de votre QG ? reprit Mark, amusé.

– Y a un ou deux trucs cools, après vous aimez quoi ?

– Oh moi, tant que ça se mange… »

Ils avaient rattrapé Landry qui jeta un œil sec à Mark. Ce dernier fit mine de ne pas le remarquer, il gloussa par contre quand le colonel lui demanda :

« Aucun goût à ce point ?

– Au contraire, juste très curieux de découvrir de nouvelles choses… Vous savez, enfant j’ai bouffé dans des poubelles un petit moment, ça apprend à se contenter de peu. Alors, j’aime beaucoup la grande cuisine de votre pays, mais je n’ai rien contre grand-chose en général… »

Ismael eut un sourire :

« C’est vrai qu’on peut aimer Bocuse sans se refuser un petit kebab…

– Exactement ! »

 

*********

 

Mark n’aimait pas la paperasse. Et c’était un des aspects de la France qui le fascinait autant qu’il le fatiguait depuis qu’il l’avait découvert…

Dans sa branche, les choses se réglaient rarement « officiellement ». Même si c’était moins vrai depuis qu’il se spécialisait dans les jobs de gardes du corps de personnes importantes, et encore, il avait été plus habitué aux contrats verbaux, aux poignées de main pour sceller l’accord et aux paiements en liquide ou aux virements directs sur ses comptes planqués dans des banques indulgentes quant à l’origine de son argent.

Landry avait râlé lorsqu’ils avaient dû repasser à son hôtel chercher le fameux passeport, mais comme l’endroit était en fait sur le chemin, il avait accepté le petit crochet pour que la question de l’embauche officielle du mercenaire soit réglée.

 Embauche contre laquelle il restait farouchement opposé, mais qu’il devait bien tolérer, leur général l’ayant validée.

Mark ne traîna pas dans sa chambre, ne laissant qu’à peine dix minutes les deux hommes seuls dans la voiture. Pourtant, la tension lorsqu’il remonta dans le véhicule était telle qu’il se demanda s’il y avait moyen de la canaliser pour recharger son portable en cas de besoin ?

Ismael et son supérieur ne pouvaient vraiment pas s’encadrer.

D’ailleurs, ils n’échangèrent pas un mot du reste du trajet et Mark se laissa conduire sans rien dire non plus, cherchant sur son téléphone quel restaurant pouvait l’intéresser à proximité du QG de ses actuels employeurs.

C’est avec un sourire qu’il fit sa deuxième entrée dans leurs locaux, sans menottes cette fois, et il se laissa conduire par une petite jeunette tout intimidée vers les bureaux où il devait aller faire son contrat, laissant Ismael et Landry aller voir leur général.

La fameuse Lola était une femme d’une petite cinquantaine d’années qui débordait d’énergie. Son bureau était un bazar effrayant de piles de dossiers tous mélangés, enfin à vue d’œil, mais qu’elle maîtrisait à la perfection. Il se demanda si elle carburait au café, à la cocaïne, ou si elle était juste hyperactive. En tout cas, elle se révéla très efficace.

Le passeport suisse était effectivement périmé, mais elle ne fit pas d’histoire pour s’en servir comme base du contrat.

« Du coup, vous êtes quoi, pour de vrai ? lui demanda-t-elle en tapant sur son clavier à une vitesse inhumaine, curieuse.

– D’après mon père, je suis né au Brésil. Enfin, c’est là qu’il m’a dit qu’il m’avait récupéré. J’avoue qu’à l’âge que j’avais, je ne savais même pas ce que c’était qu’un pays…

– Ah, c’est joli, le Brésil ! J’ai passé de belles vacances là-bas, mais ça remonte, j’étais étudiante… On avait fait un tour dans la jungle et tout, ça avait été très cool.

– Tant mieux pour vous… Je n’en ai pas de souvenirs très cools, pour ma part, mais je n’étais pas en vacances non plus. »

Elle hocha la tête :

« Ah ça… La misère reste un sacré fléau, j’imagine… Mais à vous voir, vous vous en êtes bien tiré, finalement ! »

Mark eut un sourire alors qu’elle lui tournait un instant le dos pour prendre les feuilles qui sortaient de son imprimante, derrière elle.

Sûr que la misère était un sacré fléau… Quant à savoir si devenir un tueur était une promotion sociale, vaste débat… Au moins était-il toujours en vie.

Il hocha la tête en prenant les feuilles qu’elle lui tendait :

« Voilà, relisez bien, signez si tout vous va et ça sera tout bon !

– Merci. »

Il relut rapidement le texte, ne comprenant pas tout. Il était plus doué à l’oral qu’à l’écrit pour la plupart des langues et ne maîtrisait que de très loin le jargon administratif en général. Sachant cependant la rigueur de ce type d’employeurs et étant donné qu’il avait confiance en Ismael, il signa sans se faire plus prier.

Puis, il alla sagement dans l’entrée se poser sur un fauteuil en attendant de nouvelles consignes (ou l’autorisation d’aller enfin manger).

Alors que ça traînait, il retint un bâillement et fit signe à Bastien quand il le vit revenir.

« Le commandant et le colonel sont toujours avec le général ? » lui demanda ce dernier en le rejoignant.

Mark hocha la tête. Bastien soupira.

« Vous avez du nouveau ?

– J’ai laissé nos amis à l’hôpital, ils ont dit qu’ils nous rappelleraient… Et ici, rien de neuf ?

– J’ai signé mon contrat.

– Ah, c’est déjà ça… Bienvenue dans la maison, alors. »

Bastien lui tendit la main et Mark la serra avec un sourire.

« Merci. Vous permettez que je vous pose une question, Capitaine ?

– Poser, vous pouvez.

– C’est quoi le problème entre Evrard et Landry ? »

Bastien soupira et s’assit près de Mark. Il regarda autour d’eux, mais comme ils étaient tranquilles, il répondit, cela dit tout bas :

« Incompatibilité de caractères et de conception du boulot… Le colonel est un ancien très attaché aux règles et à la hiérarchie et le commandant est bien plus enclin à s’en foutre quand il le juge nécessaire… Si vous ajoutez à ça que le colonel n’a pas un très grand amour des Maghrébins en général et des Algériens en particulier, et que le commandant se revendique comme petit-fils de Harkis, vous avez la combo gagnante…

– Je vois. Et il lui est arrivé quoi, au commandant ? J’imagine qu’il n’a pas atteint ce grade avec son fauteuil roulant ?

– Vous imaginez bien… Mais je n’en sais pas trop là-dessus, je suis arrivé sous ses ordres après… De ce que je sais, il enquêtait sur une secte cheloue, personne ne voulait le suivre sur la piste qu’il jugeait la meilleure, même quand il a eu la date et le lieu de leur rencontre, et il a décidé d’y aller seul… Il a réussi à trouver le lieu du culte et à arrêter un sacrifice humain, mais il a pris un coup de couteau dans le dos qui a manqué de très peu sa moelle épinière…

– Je vois.

– C’est un des trucs que Landry lui reproche, d’y être allé seul contre ses ordres ce soir-là… Mais s’il n’y était pas allé, personne n’aurait arrêté ces cinglés. »

Mark hocha la tête avec un petit sourire en coin. Il allait poser une autre question, mais il ne le put pas, Ismael arrivait, visiblement aussi fatigué qu’énervé :

« C’est bon, on peut aller bouffer…

– Ah, super ! » s’exclama Mark en se levant.

Il fit un clin d’œil à Bastien :

« Un peu plus et je mangeais mon contrat !

– Oh non, l’encre a vraiment un sale goût, épargnez-vous ça ! »

Les trois hommes repartirent donc pour aller se poser dans un des rares restos encore ouverts à cette heure de l’après-midi dans ce quartier tranquille, un snack basique, mais qui devait se révéler tout à fait acceptable.

Apparemment, Bastien et Ismael y étaient connus et eurent droit à une table isolée, même s’il n’y avait presque personne.

Bastien expliqua à son supérieur qu’il avait, comme convenu, laissé leurs trois complices à l’hôpital où était le vigile et était reparti rapidement pour ne pas risquer d’éveiller trop les soupçons de Landry.

« Gabrielle m’a dit qu’ils vous rappelleraient dès qu’ils en sauraient plus…

– Bon, ben on attend, du coup… »

Mark posa la question que Bastien n’osait pas poser :

« Ça a été avec votre général ? »

Ils furent interrompus par la patronne qui vint prendre leur commande. Bastien prit une escalope à la crème avec du riz, Ismael un pavé de beauf saignant sauce au poivre et frites et Mark du saumon grillé avec des frites également.

À nouveau seuls, Ismael regarda un instant Mark avant de répondre :

« Oui et non. Landry est furieux que j’ai sonné Gabrielle et il voulait me retirer l’affaire… Le général a refusé, mais il n’aime pas non plus l’idée que j’ai fait appel à elle…

– Elle est… particulière… Mais elle et ses amis ont l’air de s’y connaître en ésotérisme et vu l’affaire, ça n’est pas de trop.

– Vous y croyez, à ça ? » s’étonna Bastien en croisant les bras.

Se souvenant qu’il était seul avec Ismael quand ils leur avaient expliqué la nature du rituel soupçonné, Mark se contenta de hausser les épaules avec un air sceptique des plus convaincant :

« J’ai vu pas mal de trucs bizarres dans ma vie… Des gens qui faisaient des choses pour appeler leur dieu ou des esprits à leur aide… Je sais pas si c’est vrai, si ça marche, mais eux, ils y croyaient. »

Ismael regardait Mark avec grand sérieux et ajouta :

« Il y a eu trois morts à cause de ça… Alors effectivement, pas que je crois à ces délires non plus, mais il faut arrêter ça. »

Mark fronça les sourcils et sortit son téléphone vibrant de sa poche. Il eut un sourire et décrocha, se remettant à parler dans le jargon international par prudence :

« Oui, Pao ?

– Désolé de te redéranger, vieux. Le mec que j’aide sur les Mexicains voudrait vraiment te voir, en fait, tu sais si tu peux ?

– Je pense que oui, attends… Commandant, un gars d’Interpol voudrait profiter de ma présence ici pour m’interroger sur un vieux truc, vous savez à quelle heure vous me lâchez ou si on attend que cette affaire soit finie ? »

Ismael était visiblement dubitatif. Alors que la patronne leur apportait l’escalope et le saumon, il répondit par une autre question :

« Il y en aurait pour longtemps ?

– Aucune idée… Mais ça m’étonnerait que ça me prenne beaucoup de temps. Après, j’ai un ami qui est là et qui aimerait boire un verre avec moi, mais rien d’urgent non plus.

– Vous avez des amis, vous ? » se moqua gentiment Bastien et Mark se contenta de lui tirer la langue.

Ismael regarda l’heure et soupira :

« Si vous voulez y aller quand on aura fin de manger, là on a rien à faire en attendant que les infos reviennent des équipes techniques et de Gabrielle… Vous restez joignable et vous accourez si je vous appelle, c’est tout.

– Vous n’aviez pas besoin de le demander.

– Ce n’était pas une demande. »

Cette fois, Mark gloussa :

« Alors à vos ordres, mon commandant. »

Il reprit son téléphone sans perdre son air goguenard alors que la patronne amenait l’escalope à Bastien qui se frotta les mains.

« Pao ? C’est bon, on mange et j’arrive.

– Vous mangez à cette heure-ci ?

– Longue matinée. Je te raconterai.

– OK. … Tu sais où est Interpol ?

– Non, mais je trouverai, t’en fais pas. À tout à l’heure, rappelle si besoin.

– OK, à tout’, bon app’.

– Merci. »

Mark raccrocha et rempocha son téléphone.

« Vous parliez en quelle langue ? demanda Bastien, intrigué.

– Un patois de mercenaires, cherchez pas. Ça mélange un peu tout.

– Les marins ont un truc de ce genre aussi, il paraît… dit Ismael en coupant un morceau de son pavé de bœuf.

– Ça vient de là, je crois, approuva Mark an attaquant son saumon. Beaucoup de marins étaient mercenaires… »

 

*********

 

Le taxi s’arrêta au bord de la route et fit signe à Mark :

« Voilà, c’est là.

– Merci ! »

Mark le paya, le remercia encore et descendit. Le grand bâtiment gris était massif, coincé entre le Rhône et le Parc de la Tête d’Or. Pao l’attendait non loin de là, une clope à la main, et lui fit signe avant d’écraser son mégot et de le jeter dans une poubelle publique comme il y en avait tous les vingt mètres là. Le taxi repartit et Mark rejoignit avec un grand sourire le très grand Eurasien très baraqué qui lui souriait aussi.

Ils s’étreignirent avec force :

« Ça fait du bien de te voir, Pao.

– Plaisir partagé, Markus. Surtout tranquille en France et pas en cata entre deux rafales… »

Ils rirent tous deux, puis Pao l’entraîna, gardant un de ses bras autour de ses épaules :

« Allez, plus vite on a fini, plus vite on se paye cette bière !

– Ouais ! »

Pao guida son ami vers le grand bâtiment gris.

Les vigiles confisquèrent son Beretta à Mark qui leur laissa sans résister. Il suivit son camarade jusqu’à un bureau où se trouvait un grand blond bien habillé, sans être guindé, qui sourit en les voyant et se leva pour venir les accueillir :

« Ah, bienvenue, monsieur Leth, merci d’être venu !

– Je vous en prie. Monsieur ?

– Simon Grech ! Enchanté ! se présenta l’homme en lui serrant la main avec énergie. Asseyez-vous, tous les deux, nous ne devrions pas en avoir pour très longtemps.

– Je pense pas pouvoir vous en dire beaucoup plus que Pao, effectivement… Mais on va voir. Vous n’avez pas retrouvé Santiago ?

– Alors on pense qu’il est en Argentine, aux dernières nouvelles…

– Houlà, ça va pas vous aider.

– Pas tout de suite, effectivement… »

Mark répondit sans gêne aux questions de Grech. Ce dernier était aimable et efficace, il ne le retint pas plus qu’il ne le devait, lui demandant simplement de rester joignable et de le prévenir quand il quitterait Lyon. Mark opina et Grech les libéra.

Pao emmena son ami un peu plus loin entre les hauts immeubles de la Cité Internationale, ce grand ensemble de bâtiments formant un couloir un peu étrange longeant de nord du Parc. Mark regardait ça avec curiosité. Pao leur prit deux bières dans un restaurant-traiteur et, comme le temps le permettait, ils allèrent s’installer sur un banc, dans le Parc, au calme et au vert, au bord du lac.

Ils trinquèrent et Mark soupira avec satisfaction après avoir bu une gorgée :

« Hmmm, excellent !

– Oui, c’est une bonne adresse. Je vais y manger souvent, aussi.

– Je note.

– Alors, l’affaire sur laquelle tu es ?

– Oh, m’en parle pas ! Des meurtres rituels chelous, mais le commandant qui m’a embauché est bien craquant. »

Pao rigola :

« Tu penses qu’à ça, putain !

– Non, non, mais ça motive… Comment va ta douce ?

– Aux dernières nouvelles, elle était partie faire un reportage en Tanzanie, sur les braconniers.

– Elle aime toujours autant vivre dangereusement…

– C’est pour ça que je l’aime. »

Le grand homme grogna et sortit son téléphone de sa poche :

« Oui, Grech, qu’est-ce qu’il y a ?… Au Parc, sur un banc, au bord du lac, pas loin de l’entrée principale… … Ah OK, pas de problème. On bouge pas. »

Il raccrocha et regarda Mark :

« Une collègue de Grech veut te parler.

– Ah ?

– Ouais, du coup elle nous rejoint. »

Mark sourit. Ça sentait la conversation confidentielle…

            Les deux hommes n’avaient pas fini leur bière lorsqu’ils furent rejoints par une jolie rousse d’une bonne trentaine d’années qui leur sourit :

« À votre santé !

– Merci ! »

Elle leur serra la main et Mark demanda :

« Que puis-je pour vous ?

– Il paraît que vous travaillez avec le DGSI et le commandant Evrard sur l’affaire des meurtres rituels bizarres, là ?

– Tout à fait. Il y a un souci avec ça ?

– Pas forcément, mais je n’aurais rien contre votre aide sur un truc…

– Si ça n’entrave pas ma mission auprès d’eux ?

– Je ne pense pas. »

Elle s’approcha et ils lui firent poliment une place sur le banc.

« J’ai juste besoin de vos yeux et de vos oreilles…

– Expliquez-moi ? »

 

*********

 

Mark avait laissé Pao à la nuit tombée et s’apprêtait à aller dîner en ville lorsque son téléphone sonna. Il retint un bâillement et sourit en voyant que c’était Evrard, avant de décrocher sans attendre :

« Commandant, que puis-je ?

– Vous êtes où, Leth ?

– Je quitte à l’instant le Parc de la Tête d’Or et j’allais aller manger.

– Parfait, alors rendez-vous dans le Vieux Lyon, au Bouchon Doré, réservation à votre nom, je vous expliquerai sur place. »

Mark sourit, intrigué.

« Vous trouverez ?

– Je vais faire pour, ne vous inquiétez pas.

– Super, alors à tout de suite. »

Mark raccrocha, toujours souriant, et un instant plus tard, ton téléphone lui indiquait comment se rendre au lieu dit, un restaurant trois étoiles situé dans la vieille ville. L’arrêt d’un bus, situé à 200 mètres, l’y déposerait ou quasi. C’était parfait.

Il trouva le bus, le prit, regarda le paysage urbain, le Rhône, Bellecour, la Saône, avant que le bus ne le laisse près de la cathédrale. Il remonta la rue Saint-Jean jusqu’au restaurant, descendit les quelques marches, car c’était en contrebas, et entra.

Un homme en livrée vint à sa rencontre.

« Monsieur ?

– Bonsoir, j’ai une réservation au nom de Mark Leth, s’il vous plaît.

– Bien sûr, venez, votre ami est déjà là.

– Merci. »

Il suivit l’homme jusqu’à une table isolée dans un coin où effectivement, Ismael l’attendait. Ses béquilles étaient posées dans l’angle, derrière lui. Le commandant lui sourit. L’homme tira la chaise à Mark qui le remercia encore.

« Ces messieurs désirent-ils un apéritif ?

– Oui, merci, lui répondit Mark. Un kir royal pour moi, s’il vous plaît.

– La même chose, dit Ismael.

– Tout de suite, messieurs. »

L’homme partit, très droit. Mark s’accouda à la table, un sourire en coin aux lèvres :

« Dois-je considérer ça comme un rencard ? »

Ismael gloussa malgré lui :

« Malheureusement non, désolé de vous décevoir.

– Oh, je ne suis pas pressé… »

Il y eut un silence. Le sourire d’Ismael se fit franchement moqueur :

« Vous êtes insupportable…

– Je sais. Il paraît que ça me rend attachant.

– Agaçant serait plus juste…

– Oh, vous me faites de la peine… » couina Mark en faisant la moue.

Un serveur leur apporta les deux coupes de kir royal et Mark tendit la sienne à Ismael :

« Mais je suis un homme patient.

– Mouais.

– Et donc, si ce n’est pas un rencard, que me vaut d’être ici ?

– J’ai reçu un appel de quelqu’un qui veut me parler, ce soir à 23h, pas loin d’ici. Quelqu’un qui a l’air d’avoir des infos sur notre affaire, j’aurais voulu que vous m’accompagniez.

– Pourquoi pas Gandier ?

– Parce que je préfère qu’il reste en dehors de ça… »

Mark sourit :

« Vous doutez de lui ?

– Je n’en sais rien… Et c’est aussi pour ce genre de cas que je vous ai embauché.

– Et je suis là pour ça, il n’y a pas de souci. »

Ismael accepta de trinquer et manqua de s’étrangler en buvant lorsque Mark ajouta :

« Mais c’est pas incompatible avec un rencard. »

Le commandant toussa et lui dit vivement :

« Non, mais vous êtes lourd !

– Vous êtes mignon quand vous êtes en colère… »

L’homme en livré revint avec les menus et ne fit aucun commentaire. Il leur donna les menus en leur conseillant quelques plats, répondit à leurs questions, prit leur commande et repartit.

« Je suis ‘’mignon’’ ?

– Très.

– Vous me trouverez moins mignon quand je vous aurai défoncé la gueule…

– Aucune chance que vous y arriviez et entre nous, je préférerais que vous me défonciez le cul. Avec votre queue et du lubrifiant, de préférence, mais si vous n’avez pas de lubrifiant, ça peut s’arranger. »

Il y eut un silence pendant lequel Ismael le regarda, sérieux.

« Vous êtes pas un grand romantique, vous, hein.

– Ah, si vous voulez un bouquet de fleurs, ça peut s’arranger. » répondit Mark au tac-au-tac avec un grand sourire.

Cette fois, Ismael éclata de rire. Mark le contempla sans perdre son sourire.

« Non, j’avoue, je ne suis pas très romantique. J’ai pas eu de très bons modèles là-dessus, j’en ai peur.

– À ce point ?

– Vous auriez connu mon père…

– Arthur Leth.

– Vous avez un dossier sur lui ? »

Ismael hocha la tête :

« Oui, j’y ai jeté un œil. Ça avait l’air d’être un drôle de type…

– Ouais, c’est clair que c’était quelqu’un de spécial ! 

– Quel âge vous aviez quand il vous a recueilli ?

– Aucune idée, 6 ou 7 ans, d’après lui.

– Il est mort il y a 8 ans, c’est ça ?

– 8 ans et ½, oui. Une belle perdue, en pleine tête, dans une mission un peu pourrie… Mais il refusait de se voir vieillir, c’est pas plus mal qu’il soit parti comme ça. »

Ismael s’en voulut un peu d’avoir lancé le sujet, car le regard de Mark, sans devenir sombre ni larmoyant, s’était couvert d’un voile de tristesse bien réelle.

« Ancien légionnaire devenu mercenaire, sans qu’on sache trop d’où il sortait, reprit le commandant.

– Il disait qu’il était le fils d’un soldat français d’Indochine qui avait déserté pour filer avec une fille du cru.

– Et c’était vrai ?

– Aucune idée, il n’avait pas vraiment l’air eurasien, mais ça ne veut rien dire. Et vous, alors, petit-fils de Harkis, il paraît ?

– Par ma grand-mère, oui. Elle était interprète pour l’armée française, mon grand-père était officier, il est tombé fou amoureux d’elle et il l’a emmenée avec sa famille quand ils sont partis.

– C’est mignon… »

Il y eut un nouveau silence.

« Ça doit être bien, de vivre une histoire comme ça.

– Ça ne vous est jamais arrivé, de tomber amoureux ? s’étonna Ismael.

– Si, si, sûrement, mais de me poser assez longtemps pour que ça donne quelque chose de vraiment intéressant, pas vraiment. »

Le serveur leur apporta leurs entrées, salade lyonnaise pour Mark et tranche de foie gras pour Ismael, et ils attaquèrent sans plus attendre.

« Sinon, il vous a dit des choses plus précises, ce mystérieux informateur ? demanda Mark.

– C’était un peu confus, répondit Ismael. Un homme, à la voix, la quarantaine, très nerveux. Une façon de parler de quelqu’un d’instruit, avec un très léger accent germanique… Il m’a juste dit qu’ils allaient recommencer, mais qu’il voulait m’en parler en direct, car au téléphone, c’était trop dangereux, et que je ne devais vraiment faire confiance à personne, car ils avaient bien des taupes chez nous et beaucoup de moyens…

– Germanique ?… releva Mark. Vous n’aviez pas dit que la femme abattue travaillait à l’ambassade d’Autriche ?

– Si, justement, j’y ai pensé aussi.

– Vous y croyez, vous, à ces rituels ? »

Ismael soupira et mit un moment à répondre avec sérieux :

« Gandier m’a dit que vous lui aviez demandé comment j’avais fini dans mon fauteuil…

– Hm, hm ?

– La secte que je poursuivais faisait des sacrifices humains pour se mettre dans les bonnes grâces d’un démon. Je les prenais pour des cinglés jusqu’à ce que j’assiste à leur réunion…

– Vous l’avez interrompue.

– Oui, et c’est pour ça que je ne peux pas vraiment vous répondre… Il se passait un truc bizarre… C’était dans une vieille chapelle abandonnée en pleine forêt, c’était en pleine nuit, alors forcément que ça fausse un peu, mais… Il y avait un truc… Je sais pas trop quoi, mais… J’ai vu ces gens qui psalmodiaient leur merde, j’ai vu des bougies qui vacillaient alors qu’il y avait pas un poil de vent, pas un putain de courant d’air dans ces ruines… J’ai senti un truc, une aura, je sais pas quoi, mais… J’ai vraiment du mal à croire que ce n’était que mon imagination…

– Mouais…

– Vous devez me prendre pour un cinglé.

– Non. »

Mark le regarda, sérieux lui aussi :

« Je vous l’ai dit. J’ai vu beaucoup de choses bizarres un peu partout… Et cette femme, vous l’avez connue comment ?

– Gabrielle ?… Ben cette nuit-là, justement. Elle en avait après eux aussi, on s’est un peu retrouvé à deux contre eux, et c’est elle qui m’a sauvé… Quand j’ai pris le coup de couteau, c’est elle qui m’a stabilisé et qui a appelé les secours…

– C’est courageux de votre part d’être resté dans ce job après ça.

– On m’a bien fait chier pour me faire lâcher, mais sérieux, je me voyais vraiment pas faire autre chose… »

Mark hocha la tête, sincèrement admiratif.

« C’est courageux.

– Merci. »

Le repas se finit paisiblement, les deux hommes parlant finalement assez peu, profitant du bon repas sans plus se prendre la tête.

  Il était 22h40 lorsqu’ils quittèrent le restaurant, pour se rendre tranquillement au lieu du rendez-vous, dans les ruines de la cathédrale antique, à côté de la cathédrale actuelle.

Ismael s’assit sur une vieille pierre et Mark resta debout, vigilant.

La nuit était fraîche et claire, il y avait un peu de monde dans les rues de ce quartier de bars, de restaurants et de pubs. Des bandes de jeunes éméchées passaient.

Ismael regardait régulièrement sa montre.

L’homme n’arrivait pas et, à 23h30, Mark vint s’asseoir près du commandant et demanda :

« On attend encore ?

– Qu’est-ce que vous en pensez ?

– Hmmm… Je veux bien lui laisser encore un petit moment, mais on va pas passer la nuit là non plus…

– Ouais… Allez, permission de minuit ?

Deal. »

Mark s’accouda à ses genoux :

« J’espère que ce n’est pas un piège…

– Mouais, ou qu’il ne lui est rien arrivé.

– Ouais, ça, c’est l’autre risque… »

Il y eut un silence, interrompu par une voix aussi ivre que forte :

« Eh, c’est moi ou y a un bougnoule là ?! »

Les deux hommes avaient sursauté de concert et regardèrent les quatre jeunes gens qui les toisaient, mauvais.

« Et merde… murmura Ismael.

– Qu’est-ce que c’est que ça… ? pensa tout haut Mark.

– À vue d’œil, du petit facho… Ça pousse un peu trop bien, par ici, en ce moment… »

Mark hocha la tête et se leva, comme les nouveaux venus s’approchaient, visiblement décidés à en découdre. Ismael regarda autour d’eux, personne d’autre… Il soupira :

« Leth, évitez de les tuer, s’il vous plaît.

– Promis, je vais faire au mieux ! »

Mark para sans mal le premier coup qui lui était destiné, attrapant le bras et il dit très calmement :

« Vous tombez bien, j’avais besoin de me défouler un peu. »

Sans surprise, les quatre lascars rirent :

« Tu t’y crois, toi, tu nous connais pas !…

– Certes, mais vous non plus. »

Le combat qui suivit fut bref et violent. Mark était une brute au corps à corps, mais il ne put pas éviter tous les coups, l’un le fit chuter au sol. Ismael avait sorti son arme et l’arma, mais il ne devait pas en avoir besoin. Alors qu’un des gars se penchait en injuriant Mark, un coup de pied très précis de ce dernier lui coupa la parole et un instant plus tard, les quatre garçons couinaient au sol et Mark revenait vers Ismael en secouant un peu sa main droite :

« Bon je serais assez pour qu’on reste pas là…

– Ouais, allons-y. »

Ismael reprit ses béquilles et se leva, avant de secouer la tête, navré, en voyant Mark essuyer négligemment le filet de sang qui coulait de sa lèvre fendue.

« Il faut vous soigner ça.

– Oh, c’est rien de grave…

– Bon, venez, on dégage, ma voiture n’est pas loin… »

Mark hocha la tête et le suivit.

« Il ne viendra plus…

– Non, et il ne faudrait pas que cette petite baston en attire d’autres.

– Ah oui, si on peut éviter… »

La voiture était garée sur les quais et Ismael sortit sa clé de sa poche. Il appuya et le « bip » du véhicule comme les phares qui clignotèrent les informa qu’il fonctionnait. Ismael était soucieux et sursauta quand son téléphone sonna. Il décrocha :

« Evrard, j’écoute. … Ah, bonsoir… Non, je ne suis pas chez moi. … Pardon… ?… Une fuite de gaz ?… Non, non, je ne vois pas ce qui aurait pu déclencher ça… … D’accord, mais du coup pas de dégâts ? … Parfait. Euh, non, je ne pense pas, mais merci, je vais voir ça. … Oui, oui, coupez tout, dans le doute, et je verrai quand je rentrerai, merci. »

Il raccrocha et regarda son téléphone :

« Qu’est-ce que c’est que cette merde…

– Un problème chez vous ?

– Oui, une fuite de gaz, mais ça n’a aucun sens… L’alarme a sonné et alerté mon agence de surveillance, ils ont été voir… D’après eux, c’était violent, je risquais l’asphyxie ou l’incendie si j’avais allumé quoi que ce soit pour aller voir… Mais une fuite en pleine nuit ?…

– Ou un attentat contre vous. »

Ismael regarda Mark avec stupeur. Le mercenaire avait dit ça très sérieusement.

« Vous croyez que…

– Que votre enquête dérange, oui. Et vu l’heure, vous auriez dû être chez vous à dormir. Donc, victime d’un malheureux accident… Venez, on va aller à mon hôtel, de toute façon, vous ne pouvez pas rentrer cher vous avec ça… »

Ismael fit la moue, mais hocha la tête et ils prirent la voiture pour rejoindre l’hôtel de Mark. Ils entrèrent dans le hall pour être interpellés par la personne du comptoir d’accueil :

« Oh, monsieur Lebernard, vous voilà !

– Oui, bonsoir, il y a un souci ? »

Elle les rejoignit. Ismael avait froncé les sourcils, mais ne dit rien, et Mark resta de même imperturbable lorsqu’elle lui dit :

« Oui, nous sommes désolés, il y a eu un problème dans votre chambre, il y a une heure à peine… Un petit début d’incendie suite à un faux contact électrique, apparemment, juste à côté de votre lit, la lampe de chevet… Nous sommes navrés, nous ne comprenons pas comment ça a pu arriver…

– Mais pas plus de dommages que ça ?

– Non, Dieu merci… Heureusement que vous n’étiez pas là ! »

Mark lui sourit :

« Ce n’est pas grave… Pour tout vous dire, je venais vous annoncer mon départ. J’ai retrouvé un vieil ami qui m’a proposé de m’héberger. Je venais régler et reprendre mes affaires.

– Oh, mais pas de souci !

– Merci beaucoup en tout cas de la qualité de vos services. Je vais chercher mes affaires et je reviens payer.

– Je vous attends ! »

Mark fit signe à Ismael qui le suivit sans rien dire. Ce n’est qu’une fois qu’ils furent seuls dans l’ascenseur que le commandant dit, en lui jetant un œil :

« Eeeet on fait quoi, là ?

– Là, on va se mettre à l’abri.

– Et vous comptez faire ça comment ?… Si on a pu piéger mon domicile et votre chambre, sachant qu’il y a un pisteur sur mon véhicule et que nos téléphones sont tracés, vous voulez faire quoi ?

– Ne vous en faites pas. »

Mark lui sourit.

« J’ai des ressources !… Vous m’avez embauché pour vous aider, non ? Alors faites-moi confiance. »

Dans la chambre, Mark se précipita vers sa valise, l’ouvrit et, s’approchant, Ismael le vit avec stupéfaction ouvrir une minuscule cache tout au fond du bagage pour en sortir un tout aussi petit porte-carte. Devant le commandant médusé, le mercenaire retira sans attendre les deux cartes SIM de son téléphone pour en installer une troisième. Après quoi, il appela immédiatement :

« Pao ? Ouais, t’es chez Maurice ?… OK, il a une piaule pour tout de suite, pour deux si possible ?… Je vous expliquerai. OK, j’attends. Merci. »

Il mit le téléphone en haut-parleur et se mit à récupérer rapidement ses affaires pour refaire ses bagages. Ismael constata qu’il y avait bien la trace d’un début de feu au niveau de la lampe de chevet… Endormi, Mark aurait aussi pu être asphyxié ou pire…

Le commandant regarda le téléphone quand une voix inconnue de lui reprit :

« Markus, t’es là ?

– Oui ! répondit l’interpellé en revenant vers l’appareil.

– Maurice a ce qu’il faut. Je t’envoie l’adresse par texto.

– OK, on arrive, merci. »

Mark raccrocha et expliqua :

« Bon, je vous propose de nous mettre en lieu sûr pour cette nuit.

– Combien vous avez de cartes SIM ?

– Cinq.

– Et on en a enregistré que deux…

– Et ouais ! »

Le mercenaire sourit au commandant :

« J’ai toujours des roues de secours.

– Pas mal. On va où ?

– Chez des amis à moi. Ne vous en faites pas, ils sont réglos. »

Ismael soupira.

« Et pour la voiture ?

– On laisse la vôtre ici et on se prend un taxi, que l’hôtel appellera et que je paierai en liquide. Retirez votre carte SIM de votre tel, par contre, sinon ils vont nous pister. »

Ismael hocha la tête avec un soupir las et obéit :

« Bon sang, cette fois, c’est sûr qu’il y a une taupe chez nous et pas la moindre !

– Prenez ça comme un bon signe. Si on en est à vouloir nous tuer, c’est qu’on est près du but. »

Ismael le regarda :

« Je dois vous trouver optimiste ou complètement inconscient, là ?

– Comme vous voulez ! »

Mark vérifia bien qu’aucun mouchard n’avait été posé sur ses affaires et que toutes ses armes étaient là, avant de tout remballer. Ils redescendirent dans le hall, il régla sans que la personne ne pose plus de question, s’excusant encore de l’incident. Elle commanda immédiatement le taxi et ils repartirent.

Le taxi les laissa devant un vieil immeuble défraîchi et fila sans attendre, peu habitué à ces quartiers plus populaires.

Deux hommes attendaient devant le bâtiment. Pao, bras croisés et l’air grave, et un bien plus petit bonhomme, plus vieux, rond, aux cheveux et à la barbe très blanche, à l’air plus aimable aussi.

« Salut, Maurice, le salua Mark.

– Ça fait un bail, Markus ! »

Ils s’étreignirent avec force :

« Bienvenue à vous deux ! Entrez, vous allez pouvoir vous reposer. »

Mark leur désigna Ismael qui s’était approché, curieux.

« Ismael, je vous présente Pao et Maurice, un frère d’armes et un vieil ami de mon père. Les gars, Ismael Evrard, mon actuel employeur qui a l’air de nous avoir mis de sacrés connards à dos.

– Bienvenue, bienvenue, entrez vite ! »

Ils se retrouvèrent vite dans une vieille cuisine qui sentait mille et un parfums d’épices et autres et Ismael accepta sans rechigner la chaise qu’on lui proposa.

« Vous voulez manger un truc ? On allait se faire un p’tit casse-dalle avec Pao.

– Moi ça ira, merci, répondit Ismael, par contre si vous avez à boire ?

– J’ai ! Vous voulez quoi ?

– Un truc fort, là, je sature un peu.

– Ah, j’ai ce qu’il vous faut, vous allez pas être déçu ! »

Une petite heure plus tard, un Mark très amusé amenait un Ismael achevé par la gnole de Maurice jusqu’à leur chambre, une petite pièce avec un grand lit. Il le coucha et lui enlevait ses chaussures lorsqu’Ismael marmonna :

« J’en ai raz le cul de ces conneries… »

Mark sourit et le couvrit :

« Reposez-vous, on y verra plus clair tout à l’heure.

– Vous vous couchez pas ?

– Si, mais moi, je vais me doucher avant.

– Ah moi p’u la force…

– Je sais, vous ferez ça en vous réveillant. Pour le moment, dormez, c’est ce que vous pouvez faire de mieux. »

Ismael ferma les yeux avec un soupir et Mark sourit.

Vraiment craquant.

Puis, il redescendit au rez-de-chaussée, il avait deux-trois trucs à voir avec ses potes avant de se coucher.

Troisième Partie

Lorsque Mark revint dans la chambre, bien plus tard, parfaitement silencieux, il fut surpris de voir Ismael tourner la tête, puis se retourner dans le lit, pour lui faire face.

« Oh, désolé de vous avoir réveillé. » s’excusa le mercenaire en venant s’asseoir au bord du lit.

Il sortait visiblement de la douche et ne portait qu’un vieux jogging. Ismael remarqua cependant que sa main droite était bandée et sa lèvre bien désenflée. Ses amis avaient dû le soigner.

Ismael soupira :

« Pas de mal, je dormais pas… ‘Pouvez allumer si vous voulez. »

Mark hocha la tête et alluma la lampe de chevet, un peu inquiet de la petite voix du commandant qui n’avait de fait, pas très bonne mine.

« Un souci ?

– Oh, rien, mes douleurs et comme un con, j’ai oublié les médocs dans ma voiture avec ce bordel…

– Ah, merde… »

Mark fit la moue et eut un sourire en coin lorsqu’Ismael ajouta :

« Mais bon, vu ce que j’ai bu, ça serait pas un bon plan d’en prendre de toute façon.

– Certes… Mais j’ai peut-être autre chose… Attendez une minute… »

Mark repartit, laissant Ismael sceptique, puis le commandant sursauta en voyant ce qu’il lui ramenait :

« Non mais vous êtes sérieux ?! »

Un gros pétard.

« Désolé, mais là, c’est ça ou un narguilé d’opium… Et franchement, lancer un narguilé à cette heure, pas envie. »

Mark posa un cendrier sur la table de nuit et alluma sans attendre l’objet du délit.

« Vous inquiétez pas, je l’ai pas beaucoup chargé et Maurice fait pousser ça propre, c’est quasi du bio. »

Ismael se redressa malgré la douleur alors que Mark tirait sur le joint sans toutefois avaler :

« Non mais vous croyez quand même pas que je vais… »

Mark lui coupa la parole en attrapant sans sommation son visage entre ses mains pour coller ses lèvres aux siennes et lui souffler une bonne bouffée dans la bouche. Ismael le repoussa en toussant violemment.

Mark le laissa faire, tira encore en inspirant, cette fois.

« Connard !

– Bon sang, ce que vous êtes obtus…

– Parce que me droguer, c’est une bonne idée, selon vous ?! »

Mark gloussa et lui tendit le joint :

« Arrêtez votre délire, vous avez mal et j’ai que ça pour vous soulager. Lâchez-vous un peu, vous avez besoin de dormir, il est presque 3 h du mat’ et on aura pas mal de taf tout à l’heure, alors ‘faut calmer vos douleurs. C’est pas une nuit blanche à souffrir qui va vous aider. »

Ismael grommela en prenant le joint :

« Si vous essayez d’en profiter, je vous jure que je vous massacre ! »

Mark rigola :

« Ah ben merci pour la confiance !

– Ouais ben c’est vous qui me chauffez comme une cocotte-minute depuis ce matin !

– Ça OK, mais j’ai jamais violé personne et c’est pas aujourd’hui que je vais commencer. Et puis de toute façon, quand je fume ça, je peux plus la lever, alors vous pouvez vraiment être tranquille ! »

Ismael tira sur le joint et soupira, un peu calmé :

« C’est vrai que c’est de la bonne.

– Quasi bio, je vous dis ! »

Le commandant se rallongea alors que Mark posait le cendrier entre eux sur le lit avant de s’allonger aussi.

« Sérieux, Mark, vous y comprenez quelque chose à ce bordel ?

– Oui et non, mais sérieux, c’est la merde.

– Ouais, ça ouais, mais bon… »

Ismael lui rendit le pétard. Mark reprit avant de tirer :

« On va reprendre les faits.

– OK.

– Deux espèces de sacrifices foireux, plus une morte, un mec en PLS et un informateur qui ne vient pas.

– Truc comme ça.

– Et une chose que plusieurs ont dite, c’est que nos zozos veulent faire revenir quelqu’un.

– Ouais. Et Gabrielle nous a confirmé que c’était de la vieille magie pour réintégrer l’âme d’un mort dans le corps d’un vivant…

– Ouais. »

Mark tira encore avant de murmurer en expirant :

« Mais qui veut faire revenir qui et pourquoi ?

– Ça, c’est le nœud du problème…

– Des gens qui ont du pouvoir, clairement. De l’argent, des moyens, un réseau important et puissant.

– Ouais. »

Mark inspira encore avant de lui reprendre le joint :

« C’est pourtant pas la première fois que je me retrouve dans une affaire cheloue, mais celle-là, y a du level !

– Vous avez vécu si dangereusement que ça ?

– Je suis né dans un bordel et j’ai été élevé par un mercenaire, vous pensez que c’était des vacances ?

– Ah, je savais pas pour le bordel…

– Je m’en souviens un peu… Ma mère était une pute dans un sale bouge de Sâo Paulo… Battue par le patron, elle s’était amourachée d’un marin hollandais, elle a toujours prétendu que c’était mon père… C’est pour ça qu’elle m’a donné son nom, Mark… Elle a fini par crever d’une overdose, le boss a essayé de me prostituer aussi, j’ai réussi à filer… Du coup je me suis retrouvé à la rue avec d’autres gosses jusqu’à ce que des brigades viennent nous buter, je crois que je suis le seul à avoir survécu… J’ai trainé un peu jusqu’à ce que le vieux me récupère et voilà…

– Vous l’appelez toujours ‘’le vieux’’ ?

– Ouais… Il aimait bien que je l’appelle Papa, en privé, cela dit.

– Mon grand-père appelait toujours son père ‘’l’ancien’’… »

Mark sourit.

« Celui qui a ramené votre grand-mère d’Algérie ?

– Ouais, il avait eu un mal de chien à lui faire admettre qu’il avait épousé une Musulmane… A priori, il a considéré mon père comme un bâtard pendant un moment…

– Ça devait être cool, les repas de famille…

– Il parait, ouais… Et puis mon père a reçu 36 médailles pour un fait d’armes de ouf et là, tout à coup, c’est bon, il était reconnu ! »

Mark rigola :

« Tous militaires et affiliés chez vous ?

– Quasi, j’ai juste une tante qui est bonne sœur. Mais elle m’aime bien, d’ailleurs elle aime tout le monde. ‘’Tous enfants de Dieu’’ pour elle.

– Et pas trop dur de faire votre trou à la DGSI ?

– Si, surtout pendant la formation, j’en ai bien chié… Mais bon… S’appeler Ismael, c’est chaud, mais Evrard par contre, ça aide. Sans ça, après ma blessure, j’étais collé en invalidité avec une pension et basta. »

Il soupira.

« Y a vraiment que Landry qui m’emmerde… Son père a été tué par des anciens du FLN, alors qu’il était tout minot, alors ça s’explique, mais bon, ‘faudrait qu’il tourne la page…

– C’est con, ces vieilles rancunes de merde… Comme si en plus, vous y étiez pour quoi que ce soit…

– Ouais, c’est con… »

Quelques bouffées plus tard, Ismael s’endormait comme une masse sans qu’ils aient pu aller bien plus loin dans leur réflexion.

Mark ne finit pas le joint, il l’éteignit proprement dans le cendrier avant de reposer ce dernier sur la table de nuit, de mieux s’installer et d’éteindre avec un soupir.

Il sourit, content qu’Ismael ait l’air si apaisé dans son sommeil, et s’endormit aussi sans autre forme de procès.

 

*********

 

Maurice était un petit bonhomme qu’on aurait aisément pu confondre avec le Père Noël s’il avait porté le costume en décembre, mais quiconque le connaissait savait que cet homme, du haut de ses 67 ans, restait un ancien mercenaire encore très en forme.

Preuve s’il en fallait, qu’il se soit levé comme chaque matin à 7h tapantes après avoir picolé jusque 2h30 du matin avec Pao et Mark.

Il avait une dizaine de pensionnaires dans son petit immeuble à ce moment-là. Il n’était pas très regardant sur les raisons qui les amenaient chez lui, dans la mesure où toutes ces personnes se retrouvaient là soit parce qu’elles le connaissaient, soit parce qu’elles avaient été envoyées par des personnes sûres.

C’est pourquoi il n’avait pas fait d’histoire quand Mark avait débarqué avec le gars de la DGSI, car Mark était le fils d’Arthur et il avait autant confiance en lui qu’il en avait eu en son père à l’époque.

Pao vint déjeuner vers 8h, Mark le suivit de peu, et il était presque 10h lorsqu’Ismael arriva dans la cuisine, mal réveillé, encore humide de sa douche, mais plutôt détendu et avec une seule béquille.

Le maître des lieux y était seul, il faisait la vaisselle et rigola en le voyant.

« Asseyez-vous, Commandant ! Un café ?

– Euh ouais, merci… »

Ismael s’assit et bâilla en s’étirant, faisant encore rire son hôte qui lui servait une grande tasse de café fumant :

« Reposé ?

– Ouais… Et euh, merci pour le joint, je sais que je devrais pas, mais ça faisait un moment que j’avais pas si bien dormi…

– Y a pas de mal. Perso, j’ai toujours préféré ça à leurs fichus médocs… Quitte à se retourner la tête, autant le faire aux plantes. »

La formulation fit rire Ismael :

« Pas faux, je devrais peut-être essayer le CBD… Vous savez où est Mark ? » demanda-t-il ensuite.

Maurice hocha la tête :

« Au sous-sol avec Pao, ils voulaient s’entraîner un peu.

– Vous avez une salle d’entraînement là-dessous ?

– Ouais, la cave était très grande, j’ai pu installer une salle de tir, une de muscu et une avec des tatamis et un ring pour le corps à corps… »

Ismael le regarda avec surprise, puis sourit :

« Et vous dites ça à un commandant de la DGSI comme ça, vous avez pas froid aux yeux, vous…

– Vous m’balancerez pas.

– Bien sûr que non, mais comment vous pouvez en être aussi sûr ?

– Mark vous aurait jamais ramené ici dans l’cas contraire. »

Ismael but une gorgée de café et sourit. Il reposa la tasse et demanda :

« Vous le connaissez depuis longtemps ?

– Mark ?… J’crois qu’son père l’avait depuis moins de deux mois quand y m’l’a présenté. Au Brésil qu’il l’avait trouvé ! Un gosse des rues qui venait d’échapper à une descente des brigades de connards qu’étaient payés pour les buter ! Un petit bonhomme quasi muet, épais comme un fil de fer, mais super vif et agile. Et clairement très futé ! Arthur a d’abord pensé à le laisser à un orphelinat, mais il s’y est attaché et il a vite vu qu’il pourrait en faire quelque chose. »

Ismael essaya d’imaginer la chose, amusé.

« Alors il l’a gardé, il s’est démerdé pour l’adopter et voilà…

– Vous l’avez bien connu, Arthur Leth ?

– Ah ça, on a fait nos classes ensemble à la légion ! Et on a dégommé pas mal de monde après, un peu partout, selon les boulots. Moi, j’ai décroché avant lui, après une sale blessure au bras. Ça se voit plus trop, mais j’ai pas fait l’fier pendant un moment !… J’avais des économies, j’me suis acheté un p’tit hôtel à Hong Kong, mais j’ai dû foutre le camp y a quatre ans, avec la rétrocession à la Chine, c’était la merde, les triades faisaient de plus en plus chier, alors j’suis rentré au pays… Et j’ai pu acheter ça, alors ça va, j’m’en sors pas mal. »

Ismael finit son café et descendit dans cette fameuse cave avec sa béquille, voir ce que fabriquait Mark, car ils n’avaient quand même pas que ça à faire.

Des bruits de tirs le conduisirent jusqu’au fond, après avoir traversé la salle de muscu, puis celle des tatamis, et il fut surpris de constater à quel point le lieu était bien insonorisé, puisqu’il n’avait absolument rien entendu du rez-de-chaussée et que même dans les autres salles du sous-sol, c’était plutôt discret.

Si on y pénétrait dans le dos des tireurs, la porte grinçait assez pour alerter ces derniers que quelqu’un entrait.

Ismael découvrit avec curiosité une salle rectangulaire profonde, sans doute une quinzaine de mètres, le mur du fond tapissé de vieux matelas plus ou moins défoncés, sur lesquels étaient accrochées des cibles plus ou moins défoncées aussi.

Pao avait une Kalash en main et Mark son Beretta. Ils s’arrêtèrent tous les deux dans un ensemble parfait en entendant la porte.

« Tiens, salut, Ismael, enfin réveillé ? le salua Mark, souriant.

– Ouais, et même caféiné. Bonjour à vous deux. On s’amuse ?

– Ah ben ‘faut bien s’entretenir ! » lui répondit Pao.

Ismael nota qu’en vrais pros, les deux tireurs avaient retiré leurs doigts des gâchettes de leurs armes dès son arrivée. Il nota aussi que si la main de Mark était toujours bandée, sa lèvre allait vraiment mieux.

« J’imagine qu’il faut qu’on y aille ? reprit Mark.

– Faudrait pas trop tarder, ouais, opina Ismael. Vous laissez vos affaires ici ?

– Moi oui, pour vous, ben comme vous voulez… »

Ismael haussa les épaules :

« Je crois que je vais squatter un peu ici, on va repasser chez moi vite fait le temps de voir avant de retourner au bureau, ‘faudrait qu’on trouve une voiture…

– Ça, Maurice saura où vous en procurer une… dit Pao.

– OK, on verra avec lui… »

Le grincement de la porte les fit se tourner vers l’entrée et Maurice apparut, l’air inquiet :

« Euh, Mark, Commandant ? Y a trois drôles d’oiseaux qui veulent vous voir, là… »

Ismael et Mark échangèrent un regard sceptique avant que le premier ne secoue la tête en comprenant :

« Une petite femme tatouée, un grand blond très propre sur lui et un petit brun tout choupi ?

– Euh, ouais… confirma Maurice, surpris, alors qu’Ismael gloussait.

– Je ne veux même pas savoir comment ils nous ont retrouvés… soupira Mark, amusé aussi. 

 – Moi non plus, mais ça ne m’étonne pas. 

– Ça, clairement pas ! »

Les quatre hommes remontèrent. Maurice les précéda et effectivement, devant la maison se trouvaient leurs trois amis, devant une grande voiture noire. Gabrielle qui regardait autour d’eux, toujours aussi légèrement, mais pratiquement, vêtue, Mikhael, appuyé sur le véhicule et toujours aussi élégant, et Raphael, assis sur le capot, qui aurait beaucoup moins dépareillé dans ce quartier que ces deux camarades.

Ismael, clairement amusé, s’approcha d’eux en n’écartant qu’un bras, tenant toujours sa béquille de l’autre :

« Bien le bonjour, vous nous cherchiez, peut-être ?

– Et pas que nous, lui répondit Mikhael en se redressant pour le rejoindre. En fait, on est passé à vos bureaux où tout le monde se demandait où vous étiez, alors on leur a dit qu’on allait s’en charger.

– Vous pourrez vous vanter de les avoir bien fait baliser, ajouta Raphael. Surtout après l’histoire de la fuite de gaz et du début d’incendie de la chambre d’hôtel.

– Les nouvelles vont vite… remarqua Mark en s’approchant à son tour.

– Là, ils parlaient de chercher le taxi qui vous avait emmenés de l’hôtel…

– On voulait y retourner, aux bureaux, vous nous ramenez ? » demanda Ismael.

Gabrielle hocha la tête :

« Ouais, on a du nouveau, on vous expliquera en route, du coup. »

Mark avait échangé un regard avec Pao et Maurice qui hochèrent tous les deux la tête de manière presque imperceptible, sans toutefois que ça échappe à Mikhael et Raphael.

Puis le commandant et son mercenaire allèrent chercher leurs affaires et lorsqu’ils revinrent, Mikhael était au volant, Raphael au milieu à l’arrière et Gabrielle attendait à côté du véhicule. Elle fit signe à Ismael de passer devant et monta donc près du petit brun, Mark montant de l’autre côté après un dernier serrage de mains à ses deux amis, et un léger hochement de tête au murmure de Maurice :

« T’hésite pas s’y faut. »

Mikhael fit un signe de main poli aux deux hommes avant de démarrer. Ismael attendit qu’ils soient assez loin du bâtiment pour remettre sa carte Sim dans son téléphone et appeler Bastien pour le prévenir que tout allait bien, le temps de repasser chez lui prendre des vêtements propres et ils arrivaient.

Puis il raccrocha sans trop attendre et avec un sourire :

« Et ben, rien de dire qu’il était soulagé de m’entendre !

– C’était clairement le plus inquiet de la bande, confirma Mikhael en s’arrêtant à un passage piéton pour laisser passer deux mamies, indifférent au coup de klaxon qui résonna derrière eux. Les autres étaient plutôt énervés, d’ailleurs votre colonel va sûrement vous engueuler.

– J’ai l’habitude…

– Vous habitez où ? demanda Mikhael.

– Euh, rue Tronchet, vous voyez ?

– Oui, pas de souci…

– Ismael, est-ce que vous voulez que je remette une des cartes Sim connues dans mon tel ? demanda Mark.

– Non, restez en mode furtif, on dira que vous avez perdu votre téléphone dans la bagarre d’hier soir…

– OK.

– Ça ira, votre main ?

– Ouais, ‘vous en faites pas.

– Alors, ces nouvelles ? » demanda ensuite le commandant en regardant Gabrielle à travers le rétroviseur.

Ce fut cependant Raphael qui répondit :

« Alors ça serait très chiant de vous expliquer comment on y est arrivé, mais on pense savoir où et quand nos amis vont remettre ça.

– Oh, magnifique ! soupira avec ironie Ismael. Allez-y, faites-moi rêver ?

– La nuit d’après-demain dans les catacombes, sous Fourvière.

– Voilà qui est remarquablement précis, sourit Mark.

– Pour vous la faire court, après leurs deux échecs, ils ont compris qu’il leur fallait un endroit particulièrement chargé en énergie à un moment lui aussi porteur d’énergie, expliqua le petit brun, alors on a cherché. Dans deux nuits, c’est la pleine lune, et le lieu le plus porteur, c’est sous la colline…

– On a vérifié, depuis hier en fin d’après-midi, enchaîna Gabrielle, ça s’agite un peu par là.

– Plus de gens qui se faufilent dans les catacombes que d’habitude ?

– Oui, et surtout, pas la faune habituelle… Au lieu des gamins qui vont s’amuser ou faire de l’art contempo sous-terrain, là, on nous a parlé de gros bras armés et de pas mal de matos.

– Mouais, indices concordants, admit Ismael.

– Plutôt, oui.

– Vous en savez plus sur à qui on a affaire et qui ils essayent de ramener ?

– Ça, malheureusement, pas vraiment, répondit Gabrielle.

– J’ai pu apaiser le témoin, continua Raphael, mais il n’a vu que des gens en robes blanches à capuches et masquées… Et il n’a pas compris grand-chose. A priori, il y avait une trentaine de personnes et aussi au moins dix ou quinze mecs bien armés pour surveiller… Eux, pas de robes ni de masque, juste des tenues de combat et des cagoules.

– Comme ceux qui surveillaient l’emménagement des catacombes cette nuit, compléta Mikhael en ralentissant pour laisser passer un vélo qui semblait avoir oublié qu’il devait rouler sur la route et pas sur le trottoir et donc les passages piétons.

– OK, bon, ben je vais essayer de convaincre Landry avec ça… soupira encore le commandant, fatigué d’avance.

– Bon courage, lui dit Raphael, sincère.

– Un dernier détail, reprit Gabrielle. À confirmer, mais il n’est pas impossible que comment dire… Des collègues à nous soient aussi mêlés à ce bordel. »

Il y eut un silence dans la voiture alors que Mark et Ismael la regardaient, stupéfaits. Les trois autres grimacèrent et Mikhael reprit :

« On vous confirmera et ne vous en faites pas, si c’est le cas, on s’en chargera nous-mêmes.

– Euh, OK… » répondit prudemment Ismael.

Mark s’était repris et demanda :

« Faudra quand même me briefer un peu là-dessus… »

La rue Tronchet était calme et il y avait très peu de maisons individuelles, Ismael arrêta Mikhael devant l’une d’elles.

Mark insista pour l’accompagner, même si Ismael pensait que ça allait.

Le commandant le laissa donc le suivre.

Seule une très faible odeur de gaz restait, la ventilation avait bien fait son office. Mark resta en bas, au salon, pendant qu’Ismael montait lentement à l’étage se changer et se faire un petit sac pour la nuit suivante.

Mark attendit, attentif aux bruits venant de l’étage, regardant le salon confortable et bien rangé, et surtout la DVDthèque, assez éclectique.

Ismael redescendit et ils repartirent sans attendre.

Mikhael déverrouilla le coffre pour qu’Ismael y mette son sac et ceci fait, ils reprirent la direction des locaux de la DGSI.

Ismael se hâta, avec Mark, d’y entrer. Gabrielle et ses compagnons, pour sa part, allaient filer à Fourvière voir de plus près ce qui s’y passait.

Mark et Ismael regardèrent la voiture partir et Ismael regarda son acolyte :

« Pas besoin de vous préciser qu’on parle pas du dernier détail ici ?

– Effectivement, pas besoin. »

Il ouvrit la porte à Ismael en ajoutant avec un sourire :

« Vu ce que votre colonel porte Gabrielle dans son cœur, il serait tout à fait improductif d’en rajouter. »

L’expression arracha un sourire à Ismael :

« Improductif, ouais, c’est le moins qu’on puisse dire… »

Bastien les accueillit avec un soulagement palpable :

« Commandant, Mark ! Vous allez bien ?

– Ça va, Gandier, merci, répondit Ismael. Et ici, tout va bien ?

– Oui oui, on s’inquiétait pour vous… On a pas réussi à retrouver le taxi qui vous a trimbalé, on avait peur qu’il vous ait emmené dans un autre piège ou pire… On a récupéré votre voiture, elle est sur le parking.

– On a squatté chez un ami à moi, ne vous en faites pas, répondit Mark.

– Le colonel est là ? demanda Ismael.

– Oui, avec le général, ils vous attendent. Ils voulaient vous voir aussi, Leth.

– Pas de problème. »

Mark suivit les deux hommes jusqu’au bureau du général Fridon, parfaitement calme, guettant à droite à gauche les personnes qu’ils croisaient au cas où l’un d’eux exprimerait quoi que ce soit de suspect.

Le bureau du général était grand et clair, bien rangé, et l’homme lui-même, un grand gaillard d’une cinquantaine d’années à l’air grave. Il sourit pourtant avec bonté en voyant Ismael.

« Ah, Commandant, ben alors ? Vous nous avez fait une belle peur !

– Mes respects, mon général, mon colonel, et désolé, la nuit a été compliquée…

– Vous allez nous expliquer ça, fit sèchement Landry, qui les toisait sévèrement, bras croisés.

– Mark Leth, je suppose ? continua le général en venant tendre la main à Mark qui hocha la tête, avant de lui tendre sa main gauche, tournée de façon à ce qu’il puisse tout de même la serrer.

– Mes respects, Général, enchanté de vous rencontrer.

– De même, et merci de votre aide… Qu’est-ce qui vous est arrivé ?

– Oh, rien de grave, quelques petits pisseux qui nous ont cherchés hier soir… J’avais besoin de m’entraîner un peu, ça m’a fait du bien.

– Qu’est-ce que vous faisiez hier soir ? demanda Landry, sceptique.

– Un rendez-vous dans le Vieux Lyon avec un informateur qui n’est jamais venu, expliqua Ismael, mais on a croisé quatre petits fachos qui ont voulu en découdre, alors bon…

– J’ai décousu. » compléta Mark.

Fridon gloussa.

« Bien, et donc, messieurs, pouvez-vous nous expliquer votre petite escapade de cette nuit ? »

Mark laissa Ismael expliquer ce qui s’était passé, du coup de fil de son mystérieux informateur jusqu’à l’annonce de la fuite de gaz chez lui et du début d’incendie dans la chambre d’hôtel de Mark et leur décision de se planquer pour la nuit.

« Des amis à vous, donc ? demanda Fridon à Mark.

– Un vieil ami de mon père, confirma posément ce dernier.

– C’est bien tombé…

– Oh, il n’aurait pas été là, ce ne sont pas les hôtels discrets qui manquent dans votre jolie ville. »

 Le flegme de Mark semblait intriguer Fridon.

Le général retourna s’asseoir à son bureau, pensif.

« Sinon, dit-il, nous avons vu votre… amie… Gabrielle, ce matin… C’est elle qui est venue vous chercher là où vous étiez ?

– Hm hm, opina Ismael.

– Je sais que vous l’aimez bien et que vous lui êtes très reconnaissant de vous avoir aidé lorsque vous avez été blessé, mais je vous rappelle tout de même que nous ignorons toujours d’où elle sort et si elle est fiable…

– Je sais, mon général, mais moi, j’ai parfaitement confiance en elle.

– Vous l’avez laissée montrer une scène de crime à deux autres parfaits inconnus ! pesta Landry.

– Dont un qui a reconstitué les dessins effacés, remarqua Mark avec un petit sourire en coin.

– N’allez pas me dire que vous croyez à ces délires ésotériques !

– J’ai vu la salle avant et après le passage de Raphael, répondit posément Mark.

– Et de toute façon, ce n’est pas le problème d’y croire nous, les interrompit Ismael avec humeur. Les personnes qui font ça y croient et elles ne vont pas s’arrêter. »

Il y eut un silence avant que Fridon ne reprenne avec calme :

« Avez-vous une nouvelle piste ?

– Gabrielle et ses amis pensent qu’ils vont remettre ça dans les catacombes, sous Fourvière, dans deux jours, à la pleine lune. »

Le général posa ses lèvres sur ses mains jointes, devant lui, en soupirant.

« D’après eux, il y a des mouvements depuis hier soir, ils commenceraient à s’installer. »

Fridon hocha la tête.

« Bien. Landry, prenez des hommes et allez vérifier ça. Nous verrons si ça se confirme. »

Landry souffla, énervé :

« À vos ordres, mon général. »

Il sortit.

Il y eut un nouveau silence avant que le général ne reprenne :

« Ismael, j’apprécie vraiment votre dévouement sur cette affaire, mais ne vous en rendez pas malade non plus… Il faut vous ménager un peu. Je sais que vous n’aimez pas l’entendre, mais c’est la vérité, ajouta-t-il comme Ismael se renfrognait. Vous restez fragile et il ne faut pas que vous en fassiez trop. »

Ismael détourna les yeux en maugréant sans répondre.

« Reposez-vous un peu pour aujourd’hui, nous verrons ce que Landry nous dira sur ce qui se passe à Fourvière. Je sais bien que vous ne l’aimez pas beaucoup, mais vous pouvez lui faire confiance là-dessus. Il ne compromettra pas une enquête pour vous embêter. »

Ismael ne répondit pas et Fridon reprit pour Mark :

« Monsieur Leth, navré de vous avoir mis en danger, et si vous voulez lâcher cette affaire, je ne pourrais que le comprendre. »

À la surprise des deux officiers, Mark eut un petit rire avant de répondre :

« Il en faut un peu plus pour me faire peur, Général, ne vous en faites pas. Je finis toujours les boulots pour lesquels on m’embauche. Vous pouvez compter sur moi jusqu’à ce que cette affaire soit résolue.

– Bien, comme vous voulez… »

Fridon n’insista pas :

« Dans ce cas, rompez, messieurs, et tenez-moi au courant de la moindre avancée.

– Bien sûr, mon général… » répondit gravement Ismael.

Il sortit avec Mark qui lui sourit :

« Alors, on fait quoi ?

– On va déjeuner à une heure normale ?

– Ça me va ! »

 

*********

 

Bastien ne les avait pas accompagnés, cette fois, réquisitionné avec une dizaine d’autres par Landry pour son expédition à Fourvière.

Mark avait repéré un bon restaurant non loin des locaux et il y emmena Ismael qui regarda l’enseigne avec surprise.

« Euh, un trois étoiles… ? Je pensais plus à un petit truc pas cher et rapide ?

– Je vous invite, si ce n’est que ça. Je pense juste que nous aurons la paix ici.

– Bon, si vous voulez… Après tout, on a le temps… »

Mark lui tint la porte alors qu’Ismael ajoutait avec un sourire en coin moqueur :

« … Et à quand le bouquet de roses ?

– Ne me tentez pas. »

Mark n’eut aucun mal à leur obtenir une table isolée.

Ismael s’assit avec un soulagement visible.

« Il faudra que j’aille reprendre mes médocs dans la voiture…

– On finira le joint ce soir, sinon… »

Ismael gloussa :

« J’admets, j’admets, ça m’a fait du bien.

– Je ne comprends pas l’obstination de votre pays à ne pas l’autoriser, surtout sous sa forme médicale.

– Trop vaste débat pour ce midi. Pourquoi vous vouliez un endroit où nous aurions la paix ?

– J’adorerais vous dire que c’est pour continuer à vous draguer, mais j’ai pensé à quelque chose pendant notre petite entrevue avec votre général et je voulais vous en parler seul à seul. »

Ismael fronça les sourcils.

« Je vous écoute…

– Je pense que l’expédition de Landry va être un échec. »

Ismael sursauta, mais le serveur les interrompit en venant leur apporter les menus. Ni l’un ni l’autre ne prirent d’alcool cette fois, et dès qu’ils furent seuls à nouveau, Ismael reprit :

« Comment vous en êtes arrivé à penser ça ?

– On sait qu’il y a une taupe chez vous. Landry est parti avec plus de dix hommes, ce qui n’a pas pu ne pas se voir dans vos locaux, donc, la probabilité que cette taupe ait prévenu ses potes et que Landry ne trouve rien de probant en arrivant sur place est tout sauf nulle… En plus, il y allait déjà à contrecœur, puisque suite à vos infos, infos qu’en plus vous avez dit tenir de Gabrielle qu’il ne peut vraiment pas encadrer, alors peu de chances qu’il fasse beaucoup d’efforts et retourne toutes les catacombes pour vérifier. »

Ismael, pensif, finit par hocher la tête :

« Je ne comprends pas…

– Quoi ?

– Landry est un con, mais ce n’est pas un mauvais agent… Au contraire. On ne peut pas se blairer, OK, lui comme moi, j’assume, il me pète les couilles. Mais il n’est pas idiot, je ne comprends pas que cette affaire le braque comme ça !

– Est-ce que vous pensez qu’il y a un risque que ce soit lui, la taupe ? »

Ismael soupira encore, silencieux, avant de dénier du chef :

« Franchement, je ne pense pas… On était de garde tous les deux la nuit des premiers meurtres, bon, pas celle du troisième, mais… Je ne le vois vraiment pas partir dans un délire de ce genre… Même un autre, d’ailleurs, c’est un connard, mais il est réglo ! »

On leur apporta leurs entrées et Mark reprit après un moment :

« Ce que je voulais surtout vous dire, c’est que si jamais Landry revient sans rien, il ne faudrait pas que vous pétiez un câble pour rien… Il faudra juste qu’on agisse autrement. On a d’autres alliés. »

Ismael avala sa bouchée de salade et remarqua, curieux :

« Gabrielle et ses amis ont gagné votre confiance d’un coup, c’est marrant.

– Je suis méfiant, mais pas parano. Et puis, j’ai un très bon feeling pour ça. Vous avez gagné la mienne assez vite aussi. Maurice a raison, ces trois-là sont des drôles d’oiseaux… Sérieusement, des gens bizarres, j’en ai connu, mais jamais comme eux. C’est évident que cette histoire est bien trop anormale pour nous. Mais si elle ne l’est pas pour eux, c’est qu’on a sacrément besoin de leur aide.

– Ça, je n’en doute malheureusement pas… Je n’aurais pas été la chercher sans en avoir le droit, sinon.

– Nous sommes d’accord.

– Alors, vous avez un plan B ?

– Ouais. Je vous l’ai dit. J’ai toujours des roues de secours. »

 

********* 

 

Bastien et Mark buvaient un café, tranquillement, dans la salle de pause, attendant la fin du debrief entre Fridon, Landry et Ismael.

Comme Mark l’avait prédit, l’inspection n’avait rien donné. Landry était furieux et ça avait l’air de chauffer dans le bureau du général.

Bastien était fatigué et très inquiet. Lui était très sceptique, il avait quand même eu une drôle d’impression sur place, mais Landry avait refusé qu’ils fouillent plus en profondeur et ils étaient rentrés bredouilles.

Landry finit par sortir du bureau, toujours rouge de colère, et s’arrêta devant les deux hommes :

« Réunion dans 10 minutes, on reprend du début !

– Euh, à vos ordres, mon colonel… »

Ismael suivit, plus fatigué qu’énervé, et les rejoignit aussi :

« Mark, on se rentre. »

Mark retint son sourire, hocha la tête et se leva alors que Landry se tournait vers le commandant pour crier :

« Comment ça, réunion dans 10 minutes, j’ai dit ! Vous pensez pouvoir aller où, là ! »

Ismael lui répondit sans ciller, droit dans les yeux :

« Chez mon médecin. Désolé, mais il se trouve que je souffre beaucoup, à cause de la pression de cette affaire, et que je vais donc devoir m’arrêter un jour ou deux le temps de me reposer. »

Il sourit :

« Toutes mes excuses, mais vu que de toute façon, vous considérez que mes investigations n’ont servi à rien et ne sont qu’une perte de temps, vous devriez très bien vous passer de moi… »

Landry tremblait de rage, mais Mark s’interposa sans en avoir l’air en disant avec gentillesse :

« Je pense qu’il faudrait mieux que ça soit moi qui conduise.

– Oui, merci. »

Fridon arriva à son tour, plus grave qu’énervé, lui.

« Laissez, colonel, nous allons reprendre tout ça sereinement… Le commandant a effectivement besoin de repos. Filez, et euh, merci de le conduire, Leth. Restez joignable, Evrard.

– Pas de problème, mon général. »

Bastien s’était levé sans rien dire, très inquiet, mais il regarda son commandant s’éloigner avec un air pour le moins peiné. Fridon le vit et lui tapota le bras :

« Ne vous inquiétez pas, cette affaire nous met tous sur les nerfs, ça va aller.

– Oui, oui… »

 

*********

 

Mark s’installa donc au volant et regarda Ismael s’asseoir péniblement à ses côtés, avant de souffler un grand coup.

« L’adresse de votre médecin ?

– Elle est sur le GPS, attendez… »

Le commandant se redressa lentement pour sortir l’appareil de la boîte à gants et l’alluma pendant que Mark démarrait et sortait lentement du parking.

Le passage chez le médecin fut bref, il connaissait son patient et lui fit un arrêt de 72h sans discuter.

Après quoi, les deux hommes repartirent pour rentrer chez Maurice.

Ça commençait à bien rouler et Mark était prudent. Ismael prit le temps d’appeler Gabrielle en chemin, il mit le haut-parleur pour que Mark puisse suivre :

« Oui, Ismael, tu as du nouveau ?

– Landry a été faire une inspection à Fourvière, mais n’a rien trouvé. Du coup, il a envoyé toutes nos théories chier et est parti pour tout reprendre à zéro. Je viens de me faire mettre en arrêt trois jours pour avoir les mains libres. Mark propose qu’on voie ça avec ses potes et qu’on appelle des renforts que quand on sera sur place et face à nos zozos. C’est risqué, mais ils ne bougeront pas sans ça.

Je vois… Mark, tu m’entends ?

– Oui.

Les potes en question, ce sont les deux qu’on a vus ce matin ?

– Oui. Mais Maurice ne manque pas d’autres copains si besoin.

Hmmm, à voir, mais vous quatre plus nous trois, ça devrait déjà faire pas mal. »

Il y eut un bref silence avant qu’elle ne reprenne :

« OK. Les garçons ne sont pas avec moi, je vous propose qu’on se retrouve tous pour dîner chez Maurice et qu’on fasse le point à ce moment-là.

– On y va, là, donc venez quand vous voulez, approuva Ismael.

– Et venez avec une ou deux bonnes bouteilles, ça fera plaisir à Maurice, ajouta Mark avec un sourire, ce qui fit rire Ismael.

Noté ! »

 

*********

 

La pleine lune illuminait le ciel, on y voyait presque comme en plein jour.

Comme prévu, la DGSI n’avait prévu aucune intervention ce soir-là.

Après une étude laborieuse et soignée des plans des catacombes ramenés par Mikhael (et dont Ismael se demandait bien où il les avait trouvés, tant, pour éviter que trop de gens s’y promènent, ces informations étaient secrètes), et l’affirmation de Raphael du lieu précis où risquait de se dérouler la cérémonie, ils avaient décidé de se scinder en deux groupes pour prendre le lieu en étau.

D’un côté, Gabrielle, Mikhael et Raphael, de l’autre, Mark, Ismael, Pao. Ils avaient hésité, mais c’était Maurice qui allait rester au-dehors pour couvrir leur sortie, d’un seul côté, et surtout avertir qui de droit si ça tournait au vinaigre. Ismael avait pris ce qu’il fallait d’antidouleurs pour y aller. Ils étaient tous connectés par un système d’oreillettes et de micros. Ismael avait vraiment été surpris de découvrir l’arsenal et le matériel divers de Maurice… Et sa modernité. Tout était impeccable et parfaitement fonctionnel.

Mark avait sa Kalash dans le dos, son Beretta à la ceinture et aussi son mini-Uzi.

Bien armés, vêtus de tenues de combat sombres et confortables, les deux trios se séparèrent donc, chacun s’approchant de son entrée. C’est en arrivant près de la leur que le groupe de Mark reçut un appel de Mikhael :

« Les mecs, on a un souci.

– Quoi ? » demanda Mark alors qu’ils s’accroupissaient.

Personne ne gardait leur entrée, qui était censée être celle par où tout avait circulé ? Étrange…

« Pour vous la faire simple, il y a une barrière magique qui nous empêche d’entrer. »

Mark, Ismael et Pao échangèrent un regard.

Ismael soupira :

« Lequel de vous deux est le plus rapide ?

– Mark, répondit sans hésiter Pao.

– OK, alors filez voir ce qui leur arrive, on vous attend. Si on doit y aller sans vous, prévenez-nous. »

Mark hocha la tête et partit aussi vite qu’il le put. Il avait la zone bien en tête, il ne tarda pas à rejoindre leurs trois amis.

Personne de ce côté-là, ce qui était normal. Cette entrée était assez loin du point ciblé et bien plus confidentielle, ce n’était pas pour rien qu’ils l’avaient ciblée.

« Ah, Mark, merci… » soupira Mikhael.

Le mercenaire regarda ses alliés :

« Donc, vous n’arrivez pas à rentrer ? »

Mikhael dénia du chef et lui montra du pouce Raphael qui, effectivement, passait sa main sur un mur invisible pour lui, à l’entrée à moitié en ruines de l’antique tunnel.

« Est-ce que tu pourrais voir si toi, tu passes ?

– Oui, si vous voulez… »

Raphael s’écarta et Mark entra sans souci.

Gabrielle soupira avec humeur.

« Je vais les massacrer…

– On verra ça quand on y sera, lui répondit Mikhael. Bon, reviens, Mark.

– On essaye l’autre entrée ? demanda-t-elle.

– Non, soit ils nous y attendent, soit il y aura la même barrière, dit Raphael avec calme.

– Y a pas un truc, genre si j’entre et que je vous invite ? » demanda Mark en ressortant.

Le petit brun lui sourit :

« Vous connaissez vos classiques, mais c’est pour faire entrer un démon ou un damné dans un lieu saint ou une maison, ça. »

Mark le regarda. Raphael réfléchissait, le nez levé vers la lune, étonnamment sérieux. Une fois encore, Mark se surprit à penser qu’il semblait bien plus vieux qu’il ne le paraissait.

« Je sais. Gaby, Mike, venez là. » finit-il par dire en prenant son couteau.

Mark le regarda, incrédule, tailler les doigts de ses amis et le sien pour les faire saigner. Les goûtes de sang se mirent à voleter pour se mêler et venir entre ses mains écartées. Il ferma les yeux en murmurant tout bas une prière et une lumière bleutée apparut. Un instant plus tard, la lumière disparut, enfin presque, car il tenait dans ses mains un petit tube de verre bleuté qui scintillait légèrement.

Puis Raphael vint lui tendre la chose.

« Voilà.

– Euh, oui, merci, répondit Mark en le prenant prudemment. Je suppose que vous m’expliquerez ça plus tard, mais pour le moment, faisons simple : j’en fais quoi ?

– Vous le gardez et lorsque vous serez au plus près possible du lieu du rituel, vous le brisez. Ça nous invoquera sur place illico presto. »

Mark fit la moue :

« Vous ne voulez pas que je le fasse direct à l’entrée, là ?

– Non. »

Raphael lui sourit avec tristesse :

« Je suis désolé, nous vous mettons en danger, mais cette barrière est la preuve qu’ils savent que nous sommes là, et si nous entrons, ils nous sentiront et lâcheront leurs hommes sur nous tout de suite. Seul, vous avez beaucoup plus de chances de réussir à les approcher. Allez au plus près sans vous mettre en danger et appelez-nous quand vous y serez. Enfin, si ça vous va ? »

C’est à ce moment que leurs oreillettes grésillèrent et qu’ils entendirent la voix de Maurice :

« … Ark !… Mark ! Bordel, tu m’entends ?! »

Mark fonça les sourcils, comme les autres, en répondant :

« Oui, Maurice, qu’est-ce qui se passe ?

– Ah, enfin ! Putain, on capte que dalle !… Pao et Ismael se sont fait attaquer !

– Quoi ?! »

Gabrielle et Mikhael se regardèrent, aussi surpris qu’alarmés, alors que les yeux de Raphael se plissaient un instant.

« Je les ai canardés, ils ont décampé, ces bâtards, et Pao est un peu sonné, mais ça va… Par contre, ils ont embarqué Ismael…

– Embarqué… ?

– Rien pigé, quand je suis arrivé, ils disaient que lui, le ‘’Maître’’ le voulait en vie… »

Incrédule, Mark regarda les trois autres. Raphael regarda ses acolytes et dit dans son micro :

« Maurice, occupez-vous de Pao, appelez Gandier et restez du côté de cette entrée à surveiller, ils seront sûrement pas mal à sortir par là. On va les prendre à revers de notre côté.

– OK, répondit de mauvaise grâce Maurice. Faites vite !

– Comptez sur nous. »

Ils coupèrent la comm’ et Raphael regarda Mark :

« Bon, ben bonne chance.

– Merci, répondit le mercenaire en sortant son mini-Uzi et en l’armant. J’ai le chemin en tête, je fais au plus vite, on se retrouve là-bas !

– Sois prudent. » lui dit Gabrielle.

Mark hocha la tête, le visage fermé du tueur qu’il était devenu en un clin d’œil, son instinct se réveillant.

Il s’engouffra dans le tunnel, respirant profondément, parfaitement calme. Il avançait rapidement et sans bruit, juste avec sa petite lampe, très attentif au moindre bruit.

Les couloirs étaient sombres, humides et à moitié en ruines. Il s’arrêta plusieurs fois, éteignant la lampe, en entendant des voix et des bruits de pas. Ça patrouillait quand même un peu…

Mais il parvint à se faufiler et au bout d’un moment, il finit par entendre un chant étrange, des voix qui psalmodiaient dans une langue inconnue de lui. Il était tout proche, il le savait. Il avança, encore plus prudent, jusqu’à apercevoir une lueur. Il éteignit alors sa lampe pour s’approcher tout doucement, plus silencieux qu’il ne l’avait jamais été.

Il finit par arriver sur une petite plateforme située au-dessus de la fameuse salle, restant derrière un rocher pour ne pas se faire voir, et son regard s’assombrit alors qu’il retenait un tremblement de colère.

Au centre de la salle se trouvait un autel sur lequel était cette fois posé un bébé, qui semblait n’avoir que quelques jours. Il dormait, drogué, peut-être, tant la trentaine de personnes qui chantaient autour de lui était bruyante. Toutes en robe blanche, capuches et masques, elles entouraient l’autel et juste à côté de ce dernier se trouvaient cinq personnes, au centre, le prêtre, sans doute, enfin celui qui menait, en tout cas. À sa droite, une silhouette plus petite, une femme, se dit Mark, tenait un plateau sur lequel se trouvaient une coupe et un couteau. À sa gauche, un grand homme costaud qui, lui, ne faisait que surveiller. Deux autres hommes se tenaient derrière. Ces trois-là avaient une épée à la ceinture.

Mark vit Ismael, attaché au sol au fond, les yeux bandés, et gardé par deux gorilles cagoulés et portant des Famas, à vue d’œil.

Son ami semblait mal en point, mais vivant.

Alors que le groupe psalmodiait toujours, le prêtre leva les bras, invoquant il ne comprit pas quoi ou qui dans le bruit ambiant, et prit le couteau.

Mark se souvint alors de ce que leur avait expliqué Gabrielle, qu’il fallait un esprit assez faible pour qu’il ne puisse pas rejeter celui de la personne qu’on voulait réincarner…

Il serra les dents en sortant son Beretta.

Quoi de mieux d’un nouveau-né pour ça, puisque qu’un adulte et un jeune homme n’avaient pas fait l’affaire…

Il visa très soigneusement et tira sans l’ombre d’une hésitation.

On ne touche pas aux gosses.

Le prêtre prit la balle en pleine tête et s’écroula.

Mark bondit pour repartir dans le couloir, il savait qu’en partant vers la droite, il se rapprocherait d’Ismael.

La stupeur, puis la panique, gagna le groupe. Beaucoup se mirent à crier et à courir en désordre vers la sortie, sans savoir qu’entre temps, Bastien, d’astreinte, avait pris sur lui de débarquer avec une vingtaine d’hommes, dès l’appel de Maurice. Ils allaient cueillir la plupart des fuyards sans trop de mal.

Mais pour le moment, à l’intérieur, c’était la panique. Les trois hommes à l’épée regardaient tout autour d’eux, cherchant le tireur, deux, dont celui qui était le plus près de l’autel, avaient dégainé leurs épées. Ceux qui ne s’étaient pas enfuis les avaient rejoints, et les gros bras aussi, dont un des deux qui gardaient Ismael.

Le second n’eut pas le temps de comprendre, il sentit juste qu’on le saisissait par-derrière et la large lame du couteau de Mark lui traversa la gorge sans sommation.

Puis Mark s’accroupit pour trancher les liens d’Ismael, profitant du bordel ambiant.

« Ismael, eh, ça va ?

– Mark… ? »

Mark lui ôta son bandeau :

« Oui, c’est moi, sérieux ça va ? Vous pouvez vous lever ?

– … Ils m’ont foutu un coup de teaser dans le dos…

– Ah merde… »

Ils sursautèrent tous deux en entendant crier :

« PLUS UN GESTE !! »

Mark eut un sourire en coin : 

« Oups. »

Ils étaient repérés et braqués par beaucoup trop d’armes à son goût.

Profitant que ses mains étaient cachées par le corps d’Ismael et celles de ce dernier de son côté, il lui glissa son Beretta dans la main avant de se lever lentement, les mains en l’air, sa paume gauche maculée de son sang et aussi d’un peu de liquide bleuté et de petits bouts de verre.

« Absolument pas désolé d’avoir interrompu votre petite fiesta. »

Un des épéistes s’approcha et gronda :

« Comment as-tu osé, alors que nous allions enfin y arriver !

– Je nettoyais mon flingue et le coup est parti tout seul, ça passerait ?

– Et tu te moques en plus, s’écria un autre en s’approchant aussi, furieux. Alors que nous allions enfin ramener notre Führer à la vie ! »

Ismael, qui se redressait péniblement, tout comme Mark, resta bête avant que le second ne balbutie, les yeux ronds :

« Pardon ? »

Les hommes qui lui faisaient face tremblèrent et reculèrent alors que la voix de Gabrielle, derrière Mark, déclarait froidement :

« C’est une blague, j’espère ? »

Mark jeta un œil derrière lui, plutôt content que leur truc ait marché, avant de frémir tant l’aura de ces trois êtres était à cet instant aussi puissante que menaçante, certes, pas après lui, mais quand même… Elle s’avança devant lui, glaciale.

Les deux épéistes s’étaient repris et l’un d’eux s’écria :

« Abattez-moi ces chiens !! »

Voyant les Famas se dresser, Mark eut le réflexe de saisir le bras de Gabrielle pour la pousser derrière lui, et il lui fallut quelques secondes pour comprendre que c’était inutile. Les balles fusaient en vain, s’arrêtant devant eux, figées dans l’air.

Raphael rabaissa lentement la main qu’il avait tendue alors qu’elles tombaient toutes sur le sol terreux.

Mark le regarda, regarda Gabrielle qui dégagea avec un sourire le bras qu’il tenait toujours, et il décida plutôt d’aller aider Ismael qui regardait tout ça en tremblant. Ce fut pourtant lui qui dit :

« Sérieux, c’est ça votre trip ? Vous voulez ressusciter Hitler ?… »

Sans doute ses nerfs commençaient-ils à lâcher un peu, cette déclaration pourtant très sérieuse fit éclater Mark de rire.

Alors que tous les regardaient, surpris ou en colère, il se tourna pour regarder leurs adversaires et les voyant furieux, il expliqua :

« Non, mais ‘faut admettre, ça fait au moins 30 ans que les nazis ne sont même plus crédibles en méchants de série Z, alors bon, une bande d’allumés qui veut ramener Hitler à la vie, sérieux, j’suis presque déçu du voyage, là ! »

Il y eut un flottement avant que Mikhael admette en croisant les bras, avec un haussement d’épaules :

« Un point pour lui… »

Gabrielle hocha la tête avant de poser ses poings sur ses hanches :

« Bien, si on passait aux choses sérieuses ? Que les quatre enfants d’Eden présents ici se dévoilent et aient le courage de s’expliquer. »

Mark avait rejoint Ismael et s’agenouilla pour l’aider à s’asseoir.

« Ça ira ?

– Ouais, ouais… On va faire pour… »

Mark lui sourit alors qu’Ismael soufflait un coup.

« Ces enfoirés, ils m’ont teasé juste à l’endroit de ma blessure… »

Navré, Mark caressa sa tête :

« Ça va aller… »

Ils regardèrent tous deux Gabrielle lorsqu’elle reprit, toujours aussi froide, et aux yeux de Mark, avec une aura de plus en plus menaçante :

« Vous allez assez payer pour vos actes, n’en rajoutez pas. »

Sentant le vent tourner, plusieurs encapuchonnés filaient en douce sans savoir, donc, qu’on les attendait fermement dehors. Ne restèrent bientôt que les trois épéistes, sept autres personnes et une dizaine des gardes, plus trop sûrs d’eux depuis que Raphael avait stoppé leurs balles d’un simple geste de la main.

Un des deux épéistes qui s’étaient avancés, mais pas celui qui avait ordonné qu’on leur tire dessus, dit alors avec mépris :

« Trois Déchus osent nous menacer de représailles ?! Comme si des vermines de votre genre pouvaient quoi que ce soit contre nous ! »

Mark et Ismael échangèrent un regard pareillement intrigué alors que Mikhael demandait posément :

« C’est moi ou on vient de se faire traiter de Déchus ?

– C’est pas toi. » lui confirma Gabrielle, toujours aussi froide.

Elle inspira un grand coup en croisant les bras.

« Moi, Gabrielle, vous ordonne de vous dévoiler et de vous expliquer. Je ne le demanderai pas une troisième fois. Et je vous déconseille vraiment de déclencher notre colère plus que vous ne l’avez déjà fait. »

Voyant, à l’arrière, la personne qu’il avait pensée être une femme reculer lentement jusqu’à l’autel, Mark se leva d’un bond pour braquer son mini-Uzi sur elle :

« Toi, tu touches pas à ce gosse ! » cria-t-il.

Elle sursauta et le troisième épéiste s’interposa en faisant signe à sa complice d’agir. Elle hésita cependant et cette hésitation suffit à Mark, qui déconnait rarement, surtout quand il y avait un enfant en jeu. Il tira sans hésiter sur l’homme, le touchant au bras gauche. Elle poussa un petit cri et s’enfuit, suivie de quelques autres et l’homme jurait avant de reculer, levant son épée, qu’il tenait de l’autre main.

Cela ne sembla pas émouvoir celui qui avait traité Gabrielle et ses amis de « Déchus », qui cria encore :

« Nous n’avons aucun ordre à recevoir d’un Déchu qui s’est abaissé à s’incarner dans le corps d’une femelle ! »

Mikhael eut un sourire, amusé malgré lui, alors que son amie plissait les yeux :

« Toi, tu cherches vraiment la merde…

– Nous ne sommes pas des Déchus. » intervint Raphael en venant à côté d’elle.

Il avait dit ça avec une douceur étrange, alors que ses yeux scintillaient étrangement.

« Nous ne sommes pas des Déchus, répéta-t-il clairement. Nous sommes des Gardiens. Si vous ignorez la différence, je crois qu’il va nous falloir vous renvoyer d’urgence à Eden réviser vos leçons, les enfants. »

Un troisième encapuchonné vint rejoindre les deux premiers :

« C’est ça, prenez-nous pour des idiots !… Vous vivez comme ces pitoyables mortels depuis des siècles, jamais on ne vous a vus à Eden ! Corrompus par la chair comme ils le sont, vous avez l’audace de nous prendre de haut, et en plus, d’interférer lorsque nous venons pour accomplir notre Sainte Mission !

– Pratiquer de la magie interdite pour réincarner une des pires calamités de l’humanité, vous avec une drôle de notion de votre ‘’Sainte Mission’’… On peut savoir qui vous a mis ça en tête ? demanda Raphael.

– Ouais, parce vu le mal qu’on s’est donné à l’époque pour calmer leurs délires, au petit moustachu et à ses potes, on peut pas dire qu’on ait super envie que vous remettiez le couvert… ajouta Mikhael.

– Des Déchus n’ont pas à… cria le premier.

– OK, là vous l’aurez vraiment cherché ! » le coupa Raphael, plus du tout doux, cette fois.

Sa froideur aurait fait passer celle de Gabrielle pour un chocolat chaud.

Il plaqua ses deux mains l’une contre l’autre devant son visage, poing droit serré dans sa paume gauche à l’index et au majeur dressés.

Le voyant, Gabrielle et Mikhael firent de même sans une once d’hésitation.

Il y eut une étrange lumière qui éblouit l’assistance, l’aveuglant totalement, sauf Mark qui grommela en mettant juste sa main devant ses yeux pour les protéger un peu.

Lorsqu’il l’abaissa, sourcils froncés, il sursauta violemment. Certes, la conversation précédente, et bien des choses avant, l’avait laissé penser à ça, mais les voir sous cette forme, c’était quand même autre chose…

Les immenses ailes noires de Raphael, blondes de Mikhael et châtain sombre de Gabrielle ne laissaient plus de place au doute quant à leur nature réelle.

Le petit brun avait le bras tendu, une nouvelle fois, et une longue faux noire apparut devant lui, qu’il saisit d’une main ferme avant de déclarer d’une voix qui sonnait bien différemment :

« Je suis Raphael, Premier Gardien du Ponant, Veilleur sur cette Terre, je suis Celui qui soigne et sauve, Celui qui protège et Celui qui guide. Je ne crains ni l’Ennemi, ni ses chiens, car je suis sous la main de Iel, qui a créé toute vie et règne sur l’Univers. »

Deux dagues courbes étaient apparues dans les mains de Gabrielle :

« Je suis Gabrielle, Première Gardienne du Levant, je suis Celle qui parle et qui porte les messages, Celle qui veille et Celle qui garde. Je ne crains ni l’Ennemi, ni ses chiens, car je suis sous la main de Iel, qui a créé toute vie et règne sur l’Univers. »

Et dans celles de Mikhael, une longue lance.

« Je suis Mikhael, Premier Gardien du Couchant, je suis Celui qui combat et terrasse, Celui qui lutte et Celui qui vainc. Je ne crains ni l’Ennemi, ni ses chiens, car je suis sous la main de Iel, qui a créé toute vie et règne sur l’Univers. »

Mark pensa sans le dire : Eh ben ça déconne plus !

Raphael dit encore :

« Je vous conseille de foutre le camp, Mortels, de ne jamais reparaître devant nous et de ne plus jamais retoucher aux magies prohibées. Ou craignez notre courroux. Il sera impitoyable. »

Si certains n’avaient pas attendu ce pieux avertissement pour filer, les derniers ne se firent pas prier, sauf celui que Mark avait blessé au bras. Il tremblait, Mark supposa que c’était de colère, et il braqua son mini-Uzi sur lui, méfiant.

Ne restait donc que les quatre « enfants d’Eden », lui et face à eux, Mark, Ismael toujours assis, qui regardait la scène avec plus de sérieux que de surprise, et les trois Gardiens.

Mark regarda, sur l’autel, le bébé qui remua. Peut-être se réveillait-il. L’homme à l’épée était assez proche de lui et Mark ne le quittait pas des yeux, s’approchant lentement. L’homme ne bougeait pas, ne le quittant pas non plus des yeux.

Enfin, l’un des quatre, le seul qui était resté en retrait et n’avait encore rien dit, retira son masque et abaissa sa capuche, découvrant un visage juvénile à l’air un peu perdu :

« … Notre seigneur nous a incarnés pour cette mission…

– Kamiel ! lui cria un de ses comparses, furieux.

– Qui est-il ? demanda Mikhael sans s’émouvoir de l’interruption.

– Oziel… Le Seigneur de l’Ordre… Il a dit que ce monde se perdait et qu’il fallait raviver les flammes de la guerre pour l’achever et déclencher l’Apocalypse… »

Celui qui l’avait interpellé cria de rage et voulut se jeter sur lui, brandissant son épée, mais cette dernière fut bloquée par le mini-Uzi de Mark qui profita de l’effet de surprise pour le repousser violemment, l’envoyant au sol et lui faisant lâcher son épée par la même occasion.

« Eh ben, moi qui croyais que les anges, ça jouait de la harpe dans les nuages, je vous trouve sacrément hargneux ! soupira le mercenaire.

– Maudit sois-tu, Mortel ! lui cria sa victime.

– C’est ça, on lui dira… »

Mark évita de justesse le coup d’épée du cinquième larron, avant de tirer une rafale en aveugle, que l’autre esquiva sans mal avant de s’enfuir, mais par le chemin par lequel lui-même était venu. Comprenant qu’il allait échapper à Maurice et aux autres, il se lança à sa poursuite en jurant.

Gabrielle jura aussi avant de les suivre :

« Mark ! Attends-moi ! »

Indifférent à ça, car confiant en son amie, Mikhael se rapprocha de Raphael et lui dit :

« Si le Seigneur de l’Ordre s’est perdu à ce point…

– Je sais.

– Tu peux le faire ?

– Oui. »

Raphael confia sa faux à son ami, joignit ses mains l’une devant l’autre et inspira un grand coup :

« Ô Iel, daigne entendre la voix de Ton humble Gardien. Daigne m’accorder la venue du Veilleur des Veilleurs, du Gardien de la Vérité, de celui qui est Ta voix partout et de tout temps. Réponds à mon appel, Tabris, Seigneur de l’Éternelle Lumière. »

Un instant passa avant qu’une boule lumineuse n’apparaisse dans la salle, stupéfiants les quatre fautifs, boule qui prit la forme d’un adolescent androgyne, à la peau très pâle, aux cheveux argentés et aux yeux d’un rouge sanglant, paisiblement assis sur l’autel. Cet être sourit avec bonté :

« Iel t’a entendu, Raphael, noble Gardien.

– Béni cela soit-il, répondit Raphael en s’inclinant.

– Nous nous doutions depuis longtemps que le cœur d’Oziel s’était noirci. Merci de nous en fournir la preuve. Je vais ramener ces enfants avec moi et veiller moi-même à éradiquer cette noirceur. »

Les yeux rouges se posèrent sur les quatre enfants qui étaient tombés à genoux devant lui.

« L’Apocalypse viendra un jour. Mais il n’appartient à personne d’autre qu’Iel d’en décider. Et si vous, Novices, avez oublié le respect que vous deviez aux Gardiens, à ceux d’entre nous qui ont choisi une vie de chair pour veiller sur les Mortels, au point de les prendre pour des Déchus, je crois qu’il y a vraiment des choses à revoir à Eden… »

L’être hocha la tête :

« D’autres Mortels arrivent, je ne vais donc pas plus m’attarder. La main d’Iel reste sur vous et euh, veillez aussi sur l’Infant que vous avez fait naître ce soir sans le vouloir et sur celui qui le deviendra sous peu. » 

Tabris disparut aussitôt avec les quatre novices, alors que Raphael et Mikhael échangeaient un regard incrédule.

« Un Infant…?… Mais qui aurions-nous… ? » balbutia le second.

Ils ne purent y penser plus longtemps. Entendant des bruits de course, ils se hâtèrent de reprendre forme humaine.

Un instant plus tard, Bastien arrivait en courant, avec Maurice, Landry et trois autres hommes, bien armés.

Maurice se précipita vers les deux anges :

« Eh, ça va ? Où est Mark ?

– Je suis là, Maurice, lui répondit Mark qui revenait, essoufflé, suivi de Gabrielle qui avait elle aussi rangé ses ailes et ses dagues. Putain, il courait vite ce connard, il nous a semés…

– Un autre ? demanda Landry. Il est parti par une autre voie ?

– Une sortie qui donne à l’est, lui répondit le mercenaire en les rejoignant, à bout de souffle. N’essayez même pas, le temps que vos gars soient prévenus et la trouvent, il aura filé… Vous avez attrapé les autres ?

– Oui, lui répondit Bastien, on devrait tous les avoir… Mais il ne reste plus que vous ?… Ils semblaient dire qu’il en restait encore quatre ? »

Il regardait Mikhael, Raphael et Gabrielle avec scepticisme, mais finit par se dire, comme Landry, que ceux qui les avaient vus « se transformer » avaient plané.

« Ah non non, ils sont tous sortis… répondit innocemment Raphael en venant près de l’autel, prendre doucement dans ses bras le bébé qui couinait. Salut, toi. Comment tu te sens ? »

Mark rejoignit Ismael et s’accroupit pour l’aider à se relever, lentement et délicatement, passant un de ses bras autour de ses épaules.

« Tout doux, tout va bien…

– Ouais, ouais… »

Ils rejoignirent les autres. Landry regarda Ismael et soupira :

« Content de vous voir en vie.

– Pas merci de ne pas avoir bougé votre cul plus tôt pour empêcher ça. »

Sentant la dispute venir, Mark l’interrompit :

« Ils sont arrêtés et l’enfant est sauf, c’est l’essentiel. »

Il regarda Landry et Bastien :

« On vous laisse la suite pour cette nuit ? Ismael a vraiment besoin de repos, là.

– Pas de souci, répondit Landry. Je n’ai pas réussi à joindre le général, mais je sais qu’il était à une soirée officielle au consulat d’Angleterre, il a dû couper son téléphone, j’ai laissé un message. Allez vous reposer, vous ne l’avez pas volé… On va embarquer tout ce petit monde, commencer à voir qui on a, et on fera un premier debrief demain matin, enfin, tout à l’heure… Euh, continua le colonel pour Gabrielle, Mikhael et Raphael, si vous, par contre, vous pouviez rester nous expliquer un peu ce qui s’est passé ? »

Mark hocha la tête et fit signe à Maurice alors que Raphael, qui berçait doucement le bébé qui gazouillait dans ses bras, répondait :

« Bien sûr, il n’y a pas de souci… Il faudrait montrer ce petit bonhomme à un médecin…

– On va voir ça… »

Ismael marchant trop péniblement, Mark finit par s’arrêter avec un soupir pour le soulever dans ses bras. Ismael protesta pour la forme, mais était bien trop à bout pour ne pas se laisser faire. Maurice les éclairait, de toute façon, et ces galeries-là étaient bien plus praticables que celles par lesquelles Mark était passé.

« Pao va bien ?

– Oui, oui, t’inquiète, il était juste un peu sonné, il nous attend… Il les a bien aidés à choper les fuyards…

– Super, il sera pas venu pour rien ! »

Les quatre hommes filèrent sans attendre, désireux d’un bon lit pour s’y écrouler sans sommation, ce qu’ils firent sans autre forme de procès.

 

*********

 

Mark avait quand même tenu à se doucher et, comme Ismael avait encore très mal, il lui avait proposé de l’aider à le faire et aussi de le masser un bon coup. Ismael accepta, trop mal en point pour pouvoir s’en passer.

La douche était vieille et un peu exiguë, mais l’eau était bien chaude et cela fit effectivement beaucoup de bien au commandant. Mark l’aida à se laver avec douceur et sans avoir le moindre geste déplacé.

Puis, une fois dans leur chambre, Mark, aidé d’une lotion orientale un peu pâteuse et très parfumée prêtée par Maurice et dont ils auraient été curieux de connaître la composition, massa longuement son dos et, le sentant enfin détendu, Mark sourit en se redressant.

« Ça va mieux ?

– Ouais… Merci. »

Le commandant, qui était en boxer, allongé sur le ventre, se retourna lentement et sourit aussi :

« Vous savez y faire, dites-moi.

– Et encore, lui répondit Mark en s’allongeant sur le côté. Là, je vous ai fait la version ‘’soft’’.

– Parce qu’il y a une version ‘’hard’’ ?

– Interdite aux mineurs serait plus exact. »

Ismael eut un petit rire :

« C’est horriblement cliché, le coup du massage érotique.

– Ah, mais j’ai jamais dit que j’étais original !… Efficacité garantie, c’est tout ce qui m’intéresse. Vous voudrez essayer ? »

Ismael sourit encore.

« Pourquoi pas, quand je serai un peu retapé…

– J’adorerais vous faire perdre la tête…

– Vantard.

– C’est pas gentil de douter de mes compétences, vous devriez leur faire confiance, maintenant, fit semblant de couiner Mark en faisant la moue.

– J’attends de voir pour ces compétences-là.

– Vous voulez un avant-goût ? » demanda alors Mark avec un sourire cette fois malicieux.

Au tour d’Ismael de faire la moue.

« Mouais, mais allez-y mollo, je suis vraiment crevé.

– Moi aussi, rassurez-vous. »

Mark se rapprocha de lui et caressa sa tête, puis sa joue :

« On verra si on va au fond des choses quand on sera bien reposés…

– Qui va au fond de qui ?… murmura Ismael en fermant les yeux alors que Mark se penchait sur lui.

– Hmmm, vous n’écoutez pas quand je vous parle… »

Mark l’embrassa doucement, mais Ismael passa ses bras autour de son cou pour le garder contre lui et ouvrit la bouche pour approfondir et prolonger la chose.

Mark ne résista pas avec beaucoup de ferveur et l’enlaça aussi.

Le baiser dura, leurs langues se mêlant, jusqu’à ce que Mark se redresse enfin, un peu essoufflé.

« On avait pas dit qu’on y allait mollo ?… »

Ismael opina du chef.

« Si si, on va s’arrêter là… Aucune envie de dormir sur la béquille, hein.

– Moi non plus. »

Mark remonta la couette sur eux et se rallongea. Il sourit en sentant Ismael venir contre lui.

« Fais de beaux rêves.

– Merci, toi aussi. »

 

*********

 

Les deux hommes dormirent bien et Ismael se réveilla en premier, moins tard qu’il l’avait craint. Il soupira d’aise, il se sentait bien, bien mieux qu’il ne s’était senti depuis très longtemps. Il avait l’impression qu’il n’avait pas mal, mais il arrivait que la douleur ne le foudroie au premier mouvement, il bougea donc avec prudence, se tournant lentement sur le côté pour faire face à un Mark qui dormait encore paisiblement, à sa gauche. Mais non, apparemment, il n’avait vraiment pas mal, ce matin-là.

Bon…

La lotion de Maurice devait être sacrément efficace…

Mark rouvrit des yeux vagues, papillonna un peu et sourit.

« Salut.

– Salut, Ismael, comment tu te sens, ce matin ?

– Ben bien… Et toi ? Ça va, ta main ?

– Euh… Ouais… » sembla réaliser Mark.

Il regarda ses deux mains, incrédule.

« La droite ne me fait plus mal et la gauche…

– Quoi, tu t’étais fait mal à la main gauche ?

– Ben… »

Se souvenant qu’il n’avait pas expliqué à son ami ce qui s’était passé la veille avec la barrière et la petite fiole bleutée, il le mit rapidement au courant et acheva en regardant sa paume avec surprise :

« … Cette fiole, je l’ai écrasée dans ma main après t’avoir détaché et filé mon flingue… Et j’ai eu mal parce que ben, c’était un peu du verre… Bon, très fin, mais quand même… Ça m’avait bien entaillé… Après, j’avoue que dans le feu de l’action, j’ai un peu oublié et là… Même pas une cicatrice ?… »

Il fit la moue et haussa les épaules. Ismael lui sourit, amusé :

« Ta lèvre n’a plus rien non plus… Mais bon. Tu t’es brisé une fiole d’essence angélique dans la main… Je ne crois pas qu’il faille chercher une logique…

– Un point pour toi. »

Mark lui fit un petit bisou et se redressa :

« On leur demandera, au pire…

– Ouais… On se bouge ? Il faut retourner au bureau et voir où ils en sont. »

Mark hocha la tête et se leva. Ismael l’imita et lui passa une main en le contournant pour prendre ses vêtements, ce qui fit rire Mark qui répliqua en l’attrapant pour un autre baiser quelque peu plus profond. Ismael se laissa faire avant de le repousser.

« On va être en retard.

– Toi, tu perds rien pour attendre ! »

Ils se préparèrent rapidement et retournèrent aux locaux de la DGSI, avec Pao, mais sans Maurice qui avait du boulot dans son immeuble.

Bastien les accueillit, visiblement épuisé, mais plutôt de bonne humeur.

« Bienvenue, Commandant ! Bonjour, Mark, bienvenue chez nous, Pao !

– Bonjour, Gandier, on en est où ?

– On a bien avancé, … Euh… Vous n’avez pas votre béquille, Commandant ? réalisa brusquement Bastien, très surpris.

– Ben non, j’ai pas mal, donc j’en profite…

– Ah ben tant mieux… »

Bastien se reprit :

« Donc, on a identifié tout le monde, on a pas retrouvé celui qui s’est enfui et qui semblait être leur leader, puisque plusieurs nous ont dit que ‘’le Maître’’ n’était pas là.

– D’accord… Ils savent qui il est ?

– Non, ou en tout cas, ceux qui le savent se taisent.

– Oui, peu probable que vraiment aucun d’entre eux ne le sache. Sinon, on a qui ?

– Et ben du beau monde !… On s’y attendait, mais là c’est remarquable… On a du diplomate, du financier, du politique, du militaire, du juge et de l’avocat, plusieurs étudiants en haute école, de plusieurs nationalités, on a un Belge et deux Autrichiens, globalement du friqué, quoi… Du côté des gros bras, on les a vite identifiés, c’est un groupe de nazillons du Vieux Lyon… Connu pour ses vidéos provoc, son amour des gros flingues, ses harcèlements en ligne, ses ratonnades, la routine pour ce genre de gars…

– Ouais… Et ils voulaient vraiment réincarner Hitler ?

– Ah oui, les plus excités nous l’ont confirmé… D’ailleurs, ils disent aussi que comme ‘’le Maître’’ est toujours libre, il y parviendra et qu’on perd rien pour attendre. »

Mark se retint de rire et Ismael lui jeta un œil avec un sourire en coin :

« Ça, ça serait étonnant… Mais bon, si ça les amuse d’y croire. »

Mark hocha la tête. Peu de chances qu’il y arrive tout seul sans ses angelots, effectivement.

« Landry est toujours là ?

– Oui, il vous attendait pour faire un point avec le général avant de vous laisser la main pour la suite.

– Parfait, et tu pourras aller dormir aussi, je gérerai avec les autres, on va aller voir ça tout de suite… »

Laissant Pao aller faire sa propre déposition, Mark et Ismael gagnèrent le bureau de Fridon et y entrèrent dès qu’on les y autorisa.

Landry, assis et l’air vidé, les salua d’un faible signe de main alors que de l’autre côté du bureau, le général Fridon les salua sans les regarder, lisant avec un air grave l’un des nombreux comptes-rendus d’interrogatoire étalés devant lui sur la table.

« C’est ridicule… finit-il par dire en se redressant, visiblement de mauvais poil. Une secte qui prétend pouvoir réincarner Hitler, c’est absolument ridicule…

– Bien d’accord avec vous sur ce point, lui dit Ismael en venant devant le bureau, Mark restant un peu en retrait, observant la scène sans intervenir pour le moment. Mais malheureusement, les éléments et les témoignages concordent.

– Ou pas ! s’exclama le général. Plusieurs personnes affirment qu’il restait encore quatre membres de leur groupe en plus de leur chef lorsqu’ils se sont enfuis, et quand Gandier et Landry sont arrivés, plus personne à part vous deux et vos trois potes, là, dont en plus, certains délirent sur le fait qu’ils seraient des anges, ou se prétendraient tels ! … Vous croyez qu’un juge avalera ça ? Même en admettant que leur chef se soit enfui, ces quatre types, ils sont passés où, eux ?! »

Ismael croisa les bras :

« Désolé, je me souviens mal, le coup de teaser dans le dos m’avait vraiment mis HS…

– Vos trois ‘’amis’’ n’ont pas été très coopératifs non plus là-dessus.

– Gabrielle, Raphael et Mikhael ? Où sont-ils, d’ailleurs ?

– Filés dès que leurs témoignages ont été enregistrés, répondit Landry en retenant un bâillement. Ils ont juste dit que les choses étaient presque rentrées dans l’ordre. »

Il y eut un silence avant que Mark n’intervienne enfin :

« Et le bébé ?

– Confié à la maternité de l’hôpital de la Croix-Rousse pour le moment, répondit encore Landry. Il va bien, il aurait dans les deux jours, trois peut-être… D’après un aveu, c’est un bébé né sous X que nos amis auraient récupéré en faisant pression sur la sage-femme qui l’a mis au monde, une histoire de dettes… On la cherche.

– Bien vu, soupira sombrement Ismael, s’ils avaient échoué, ils auraient pu se débarrasser de son corps très facilement et cette fois, rien n’aurait pu spécialement attirer notre attention… »

Landry hocha la tête alors que Mark fronçait les sourcils, puis, voyant que le général retenait une grimace en prenant une autre feuille de sa main gauche, le mercenaire plissa un instant les yeux et reprit innocemment :

« Dommage que vous n’ayez pas pu être là. Sinon, bien passé votre soirée au Consulat d’Espagne ?

– Bof, répondit le général, toujours des soirées pénibles à écouter des politicards raconter des énormités, ils sont complètement déconnectés de la réalité… »

Landry bâilla. Ismael ne tilta pas et, voyant son général poser un instant sa main sur son bras gauche en grommelant, il reprit :

« Bien je prends la suite pour que mon colonel et Gandier puissent aller dormir un peu, ça vous va ? D’ailleurs, si vous voulez aller vous reposer aussi… ?

– Vous avez mal au bras, Général ? » demanda Mark.

Fridon lui jeta un œil sombre avant de répondre sèchement :

« Une vieille tendinite, rien de grave.

– Ah oui ? »

Sous les yeux stupéfaits des deux officiers, Mark sortit son Beretta et le braqua sans une once d’hésitation sur le général :

« Votre tendinite, elle ferait pas du 9 mm, par hasard ? »

Landry s’était levé d’un bond alors que Ismael sursautait. Il regarda son général, puis son ami, en ne parvenant qu’à bredouiller :

« Quoi ? »

Landry fut un peu plus vindicatif :

« Ça ne va pas, Leth ! Baissez cette arme tout de suite !

– Hors de question.

– Comment osez-vous…

– Accuser votre général qui vient de dire qu’il s’était emmerdé au consulat d’Espagne alors qu’il devait être, selon vos propres mots, Colonel, au consulat d’Angleterre ?… Alors qu’il a une curieuse douleur juste à l’endroit où j’ai moi-même touché ce fameux ‘’Maître’’ hier soir ? Levez votre manche, Général.

– Vous allez avoir de sérieux problèmes, vous, gronda Fridon en se levant lentement.

– Ne me forcez pas à leur montrer sur votre cadavre, Général. » fut la seule réponse de Mark qui restait parfaitement calme.

Ismael regarda à nouveau son général, abasourdi :

« … C’est vrai, Mark a blessé cet homme au bras gauche…

– Homme qui est resté parfaitement silencieux devant nous, ajouta Mark. Sûrement pour ne pas prendre le risque qu’on reconnaisse sa voix.

– Vous délirez… ! s’écria Landry.

– Question, Colonel. Est-ce suite à une remarque de votre général que vous avez ordonné qu’on cesse la surveillance du premier site ?

– Euh… »

Landry eut un blanc avant d’admettre :

« Si on veut, il m’a dit qu’on avait tout relevé et que nos hommes avaient mieux à faire…

– Bien. Vous a-t-il dit plusieurs fois qu’Ismael faisait n’importe quoi et qu’il ne fallait pas en tenir compte, surtout après qu’il ait appelé Gabrielle ? A-t-il prétendu que la fuite de gaz comme le début d’incendie de ma chambre ne devaient être que des coïncidences sur lesquelles nous avions paniqué ?

– Euh, oui, il a plus ou moins dit ça, oui…

– Et enfin, il vous a confié la tâche d’inspecter Fourvière, au lieu de le confier à Ismael. Pourquoi, sinon parce qu’il savait que vous le feriez en vitesse parce que vous n’y croyiez pas, alors qu’Ismael aurait fouillé à fond et aurait trouvé le site ? Le tout en prévenant ses complices pour être sûr que vous ne trouviez pas le moindre indice. »

Un lourd silence suivit ces mots.

« Vous vous êtes tous les deux fait baiser comme des bleus, les mecs, ajouta le mercenaire, qui n’avait pas baissé son arme, avec un sourire en coin. Votre cher général a joué sur votre aversion réciproque pour vous manipuler, plomber l’enquête et couvrir ses miches.

– Mais pourquoi… ? » balbutia Ismael, choqué.

Landry ne l’était pas moins.

« Bonne question, Ismael, et si j’en crois Interpol, c’est une vieille histoire. »

Fridon tremblait de rage, mais Landry demanda :

« Quoi, Interpol ? Qu’est-ce qu’ils foutent là ?

– Ils vous expliqueront mieux que moi, mais notre cher général est dans leur collimateur depuis un moment. Une de leur agente m’a contacté quand elle a su que je bossais avec vous pour que je vois si je pouvais avoir des infos, voire une preuve pour vous avoir et vous me l’offrez sur un plateau, c’est gentil de votre part. Elle m’a tout raconté… Et vous savez quoi, j’imagine, Fridon, ou devrais-je dire Nepel ?… »

Cette fois, le général sursauta, stupéfait à son tour :

« Mais comment !

– Rassurez-vous, ce n’est pas vraiment après vous qu’ils en ont. Par contre, ils veulent votre père et ils savent très bien que vous êtes en contact avec lui et que c’est lui qui vous a pourri la tête avec sa merde et sa haine des Algériens en général et des Harkis en particulier. C’est aussi pour ça que vous avez ordonné à vos gars d’attraper Ismael vivant hier, hein ? Pour le tuer vous-même, comme vous vous êtes juré de tous les tuer. Comment auraient-ils pu savoir autrement à quel endroit précisément le teaser pour lui faire le plus mal possible ? Garder le nom de votre mère ne les a pas trompés longtemps, vous savez. »

Fridon craqua enfin :

« Misérable fils de pute !

– Laissez ma maman en dehors de tout ça, s’il vous plaît.

– Ces chiens ont tué ma mère ! Vous croyez que j’allais laisser passer ça ?!

– Les tuer tous ne vous la rendra pas, et en plus, ce n’est pas un Harki qui a tué votre mère.

– Qu’est-ce que vous en savez !

– Parce qu’Interpol cherche votre père pour son meurtre en plus de ses crimes de guerre divers ? »

Fridon sursauta, comme Ismael et Landry, et Mark sourit, narquois :

« Votre père vous a menti, Fridon. C’est lui qui a tué votre mère, parce qu’elle avait compris quel malade il était et qu’elle avait fui avec vous… Elle a changé de pays, repris son nom de jeune fille et vous l’a donné. Quand vous êtes rentré ce jour-là, votre père était près de son cadavre, hein ? Et il vous a joué le mari éploré qui venait d’arriver trop tard pour la sauver des méchants Harkis qui vous poursuivaient et voulaient tous vous tuer, vous a dit qu’elle avait fait semblant de le quitter, avec son accord, pour tenter de vous mettre à l’abri. Et vous, comme le gosse choqué que vous étiez, vous avez avalé toutes ses couleuvres sans chercher plus loin, pas vrai ? »

Fridon tremblait :

« Vous délirez…

– Interpol a toutes les preuves. Ils vous les montreront. »

Landry et Ismael se regardèrent, aussi pris au dépourvu l’un que l’autre, et ce fut le colonel qui dit péniblement :

« Désolé, mon général, mais je suis dans l’obligation de vous arrêter. »

Un moment plus tard, toutes les personnes interpellées, Fridon y compris, étaient embarquées pour être conduites en maison d’arrêt. Resté dans les bureaux, Mark avait apporté un café à Ismael, Bastien et Landry, qui étaient sous le choc, comme tout le reste du service, pour dire vrai.

Pao avait confirmé le récit de Mark, puisqu’il était présent lorsque la jolie rousse d’Interpol était venue tout lui expliquer.

Soudain, des bruits de coups de feu les firent sursauter et Mark se précipita à la fenêtre :

« Merde…

– Quoi ? » se précipita Ismael en le rejoignant, alors que Mark ouvrait la fenêtre et sortait son arme avant de renoncer en jurant.

« Fridon a volé une moto d’escorte, il a filé…

– Et merde…

– Ouais, il a été très con, là… »

Mark regardait quelque chose et un instant plus tard, il attrapa une grande plume noire qui tombait lentement là. La voyant, Ismael eut un sourire. Et Mark ajouta très sérieusement :

« Quitte à choisir, ce n’est pas eux que j’aurais choisis pour me poursuivre…

– Ouais, moi non plus… Entre ces trois-là et la maison d’arrêt, j’aurais pris la maison d’arrêt…

– Si après cette nuit, il n’a pas compris à qui il avait affaire, tant pis pour sa gueule, hein. »

Fridon se rendit à la police avant la nuit, très curieusement docile, très curieusement apaisé. Il reconnut tous les faits, dénonça même ceux de sa secte qui n’avaient pas été capturés la veille et donna aux enquêteurs les moyens de retrouver son père, planqué au Luxembourg, sous un faux nom, car les exactions qu’il avait commises en Algérie et ailleurs ne connaissaient pas de prescription.

Au soir, avant de rentrer chez Maurice, Ismael et Mark se baladaient tranquillement sur les quais de Saône, main dans la main, profitant de la douceur du soir et du calme après toutes ses histoires.

Ismael restait plus attristé qu’autre chose. Fridon était un homme qu’il respectait et il avait toujours cru que l’inverse était vrai.

Ils s’assirent sur un banc, regardèrent un moment le fleuve couler en silence, le bras de Mark passé autour des épaules d’Ismael, avant que le mercenaire ne tourne la tête pour jeter par-dessus son épaule :

« C’est fini de faire vos stalkers ? »

Ismael se tourna à son tour :

« Oui, on vous a remarqués, hein. »

Gabrielle et ses deux amis les rejoignirent, amusés.

« Bien, dit Raphael, je pense qu’il n’y a plus de doute.

– Il t’en restait ? » le taquina Gabrielle.

Mark leur sourit :

« C’est à vous qu’on doit la reddition du général, j’imagine ?

– Tu imagines bien.

– On l’a gentiment attrapé pour lui expliquer que pour son propre salut, il devait assumer ses actes et surtout aider à ce que justice soit faite.

– Un petit nettoyage d’âme, quoi. Rien de très compliqué.

– Merci, en tout cas, lui dit Ismael.

– De rien ! C’est à vous qu’il faut qu’on parle, maintenant.

– Cela aurait-il un rapport avec votre petite fiole ? s’enquit Mark.

– Tu l’as brisé dans ta paume, c’est ça ? demanda Raphael.

– Oui. Et ça m’a fait mal. Sauf que ça s’est cicatrisé tout seul très vite. »

Les trois anges se regardèrent et si Mikhael soupira, Gabrielle haussa les épaules et Raphael sourit.

« Une partie de notre essence s’est mêlée à toi… Et ça n’est pas sans conséquence… Pour vous deux. »

Mark hocha la tête et se leva lentement :

« OK, on voit ça autour d’une bonne table ? »

Ismael sourit, tout intrigué, et se leva aussi :

« Je valide, j’ai très faim ! »

Leurs amis approuvèrent et un peu plus tard, ils s’installaient tranquillement à une table ronde, isolée, d’un restaurant fort sympathique.

Ils attendirent d’être servis pour passer au sujet qui les préoccupait. Raphael expliqua très simplement :

« Lorsqu’un Mortel reçoit un peu de notre essence, il devient un Infant et développe souvent quelques capacités particulières. Ça ne te rendra ni immortel ni tout puissant, mais comme tu l’as déjà vu, tu vas guérir plus vite de tes blessures. Tes sens seront sûrement un peu plus aiguisés aussi. Tu n’aurais pas pu nous repérer tout à l’heure, sinon.

– Pas d’ailes en vue ?

– Non, ça ne fera pas de toi un Néphilim non plus.

– Ça existe vraiment, les Néphilims ? demanda Ismael, intrigué.

– Les enfants nés d’un ange et d’un humain sont rares, mais oui, lui confirma Mikhael. Disons que certains d’entre nous ont testé les capacités de leurs corps humains sous toutes leurs formes…

– Et c’est quoi, le rapport avec moi ? s’enquit encore Ismael. Ça a quelque chose à voir avec le fait que je n’ai plus mal depuis ce matin ? »

Gabrielle hocha la tête :

« Vous n’auriez pas échangé quelques fluides corporels hier soir ?

– Euh… A part un baiser plutôt… Appuyé, non… répondit prudemment Mark.

– Ça a suffi, lui dit Raphael. Vos deux auras ont bougé.

– Euh… Est-ce à dire que je ne vais plus jamais pouvoir embrasser personne sans que… ? bredouilla Mark.

– Tu comptes embrasser d’autres personnes que moi ? lui demanda Ismael avec un sourire narquois.

– Pas à court terme, mais mieux vaut le savoir.

– Effectivement, et la réponse est non, sourit Gabrielle.

– Tu as transmis ça à Ismael hier soir, car ton corps n’avait pas fini d’intégrer la chose, disons. Maintenant, c’est en toi, mais ça n’est plus transmissible. Rien à craindre de ce côté pour toi non plus, Ismael. Ça a guéri ta vieille blessure et ça a développé tes sens aussi, pour le reste, il faudra voir à mesure… expliqua encore Raphael. Mais n’allez pas vous mettre en danger juste pour tester !

– Oh, ça pas de risque… répondit Ismael.

– Oui, je suis pas suicidaire. » confirma Mark.

 

*********

 

Dix-huit mois plus tard.

 

« Allez, tu viens me voir, Arthur ?… »

Ismael s’accroupit et tendit les bras vers le petit garçon qui venait de se redresser en s’accrochant au canapé et tourna la tête pour le regarder, sourit et lâcha le meuble pour trotter maladroitement vers lui.

Ismael sourit et le prit dans ses bras pour se relever :

« C’est très bien, Arthur, tu marches de mieux en mieux !

– Atu mass ben !

– Oui, Arthur marche bien.

– Oulé Papa ?

– Il est à la cuisine, tu veux qu’on aille le voir ?

– Vi ! »

Ismael embrassa la joue du petit bonhomme et rejoignit la cuisine où son compagnon s’affairait en chantonnant.

Ismael avait été un peu surpris de la volonté de son ami d’adopter le petit orphelin, quand il avait été confirmé qu’il était bien né sous X sans que la mère n’ait rien laissé pour permettre de la retrouver. Mais il avait laissé faire et avait proposé qu’ils s’installent chez lui. Sa maison était assez grande pour trois et puis il n’avait plus très envie de laisser filer Mark.

Cela dit, ce dernier n’avait pas plus envie de filer, ce qui tombait bien.

Ainsi donc, leur petite vie à trois allait tranquillement depuis.

« Qu’est-ce que tu mijotes ? » demanda Ismael en le rejoignant.

Mark leur sourit :

« Un bon curry de bœuf, c’est une recette que m’a filée Maurice, vous me direz…

– Tant que tu ne mets pas autant de piment que lui…

– Aucun risque ! »

Mark rigola :

« J’ai arrêté de vivre dangereusement, j’ai eu ma dose ! »

Ismael rigola aussi et l’embrassa :

« Et ça nous va très bien. »

 

FIN

 

 

A suivre…

(13 commentaires)

  1. AAAAAAAHHHHHHHHHHHH !!! non mais il peut pas laisser son mignon commandant tout seul dans le lit comme ça !!!! ça se fait pas !!! et si Ismael se réveille tout seul et prend peur ? ou fait un cauchemar ? Faut que Mark l’enlace, le console, le protège !!! c’est son boulot après tout XD

    Sinon, génial ! J’adore ! Et… clin d’oeil pour Pao MDR !!!!

    Vivement la suite !!!!

    1. @Armelle : Eh oh il fait ça qu’il veut d’abord ! Et pis il est grand Ismael, va, il n a vu d’autres ! ^^
      La suite pour Halloween, sûrement ! 🙂

  2. GYYYYYAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHH !!!!!

    Elle est géniale cette histoire !!!! Même si y’a de la récup (*clin d’oeil*) et si on devine (ou pense deviner, je me méfie avec toi ^^) qui est le pion des méchants, bin on sait pas encore qui sont les méchants et pis y’a des persos trop stylés (fan de Mark et Ismael ! Et raph trop mimi ^^)

    Bref, là j’ai vraiment trop hâte ! Merci pour cette super nouvelle et… VIVEMENT LA SUITE !!!!

    1. @Armelle : Merci ^^ ! Et je pense savoir à qui tu penses pour le pion mais eh eh eh tu verras ! ^^
      Et pour ta demande en PV, hmmm, on verra si t’es sage ! ^^

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.