Sous le sapin – Une Histoire de famille 3 (Nouvelle de Noël 2016 :) )

Ceci est une petite nouvelle pour fêter Nowel :3 !! (2016, pour info)

Synopsis : Nous retrouvons notre petite famille préférée qui s’apprête à fêter Nowel…

Pour les nouveaux venus, n’hésitez pas à aller lire les deux nouvelles précédentes, sous peine de gros spoils si vous les lisez après celle-là !!

Ca commençait ici et ça continuait ici !

 

Sous le sapin

Une histoire de famille

Nouvelle de Noël 2016

Ninou CYRICO

 

« … Et c’est donc comme ça qu’Anne d’Autriche et Mazarin ont mis fin à la Fronde et repris le contrôle du pays… Mais cet épisode a profondément marqué le petit Louis XIV qui a donc passé le reste de sa vie à museler la noblesse en en faisant des gentils toutous tellement occupés par le protocole de la Cour de Versailles qu’ils ne pensaient plus à comploter. C’est aussi à cause des magouilles de son oncle Gaston d’Orléans qu’il a toujours été très méfiant envers son propre frère Philippe, ce qui est un peu dommage, puisqu’il avait l’air d’être assez brillant, surtout d’un point de vue militaire… »

L’amphithéâtre était studieux et Guillaume, sur l’estrade, faisait paisiblement son cours tout en surveillant du coin de l’œil Phil qui dessinait sagement au premier rang, Yami couché sur le bois près de lui.

Les étudiants avaient été un peu intrigués de prime abord.

Ce n’était effectivement pas tous les jours que leur professeur arrivait avec un petit bonhomme dans les bras et surtout tenait la porte en sifflant le temps qu’un corbeau n’entre en volant derrière lui pour aller posément se poser sur la grande table de l’estrade.

Guillaume avait souri et était allé asseoir le petit bonhomme au premier rang avant de jeter un oeil au volatile qui regardait l’endroit, curieux.

«Yami, viens là.

– Crôa ?

– Viens avec Phil.

– Oui, viens avec moi !

– Crôa !»

Le corbeau s’était renvolé pour venir se poser près du petit garçon. Guillaume avait caressé la petite tête noire :

«Bon, et sois sage, tête de bois.

– Crôa ! avait protesté Yami, faisant rire Phil.

– Non, mais je suis sérieux. T’étais déjà pas censé venir, tu nous a suivis de force, alors d’accord pour pas te laisser dehors par ce temps, mais tu te tiens tranquille.

– T’en fais pas, Tonton, je le surveille !»

Et devant l’amphi médusé, le cours avait donc commencé avec au premier rang, un petit garçon qui dessinait sagement et un corbeau qui s’était couché près de lui.

«… Oui, Blanchard ?

– Le frère de Louis XIV, c’était pas un homo ?

– …»

Guillaume regarda le jeune homme qui avait dit ça, profondément amusé :

«Mais qu’est-ce que je ferais sans vos questions, Blanchard !!

– Vous vous foutez encore de moi, là, non ?»

La majorité de l’amphi rigolait plus ou moins discrètement.

«… Un peu, reconnut Guillaume en hochant la tête, goguenard. Mais j’avoue que la question est intéressante, je vais donc vous répondre. En fait, outre qu’il est largement prouvée que les orientations sexuelles d’un individu n’ont rien à voir avec ses capacités militaires, puisque j’imagine que c’était ce que vous sous-entendiez, et pour ceux qui en doute, je ne citerai que deux noms : Alexandre le Grand et Jules César, qualifier Philippe d’Orléans d'”homo est juste, à mon sens, un magnifique anachronisme.»

L’amphi était silencieux, partagé entre ceux qui étaient ravis de cette digression improvisée et ceux qui allaient en profiter pour lancer Pokemon Go en douce pour voir s’il y avait une bestiole quelconque à attraper dans cet amphi, autre que le corbeau.

« … Alors, pour mémoire, rappelons que le terme “homosexuel” est apparu dans la seconde moitié du XIXe siècle et que, même si son inventeur était visiblement un sincère défenseur des Droits de l’Homme et des droits de ces fameux homos, bien que lui-même “normalsexuel”, comme il disait, ben on a bien un clivage formel qui est établi entre deux extrêmes, alors que, déjà, la réalité est bien plus complexe. Et ce n’est pas la multiplicité, ces dernières années, des termes pour définir les sous-catégories de genres, entre les CIS, les gays, les lesbiennes, les bis, les mecs, les filles, les non-genrés, les trans, les queers, les bears, les drag-queens, les intersexuels, qu’apparemment il ne faut pas confondre avec les hermaphrodites, les allosexuels, les ambisexuels qui ne sont pas des bis, les emo-sexuels qui ne sont pas des androgynes, ni des ambisexuels, les flexisexuels qui n’ont visiblement rien à voir non plus, pour ne pas parler des pansexuels comme notre ami le capitaine Jack Harkness… »

Guillaume fit une pause pour reprendre son souffle alors que beaucoup riaient dans l’amphi. Le professeur haussa les épaules et demanda avec un sourire :

« Qui a compris cette dernière référence ? »

Une quinzaine de mains se levèrent et il hocha la tête.

« Y a des gens biens dans cet amphi. J’en étais sûr. »

Ça rit encore et il reprit :

« Tout ça pour dire qu’à mon sens, ces questions sont très complexes, parce que ça touche à l’humain, dans ce qu’il a de plus intime, tout simplement. Pour moi, les catégoriser tient en fait du non-sens, surtout a posteriori et avec des termes et des notions qui n’ont aucun sens dans le contexte des époques passés.

« Pour en revenir à Philippe d’Orléans, si vous preniez le Tardis pour aller lui expliquer qu’il est homosexuel, je pense qu’il vous prendrait vraiment pour un fou. Mais tout simplement parce que ça ne voudrait rien dire pour lui. On parle d’un homme qui a eu deux épouses et six enfants. Mariages politiques, mais clairement consommés. Parce que c’était un prince, le frère du roi, et que c’était son rôle. Après, oui, c’était un libertin qui a eu un certain nombre d’amants, dont principalement le fameux Chevalier de Lorraine, mais excusez-moi de vous rappeler que Versailles à l’époque, c’était quand même un fichu baisodrome ! Et ça s’enfilait clairement dans tous les sens !

« Ce qu’on peut dire de Philippe d’Orléans, c’est qu’il n’a visiblement pas eu de maîtresse, ce qui montre des goûts un peu plus définis que la plupart de ses potes. Après, Versailles était aussi un sacré nid de vipères, ce qui explique le dénigrement dont il a été victime dans beaucoup de témoignages, et Louis XIV, un fichu maniaque du contrôle qui ne supportait pas que quelqu’un d’autre que lui soit au centre de l’attention générale et qui, comme je le disais, se méfiait de ce frère à cause des manigances passées de leur oncle.

« Ça n’enlève rien aux qualités qu’il semblait avoir, vraiment. Après, on ne peut bien sûr pas juger de ce qu’il aurait pu donner d’un point de vue militaire sur le long terme, vu qu’il n’a fait qu’une seule campagne, mais il l’a quand même gagnée haut la main et a été acclamé par ses troupes et par les habitants de Paris. C’est d’ailleurs ça qui a déplu à son frère. Pour ceux que ça intéresse, c’est la bataille de Cassel en 1677. »

Il inscrivit ça au tableau et regarda l’heure :

« Bon, voilà. On en a donc fini avec la Fronde et le premier semestre et on a encore 20 minutes. Qu’est-ce que je suis doué, tout de même. Du coup, si vous avez des questions ? »

Un ange passa. Guillaume eut un sourire en venant s’appuyer sur l’avant du bureau et en croisant les bras :

« Sur le cours ou autre chose… Allez-y, faites pas vos timides.

– M’sieur, c’est vrai que vous faites un cours sur la démonologie en troisième année ? demanda une jeune fille, visiblement gothique, en tout cas très sombre, aussi bien d’habits que de maquillage.

– Tout à fait, lui répondit-il aimablement. Si ça vous dit l’an prochain, n’hésitez pas. Par contre, je vous préviens que contrairement à certaines rumeurs persistantes, nous ne faisons d’exercices pratiques sur les rituels et les sacrifices. On étudie plutôt des vieux livres très poussiéreux et des témoignages, surtout les comptes-rendus de procès. Mais c’est sympa aussi.

– Vous avez arrêté les sacrifices de vierges ? lança un garçon et l’amphi rigola quand Guillaume hocha la tête :

– Ouais. Déjà, on en trouvait plus et puis c’était trop chiant à nettoyer. A chaque fois, je me faisais pourrir par le doyen, en plus, il en avait marre de faire refaire la peinture, c’était fatiguant. »

Il laissa les rires se calmer et reprit :

« Autre chose ?

– Comment ça se fait que vous en sachiez autant sur les homos ? demanda le fameux Blanchard.

– Longtemps brûlés avec les sorcières et les hérétiques, voir comme sorciers ou hérétiques. Ça se recoupe. Un des exemples les plus flagrants, c’est le procès des Templiers. Du coup, quand on se penche sur ces sujets, y a des ponts qui font tout seuls. »

Il y eut un silence avant qu’il n’ajoute :

« Rien à voir avec mes propres goûts, si c’était la question. Vous demanderez à ma compagne si vous voulez, elle vous confirmera. Autre chose ?«

Guillaume retint un sourire en voyant quelques mines déçues à l’annonce de son non-célibat. Il savait que pas mal d’étudiantes le trouvaient fort intéressant et certaines ne se privaient d’ailleurs pas pour le lui faire savoir plus qu’explicitement, à coup de décolletés plongeants ou de déclarations parfois très directes. Mais il gardait ses distances plus que fermement, ce qui n’était pas le cas de tous ses collègues.

Une autre jeune femme reposa une question sur le cours. Guillaume répondit tranquillement, leur conseilla un livre ou deux sur la question et la sonnerie retentit, faisant sursauter Yami qui sommeillait. Le corbeau se redressa en croassant vivement, surpris. Phil lui sourit et le caressa pour l’apaiser en disant :

«Ça va, c’est juste la fin de l’école de Tonton !

– Crôa ?…»

Guillaume salua ses étudiants :

«Bonnes vacances et bonnes fêtes à tous ! Et ne vous fatiguez pas trop, il faut être en forme pour les partiels en janvier !

– Et si on peut plus écrire pour cause d’épuisement suite à activité sexuelle intense ? lança un étudiant.

– Vous écrirez de l’autre main !» lui répliqua Guillaume, faisant exploser tout l’amphi de rire, à l’exception de Phil qui sourit en se demandant ce qu’il y avait de drôle.

Guillaume cria encore en rejoignant le petit garçon et son corbeau inquiet par tout ce monde qui bougeait d’un coup :

«Bonnes vacances et révisez un peu quand même !»

Il caressa doucement la tête de Phil :

« Ça va, tu ne t’es pas ennuyé ?

– Non, regarde, j’ai fait des dessins !

– Ah, montre ? »

Yami se rapprocha prudemment de Guillaume et Phil qui tendit plusieurs feuilles à son oncle qui les regarda, souriant doucement.

«C’est à vous, ce petit bonhomme ? demanda aimablement une étudiante qu’il aimait bien, aussi mal fagotée que douée, en s’arrêtant près d’eux.

– C’est mon neveu, mais j’en ai la garde, de lui et de son frère aîné.

– Bonjour ! la salua gentiment Phil.

– Bonjour, répondit-elle gentiment aussi. Et le corbeau ?

– C’est moi qui l’ai trouvé ! lui dit encore Phil. Il était perdu et il avait froid !

– Ah bon ?

– Il s’appelle Yami !

– Yami ?… “Ténêbres” ?…

– Vous parlez japonais ? sourit Guillaume.

– Non, pas vraiment, j’ai juste des années de mangas en VO… Sympa comme nom pour un corbeau.

– Crôa ! approuva Yami.

– Et sinon, vous aviez quelque chose à me demander ? reprit Guillaume.

– Juste si vous aviez d’autres bouquins à me conseiller sur les mythes et les rites celtes ? Celui de l’autre fois était passionnant.

– Ah oui, bien sûr… Vous avez de quoi noter ?»

Un peu plus tard, après avoir salué la demoiselle et lui avoir souhaité de bonnes fêtes, Guillaume retourna sur l’estrade pour ranger ses affaires. Phil, qui avait fait son propre sac, le rejoignit avec Yami qui se posa sur la grande table et sautilla en croassant.

«Il a envie de pipi, dit Phil.

– On va traverser la cour, il pourra faire dans l’herbe.

– On va manger ?

– Oui, on va y aller. Tu as faim ?

– Oui !»

Un peu plus tard, l’enfant était posé devant un bon steak-frites fumant, dans le coin du Resto U réservé aux enseignants. Guillaume s’assit face à lui. Lui avait pris deux steaks, dont un à part dans une petite assiette, qu’il donna à Yami. Le corbeau était bien élevé et mangeait très proprement. Il attendit cependant un peu, sur ce coup-là, que la viande refroidisse.

«Bon appétit ! dit Phil.

– Crôa !

– Bonnap’.»

Guillaume vérifia son portable avant d’attaquer.

«C’est grand, où tu travailles, Tonton !

– Ah ben oui, c’est grand les universités ! Tu es content d’être là ?

– Oui !

– Demain, Tsume et Papy pourront te garder.

– Oui ! Mais je suis content d’être avec toi aujourd’hui !

– C’est gentil.»

Deux collègues de Guillaume arrivèrent, un quinquagénaire encore bel homme et qui le savait trop bien et une sexagénaire encore un peu brune et toute ronde.

«On peut manger avec vous, Guillaume ? demande l’homme.

– Oh, pas de soucis.

– Alors, voilà le fameux corbeau ! sourit la collègue en s’installant à côté de Phil qui la regarda avec de grands yeux, intrigué. Et le fameux petit bonhomme.

– Bonjour, madame !

– Depuis quand tu as un fils ? demanda le collègue en s’asseyant à côté de Guillaume.

– C’est mon neveu. Et pourquoi “fameux” ? Toute la fac est au courant ou quoi ?

– Ben, tu te tapes déjà une réputation super louche de sorcier et voilà que tu te ramènes avec un corbeau ! Sérieux ? Tu l’as fait exprès ?

– Mais non, juré que non ! se défendit vivement Guillaume. Déjà, il est à mon neveu, et ensuite il nous a suivis tout seul ce matin, moi je lui avais dit de rester à la maison !

– Mais il voulait pas rester tout seul ! protesta Phil en fronçant les sourcils.

– Crôa !

– On croasse pas le bec plein, Yami !

– Crôa !»

Le corbeau fit mine de s’hérisser et Guillaume fit la moue avant d’ébouriffer la petite tête noire. Yami protesta encore alors que les humains riaient. Le corbeau lança un regard courroucé à l’historien avant de sautiller jusque Phil pour se coucher à côté de son plateau. L’enfant lui fit une petite caresse.

«Vous avez vu l’histoire du singe volé au Parc de la Tête d’Or ? demanda ensuite la collègue.

– Non, quoi ? demanda Guillaume.

– Ah oui, j’ai vu ça dans le journal, opina l’autre. Mais c’est pas un singe, c’est un lémurien. Un petit maki, je crois… Il est né cet été, il a disparu la nuit d’avant-hier. Apparemment, c’est toute une bande, mais ils savaient pas trop de quoi, qui a forcé le Parc pour aller foutre le bordel et sont repartis avec.

– Houlà, mince !

– Ouais, c’est moche. Un gardien a été blessé, mais les autres animaux vont bien.

– Eh ben, j’espère que c’est pas un crétin qui a voulu faire un cadeau de Noël exotique à sa copine…»

*********

La nuit tombait lorsque Guillaume et Phil quittèrent le campus de Bron. Yami, pour le retour, grimpa dans la voiture. Phil était fatigué, il n’avait pas pu faire la sieste. Guillaume était fatigué aussi. Plus qu’un jour de cours et vacances. Ils annonçaient de la neige, il espérait que le village ne serait pas coincé pendant des jours comme c’était déjà arrivé. Il avait assez de bois et de provisions, mais quand même. Il avait déjà loupé plusieurs jours de cours et même des surveillances d’examens à cause de ça.

Bon, c’était plus par rapport aux étudiants ou aux collègues appelés en hâte le remplacer que ça le gênait… Parce que sinon, rester au chaud chez soi à buller devant un bon feu, c’était plutôt cool.

Allez, hauts les cœurs, mercredi soir vacances et samedi réveillon avec Elena et Johann. Il avait hâte.

La circulation était laborieuse au sortir de Lyon, mais dès qu’ils s’en éloignèrent, ça roula beaucoup mieux. Il faisait déjà nuit noire… Phil s’endormit dans la voiture, Yami couché sur ses genoux.

Guillaume conduisait tranquillement, pas pressé.

Déjà Noël… Dingue, il n’avait pas vu passer l’automne.

Gael et Tsume filaient toujours le parfait amour et le premier avait attaqué le lycée avec énergie, retrouvant avec plaisir ses amis du collègue. Tsume continuait à apprendre le français avec assiduité et se demandait quand même s’il n’allait pas se chercher un petit boulot… Johann était revenu de sa maison de repos en octobre. Il envisageait de rejoindre Gael au lycée en janvier.

Et Elena était finalement restée en France, désireuse de rester près de Johann, chez qui elle vivait, car le garçon qui ne voulait pas retourner en Amérique Latine, et aussi près de Guillaume qu’elle n’avait plus trop envie de laisser non plus, pour le plus grand bonheur de l’historien qui n’aurait jamais osé lui demander de rester.

Elena travaillait désormais avec le vieux médecin du village, Georges, qui vieillissait et était très content d’avoir de l’aide et l’assurance que quelqu’un allait prendre sa suite. Elena, de son côté, cherchait déjà un troisième larron, consciente qu’elle ne pourrait pas gérer seule, car Georges n’était pas le seul médecin vieillissant dans le coin, ni le seul vieillissant tout court.

Guillaume arriva et se gara sous le auvent, avant de prendre doucement le petit bonhomme endormi dans ses bras pour le rentrer sans le réveiller. Phil se blottit contre lui dans son sommeil. Guillaume sourit en le sentant, attendri. Yami les suivit à l’intérieur.

Il faisait bien chaud dans la maison. Yami se posa sur le meuble d’entrée et s’ébroua. Ça sentait bon le feu et la soupe. Tsume, sous sa forme humaine, vint les accueillir :

«Okaeri !

– Tadaïma. Genki ?

– Hm ! Anata ga ?

– Genki.»

Tsume prit délicatement Phil dans ses bras pour permettre à Guillaume de poser les sacs et d’enlever sa veste.

«Tu peux aller le coucher ? Il s’est endormi dans la voiture. Il était crevé, il a pas pu faire la sieste…

Hm ! opina le Japonais. Ton père est dans salon.

– Ah, super. Il va bien ? La route a été bonne ?

– Oui, oui, t’en fais pas. Il y a pas eu souci.»

Tsume partit avec le petit bonhomme. Guillaume se frotta les mains. Bon sang qu’il faisait froid… Un vrai temps de Noël !!

Il suspendit son manteau et se mit en pantoufles avant d’aller au salon déjà décoré d’un beau sapin multicolore et de nombreuses guirlandes et bougies à led.

Il sourit en voyant son père, tranquillement assis sur la canapé, le regard posé sur le feu. Philippe Dalo donnait sans doute une bonne image de ce que serait son fils passé la soixantaine, un grand homme un peu empâté aux cheveux désormais bien plus blancs que blonds, même si Guillaume n’avait pas attendu pour ce dernier point, très courts dans le cas de cet ancien militaire, aux traits très doux et aux yeux clairs paisibles, souvent perdus dans ses pensées ou de vieux souvenirs.

Depuis la blessure à la tête qui avait mis fin à sa carrière, il vivait dans un institut spécialisé, tranquille, devenu aussi gentil qu’incapable de s’assumer. Non pas qu’il ne puisse rien faire, au contraire. Mais il fallait juste le lui dire sans cesse et l’aider. Philippe savait encore très bien se laver, cuisiner, mais n’y pensait plus tout seul. Pas plus qu’il n’avait la moindre notion du temps.

«Bonsoir, Papa.»

Le vieil homme regarda son fils et lui sourit :

«Bonjour, Guillaume. Te voilà rentré ?

– A l’instant ! Comment vas-tu ? Le voyage n’a pas été trop long ?

– Non, non. J’ai dormi un peu, je crois. Ton filleul parle très bien français maintenant. Et il conduit très bien.»

Guillaume hocha la tête. L’institut était bien loin de Lyon et Tsume s’était porté volontaire pour aller chercher le père de son ami, forçant ce dernier à emmener Phil à l’Université, car le petit garçon était déjà en vacances, ce qui n’était le cas ni de son oncle, ni de son frère.

Gael avait cours jusqu’à 18 h, ce mardi soir, et n’allait donc sûrement pas tarder à rentrer, et encore le mercredi matin, puis il serait en vacances aussi.

«Je suis content de te voir, Papa… dit encore Guillaume en s’accroupissant devant lui.

– Moi aussi. Ça me fait plaisir que tu m’invites à Noël. Il y a beaucoup de gens que leur famille oublie, à l’institut. Enfin, ceux qui en ont encore une…

– C’est normal que je t’invite. On a assez loupé ça dans le temps…

– C’est vrai. Je pense que ta mère m’en veut encore, d’ailleurs.

– Oh, tu crois ? Il y a prescription, tout de même…»

Philippe haussa les épaules :

«Je ne sais pas trop. Ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vraiment parlé…»

Guillaume sourit encore.

Impossible pour lui de savoir si son père était lui aussi un médium et voyait réellement des esprits, ou s’il perdait juste la raison et mélangeait le passé et le présent. Sans compter que ce n’était pas incompatible.

«C’est comme Lisa. Je crois qu’elle m’en veut toujours… Ça fait très longtemps qu’elle n’est pas venue me voir.

– Oh, moi non plus, tu sais. Mais il ne faut pas t’en faire, elle fait sa vie de son côté maintenant…

– C’est un peu triste pour ses fils. Elle ne vient pas les voir non plus ?»

Guillaume sourit une nouvelle fois :

«Un peu, mais c’est rare.» 

Ils entendirent la porte d’entrée et la voix de Gael :

«C’est moi !»

Guillaume se releva :

«Bonsoir, Gael.»

Ils entendirent un sac qu’on posait et un peu plus tard, le jeune homme les rejoignit dans le salon, tout sourire malgré sa fatigue. Philippe se leva lentement en s’appuyant sur l’accoudoir à sa droite.

«Bonsoir, Guillaume. Coucou, Papy !

– Bonjour, Gael. Houlà, tu as grandi ? Comment vas-tu ?

– Crevé ! Mais ça va, demain vacances ! Et toi, ça va ?

– Fatigué aussi, la route a été longue. Mais ton ami conduit très bien. Tu es mouillé ?

– Oui, il neige…»

Tsume revint :

«Okaeri, Koi.

– Tadaïma, Tsu.»

Les deux amoureux échangèrent un petit bisou et Gael passa ses bras autour du torse de Tsume pour se blottir contre lui avec un gros soupir.

«Oh, dure journée, Koi ?

– Moui.»

Tsume l’enlaça doucement.

Philippe sourit et Guillaume aussi. Il se souvenait avec un certain amusement du Noël précédent, où les deux jeunes gens, ne sachant pas trop comment gérer le grand-père, n’osaient même pas se frôler en sa présence, jusqu’à ce le soir, au repas, Phil ne demande, très inquiet de cet éloignement soudain, ce qui se passait, les forçant à faire leur coming-out à Philippe qui les avait toisés de son regard doux et dubitatif avant de dire :

«Ah bon. C’est bien.»

Laissant tous les autres coits, enfin à part Phil qui avait souri à son papy :

«Oui c’est bien d’être amoureux !»

Phil ne comprenait jamais, et ne comprendrait jamais, pourquoi le bonheur de son frère embêtait certaines personnes.

«… J’avais des potes comme ça dans le régiment… Le jour où le lieutenant a voulu les emmerder avec ça, on lui est tous tombé dessus. Ils ont plus jamais eu de soucis.» avait encore dit l’ancien soldat en se resservant à boire tranquillement.

Tsume et Gael avaient échangé un sourire. C’était déjà un peu dur pour Tsume de devoir garder sa forme humaine en permanence en présence du vieil homme, il avait donc été soulagé de n’avoir que ça à cacher.

La soirée passa tranquillement. Phil se réveilla un peu avant le dîner et courut sauter au cou de son papy, tout content de le voir.

Le lendemain, Guillaume et Gael partirent courageusement attaquer leur dernier jour. Les deux Philippe regardèrent sagement la télé une bonne partie de la matinée, pendant que Tsume allait faire quelques ultimes courses. Vu le temps annoncé, il ne voulait pas attendre la dernière minute. Lorsque le Japonais revint, un peu avant midi, le grand Philippe vint l’aider à ranger ses courses et lui proposa de préparer le repas de midi. Le petit Phil vint à la rescousse. Lorsque Gael revint, vers 12 h 30, le repas était tout chaud.

Ils mangèrent dans une bonne ambiance, les jeunes toujours émerveillés des récits de l’ancien soldat, qui avait un talent certain pour ne parler de ses voyages qu’en terme de faune, de flore, de rencontres extraordinaires avec des locaux sympas, très loin des réalités sanglantes et morbides de ce qu’il avait dû réellement vivre. A moins que là-bas aussi, il ait eu cette faculté de ne voir que ce qu’il voulait.

Après une petite sieste, Philippe trouva Gael et Tsume blottis l’un contre l’autre sur le canapé, emballés dans le même plaid, et, comprenant que les deux amants avaient sans doute besoin d’une intimité qu’ils n’auraient pas trop dans les jours à venir, il se proposa de prendre son jeune homonyme avec lui et d’aller se promener. En effet, il faisait certes très froid, mais un timide rayon de soleil tentait de percer les nuages.

Ravi, le petit bonhomme accepta et ils partirent avec Yami, ce qui rassura Gael, un peu inquiet à l’idée que son grand-père un peu tête en l’air et son frère encore tout petit ne se perdent, même avec un portable. Aucun risque avec le corbeau, lui saurait les ramener. C’était déjà arrivé…

Les deux Philippe s’habillèrent donc chaudement et partirent.

Ils sortirent vite du village pour aller dans les bois alentour, Phil tout content de raconter à son grand-père qu’il y avait plein d’animaux. Le vieux monsieur écoutait attentivement, tout content lui d’avoir un petit-fils si joyeux et éveillé. Ils marchèrent tranquillement, virent une biche et deux marcassins, beaucoup d’oiseaux, et ils s’apprêtaient à rentrer, car le jour baissait, lorsque Phil tourna la tête et fronça les sourcils.

Il tira la manche de son grand-père :

«Papy, tu entends ?»

Le vieil homme tendit l’oreille et fronça les sourcils à son tour. Des petits cris très faibles leur parvenaient. Phil partit et l’ancien soldat le suivit. Il connaissait ces cris, mais ne se souvenait plus d’où.

Niché sous un buisson, une petite créature repliée en boule, boule de poils couleur crème, couinait en grelottant. Phil s’agenouilla aussitôt, très inquiet :

«Oh !! Papy regarde, il pleure…»

Philippe s’accroupit à son tour, très surpris :

»Ben qu’est-ce qu’il fait là, ce p’tit gars ?

– Il a froid, il veut sa maman…«

Le vieil homme enleva son manteau sans attendre pour emballer la bestiole dedans, prenant bien soin de ne pas oublier la longue queue annelée crème et noire. Trop faible, celle-ci agita ses pattes, mais dut se laisser faire. Ses cris se firent plus craintifs.

«On va t’aider ! lui dit Phil. N’aies pas peur !»

Le petit museau noir flairait et les deux immenses yeux ronds et dorés se posèrent sur le petit garçon :

«Wuip ?

– On va te ramener à la maison et on va chercher ta maman !

– Wuiwuip ?

– Hein Papy ?

– On va l’emmener au chaud, ça oui… Et vite, il est gelé. Et il n’est pas fait pour un temps pareil !

– Crôa ?»

Le corbeau s’était posé près d’eux et les regardait interrogativement.

«Yami, il faut qu’on rentre très vite ! lui dit Phil. Tu peux nous guider ?

– Crôa !»

Yami connaissait ces coins-là par cœur et savait par où passer, et surtout par où faire passer des humains, pour aller au plus court.

La nuit tombait lorsqu’ils rentrèrent à la maison. Gael et Tsume, qui se faisaient une boisson chaude à la cuisine, se regardèrent, intrigués, en entendant le grand-père dire :

«On va le laver avec de l’eau bien chaude… Et après, on le mettra près du feu. Il faut lui préparer à manger, aussi.

– Oui !»

Gael et Tsume sursautèrent en entendant les petits cris de l’animal et sortirent dans le couloir d’entrée :

«Nani ?

– Qu’est-ce qui se passe ?… Houlà, qu’est-ce que c’est que ça ?

– On l’a trouvé dans la forêt… répondit Philippe.

– Mais c’est un singe ?… Dans notre forêt ? Ça vit pas en Afrique, ça ?

– A Madagascar, corrigea gentiment Philippe. C’est un lémurien. Un maki catta. Et celui-là, il n’est pas vieux…»

Il déballa la petite bête toute tremblante, qui flairait craintivement son nouvel environnement en poussant de petits cris plaintifs.

Tsume s’approcha à son tour, mais l’animal cria plus fort, affolé, et tenta d’échapper des bras de Philippe qui ne dut qu’à un réflexe de ne pas la lâcher. Tsume préféra rester à distance, conscient que c’était sûrement son odeur de loup qui paniquait le petit lémurien.

«Pour le moment, on va le rincer et le réchauffer… dit Philippe. Et j’espère que ses pattes n’ont pas gelé… Il y a des fruits ?

– Oui, oui… répondit machinalement Gael, vraiment surpris. On a des pommes, des kiwis, des litchis et des noix, je crois…

– Bon, ça devrait aller…»

Phil tendit la main pour caresser le primate qui tremblant toujours :

«Tu viens ? N’aie pas peur, on va bien s’occuper de toi…

– Wuip ?…

– Oui ! N’aie pas peur !

– Wuip wuip ?…

– Oui, on va aussi chercher ta maman !»

Philippe sourit :

«Allez, à la douche !… Gael, on a de la pommade pour les gerçures, au cas où ?

– Euh… Je sais pas… Je vais regarder…»

Philippe et Phil montèrent à la salle de bain. Tsume recula dans la cuisine le temps qu’ils passent. Gael le rejoignit :

«Eh ben… Sérieux, qu’est-ce qu’elle fait ici, cette bestiole ?»

Tsume haussa les épaules en écartant les bras :

«Wakaranai...»

Un peu plus tard, les deux Philippe redescendirent avec le lémurien encore humide, un peu calmé, emballé dans une grande serviette moelleuse. Il regardait toujours autour de lui en poussant de petits cris, cette fois plus curieux que craintifs.

Philippe alla le déposer sur le canapé, devant le feu, que l’animal regarda craintivement, et Phil s’assit près de lui :

«Ça va ? Tu te sens mieux ?»

Philippe partit à la cuisine voir ce qu’il pouvait trouver.

«Wuip… Wuiwuip ?

– Oui, on va te donner à manger… Tu as très très faim ?

– Wuip !

– On va te donner des fruits…

– Wuip !! Wuiwuip ?

– Je sais pas, mais je suis sûr qu’on va la retrouver !»

Philippe revint avec quelques fruits coupés dans une assiette. La petite truffe noire se mit à remuer vivement, le lémurien tourna la tête et aurait sans doute bondi sur l’assiette s’il en avait eu la force. Ses petites pattes s’agitèrent, ses petites mains tendues vers les fruits :

«WUIWUIWUIP !!!!

– Ça vient, ça vient !» lui répondit Philippe, amusé, en venant s’asseoir sur le fauteuil près du canapé.

Il prit un morceau de pomme et le lui tendit. Les petites mains le lui arrachèrent presque et il l’engloutit goulûment avant de se remettre à couiner en tendant ses mains vers l’assiette. Philippe rit en lui donnant un autre morceau :

«Doucement, tu vas te rendre malade.

– Oui, attention ! lui dit Phil.

– Wuip ?

– Mange doucement !

– Wuip…»

Gael arriva et dit :

«Comment elle va, la peluche ? Mieux ?

– Ça va aller, je pense. Mais il a quand même une patte qui a des gerçures… On a de la pommade ?

– J’ai regardé, on a juste une crème homéopathique…

– Montre ? Ça ne devrait pas lui faire de mal, mais on sait jamais…» 

Les grands yeux dorés les regardaient, tout ronds, alors qu’il mangeait un peu plus calmement. Tsume resta à l’entrée de la pièce et dit :

«Il y a plaid, ça sera mieux que serviette mouillée…

– Ah oui, pas bête…»

Un peu plus tard, repu, sa patte pansée et emballé dans un plaid tout doux, le petit lémurien s’endormit comme une masse, en boule sur le canapé. Phil décida de rester près de lui et les chats, restés à distance, finirent par s’approcher. Yami s’était couché, comme souvent, en haut d’une grande étagère, et toisait tout le monde de là. Les chats s’installèrent autour du nouveau venu, sur le dossier ou les accoudoirs du canapé, ou à côté de Phil.

«C’est un ami, il faut être gentil avec lui ! Il était perdu tout seul dans la forêt.»

Philippe partit prendre un bain, Gael se dit qu’il était temps de commencer à préparer le dîner et Tsume, n’osant toujours pas rentrer dans le salon, alla l’aider.

Lorsque Guillaume rentra, tard, fatigué d’avoir roulé sous une neige de plus en plus drue, il trouva donc son père en robe de chambre, assis au salon avec Phil, ce dernier câlinant un…

Bug.

Un lémurien ?

Guillaume mit quelques secondes à reprendre ses esprits, clignant des yeux, stupéfait. Puis, il s’approcha lentement. Le petit animal le vit et couina :

«Wuip ?

– C’est Tonton ! Il est très gentil ! Il ne faut pas que tu aies peur !

– Bonjour, Guillaume.

– Bonsoir, Papa. Je euh… Je peux savoir ce qui se passe ?

– On a trouvé ce p’tit gars dans la forêt tout à l’heure. Il était presque gelé, mais ça va là, il reprend du poil de la bête !

– Ah.

– Ça va, Tonton ? Tu as l’air fatigué…

– Ouais, ben je le suis. Ça neige de pire en pire, je pense que je suis rentré juste à temps pour ne pas être coincé. Je crois qu’on va pas y couper… Mais bon, on a de quoi manger et de quoi se chauffer… Donc ça ira… Je suis pas inquiet…»

Il y eut un silence. Phil eut un petit rire parce que la longue queue poilue s’agitait et avait effleuré sa joue.

«Non mais sérieusement, un lémurien dans notre forêt ?…

– Ouais, c’est bizarre, admit Philippe en se levant lentement. Je me demandais quand même si ce n’était pas un animal évadé d’un trafiquant ou d’un collectionneur d’animaux illégaux…»

Deux neurones se heurtèrent dans la tête de Guillaume.

«… Le petit volé au Parc… murmura-t-il.

– Pardon ?» le relança gentiment son père.

Guillaume se frotta machinalement les lèvres avant de reprendre :

«Un collègue m’a raconté hier que des gens avaient volé un petit lémurien au Parc de la Tête d’Or la nuit de lundi…

– Ah ? Tu penses que ça serait lui ?

– Ben, ‘faut admettre que ce genre d’animal ne court quand même pas masse les rues sous nos latitudes.

– Oui, c’est dommage. A Madagascar, on en avait toute une colonie pas loin de la base… C’était sympa. Il y en avait souvent qui venaient nous voir… Moi, je les aimais bien.

– Je te crois… Attends, je vais essayer de les appeler…»

La lumière vacilla un instant. Guillaume soupira.

«Papa, au cas où, il y a des bougies dans la commode, là, et des allumettes au bord de la cheminée.

– D’accord.»

Guillaume sortit du salon en pianotant rapidement sur son smartphone, à la recherche du numéro de téléphone du Parc, espérant qu’il y aurait encore quelqu’un au bout du fil numérique. Mais le Parc fermait à 20 h 30 et il était à peine 19 h 20, et ça décrocha.

«Parc de la Tête d’Or, bonsoir ? dit une voix de femme lasse.

– Bonsoir, madame. Euh… J’aurais voulu savoir s’il était possible d’avoir quelqu’un du Parc zoologique, s’il vous plaît ?

– Il est fermé…

– Ah, mais il n’y a personne ?… C’est que… En fait, mon père et mon neveu ont trouvé un petit lémurien en se promenant tout à l’heure, et j’avais su qu’on vous en avait volé un ?… Du coup, je me demandais si ça pouvait être lui…?»

Il y eut un blanc au bout du fil.

Dehors, c’était une vraie tempête et la lumière vacilla à nouveau.

«Allo ?

– Oui… Je ne vous entends pas bien…

– Il y a beaucoup de neige, ça doit brouiller…

– … Mais vous dites que vous auriez retrouvé Zuka ?

– Ben je sais pas… Et là, on est bloqué par la tempête, mais je voulais vous prévenir…

– Euh, je vais essayer de vous passer quelqu’un…»

Guillaume passa sa main dans ses cheveux, faisant les cent pas dans le couloir. Ça frittait sur la ligne. Gael et Tsume sortirent de la cuisine et le regardèrent, intrigués. Enfin, il y eut un clic et une autre voix, masculine cette fois, reprit :

«Allo ? …

– Bonsoir… Excusez-moi, on a une tempête de neige ici, je vous entend mal et j’ai peur que ça coupe…

– D’accord, on … aire vite… Vous disiez… retrouvé Zuka ?

– On a retrouvé un petit lémurien cet après-midi, oui… Est-ce que le votre a un signe particulier pour le reconnaître ?

– …oui, … Elle… dent cassée…

– D’accord… Attendez…»

Guillaume retourna au salon et vint s’accroupir devant le petit primate. Il eut un petit mouvement de recul, se blottissant contre Phil :

«Wuip ?

– Montre tes dents, s’il te plaît ?

– Wuiwuip ?

– Tonton veut voir tes dents.

– Wuip ?

– Je sais pas, mais montre-lui…»

Les grands yeux dorés étaient dubitatifs, mais la petite bête obéit.

«Une incisive en haut ?

– … est ça !

– Bon, reprit Guillaume en se relevant et en caressant la petite tête qui le fixait toujours, avec le même air intrigué que Phil, donc ça doit bien être la vôtre.

– …Adresse… …ercher…

– Vous pourrez pas, trop de neige, les routes sont sûrement coupées là…» 

La lumière vacilla encore. Guillaume tentait de comprendre ce qu’on lui disait :

« … ou… ouvez… gard… eureux…

– Bon sang, je comprends plus rien, désolé… Ecoutez, si vous, vous me comprenez… Elle va bien. On va s’occuper d’elle, et on vous la ramènera dès que possible. Ne vous en faites pas, on va gérer, et promis, on ne va pas la garder.»

Puis il n’y eut plus que de la friture et la conversation coupa. Guillaume soupira. Il n’eut que le temps de penser à rappeler avec son téléphone fixe que la neige décida pour lui en les plongeant brutalement dans le noir.

Phil poussa un petit cri alors que son oncle et son grand-père soupiraient en chœur.

Gael poussa un juron dans la cuisine et les rejoignit à la lueur de son propre portable :

«Une coupure de courant ?

– On dirait.

– Ca va être long ?

– Ca peut… On va sortir les bougies…

– Mince…

– Tu as du réseau ?

– Non, plus rien là… répondit le jeune homme après un coup d’œil à son écran.

– C’est dommage, avant les téléphones marchaient même quand il n’y avait plus de courant, remarqua Philippe.

– C’était le bon temps ! soupira encore son fils en allant fouiller dans le tiroir de la commode. Bon, les bougies sont là… Par contre, je n’aurais pas assez de bougeoirs, on va devoir prendre des assiettes ou des verres…

– Je vais chercher ça…» opina Gael.

Ils allumèrent beaucoup de bougies, la lumière ne revenait pas.

Au bout d’un moment et alors qu’ils s’apprêtaient enfin à passer à table, Gael regarda dehors et grimaça :

«Guillaume ?

– Oui ?

– Tu as eu des nouvelles d’Elena ?

– On s’est appelé cet aprem, pourquoi ?

– Ben, je m’en fais un peu là, pour Johann et elle… Tout fonctionne à l’électricité, chez eux, tu te rappelles ?… Il n’ont pas le gaz, eux, pour le chauffage… Johann voulait, mais il ne l’avait pas fait installer…

– Ah mince, c’est vrai, tu as raison… Mais là, on peut plus les appeler…

– On peut aller les chercher ? demanda le jeune homme après avoir regardé dehors. Ça neige un peu moins fort ? Moi et Tsume ?»

Guillaume comprit le message. Sous sa forme de loup, Tsume pourrait être très vite à la maison de Johann, même avec Gael sur le dos. Ils n’étaient qu’à deux rues, après tout. L’historien rejoignit son neveu devant la fenêtre :

«Fais voir ? Ah oui, c’est moins fort, tu as raison.

– On tente ?»

Guillaume soupira :

«Moi, je tente, avec Tsume s’il veut ?

Haï. Ikkimashiô.

– Tu es sûr, ça ira ?»

Guillaume opina du chef avec un sourire :

«Je suis moins frileux que toi.»

Gael soupira avec un sourire aussi. Tsume en loup ne craignait pas grand chose et Guillaume non plus, car Akh le protégerait si besoin. Ils étaient donc les plus à même d’aller voir ce qui se passait.

«Commencez à manger si vous voulez ?

– Bah, c’est à côté. On peut vous attendre dix minutes…»

Et c’est approximativement le temps qu’il leur fallut pour revenir avec Johann et Elena. Ces derniers, en fait, n’avaient eu besoin que d’un instant pour prendre quelques affaires et les suivre.

Elena était très fatiguée et avait tenue à laisser un mot sur la porte indiquant qu’elle était chez les Dalo si besoin, Johann, pour la part, était plutôt de bonne humeur, plus amusé qu’autre chose par la situation.

Soulagé quand même de les voir, Gael fit chaleureusement la bise à Elena avant d’étreindre Johann qui sourit avant de lui rendre l’étreinte. Puis Gael alla embrasser son loup redevenu humain :

«Merci, toi.

– De rien, Koi

Les deux Philippe vinrent aussi les saluer, le petit tout content et le plus vieux intrigué de les rencontrer enfin, souriant gentiment. Il serra la main de Johann et fit la bise à Elena, heureux de rencontrer la compagne de son grand dadais de fils dont il avait craint qu’il ne finisse vieux garçon, lui dit-il, provoquant un fou-rire général.

Puis, ils allèrent dans la cuisine, car il faisait très faim, pour y trouver Zuka assise sur un plan de travail, en train de manger une pomme.

«Wuip ?»

Johann et Elena restèrent bêtes alors que Phil trottait vers elle :

«Tu avais faim ? Il fallait le dire !

– Wuip !»

Johann croisa les bras, dubitatif, alors qu’Elena regardait Guillaume :

«Tu comptes ouvrir un zoo, avoue ?

– Tout à fait, j’étudie ma reconversion.

– Te connaissant, ça va plus tenir du cirque… lâcha Johann, les faisant rire.

– Ah ben la confiance règne !

– Blague à part, où as-tu trouvé cette charmante peluche ?

– Je plaide non coupable !

– Et moi, j’avoue tout, intervint Philippe. C’est Phil et moi qui l’avons trouvée cet après-midi dans la forêt.

– Elle s’appelle Zuka !» dit Phil.

Ladite peluche les regardait de ses grands yeux dorés, mangeant toujours sa pomme.

«En tout cas, elle a pas l’air trop farouche… remarqua encore Johann.

– Wuip ?

– Elle vient du Parc de la Tête d’Or, apparemment. Elle sait ce que c’est qu’un humain.

– Ah oui, la bestiole qui avait été enlevée lundi, là ? se souvint Elena. Vous l’avez trouvée dans notre forêt ? Sérieux ?

– Ben, ça a l’air. J’ai réussi à avoir le Parc pour voir avec eux, mais ça a coupé avant qu’on finisse…

– J’espère que le courant va vite revenir…»

Tsume s’approcha lentement de Zuka qui recula prudemment en emmenant sa pomme, apeurée. Déjà satisfait qu’elle ne s’enfuit pas en bondissant et en criant, Tsume alla sortir les condiments du placard en faisant très attention à ne pas faire de gestes brusques.

«Bon, allez, on attaque ? dit Gael. Il fait faim, là !

– Merci pour l’invit’.» dit Johann alors qu’ils s’asseyaient tous, un peu serrés, autour de la table.

Tsume posa les plats fumants sur cette dernière avant de s’installer à son tour à côté de son amant.

«De rien, c’est normal… répondit Guillaume.

– On allait pas vous laisser mourir de froid ! renchérit Gael.

– Et de faim, soupira Elena. C’est super, les plaques à induction, en cas de panne de courant.

– Promis, promis, on va passer au gaz… lui dit Johann. Et je vais faire ramoner la cheminée.

– Non, mais t’en fais pas, on aurait survécu…

– Oh, ça, vu ce qu’on a eu au Pérou, j’étais pas inquiet. Trois couvertures en plus et c’est plié. Et puis, on avait quand même un petit moment avant que la maison ne se refroidisse complètement.

– Ah ça, il peut faire froid au Pérou, opina Philippe. Vous étiez en altitude ?

– Oui, assez… Le village était sur un haut plateau.

– Et il faisait pas chaud.»

Guillaume fit le service, à la lueur des bougies. Le repas se déroula dans la bonne humeur et sous le regard de Zuka, assise avec sa pomme sur le plan de travail. Puis ils retournèrent au salon jouer un peu aux cartes, toujours à a lueur des bougies, avant d’aller se coucher. Zuka grimpa avec Phil et dormit avec lui, en boule contre son ventre sous la couverture, bien au chaud.

*********

Au matin, le courant n’était pas revenu. Il neigeait toujours, mais bien plus doucement.

Le premier réveillé fut Philippe.

Il dormait dans l’ancienne chambre de Gael. Il se leva sans tarder, comme à son habitude, et descendit en silence, car il avait retenu que Johann dormait sur le canapé.

Il jeta un œil au salon et effectivement, le garçon était endormi là, sous une couverture et quelques chats.

Philippe alla à la cuisine. Il regarda par la fenêtre. Tout était blanc et calme. Les routes étaient sûrement encore coupées. 

Il resta là, perdu dans de vieux souvenirs d’hiver de son enfance, si loin désormais.

Il y était toujours lorsqu’Elena l’y rejoint, presqu’une demi-heure plus tard.

«Tiens ? Vous êtes là, Philippe ? Ça va ?»

Il la regarda et lui sourit gentiment :

«Ah, Elena. Ça va, merci. Et vous ?

– Oui, oui. J’ai très bien dormi. Vous voulez du café ?

– Ah oui, je veux bien, merci.»

Il s’assit à la table pour la regarder mettre de l’eau à chauffer et sortir la cafetière italienne d’un placard, puisque pas de courant pour la cafetière électrique. Un peu plus tard, elle servit deux grandes tasses et vint en poser une devant lui :

«Vous voulez du sucre ?

– Non, noir, ça me va.

– Comme moi. C’est bien, c’est meilleur comme ça.

– Oui, je préfère.»

Elle s’assit à sa gauche.

«Vous êtes médecin, je crois ?

– Et vous ancien soldat, d’après ce que Guillaume m’a dit ?

– Oui. Je me suis engagé à 19 ans et j’ai été réformé à 47.

– Vous avez beaucoup voyagé, il parait ?

– Sans arrêt… J’ai dû être un père très absent. Le plus long que j’ai fait, c’est six ans à Madagascar. Sinon, Afrique, Asie, Moyen-Orient, un peu en Amérique Latine, mais pas le Pérou. Vous y êtes restée longtemps ?

– Quelques années… Après, j’ai voyagé un moment avant d’atterrir ici cet été.

– Et d’y trouver de quoi avoir envie d’y rester ?

– C’est ça, sourit-elle.

– Ça me fait plaisir que Guillaume ne soit plus seul. Déjà la dernière fois, je l’avais trouvé mieux, avec les enfants. Mais c’est bien qu’il vous ait rencontrée.»

Phil arriva alors avec Zuka dans les bras :

«Bonjour, Papy ! Bonjour Tata Lena !

– Bonjour, Phil !

– Coucou, petit.

– Zuka a faim !

– On a encore des pommes…»

Philippe se leva pour aller chercher ça alors qu’Elena faisait un chocolat au petit garçon. Ce dernier s’assit à table et Zuka s’assit dessus, à côté de lui, la longue queue s’agitant, et couina :

«Wuip ! Wuip !»

Philippe sourit :

«Ça vient, ça vient.»

Il coupa une pomme, éplucha quelques litchis et déposa le tout dans une petite assiette qu’il apporta à la peluche qui se mit à manger sans attendre.

«Eh ben, remarqua Elena, amusée, c’est un vrai petit glouton.

– Si elle est restée sans manger depuis lundi, c’est normal.»

Elena servit Phil et posa aussi du pain et de la confiture sur la table. Philippe tartina une bonne tranche pour son petit-fils qui le remercia, tout sourire. Zuka se pencha pour flairer ça, curieuse :

«Wuip ?

– Nan, c’est pour moi !»

Zuka flaira, puis retourna à ses litchis, pas plus intéressée que ça par la chocolat ou la confiture.

Un peu plus tard, Johann les rejoignit, suivi du corbeau et des chats.

La journée passa tranquillement. Elena et Guillaume firent un tour à la mairie pour aller aux infos, puis un tour chez elle et Johann pour prendre plus de vêtements et ce qui risquait de se perdre dans le frigo, car la panne risquait de durer encore un peu. Ils videraient les congels le lendemain si ça n’était pas revenu.

Quand ils rentrèrent, les garçons faisaient un gros bonhomme de neige dans le jardin.

«Alors ?

– Electricité, ils espèrent avant dimanche, téléphone, aucune idée. Et sinon pour les routes, ils conseillaient les chiens de traîneaux à court terme…»

Elena passa au cabinet vérifier que ça allait, que Georges était là et assurait les rendez-vous, puis visita quelques maisons pour s’assurer que leurs habitants, des personnes âgées isolées, allaient bien, quelques autres où il y avait des malades, avant de rentrer en fin d’après-midi, alors qu’il neigeait à nouveau très fort. 

Elle trouva Guillaume en train de parler avec deux gendarmes :

« … Non, mais sérieux ? Non, mais je sais que j’ai une réputation étrange, mais là, c’est du délire !»

Ils étaient dans l’entrée. Elena enleva son manteau :

«Qu’est-ce qui se passe ?

– Il parait qu’on m’a vu hier soir, en plein tempête, avec un loup noir gigantesque, en pleine rue !»

Elena rit :

«Encore cette histoire de loup ? Non, mais ça tourne à l’obsession !

– Ben, c’est pas qu’on y croit, mais on voulait vous le dire… dit un des gendarmes en se grattant la tête, plus amusé qu’autre chose.

– Moi, je dis que même pour se réchauffer, ‘faut pas abuser de la gnôle !» dit encore la doctoresse.

Ils rirent et elle reprit :

«Je vous confirme que Guillaume a courageusement affronté la neige pour venir nous chercher hier soir, mais ce n’était pas avec un loup, c’était avec Tsume. Qui est brun, certes, mais de là à le prendre pour un loup…»

Trois chats jaillirent du salon pour courir dans l’escalier, poursuivi par un lémurien. Les gendarmes sursautèrent, puis regardèrent Guillaume qui demanda :

«Sinon, on en est où pour les routes ?

– Ils espéraient qu’on serait débloqué dimanche matin.

– Ah, pas avant ?

– Ben, on est pas prioritaire et vu ce qui retombe, là, ça va pas aider…

– C’est sûr…»

Le lémurien repassa dans l’autre sens, cette fois coursé par les chats.

«Eh ben, y en a qui s’amusent… soupira Elena en enfilant ses pantoufles.

– Comme des fous. Et encore, tu as loupé le meilleur, le corbeau en était aussi, tout à l’heure… Ils ont failli renverser le sapin deux fois…

– C’est quoi, cette bestiole ?

– Un maki catta, d’après mon père qui en a connus pas mal à Madagascar.

– Tout à fait, approuva Philippe en arrivant de la cuisine. C’est très gentil, ces petites bêtes. On en avait plein, à la base.

– Vous la sortez d’où…?

– On l’a trouvée dans la forêt hier… Elle était presque morte de froid. 

– Apparemment, c’est celle qui a été enlevée au Parc de la Tête d’Or en début de semaine. On les a appelés, mais on a été coupé par la tempête. On leur rendra dès qu’on pourra… Dès que les routes seront dégagées. En attendant, elle s’amuse avec les chats… Et elle nous épouille aussi quand elle fatigue et qu’elle se pose avec nous sur le canapé…»

La soirée passa aussi tranquillement que la précédente, à la lueur des bougies, encore, et tout le monde se coucha tôt.

L’électricité revint dans la matinée du lendemain, au grand soulagement de tout le monde, car les bougies commençaient à se faire rares. La box téléphone-internet ne redémarrait pas, par contre, et toujours pas de réseau sur les portables.

Mais au moins, le soleil semblait revenu pour quelques jours, ce qui laisserait un répit aux réparateurs d’antenne téléphoniques et de réseaux internet, tout comme aux déneigeurs.

Elena travailla à nouveau une bonne partie de la journée, laissant aux garçons le soin de préparer le réveillon. Lors qu’elle rentra, vers 17 h, Phil était posé sur le canapé avec l’ensemble de la ménagerie, Zuka endormie sur les genoux, en train de regarder un dessin animé, son grand-père lisait sur un fauteuil, près de lui, devant la cheminée, Johann, Tsume et Gael faisaient la cuisine et Guillaume prenait un petit bain.

Elena se dit que c’était bien, les bains, et se fit un devoir d’aller lui tenir compagnie dans la baignoire. Guillaume l’y accueillit avec tendresse.

Lorsqu’ils redescendirent, tout propres et de très bonne humeur, la situation n’avait pas beaucoup évolué en bas, à part que Zuka était réveillée et épouillait soigneusement Lilith qui se laissait faire en ronronnant béatement.

Ils poussèrent un peu le canapé pour installer comme il faut la grande table du salon, pour y manger plus confortablement pour le réveillon. Elena posait les verres sur la belle nappe lorsqu’un chat y sauta, curieux, se coucha là en la regardant poser le reste des couverts, voulut se retourner et bascula dans le vide, se rattrapant in-extremis à la nappe qu’Elena elle-même eut le réflexe de tenir pour ne pas que tout tombe.

Guillaume décrocha immédiatement l’animal, amusé :

«Bon, on se calme, les bestioles ! Ça commence à bien faire, là !

– Encore des tentatives d’abattages de sapin cet aprem ?

– On a récupéré Zuka là-haut trois fois et les chats voulaient la suivre…»

Philippe sourit :

«C’est l’instinct. Ça peut faire des bonds de dix mètres, tu sais. Elle doit se sentir à l’étroit, ici. Ça vit dans les arbres, les makis. 

– Oui, m’enfin, là c’est un sapin de Noël artificiel…

– Ouais, ben on fait avec ce qu’on a !» rit Elena et Guillaume rit aussi et alla l’embrasser.

La table mise avec soin, ils allèrent voir où les trois jeunes gens en étaient dans la cuisine. Ça riait fort et ça sentait très bon.

«Ben alors, c’est comme ça qu’on bosse ? lança Guillaume.

– Tout à fait, monsieur, dans la bonne humeur ! lui répliqua Gael.

Il était debout, Tsume dans son dos, ses bras autour de lui. Johann était assis à table, devant une montagne d’épluchures diverses.

»Mais en vrai, on a fini, ça cuit. Y en a encore pour une petite heure, pour une belle dinde farcie avec amour.

– Et des marrons, ajouta Johann en levant un index. Beaucoup de marrons.

– Parfait ! On va pouvoir lancer l’apéro et les entrées, alors…»

Johann se leva en disant sur un ton très sérieux, l’index toujours levé :

«En entrée, la maison vous propose une salade de chèvre chaud au miel, ainsi que des toasts de foie gras garanti bio, sans maltraitance.

– Ça existe, ça ? sourit Elena.

– Oui, c’est les canards de la vieille Mado, tu sais ? lui répondit Guillaume. Elle fait ça tranquille à l’ancienne, sans violence ni rien, ses canards vivent peinards dans son parc et se gavent quasi tous seuls… Et elle te vend ça une misère parce que ça lui fait plaisir… C’est super bon et comme ça, on a pas trop mauvaise conscience.

– La dinde, pareil, c’est une de celles qui gambadaient près de l’étang, lui dit Gael.

– Et les fromages de chèvre et le miel ?

– Un éleveur qui vient au marché depuis quelques années. Et le miel, c’est l’apiculteur du moulin.

– Ben dis donc ! Tu fais pas semblant quand tu fais dans le local, toi !

– Ben, quand on a tout, pourquoi se priver ? C’est écolo et en plus c’est bon…»

Tsume et Gael nourrirent encore les animaux pendant que Guillaume et son père servaient l’apéritif et que Johann, Elena et Phil mettaient les cadeaux sous le sapin.

Un peu plus tard, tout le monde était à table et trinquait joyeusement.

Le repas se passa dans une très bonne ambiance, entre souvenirs de

Philippe et études comparatives des diverses façons de fêter Noël dans le monde, entre le Japon, le Pérou, la France et quelques autres.

« … Ah bon ? s’étonna Elena. Au Japon, c’est une fête d’amoureux ?

Hm, opina Tsume. Noël, on fait avec son amoureux. La fête de famille, chez nous, c’est Nouvel An.

– C’était un peu pareil dans le temps, ici, dit pensivement Guillaume en faisant machinalement tourner son vin dans son verre. Pépé le racontait, lui, à Noël, il avait une orange et les cadeaux, c’étaient les Étrennes à Nouvel An…

– Bah, les habitudes, ça va, ça vient, c’est tout dans l’idée qu’on s’en fait… dit Philippe. On s’imagine que ça a toujours été ça de partout, alors qu’on ne sait même plus ce qu’ont vécu nos parents et encore moins ce qui se passe à 20 bornes de chez soi… Alors, de l’autre côté du monde…»

Après avoir fait un sort à la dinde et à la salade de fruits, Zuka venant goûter un peu de cette dernière, tout le monde se posa devant la télé pour regarder un petit film en attendant minuit. Philippe s’endormit à moitié devant, mais les autres tinrent bon, et le grand-père fut réveillé à minuit par le cri de joie de Phil, tout heureux de pouvoir enfin aller voir les cadeaux.

Il les distribua avec son frère et tout le monde déballa ses présents dans la joie, les chats et Zuka se mettant très vite à jouer dans les papiers cadeaux abandonnés au sol.

Phil eut deux belles peluches très réalistes, une d’ours et une de tigre, et un livre sur les fauves de la savane.

Gael eut les trois premiers tomes d’un manga, Jabberwocky, et le jeu Final Fantasy XV, devant lequel il bavait depuis des semaines.

Il partagea avec Tsume un petit cadeau qu’ils se faisaient l’un à l’autre, un médaillon en deux parties, deux ailes faites pour être portées chacune par une personne.

Johann, pour sa part, reçut une tablette numérique et deux romans.

Tsume, en plus du médaillon sus-cité, reçut un beau livre de cuisine et trois Blu-rays : Summer Wars, Les Enfants-loups et Le Garçon et la Bête.

Elena reçut le trilogie du Seigneur des Anneaux en blu-rays version longue, la même en livres, dans une très belle édition illustrée, rien d’étonnant quand on savait qu’elle avait avoué à son geek d’historien qu’elle ne connaissait pas ça, et une écharpe immense et sûrement très chaude.

Guillaume, lui, eut la dernière saison de Docteur Who, une réédition du Cycle de Fondation d’Asimov et il s’était aussi payé une nouvelle console…

«Une PS4 Pro ? Mais t’es malade ! sursauta Gael.

– Pas envie que ton FF XV fasse cramer ma vieille PS4, sourit son oncle.

– Pas mal comme excuse ! nota Johann avec une moue de connaisseur.

– Oui, elle m’allait bien, aussi…»

Pour finir, Philippe reçut des livres, une boite de cigare, du bon whisky et surtout un bel album photo que son fils et ses petits-fils avaient préparé avec beaucoup de soin pour lui, contenant de vieilles photos de lui, de ses parents même, de son épouse, de Guillaume et Lisa enfants, ados, puis des plus récentes, de Lisa et ses fils, puis d’eux tous au Noël précédent. Le vieil homme regarda ça avec une émotion visible, très heureux.

Il fallut tout le talent de persuasion de Tsume pour convaincre Gael que non, non, on ne lançait pas le jeu ce soir, non, même pas pour regarder l’intro, on verrait ça au matin, là il était très tard et il fallait aller dormir.

*********

Au matin, Phil était un peu fatigué, car, expliqua-t-il à son oncle et son grand-père qui préparaient du café à la cuisine, Zuka avait fait un cauchemar et pleuré un moment pendant la nuit parce qu’elle voulait sa maman.

Guillaume sourit, prit le petit bonhomme et la peluche dans ses bras pour leur dire doucement :

«C’est promis, dès que la route sera dégagée, on la ramènera à sa maman.

– Promis, hein ? Parce que sa maman elle doit être inquiète, aussi !

– Oui, c’est pour ça, on fera vite.»

Guillaume sourit encore et embrassa son neveu :

«Ça ira, elle te manquera pas ?

– Si, un peu, mais il faut qu’elle aille avec sa maman… C’est trop important, les mamans…»

Guillaume et Philippe échangèrent un regard attendri et l’ancien soldat dit encore :

«Oui, c’est important, les mamans. Mais ça va aller. Il ne faut pas que tu t’es fasses, et il ne faut pas qu’elle s’en fasse non plus.»

La petite bande prenait son petit-déjeuner dans la bonne humeur, un peu plus tard, lorsqu’on sonna à la porte.

C’étaient les gendarmes qui faisaient un tour pour vérifier que tout allait bien et surtout prévenir que les routes étaient dégagées.

Dans l’incapacité d’appeler le Parc, car les téléphones, eux, ne voulaient toujours rien entendre, Guillaume se dit qu’il était encore assez tôt pour pouvoir y aller et être revenus pour déjeuner… Ce qu’il proposa immédiatement. Phil sautilla, tout content, et mise au courant, Zuka se mit à sautiller aussi, Philippe opina. Il allait les accompagner, et Elena décida d’en être aussi, n’étant pas d’astreinte.

Gael, Tsume et Johann approuvèrent. Ils allaient garder la maison et préparer le déjeuner, aucun souci. Et sans doute aussi installer la PS4 Pro et jeter un petit œil à FF XV, mais ça, c’était accessoire.

Phil expliqua bien à Zuka qu’elle devait être très sage dans la voiture. Guillaume installa son neveu dans son siège-enfant, derrière le siège passager, Elena monta elle derrière aussi, Zuka se laissa ceinturer sagement entre les deux, avec pour consigne de se faire toute petite, Philippe se mit à l’avant et Guillaume prit le volant.

La route était très tranquille. A à peine un kilomètre du village, le téléphone de Guillaume sonna plusieurs fois. Il avait des messages. Il profita d’un stop pour donner l’appareil à Elena qui regarda ce qu’il en était et siffla :

«Alors tu a un nombre certain d’appel en absence de trois-quatre numéros… Et plusieurs messages répondeurs…

– Ben écoute-les et dis nous…»

Il s’agissait d’appels du Parc, et aussi de messages des policiers chargés de l’enquête sur la disparition du petit lémurien. Le temps qu’ils écoutent tout, ils étaient sur le périph. Globalement, ils demandaient qu’il rappelle au plus vite, dès qu’il le pourrait, et soit prudent avec Zuka qui restait un petit animal un peu apprivoisé, mais absolument pas domestiqué.

«Tu peux les rappeler pour leur dire qu’on arrive ? demanda Guillaume à sa compagne.

– Ça va être drôle… Ils vont hurler.

– Ouais non t’as raison, on appellera du parking… Sinon ils vont nous demander de nous garer et nous envoyer les flics, ça va être chiant…

– Mouais, on va éviter…»

Lyon était très tranquille en ce matin de Noël, il n’y avait pas neigé et il y avait largement de la place sur le parking de l’entrée sud du Parc. Avant de descendre de la voiture, Guillaume expliqua très calmement à Phil, qui expliqua à Zuka, qu’ils étaient presque à sa maison, mais qu’il fallait bien qu’elle reste avec eux jusqu’à ce qu’ils y soient, car sinon, elle risquait de se perdre dans le grand Parc. Pour plus de sécurité, Phil la prit par une main et Philippe par l’autre.

Ils la tenaient bien et ils firent bien, car dès qu’elle entendit les bruits et sentit les odeurs familières du lieu, elle se mit à sautiller et à couiner, toute excitée.

Guillaume reprit son téléphone et rappela, pour expliquer à son interlocuteur stupéfait que c’était bon, Zuka arrivait.

Ils conduisirent la petit bête qui couinait de plus en plus jusqu’au jardin zoologique, sous les regards stupéfaits des autres visiteurs du Parc, et s’arrêtèrent au bord du canal qui séparait l’île des lémuriens du chemin des visiteurs.

Reconnaissant l’endroit, Zuka se mit à appeler et très vite, d’autres cris se firent entendre dans les hauts arbres de l’île.

Les responsables de l’endroit arrivèrent alors que plusieurs lémuriens sortaient au bord du canal et l’un d’eux le traversa d’un bond qui devait largement dépasser les records de son espèce pour passer par dessus la barrière d’un même mouvement, criant aussi fort que Zuka et Phil la lâcha :

«C’est bon, Papy, c’est sa maman !»

Philippe sourit en hochant la tête et lâcha aussi la petite bête qui sauta sur la nouvelle venue. Les deux responsables, un homme d’une quarantaine d’années et une femme un peu plus âgée, regardèrent ça, puis les Dalo, stupéfaits.

«Eh ben, ça fait plaisir à voir…» soupira Elena en voyant Zuka et sa mère se câliner en poussant de petits cris de joie.

Deux autres lémuriens, ayant sautés un peu moins vivement, approchaient tout de même et l’un d’eux resta derrière la barrière, regardant à travers sans oser approcher, alors que l’autre grimpait dessus.

«Bonjour, salua Guillaume.

– Euh, bonjour… salua l’homme, vraiment surpris. C’est vous qui avez appelé mercredi soir ?

– C’est ça. C’est vous que j’avais eu ? Guillaume Dalo, enchanté. Désolé, on a été bloqué par la neige, téléphone coupé, les routes n’ont été dégagées que ce matin et on avait toujours pas de téléphone… Donc, on s’est dit qu’on allait vous la ramener, c’était aussi rapide.

– Oui, elle voulait sa maman ! intervint Phil.

– Elle va bien, on espère… Elle avait juste des gerçures à la patte arrière gauche, mais là, ça va mieux. Elle se déplace sans souci, elle a assez joué avec les chats pour qu’on le sache… expliqua à son tour Philippe, tranquille.

– Euh… D’accord… Mais euh… Vous l’avez trouvée où ?»

Philippe et Guillaume expliquèrent ce qui s’était passé, alors que Phil, de son côté, allait faire connaissance avec la maman de Zuka et celui qui était assis sur la barrière, qui ne tarda pas à en descendre pour se rapprocher.

Les deux responsables écoutèrent attentivement et racontèrent que de leur côté, un rapide coup de fil anonyme, d’une jeune femme, les avait avertis que l’animal avait été abandonné la nuit même de son vol, car les personnes qui l’avaient trouvé « mignon » en avaient très vite eu marre de l’entendre crier dans la voiture. L’endroit de l’abandon se situait à deux kilomètres de leur forêt, nota Guillaume, distance qu’elle avait dû parcourir au hasard jusqu’à ce qu’eux la trouvent.

« … La police cherche l’auteur de l’appel, sans doute quelqu’un qui culpabilisait… En tout cas, c’est une chance qu’elle soit tombé sur vous… soupira la femme pour Philippe. Il ne doit pas y avoir grand monde dans le coin qui a vécu avec des makis pendant six ans…

– C’est vrai que c’est bien tombé, opina-t-il. Elle va bien, c’est l’essentiel. Et c’est bien qu’elle soit rentrée, mais elle s’est bien amusé avec les chats… Quand j’ai vu qu’elle se mettait à nous épouiller, je me suis dit qu’elle ne devait pas être trop mal avec nous.

– C’est plutôt bon signe, approuva le responsable. Je pense que la police voudra vous interroger, si vous pouvez nous laisser vos coordonnées ?

– Aucun souci, je vais vous laisser ma carte, lui dit Guillaume. Mon père est encore avec nous jusqu’au 3 janvier et moi en vacances jusqu’au 5. S’il faut que nous venions, qu’ils n’hésitent pas.»

Il sortit une carte de son portefeuille et la donna à la responsable qui opina du chef :

«Parfait, merci.

– De rien, je vous en prie.»

Entendant Phil rire, ils le regardèrent, intrigués. Son grand-père le rejoignit :

«Qu’est-ce qu’il y a ?

– La maman de Zuka, elle est gentille, elle a demandé si je voulais rester avec eux !…

– Wuiwuip !

– Oh. Oui, c’est très gentil.

– Oui !…»

Les responsables approchèrent :

«C’est vrai qu’elle a l’air en forme. On va quand même la montrer à nos vétérinaires, pour être tranquilles, mais à vue d’œil, elle va très bien.

– Bon, ben on va vous laisser prendre la suite, alors…

– Pas de problème, la police vous recontactera. Merci, en tout cas, dit encore l’homme en tendant la main à Guillaume.

– De rien, vraiment, elle a été très sympa, et à nous, ça nous fera de beaux souvenirs, répondit l’historien en la serrant. Allez, tu dis au revoir, Phil ? Il faut que Zuka aille voir son docteur.

– Oui ! Dis Tonton, on reviendra la voir ?

– Promis !»

Phil tendit les bras au petit lémurien qui vint s’y blottir un instant :

«Tu as entendu ? Tonton a dit que oui, alors on se reverra !

– Wuip !

– A bientôt !!

– Wuiwuip !!»

Les deux responsables échangèrent un regard intrigué, cet enfant donnait vraiment l’impression que les animaux comprenaient ce qu’il disait…

Les deux lémuriens retournèrent dans leurs arbres, avec les autres, alors que Zuka et sa mère, qui ne la lâcherait pas, allaient faire une petite visite de contrôle.

Guillaume prit son neveu dans ses bras :

«Ça y est, on y va ? Tu es content ?

– Oui ! Zuka elle est à sa maison avec sa maman !

– Et nous, on va rentrer à la nôtre tranquillement.

– Oui !»

*********

Ils trouvèrent les garçons devant la console, sans grande surprise, mais le repas était prêt et la table mise.

La journée continua tranquillement et c’est au soir, au journal régional devant lequel Philippe était posé, qu’ils eurent la surprise d’entendre parler d’eux. En effet, la présentatrice, après les grands titres, annonça :

« … Et c’est une histoire qui se termine bien pour Zuka, la petite maki du Parc de la Tête d’Or disparue lundi soir suite à l’intrusion d’un bande encore non identifiée dans le parc. La petite femelle avait été retrouvée par un grand-père et son petit-fils mercredi après-midi dans les Monts du Lyonnais, alors même qu’un appel anonyme reçu le même jour donnait une piste aux enquêteurs dans la même zone. Bloqués par la neige et privés de téléphone, la famille qui avait recueilli l’animal en a pris grand soin, ont déclaré les responsables de Parc Zoologique, qui n’ont pu récupérer l’animal que ce matin. Zuka a donc retrouvé son enclos et sa mère et va très bien, et c’est tout le personnel du Parc, qui était très inquiet, qui remercie très sincèrement la famille d’avoir sauvé et soigné Zuka.»

Quelques images de Zuka illustraient le propos. Phil et les autres, qui s’étaient approchés, sourirent, tout contents. Le petit garçon tapota des mains, très heureux.

Le vieux soldat hocha la tête :

«C’est bien. Je suis bien content pour elle.»

Gael, qui mettait la table avec Tsume derrière, dit :

«C’est vrai, elle est mieux là-bas. Le sapin était beaucoup trop petit pour elle.

– Ça, c’est bien vrai…» approuva Philippe.

A suivre…

 

(5 commentaires)

  1. coucou
    joyeuses fêtes a toi et merci pour cette nouvelle de noël, j’aime bien retrouver cette famille pour de nouvelles aventures.

    j’espere que tu vas bien

    bisous

    1. @Haelya : Salut !
      Oui, oui, ça va, petit Nowel tranquille en famille et j’ai réussi à étrangler aucun de mes neveux/nièces. ^^
      Merci et prends soin de toi aussi 🙂 ! Bizoux !!

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