Héritages – 1e partie (en ligne, complet)


Synopsis : Alec et les siens sont depuis des générations les gardiens du domaine familial de la famille Ségard, mais il y a bien des années que cette dernière, installée à Paris, s’est éloignée d’eux. Alec veille seul sur la propriété lorsqu’un jour, son patron, Léon Ségard, lui apprend que, suite à la découverte de l’épave du bateau qui a coulé avec son fils et sa belle-fille, son petit-fils Matteo est anéanti. Le vieil homme a donc décidé d’emmener Matteo se reposer au calme dans le vieux manoir. Alec accueille les deux hommes, le vieux monsieur trop occupé par ses affaires et le jeune homme, profondément meurtri, qui essaye de se reconstruire. Alec se fait un devoir de veiller sur le garçon, comme les siens ont toujours veillé sur les Ségard, depuis toujours…

 

Héritages

Roman de Ninou CYRICO

 

Chapitre 1

La discussion était animée, ce soir-là, sur Skype, au moins autant que la partie de Counter Strike qui se déroulait sur les écrans.

« Ils sont à leur base !… cria une voix surexcitée.

– Ah merde, il m’a eu !… Bon, tu es tout seul, Alec…

– Merci, les gars… soupira le susnommé.

– Allez, on va se faire, on est encore trois ! dit une troisième voix.

– Elle est chaude, cette map… Je me mets dans tes yeux, Alec.

– Fais-toi plaisir. Hop, et d’un.

– Eh !… Putain mais t’es où ? Où t’as chopé ce snip’ ? !

– Eh eh eh… Et de deux. Désolé, ma belle.

– Bon, Fred, on compte sur toi !

– Oh, oh, duel Fred/Alec…

– Alec, espèce de planqué ! grogna la voix grave de Fred.

– Tes mots doux ne te sauveront pas, Fred.

– Ah, enfoiré !

– Voilà. Et de trois.

– Joli, Alec !

– Planqué !

– Moi aussi je t’aime, Fred.

– On s’en refait une, les mecs ? » demanda la fille.

Le téléphone sonna sur le bureau, faisant sursauter Alec :

« AFK, les gens. Téléphone, je reviens.

– À tout’, Alec. »

Alec posa son micro casque sur le clavier, passa sa main dans ses cheveux platine ébouriffés et décrocha tranquillement. C’était rare qu’on l’appelle à près de 20 heures.

« Résidence Ségard, bonsoir.

– Bonsoir, Alec, dit un vieil homme fatigué.

– Oh ! Monsieur Ségard, bonsoir ! sourit Alec en se redressant. Ça faisait longtemps ! Que me vaut le plaisir de vous entendre ?

– Oh, pas de très bonnes nouvelles, hélas. »

Alec fronça un sourcil.

«… Nous avons reçu un appel il y a quelques jours… Des plongeurs ont retrouvé l’épave la semaine dernière et deux corps à l’intérieur.

– … Je suis désolé, Monsieur, sincèrement… Je ne sais pas quoi vous dire…

– Il n’y a rien à dire, Alec. Personnellement, je ne m’étais jamais fait d’illusions. Les corps vont être rapatriés, mais il n’y a malheureusement pas de doute, dans la mesure où le bateau a été formellement identifié.

– Je vous présente mes plus sincères condoléances.

– Merci, mais il y a bien longtemps que mon deuil est fait, tu sais. Par contre, c’est un coup dur pour Matteo… Il s’était toujours accroché à l’idée que ses parents avaient survécu malgré tout et la nouvelle l’a anéanti.

– Pauvre petit… pensa Alec.

– C’est d’ailleurs pour ça que je t’appelle… La maison serait-elle prête à nous recevoir un moment ? Je pense que quelque temps à la campagne, au calme, ferait beaucoup de bien à Matteo. »

Alec sourit :

« La maison est toujours prête à vous recevoir, Monsieur.

– Ça ne te dérange pas, j’espère ? »

Cette fois, Alec se permit un petit rire :

« Vous êtes ici chez vous, Monsieur. Je serais bien mal avisé de me sentir dérangé par votre présence !

– Oh, je me doute que tu as tes habitudes.

– Tout à fait. Mais je suis avant tout à votre service. Donc, vous pouvez venir à votre guise. Quand dois-je vous attendre ?

– Le temps de régler quelques détails, pas avant après-demain, je pense. Je te rappellerai.

– D’accord. Votre petit-fils a-t-il des goûts particuliers ?

– Il n’aime pas les fruits de mer, ni les abats, à part ça, rien de spécial, il me semble.

– C’est noté.

– Bon, je ne te dérange pas plus, Alec. À très bientôt, donc.

– Avec plaisir, Monsieur. »

Alec raccrocha et s’étira. Sur l’écran de son ordinateur, Counter Strike tournait en mode « spectateur ». Ses amis jouaient encore. Il reprit son micro casque.

« Re, les gens.

– Re Alec ! C’était rien de grave, j’espère ? s’enquit son vieil ami.

– Non, non, Fred, t’inquiète. Juste mon patron qui m’annonçait qu’il débarque ici après-demain.

– Ton patron ? demanda un autre.

– Ouais, avec son petit-fils.

– Euh, attends, je pige pas… Ton patron vient chez toi ?

– En fait, pour tout te dire, c’est moi qui vis chez lui.

– … Euh… Hein ?…

– Alec est intendant, Jojo… Tu savais pas ? rigola Fred.

– Régisseur, pour être exact, corrigea Alec.

– Régisseur, genre tu gardes la maison, comme dans les vieux films, là ?

– Exactement.

– Ça existe encore, ça ? Sérieux ?

– C’est rare, je te l’accorde. Je garde la maison, je l’entretiens et j’entretiens le parc. Logé, nourri et un salaire pas trop dégueu en prime.

– Super job !… T’as trouvé ça comment ?

– Hérédité. Mes parents, grands-parents, et arrière-grands-parents étaient déjà là.

– C’est clair qu’elle pète, cette baraque, soupira Fred. On y avait fait un jeu de rôle, quand, l’an dernier ?… Ça rendait bien en grand salon 19e, un Chtulhu

– C’était au printemps dernier, dit Alec. Avec un magnifique orage pour l’ambiance…

– Ils restent longtemps ? Je remettrai bien ça un de ces soirs.

– Aucune idée, apparemment le petit a besoin de vacances.

– En février ?… releva Fred.

– Ouais, c’est assez compliqué… commença Alec.

– Alec, enfoiré ! T’aurais pu prévenir que tu revenais en jeu ! râla Jojo.

– … En fait, il y a des années ça, continua Alec sans s’émouvoir de l’interruption, ouais pas loin de 10 ans, le fils de mon patron et sa femme ont disparu en mer, dans l’Atlantique Sud, il me semble. Ils faisaient un voyage en amoureux et du coup, ben, c’est mon patron qui a récupéré son petit-fils. Et là, il vient de me dire que l’épave avait enfin été retrouvée… Du coup, ça l’air d’avoir bien secoué le petit et ils viennent se poser un peu au calme.

– Ah ouais, pas fun… reconnut Jojo.

– Tu m’en avais parlé à l’époque, je me souviens, dit Fred. Ils étaient tous les deux sans un seul marin expérimenté avec eux, c’est ça ?

– Ouais, ouais. Lui n’avait pas de véritable expérience de la haute mer et elle pas du tout… Son père ne voulait pas qu’ils partent comme ça, mais ils l’avaient fait quand même.

– Non, mais c’était un sale con, ce gars… Je m’en souviens. Un été, j’avais passé une semaine avec toi, quand on était au lycée, raconta Fred. Il parlait à tes parents comme à de la merde, j’ai envie de l’encadrer.

–Tu te souviens comment ma mère l’avait calmé ? »

Fred et Alec éclatèrent de rire ensemble.

« Comment, comment ? s’enquit avec curiosité la jeune femme.

– Cuisine de merde. Et quand il a voulu que son père la vire, elle les a engueulés comme du poisson pourri, lui d’avoir si mal élevé son fils et le fils de ne même pas respecter leur travail… Tu te souviens, Fred ?

– « Quand on sait pas se faire à bouffer, on remercie au moins ceux qui vous nourrissent ! »… J’adore ta mère, Alec !

– Et ça a fini comment ? demanda encore leur amie.

– Ben le fils a dû s’excuser et il a fermé sa gueule pendant le reste du séjour, mais clair qu’il n’en pensait pas moins. Il aurait sûrement viré mes parents à la première occasion s’il n’était pas allé se noyer dans l’Atlantique. Sa mère est une fichue nouvelle riche qui l’avait bien pourri-gâté, faut dire…

– J’espère pour toi que son fils n’est pas du même tonneau.

– Dans mes souvenirs, c’était plutôt un gentil petit bonhomme, mais ça fait très longtemps que je ne l’ai pas vu… Enfin, en fait, à part la sœur du patron qui vient un peu l’été, et lui qui avait organisé un petit séminaire là il y a deux ans, ça fait des années que je n’ai vu personne.

–Tu pourras plus geeker avec nous alors ? couina-t-elle.

– Oh, mais si, Mina, t’en fais pas, je viendrai vous voir le soir. Bon, plus tard et sûrement moins longtemps. Mais je vais pas vous laisser…

– Grave, on a besoin de toi à Counter, hein !

– Oh, mon chéri est là, je reviens !

– À tout’, Fred ! »

Alec s’étira encore.

« Bon, je vais me faire un truc à manger, je reviens aussi ! »

Il posa son micro casque et se leva en bâillant.

Sa chambre occupait en fait tout le dernier étage, les combles, réaménagés de longue date. Les anciennes petites chambres de domestiques du XIXe siècle étaient devenues un vaste appartement dans lequel il avait grandi, et dont il avait fait un grand loft au départ de ses parents. Seuls les murs porteurs avaient échappé à sa masse. Il avait donc une immense pièce éclairée par de nombreux wasisdas, aux murs couverts d’étagères bien trop petites pour tous ses livres, bandes dessinées, DVD, jeux, romans, mangas… Un grand lit, face auquel se trouvait une très grande télé et sous elle, à peu près toutes les consoles de jeux possibles et imaginables.

Il avait gardé le mur qui séparait cette pièce de sa salle de bains, de ses toilettes, et d’une autre pièce où il avait installé son linge et un autre grand lit pour pouvoir recevoir des amis sans les faire dormir « en bas ». Il avait également un petit espace cuisine, juste un frigo, une plaque électrique et un micro-ondes, à cet étage, pour quand il avait la flemme de redescendre au rez-de-chaussée dans la vraie cuisine, la seule pièce d’« en bas » dont il était maître.

Il emprunta le petit escalier pour redescendre au premier étage, puis longea le grand couloir pour descendre ensuite, par le grand escalier cette fois, au rez-de-chaussée. Il traversa le salon, la salle à manger, pour gagner la cuisine, une grande pièce très bien équipée. Il devait rester des pâtes du midi, ce qui irait très bien en omelette.

Il faudrait qu’il fasse des courses le lendemain. Il se demandait à quoi ressemblait le petit Matteo.

Quoi que… Petit ?

En battant son omelette, Alec réfléchit. Il avait 31 ans et quand Matteo était né, il avait… 12 ans ?

Ah, il n’était peut-être plus si petit que ça, alors.

 

Chapitre 2

Il neigeait, cet après-midi-là, et la voiture roulait prudemment sur la petite route de campagne. Au volant, un sexagénaire un peu rond aux cheveux largement blancs jetait des regards fréquents au garçon endormi à sa droite.

C’était un jeune homme brun, aux cheveux longs tressés, au visage remarquablement fin, mais très pâle et aux joues creusées. Il s’était pelotonné dans son manteau noir.

« Matteo ?… Matteo, réveille-toi, mon petit, nous arrivons… »

Le garçon ouvrit des yeux vagues, de beaux yeux gris-cendre en amande :

«Mmmh ?…

– On arrive… comment te sens-tu ? »

Matteo ne répondit pas. Il se redressa sans grande énergie en se frottant les yeux.

« Ça fait longtemps que tu n’es pas venu au Domaine… tu t’en souviens ?

– Un peu…

– Tu vas pouvoir te reposer… Alec est un très bon cuisinier.

– Ce n’est plus Yves et Mariette qui sont là ?

– Non, ils ont pris leur retraite il y a six ans. C’est Alec le régisseur, leur fils.

– Ah… »

Matteo bâilla. Alec… Matteo se souvenait d’un grand garçon aux cheveux presque blancs tellement ils étaient clairs, plutôt taciturne, mais souriant, une silhouette qui hantait la bibliothèque. Il se souvenait aussi que son père les détestait, ses parents et lui, mais que Mathilde faisait de très bons gâteaux. Sa mère avait voulu en faire, mais elle n’y était jamais arrivée…

Maman…

Ils longeaient depuis quelques minutes un long mur. De hauts arbres en dépassaient. Un grand portail ouvert semblait n’attendre qu’eux. Le conducteur tourna lentement, s’engageant dans une longue allée bordée d’arbres. Au fond se devinait un bâtiment. Matteo regardait ça, intrigué. Tout ceci lui semblait bien moins démesuré que dans ses souvenirs de petit garçon.

Son grand-père se gara devant l’immense bâtisse de deux étages, un pur manoir du XIXe siècle, grand, luxueux, construit par le fondateur de la lignée : Auguste Ségard, le petit ingénieur modeste qui avait fait fortune dans la métallurgie en inventant un alliage dont la formule était toujours secrète, et en créant l’usine de couteaux et lames diverses dans le village voisin, qui assurait encore la richesse actuelle de la famille.

Matteo descendit de la voiture et regarda cette grande maison, celle de ses vacances d’enfant. Une bourrasque de neige le glaça alors que son grand-père descendait à son tour et que la porte s’ouvrait sur un élégant trentenaire qui vint à leur rencontre.

« Monsieur Ségard, Monsieur Matteo, soyez les bienvenus !

– Bonjour, Alec ! le salua Ségard.

– Bonjour ! Entrez vite vous mettre au chaud, j’ai fait du feu dans le petit salon. Si vous le permettez, je vous y rejoins dès que j’aurai rentré la voiture et vos bagages.

– Fais donc ! »

Alec prit les clés du véhicule et y monta. Ségard passa doucement son bras autour des épaules de Matteo :

« Viens, rentrons, tu vas prendre froid. »

Ils entrèrent dans le grand hall. Matteo regarda le grand escalier double qui montait au premier étage, puis suivit son aïeul par une porte à gauche. Il traversa la grande salle à manger, longeant la longue table vernie, pour arriver dans une pièce bien plus petite, un salon meublé d’un canapé deux places et de trois fauteuils anciens, en parfait état, encadrant une petite table basse au plateau de bois précieux et aux pattes en métal finement ciselé.

Ségard vint se frotter les mains devant les flammes alors que Matteo bâillait à nouveau.

« Matteo ? Ça va ?

– Hm, hm… »

Le garçon s’assit mollement sur le sofa.

« Je pense qu’Alec a préparé nos chambres, tu devrais pouvoir aller te reposer un peu.

– Hm… »

Alec arriva sur ces entrefaites. Il portait un plateau sur lequel fumaient deux tasses de café, qu’il vint délicatement poser sur la table basse, avec un ramequin de sucre.

« Ces messieurs se réchauffent-ils ?

– Oui, Alec, merci.

– Je vous ai fait un café, mais peut-être vouliez-vous autre chose ?

– Oh, ça sera parfait pour moi. Matteo ? »

Le garçon soupira et dénia du chef en se frottant les yeux :

« Non, ça ne me dit rien, un café… »

Alec hocha la tête, toujours souriant :

« Désirez-vous autre chose ? Je peux vous faire du thé, du roïboos ou un chocolat chaud ? »

Matteo regarda Alec, fatigué. Ce grand homme blond debout, son plateau contre son ventre. Il finit par dire :

« Un chocolat chaud, oui, je veux bien…

– je vous prépare ça immédiatement. Désirez-vous manger quelque chose ?

– Pas moi, merci, dit Ségard.

– Il y a quoi ? fit Matteo.

– J’ai fait des muffins au chocolat avec des éclats de piquant, répondit Alec.

– Ah, oui alors… bâilla encore le garçon.

–Ah, tu me tentes ! sourit Ségard. Mets-en moi un, mais c’est la pure gourmandise. »

Alec reprit la tasse de café et s’inclina, toujours souriant :

« Je reviens immédiatement. »

Il fila à la cuisine et se hâta de préparer un chocolat dans les règles de l’art, chocolat en poudre amère, lait entier et moussu, petits chamallows. Il posa la tasse sur son plateau avec ses muffins tout chauds sortis du four et regagna le petit salon. Ségard s’était assis sur un fauteuil et buvait son café.

Alec déposa le plateau sur la table basse et tendit la tasse à Matteo lui disant :

« Voilà, j’espère qu’il sera à votre goût. Sucrez-le à votre convenance. »

Il se redressa, toujours souriant. Matteo prit lentement la tasse. Il inspira, redécouvrant cette odeur. Ça faisait remonter des émotions curieuses en lui… comme de la nostalgie.

« Alec, as-tu préparé nos chambres ? demanda Ségard.

– Tout à fait. La vôtre et la chambre d’enfants de Monsieur Matteo… Il y a encore tous ses jouets !… N’hésitez pas à me demander si vous voulez faire du tri, dit-il au jeune homme.

– Hmmm… répondit ce dernier en prenant un muffin.

– C’est parfait, dit Ségard. Matteo va sûrement aller dormir avant le dîner. Tu l’accompagneras.

– Bien sûr. À quelle heure souhaitez-vous dîner ?

– À 19h30.

– D’accord. J’ai prévu du poulet à la crème et au vin blanc avec un gratin dauphinois, si ça vous convient ?

– Ce sera parfait. »

Matteo sirotait son chocolat chaud, tout rose et un petit sourire aux lèvres. Il avait mangé plusieurs muffins. Le sentiment de nostalgie était toujours là, mais étrangement apaisant.

Alec l’accompagna rapidement à sa chambre. C’était une grande pièce claire, aux murs couverts de fresques animalières, avec une grande armoire ouvragée, une petite bibliothèque pleine de livres d’enfants et des étagères et des coffres pleins de jouets et de peluches. Le grand lit à baldaquin était très vieux, mais toujours aussi confortable. Alec lui désigna une porte, face au pied du lit :

« Votre salle de bains est là, avec vos toilettes. Si vous désirez que nous vous installions un bureau ou autre chose, n’hésitez pas à me le demander. Mais pour l’instant, ajouta-t-il en le voyant à nouveau bâiller, reposez-vous et ne vous inquiétez de rien. Je viendrai vous chercher pour le dîner. »

Alec le laissa. Matteo vit son sac posé au sol. Il s’allongea sous les couvertures et s’endormit rapidement avec un soupir d’aise.

Alec était retourné dans le petit salon. Ségard regardait la neige, debout devant la fenêtre. Alec posa les tasses vides sur son plateau en demandant :

« Puis-je autre chose pour vous, Monsieur ?

– Aurais-tu un moment ? Je voudrais te parler de Matteo.

– Je suis tout ouïe ?

– Assis-toi… »

Alec obéit. Ségard revint sur son fauteuil avec un soupir las.

« La vérité, c’est que je souhaite vraiment que Matteo reste au calme ici… Son médecin voulait le faire interner, mais c’est hors de question. Il n’a rien à faire au milieu des fous et des dépressifs, il est beaucoup mieux ici, à la campagne. Le problème, c’est que je risque moi-même de ne pas pouvoir rester très longtemps… Les négociations pour la délocalisation de l’usine me prennent énormément de temps. »

Alec fronça les sourcils.

« Alors, la rumeur est fondée… fit-il sombrement.

– Oh, ne crois pas que je le fais de gaieté de cœur ! se défendit vivement Ségard. J’ai vraiment tenté de repousser… Mais c’est la condition sine qua non que la banque a mise à l’entrée en bourse… Je n’y peux rien !

– Je ne vois aucun intérêt à faire entrer l’entreprise en bourse, pardonnez-moi.

– Je veux assurer une rente confortable Matteo…

– En envoyant tout le canton à Pôle Emploi ?

– Tu exagères…

– Non. C’est votre entreprise qui fait vivre le village et par ricochet, tous les commerces et toutes les autres boîtes autour, et vous savez parfaitement.

– Ah, assez ! se fâcha le vieil homme. Ça ne te regarde de toute façon pas ! Je suis encore libre de faire ce que je veux de mon entreprise ! »

Alec le regarda sans répondre, mais il était clair qu’il n’en pensait pas moins.

« J’attends de toi que tu veilles sur Matteo si je dois le laisser. Il… »

Ségard cherchait soudain ces mots. Il avait l’air très fatigué.

« Il va vraiment très mal. Le médecin dit qu’il lui faudrait beaucoup de temps… Il lui a donné un traitement assez lourd… Mais son état s’est dégradé tout de même. Il faudra que tu sois très attentif…

– Vous pouvez compter sur moi. Quels sont les symptômes les plus graves ?

– Il est hypersomniaque et souvent complètement déphasé lorsqu’il est réveillé… Il mange assez peu, aussi, et irrégulièrement. Il faudrait qu’il ait un rythme régulier, quitte à ce qu’il soit décalé un moment… Mais moi je n’ai pas le temps, et nos domestiques, à Paris, n’étaient pas très conciliants et patients avec lui…

– Les Fétours ?… J’en gardais pourtant l’image d’un couple sympathique ?

– Oui, mais en prenant de l’âge, ils étaient bien dans leur petite routine et se retrouver avec Matteo à gérer d’un coup, quand il est revenu du pensionnat, les a un peu paniqués, et ils se sont braqués. Tu te sens à le gérer ?

– Ma foi, oui… Ne vous inquiétez pas. S’il s’avère que je suis dépassée, il sera temps d’aviser. Au pire, il y a le Centre de Repos pas loin…

– Ah, la clinique pour adolescents, là ?… Oui, j’en avais eu de très bons échos… Autre chose que celle où ce fichu toubib voulait l’envoyer ! Mais Matteo n’est pas trop âgé ?

– Le docteur Siegfried Freund est un bon ami à moi. Je pense que si je lui demandais, il ferait une exception. Mais nous n’en sommes pas là ! Nous allons essayer de cadrer un peu son rythme de vie. Laissez-moi bien son ordonnance ses médicaments, je veillerai à ce qu’il les prenne comme il faut.

– Merci. »

 

Chapitre 3

Matteo entrouvrit des yeux vagues en entendant qu’on l’appelait doucement.

« Monsieur Matteo ? Ça va ?… Monsieur Matteo ?…

– Hmm ? »

Alec sourit devant son air ensuqué.

« Le dîner est bientôt prêt. Vous avez le temps de vous réveiller tranquillement et de vous doucher, si vous le voulez. Vous vous souviendrez du chemin de la salle à manger ?

– … Euh, oui…

– Parfait. Je vous laisse vous réveiller… À tout à l’heure. »

Matteo le regarda sortir. Il s’étira. Il avait très bien dormi… Ce qui ne l’empêchait pas d’avoir encore sommeil… Comme toujours.

Il réussit à sortir du lit un peu plus tard et, comme Alec le lui avait suggéré, alla dans la salle de bain attenante. Elle était grande, avec des toilettes, une baignoire, un lavabo surmonté d’un grand miroir, une petite armoire accrochée au mur et sous elle, un panier à linge, le tout dans les tons blancs et bleus très doux.

Il se déshabilla et se lava tranquillement. Le gel douche sentait très bon, un parfum fruité, c’était très agréable. Puis, il s’habilla proprement et redescendit au rez-de-chaussée pour rejoindre la salle à manger.

Assis au bout de la longue table, son grand-père lui sourit :

« Ah, te voilà, Matteo !… J’avais peur que tu te sois rendormi.

– Non, non… répondit le garçon en lui rendant son sourire. J’ai faim… »

Il s’assit à la table, à la droite de son grand-père.

« Tu es content d’être ici, Matteo ?

– Oui ! »

Le garçon sourit à nouveau :

« Ne t’en fais pas pour moi, Grand Père… Je vais bien me reposer… Ça va aller. J’ai juste besoin de temps.

– Oui, il faut te reposer… Ne t’en fais pas pour le lycée, on verra tout ça quand tu iras mieux.

– Oui… »

Matteo détourna les yeux un instant. Il ne voulait pas retourner au pensionnat… En tout cas, surtout pas tant que l’autre y serait encore.

Alec arriva sur ces entrefaites avec une petite table roulante, toujours souriant.

« Tu avais raison, il s’était bien réveillé.

– Je serais retourné le chercher, sinon, répondit Alec. Alors, le whisky sec de Monsieur, et pour Monsieur Matteo, un petit cocktail sans alcool et sans pamplemousse… Vous me direz s’il vous convient. »

Matteo regarda le grand verre, rempli d’un liquide rouge en bas, orange au milieu, jaune au-dessus, saupoudré de sucre roux, avec une cuillère, une paille et un petit parapluie en papier décoratif d’un joli rouge.

« Sans pamplemousse, pour éviter de désagréables interactions avec vos médicaments… continua Alec en déposant une petite soucoupe contenant plusieurs cachets. À prendre après votre repas.

–Oui, oui. »

Le régisseur leur servit ensuite à chacun une petite assiette de mesclun sur lequel reposaient deux toasts grillés avec une tranche de chèvre chaud au miel. Il déposa également une bouteille de vin rouge sur la table.

« Bon appétit. » leur dit-il encore avant de repartir.

Alec retourna à la cuisine en sifflotant. Il prépara tranquillement les deux assiettes de poulet en sauce et de gratin et il repartit, toujours en sifflotant.

Les deux maîtres des lieux avaient fini leur entrée. Alec sourit en constatant que Ségard racontait à son petit-fils l’igloo qu’il avait construit avec son propre grand-père lorsqu’il était enfant. Matteo l’écoutait sagement. Alec débarrassa les assiettes vides :

« Ça a été ?

– Très bien, répondit Ségard.

– Oui, c’était bon… renchérit Matteo.

– Merci. Voilà la suite, j’espère qu’elle vous plaira également. »

Alec déposa les deux assiettes fumantes devant eux et demanda à Ségard :

« Voulez-vous rester au vin rouge ? Sinon, je vous ai apporté le vin blanc avec lequel j’ai cuisiné le poulet.

– Ah, merci. Mais non, je vais éviter les mélanges.

– Comme il vous plaira.

– Ça sent très bon… dit Matteo.

– Merci. » répondit Alec en lui souriant.

Il s’éclipsa une nouvelle fois. Il regarda la pendule à la cuisine. 19h43… Si sa mémoire était exacte, Ségard se poserait devant le journal à 20 heures, puis il regarderait un programme quelconque, et ne le dérangerait plus que pour son digestif ou une infusion vers 21 heures. Il se demandait si le jeune Matteo allait veiller un peu, mais s’il souffrait réellement d’hypersomnie, ça ne serait sûrement pas le cas.

Alec leur servit le fromage et le dessert et comme il l’avait pensé, Matteo, qui se rendormait, le ventre plein, se leva pour partir se coucher rapidement, non sans l’avoir gentiment remercié.

« Merci à vous, Monsieur Matteo. Souhaitez-vous être réveillé demain matin ?

– Euh, oui… Mais pas trop tôt… Vers 10 heures ?

– Comme vous voudrez. Que prendrez-vous pour le petit déjeuner ?

– Je sais pas trop, je suis barbouillé, le matin… Y’a pas grand-chose qui passe… Ni thé ni café…

– Je verrai alors si je peux vous trouver autre chose.

– Merci.

– Je vous en prie. Passez une bonne nuit, et n’hésitez pas à me déranger s’il vous faut quoi que ce soit.

–D’accord… Merci, Alec. »

Matteo avait du mal à garder les yeux ouverts, mais il souriait pourtant. Il salua son grand-père et partit. Alec débarrassa la table alors que Ségard se levait.

« Puis-je autre chose, Monsieur ?

– Je prendrais bien un petit cognac après le journal.

– D’accord, je vous l’apporterai. »

Le maître des lieux partit à son tour. Alec acheva de nettoyer la table et retourna à la cuisine. Il fit la vaisselle, apporta ensuite son cognac à son patron, qui lui souhaita une bonne nuit en même temps qu’il lui demanda que son café soit prêt pour huit heures, puis Alec monta dans son antre avec son propre plateau-repas. Il s’installa aussitôt devant son ordinateur et lança Skype. Il mit son micro casque :

« Bonsoir tout le monde !

– Salut, Alec, le salua Fred.

Guten Abend, le salua Siegfried.

– Plop, Alec, le salua Mina.

– Coucou ! le salua Jojo.

– Ca farte ? le salua Jeff.

– Ouais, ouais. Je vais manger, désolé pour les bruits.

– Pas de souci !

–Ça y est, tes boss sont là ?

– Ouais… Le petit est couché et le grand-père est devant la télé. Ma journée est finie ! Je suis tout à vous !

–Oh oui, j’aime quand tu parles comme ça ! rigola Mina.

– On parlait justement d’un petit LoL à trois contre trois…

– Oh, je tombe donc bien.

– C’est ça.

– Je lance ! Et vous, ça va ? »

Alec passa comme toujours une excellente soirée à jouer en ligne avec ses amis. Il se coucha vers 23 heures, lut un peu du roman qu’il avait en cours et s’endormit tranquillement.

 

Chapitre 4

Lorsque Ségard arriva en robe de chambre dans la salle à manger, à huit heures, la table du petit déjeuner était mise. Son café fumait à côté d’une assiette sur laquelle reposaient quelques croissants et d’un grand verre de jus d’orange tout frais pressé. Un journal était également posé là.

Un peu plus tard, lorsque tout fut avalé, Alec arriva comme par magie pour débarrasser.

« Bonjour, Monsieur. Désirez-vous autre chose ?

– Non, c’était parfait. Merci. Tu as changé de café, non ?

– Oui, ils ne font plus celui que je vous prenais. J’en ai goûté plusieurs et celui-là m’a paru le plus adapté à votre goût.

– Il est très bon.

– Merci.

– Je vais travailler dans le bureau.

– D’accord. Je vais monter le chauffage.

– Que comptais-tu faire, aujourd’hui ?

– Monter à Givery en fin de matinée, c’est le jour du grand marché. J’en profiterai pour passer vite fait à la librairie, j’avais commandé quelques livres. S’il vous faut quoi que ce soit ? Je comptais y aller dès que Monsieur Matteo aura déjeuné.

– Parfait.

– Sinon, je comptais aussi faire la poussière dans la bibliothèque. À part, bien sûr, si vous avez une autre tâche pour moi ?

– Non, non. Pourrais-tu emmener Matteo avec toi tout à l’heure ? S’il est d’accord, bien sûr… Ça éviterait qu’il se rendorme.

– D’accord, je lui proposerai.

– Et surtout, laisse-le se payer tout ce qui lui fera plaisir ! » ajouta vivement Ségard.

Alec jeta un œil inquiet à son patron qui ne le vit pas, le nez dans son journal.

« Euh… D’accord… »

Alec repartit avec son plateau chargé de vaisselle sale, dubitatif. Matteo ne lui avait pas donné l’impression d’être un jeune homme capricieux, avide d’obtenir plus… Il verrait comment il se comporterait… Il espérait qui n’allait pas revenir avec une montagne de trucs inutiles.

Alec fit la vaisselle et s’avança sur le repas de midi, mettant le bœuf à décongeler et faisant cuire à l’eau les pommes de terre qu’il ferait sauter plus tard.

À 10 heures, il alla réveiller Matteo. Comme la veille après sa sieste, le garçon avait l’air tout endormi lorsqu’il se redressa en se frottant les yeux.

« J’ai trouvé une boisson chaude qui devrait convenir à votre estomac.

– Ah… bâilla Matteo.

– Oui. Préférez-vous les croissants ou les pains au chocolat ?

– Euh, j’aime bien les deux…

– Bien. Vous aurez les deux, alors. Et du jus de clémentine, si vous voulez ? C’est plus doux que l’orange.

– Oui, je veux bien.

– Parfait. »

Un peu plus tard, Matteo trouva tout ça impeccablement disposé sur la table de la salle à manger. Il respira avec curiosité l’odeur de la boisson chaude qui infusait dans la théière posée là. Inconnue, mais pas désagréable. Il s’en servit un fond et goûta.

Lorsqu’Alec revint un peu plus tard, il avait tout bu et tout mangé.

« Cela a-t-il été à votre convenance ?

– Très bien… C’était quoi, ta boisson chaude ?

– Du roïboos à la vanille. On appelle souvent sa du thé rouge, mais c’est un abus de langage, expliqua Alec en débarrassant la table. Ce n’est pas du thé, c’est une plante d’Afrique du Sud, plus proche de l’acacia. Mais ça se boit très bien et c’est beaucoup plus digeste que le thé et le café. En plus, ça ne contient ni théine, ni caféine… J’en ai à d’autres parfums, si vous voulez.

– Volontiers…

– Sinon, je dois aller faire un tour à Givery, ce matin. Voulez-vous m’accompagner ? C’est une petite ville sympathique… Ça vous sortirait un peu ?

– Est-ce que c’est là que se trouve la manufacture ?

– Ah non, la manufacture, c’est à Millors. Qui est un bien plus gros village et dans la direction opposée, en partant d’ici.

– Ah, d’accord… »

Matteo bâilla et s’étira.

« Je peux vous laisser à la librairie pendant que je fais mon marché…

– Je veux bien… J’ai presque fini mon livre…

– Parfait. Alors, allez vous habiller. Nous partirons dès que vous serez prêt. »

Alec fit sa vaisselle et attendit dans le hall que le jeune homme le rejoigne. Ils prirent la voiture grise d’Alec, bien équipée de chaînes, et ils partirent.

Le régisseur roulait prudemment et, voyant Matteo se mettre à sommeiller, il engagea la conversation pour le tenir éveillé :

« Votre chambre vous convient-elle telle qu’elle est ?

– … Oh… Je n’ai pas encore trop regardé… Dis-moi, il n’y a pas Internet, au Domaine ?

– Si, si, répondit Alec avec un sourire.

– Ah bon ? Je croyais que Grand Père n’en voulait pas ? s’étonna Matteo.

– Lui non. Mais il y a bien longtemps qu’il m’a autorisé à l’installer à mes frais.

– Ah, d’accord…

– Si vous voulez en profiter, il n’y a pas de problème. Vous avez un ordinateur ?

– Oui, j’ai mon portable.

– Nous pourrons sûrement le connecter en wi-fi… Après, si vous souhaitez une connexion câblée, il faudra me laisser le temps de me procurer un câble suffisamment long.

– La wi-fi n’est pas stable ?

– Ça dépend des pièces… Au rez-de-chaussée, dans le grand salon et la salle à manger, bref près de la box, ça passe très bien. À l’étage ou plus loin, ça coupe souvent. Après, tout dépend de l’usage que vous voulez en faire…

– Euh, surtout mes mails, là. J’arrive pas à répondre sur mon téléphone, ça plante.

– Nous verrons ça cet après-midi.

– D’accord. Merci.

– Je vous en prie. »

Ils arrivèrent dans la petite ville et Alec se gara dès que possible. Il sortit un grand caddie du coffre et ils continuèrent à pied. La bourgade était animée en ce jour de marché. Alec remonta la rue principale jusqu’à une librairie.

« Je vous laisse ici ? Je vais faire le marché, c’est là-bas, dit-il en désignant une place un peu plus loin.

– D’accord… »

Alec lui ouvrit la porte du magasin et entra derrière lui. La petite jeune femme brune et fine qui était derrière le comptoir, à gauche, les salua énergiquement :

« Bonjour !… Oh, salut, Alec !

– Coucou, Mina. »

Matteo regarda Alec faire la bise à la jeune femme.

« T’as l’air crevée, ma belle ?

– On a déco super tard avec Sig…

– Sérieux ?

– Ouais, on a lolé encore deux heures… On voulait pas rester sur une défaite.

– Vous êtes malades ! rigola Alec.

– Ouais !

– Monsieur, je vous présente mon amie Mina, responsable de cette librairie. Mina, Matteo Ségard, le petit fils de mon employeur.

– Enchanté, répondit très poliment le garçon.

– Euh, de même… répondit-elle après une hésitation.

– Est-ce que je peux te le laisser le temps que j’aille faire mon marché ?

– Oh, oui. Pas de problème. Je te prépare tes bouquins en attendant.

– Tu as tout reçu ?

– Alors, les derniers sont là-dedans, normalement, répondit-elle en désignant du pouce une imposante pile de cartons posée derrière le comptoir.

– … Bon courage !

– Merci ! »

Alec sourit à Matteo :

« Je vous laisse, Monsieur ? N’hésitez pas à demander conseil à Mina, elle est très compétente.

– Oui, d’accord. » répondit le garçon avec un petit sourire.

Alec repartit. Mina invita Matteo à se promener dans la librairie et à ne pas hésiter, comme l’avait dit Alec, à faire appel à elle.

Le garçon le remercia très poliment, toujours.

Mina le regarda errer du coin de l’œil en continuant à ouvrir ses cartons et enregistrer les livres reçus dans son ordinateur. Elle mettait directement les commandes sur l’étagère, derrière elle. Elle le vit regarder un moment les romans, surtout la fantaisie et la science-fiction, en prendre plusieurs, puis se perdre du côté des bandes dessinées et des mangas.

Une vieille dame entra, accompagnée d’une quinquagénaire visiblement très stricte. La vieille dame alla dans les romans du terroir, alors que l’autre venait au comptoir et demandait, assez sèche :

« Bonjour, vous avez reçu ma commande ?

– Bonjour, vous pouvez me rappeler ce que c’était ? »

Mina posa la pile de mangas qu’elle tenait pour retourner à son ordinateur.

« La nouvelle biographie de Marc-Aurèle.

– Exact… Alors… Elle devrait aussi être dans mes cartons, soupira-t-elle. Une minute… Mon carton MDS… Ah ben caché sous deux Hachette, bien sûr, sinon c’est pas drôle… »

Elle se mit à fouiller.

« Euh… entendit-t-elle. Pardonnez-moi ? »

Elle se redressa pour aviser Matteo, les bras chargés de bandes dessinées.

« Oui ?

– Me permettriez-vous de poser cela sur votre comptoir ?… Je n’ai pas fini mon tour et je n’ai plus de bras…

– Oh, bien sûr, pas de souci. Je vous les garde.

– Merci. »

Il posa la pile et allait repartir lorsque la quinquagénaire lâcha :

« Ah, ces jeunes, ça ne lit vraiment pas que des bêtises ! »

Matteo la regarda, bailla et répondit :

« Une lecture amusante est aussi utile à la santé que l’exercice du corps.

– Pardon ?

– C’est de Kant. »

Il partit, laissant les deux femmes séchées, avant de revenir avec une autre pile, de romans cette fois :

« Désolé, je ne pouvais pas tout prendre en un seul voyage. »

Et il repartit.

Lorsqu’Alec revint avec son caddie plein et quelques sacs de plus à la main, il trouva Mina en train d’encaisser l’imposante pile d’ouvrages de Matteo en devisant paisiblement avec lui :

« … Mais ça se vend si bien que ça, les romans du terroir ? demandait-t-il.

– Oh que oui ! répondit-elle. Personnellement, ça me surprend toujours… Mais bon. Je suis là pour vendre, pas pour juger les goûts de mes clients. Re, Alec.

– Re…

– Ta commande est prête et complète et j’ai d’autres de plus à te montrer. »

Elle finit d’encaisser Matteo. Alec regarda la pile d’achats du garçon, impressionné. Elle prit deux très grands sacs en tissus très costauds qui ne furent pas de trop pour tout ça. Puis, elle sortit de l’étagère, derrière elle, quelques bandes dessinées et une petite pile de mangas.

« Voilà, et regarde ça… »

Elle posa à côté deux autres mangas :

« La nouvelle série de l’auteur d’Hellsing, et ça, parce que je crois me souvenir que tu avais beaucoup aimé l’animé, comme moi ? »

Alec posa sans attendre le premier sur la pile et feuilleta le second :

« Ah oui, Amatsuki, le cliffhanger le plus insupportable du monde… Cool, ils sortent sa version papier ?

– Ouais ! Et j’ai lu, ça reprend bien.

– Merci Mina ! T’es la meilleure.

– De rien, mon grand. C’est mon boulot. »

Alec paya et alla chercher la voiture pour qu’ils puissent la charger sans retraverser trop de rues. Matteo s’installa à sa place après avoir remercié Mina. Alec embrassa encore cette dernière en la saluant :

« À ce soir, ma belle !

– Bonne journée, Alec. »

Alec se remit au volant est reparti tranquillement :

« Vous avez fait un sacré plein…

– Oui… J’ai pas beaucoup d’affaires à moi ici, il va bien falloir que je m’occupe… »

Matteo bâilla encore.

« Nous pouvons demander que certaines vous soient livrées ici, si vous voulez rester un moment ?

– Ouais… On verra.

– Si je puis me permettre, vous n’avez pas beaucoup de vêtements ?

– J’en rachèterai… »

Alec le regarda une seconde. Le garçon avait à nouveau l’air de s’endormir.

« … J’ai que des vieux trucs, en fringues, je voulais m’en racheter de toute façon. J’ai encore grandi, là… Elle est sympa, ton amie libraire. Elle s’y connaît bien en BDs… Rien qu’en voyant ce que je prenais, elle m’en a conseillé plein d’autres.

– Je vous l’avais dit ! Elle est très compétente. Entre nous, elle ne vendrait que des BDs et des mangas, si elle pouvait.

– Pourquoi tu lui as dit « à ce soir » ? Tu sors ?

– Oh, ça… »

Matteo vit très clairement Alec avoir une hésitation avant d’avouer :

« Non, non. On joue en réseau, le soir, avec elle et d’autres amis.

– Ah ? Sur Internet ?

– Oui… »

Matteo baillait à nouveau et murmura avec un soupir :

« Ça doit être sympa… »

 

Chapitre 5

Alec faisait tranquillement la poussière de la grande bibliothèque en écoutant de la musique, sur une petite chaîne posée là pour l’occasion.

La pièce était très grande, au rez-de-chaussée, très haute aussi et ses murs, à l’exception des grandes fenêtres, étaient entièrement couverts d’étagères immenses remplies de livres souvent anciens, toujours de très belles éditions.

Alec y avait passé une bonne partie de son enfance et de son adolescence, car on lui avait très vite donné le droit de prendre et de lire ce qu’il voulait, en l’occurrence le père de son actuel patron, vieux monsieur aussi lettré que philosophe avec lequel le petit Alec s’entendait très bien, au contraire du père de Matteo bien plus enclin à essayer de faire estimer la valeur pécuniaire de la collection et pousser son père à la vendre dès le décès du vieux monsieur… Trop attaché à ces livres et au souvenir de son propre père, Ségard n’avait jamais voulu. Alec se demandait ce qu’en penserait Matteo…

À 16 heures, il alla servir un café et un muffin tout chaud à son patron. Ce dernier était à son bureau, dont il n’était sorti que le temps de déjeuner et du journal de 13 heures. Il parlait au téléphone et la discussion semblait animée :

« Non, je ne reviendrai pas avant la semaine prochaine ! Pas la peine d’insister, Laetitia. Non. Je me moque de l’avis du docteur Lefoute, Matteo est très bien ici, il ne veut pas aller dans cette clinique et moi non plus ! De toute façon, ça ne regarde ni toi, ni Édouard ! Vous êtes mes employés, que je sache, pas mes tuteurs et encore moins ceux de Matteo ! Dis-moi plutôt où en sont les négociations avec les Chinois… »

Alec ressortit en silence.

L’usine allait vraiment partir en Chine… Il n’arrivait pas à y croire… Tout ça pour une entrée en bourse qui rendrait Ségard dépendant du bon vouloir de n’importe quel fond de pension ou banque n’en voulant qu’à ses bénéfices…

Il en était malade.

Il alla réveiller Matteo, qui était parti dormir sitôt son déjeuner avalé. Le garçon grogna comme à son habitude au réveil. Il se redressa en bâillant.

« Avez-vous bien dormi ?

– Hmm… opina le jeune homme.

– Voulez-vous un chocolat, comme hier ?

– Ah oui… Je veux bien !… Tu as encore des muffins ?

– J’en ai refait. Chocolat noir et noisettes.

– J’en veux bien alors, s’il te plaît.

– Je vais vous préparer ça tout de suite. »

Matteo trouva tout ça sous une cloche protectrice, bien chaud, lorsqu’il arriva dans la salle à manger. Il eut un sourire en s’asseyant et en soulevant la cloche. Il prit la tasse brûlante dans ses mains et respira longuement la délicieuse odeur qui en émanait.

Il se souvint alors d’un très vieux Noël, passé ici lorsqu’il était enfant… Un après-midi passé à jouer dans la neige… Avec qui ? Il se souvenait un gros bonhomme de neige, immense… Mais surtout, du goûter, après… Un délicieux chocolat chaud bu alors qu’il se faisait câliner par sa mère, emballé dans une couverture douillette, devant un bon feu… Ça devait être dans le petit salon.

Maman…

Il soupira tristement alors qu’une larme roulait sur sa joue.

Maman, Maman…

Il avait très peu de souvenirs de son père, qui travaillait beaucoup, ou beaucoup trop. Mais sa maman… Cette petite femme si timide et maladroite, incapable de rien faire malgré tous ses efforts… Mais qui essayait pourtant sans cesse, parce qu’elle voulait tellement lui faire plaisir…

Dans la vie, il ne faut jamais renoncer, Matteo ! Jamais !

Elle était toujours là, à s’occuper de lui, à lui lire des histoires, à lui faire des câlins…

C’était bien ça qui lui avait le plus manqué après leur disparition… Leur mort, se corrigea-t-il. La présence aimante, bienveillante de quelqu’un là pour lui.

Il n’avait jamais manqué de rien de matériel. Tout ce qu’il voulait, son grand-père le lui avait offert, puis lui avait donné les moyens de se l’offrir seul. Mais ce qui manquait, c’était bien ce quelqu’un là pour lui seul…

Matteo aimait beaucoup son grand-père, mais lui aussi travaillait beaucoup, beaucoup trop… Lui aussi l’écoutait peu et ne le comprenait pas vraiment. Matteo savait que son grand-père l’aimait et pensait bien faire… Alors il se taisait.

L’important était finalement pour lui qu’il l’ait entendu lui dire qu’il ne voulait pas aller dans cette clinique et qu’il l’emmène ici. Il espérait qu’ils allaient y rester tranquilles un moment.

Il goûta, puis prit la tasse et la petite assiette pour rejoindre la cuisine où il pensait trouver Alec.

Le régisseur n’y était pas, à sa grande surprise. Il se promena un moment sans le trouver, pour finir par arriver du côté du bureau de son grand-père, pièce dont il n’avait que très peu de souvenirs.

«… Tu peux voir ça rapidement ?

– Bien sûr. Je l’appelle immédiatement. »

Matteo toqua à la porte.

« Oui, Matteo ? Entre… l’appela gentiment son grand-père. Qu’y a-t-il ? »

Le garçon entra timidement.

La pièce n’était pas immense, mais magnifique. Aucune fenêtre, un grand lustre de verre donnait une lumière claire qui se réfléchissait sur les meubles muraux, placards aux portes d’ébène recouverte de plaques de nacre finement taillé. Le bureau lui-même était un grand plateau de bois précieux, sous lequel se trouvaient de nombreux tiroirs, la plupart verrouillables. Les fauteuils étaient de véritables appels à ne plus jamais s’en lever. Matteo regarda le tapis moelleux en entrant lentement.

Alec, debout devant le bureau, lui sourit :

« Avez-vous bien mangé, Monsieur Matteo ?

– Oui, oui… Je te cherchais… Pour mon ordi…

– Je suis à vous dès que j’aurais passé ce coup de fil, si vous le permettez.

– D’accord… Merci.

– Je vous en prie. Je vous laisse. »

Alec sortit rapidement.

« Tu tombes bien, Matteo… Viens là, il faut que je te parle de quelque chose… »

Le garçon vint s’asseoir sur un fauteuil.

« J’ai essayé de t’épargner ça, mais les enquêteurs n’ont pas vraiment le choix. Ils ont besoin de ton ADN pour authentifier les corps… Pour faire des tests. Enfin, sinon, il faudrait prendre le mien pour ton père, mais pour ta mère… Comme son père n’est pas son vrai père… Il faudrait déterrer sa mère… »

Matteo soupira tristement :

«… Non mais je veux bien… C’est pas grave… Ils… Ils en sont où ?…

– Oh, des analyses… Les corps sont arrivés hier. Ils en ont pour un petit moment.

– C’est juste… J’ai vraiment pas envie de retourner à Paris… Tu crois qu’ils pourraient venir chercher ça ici ?

– Je leur ai demandé, ils vont voir ce qu’ils peuvent faire. Il faudrait un certificat médical… »

Alec revint à cet instant, son téléphone à l’oreille, entrant rapidement dès qu’on l’y autorisa, après avoir frappé.

« Oui, Fred, une seconde… »

Il regarda Ségard :

« Pardonnez-moi, Monsieur, mon ami souhaiterait voir ça avec vous et demande s’il peut passer tout de suite ?

– Oh, s’il peut, volontiers, oui.

– Et si je puis me permettre, je m’excuse encore, mais j’ai entendu votre dernière phrase… Voulez-vous que je demande au docteur Freund de venir ? Je ne pense pas qu’il refuserait de vous faire ce certificat ?

– Si ça ne dérange pas ? s’enquit Ségard. Je n’ai pas très envie de rappeler le docteur Lafoute…

– Attendez, je vais demander tout de suite… »

Alec reprit son téléphone :

« Fred ? Oui, c’est d’accord. Est-ce que tu peux me passer Siegfried, s’il te plaît ?… Ah, il a entendu, il vient avec toi ?… Ben super, merci beaucoup, on vous attend… Hein ? Chocolat noir et noisettes.… T’es vraiment un estomac à pattes, Fred… OK, à tout de suite. »

Il raccrocha en rigolant et en hochant la tête, puis dit :

« Ils arrivent, Monsieur.

– Qui c’est, ce docteur Freund ? demanda Matteo, inquiet.

– Un éminent psychiatre et accessoirement, le compagnon de mon plus vieil et meilleur ami, Frédéric Malort… Ne vous en faites pas, il est très gentil et surtout très compétent. Et pour un de mes muffins, il signe tous les certificats que vous voulez ! » ajouta-t-il en gloussant encore.

Matteo eut un petit sourire, Ségard aussi. Il se leva et déclara :

« Nous allons nous installer dans le petit salon. Veux-tu bien refaire du café, s’il te plaît, Alec.

– J’y allais, mais si vous préférez, je sais que Siegfried et Frédéric prendront du thé ?

– Ah oui, dans ce cas… Fais-en pour moi aussi, blanc de différence.

– D’accord.

– Ça leur conviendra ?

– Tout à fait. »

 

Chapitre 6

Un peu plus tard, Matteo, qui regardait par la fenêtre, vit arriver une petite voiture bleue sombre qu’il trouva très classe. Elle se gara devant la maison et il en descendit un grand gaillard brun qui frissonna en resserrant son manteau autour de lui, et un autre, blond comme les blés, très grand aussi mais bien plus fin, qui sourit au premier et dit quelque chose en rigolant avant de filer en courant. Matteo regarda avec surprise le brun lui jeter un regard goguenard avant de se pencher pour faire une boule de neige et la lui jeter avec force.

« Ce sont eux, Matteo ? » demanda son grand-père, assis sur un fauteuil derrière lui.

Le garçon le regarda :

« Je suppose… Tu les connais, Grand Père ?

– Frédéric est un très vieil ami d’Alec, je me souviens qu’il venait souvent ici, l’été, mais je n’ai pas vu depuis très longtemps.

– Et tu savais qu’il… était… euh… avec un homme ?

– Pas particulièrement. Mais je sais que Frédéric est un excellent menuisier et que le directeur de la Clinique du Repos aussi est très connu et respecté. Après, ce qu’ils font ensemble dans un lit ne m’intéresse pas. »

Le ton était un peu sec. Ségard ne vit pas le regard hésitant de son petit-fils, car on frappa à la porte et Alec précéda les deux inconnus dans le salon avant de s’éclipser. Ségard se leva et sourit :

« Houlà, tu as bien grandi, Frédéric…

– Bonjour, Monsieur Ségard, dit le grand brun. Ça faisait longtemps. Je vous présente mon ami, Siegfried Freund. »

Le presque aussi grand blond sourit et déclara avec un léger accent :

« Ravi de faire votre connaissance.

– De même, Docteur. Je vous présente mon petit-fils, Matteo. »

Les deux hommes saluèrent aimablement le garçon en lui serrant la main. Alec revint avec un grand plateau portant une théière, cinq tasses, et un petit ramequin de sucre. Frédéric remarqua avec un sourire :

« Je ne suis pas le seul à avoir grandi. Si je puis me permettre, quel âge avez-vous, Matteo ?

– Euh… 19 ans… »

Fred grimaça, ce qui fit rire Siegfried. Alec se releva après avoir vidé le plateau sur la table basse :

« Ne t’inquiète pas, Fred. Ça m’a fait pareil.

– Quoi donc ? s’enquit Matteo, intrigué.

– Et ben, répondit Fred, je me souvenais d’un petit garçon haut comme trois pommes à genoux avec lequel on avait fait un grand bonhomme de neige un hiver, mais je ne pensais pas que ça remontait à si loin.

– Ah oui, se souvint à son tour Alec. Vacances de Noël… On était au lycée, je crois ? »

Il repartit chercher les muffins. Fred et Siegfried s’assirent sur le canapé, face à Ségard, comme il les y invitait. Matteo s’assit sur un autre fauteuil et bâilla. Il avait l’air de peiner un peu à garder les yeux ouverts, mais regardait le couple avec un petit sourire curieux.

« Bien, reprit Ségard. Merci d’être venus, messieurs… J’espère ne pas vous avoir dérangés ?

– Non, non, répondit Fred. Je n’avais rien d’urgent et Siegfried était de matin aujourd’hui. »

Le blond opina du chef et ajouta :

« Tout à fait… On allait se faire un thé, alors venir le boire ici n’a pas été un très gros souci. Surtout qu’on a gagné des muffins dans l’affaire. »

Fred sourit, comme Ségard. Alec revint avec un grand saladier de muffins fumants. Il le posa sur la table basse, servit le thé, puis s’assit sur le troisième fauteuil.

« Que puis-je donc exactement pour vous ? demanda Fred.

– Alec vous a expliqué la situation ?

– Vite fait… Vous désirez que je vous fasse deux cercueils pour votre fils et sa femme, c’est ça ?

–Oui. »

Siegfried regardait Matteo sans trop en avoir l’air.

«… Je voudrais vraiment qu’ils reposent dans de beaux cercueils faits pour eux. Vous pourriez faire ça ?

– Bien sûr. Il me faudrait la taille des corps et savoir quel modèle vous désireriez, en quel bois, et pour quand.

– Oh, ça, nous avons un peu de temps. Ils en ont encore pour un moment à finir leurs expertises. Mon fils faisait 1,83 m et son épouse, 1,69 m.

– D’accord, opina Fred en sortant de quoi noter ça de sa poche. Vous avez une idée pour la forme ?

– Plutôt sobre de préférence.

– Je devrais pouvoir vous trouver des modèles… Et le bois et l’habillage ?

– Je pensais à de l’ébène pour mon fils. Il aimait beaucoup ce bois… Pour ma belle-fille, je ne savais pas trop. »

Matteo intervint timidement, mal à l’aise :

« Maman… Elle aimait beaucoup le rouge et le rose… »

Il avait le regard fuyant et replia ses jambes devant lui, sur le fauteuil, et passa ses bras autour de ses genoux. Il y eut un silence. Puis, Fred reprit en lui souriant gentiment :

« Dans ce cas, si vous voulez, il y a des bois d’acajou qui sont rouges.

– Oui, bonne idée, opina Ségard en tendant le bras pour caresser la tête de Matteo. Si vous pouvez vous en fournir ?

– Sans problème. Reste que ce sont des bois très chers ?

– Ce n’est pas un problème. N’hésitez pas, d’ailleurs, à me demander s’il vous faut un acompte.

– C’est plus que possible… Je vais faire des devis, je vous tiendrai informé. Pour l’intérieur, vous pensiez à quelque chose ?

– Du satin, ça serait possible ?

– Oui, sûrement… Dans ce cas, je vous proposerais en blanc pour votre fils, commença Fred, et il continua en souriant à Matteo toujours replié sur son fauteuil : en rose pour votre maman ? »

Le jeune homme leva un peu le nez de derrière ses genoux.

« Ça serait bien… Grand Père, je crois qu’on pourra lui mettre sa robe violette ? Je me souviens qu’elle l’aimait beaucoup…

– Oh, bonne idée… Si on la retrouve…

– Elle doit toujours être dans le placard de leur chambre, se permit Alec. Je regarderai.

– Merci, Alec.

– Je vous en prie. Monsieur Matteo ? Vous revoulez un muffin ? Votre thé va refroidir… »

Matteo regarda un instant Alec qui lui souriait gentiment et se déplia lentement pour prendre sa tasse et un muffin.

« J’ai tout noté, je crois, je vais voir avec mes fournisseurs, faire des devis et vous tenir au courant. Et si je peux me permettre un conseil, vous devriez vous adresser aux marbriers d’Oulliny, les frères Surgeon. Ils font du très bon travail, dit encore Fred.

– Ah, merci. Je verrai ça… Sinon, je pensais aux pompes funèbres de Givery ? demanda Ségard.

–Je vous les déconseille, répondit encore le menuisier.

–Je garde pourtant un bon souvenir de leurs services au moment du décès de mon père ? s’étonna Ségard.

– Tout à fait, lui répondit Alec. À l’époque, ils faisaient du très bon travail. Mais depuis qu’ils ont été rachetés, quand le père est parti à la retraite, c’est une catastrophe. Cela dit, ajouta-t-il, je crois qu’une de mes tantes avait été très contente des services pour les funérailles de son père Je peux me renseigner, si vous voulez ?…

– Oui, volontiers. Je te remercie. C’est toujours le père Poncin qui officie à Givery ?

– Oui, oui, approuva Fred en riant. Il gagatise un peu, mais il est toujours là. »

Alec et Siegfried avaient ri avec lui.

« Comment cha ? » demanda Matteo, la bouche pleine.

Ce fut Siegfried qui répondit :

« Il nous demande sans arrêt quand est-ce qu’on va arrêter de faire nos vieux garçons et nous marier.

– Ah bon ? s’étonna Ségard. Je ne pensais pas votre relation si secrète ?

– Elle ne l’est pas, justement. Pas du tout… sourit encore Siegfried.

– Après huit ans de vie commune et cinq de PACS, tout le canton ou presque doit le savoir. » ajouta Fred avec un sourire également.

Ils échangèrent un regard tendre, alors qu’Alec reprenait tranquillement :

« Quoi qu’il en soit, il ne verra sûrement pas de problème à célébrer les funérailles. Je peux l’appeler dès ce soir, si vous voulez.

– Oui, Alec. Merci.

– Je vous en prie.

– Bien, si nous pouvons passer à l’autre point… commença Ségard en regardant Matteo qui se frottait les yeux en bâillant. Nous souhaiterions que vous nous fassiez un certificat médical, s’il vous plaît, Docteur.

– J’avais cru entendre parler de quelque chose comme ça… répondit gentiment Siegfried. De quoi s’agit-il ?

– Les autorités nous demandent un échantillon d’ADN de Matteo pour faire des tests d’identification génétique sur les corps. Et si nous pouvions lui éviter de retourner à Paris juste pour ça ?… »

Ségard continua après un silence :

« J’ai emmené Matteo ici pour qu’il puisse se reposer au calme, vous comprenez… »

Siegfried regarda Matteo et demanda très doucement :

« Quel âge avez-vous, Matteo ?

– Euh… Toujours 19 ans.

– Ah oui, pardon. Vous aviez quel âge lorsque vos parents ont disparu ?

– Presque 10 ans… »

Matteo marmonnait. Le regard bleu, si clair, de ce beau psychiatre le mettait très mal à l’aise. Mais ce dernier n’insista pas plus. Il reprit simplement, avec un sourire confiant :

« C’est une très bonne idée que vous avez eue de venir souffler ici.

– Hm… »

Siegfried se pencha pour ramasser son sac, posé à ses pieds. Il en sortit un bloc d’ordonnances vierges et un stylo.

« Vous êtes suivi ? » demanda innocemment le psychiatre au bout d’un moment.

Matteo le regarda avant de répondre :

« J’ai un traitement, oui…

– D’accord.

– Pourquoi ?

– Rien, juste pour savoir. Voilà, continua Siegfried en détachant la feuille du bloc pour la lui tendre. Si ça vous convient ? »

Matteo regarda le certificat. L’écriture du psychiatre était étonnamment gracieuse et lisible. Il lut rapidement et dit en donnant la feuille à son grand-père :

« Je pense que ça ira… Tu peux vérifier, Grand Père ?

– N’hésitez pas à m’en demander une autre si elle ne leur convient pas, dit encore Siegfried.

– Ça devrait suffire, mais c’est noté si besoin, lui répondit Ségard. Merci infiniment.

–De rien, vraiment. C’est mon métier… N’hésitez pas, d’ailleurs, à me contacter tout court si besoin. Mon numéro est sur l’ordonnance. »

Les deux hommes finirent leur thé et leurs muffins en devisant de choses tout à fait banales et dénuées de réel intérêt avec leurs hôtes, puis ils se retirèrent. Alec les raccompagna à la porte. En leur rendant leurs manteaux, il leur dit :

« Merci d’être venus, les mecs.

– De rien, Alec, de rien, répondit Fred. Ça va, toi ?

– Ouais, ouais, ça va. Sérieux, à part leur préparer le repas et refaire leur lit, ça ne me donne pas tant de boulot en plus, tu sais. Le plus gros ici, c’est le ménage et l’entretien du parc.

– En tout cas, le petit a l’air bien éteint, remarqua Siegfried en enroulant son écharpe autour de son cou.

– Il est hypersomniaque.

– Ça se voit. Tu n’hésites pas, si besoin.

– C’est bien noté, Sig. Merci. »

Alec et ses deux amis se firent la bise et ils partirent.

Il s’était remis à neiger. Fred passa son bras autour des épaules de son compagnon pour lui susurrer :

« Ça te dit un bon petit bain crapuleux ?

– Bonne idée… frissonna Sig. Tu conduis ?

– Oh, tu me laisses le volant de ta voiture chérie ? C’est rare, sourit Fred.

– J’ai un coup de barre… Et tu conduis mieux que moi, sur la neige.

– D’accord, je te ramène. Tu en seras quitte pour me frotter le dos.

– Vendu. »

Les deux hommes montèrent dans la voiture et Fred fit un joli demi-tour pour sortir du domaine.

« T’endors pas quand même, Sig…

– Non, non, t’inquiète. Dis, Lieber ?

– Oui ?

– Tu le connais depuis longtemps, le patron d’Alec ?

– Monsieur Ségard… ?… Oh, depuis toujours ou peu s’en faut. Pourquoi ?

– Comme ça… C’est assez rare qu’un homme de son âge nous regarde avec une telle indifférence.

– Tu veux dire, comme un couple normal ?

– Ouais.

– C’est vrai.

– Il sait qu’Alec est gay ?

– Aucune idée. »

 

Chapitre 7

Alec alla débarrasser les tasses et le reste dans le petit salon où Ségard et Matteo se trouvaient encore. Il posa un grand plateau sur la table basse et commença à le charger. Matteo regardait par la fenêtre. Ségard soupira et se leva :

« Merci, Alec. Ce sont deux amis précieux que tu as là. »

Alec lui sourit :

« Oui, très précieux et très chers. Mais je vous en prie, il est de mon devoir de vous servir au mieux, surtout dans ces circonstances. Puis-je autre chose pour vous ?

– Non, pas dans l’immédiat.

– Dans ce cas… Monsieur Matteo ? »

Le garçon tourna très légèrement la tête vers lui.

« Si vous le voulez toujours, nous pouvons nous occuper de votre connexion Internet.

–Ah… Oui, ça serait cool… »

Alec souleva le plateau :

« Je vous invite à vous rendre au salon. Je ramène ceci à la cuisine et je suis à vous. »

Lorsqu’Alec arriva dans le grand salon, il y trouva donc Matteo. La pièce était grande, rectangulaire. Elle donnait sur la grande terrasse extérieure, par des portes vitrées. Plusieurs grands canapés formaient un U là, encadrant une grande table basse et faisant face à l’immense téléviseur, posé sur un superbe meuble, avec le magnétoscope, le lecteur DVD, le lecteur Blu-ray, le boîtier TNT et la box Internet.

Derrière ces canapés se trouvait une table ovale et le long des murs, des étagères vitrées contenant la collection de minéraux d’Albert Ségard, le fils d’Auguste, le fondateur de la lignée.

Matteo était assis sur un des canapés et regardait son ordinateur, posé devant lui sur la table basse, qui démarrait tranquillement.

Alec eut un sifflement admiratif. Au regard interrogatif du garçon, le régisseur répondit :

« C’est un très bel engin que vous avez là !

– Ah ?

– Oui, combien de pouces ?

– 21, je crois… Il est grand, mais j’avais envie… C’est mieux pour regarder des vidéos…

– Oui, c’est toujours plus confortable. Vous êtes sous Seven ?

– Oui oui… Il me détecte le réseau, mais il demande le mot de passe et l’adresse ?

– Je vais vous donner ça. »

Alec récupéra le livret du boîtier dans le tiroir du meuble télé et vint s’asseoir près du jeune homme sur le canapé, quand ce dernier lui demanda :

« Tu peux me montrer ? Je ne sais pas faire… »

Alec manipula avec soin la petite souris sans fil et suivit lentement le processus de connexion, en prenant soin d’expliquer toutes les étapes à Matteo. L’ordinateur se connecta sans souci et Alec se releva :

« Puis-je autre chose pour vous ?

– Non… Merci, Alec.

– Je vous en prie. Je vais m’atteler au dîner. N’hésitez pas à m’appeler s’il vous faut quoi que ce soit.

– Oui, d’accord. »

Alec se retira et Matteo le regarda sortir avec un petit sourire. Il commençait à bien l’aimer, ce gentil régisseur…

Il soupira, bailla et lança Skype. Pendant que le logiciel démarrait, il se connecta à sa boîte mail.

Il avait beaucoup de messages à lire, mais n’eut pas le temps de regarder plus, car une boîte de dialogue clignota. Il sourit en voyant qui parlait : Lou, sa meilleure amie.

« MATTEOOOOOOOOO !!! criait-elle virtuellement.

– Coucou ma Lou !

– ♥

– Câlin

– Ça me fait trop plaisir de te revoir ♥ Comment tu vas ?

– Tout doux… Mais ça va.

– T’es à Paris ?

– Non, non. Dans la maison de campagne, comme prévu.

– Y a le net, finalement ?

– Oui ^^, notre régisseur se l’ait pris. Il m’a co mon portable en wi-fi.

– Cool ♥ tu me manquais !

– Toi aussi ♥. Quoi de neuf au lycée ? »

Lou était une camarade de classe de Matteo. Elle n’était cependant pas pensionnaire comme lui.

« Eh bien tu as bien laissé ce connard de Ben dans la merde et c’est assez jubilatoire !

– Sérieux ? »

Matteo sourit tristement et reprit :

« Raconte…

– Stella l’a jeté et aucune fille ne veut de lui. Et tu peux compter sur nous, ça va le poursuivre un moment. *Mode démon*

– Le poussez pas au suicide quand même…

– T’en fais pas ! Il est con, pas dépressif. Et puis, après ce qu’il t’a fait, perso, je pense qu’il mérite bien sa merde ! »

Matteo soupira. Ses amis étaient encore très remontés… Il en connaissait un qui allait au moins en chier jusqu’au bac !

« Sérieux, Matteo, tu pourras te vanter d’avoir laissé un sacré bordel en te cassant. »

Matteo sourit à nouveau, puis répondit en bâillant :

« C’est sorti tout seul…

– Ouais ouais, je sais bien, mais on en rigole encore. Ah, la tête qu’il a faite et celle de Stella, c’était trop bon. Mais bon… Sérieux, tu vas comment ?

– Tout doux, comme je t’ai dit. Ça ira mieux après l’enterrement, j’espère… Je sais pas, là… J’ai un peu de mal à tout encaisser, le coup de pute de Ben et mes parents… Mais bon, je me sens pas mal ici et j’ai gagné une super nounou…

– Ah, qui ?

– Notre régisseur, Alec. Il est sympa. Il me dorlote.

– Lol

– À mon avis, Grand Père a dû lui demander, mais ça me change des deux vieux cons de Paris.

– Mignon ? »

Matteo rigola.

« Pas mal du tout… Mais bon, il a la trentaine.

– Maqué ?

– J’en sais rien. Il vit seul ici, en tout cas…

– Oh, zarb. Méfie-toi, il a peut-être installé une salle SM dans la cave… Avec plein de beaux esclaves enchaînés…

– Euh… Faut vraiment que tu arrêtes le Yaoi.

– Ouais, bon bref ! Dis, je peux venir t’embêter pendant les vacances ? *_*

– C’est quand ?

– Dans deux semaines… Enfin, en fait, je voulais surtout pas te laisser seul pour les funérailles… Tu sais quand ce sera ?

– Non… Ils ont pas encore fini les trucs pour l’identification des corps… Ils doivent faire un test ADN… Je te dirai, mais sinon, ouais, ça me ferait plaisir que tu viennes… Je vais voir avec mon grand-père et Alec, je te tiens au courant.

– OK. »

 

Chapitre 8

Comme la veille au soir, Alec se connecta vers 21 heures, une fois Matteo couché et Ségard devant la télé. Comme la veille, il trouva ses cinq amis sur Skype. Ils décidèrent de lancer un Counter Strike. Pendant que le jeu chargeait, Alec vit que Mina lui écrivait en privé. Intrigué, il cliqua pour voir ce qu’elle lui voulait :

« Merci beaucoup de m’avoir amené ton petit patron ♥ !

– ? répondit-il.

– J’adore avoir fait mon chiffre de la semaine le mercredi ♥ !

– À ce point ? ^^’

– Ouais ♥ !

– Lol

– Ramène-le quand tu veux 😉 !

– C’est noté.

– Il est très sympa, blague à part. Un peu éteint, mais très sympa. »

Ils se mirent à jouer et la soirée passa agréablement.

Le lendemain matin, après le petit déjeuner, Matteo trouva Alec en train de faire la poussière dans la bibliothèque, perché sur un grand escabeau.

« Puis-je quelque chose pour vous, Monsieur Matteo ? demanda aimablement le régisseur en lui souriant.

– Oui,… J’aimerais savoir si on pouvait ranger les livres que j’ai achetés hier ici, quelque part ?… Je n’ai pas de bibliothèque dans ma chambre ? »

Alec réfléchit un instant, puis descendit lentement jusqu’à lui, après avoir posé son chiffon à poussière sur son épaule.

« Mmmmh… Voilà une excellente question.

– Mais bon, tout est plein, ici, non ?

– Tout à fait, ce qui nous laisse deux options : faire du vide ou vous trouver un meuble pour votre chambre.

– Ah oui, on peut faire ça aussi, c’est vrai, bailla le garçon.

– Si ça vous convient ?

– Ça peut… Mais il faudrait réaménager ma chambre, alors, non ?

– Ou simplement échanger votre petite bibliothèque d’enfant contre une grande… Je crois qu’il y en a une à la cave. Ou sinon, ce n’est pas dur à trouver.

– Ah ?

– Vous voulez que nous allions voir ?

– Oui, je veux bien… Mais ton ménage ?

– Oh, ces vieux livres ne vont pas s’envoler, ne craignez rien. »

Alec posa son chiffon sur l’escabeau. Matteo regardait les hautes étagères et dit :

« C’est immense… mais moins que dans mes souvenirs.

– C’est normal. Vous avez grandi.

– Il y a beaucoup de livres très anciens, non ?

– Tout à fait. C’était la passion de votre arrière-grand-père, mais il y avait déjà ici, avant lui, la première collection de votre arrière-arrière-grand-tante Augustine, qui a entre autres retrouvé les journaux intimes de beaucoup de gens de la famille et a tenu à les mettre ici. C’est ce meuble-là, si ça vous intéresse. »

Matteo regarda l’étagère en question. Effectivement, maintenant qu’il faisait attention, les ouvrages exposés à cet endroit étaient très fins et tenaient plus du grand cahier que du livre.

« Tout ça ?

– Oui. »

Ils prirent tous deux le chemin du hall, où se trouvait l’accès à la cave.

« … Il y a le journal de votre ancêtre Auguste, celui de son épouse Eugénie, de leur fils, Albert, qui a beaucoup voyagé. C’est à lui que vous devez la collection de minéraux du grand salon et aussi les statuettes asiatiques dans la salle à manger. Il avait ramené des caisses de bazar d’un peu partout, que ses enfants, qui ne savaient pas trop quoi en faire, ont donné à beaucoup de musées, surtout à Lyon. Il y a aussi celui d’Augustine, sa fille, de son frère Georges, et de son épouse, Marguerite…

– Dis donc, tu connais ma généalogie par cœur ! sourit Matteo.

– Ça fait aussi parti de mon travail. »

Alec ouvrit une petite porte, presque cachée sous le monumental escalier. Elle donnait sur un escalier lui minuscule, étroit et sombre, qui s’enfonçait dans les ténèbres. Alec alluma et une série de néons dorés éclairèrent alors la descente et Alexis s’engagea en premier :

« C’est raide, faites attention. »

Matteo se tint à la rampe. Effectivement, l’escalier était plus que casse-gueule. Il fut impressionné de la vitesse à laquelle Alec le descendit.

La cave était juste immense, une seule pièce soutenue par des piliers. Tout de suite sur la gauche se trouvaient les réserves de nourriture, à droite la cave à vin, plus loin à gauche un bazar d’outils, d’ateliers, de matériels visiblement très divers et au fond et à droite, de vieux meubles très divers eux aussi. C’est par là qu’Alec se dirigea.

Matteo le rejoignit lentement, regardant tout autour de lui avec curiosité.

Alec retira la housse dans des meubles, découvrant une étagère bibliothèque de près de 2 m de haut sur 1,50 m de large, en bois sombre.

« Ah, elle m’a l’air impeccable… Qu’en pensez-vous ?

– Ça irait pas mal…

– Je la dépoussière et je vous la monte, dans ce cas.

– Tu y arriveras tout seul ?

– Oui, ça devrait aller, j’ai un diable et elle n’est pas si lourde. Je suis arrivé à la descendre ici, j’arriverai bien à la remonter.

– Tu l’as descendue tout seul ?

– Oui ! C’était quand on a réaménagé les combles, après le départ à la retraite de mes parents.

– Ça fait longtemps ?

– Un peu plus de six ans.

– Tes parents sont si vieux que ça ?

– Non, non. Mais ma mère avait ses 40 ans et mon père de gros problèmes de dos qui faisait qu’il ne pouvait plus trop travailler, alors ils ont décidé d’arrêter là. »

Alec sourit.

« Je vais chercher de quoi nettoyer sa et vous apportez dans votre chambre. Si vous voulez bien m’y attendre ?

–D’accord. »

Ils remontèrent tous les deux. Laissant Alec, Matteo retourna dans sa chambre. Il vida la petite bibliothèque sur son lit et feuilletait un livre d’images lorsqu’Alec arriva.

Le régisseur fit sans trop de mal passer le grand meuble par la porte et contourna agilement le grand lit.

« Ah, vous l’avez déjà vidée, c’est gentil. Merci.

– Euh, de rien… »

Ils ne furent pas trop de deux pour faire se croiser les deux meubles, car il y avait assez peu de place entre le lit et le mur. Matteo regarda ensuite sa nouvelle bibliothèque avec plaisir avant de bailler. Alec lui sourit :

« Voulez-vous de l’aide pour ranger vos livres ?

– Non, non, ça ira, merci… Je vais m’en occuper… »

Matteo s’étira avant de reprendre :

« Merci, Alec…

– Je vous en prie. »

Alec dit encore en montrant la petite bibliothèque :

« Je vais descendre ce meuble à la cave, si vous n’en avez plus besoin ?

– Ah… Euh… »

Le jeune homme réfléchit un instant.

« Euh, oui… Si ça ne te dérange pas ?

– Du tout. Ne vous en faites pas. Je vous laisse, mais n’hésitez pas à m’appeler s’il vous faut quoi que ce soit. »

 

Chapitre 9

Alec partit avec le petit meuble, en chantonnant toujours. Il le descendit à la cave, le recouvrit d’une toile et sursauta car la sonnette de la porte venait de retentir. Intrigué, il se hâta de remonter pour aller ouvrir.

Il découvrit avec surprise Gwendoline, la jeune sœur de son patron et sa meilleure amie Julia, réciproquement âgées de 65 et 62 ans.

Gwendoline était une femme mince, aux longs cheveux blond-roux très pâles relevés en un chignon élégant, vêtue ce jour-là d’une longue robe ocre dorée, à l’avant finement décoré de broderies blanches, sous un manteau anthracite long, au bas ample, taillé pour elle. Une fine étole de soie argentée en guise d’écharpe et des gants de cuir noir complétaient sa tenue.

Julia avait été brune, mais ses cheveux, longs également et tressés ce jour-là, étaient désormais parsemés de blanc. Elle aussi était mince, plus grande que Gwendoline, vêtue d’un tailleur pantalon bordeaux sous un long manteau noir plus strict. Une large écharpe de laine rouge et carmin entourait son cou.

Alec se hâta de les faire rentrer, tout sourire :

« Mademoiselle Gwendoline, Mademoiselle Julia, quelle bonne surprise !

– Bonjour ! le salua Julia, souriante.

– Bonjour, Alec, dit Gwendoline. Nous sommes navrées de débarquer ainsi sans même avoir appelé…

– Mais je vous en prie, lui répondit-il aimablement en l’aidant à retirer son manteau. Vous êtes chez vous ici ! Que nous vaut le plaisir de vous voir ?

– Une affaire dont je devais te parler, répondit Gwendoline alors qu’Alec débarrassait cette fois Julia. Et quand nous avons appris que Léon était là avec Matteo, nous avons pensé à en profiter pour venir les voir… Surtout quand nous avons su que l’épave avait été retrouvée… »

Alec hocha la tête. Les deux manteaux sur le bras, il reprit avec douceur :

« Monsieur Léon est dans son bureau et Monsieur Matteo dans sa chambre. Je ne doute pas qu’ils seront ravis de vous voir.

– Comment vont-ils ? demanda Julia, l’air un peu inquiète.

–Monsieur Léon tient plutôt bien le choc, il me semble. Comme il l’a dit lui-même, son deuil était fait de longue date. Pour ce qui est de Monsieur Matteo… Il me semble qu’il pourra reprendre pied doucement ici. En tout cas, je lui impose un rythme qui semble lui convenir… Son traitement est assez lourd et il dort énormément.

– Oui, Léo m’a dit que le psychiatre qu’ils avaient vu leur avait dit que le traitement mettrait un moment à agir… opina Gwendoline.

– Je serais à sa disposition aussi longtemps qu’il le faudra. » dit très posément Alec.

Gwendoline sourit et tapota le bras du régisseur :

« Ah, Alec, Alec… Que ferions-nous sans toi…

– Qu’auriez-vous fait sans sa famille, tu veux dire ! sourit Julia. Ça fait plus d’un siècle et demi qu’ils sont toujours là pour vous ! »

Un sourire rapide passa sur les lèvres d’Alec qui reprit avec douceur :

« Si vous voulez aller vous réchauffer au petit salon, je vais avertir Monsieur Léon et Monsieur Matteo de votre arrivée. Souhaitez-vous boire ou manger quelque chose ?

– Oh, un petit café chaud me ferait bien plaisir, répondit Julia. Qu’en dis-tu, Gwen ?

– Volontiers.

– Je vous prépare ça immédiatement et je m’occupe ensuite de vos bagages et de rentrer votre voiture. Ne vous inquiétez de rien et allez vous installer tranquillement. »

Alec regarda les deux femmes partir avec un sourire doux. Il avait une très sincère affection pour elles.

Il alla prendre leurs vestes et écharpes avant de se hâter vers le bureau de Léon Ségard. Il frappa et attendit qu’on l’y autorise pour entrer.

« Tu tombes bien, Alec… J’allais te demander un café. Qu’y a-t-il ? J’ai entendu sonner à la porte ?

– Tout à fait. Et je vous invite donc, si vous désirez un café, à vous rendre dans le petit salon afin de le boire en compagnie de votre sœur et de son amie, qui viennent de nous faire la surprise d’arriver.

– Gwendoline est là ?! sursauta Ségard.

– Mesdemoiselles Gwendoline et Julia. Elles vous attendent. Si vous le permettez, je vais avertir Monsieur Matteo et je viendrai après vous servir le café. »

Ségard s’était levé, souriant :

« Fais, fais ! Nous t’attendrons ! »

Alec inclina la tête et se retira. Il retourna à la chambre de Matteo, pour trouver le garçon endormi sur une BD, agenouillé au sol, appuyé contre son lit.

Alec sourit et s’approcha tout doucement pour se pencher et secouer délicatement son épaule :

« Monsieur Matteo ?

– Hmmm… »

Le garçon rentrouvrit des yeux vagues et grommela avant de sursauter.

« Tout va bien, tout va bien, lui dit doucement Alec en se redressant. Je venais juste vous informer de l’arrivée de votre grand-tante et de son amie. Si vous voulez aller les saluer, elles sont au petit salon avec votre grand-père. »

Matteo sourit malgré son air ensuqué :

« Grand Tatie est là avec Julia ?

– Elles viennent de nous faire la surprise d’arriver. Voudrez-vous du café avec eux ?

– Euh… commença Matteo en se levant lentement. Non… Merci, non. »

Il s’étira en bâillant.

« Merci, Alec ! dit-t-il, souriant.

– De rien, allez vite les embrasser. »

Alec repartit préparer le café. Ça faisait plaisir de voir Matteo sourire. Il lui semblait que le jeune homme reprenait un peu du poil de la bête.

Lorsqu’Alec arriva avec son plateau, il ne put retenir un sourire attendri en voyant Matteo tout câlin suspendu au cou de Gwendoline.

Julia regardait elle aussi la scène avec un sourire, tout comme Ségard.

Alec déposa trois tasses de café sur la table basse. Puis il repartit s’occuper des bagages des demoiselles.

Matteo s’assit sur le petit canapé près de sa grand-tante, tout sourire, et Ségard et Julia prirent place sur les fauteuils.

« Que nous vaut cette surprise ? s’enquit gentiment Ségard.

– Je devais voir quelque chose avec Alec et comme vous étiez là, nous nous sommes dits : autant venir et en profiter pour se voir. »

Matteo se calla contre elle et prit sa main, définitivement câlin.

« Tu te souviens de Tifaene et Markys ? continua Gwendoline sans le repousser.

– Tes chevaux ? répondit son frère, intrigué.

– Oui. La poneyterie où ils étaient en pension va fermer d’ici l’été prochain. Je voulais savoir s’il pouvait les prendre en charge ici.

– Ah, bonne question… Je ne sais pas dans quel état sont les écuries. »

 

Chapitre 10

 

Alec revint un peu plus tard chercher les tasses vides. Matteo luttait pour ne pas s’endormir, toujours blotti contre sa grand-tante, qui parlait avec son frère et son amie. Alec se racla discrètement la gorge et quand il eut leur attention, il dit aimablement :

« Je n’avais pas prévu quatre couverts pour ce midi, je garde donc mon bœuf bourguignon pour ce soir, le temps de décongeler plus de viande. Je peux vous faire un poulet rôti, si vous permettez ?

– Oh, volontiers ! s’exclama Gwendoline. Désolé de te prendre au dépourvu.

– Ce n’est pas un souci, ne vous en faites pas. La ferme est juste à côté. Je vais y aller tout de suite. Le déjeuner se fera par contre plutôt vers 12h30, si ça vous convient ? »

Ségard opina, les autres aussi et Alec hocha la tête avant de partir avec les tasses.

Il les laissa à la cuisine, sortit un sachet de pommes duchesse du congélateur et alla enfiler son manteau, son écharpe et ses gants. Le ciel était dégagé, il faisait très beau. Il sortit sa voiture, dût mettre ses lunettes de soleil, tant les tas de neige étaient éblouissants sous la lumière ambiante.

La ferme voisine était vraiment à côté, de l’autre côté de la route, à quelques minutes à peine.

Alec se gara tranquillement dans la cour après avoir remonté l’allée, entre un champ et un pré.

Il n’eut même pas besoin d’aller jusqu’à la porte de la maison. Cette dernière s’ouvrit sur une petite femme âgée aussi maigre qu’énergique :

« Eh, qu’est-ce que tu fais là, petiot ? »

La doyenne de l’exploitation, grand-mère de l’actuel maître des lieux, Charles, était sûrement la vraie maîtresse de la ferme dans les faits.

« Le bonjour, mère Betty ! la salua-t-il en s’approchant. Dites voir, vous n’auriez pas un poulet pour moi ? »

Il savait que la vieille dame ne s’embarrassait pas de baratin et appréciait qu’on ne s’en embarrasse pas non plus.

« Sûr, petiot ! Entre, on va te chercher ça ! »

Alec hocha la tête. Elle s’écarta pour me laisser passer avant de refermer la porte en maugréant :

« Fichue neige, ça va encore me dégueulasser la cour ! »

Alec salua Lola, l’épouse de Charles, assise à la table de bois massif ancestrale, au milieu de la grande cuisine et occupée à éplucher des légumes.

« Salut, voisine !

– Salut, voisin ! Qu’est-ce qui t’amène ?

– Besoin d’un poulet en urgence pour midi !

– Je vais te chercher ça, petiot. »

La mère Betty enfila un gilet et de vieilles bottes en caoutchouc avant de ressortir en grommelant toujours à moitié. Alec et Lola la regardèrent faire et échangèrent un regard amusé.

« Ça va, Alec ? Qu’est-ce qui t’arrive ? Toi en rad’ pour un déjeuner ? C’est possible ça ?

– Oui, quand j’ai des invitées surprises !

– C’est possible, ça ? répéta-t-elle en riant.

– Oui, quand la sœur de mon patron et son amie débarquent sans prévenir, ce qui double les troupes à nourrir !

– Je comprends mieux ! Tu as tout le monde, alors ?

– Oui, les quatre.

– C’est vrai qu’ils ont repêché les cadavres du fils et de sa femme ?

– Ils sont en train de faire des tests pour vérifier, mais c’est pour le principe, il n’y a pas trop de doute.

– Quelle misère !… Ça faisait quoi, cinq, six ans ?

– Neuf.

– Sérieux ?

– 2004.

– Houlàlà, tu me fiches un coup de vieux !

– Ça m’a fait pareil… Et encore plus quand Ségard est arrivé avec son petit-fils…

– Quel âge ça lui fait ?

– 19 ans.

– Houlà, déjà ? »

La vieille Betty revint avec un beau poulet dodu, tout plumé, vidé, ficelé.

« T’as du bol, petiot ! Charles n’a pas pu tous les emmener au marché ce matin.

– Ah, merci beaucoup. Mais il a eu un souci ?

– Il a dû prendre l’utilitaire, la camionnette n’a pas démarré. Il l’avait laissée dehors, expliqua Lola.

– Oh, mince… Si ça dure, n’hésitez pas, j’ai toujours la mienne… »

La mère Betty emballa soigneusement le poulet et aussi des œufs frais dans du papier journal.

« Tiens, je crois que le petit Ségard aimait bien les œufs à la coque… dit-elle en mettant le tout dans les mains d’Alec.

– Ah bon ? s’étonna ce dernier.

– Ça ! Sa mère venait toujours chercher des œufs pour lui quand ils étaient là. »

Alec sourit. Cette vieille dame été aussi gentille qu’elle était rude.

« Merci pour lui, alors. Combien je vous dois ?

– Oh, rien, va. Ça fera pour le coup de main de cet automne pour la grange.

– Ah, ben merci.

– De rien, file, petiot. C’est long à cuire ces bêtes-là, tu vas te mettre en retard. Salue tes patrons pour moi. »

Alec hocha la tête, les remercia encore et il repartit.

Il mit le poulet au four en chantonnant, aussitôt qu’il l’eût huilé et assaisonné. Il en salivait presque d’avance. Les volailles de ses voisins étaient des bêtes heureuses qui passaient leur vie à gambader dans l’herbe et elles étaient succulentes. Il faudrait d’ailleurs qu’il fasse un bon bouillon avec la carcasse.

Il éminçait des légumes avec soin pour faire une bonne petite poêlée qui accompagnerait les pommes de terre duchesse, lorsque Julia arriva :

« Alec, tu es là ?

– Tout à fait, Mademoiselle. Que puis-je pour vous ? »

Elle entra et referma soigneusement la porte :

« Désolée d’avoir débarqué à l’improviste.

– Oh, mais il n’y a vraiment pas de souci. C’est un plaisir de vous voir.

– Tu n’as pas oublié le régime de Gwendoline ?

– Non, non, ne craignez rien. Viande maigre ou dégraissée, priorité aux légumes vapeur ou cuits à l’huile de colza et laitages de chèvre et brebis.

– Impressionnant. »

Alec sourit :

« C’est mon travail. »

Julia hocha la tête.

« Le bœuf de ce soir sera dégraissé, ajouta Alec. Mais c’était de la belle viande de toute façon. »

Julia eut un petit rire :

« Mais où trouves-tu toujours d’aussi bons produits ?

– Un peu partout autour… Il y a beaucoup de fermes ici… Beaucoup sont passés au bio depuis 10 ou 15 ans… C’est très agréable. »

Un silence, puis il reprit :

« Ça me fait vraiment plaisir de vous voir. Vous avez l’air en forme.

– Et toi, toujours égal à toi-même. Ça t’arrive de te mettre en colère ? »

Elle souriait et lui gloussa avant de répondre :

« Oui, ça m’arrive. Et il paraît que je fais très peur. »

 

Chapitre 11 

Les personnes envoyées pour faire le prélèvement ADN étaient très aimables et professionnelles.

Alec avait proposé de scanner et envoyer l’ordonnance de Siegfried par mail à qui de droit pour gagner du temps. Ségard l’en avait remercié, tout en grognant contre ces gens qui n’avaient plus de fax.

Ces grommellements avaient fait glousser doucement et Alec et Matteo, aussi amusés l’un que l’autre de la technophobie du vieil homme.

Gwendoline et son frère restèrent avec le jeune homme pendant que les deux envoyés de l’institut médico-légal prenaient leurs espèces de coton-tige pour aller prélever, dans sa bouche, les cellules nécessaires au test. Tiré de sa sieste de l’après-midi, Matteo était grognon et se laissa faire sans rien dire.

Ils ne traînèrent pas. Alec apporta sans rien dire non plus deux cafés, un chocolat chaud et des muffins aux trois Ségard, au petit salon, dès leur départ. Matteo pleurait en silence dans les bras de sa grand-tante et Ségard, attristé, ne put que tapoter son épaule.

Alec les laissa donc sans un bruit. Parti pour retourner à la cuisine, il fut coupé dans son élan par la sonnette de la porte. Il alla ouvrir pour découvrir Fred grelottant sous le glacial soleil hivernal. Il se poussa immédiatement pour le faire entrer.

« Hé, salut vieux frère ! Qu’est-ce qui t’amène ?

– J’ai eu les devis, je voulais voir avec Ségard…

– Houlà, ça n’a pas traîné.

– Non, et c’est tant mieux… J’ai eu une commande pour une cuisine qui va me prendre pas mal de temps, du coup, je voudrais m’occuper des cercueils assez vite.

– Je vois. »

Alec aida son vieil ami à enlever son manteau. Fred avait un petit sac à dos.

« Tu tombes pas au meilleur moment. Les gars du labo viennent de partir, ils sont venus chercher l’ADN de Matteo pour le test sur le corps et ça l’a un peu secoué.

– Ah, mince… »

Alec sourit et tapota son bras :

« C’est pas grave, on va aller voir. Ça peut être un mal pour un bien, après tout, ce serait fait. Je te fais un thé ?

– Euh, non ça ira… Si t’as une bière pour après ?

– J’ai. Tu me rejoindras à la cuisine ? »

Fred opina.

Il suivit Alec jusqu’au petit salon et le laissa frapper. La voix de son patron l’y autorisant, Alec entra.

« Pardonnez-moi, dit-il aux trois Ségard, Frédéric est là et a eu les devis pour le bois. Il souhaiterait finaliser la commande avec vous ? »

Matteo ne pleurait plus, dormant à moitié dans les bras de sa grand-tante qui le câlinait tendrement.

« Oh, c’est gentil à lui d’avoir fait si vite de s’être déplacé… »

Alec laissa son ami avec la petite famille et gagna sa cuisine.

Il finalisait avec soin ses lasagnes au saumon pour les enfourner lorsque Fred le rejoignit.

Le grand menuisier s’assit à la table de la cuisine. Alec sortit deux petites bouteilles de bière du frigo, les décapsula et en tendit une à son ami. Ils trinquèrent.

« Ça a été ?

– Commande finalisée et j’ai le chèque de l’acompte. Il est cool ton boss, il a même pas cherché à marchander.

– Pas son genre, surtout auprès d’un petit artisan. Et puis, il sait que tu connais ton boulot.

– C’est vrai que la Manufacture va partir en Chine ? »

Alec soupira, puis répondit :

« C’est en projet…

– C’est dingue, qu’un homme aussi respectueux du travail des gens soit capable d’envoyer 200 familles sur la paille…

– Je sais… Je comprends pas.

Ouais… Moi non plus. »

Il y eut un silence. Alec enfourna ses lasagnes et Fred reprit :

« En tout cas, il y a de très très sales rumeurs sur la Manufacture…

– Du genre ?

– Le nouveau directeur… Il paraît que c’est un connard, qu’il traite tout le monde comme de la merde et que chez les cadres, c’est à qui poussera le plus d’employés à la démission. »

Alec grimaça :

« J’ai entendu des trucs comme ça, moi aussi. Toujours ça de primes de licenciement en moins, j’imagine…

– ‘Faut croire… Mais si c’est vrai, c’est vraiment dégueulasse… Dire qu’on aurait fêté les 150 ans l’an prochain.

– Ouais. 1864…

– On est loin des photos d’Auguste Ségard mettant la main à la pâte avec ses ouvriers… »

Alec eut un sourire.

« Ouais… On en est loin. »

Les deux hommes sursautèrent ensemble quand on frappa doucement à la porte de la cuisine. Alec alla ouvrir et s’écarta, et Gwendoline entra :

« Pardon, je ne vous dérange pas ?

– Non, non. Que puis-je pour vous ?

– En fait, j’aurais voulu parler à ton ami ? »

Fred, qui s’était accoudé sur la table, se redressa. Alec regarda la petite femme s’avancer et Fred et lui sourirent lorsqu’elle soupira :

« Je n’en reviens toujours pas que tu es grandi à ce point… »

Elle s’assit face à lui.

« Je ne veux pas te retarder trop, j’imagine que tu as du travail. J’aurais juste voulu savoir si tu pouvais me conseiller un bon charpentier ? »

Fred leva un sourcil dubitatif alors qu’Alec souriait à nouveau. Le grand artisan haussa les épaules :

« Euh, ben moi…

– Ah, tu fais aussi des charpentes ?

– En association avec des collègues si besoin, oui… Ça dépend de la structure.

– Il s’agirait de nos vieilles écuries… »

Alec s’était appuyé sur le rebord de l’évier et sirotait paisiblement sa bière.

« Il faudrait que nous sachions si le bâtiment est restaurable ou s’il faut en reconstruire un à neuf… expliqua Gwendoline. Mes chevaux vont se retrouver sans domicile d’ici l’été prochain… Je voulais qu’ils puissent venir ici. »

Fred hocha la tête :

« Il faudrait jeter un œil… Voir si ça tient un peu ou pas… Il sert encore, ce bâtiment ?

– Non, répondit Alec. Il est à l’abandon depuis un bon moment, je ne suis même pas sûr de l’avoir connu encore utiliser. ‘Faudra que je demande à mes parents…

– En tout cas, mes chevaux n’y ont jamais séjourné. Et je ne me souviens pas non plus en avoir connu d’autres… »

Fred hocha encore la tête.

« Il faudrait aller voir quoi ça ressemble et ce qu’on peut en faire.

– Tant que tu y es, jette un œil à la chapelle, aussi… proposa Alec.

– Ah oui, la vieille chapelle du Parc ? Elle doit être en meilleur état, c’est là que Stéphane et Ludivine s’étaient mariés… » remarqua Gwendoline.

Alec finit sa bière et sourit. Il s’en souvenait un peu. C’était effectivement dans la petite chapelle familiale que les parents de Matteo s’étaient mariés. Lui-même avait 11 ans. C’était également là que Matteo avait été baptisé. Il ne se souvenait pas que la chapelle ait resservi depuis lors, mais c’était un petit édifice en pierre, autrement plus solide que la vieille écurie en bois.

Fred opina du chef et finit sa bière également.

« Je n’ai pas le temps de voir ça aujourd’hui, dit-il, mais je repasserai dans la semaine, c’est noté. »

Gwendoline le remercia et le laissa. Fred fit la moue en se levant :

« Eh bé, ils vont remplir mon carnet de commande pour l’année, si ça continue…

– Bah, tant mieux. C’est pas toi qui te plaignais de manquer de gros boulots ?

– Si, si… clair que c’est plutôt un peu trop tranquille en ce moment… Entre la crise et la porte du chômage, les gens ne sont pas supers dépensiers… »

Fred repartit peu après.

Alec resta à préparer le dîner. Cette histoire de délocalisation le travaillait prodigieusement. Il faudrait qu’il appelle sa mère pour lui en parler.

Chapitre 12 :

Alec regarda à sa droite, Matteo qui luttait pour ne pas s’endormir sur son siège. Il freina à un feu rouge et dit gentiment :

“Nous y sommes presque, monsieur.

– Arrête de m’appeler monsieur, grommela Matteo.

– Je n’y peux rien. Votre grand-père a été très clair. En son absence, c’est vous le patron.

– M’en fous. Je lui dirais pas… Mais arrête de m’appeler monsieur.”

Alec sourit :

“Bon, soit. Si je vous appelle à nouveau monsieur Matteo, ça vous ira ?”

Matteo fit la moue :

“Mouais, si tu veux… On est à l’heure ?

– Oui, oui. Nous sommes même en avance. Elle ne vous a pas renvoyé de message ?

– Je crois pas…”

Alec redémarra alors que Matteo regardait son portable et confirma :

“Non, rien d’autre. Son train doit être à l’heure, c’est cool.”

Alec hocha la tête.

“C’est gentil d’avoir accepté qu’elle vienne.” reprit Matteo.

Alec sourit à nouveau :

“Je vous en prie. Votre grand-père est reparti il y a trois jours, votre grand-tante et son amie avant-hier, c’est plutôt bien que votre amie arrive aujourd’hui. Ca aurait été triste que vous restiez tout seul ici.

– Je ne suis pas seul, tu es là… Je sais bien que tu peux pas t’occuper de moi tout le temps, mais je ne me sens pas seul. Et puis, vu ce que je dors encore…

– J’ai pourtant l’impression que vous allez un peu mieux ?

– Oui, le rythme me va, là… Et puis je mange bien mieux… Tu cuisines vraiment comme un chef !

– Merci. Il faudra me dire si votre amie et vous voulez des choses particulières.

– D’accord, je lui dirais.”

Alec entra dans le parking de la gare. Cette dernière était minuscule, une seule autre voiture attendait.

L’unique quai était donc désert. Il faisait froid, mais toujours beau. Matteo souffla sur ses mains. L’avisant, Alec nota tout haut :

“Il faut vraiment aller vous acheter des vêtements.

– On ira avec Lou… Quelle heure il est ?

– Hmmm…”

Alec sortit sa montre à gousset:

“10h47.

– Ah, le train ne va pas tarder.

– Dans quelques minutes.”

Matteo retint un bâillement. Alec était plutôt content que son jeune patron ait invité cette demoiselle. Comme prévu, Léon Ségard n’avait guère plus rester que dix jours, et même Gwendoline et Julia avaient dû repartir, prises par leurs obligations associatives.

Matteo était un grand garçon et il savait s’occuper. Entre films, séries et livres, il était plutôt sage, restant dans sa chambre ou au salon.

Alec veillait sur ses heures de sommeil et de repas, mais c’était à peu près tout. Et si, lorsque sa grand-tante et son amie étaient là, le garçon avait pris l’habitude de se joindre à elles quand elles allaient se promener, depuis leur départ, il n’était pas sorti.

Le vieux TER arriva et s’arrêta dans un vacarme assourdissant de grincements de tôle et de frein. Alec et Matteo grimacèrent ensemble. Trois personnes descendirent en sus du contrôleur : une vieille dame toute ronde avec une béquille, accompagnée d’un fringant quinquagénaire qui portait deux valises, et Lou, toute jeune fille de 18 ans, tout rond, dont la tresse chatain-brun dépassait sous le bonnet noir, avec une impressionnante écharpe rouge sombre et un manteau, noir aussi, taillé un peu comme une redingote, un jean gris sur des bottines noires cernées de rouges.

Elle descendit une grande valise à roulettes qui semblait assez lourde, et soufflait un coup quand Matteo la rejoignit. Ils s’étreignirent avec joie.

Alec vint les retrouver après avoir aidé l’homme à descendre ses valises sur le quai.

“Ca a été, Lou ? demandait Matteo.

– Ouais, ouais. Un peu long, mais sans problème. Eh eh, c’est la première fois que j’ai droit à un wagon à compartiments, je me suis crue dans un vieux film !

– Sérieux ? Ca existe encore ? sursautaMatteo, aussi amusé qu’elle.

– Ils en ont laissés sur les petites lignes, confirma Alec avec un sourire. Pour le folklore.

– Lou, je te présente Alec Varin, notre régisseur. Alec, Lou Arcas, ma meilleure amie.

– Mes respects, mademoiselle.

– Euh… Enchantée, monsieur Varin.”

Elle lui tendit la main et il la serra en lui disant :

“Vous pouvez m’appeler Alec.

– D’accord… Ben vous pouvez m’appeler Lou, alors !

– N’y pense même pas ! sourit Matteo. Il va sagement t’appeler mademoiselle et peut-être mademoiselle Lou si tu insistes.”

Alec toussota pour camoufler son rire alors que la jeune fille haussait un sourcil dubitatif. Matteo ajouta avec un sourire goguenard :

“Alec est très très respectueux des consignes.

– C’est pour ça que votre grand-père me paye, monsieur Matteo.

– Grand-Père est à Paris, Alec.

– Ce n’est pas une raison, répondit le régisseur en prenant d’autorité la valise de Lou. C’est une question de confiance et de respect des engagements pris.

– Mouais mouais, se moqua Matteo alors qu’ils se mettaient en marche.

– Je me dois de mériter la confiance de votre grand-père.”

Le contrôleur siffla et ils entendirent le train repartir alors qu’ils arrivaient à la voiture.

“Et moi alors ? fit Matteo avec une tentative plutôt convaincante de moue suppliante.

– Nous en reparlerons quand vous payerez mon salaire.”

Laissant les deux jeunes gens monter l’un à côté de l’autre à l’arrière de la voiture, Alec chargea la voiture dans le coffre avant de remonter prendre le volant.

Matteo et Lou chuchotaient à l’arrière et Alec conduisait en faisant semblant de ne rien entendre. Ils furent rapidement au Domaine. Lou, déjà impressionnée par la taille du parc, le fut plus encore par celle de la maison.

“Ah ouais, quand même !”

En descendant du véhicule, elle regarda un moment la bâtisse et finit par lâcher, séchée :

“Joli deux-pièces.”

Elle regarda Matteo et ajouta :

“Je savais que t’étais pas du genre à faire les choses à moitié, mais quand même…

– Entrez vite au chaud !” les appela Alec de la porte qu’il venait d’ouvrir.

 

Il déposa la valise dans l’entrée, se poussa pour les laisser passer, puis ressortit pour aller ranger la voiture.

Lou attendit que la porte soit close pour dire à Matteo :

“Trop la classe ton régisseur !

– Alec ?… Clair, y a pire.

– Tu lui as pas encore sauté dessus ?”

Matteo sursauta :

“Ca va pas !

– Ben quoi, il serait peut-être pas contre !

– Euh… Non mais non…

– Oh, allez ? Un beau mec comme ça encore célibataire ? Moi je dis, ça se tente !

– Faut vraiment que tu arrêtes le yaoi. Pour de vrai.”

Ils rirent tous les deux.

“Bon, Ok, j’ai lu trop d’histoires de majordomes. Mais quand même, il est canon !

– Ca, on est d’accord. Et attends d’avoir goûté sa cuisine…”

Ils enlevèrent manteaux, écharpes, bonnet, que Matteo suspendit dans le placard prévu à cet effet, juste à côté de la porte d’entrée.

“Quoi, en plus, il cuisine bien ?… Non, mais bon à marier à ce point et il l’est pas ?… Là, je maintiens qu’il y a un truc !”

Matteo lui tira la langue. Alec revint, tranquille, et enleva son propre manteau, son écharpe et ses gants, avant de déclarer aimablement :

“Je vais emmener la valise de mademoiselle Lou dans sa chambre. Je vous laisse, n’hésitez pas à m’appeler s’il y a quoi que ce soit. J’ai prévu le déjeuner à midi, si ça vous convient ?

– Très bien, merci.” lui dit Matteo.

Alec s’inclina légèrement avant de prendre la valise et de filer. Lou fit la moue :

“Marrant. J’ai toujours l’impression d’être dans un film d’poque en fait. Avoue, vous avez commandé le train pour me mettre dans l’ambiance ?

– Même pas !

– Alors y a eu une faille spacio-temporelle quelque part.

– Sûrement. Allez viens, je vais te faire visiter !

– Y a des plans de secours si on se perd ?

– Je crois pas. Mais au pire, y a assez d’interphones internes pour sonner Alec.

– Comme ça il s’équipe pour venir nous secourir ?

– T’as tout compris.”

 

Chapitre 13 :

Assis seul dans son bureau, Alec regarda sa liste des « choses à faire pendant l’hiver » et fit la moue.

Le sol du parc était encore trop humide, voire partiellement enneigé dans les zones les plus abritées, pour aller faire le tour des arbres et commencer à nettoyer.

Entretien du fusil, pas envie.

Nettoyage de la piscine, un peu tôt.

À part si Matteo voulait en profiter ? C’est vrai qu’il ne lui en avait pas parlé. Nager un peu ne lui ferait peut-être pas de mal ? Il faudrait voir ça avec lui. Si ça se trouvait, son amie apprécierait aussi.

Sinon…

Il faudrait voir avec Fred quand il pouvait passer pour les écuries et la chapelle. Il n’avait finalement pas pu. Pour le moment, il avait assez de boulot entre les deux cercueils et la cuisine qu’on lui avait commandée. Ils verraient ça au printemps.

Bon, il allait quand même falloir emmener Matteo refaire sa garde-robe… Y aller avec la jeune Lou serait sûrement sympathique et il y avait un moment que lui-même n’avait pas fait un tour à la « grande » galerie marchande de 17 boutiques du coin et si ça n’allait pas au jeune Parisien, la Par Dieu n’était pas si loin. Là, sur les 240 magasins, il trouverait bien son bonheur.

Alec regarda sa liste et gonfla ses joues avant d’expulser l’air par petites saccades.

Comptabilité à jour, ménage aussi…

Bof bof bof.

Ouais. À part la piscine… Il avait bien envie de barboter lui aussi.

Il se leva.

La pièce n’était pas loin du grand bureau du maître des lieux. Elle était par contre bien plus petite et humblement meublée. Dans les faits, Alec se posait plus souvent dans la cuisine pour bosser, car la pièce n’était en plus pas très lumineuse, la fenêtre donnant au nord. Il s’étira et sursauta lorsque le téléphone sonna. Il décrocha rapidement :

« Domaine Ségard, bonjour ?

Coucou, mon grand !

Oh, salut, Maman. Comment vas-tu ?

Ça va, ça va. Et toi ? Tu t’en sors avec le petit Matteo ?

Bien. Il est plutôt sage.

Il va mieux ?

Un peu et la présence de son ami lui fait du bien. Il dort moins.

Ah, ça y est, elle est arrivée ?

Depuis avant-hier.

Elles restent longtemps ?

Ben, elle voulait être là pour les funérailles… Donc, avoir quand on saura quand elles auront lieu.

Je vois… C’est très gentil de sa part. En faite, c’est à ce sujet que je t’appelais. Tu n’as toujours pas de nouvelles ?

Non, mais je pense que ça ne va pas tarder. Ça va faire deux semaines, là, il devrait avoir fini bientôt.

Tu nous diras, que nous venions t’aider ?

Si besoin, bien sûr. Mais je ne sais pas du tout ce que Monsieur Ségard a prévu… Ce serait étonnant qu’il ne fasse pas un petit pot ici, mais pour qui et comment il voit ça, je n’en sais rien.

On verra bien ! Quoi qu’il en soit, n’hésite.

Oui, oui, mais ne t’en fais pas. Sérieux, il n’y a pas tant à faire. Ça se passera sûrement dans le grand salon et ça va, j’avais fait la poussière des vitrines en février. Il faudra passer un petit coup, mais le plus gros sera de déplacer les meubles si besoin et de s’occuper du buffet. Le connaissant, il prendra sûrement un traiteur.

Oh, n’hésite pas à lui dire que nous pouvons nous en charger si il veut rester en petit comité.

Il le sait, ne t’en fais pas. Tu penses qu’on va revoir les Baudouin ?

Seigneur ! Sûrement… De toute façon, ceux-là, on les verra plus qu’aux funérailles… »

La famille Baudouin était la branche cadette de la famille Ségard, les descendants d’Augustine, la petite fille d’Auguste, la fille de son fils Albert. Les deux lignées s’étaient éloignées, les Baudouin vivant dans le sud à Cannes, des revenus de leur hôtel de luxe.

Alec se souvenait de les avoir croisés à l’enterrement de Pierre Ségard, le père de son actuel patron, et au mariage des parents de Matteo, mais il ne les avait pas revus depuis et ils ne lui manquaient pas. Il trouvait leur goût du « bling-bling » très vulgaire.

Il se souvenait encore de mademoiselle Margot, âgée de deux ans de moins que lui, se pavanant déjà au mariage, à 10 ans, très (trop) fière de ses bijoux clinquants et de ses vêtements « de star d’ailleurs la fille d’une grande actrice avait les mêmes au Festival l’an dernier ».

Il avait d’ailleurs beaucoup ri en apprenant que la demoiselle avait eu un fils sans père officiel, ce qui, dans cette famille ultra lissée et très catho, avait le mérite d’être aussi original que sûrement très problématique.

Il ne savait pas si ces braves gens se déplaceraient pour les funérailles, mais ce n’était définitivement pas lui qui leur courait après pour les faire venir.

« J’avais autre chose à te demander, Maman, si tu as cinq minutes ?

Oh, mais je t’en prie, mon grand ? »

Alec laissa sa mère un peu plus tard, il était déjà l’heure de préparer le déjeuner.

Les deux jeunes gens l’attendaient sagement, assis à la grande table, visiblement de bien bonne humeur. Il leur sourit en déposant devant chacun d’eux une assiette de crudités. Ils le remercièrent.

« Mademoiselle, Monsieur. Avez-vous passé une bonne matinée ?

Oui, on a regardé un manga… lui répondit Matteo. Tsubasa Chronicles, tu connais ?

Ah, oui. Série sympa, mais très en dessous de la version papier.

Ah ? Je ne l’ai pas lue ! Elle est bien ? demanda Lou, vivement intéressée.

La fin est un peu tarabiscotée, mais globalement, c’est plutôt une bonne série. Bien plus sombre et violente que l’anime. Je peux vous les prêter, si vous voulez, je les ai en haut.

Ah, volontiers ! Merci !

Je vous en prie. Dites-moi, seriez-vous intéressés par la piscine ? Je comptais la nettoyer ici le printemps, mais j’ai pensé que vous voudriez peut-être en profiter ? »

Voyant les yeux ronds de ses vis-à-vis, Alec sourit, amusé :

« Ah, vous aviez oublié ça.

On a une piscine intérieure ?

Une lubie de votre grand-mère. À l’époque où votre grand-père les lui passait toutes, enfin, c’est ce que disait le mien, expliqua innocemment Alec.

Longtemps avant leur divorce, donc, sourit Matteo.

Sûrement, opina encore Alec. Je vous montrerai ça après manger.

D’accord !

Bon appétit, en attendant. »

Il les laissa. Lou et Mateo commencèrent à manger.

« Tu ne m’as jamais parlé de ta grand-mère ? remarqua la demoiselle.

Pas grand-chose à dire, ça fait des années que je n’ai pas de nouvelle. Ils ont divorcé en 79, je crois. Tant que mes parents ont été là, on la voyait un peu en été et à Noël, mais depuis, elle est aux abonnés absents. Ça fait des années qu’elle ne répond même plus à mes cartes de vœux…

Elle était comment ?

Belle, je crois. Après, le genre de coquette qui ne veut pas vieillir, qui prétend toujours avoir 25 ans même quand son fils en a 30, et donc, qui vivait très mal d’être grand-mère. Pas une mamie gâteau, quoi. Du côté de ma mère, ils étaient adorables.

Ils sont morts aussi ?

C’est tout comme. Ma grand-mère est morte et comme son mari n’était pas le père de ma mère, il est parti vivre sa vie.

Et ben !… Famille super réduite, hein.

Clair. Enfin, on arrêterait d’être enfant unique aussi…

Ouais… Ça aiderait. »

Le repas passa et comme promis, Alec les conduisit ensuite, côté Sud, pour leur faire découvrir une salle entièrement vitrée, au sol et aux murs dallés de blanc et de bleu, avec une piscine de 3 m sur 6, pour l’heure vide.

« Waouh ! s’exclama Lou.

Ça me revient, ça y est, se rappela Matteo avec un sourire.

Et vous pouvez vous en servir en hiver ? Ça doit coûter une fortune à chauffer ! s’exclama encore Lou.

Non, même pas, lui répondit Alec. Tout le chauffage de la maison est géothermique. Ça, c’est une lubie de votre arrière-grand-père… À l’époque, c’était encore expérimental en France, mais il avait trouvé ça génial. Et donc très pratique aussi pour les piscines. Ça vous dit, alors ? »

Lou et Mateo échangèrent un sourire et elle dit avec malice :

« J’ai pas pris mon maillot !

Moi non plus, reconnut Matteo.

Je propose donc que nous ajoutions ça à la liste des vêtements que vous devez vous acheter.

Bonne idée ! »

Chapitre 14 :

 

Assis sur un banc, devant la boutique, gardant les achats précédents, Alec commençait à fatiguer un peu. Pourvu que ce magasin soit le dernier… Il en avait plein le dos… Et il commençait à avoir très faim.

La Part-Dieu était assez calme, comme souvent en début d’après-midi de semaine. Relativement, bien sûr, à sa fréquentation moyenne. Bref, on pouvait à peu près se promener sans heurter trop de gens. C’était nettement plus calme qu’un peu plus tôt, entre midi et deux heures, ou la moitié de Lyon avait semblé venir manger dans le grand centre commercial.

Lou le rejoignit :

« Matteo paye et ce sera bon, Alec. Houlà, vous avez l’air crevé ?

– Ça ira, Mademoiselle, répondit-il en retenant un bâillement.

– On se demandait où on pouvait manger ?

– Oh, il y a de quoi faire, ici. Ça dépend de ce que vous voulez.

– Du chaud, à part ça, pas trop d’idées.

– Si un bête steak frites vous convient, il y a ce qu’il faut au rez-de-chaussée. Monsieur Matteo a trouvé son bonheur ?

– Oui ! C’est bon. Il ne nous manque plus que des maillots de bain !

– Bien. Dans ce cas, je vous propose d’aller vous installer au restaurant pendant que je vais ranger les courses dans la voiture, je vous rejoindrai après et nous verrons la suite. »

Elle opina, puis avisa le nombre de sacs qui entouraient Alec :

« Mais vous pourrez porter ça tout seul jusqu’à la voiture ?

– Ce n’est pas si lourd…

– Non, mais c’est quand même sacrément encombrant… »

Matteo arriva avec deux nouveaux grands sacs. Il avait l’air très fatigué, mais souriait :

« Voilà ! C’est tout bon, je suis rhabillé pour l’hiver !

– Parfait ! »

Alec se leva et commença à ramasser les sacs. Le voyant galérer, Lou et Matteo se regardèrent, amusés, et Matteo dit :

« On va ranger tout ça et on va manger, ça vous va ?

– C’est ce qu’on se disait, lui répondit tout.

– Je vais ranger, allez vous installer au restaurant… commença Alec.

– On va t’aider, le coupa Matteo. De toute façon, on ne trouvera pas ton resto sans toi… ajouta-t-il face au froncement de sourcils de son vis-à-vis. Allez, zen, Alec, pour un peu, tu te prendrais un sandwich pour ne pas venir au resto avec nous… Détends-toi un peu, on est en 2013 et tu n’es pas mon larbin. »

Alec eut un sourire, s’avouant vaincu, et soupira :

« Soit, soit… Venez vite, alors, je meurs de faim.

– Moi aussi ! opina Lou en prenant quatre sacs.

– Pareil. Tu pensais nous emmener manger où ?

– Un petit snack sympa en bas, si un steak frites vous convient également. »

Ils partirent vers le centre de la grande croix qui constituait le centre commercial. Ce dernier comptait cinq étages, dont un en sous-sol, 260 commerces en tout, dont un certain nombre de restaurants et deux cinéma. Ils prirent l’ascenseur pour descendre au parking et mettre tous les sacs dans le coffre de la voiture. Puis, ils remontèrent tranquillement dans le centre commercial pour aller s’installer dans le restaurant, tranquille à cette heure-ci. Le rush était passé.

Matteo leur offrit l’apéro et ils furent rapidement servis. La nourriture était bonne et le personnel sympathique. Ils passèrent un agréable moment à parler mangas, jeux vidéo etc., et finirent par se proposer d’aller voir un film. Après tout, ils avaient le temps.

Ils remontèrent donc à l’étage, au cinéma et se mirent sans mal d’accord pour un film d’action sans grande prétention, mais assez divertissant, Hansel & Gretel, Witch Hunters.

Matteo parvint à ne pas trop s’endormir et Alec et le passèrent un moment amusant.

Ce n’est qu’en sortant que Matteo et Alex s’aperçurent qu’ils avaient des appels en absence du grand-père du garçon. Ce dernier le rappela immédiatement alors qu’ils prenaient le chemin du magasin de sport, à l’étage supérieur, pour aller enfin s’acheter des maillots de bain.

« Oui, Grand Père ? Bonjour !… Oui, désolé, on était au ciné, on avait coupé les portables… Ça va ?… Oui, oui, ça va. On est à la Part-Dieu, j’ai refait ma garde-robe.… Oui, dis-moi ?… »

Matteo s’arrêta et son sourire disparut. Puis il reprit :

«… D’accord… Oui, oui, ne t’en fais pas.… Oui, d’accord. Tu veux que je te le passe ?… Ah, oui, ça sera mieux. D’accord, je lui dis. Oui, pas de problème. »

Le garçon est un petit sourire :

«… Ca va aller, Grand Père. T’inquiète pas. Oui, oui, fais comme tu peux… Oui. On verra, il n’y a pas d’urgence. Bonne après-midi. À bientôt. »

Lou et Alec s’étaient arrêtés, avaient échangé un regard inquiet, puis avaient attendu. Matteo raccrocha et rangea son téléphone dans sa poche en disant :

« Les analyses sont bouclées, le test ADN est positif. Grand Père va voir pour faire revenir les corps au plus vite. Il te rappellera ce soir pour les détails pratiques. »

Alec le regarda, navré, et hocha lentement la tête :

« Bien. »

Lou rejoignit Matteo et le serra fort dans ses bras. Il sourit et lui rendit son étreinte en disant :

« Merci, Lou… »

Alec eut un sourire et reprit gentiment :

« Ne vous en faites pas, Monsieur Matteo. Tout va bien se passer, vous n’êtes pas seul. Allons, venez, vos maillots de bain vous attendent. »

Matteo opina.

Ils repartirent tous trois, Lou restant accrochée au bras de son ami.

Il y avait un choix intéressant pour un mois de mars et Lou et Mateo trouvèrent leur bonheur assez rapidement, un simple short noir pour lui et un maillot vert sombre, de taille classique, pour elle.

Ils se payèrent encore une bonne glace avant de retourner à la voiture.

Matteo s’endormait, Lou le laissa tranquille à l’arrière et monta à côté d’Alec.

Ce dernier sortit paisiblement la voiture du parking et soupira en appréhendant la circulation de cette fin d’après-midi. Rien que sortir de Lyon allait prendre du temps. La jeune fille sourit :

« Et ben, on est pas rentré.

– Nous ne sommes pas pressés. »

Un petit moment passa avant que Lou ne demande, dès qu’elle fut sûre que Matteo dormait pour de bon :

« Dites, Alec…

– Oui, Mademoiselle ?

– Vous les avez connus, vous, les parents de Matteo ?

– Pas tant que ça, mais oui.

– Ils ne vivaient pas au Domaine ? »

Alec dénia du chef :

« Non, déjà plus. En fait, le père de Monsieur Matteo, Stéphane, est parti à Paris avec sa mère, Isabelle, quand elle a divorcé de Monsieur Léon. Monsieur Léon est resté quelque temps au Domaine, auprès ses propres parents, puis il est parti vivre à Paris aussi, pour se rapprocher de son fils. Nous les voyions pendant les vacances, en été surtout, et à Noël.

– Il était comment, son père ? »

Alec soupira.

« À ce point ? Sourit la demoiselle.

– Un garçon très hautain et méprisant, qui pensait valoir beaucoup, le rappeler sans arrêt et avec l’âge, il ne pensait plus qu’à l’argent et au paraître.

– Genre grosse voiture et tout ?

– Ah, sa dernière était effrayante… Elle doit toujours être dans leur garage parisien, d’ailleurs, je ne crois pas que Monsieur Léon l’ait vendue.

– Et sa mère ?

– Madame Ludivine ? J’en garde le souvenir d’une jeune femme très gentille, mais extrêmement timide… Pleine de bonne volonté, mais très maladroite… Elle demandait souvent des conseils de cuisine à ma mère, mais elle n’y arrivait jamais… Elle devait vraiment manquer de confiance en elle. Mais elle essayait sans cesse… Et elle adorait son fils. »

Il y eut un silence pendant qu’Alex s’engageait prudemment sur le périphérique.

« Monsieur Matteo était un petit garçon très joyeux et très gentil. Très éveillé, aussi. Et très aimé de ses parents, surtout de sa mère.

– Ça va être dur pour lui…

– Oui, ça va être un sale moment à passer, c’est sûr. Mais je ne suis pas inquiet. Il se remettra. Il a tout le temps pour ça et je pense vraiment qu’il a aussi tout ce qu’il faut dans la tête.

– Vous croyez qu’il va devoir les prendre longtemps, ces médocs ? C’est dingue comme ça l’éteint, j’ai l’impression qu’il est en veille, là…

– Aucune idée, reconnut Alec. Nous verrons ce que dit ce psychiatre ou un autre par ici si besoin… Ce sont souvent des traitements un peu long, mais nous ferons attention. Il ne faut pas vous inquiéter, Mademoiselle. Monsieur Matteo n’est pas seul. Nous sommes là. »

Alec profita d’un ralentissement pour lui sourire. Elle sourit aussi et hocha la tête :

« Vous l’aimez bien, avouez ?

– J’avoue. C’est un gentil garçon.

– Je savais bien que ce n’était pas que du devoir ! »

Alec sourit encore :

« Ce n’est pas incompatible. L’affection que nous pouvons avoir pour les Ségard n’est qu’un plus dans notre histoire, mais le service, c’est autre chose.

– « Nous » ?

– Moi mes ancêtres avant moi.

– Ça fait longtemps ?

– Septième génération. »

Lou sursauta, les yeux ronds :

« Sérieux ?! »

Alec opina, toujours :

« Depuis qu’Auguste Ségard a engagé mon ancêtre Irène Nowak comme gouvernante, le 24 octobre 1854. »

 

 Chapitre 15 :

Alec finit la dernière lessive avec un soupir soulagé. Il avait lavé tous les achats de Matteo, en avait déjà repassé une bonne partie, et il tenait le bon bout. Il mit le linge au sèche-linge et, pendant que ça se mettait en route, il regarda l’heure. Bientôt le dîner… Son ragoût devait mijoter tranquillum.

Il retint un bâillement.

Bon, si on récapitulait… Les deux jeunes gens n’avaient pas bougé du salon, occupés à regarder des séries, à part pour les repas. Pas étonnant, vu la pluie qui tombait et le ciel si lourd et gris que le jour semblait ne pas s’être levé de la journée. Lui avait nettoyé la piscine au matin, elle se remplissait sagement. Ils l’auraient pour le lendemain et ça serait bien pour les faire bouger un peu. Et lui pourrait finir le linge tranquillement.

Il apporta les vêtements déjà propres et repassés dans la chambre. Il les déposa sur le lit, comme Matteo le lui avait demandé.

Puis, il passa au salon et ne put retenir un sourire, attendri. Les deux jeunes gens étaient blottis l’un contre l’autre, emballés dans le même grand plaid douillet. Sur le grand écran de télévision, les frères Elric cherchaient la pierre philosophale. Le sourire d’Alex s’élargit. Il se racla la gorge et Matteo sursauta. Il devait sommeiller. Lou sourit :

« Oui, Alec ?

– Je venais voir si tout allait bien ?

– Oui, merci !

– Parfait. Vous avez encore droit à un épisode et demi avant le dîner. Monsieur Matteo, votre linge sera fini demain, j’ai mis ce qui était propre sur votre lit.

– Ah, merci… bâilla le jeune homme.

– Et la piscine devrait être prête demain également.

– Super ! s’exclama Lou, toute contente. J’espère qu’il fera meilleur.

– Dans le cas contraire, je montrai le chauffage, sourit Alec. Bien, je vous laisse. À tout à l’heure.

– À tout à l’heure, Alec ! lui dit Matteo.

– Et merci ! ajouta joyeusement Lou.

– Je vous en prie. » répondit-il gentiment.

Il repartit tranquillement et alla à la cuisine.

Comme prévu, le ragoût mijotait sagement. Il le touilla un peu pour le principe. Le téléphone, sur le mur, sonna. Il décrocha avec un soupir :

« Résidence Ségard, bonsoir ?

– Alec ? Ça va ? Tu réponds plus à ton portable ?

– Putain, je l’ai laissé à la buanderie… soupira Alec en se frappant le front. Salut, Fred.

– Salut… T’as l’air crevé, vieux ? Sérieux, ça va ? »

La voix grave était sincèrement inquiète. Alec quitta la cuisine pour aller chercher le portable.

« Ouais, ouais, t’en fais pas. Juste crevé. J’ai nettoyé la piscine ce matin et passé l’aprèm à faire des lessives, c’est tout…

– Ouais, on te voit pas sur Skype ce soir, quoi.

– Euh, le temps que je mange, peut-être, mais pas beaucoup plus tard.

– Ouais, force pas !

– ‘Cun risque ! bâilla Alec en entrant dans la pièce où le sèche-linge ronronnait toujours. Qu’est-ce que tu voulais ?

– Te prévenir que les cercueils étaient presque prêts.

– Ah, super ! T’es le meilleur ! »

Fred eut un petit rire.

« Je sais, je sais. Bon, blague à part, tu as du nouveau ?

– Yep ! Monsieur Ségard m’a confirmé que les corps allaient arriver à Lyon après-demain, expliqua Alec en empochant son portable et en repartant. Les funérailles auront lieu samedi.

– OK… D’accord, ça laisse cinq jours.

– Oui. Ça sera bon ?

– Oui, oui. T’en fais pas. Il me reste vraiment deux bricoles à peaufiner, je ferais ça demain. Ségard arrive quand ?

– Demain soir. Il demandera à passer voir les cercueils, je pense… Je te rappellerai.

– Yep. Et il faudra me dire où les livrer.

– Nouvelles pompes funèbres de Grillins, répondit Alec en revenant à la cuisine.

– Ah, OK.

– Tu vois lesquels ?

– Ouais, ouais, y a pas de souci.

– Mais attends le feu vert de Ségard, je pense vraiment qu’il voudra les voir avant, continua Alec en sortant les couverts d’un tiroir d’une main.

–T’inquiète pas. »

Il y eut un silence, puis Fred reprit :

« Ça ira, toi ?

– Oui, oui… répondit Alec, occupé cette fois à sortir les assiettes d’un placard, toujours d’une main. Mes parents débarquent demain matin. On sera tranquille pour tout préparer, même si toute la famille débarque. De toute façon, ils ne viendront sûrement pas tous.

– Sig m’a chargé de te dire que si le petit Matteo avait besoin de soutien, il était là.

– C’est noté, merci à lui. Bon, je te laisse, vieux… Il faut que je mette la table et que je finisse de préparer le dîner.

– Pas de souci, Alec ! Je te dis à tout’ ?

– Yep. Vers huit ou neuf heures, je pense…

– D’accord. Bon courage !

– Merci ! »

Alec alla raccrocher le téléphone sur son socle, fixé au mur et finit de sortir les couverts. Il prit tout ça pour aller mettre la table dans la salle à manger.

À 19 heures, les deux jeunes gens arrivèrent. Alec les servit avec soin malgré la fatigue. Lou tenait bon, gardant le moral et soutenant un Matteo bien abattu.

Le garçon était silencieux et triste. Il essayait de ne pas se laisser aller, mais c’était difficile. Il appréhendait les jours à venir. Il n’avait pas envie de vivre ça. Il ne voulait pas voir ces gens, assister cette cérémonie, supporter tout ça. Il aurait voulu pouvoir s’endormir et se réveiller une semaine plus tard, quand tout serait fini.

Alec était vigilant, lui aussi. Il espérait que ça irait, avec Lou et l’arrivée de sa grand-tante Gwendoline et de son amie Julia. Elles devaient aussi arriver le lendemain dans l’après-midi.

Laissant les deux jeunes gens retourner au salon après le repas, Alec alla vérifier la piscine, tout était OK. Puis il retourna leur assurer qu’il restait à leur disposition si besoin et partit enfin se faire un plateau repas pour remonter dans son antre.

Il s’installa avec un nouveau soupir las et se connecta sur Skype. Mina était là avec Fred et Siegfried. Ils le saluèrent amicalement.

« Ça va, Alec ? demanda gentiment Sig.

– Cramé… Ça ira mieux après une bonne nuit. Et vous ?

– Crevé aussi ! répondit Mina.

– Moi ça va, sale journée, mais pas crevé, répondit Sig.

– Oh, rien de grave ? s’inquiéta Alec.

– Non, non. Juste un nouveau pensionnaire pas facile. Et pour couronner le tout, j’ai croisé Madame Riannet ce matin. »

Il y eut un silence. Puis Mina soupira :

« Ah merde… Ça ira ?

– On fera pour… répondit Sig d’un ton blasé.

– Je vais vraiment finir par l’encadrer… gronda Fred.

– Fred… soupira à son tour Sig.

– Non, mais merde ! Ça me saoule qu’elle te fasse encore chier, cette vieille conne !

– Elle a perdu son fils, Fred, lui dit le psychiatre.

– C’est pas ta faute s’il s’est foutu en l’air ! »

Alec coupa fermement la conversation en proposant de lancer une petite partie de Counter Strike. Mina se jeta dans la brèche et opina plus que vivement. Sig et Fred approuvèrent rapidement. Ce sujet de conversation était un des rares sur lequel le couple pouvait réellement se disputer.

Ils jouèrent un moment, puis Alec alla se coucher. Il repensa à Madame Riannet… Une sale histoire…

Le fils de cette femme, Ludovic, s’était suicidé à 16 ans, alors qu’il était interné dans la Clinique des Roses et suivi par Siegfried. Le garçon était profondément dépressif et s’automutilait de longue date. Personne ne savait pourquoi, mais tous les efforts de Sig pour le soigner n’avaient servi à rien. Il avait fugué et son corps avait été retrouvé quelques heures plus tard dans une mare.

Madame Riannet n’avait jamais pardonné à Siegfried qu’elle jugeait seul responsable de la mort de Ludovic. Elle avait voulu le poursuivre en justice, mais le psychiatre était de repos l’après-midi où le garçon s’était enfui et ne pouvait donc pas être tenu légalement responsable de la négligence qui avait permis sa fuite. Pour le reste, l’enquête avait prouvé que Siegfried avait fait tout son possible, mais aussi que Ludovic avait sans doute été pris en charge bien trop tard. Mais ça, Madame Riannet n’avait jamais voulu l’entendre.

Siegfried avait très sincèrement souffert de cette histoire. Fred, lui, avait été longtemps furieux des accusations portées contre son compagnon et des rumeurs qui avaient couru.

Alec les avait soutenus comme il avait pu, mais ça avait vraiment été un sale moment et il avait réellement eu peur que leur couple n’y survive pas. Il avait passé un certain nombre d’heures et pas mal de nuits, le plus souvent dans sa cuisine, à ramasser Sig, ou Fred selon les jours, et ça avait fini par aller. Les deux hommes s’aimaient et rien ne pouvait aller sérieusement contre ça. Fred avait fini par laisser couler, mais la lave n’était jamais très loin sous la croûte quand le sujet revenait sur le tapis. Quant à Siegfried, qui savait ce qu’il pensait désormais de cette histoire au fond de lui-même… Le soutien inconditionnel qu’il avait reçu de l’autre directeur de la Clinique, de tout son personnel et même de l’écrasante majorité de ses patients avait été sans appel et lui avait permis de tenir bon, tant professionnellement que personnellement. Et Fred, malgré sa colère, avait toujours été de son côté.

Mais comme Sig l’avait dit, ivre, à Alec, très tard une nuit :

« Cet enfant est mort et rien ne changera ça. »

Alec ne pensait pas que Siegfried culpabilisait outre mesure. Le médecin était trop intelligent et lucide pour ne pas avoir compris qu’il était arrivé trop tard, face à un cas trop lourd. L’impression de gâchis n’en restait pas moins amère et bien réelle.

Alec était d’humeur maussade lorsqu’il se réveilla. Il faisait toujours gris, même s’il ne pleuvait plus. Le ciel était bas et lourd. Il se doucha, s’habilla et descendit. La maison était silencieuse. Il se demanda à quelle heure les deux jeunes gens s’étaient couchés.

Il eut la réponse sous la forme d’un petit mot coincé dans la porte de la cuisine. Il ne connaissait pas cette écriture et en conclut que c’était celle de Lou :

« Bonjour, Alec !

On a pas trop regardé l’heure, du coup on va se coucher seulement maintenant et c’est presque 3 h. Oups ! Merci de venir vers 11 heures si on a pas bougé et désolés ! À tout à l’heure ! »

Il sourit. Il était presque 8h30. Ses parents ne seraient pas là avant une bonne heure et demi. Il bailla en entrant dans la cuisine et s’étira.

On allait commencer par le début.

Café.

 

Chapitre 16 :

 

Lou émergea laborieusement vers 10h20 et se dit qu’il était trop tard pour se rendormir. Elle se leva sans grande énergie et se traîna jusqu’à la petite salle de bain attenant à sa chambre pour se prendre une petite douche.

Elle n’en revenait toujours pas de cette maison, de dormir dans un lit à baldaquin, au milieu de meubles d’époque, et avec cette espèce de majordome qui l’appelait toujours « Mademoiselle ». Elle l’aimait bien, Alec. Il était assez cool, il aimait bien les mangas et il cuisinait vraiment super bien.

Elle s’habilla et sortit. Sa chambre était juste à côté de celle de Matteo qui dormait sûrement encore. Elle réussit à ne pas se perdre jusqu’à la cuisine et en s’approchant, elle entendit des voix. Intriguée, elle eut une hésitation, puis frappa timidement.

Les voix se turent et un instant plus tard, Alec vint lui ouvrir. Il lui sourit :

« Oh, bonjour, Mademoiselle. Comment allez-vous, ce matin ?

– Un peu la tête dans le seau, mais ça va… Tu as euh… des invités ?

– Oh, non ! Ce sont mes parents qui sont arrivés… »

Il s’écarta :

« Entrez donc, je vais vous les présenter. »

La jeune fille entra donc et découvrit, assis à la table, un couple de sexagénaires souriants. La femme était désormais plus blanche que blonde, avec un chignon simple, pas très grande et bien en chair, et ressemblait beaucoup à son fils. L’homme était courbé, trapu, avec une courte barbe, lui plus châtain que blond, mais désormais bien blanc aussi. Il s’excusa de ne pas pouvoir se lever, il avait mal au dos. Elle, par contre, se leva pour venir aimablement serrer la main de Lou pendant qu’Alec reprenait :

« Mademoiselle Lou Arcas, je vous présente ma mère, Mariette, et mon père, Yves, qui s’est encore coincé le dos en voulant réparer son toit tout seul.

– Oh, ça va ! fit semblant de s’indigner Yves alors que son fils croisait les bras sans perdre son sourire.

– Enchantée, Mademoiselle Lou, dit Mariette en tendant la main et en gloussant à la pique de son fils.

–De même. » répondit Lou en la serrant, amusée elle aussi.

Elle s’avança pour serrer la main d’Yves :

« Enchantée !

– Moi aussi !

– Vous désirez déjeuner, Mademoiselle ? demanda gentiment Alec.

– Euh, oui… Mais pas d’œufs ce matin, c’est un peu trop tard…

– J’avais des croissants, dans ce cas.

– Ah oui, un petit croissant, je veux bien…

– Avec un chocolat chaud ? s’enquit encore Alec en décroisant les bras.

– Volontiers !

– Bien. Si vous voulez rejoindre la salle à manger, je prépare ça et je vous l’apporte… »

Elle fit la moue et bredouilla :

«… ‘Vous dérangez pas… Je peux boire ça ici ?… »

Alec fronça un sourcil sans perdre son sourire et elle reprit vivement en agitant ses mains devant elle :

« Non désolée mais la grande table, là, avec Matteo, ça le fait, mais toute seule, sérieux, c’est trop déprimant !… »

Alec soupira et échangea un regard avec sa mère qui haussa les épaules avec un sourire. Il eut une moue amusée et croisa à nouveau les bras avant de répondre avec un faux regard sévère :

« Pas un mot à Monsieur Ségard.

– Promis ! »

Il décroisa les bras et lui désigna la table :

« Asseyez-vous tout de même, je vous en prie. »

Elle opina du chef, soulagée, et s’assit face à Yves. Alec sortit du lait, du cacao et tout ce qu’il fallait pour préparer ça dans les règles de l’art.

Mariette surveillait du coin de l’œil et haussa un sourcil à un moment :

« Tiens, qu’est-ce que tu rajoutes ?

– Une pointe de cannelle… J’ai lu ça dans un bouquin… Tu veux goûter ? »

Elle le toisa, suspicieuse.

« Me regarde pas comme ça, protesta-t-il en se retenant de rire, c’est très bon !

– Je confirme ! intervint Lou, amusée aussi.

– Mouais, concéda Mariette. Je gouterai une cuillère. »

Alec gloussa encore et se pencha vers elle sans cesser de remuer doucement le lait :

« Tu n’as pas avoir peur, c’est juste de la cannelle tu sais… Je sais que tu tiens au respect des vieilles recettes, mais améliorer, c’est bien aussi.

– Oh, nous on a passé l’âge d’innover ! intervint à son tour Yves en riant lui aussi.

– Comme s’il y avait un âge pour ça ! »

Un peu plus tard, Alec servait une grande tasse fumante à Lou avec un croissant. Un petit carré de chocolat amer fondait sur le lait moussu. Lou soupira de bonheur. Alec distribuait les trois autres croissants entre lui et ses parents, en gardant un pour Matteo au cas où.

Mariette goûta avec curiosité le fond que lui avait servi son fils. Elle fit la moue avant de reconnaître :

« Pas si mal… »

Alec eut un petit rire et Yves se pencha pour chuchoter à Lou :

« Ça, c’est un sacré compliment.

– Ah ben, heureusement que vous me le dites ! répondit-elle avec amusement, tout bas aussi.

– Oui, on dirait pas, c’est pour ça que je précise… »

Alec souriait toujours et joignit ses mains devant lui avant de s’incliner respectueusement devant sa mère :

« Merci beaucoup, maman. Très heureux de cette éclatante histoire !

– Oh, mais de rien, mon grand. Tu l’as mérité. »

Ils furent interrompus par le téléphone. Alec prit une inspiration pour reprendre son sérieux avant de décrocher :

« Résidence Ségard, j’écoute ?… Non, c’est Alec. … »

Il eut une moue intriguée.

« … Oh, bonjour, Madame Lydia !… Ça va, je vous remercie, et vous-même ?… Oui ?… D’accord. Non, aucun souci. Nous pouvons accueillir au Domaine sans problème. Avec qui allez-vous venir ?… Monsieur Paul et Madame Joséphine, d’accord. … Oui ?… Oh, mais il n’y a pas de souci. Monsieur Léon comprendra sans mal que Monsieur Didier et mademoiselle Margot soient pris par leurs obligations professionnelles. … D’accord. Nous vous attendons jeudi après-midi. Portez-vous bien d’ici là. À bientôt. »

Il raccrocha. Sa mère le regardait avec sérieux.

« Madame Lydia vient ? À son âge ?… »

Alec réfléchit une seconde :

« Houlà, t’as raison… Combien ça lui fait ?

– Elle est de 31, intervint Yves.

– Donc, 82 ans, calcula Alec.

– Qui est-ce ? s’enquit entre deux gorgées de chocolat chaud.

– La grande cousine de Monsieur Léon, la femme du cousin de son père… répondit Mariette. Une charmante vieille dame. Elle vient juste avec son fils et sa femme, alors ?

– Oui ils arrivent jeudi. Elle m’a dit que Didier est en Chine et que Margot et son fils viendraient peut-être samedi aux funérailles, qu’ils ne savaient pas encore.

– D’accord, opina Mariette.

– Tu as eu des nouvelles de Madame Isabelle ? » s’enquit Yves en ramassant les miettes de croissant qu’il y avait sur la table.

Il en fit un petit tas au bord. Alec dénia du chef :

« Non, pas encore. Comme c’est Monsieur Ségard qui s’est chargé de prévenir tout le monde, j’ignore comment il a géré ça avec elle. »

Il débarrassa Lou qui avait fini. Yves se leva lentement en tenant son dos, grimaçant. Mariette se rapprocha pour l’aider :

« Doucement, doucement… Houlala, tu ne t’es pas loupé…

– Je dois passer au village poser les affichettes pour les funérailles, dit Alec en déposant la vaisselle dans l’évier. Tu veux en profiter ? Je peux te laisser chez le vieil André ? Il pourrait sûrement te remettre le dos en place.

– Oh, pas bête… Ce vieux rebouteux est toujours là ? sourit Yves.

– Et increvable. Il nous enterra tous. »

Un peu plus tard, Alec et son père partirent donc. Laissant Mariette commencer à préparer le repas de midi, Lou alla voir où en était Matteo. Elle toqua à sa porte et, n’entendant pas de réponse, entra doucement.

La pièce était sombre. Un filet de lumière, passant au bord du rideau de la fenêtre mal fermé, empêchait seul que ce soit l’obscurité complète.

Elle s’approcha. Matteo dormait encore. Elle sourit. Il était en boule sous la couette, en chien de fusil.

« Matt ? Matteo ? appela-t-elle doucement.

– Hmm… »

Elle s’approcha en continuant sur le même ton :

« Matteo ?… C’est 11 h passé, là, ‘faut te bouger ! »

Il grommela encore.

« Allez allez !!! »

Il soupira et se tourna :

« Lou…?… C’est déjà 11 h… ?

– Hm, hm, opina-t-elle en s’asseyant au bord du lit, près de lui. Ça va ? »

Il soupira encore.

« Bof… »

Elle le toisa, se lécha les lèvres et se jeta sans sommation sur lui pour se mettre à le chatouiller avec énergie.

Il éclata de rire malgré lui en se mettant se débattre comme il pouvait, mais gêné par la couette, il ne put pas vraiment

Elle s’arrêta quand il la supplia, à bout de souffle.

Elle se redressa et lui tira la langue. Il la pointa du doigt, haletant :

« Tu me paieras ça !

– Tu me noieras tout à l’heure ! Alec m’a dit que la piscine était prête !

– OK, vendu ! »

Il se redressa sur ses bras :

« Y a du nouveau ?

– Une grande cousine qui débarque jeudi, les parents d’Alec qui sont là, et euh… C’est à peu près tout, je crois… »

Matteo hocha la tête et se leva lentement :

« Une grande cousine ? Lydia ?

– Oui, c’était ce nom-là ! opina Lou. Tu la connais ?

– Hm, ça fait un bail que je ne l’ai pas vue, mais je crois qu’elle était bien pote avec Grand Tatie… Elle venait pendant les vacances, quand j’étais petit, et on avait été les voir à Cannes une fois… »

Il alla prendre des vêtements propres dans sa grande armoire.

« Mais on le voit pas des masses, cette branche…

– Qui c’est, au juste ?

– Bof, les descendants de la sœur de mon arrière-arrière-arrière-grand-père, je crois… »

Il bailla.

« Faudra demander à Alec, il a sûrement un arbre généalogique quelque part. »

Il regarda son amie et lui sourit :

« Je vais prendre ma douche… Tu peux aller au salon récupérer les DVD qu’on a laissés ? On va moins en regarder, là, avec l’arrivée de Grand Père et Grand Tatie…

– D’accord ! Je les ramène ici ?

– Oui, s’il te plaît. »

Matteo passa dans sa salle de bains et Lou repartit.

Voir un généalogique de Matteo, ça serait sûrement intéressant. Elle se demandait si Alec en avait aussi un de sa propre famille, ce sera intéressant aussi. Ce devait être très rare, une famille qui en servait un autre depuis autant de temps…

 

Chapitre 17 :

Alec et sa mère finalisaient tranquillement le plan des chambres, dans l’après-midi, lorsque Gwendoline et Julia arrivèrent. Entendant la sonnette, ils rejoignirent rapidement l’entrée, où Yves était en train d’accueillir les demoiselles.

Les retrouvailles étaient chaleureuses, il y avait longtemps que les parents d’Alec et elles ne s’étaient pas vus.

Les banalités d’usage évacuées, Gwendoline soupira avec reconnaissance :

« Merci beaucoup d’être venus… Je ne sais pas comment nous aurions fait… Nous ne savons même plus à qui nous adresser pour rien, ici !

– Oh, c’est normal après tout ce temps, lui répondit gentiment Mariette. Ne vous en faites pas, nous sommes là pour ça. Vous allez avoir assez à gérer pour nous laisser nous occuper des questions matérielles.

– Merci tout de même ! Vous êtes quand même à la retraite… »

Alec avait suspendu les manteaux de ces dames et récupéra leurs valises.

« Je monte vos bagages. Prenez le temps de vous poser, monsieur Léon arrive ce soir.

– Matteo est toujours là ?

– Tout à fait, il profite de la piscine avec son amie. Je pense qu’ils ne vont pas tarder à sortir pour goûter, vu l’heure, répondit Alec. Je vais aller les prévenir dans un instant.

– Voudrez-vous un café ? proposa Mariette. Vous avez l’air frigorifiées ?

– Oui, volontiers. »

Alec monta donc ses valises dans les deux chambres, avant de redescendre rapidement. Il croisa sa mère qui allait préparer le café et elle l’informa que ces dames étaient installées au petit salon, Yves allait y faire du feu.

« Et les cookies ? demanda-t-il.

– Je les mets au four en passant !

– Super, ils seront tout chauds pour nos nageurs, le temps qu’ils se sèchent… »

Il partit à la piscine et entra après avoir frappé.

Matteo comatait sur un matelas gonflable, les pieds dans l’eau, alors que Lou barbotait tranquillement à côté.

Voyant Alec, elle nagea jusqu’au bord. Il la rejoignit et s’accroupit :

« Tout se passe bien, Mademoiselle ?

– Super ! Qu’est-ce que vous vouliez ?

– Vous avertir que la grand-tante de Monsieur Matteo et son amie étaient arrivées et vous inviter à venir goûter avec elles, si vous le souhaitiez.

– Ah, bon plan, je meurs de faim ! »

Matteo avait ouvert un œil et se redressa lentement :

« Merci, Alec. On arrive. »

Il se laissa tomber du matelas dans un gros « plouf » pour glisser dans l’eau et rejoindre à son tour le bord.

Alec leur avait laissé un peu plus tôt des serviettes et deux peignoirs moelleux. Il les regarda sortir de l’eau et leur dit avec un sourire :

« Je vous laisse vous sécher ? Mesdemoiselles Gwendoline et Julia seront au petit salon.

– D’accord. »

Alec hocha la tête alors que Matteo se relevait et s’étirait, tout dégoulinant.

Alec fit un effort pour ne pas trop se rincer l’œil, car il y avait de quoi, et il repartit.

Fort beau jeune homme. La demoiselle qui l’aurait aurait bien de la chance…

Ses parents lui avaient demandé avec empressement, à midi, si Lou était la petite amie de Matteo. Alec les avait toisés avec un sourire goguenard avant de les traiter de vilains curieux, puis de répondre non. Non seulement les deux jeunes gens ne montraient aucune ambiguïté, mais il faisait leur lit avec assez de soin pour être sûr qu’ils dormaient bien chacun de leur côté.

Mariette et Yves avaient été très déçus et Alec avait éclaté de rire devant leur air dépité :

« Hé, il a 19 ans ! Laissez-le vivre, un peu ! »

Et il était parvenu à esquiver la question suivante, à savoir le sempiternel : « Et toi, toujours personne en vue ? »

Alec savait que ses parents s’inquiétaient pour lui de le savoir toujours célibataire. Mais il ne pouvait pas grand-chose : il était plutôt casanier et il aimait vraiment cette grande maison. Trouver quelqu’un pour venir y vivre avec lui, loin de tout, n’était que très difficilement envisageable. Et puis, son grenier n’était pas vraiment fait pour une vie de couple…

Alec ne vivait pas si mal son célibat. Il savait où aller pour croiser furtivement des garçons peu farouches quand il en ressentait le besoin et si un jour, il rencontrait quelqu’un qui en voulait plus, il serait toujours temps de voir.

Il retourna à la cuisine. Les cookies étaient prêts, ça sentait très bon. Il les sortit du four en chantonnant et les déposa dans un plat. Puis, connaissant les deux jeunes gens, il leur prépara des chocolats chauds et apporta tout ça au salon, sur sa petite table à roulettes.

Il y arriva en même temps qu’eux, encore un peu humides dans leurs peignoirs. Il les laissa rentrer devant lui et sourit en voyant Matteo se précipiter pour sauter au cou de Gwendoline :

« Grand Tatiiiiiiiiie ! »

Julia, Mariette et Yves, qui étaient là, rirent discrètement alors que la jeune sœur du maître des lieux répondait à l’étreinte avec un sourire attendri.

Alec jeta un œil pour s’assurer que le café avait été servi avant de déposer mugs de chocolat et cookies sur la table et, en se relevant, il avisa Lou, moitié amusée, moitié gênée, et sourit :

« Mademoiselle Lou, je vous présente Mademoiselle Gwendoline, la grand-tante de Monsieur Matteo, et son amie Julia. Mesdemoiselles, mademoiselle Lou Arcas, l’amie que Monsieur Matteo a invitée. »

Matteo lâcha enfin Gwendoline et celle-ci put saluer aimablement Lou, tout comme Julia, puis tout le monde se rassit, à part Alec, qui resta à attendre sagement jusqu’à ce que Gwendoline l’invite à se joindre à eux. Il hocha la tête et partit se faire un thé. Affamés par leur baignade, Lou et Matteo s’étaient jeté sur les cookies sans sommation, mais Alec et sa mère en avaient prévu une bonne quantité.

Alec revint et s’assit posément dans le fauteuil restant avant de prendre un cookie.

« Prenez le temps de mâcher… soupira Julia pour les deux adolescents.

– Méchétrobon… répondit Matteo, la bouche pleine.

– Ce n’est pas une raison pour t’étouffer. »

Alec sourit :

« Ils ont barboté pendant deux heures, j’imagine que c’est normal qu’ils aient faim…

– D’autant que ça mange, à cet âge-là, renchérit avec amusement Mariette. Je me souviens d’Alec… Un vrai glouton !

– Eh ! protesta le susnommé avant de glousser.

– Oh ça, je connais, soupira Julia. Mes frères et mes neveux, même combat.

– Léon et Stéphane aussi, opina Gwendoline.

– Ah ? Papa et Grand Père auchi ? demanda Matteo.

– Comme tous les adolescents… Une personne de vos âges, en pleine croissance, consomme deux fois plus de calories qu’un adulte, expliqua posément Yves.

– Ah bon, c’est à ce point ? s’étonna Gwendoline.

– Oui, oui. »

Le goûter s’acheva tranquillement, puis Alec et sa mère amenèrent la vaisselle sale à la cuisine, alors qu’Yves continuait son petit tour de la maison pour vérifier que toutes les douches, WC et lavabos des chambres marchaient correctement.

Le soir tombait et il s’était remis à pleuvoir lorsque Léon Ségard arriva enfin.

Lou et Matteo s’étaient douchés et rhabillés et jouaient aux cartes avec Gwendoline et Julia, toujours au petit salon, devant un bon feu.

Alec était avec son père à l’étage, réparant le robinet d’une chambre d’ami, à ce moment. Ce fut donc Mariette qui l’accueillit. Il était fatigué par le trajet est un peu énervé. Mais Mariette savait le prendre : il avait retrouvé le sourire avant même d’être sorti du hall.

Il rejoignit le petit salon pour entendre rire lorsqu’il approchait. Il soupira avec un sourire doux, content de retrouver les siens. Il frappa et entra.

Matteo, qui luttait ferme pour ne pas s’endormir sur son jeu, sourit en le voyant et se leva un peu maladroitement pour venir le saluer :

« Grand Père ! Ça y est, tu es revenu ! » Gwendoline et Julia laissèrent Léon étreindre son petit-fils avant de le rejoindre. Lou s’était levé et attendit sagement que Matteo la présente pour s’approcher et serrer la main que lui tendait aimablement le maître des lieux.

Il s’installa ensuite et joua avec eux jusqu’au dîner.

La table était bien sûr impeccablement mise et les attendait.

Alec attendait sagement aussi. Il salua respectueusement son patron.

« Alec, bonsoir. Il faudra que nous fassions un point avec tes parents après le dîner.

– Nous allions vous le proposer.

– Parfait.

– Installez-vous et profitez du dîner en attendant. Je vais vous servir l’apéritif. »

Alec les laissa s’asseoir et se mit à l’œuvre. Whisky pour Léon, suspens Gwendoline, Porto pour Julia et deux cocktails sans alcool pour Matteo et Lou.

Le repas passa à parler de choses et d’autres, mais surtout pas des funérailles, du moins jusqu’au départ de Matteo qui renonça après s’être forcé à avaler la moitié de son assiette, il était vraiment épuisé.

Un peu inquiète d’ailleurs, Lou le raccompagna à sa chambre. Le garçon se coucha sans attendre et elle revint rapidement à la salle à manger.

« Est-ce que tout va bien ? s’enquit Gwendoline alors que la jeune fille se rasseyait.

– Il s’est endormi avant même que sa tête touche l’oreiller, je crois… répondit-elle, aussi amusé que toujours inquiète.

– Eh bien ! La piscine l’a vraiment épuisé.

– C’est de la bonne fatigue, soupira Léon. Toujours mieux que les effets secondaires de ces fichus médicaments.

– Ça ira mieux une fois les funérailles passées… intervint Julia avec un sourire. Ça lui permettra de faire son deuil et de tourner la page…

– J’espère… » soupira encore Léon.

Il croisa ses mains devant lui et regarda Lou :

« Pardonnez-moi, mais je voulais vous demander… Un peu avant cette triste histoire, Matteo m’avait dit qu’il s’était disputé avec un très bon ami à lui, au lycée. Pas que je veuille me mêler de rien, mais il n’a pas voulu m’en dire beaucoup plus alors qu’il avait vraiment l’air d’être très secoué ? Savez-vous ce qui s’est passé ? »

La grimace de Lou n’échappa à personne. Très gênée, elle répondit en bafouillant à moitié :

« Ben… Matteo était très ami avec un autre garçon, oui, Ben… Et en fait… Ben s’est mis à sortir avec une fille qui a vraiment foutu la mer… Euh, elle ne supportait pas Matteo, alors ça a vraiment pas été… Ben a fini par le jeter et voilà, quoi… Ça a été très très dur pour lui… Alors c’est vrai que l’histoire avec ses parents par-dessus, c’est vraiment pas facile… »

Lou se disait qu’il faudrait absolument qu’elle répète mot pour mot ça à Matteo, qu’il connaisse la version qu’elle avait donnée.

Ne doutant pas de la parole de la jeune fille, Léon de son côté hocha gravement la tête. Gwendoline semblait navrée et murmura :

« C’est une triste histoire…

– Ça arrive de perdre des amis… déclara pensivement Léon. Et puisque vous êtes là, continua-t-il pour Lou, Matteo n’est pas seul, alors je suis sûr que ça va aller. »

 

Chapitre 18 :

 

Il pleuvait encore, le lendemain après-midi, lorsqu’Alec trouva Matteo.

Le jeune homme était debout devant une des grandes fenêtres de la bibliothèque, dans le noir ou presque, car il n’avait pas allumé la lumière et au dehors, les nuages étaient si épais et si bas qu’on aurait juré que le jour ne s’était pas levé.

Sincèrement inquiet, Alex s’approcha lentement. Il n’avait pas osé éclairer la pièce, mais la lampe du couloir, par la porte ouverte, lui permit d’y voir assez :

« Monsieur Matteo ?… Est-ce que ça va ?… Mademoiselle Lou vous cherchait… »

Matteo ne bougea pas plus qu’il ne répondit. Mal à l’aise, Alex s’arrêta à quelques pas de lui et reprit plus doucement :

« C’est l’heure de goûter… Ma mère a préparé des muffins au chocolat noir, comme vous les aimez. Mademoiselle Lou meurt de faim, elle se demandait où vous étiez passé…

– Ils ne sont pas encore rentrés… »

La voix du jeune homme était lasse. Alec eut un petit sourire triste et répondit avec la même douceur en croisant les bras :

« Non. Mademoiselle Julia a appelé pour dire qu’ils ne seraient sûrement pas là avant le dîner. Les corps sont bien arrivées, mais les formalités pour les récupérer ont été plus longues que prévu et le trajet jusqu’au funérarium aussi a été rallongé, à côté de la pluie. Ils n’y sont pas encore et ils en ont pour un petit moment à tout régler avec le personnel des pompes funèbres. »

Il y eut un silence. Puis Matteo reprit avec un frémissement :

« Grand Père m’a demandé de ne pas les accompagner…

– Je suppose qu’il voulait vous épargner ça. Ce type de démarche est très fastidieux…

– … Je n’avais pas envie, de toute façon… »

Il y eut un nouveau silence avant que le garçon ne soupire avec humeur :

« Et Grand-Mère ? »

Alec ne put retenir un sourire, mélange de tristesse et d’ironie cette fois :

« Elle sera là vendredi.

– Madame a daigné écourter ses vacances ?

– Monsieur Léon ne lui a pas laissé le choix. Les funérailles auraient eu lieu sans elle, sinon. »

Alec croisa à nouveau les bras avec un soupir énervé et Matteo eut un petit rire méprisant :

« Ce n’est pas à moi qu’elle aurait manqué.

– Oh, entre nous, à moi non plus… »

Matteo inspira un grand coup et, enfin, regarda Alec.

« Vraiment aucun moyen que je m’endorme et que je me réveille lundi, hein ?

– Hélas… »

Alec décroisa les bras et lui sourit avec gentillesse, sincèrement compatissant :

« Ces quelques jours vont passer, et aussi pénibles qu’ils soient, vous n’aurez jamais à revivre ça. »

Matteo eut un petit rire triste :

« Ouais, clair que mes parents ne mourront pas une deuxième fois… »

Alec haussa les épaules sans perdre son sourire.

« Bon, ben allons voir ces muffins… »

Matteo sortit et Alec le suivit. Lou les retrouvera et entraîna joyeusement Matteo, prenant sa main :

« Allez, dépêche, j’ai la dalle ! Qu’est-ce que tu foutais ! »

Alec les informa qu’il allait leur préparer des chocolats chauds et venir les servir au petit salon. Il les regarda filer et rejoignit sa mère à la cuisine.

Cette dernière épluchait des légumes pour le dîner.

« Ah, ça y est, tu as retrouvé ? »

Il opina en sortant le lait du frigo.

« Il était où ?

– Il broyait du noir dans le noir à la bibliothèque.

– Sérieusement ? sursauta-t-elle.

– Ouais… » soupira Alec.

Il sortit le reste des ingrédients.

« Je crois que le coup de sa grand-mère l’a un peu achevé… »

Mariette fronça les sourcils, furieux :

« Ah, celle-là !… Oser demander que les funérailles soient repoussées parce qu’elle est en cure thermale !… C’est vraiment aussi dégoûtant que pitoyable !

– Et donc, digne d’elle… soupira Alec en se mettant à l’œuvre. Égoïste et frivole au point de faire un cake à son ex-mari au sujet des funérailles de leur fils… Je me souvenais d’une vieille coquette capricieuse, mais ça a l’air de s’être empiré…

– Heureusement que Monsieur Léon n’a pas cédé !

– Il n’y avait aucun risque, elle a rappelé trop tard. La date était posée, tout le monde prévenu… Et puis, elle demandait de repousser à mardi, quand même !… Monsieur Léon n’aurait jamais fait à Monsieur Matteo un truc pareil. Il sait à quel point il veut que tout ça finisse. Il ne l’aurait jamais fait poireauter trois jours de plus.

– En tout cas, elle pourra se vanter d’avoir choqué tout le monde ! Mademoiselle Julia était folle de rage !

– Rien d’étonnant, je te rappelle qu’elles n’ont jamais pu se supporter.

– Houlà, oui, se souvint Mariette. C’est vrai, ça !… Je n’y pensais plus !

– Va y avoir du sport…

– Il y a des chances ! »

Alec prépara son plateau est reparti.

Il n’avait jamais beaucoup aimé Isabelle. Cette Parisienne était une peste jamais satisfaite de rien, surtout dans ce coin de campagne bien trop pauvre et ennuyeux pour elle. Il n’aurait jamais cru qu’elle avait mal vieilli au point d’essayer d’exiger le report de l’enterrement de son propre fils…

Il arriva au petit salon pour rester un instant surpris, puis il grimaça, navré.

Matteo et Lou étaient assis sur le canapé, le garçon pleurant doucement dans les bras de son ami.

« Ça va aller… Ça va aller… » disait-elle en frottant son dos.

Alec s’approcha et déposa les mugs fumants et des muffins sur la table basse. Puis il se redressa et dit doucement :

« Si vous le souhaitez, vous avez le temps de regarder un film avant le dîner… »

Matteo se redressa en déniant du chef :

« Ça ira… Merci, Alec… bredouilla-t-il. En fait, Lou voulait voir un arbre généalogique de la famille… Tu sais qu’on peut trouver ça ? »

Alec hocha la tête en souriant :

« Il y a tout ce qu’il faut à la bibliothèque. Je peux vous sortir tout ça. Prenez le temps de manger et rejoignez-moi quand vous le voudrez.

– D’accord… Merci… »

Lorsque les deux jeunes gens arrivèrent à la bibliothèque, Alec était sur son escabeau et sortit de vieux albums photos. Il en avait déjà posé plusieurs sur la table qui prenait au centre de la pièce.

« Ah, vous voilà… dit-il en leur faisant signe. J’ai trouvé plein de choses ! Venez voir ! »

Ils approchèrent pendant qu’il descendait. Il leur montra tout d’abord un beau cadre ancien, assez grand, qui contenait l’arbre généalogique des Ségard depuis Auguste.

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« Waouh ! s’exclama Lou. 1835 ?

– C’est ça, lui répondit Alec en posant les albums sur la table. En fait, la famille Ségard vit dans la région depuis bien plus longtemps, mais c’est Monsieur Auguste qui l’a enrichi en fondant la Manufacture et qui a fait construire le manoir pour l’établir ici

– Et ben ! soupira encore Lou, admiratif. C’est cet Auguste-là qui embauché votre ancêtre à vous, alors ?

– C’est cela même.

– Et tu aurais la généalogie de ta propre famille, Alec ? intervint Matteo.

– Bien sûr, opina le régisseur. Mais pas ici, c’est dans mon grenier. Vous voulez le voir ?

– Volontiers, si tu le permets ?

– Je vais vous chercher ça, si vous laissez le temps de monter ?

– Oui, merci. »

Alec hocha la tête et fila. Il grimpa rapidement dans son antre et alla prendre, dans un pot au crayon de son bureau, la clé pour ouvrir le vieux secrétaire placé dans la « chambre d’ami » que ses parents occupaient d’ailleurs ces jours-ci.

Il fouilla un peu, au milieu de beaucoup de vieilles choses, avant de retrouver le vieil album photo qui contenait son propre arbre généalogique.

Il vérifiait qui s’agissait du bon, referma tout, remis le clé en place et redescendit. Matteo et Lou feuillettaient un vieil album :

« … Et là, je crois que c’est mon arrière-grand-père avec mon grand-père bébé sur les genoux… Ah, te revoilà, Alec. Tu as fait vite.

– Oh, ce n’était pas enterré si profond… Voilà ! »

Il leur montra la feuille.

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« Ah oui… Irène Nowak je me souviens… murmura Matteo. Elle était polonaise, je crois ?

– Tout à fait, opina Alec.

– Vous avez des photos ?

– Oh, très peu… Les photos, c’était encore du luxe, à l’époque… »

Il leur montra, dans son album, une très vieille photo d’une toute jeune femme avec un bébé dans les bras.

« La voilà avec son petit Stanislas.

– Houlà, elle était jeunette ? remarqua Lou.

– 17 ans, confirma Alec.

– Il l’a engagée si jeune ? remarqua encore Lou.

– Oh, à l’époque, 17 ans, ce n’était déjà plus si jeune.

– Mais elle était veuve ? demanda Matteo en fronçant les sourcils.

– Non, fille-mère, répondit Alec. Une pauvre demoiselle déshonorée que votre ancêtre a eu la bonté de recueillir et d’engager.

– Ah bon, déjà mère à cet âge ?

– Tristement banale, hélas, à l’époque… » soupira encore Alec.

Ils restèrent donc à la bibliothèque jusqu’au dîner, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’Yves ne vienne les chercher avec Léon.

– Ah oui, ils sont toujours là !… Alors, pas trop poussiéreux ? demanda avec amusement Yves en s’approchant.

– On vient de trouver une jolie photo de nous deux, Grand Père ! Viens voir ! » appela Matteo.

Léon sourit et rejoignit son petit-fils, content de le voir si souriant.

Le garçon lui montra une photo où on les voyait, lui à deux ou trois ans, assis sur ses genoux. Il souriait tous deux. Le vieil homme soupira, attendri.

« Bon, allons-y… Je meurs de faim… » dit-il en la reposant doucement.

Il caressa la tête de Matteo qui opina.

Lou attrapa le bras de son ami et l’entraîna :

« Allez hop on se bouge !… J’ai la dalle aussi ! »

Matteo sourit et la suivit. Yves, Alec et Léon les regardèrent, amusés.

« Tout s’est bien passé, Monsieur ? demanda Alec alors qu’ils commençaient à les suivre.

– Épuisant, mais oui, tout est réglé. Nous avons vu ton ami Frédéric, il te salue. Il est passé aux pompes funèbres livrer les cercueils. Il a vraiment fait de l’excellent travail.

– Content que ça vous ait satisfait.

– C’est un homme très talentueux. Tu penseras à lui reparler les écuries, quand il pourra ?

– Bien sûr. »

Ils arrivèrent à la salle à manger où Mariette avait commencé à servir l’apéritif. Elle fit un clin d’œil à Gwendoline en les voyant :

« Vous voyez ! Je savais que ça allait les faire venir ! »

Léon sourit et s’assit à sa place, en bout de table :

« Ah, c’était pour vous faire parler, Mariette… »

Elle hocha la tête en le servant :

« Oh ce n’est pas difficile de me faire parler, monsieur…

– C’est vrai, c’est plus dur de la faire taire… » lança Yves avant de filer en courant.

Mariette jeta un œil, posa la bouteille et dit :

« Alec, je te laisse finir ?

– Pas de problème, Maman ! »

Elle partit à la poursuite de son mari, devant la tablée hilare.

Alec vint prendre la suite, aussi amusé qu’eux.

« Tes parents sont encore très en forme, Alec, dit Julia.

– Infatigables, confirma-t-il en hochant la tête. Bien, vous êtes tous servis ?… Je vais aller vous chercher l’entrée.

– Et vérifier que ton père est vivant ?

– Ça non, je ne suis pas inquiet pour lui, il sait très bien se faire pardonner. »

 

Chapitre 19 :

« Comment est-il possible d’être aussi énergique à 82 ans… » soupira Alec en tombant assis sur une chaise de la cuisine.

Son père, qui rangeait la vaisselle, répondit en agitant doctement une fourchette :

« Voilà ce que c’est, une dame qui s’est bien entretenue toute sa vie !

– Non, mais ça OK, mais là elle va juste m’achever !

– Rôh, Alec !… Tu en as vu d’autres ! » le gronda gentiment sa mère en touillant sa casserole.

Elle goûta la sauce et claqua sa langue, satisfaite.

Alec plia ses bras sur la table et posa sa tête dessus.

Clair qu’il en avait vu d’autres et d’ailleurs, la vieille cousine n’était pas méchante, ni hautaine, au contraire. Mais c’était une tornade… Depuis son arrivée, la veille, elle ne s’était posée que pour dormir et encore, elle s’est élevée à 6h30 pour pouvoir aller courir dans le parc entre sept et huit heures…

Son fils et sa belle-fille étaient, Dieu merci, plus calmes.

« Où est-elle ?

– Elle a voulu aller voir la chapelle, Mademoiselle Gwendoline l’a accompagnée… On devrait avoir la paix jusqu’au déjeuner…

– Parfait. La chambre de Madame Isabelle est prête ?

– La sienne et celle du fameux « secrétaire » qu’elle a annoncé, répondit Alec en se redressant et en mimant les guillemets avec ses doigts.

– Se ramener avec son giton, dans la maison de son ex-mari, pour les funérailles de leur fils… Je pensais qu’elle avait touché le fond, mais visiblement, elle a trouvé une nouvelle pelle ! grogna Yves.

– Ouais… Si c’est bien ça, je crois qu’elle a dépassé le pétrole et qu’elle n’est pas loin du magma, opina Alec avec un sourire en coin.

– Attendez de voir pour juger ! gronda Mariette en les regardant cette fois sévèrement. Madame Isabelle a toujours eu besoin d’aide pour gérer ses affaires !

– Ça, clair qu’elle n’était pas très dégourdie… » soupira encore Yves.

Alec s’étira et se releva :

« Bon allez, je dois aller dire à Monsieur Léon que le traiteur est d’accord pour le menu demandé.

– Ils livreront quand ?

– Alors, on s’est mis d’accord pour 11h30… Sachant que la cérémonie est à 10 heures et que Monsieur Léon a demandé une messe, il y en a pour une petite heure, donc on file vite fait à la fin. Le temps du cimetière, ce sera bon.

– Oui, ça devrait aller.

– Le traiteur nous laisse deux serveurs, normalement jusque 15 heures.

– Ça suffira. Les gens ne resteront sûrement pas si longtemps, sorti des proches, et on sera assez de nous trois pour ceux-là. »

Alec opina du chef et repartit. Cherchant son patron, il fut alpagué par Lou et Matteo au détour d’un couloir.

« Alec, on vous cherchait ! l’appela Lou.

– Que puis-je pour vous ? demanda-t-il en les rejoignant.

– Houlà, tu as l’air fatigué ? remarqua Matteo.

– Beaucoup de choses à gérer pour demain.

– Ah, désolés de te déranger, alors…

– Il n’y a pas de souci, je suis à votre service tout de même. Que vouliez-vous ?

– Lou voulait savoir si tu pouvais lui prêter les Tsubasa reservoir Chronicles ?

– Ah !… C’est vrai, j’avais oublié ça. »

Alec se gratta la tête, puis fouilla dans sa poche :

« Vous savez monter chez moi, Monsieur Matteo ?

– Euh… Oui ?… Le petit escalier au fond du couloir des chambres ?

– C’est cela même. »

Alec sortit son trousseau de clés de sa poche et en décrocha une :

« Je peux vous laisser aller voir ? La bibliothèque dans la pièce principale, après la chambre d’amis. Je crois qu’ils sont dans la deuxième étagère, mais si vous voyez autre chose, n’hésitez pas à vous servir. Notez juste ce que vous prendrez si vous prenez trop de choses, que je sache.

– Ah, euh… D’accord… bredouilla Matteo, un peu surpris. Merci.

– De rien… lui dit Alec en lui donnant la clé. D’ailleurs, si vous voulez des jeux, dites-moi, je pourrai vous descendre un console en bas.

– Ah ?… s’étonna encore Matteo. Euh, ben on va voir… Merci…

– Je vous en prie. Pardonnez-moi, mais il faut vraiment que j’ai voir votre grand-père. Vous me rendrez la clé au déjeuner ?

– D’accord… Merci, Alec… répéta Matteo.

– Et bon courage… ajouta Lou.

– De rien. À toute l’heure. »

Alec s’inclina légèrement et les laissa. Matteo le regarda disparaître avant de baisser la tête pour regarder la clé dans sa main, toujours surpris.

« Et ben, il a confiance… remarqua Lou.

– Bah, on ne va pas le voler, de toute façon…

– Non, on risque juste de vider ses étagères, mais ça sera provisoire.

– Euh,… Ça, on verra ce qu’il y a… »

Il la guida, au premier étage, jusqu’au fond du long couloir des chambres. Elle découvrit avec curiosité le petit escalier étroit qui menait dans les combles.

Matteo ouvrit la petite porte et ils entrèrent lentement, un peu intimidés malgré tout.

La première pièce était sombre, le lit fait. Les deux valises de Mariette et Yves étaient ouvertes au sol, encadrant le secrétaire refermé. Ils la traversèrent et arrivèrent dans la chambre d’Alec.

La grande salle était plus claire, car il y avait deux fenêtres au niveau du bord du toit et deux velux au plafond.

Le grand lit Alec était lui aussi fait, à droite quand on entrait, face au meuble qui soutenait la télé et les consoles. Le bureau PC était au fond, à droite de ce meuble, dans le coin. Un deuxième bureau, couvert d’énormément de choses, et sur lequel se trouve le fameux pot qui contenait la clé du secrétaire, était dans l’angle opposé, à gauche du meuble télé, séparé de ce dernier par une fenêtre. Une autre fenêtre séparait le meuble télé du meuble PC. Le reste des murs était couvert d’étagères couvertes de livres, bandes dessinées, mangas, jeux, et j’en passe.

Les deux jeunes gens avancèrent prudemment, un peu gênés.

« Il a une sacrée collection… murmura Matteo quand ils furent devant les étagères.

– Ouais !… Alors… Les Tsubasa sont là, dit Lou en pointant du doigt la série.

– Ah oui… »

Ils approchèrent et virent alors que les livres étaient posés sur deux rangées d’épaisseur. Lou se mit sur la pointe des pieds pour attraper les livres désirés. Elle en saisit cinq, les prit délicatement et sursauta. Matteo, qui regardait des BDs, accroupi à côté, sursauta en entendant son ami s’écrier :

« Et ben putain ! »

Il la regarda, intrigué :

« Qu’est-ce qu’il y a ?

– Alec… Il a des Yaoi… »

Matteo sursauta et manqua de peu d’en tomber assis au sol :

« PARDON ? !

– Ben là, tout en haut, planqués derrière les Tsubasa… Viens voir… »

Matteo se releva lentement et regarda. Lui s’y connaissaient moins que son ami et demanda :

« Les livres violets, là ? C’est quoi ?…

– Ben, ceux-là, c’est Fake, une vieille série… À côté, c’est ViewfinderSeule la fleur sait… Ah, il a le troisième, je ne l’ai pas encore lu… »

Elle prit la trilogie alors que Matteo demeurait dubitatif.

«… Tu crois que ça veut dire qu’Alec est homo… ? » finit-il par dire.

Lou fit la moue et réfléchit un moment, ses mangas dans les bras.

« Ben… Là, je te dirais que oui… Enfin… Attends ! »

Elle lui mit les livres dans les bras sans sommation et regarda vite fait l’ensemble des rayonnages. Il la regarda faire, penchant un peu la tête, intrigué.

« Alors, finit-elle par dire. Aucun hentaï… Juste des Yaoi et un peu de bara.

– Tu veux dire qu’en trucs de cul, il n’y a rien d’hétéro ?

– Ouais…

– Bizarre…

– Ben, ça veut peut-être vraiment dire qu’il est homo, ouais… Ou au moins bi…

– Ben ça alors… »

Matteo était vraiment séché. Lou sourit devant son air ahuri et lui donna un petit coup de coude :

« Eh, pourquoi tu fais cette tronche ! Tu devrais être content, tu vas pouvoir le draguer ! »

Il sursauta, manquant de lâcher tous les livres et répliqua, tout rouge :

« Non mais non mais ça va pas !

– Oh, allez ! Il te plaît vraiment pas ? »

Elle croisa les bras et le toisa, goguenarde. Il était toujours rouge et bredouilla :

« Non mais non mais non… Il est sympa hein, mais c’est Alec, quoi…

– Et ?

– … Non mais je l’aime bien mais… »

Elle lui donna un nouveau coup de coude, très amusée, mais n’en remit pas une autre couche.

« Bon, on prend autre chose ? Tu ne prends pas toute la série ?

– Non, je vais prendre les 10 premiers pour le moment… Tu es sûr que tu ne veux rien ?

– En manga, pas vraiment. Je te les piquerai… Par contre, j’ai vu des BDs. Des Garfield et une série qui a l’air jolie, Le Moine Fou… Je vais prendre les premiers tomes aussi… »

Les deux jeunes gens repartirent avec leurs provisions. Matteo referma soigneusement la porte et ils redescendirent. Comme c’était presque l’heure du déjeuner, ils allèrent tous poser dans la chambre de Matteo avant de gagner la salle à manger.

Le cousin Paul était là avec son épouse Joséphine, un couple de sexagénaires un peu ronds et pas très à l’aise. Julia tentait bien de faire la conversation, mais ils restaient assez peu loquaces.

Gwendoline revint avec Lydia. La vieille dame, très digne dans sa robe noire avec sa canne d’ébène, parlait de sculptures gothiques qui iraient très bien avec la petite chapelle restaurée.

Alec arriva avec Léon, comme sa mère arrivait de l’autre côté avec le petit chariot des boissons d’apéritif. Matteo rendit tout de suite sa clé à Alec qui lui sourit :

« Oh, merci. Vous avez trouvé votre bonheur ?

– Oui, merci beaucoup. On a tous posé sur mon lit pour le moment, on te fera une petite liste toute l’heure.

– D’accord, merci. »

La petite famille s’installa et Alec et Mariette leur servirent paisiblement à boire.

« Est-ce que tout va bien, Léon? demanda aimablement Lydia.

– Oui, oui. Les choses sont organisées. Il faut encore peaufiner la cérémonie. Le prêtre doit passer vers deux heures pour ça. Mais nous nous sommes déjà mis d’accord, il n’y a pas de souci… Le traiteur a été très aimable et le caviste aussi. Tout devrait très bien se passer. »

Lydia eut un sourire et hocha vivement la tête :

« Parfait. N’hésite pas si je peux t’aider.

– C’est gentil, merci, Lydia. Vous avez passé une bonne matinée ?

– Excellente ! Le parc est magnifique. Mon petit jogging a été très agréable… Et votre chapelle est moins abîmée que je ne craignais. Tu comptes la faire restaurer, m’a-t-on dit ?

– Oui, mais pas tout de suite. Il faut d’abord reconstruire les écuries pour que les chevaux de Gwen puissent arriver ici cet été. »

Alec avait déposé avec soin quelques cacahouètes, chips, olives et bretzels sur la table. L’idée d’avoir deux chevaux à gérer ne le gênait pas, mais il allait falloir qu’il se documente un peu. Il rangeait les bouteilles dans sa petite carriole lorsque Joséphine demanda innocemment :

« Isabelle arrive cet après-midi, je crois ?

Un silence un peu lourd suivit, qui fut finalement interrompue par la voix sèche de Julia :

« Madame daigne quitter sa cure thermale pour nous rejoindre cet après-midi, oui.

– J’ai su ça, soupira Lydia en faisant tournoyer le glaçon dans son verre de Suze. C’est vraiment incroyable d’avoir osé demander le report des funérailles… »

Il y eut un nouveau silence. Alec se racla la gorge et déclara posément :

« Ce midi, nous vous proposons un bœuf en daube avec des pommes de terre persillée et une poêlée de pommes de de légumes du jardin. »

Ils approuvèrent joyeusement. Il était parvenu à changer de sujet, mais il songe que cette chère Isabelle risquait vraiment d’avoir un accueil des plus intéressants…

 

Chapitre 20 :

Alec préparait ses cookies avec amour, en chatonnant. La petite troupe allait avoir très faim, puisque les deux ados avaient décidé de refaire une cession de piscine et Lydia, Gwen et Julia avaient, elles, été ravies de venir avec eux. Léon était dans son bureau et Paul et Joséphine étaient partis quelques heures visiter une petite exposition.

Il fit de petites boules qu’il déposa avec soin sur deux plaques. Il les enfournerait lorsque ces braves gens sortiraient de l’eau.

On sonna à la porte. Il s’essuya les mains et alla voir sans se presser, sachant que sa mère avait déjà répondu.

Lorsqu’il arriva dans le hall, Mariette était effectivement en train de débarrasser une fausse blonde aux cheveux courts qui faisait tout pour ne pas paraître ses 65 ans… Et ce « tout » incluait visiblement un peu de chirurgie.

Alec s’approcha en se disant qu’en d’autres lieux et circonstances, il aurait pu avoir des idées totalement indécentes sur l’homme qui accompagnait la nouvelle venue. Plutôt jeune, ce « secrétaire », et fort bien fait de sa personne.

« … Vraiment, qu’ils n’aient toujours pas refait cette route, c’est scandaleux ! … Ces trous sont vraiment pénibles !…

– Navrée que votre voyage vous ait fatiguée, Madame.

– Oh !… Je vous en prie, Mariette ! Je ne suis plus mariée ! Appelez-moi mademoiselle ! »

Alec avisa les trois grosses valises posées au sol. Il retint un sourire en entendant sa mère répondre avec un air embarrassé des plus convaincants :

« Oh, je ne me permettrais jamais, Madame !… Ça serait vraiment insultant pour une dame de votre âge ! »

Alec inspira et dit, souriant :

« Bonjour et bienvenue, Madame Isabelle. Et Monsieur ?

– Antoine. Antoine Robert, répondit aimablement le garçon.

– Enchanté. Je m’appelle Alec. Le voyage a été long, j’imagine. Si vous le souhaitez, je vais vous conduire à vos chambres pour que vous puissiez vous y rafraîchir ? Monsieur Ségard et le reste de sa famille prendront le thé vers 16h30 dans le salon.

– Où se trouve Léon ? demanda Isabelle.

– Monsieur est dans son bureau, Madame. Je vais aller l’avertir de votre arrivée dès que vous serez installés. »

Il prit deux valises. Le jeune Antoine prit la troisième et le suivit. Isabelle leur emboîta le pas, une peu contrite :

« J’espère que la douche de ma chambre ne grince plus !

– Nous avons tout vérifié, madame. Cela dit, je ne crois pas que vous allez être dans la chambre que vous occupiez.

– Comment ça ! » s’écria-t-elle.

Ils montaient les escaliers. Il répondit en lui jetant un œil par-dessus son épaule :

« C’est devenu la chambre attitrée de Mademoiselle Julia après votre départ. Mais ne craignez rien, celle que nous avons préparée pour vous n’a rien à lui envier en termes de confort. »

Il leur désigna deux portes au bout du couloir.

« Voilà… dit-il en ouvrant la première. Grande chambre avec vue sur l’arrière du parc. Les deux valises sont les vôtres, madame ?

– Oui… » grommela-t-elle.

Il entra et déposa les bagages dans la pièce.

« Je vous laisse vous installer ? N’hésitez pas s’il vous manque quoi que ce soit, mes parents et moi-même sont à votre disposition. Monsieur Antoine, si vous voulez me suivre, votre chambre est à côté.

– D’accord. »

Alec le conduisit dans la pièce voisine, lui montra les lieux et le laissa. Il redescendit. Sa mère l’attendait, toujours dans le hall :

« Ça y est ?

– Oui. Je peux te laisser aller préparer le grand salon ? Je vais aller voir notre bande de nageurs et Monsieur Léon.

– Oui bien sûr, pas de souci. »

Alec fila à l’arrière de la maison jusqu’à la piscine. Il entra et sourit. Le radieux soleil chauffait et illuminait la pièce. Lydia, Lou et Julia jouaient à s’envoyer un ballon, Gwen se prélassait sur un transat sur le rebord, et Matteo comatait sur son matelas gonflable, les pieds dans l’eau. Comme il voguait de façon un peu aléatoire, les trois femmes prenaient un malin plaisir à lancer le ballon par-dessus.

Lou attrapa la balle sans la relancer en voyant Alec.

« Est-ce que tout va bien ? » demanda aimablement ce dernier en s’approchant un peu.

Il fit bien attention à ne pas glisser sur l’eau. Matteo entrouvrit un œil sur son matelas.

« Oui, Alec. Que voulais-tu ? lui demanda Gwen.

– Simplement vous avertir qu’il est presque 16 heures et aussi que Madame Isabelle et son secrétaire viennent d’arriver. Je voulais savoir quand est-ce que vous souhaitiez goûter ?

– Quand est-ce que ça t’arrange ? demanda Julia.

– Oh, vraiment quand vous voulez. Moi, j’en ai pour 12 minutes à cuire les cookies.

– Merveilleux ! »

Lydia sortit de l’eau et Alec songea que cette dame de 82 ans était mille fois plus belle que son ex-belle cousine de 17 ans de moins et sans chirurgie.

« Je meurs de faim ! dit-elle. Pouvez-vous considérer que nous nous séchons et que nous arrivons ?

– Aucun problème, Madame. Vous voudrez du thé ? »

Matteo se laissa comme d’habitude tomber du matelas pour nager jusqu’au bord.

Alec prit les commandes de thé et chocolat et repartit. Il passa au bureau de son patron et toqua à la porte. Il attendit sagement qu’on l’y autorise pour entrer.

« Oui, Alec ?

– Madame Isabelle est arrivée et le goûter a été prévu d’ici 20 minutes, Monsieur.

– Ah, parfait.

– Voudrez-vous un café ?

– Oui, merci. Où as-tu installé Isabelle ?

– Dans l’avant-dernière chambre est, Monsieur, et son secrétaire en face.

– Parfait. Comment allait-elle ?

– Oh, très contrariée que Mademoiselle Julia ait « sa » chambre, mais à part ça, elle avait l’air en forme…

– Le contraire m’aurait étonné… Mais depuis le temps, c’est bien normal que Julia soit installée dans cette chambre. »

La chambre en question jouxtait celle de Gwendoline.

Alec laissa son patron pour retourner à la cuisine. Il enfourna les cookies et régla la minuterie avec soin avant de rejoindre sa mère au salon. Ils s’installèrent une petite nappe sur les tables basses en verre, finirent de vérifier la propreté des meubles et des canapés, puis Alec retourna à la cuisine.

Il sortit les cookies fumants et mit l’eau à chauffer. Il prépara le thé, le café, deux chocolat, mit le tout sur son petit chariot et repartit au salon.

Comme il s’y attendait, la petite bande de nageurs, rhabillés à défaut de complètement séchés, était arrivée. Lui et sa mère commencèrent à les servir dès qu’Alec se fut assuré que la pièce était assez chaude. Comme Gwendoline et Lou avaient un peu froid, il alla monter le chauffage dès que les tasses de thé furent pleines. Léon les rejoignit rapidement et s’assit près de sa sœur.

« Tout va bien, Léo ? lui demanda-t-elle.

– Oui, oui. Ça va. Laetitia et Édouard ont bien travaillé, les choses avancent. Ils seront là demain.

– Oh, c’est gentil à eux de venir…

– Qui est-ce ? s’enquit Lydia.

– Mon sous-directeur et mon assistante de direction. Bref, mes deux bras droits. »

Alec grimaça, mais ne dit rien. Il échangea un regard grave avec sa mère.

C’est à ce moment qu’on frappa à la porte. Alec échangea un regard cette fois amusée avec sa mère et alla ouvrir. Isabelle et son jeune acolyte entrèrent.

« Bonsoir ! dit-elle à la cantonade.

– Bonsoir, Isabelle. Bienvenue, lui dit gentiment Léon en se levant pour aller à sa rencontre. Vous avez fait bonne route ?

– Épouvantable !… Cette route est une horreur ! C’est scandaleux qu’ils ne l’aient pas refaite depuis tout ce temps !

– Oh, c’est qu’il n’y a pas grand monde qui roule dessus… Mais bon… Viens donc t’asseoir… Tu veux du thé ? Et euh… Peux-tu nous présenter ce garçon ?

– Oh, oui ! Pardon ! Mon secrétaire, Antoine Robert. Antoine, mon ancien mari, Léon Ségard.

– Enchanté, jeune homme, dit Léon en lui tendant la main.

– Mes respects, Monsieur, répondit Antoine en la serrant.

– Venez vous asseoir, je vous en prie… Vous voulez du thé ?

– Euh, je préférerais un café, si c’est possible ?

– Oui, bien sûr. Alec ?

– Je m’en occupe. Madame Isabelle ? Voudrez-vous un café également ?

– Non, un thé me conviendra, merci. »

Alec hocha la tête. Il fila rapidement pour aller préparer le café. Lorsqu’il revint, Isabelle et Antoine était assis, elle au bout du canapé, lui sur un fauteuil, et la conversation était assez tendue. Matteo regardait sa grand-mère sans trop rien dire, buvant son chocolat. Il était très fatigué. Lou, assise près de lui, ne disait rien non plus. Elle regardait la nouvelle venue avec suspicion. Isabelle ne faisait visiblement que se plaindre…

«… Ce thé est très étrange ? Où avez-vous trouvé ça ?

– Dans une boutique de thé en vrac de Lyon, Madame.

– Vraiment, ça n’a rien à voir avec le thé de Paris !

– Un authentique thé vert japonais au riz soufflé, répondit Lydia avec un sourire. J’imagine effectivement qu’on boit peu de thé aussi raffiné dans les troquets que vous fréquentez à Paris. »

Gwendoline et Julia pouffèrent et Lou aussi. Léon eut un sourire alors qu’Isabelle rougissait, outrée. Elle serra les poings, mais ne trouva rien à répliquer. Gwendoline en rajouta une couche avec un gentil sourire Alec et sa mère :

« Moi, en tout cas, je le trouve délicieux.

– Merci, Mademoiselle, répondit Mariette. Voulez-vous un cookie, Madame Isabelle ?

– Oh non ! Ma ligne me l’interdit !

– Quel dommage, de si délicieux cookies ! soupire Julia avec un clin d’œil à Gwen.

– Ça nous en fera plus… » grommela Matteo dans sa tasse, faisant pouffer Lou.

Lydia, qui était assise près du garçon, eut un petit rire également. Elle reprit en posant sa tasse vide .

« C’était vraiment excellent. Mariette, Alec, merci pour tout.

– Avec plaisir, Madame, répondit Alec.

– Et alors, que devenez-vous, Isabelle ? »

Matteo finit sa tasse, bailla et se leva lentement :

« Pardon, je vais dormir un peu avant le dîner… Je n’en peux plus… »

Lou le regarda :

« Ça ira ? Tu veux que je vienne ?

– Euh,… Non, non… Ça ira… T’en fais pas… »

Il dût se tenir au rebord du canapé car il titubait un peu et Lou soupira avant de prendre un dernier cookie et de se lever :

« Allez, je t’accompagne… »

Ils sortirent tous les deux et Lydia soupira, navrée :

« Pauvre petit… Son état m’attriste vraiment.

– Qu’est-ce qu’il a ? » demanda Isabelle en reposant sa tasse, encore à moitié pleine.

Un lourd silence suivit, alors que tous, Antoine compris, la fixaient avec stupeur. Il fut rompu par Julia qui jeta :

« Il paraît qu’il enterre ses parents demain. Vous savez, votre fils et sa femme. »

 

Chapitre 21 :

« Non, mais on aurait vraiment dû compter les points… »

Alec se mit à faire la vaisselle alors que son père, encore assis à table, opinait du chef, amusé et que sa mère soupirait en se levant :

« Comme si c’était le moment pour des bêtises pareilles !

– Oh, ça va, laisse-nous rigoler un peu, on va assez pleurer demain ! » répondit Yves.

Alec opina à son tour :

« Clair ! »

Il leva une spatule humide :

« En plus, franchement, c’était vraiment beau à voir !… Tout en sous-entendus perfides ! Du grand art !

– Ah, ça, ce n’est ni à Lydia ni à Julia qu’on peut en apprendre là-dessus ! reconnut Mariette.

– Monsieur Matteo en a eu quelques-unes bien senties aussi, dit Yves.

– Rien que son sourire assassin quand il l’appelle « grand-mère » est fabuleux… soupira Alec.

– Elle va tenir combien de temps, à votre avis ? gloussa Yves.

– Moi, je dis qu’elle va jouer les pleureuses à la cérémonie et au buffet et qu’elle aura décampé avant la nuit. » dit Mariette.

Elle tapota le dos de son mari :

« Allez, bouge-toi, il faut aller débarrasser la table et préparer les tisanes et les digestifs ! Le journal télé va vite passer ! »

Yves se leva en faisant semblant de grogner et ils partirent tous deux. Alec continua à laver à la main ce qui ne passait pas au lave-vaisselle, ses vieilles casseroles en fonte par exemple, en se disant que c’était agréable, malgré les circonstances, d’avoir un peu de monde ici. Il aurait bien sûr préféré que ce soit pas pour les funérailles, mais tout de même, il y avait longtemps que la maison n’avait pas été aussi animée.

Ça n’allait pas forcément lui manquer plus tard, mais de temps en temps, ça faisait du bien.

La nuit passa et comme la veille, Lydia se leva beaucoup trop tôt pour son jogging.

Alec la croisa lorsqu’elle en revint, passant dans la salle à manger où il dressait la table du petit déjeuner.

« Bonjour, Alec ! Oh, belle chemise ! »

Alec était sur son 31, chemise impeccable, pantalon noir et chaussures cirées avec soin. Il n’avait pas encore mis la cravate, ni la veste, bien sûr, et il sourit à la vieille dame :

« Bonjour, Madame. Merci. Est-ce que tout va bien ?

– Merveilleusement, enfin, autant que possible un jour comme aujourd’hui, bien entendu. Ce parc est vraiment superbe !… Toutes mes félicitations pour l’entretien, ça ne doit pas être facile.

– Merci. C’est du travail, effectivement.

– Sais-tu où en sont les autres ?

– Monsieur Léon ne devrait pas tarder, Mesdemoiselles Gwendoline et Julia également. Votre fils et son époux ont demandé à être réveillé vers 8h30, comme Monsieur Matteo et Mademoiselle Lou. Mademoiselle Isabelle avait dit qu’elle avait son propre réveil.

– Parfait ! Je vais me doucher et m’habiller.

– Bien, madame. Voudrez-vous des œufs brouillés, comme hier ?

– Oui, merci, si c’est possible ?

– Aucun souci. »

Elle repartit d’un pas vif et Alec la regarda faire avec un sourire. Bon sang, il aimerait bien avoir une pêche pareille à 82 ans !

Sa mère arriva, vêtue d’une robe noire mi-mollets très sobre et coiffée d’un chignon non moins austère.

« Alec ? Ton père vient de rentrer avec les croissants et le pain… Est-ce que la table est prête ?

– Je mets les couverts et c’est bon. Madame Lydia veut des œufs brouillés.

– D’accord. »

Léon arriva sur ces entrefaites, dans un très beau costume noir lui aussi. Il s’assura que tout allait bien et s’installa à table. Yves lui apporta son journal qu’il se mit à lire en attendant que les autres le rejoignent pour le petit déjeuner.

L’ambiance était lugubre, tout le monde vêtu de noir et la pièce restait sombre malgré les lampes, tant le jour peinait à se lever.

Matteo arriva vers 8h45, avec Lou, en noir aussi. Le garçon faisait la tête, bougon. Il avala une tasse de roïboos est un croissant uniquement pour ne pas prendre ses médicaments le ventre vide, ça le rendait vraiment trop malade sinon.

Léon partit vers 9h15 pour aller au funérarium. Alec conduisit silencieusement Matteo, Lou, Gwendoline et Julia à l’église. Le ciel se dégageait un peu, quelques pâles rayons de soleil se faisaient voir par moment.

Beaucoup de monde se trouvait déjà sur le parvis et à l’intérieur de l’édifice.

Enfoncé dans son manteau et définitivement fermé comme une huître, Matteo fonça s’asseoir sans regarder personne. Lou le suivit, navrée, et Alec ne prit que le temps de serrer quelques mains, surtout celles de Fred et de Sig, avant de les rejoindre.

Matteo était recroquevillé sur le banc de bois froid, dans le vieil édifice sombre également, et Lou avait passé ses bras autour de lui. Elle fit signe silencieusement à Alec qu’elle gérait pour le moment. Il retint une grimace, mais hocha la tête et repartit en lui faisant signe lui de ne pas hésiter à l’appeler. Le reste de la famille arrivait et il nota que même le jeune Antoine avait l’air exaspéré par sa patronne qui râlait encore, visiblement sur l’état de la route. Alec resserra sa cravate machinalement avant de les rejoindre pour leur désigner leur place, au premier et second rang, l’église étant assez étroite.

Yves et Mariette rejoignirent leur fils en même temps que la membre de l’équipe liturgique qui allait seconder le prêtre pour la cérémonie.

« Bonjour ! » les salua-t-elle gentiment.

C’était une petite femme avec de grosses lunettes aux cheveux blancs très courts, un peu trapu, en tailleur-pantalon noir. Elle était aussi incroyablement énergique pour ses 77 ans.

« Bonjour, Marie-Louise, la salua Mariette.

– Comment allez-vous, tous les trois ? Tout est prêt ?

– Normalement, oui, on attend plus que les pompes funèbres… Et de votre côté ?

– On a failli avoir un accident de chasuble, mais c’est réglé. »

Voyant un jeune trentenaire arriver un peu précipitamment avec un petit garçon boudeur, Alec s’excusa et alla à leur rencontre :

« Bonjour, mademoiselle Margot.

– Oh, Alec !… Désolée, le taxi a eu un mal fou à trouver…

– Il n’y a aucun souci, vous n’êtes pas en retard. C’est très gentil d’être venus.

– Oh, c’est normal… Dis bonjour, Quentin… »

Mais le petit bonhomme se cacha derrière elle en grommelant.

« Désolé… répéta-t-elle. Nous sommes partis très tôt, il est fatigué…

– La journée est difficile pour tout le monde. Venez vous asseoir, la famille est à l’avant. »

Alec accompagna la demoiselle et le petit et les laissa saluer le reste de la famille, principalement ses parents et sa grand-mère. Il regarda de l’autre côté et sursauta : Matteo semblait vraiment mal. Il était très pâle et tremblait curieusement. Assise près de lui, Gwendoline semblait très inquiète et Julia interpella le régisseur :

« Alec, viens vite, Matteo ne se sent pas bien ! »

Alec accourut et s’accroupit devant le garçon. Ce dernier ferma les yeux. Lou tenait sa main, très inquiète elle aussi.

« Monsieur Matteo ?… Qu’est-ce qui se passe ? demanda doucement Alec. Ne vous en faites pas, nous sommes là.

Je… »

Le garçon se mit à respirer bien trop fort. Alec jura dans ses dents alors que Marie-Louise approchait, sourcils froncés :

« Houlà, ça va pas ?

– Marie-Louise, tu sais si on peut l’emmener à la sacristie ? Je crois qu’il lui faut du calme, là…

– Oui, oui, bien sûr… »

Alec se releva lentement. Derrière le garçon, les gens s’installaient. Visiblement, personne n’avait rien remarqué. Il se pencha et reprit, toujours très doux :

« Monsieur Matteo, vous pouvez vous lever ? Nous allons vous emmener à la sacristie, d’accord ? Ne vous en faites pas, ça va aller. »

Le garçon rouvrit les yeux, hagard et tétanisé. Alec soupira et le prit délicatement dans ses bras en disant :

« Si quelqu’un peut aller chercher Siegfried, s’il vous plaît ?

– Qui est-ce ? demanda Julia.

– Le compagnon de mon ami Frédéric, que vous avez vu l’autre jour. Il doit être près de lui, ne vous en faites pas, il est médecin. Faites vite, s’il vous plaît. »

Alec emporta sans attendre son précieux fardeau, suivi de Lou.

Quelques secondes plus tard, les pompes funèbres entraient avec les deux cercueils, faisant s’asseoir tout le monde, enfin, tous ceux qui le purent, et se taire ceux qui avaient vu, sans trop le comprendre, ce qui s’était passé.

Gwendoline trouva sans mal Sig et le pria de venir sans préciser pourquoi, lui disant juste qu’Alec avait besoin d’aide. Le psychiatre la suivit immédiatement.

Dans la sacristie, le vieux prêtre, désolé, regardait Matteo tremblant sur un banc, à bout de souffle et toujours hagard. Lou s’était assise près de lui et le tenait dans ses bras, alors qu’Alec était allé lui servir un verre d’eau au petit lavabo qui était un peu plus loin.

Sig arriva avec Gwendoline, toujours très inquiète. Julia était allée prévenir Léon qui venait d’arriver. Sig serra rapidement la main du prêtre et se hâta vers le garçon. Il s’assit près de lui, sur le banc, et n’eut pas à chercher très longtemps. Il soupira après avoir pris son pouls et l’avoir ausculté sommairement :

« Crise de spasmophilie. »

Gwendoline serrait ses mains l’une dans l’autre nerveusement.

« Qu’est-ce qu’on peut faire ? » demanda-t-elle d’une voix peu sûre.

Siegfried réfléchit un instant avant de secouer tristement la tête, alors que Léon et Julia arrivaient à leur tour.

« Il est toujours sous traitement ? demanda le médecin.

– Oui, et il l’a bien pris ce matin, confirma Alec.

– Tu as le nom des médicaments en tête ?

– Non, désolé…

– Alors, il faut juste attendre. Ça devrait passer… »

Julia passa un bras rassurant autour de Gwendoline qui se tordait toujours les mains. Léon regarda son petit-fils, navré, et demanda :

« Il n’y a vraiment rien à faire ?

– Je n’ai pas de médicaments sur moi et même si j’en avais, je ne peux rien lui donner tant que je ne sais pas ce qu’il a pris.

– Je vois…

– Mais qu’est-ce qu’on fait, alors ?! » demanda vivement Lou en les regardant l’un après l’autre et en frottant le dos de Matteo.

Alec reposa le verre sur une commode voisine. Matteo tremblait trop pour boire.

« Je pense que le mieux serait de le ramener chez vous, dit Sig, très calme. Tout va bien, Matteo, ne vous en faites pas, continua-t-il doucement pour le garçon. Je sais que vous avez très peur et que vous vous sentez très mal, vous êtes même peut-être persuadé que vous allez mourir très vite, mais vous n’avez rien et ça va passer. C’est juste une très grosse crise d’angoisse. Ça va passer. »

Alec regarda son patron, un peu gêné :

« Monsieur, vous voulez que je le ramène ?

– C’est problématique… Nous avons besoin de ta voiture après la cérémonie… Et on ne peut pas juste déposer Matteo sans rester avec lui, sans personne pour le conduire à l’hôpital si ça s’aggrave… Ça me paraît très imprudent. »

Il y eut un silence. Sig eut un sourire et se leva doucement.

« Je m’en occupe. »

Tous se regardèrent avec surprise, il reprit avec le même calme :

« Je vais le ramener et rester près de lui. J’ai ma voiture, si Alec peut me laisser les clés de la maison ? »

Alec regarda son patron, attendant, mais ce dernier hocha la tête affirmativement et tendit la main à Sig :

« Merci infiniment, Docteur.

– C’est mon travail et mon devoir, Monsieur, répondit Sig en la serrant. Ne craignez rien, je sais gérer ce genre de choses. Occupez-vous de cette cérémonie. »

Léon Ségard hocha la tête. Il sourit à Matteo et lui dit :

« Ça va bien se passer, ne t’en fais pas. Rentre te reposer, nous allons nous occuper de tout. »

Il partit avec le prêtre, sa sœur et Julia. Alec donna les clés du manoir à Sig et lui dit avec soulagement :

« Merci, vieux.

– De rien, Alec. Tu me paieras ça très cher.

– Muffins à à la noix de pécan ?

– Au moins 2 kg. Tu préviens Fred ? demanda plus sérieusement Sig.

– Pas de souci. Texto s’il y a quelque chose, mon portable est en silencieux, ça ne posera pas de problème.

– D’accord, mais ça devrait aller, pour de vrai.

– On compte sur toi, Docteur ! »

Alec lui tapota le bras et fila à son tour. Sig sourit à Lou :

« Vous restez avec nous ?

– Ben, moi, à la base, je suis venue pour soutenir Matteo…

– Je vois… Bon, eh bien allons-y tranquillement, alors. »

 

Chapitre 22 :

 

Siegfried laissait Lou monter avec Matteo à l’arrière, après s’être assuré que le garçon n’était pas nauséeux. Il se dit quand même qu’il allait rouler lentement. De toute façon, aucune raison de se presser.

À la grande surprise de Lou, mais pas du psychiatre, la respiration du jeune homme commença à se calmer dès que l’église fut hors de vue.

En effet, quand la voiture sortit du village, Matteo, encore très pâle et au bord des larmes, parvint à murmurer :

«… Je suis désolé…

– Vous n’avez pas à l’être. »

Matteo se mit à pleurer et aussitôt, Lou se rapprocha de lui et prit sa main. Matteo la serra comme il put en balbutiant :

«… Je croyais que je tiendrais… Vraiment… »

Il eut un sanglot :

« Merde… À quoi ça sert ces médocs à la con s’ils ne n’aident pas aujourd’hui… »

Siegfried soupira et reprit avec la même douceur, apaisant :

« Ce n’est pas grave, Matteo. Voulez-vous que nous fassions demi-tour ? »

Le garçon sursauta et sanglota de nouveaux en déniant du chef, incapable de parler cette fois. Lou le prit dans ses bras comme elle put, vraiment navrée :

« Matteo…

– Ce n’est pas grave, répéta le psychiatre. Sincèrement, personne ne vous en voudra et vous ne devez pas vous en vouloir. Vous n’êtes pas obligé de porter des choses que vous ne voulez pas, surtout si vous ne pouvez pas les supporter. Vous ne vouliez pas y aller de toute façon, n’est-ce pas ?

– … Je… Je pensais vraiment que je tiendrais… balbutia le garçon entre deux sanglots.

– Ne vous en faites pas, ça va aller. Ne vous forcez à rien, le plus important, c’est de prendre soin de vous. »

Ils arrivèrent sans mal au Domaine. Matteo s’était un peu calmé. Il se sentait mieux, mais épuisé et Siegfried et Lou l’accompagnèrent dans sa chambre et attendirent qu’il soit endormi, en boule dans son lit, pour le laisser, son téléphone à portée de main si besoin.

Siegfried et Lou allèrent à la cuisine où le psychiatre se mit à faire chauffer de l’eau pour faire du thé. Lou s’était assise à la table.

« Ça ira, vous ? lui demanda gentiment Siegfried.

– Ouais, ouais… Vous connaissez bien la maison, dis donc… » remarqua-t-elle alors qu’il sortait deux mugs d’un placard.

Il sourit en les posant devant elle avec des cuillères et des boules à thé.

« Ça fait un petit moment que je connais Alec.

– Combien ?

– Oh… Une quinzaine d’années, maintenant…

– Ah, tant que ça ?

– Fred me l’a présenté assez vite.

– Il y a longtemps que vous êtes avec Fred ?

– Une quinzaine d’années !

– Vous l’avez connu comment ?… Enfin, si vous voulez m’en parler hein…

– Pas de problème. Son père et lui étaient venus à l’université pour restaurer l’estrade d’un vieil amphi… »

Le psychiatre sortit les divers paquets de thés pour les poser sur la table en racontant, un tout sourire aux lèvres :

« … D’habitude, ils prenaient leur pause dans la cour et puis, un jour où il pleuvait, ils sont restés dans l’amphi et c’est là qu’on s’était posé pour manger nous aussi… Un de mes amis les connaissaient, il venait d’ici lui aussi. Du coup, on a parlé un peu… Et deux jours après, son père s’est blessé. Mais bon, dans une fac de médecine, on a tout ce qu’il faut… Rien de grave, hein, une bonne foulure… Mais il a dû rester se reposer quelque jours, et comme Fred était tout seul, on l’a invité à manger avec nous. Et puis voilà, quoi…

– C’est quoi, votre accent ?

– Allemand. Je suis Bavarois.

– Euh… Ah, sud-est ? Capital, Munich ? »

Siegfried eut un petit rire alors que la bouilloire sifflait :

« Joli.

– Aucun mérite, on a vu ça en cours il y a deux mois. »

Il servit l’eau chaude, sortit un pot de miel et vint s’asseoir.

« C’est à cause de Fred que vous êtes resté en France ?

– Ça été un des deux éléments déterminants.

– Ah ? Et c’était quoi, l’autre ?

– Eh bien, l’ami dont je vous parlais, celui qui est d’ici, m’a proposé de travailler à la clinique de son père… La psychiatrie était déjà mon but et travailler avec des adolescents m’a beaucoup plu, alors j’ai accepté. Ça s’est bien passé, on est codirecteur tous les deux, maintenant.

– Ça se sait que vous êtes en couple avec un homme ?

– Oui, oui. Ensemble depuis 15 ans, huit ans de vie commune, et cinq de PACS.

– Et… Sans vouloir être indiscrète hein, ça ne pose pas de souci à votre boulot ?

– Avec les collègues, non. Avec les enfants, ça dépend. Certains s’en foutent. Avec d’autres, ça permet d’établir le dialogue, quand ils comprennent qu’ils ne sont pas les seuls avoirs des soucis avec leur famille, ou que même un adulte peut avoir de sérieux problèmes. Ceux que ça rebutent vraiment trop, c’est Nicolas qui les gère. En fait, c’est beaucoup plus souvent avec les parents que ça peut coincer… Certains demandent même que je n’approche pas leur enfant. C’est de plus en plus rare, mais ça arrive.

– C’est moche. »

Il y eut un silence, puis il reprit doucement en retirant la boule de son thé infusé :

« Ça fait longtemps que vous le connaissez, Matteo ?

– Depuis le collège… On est dans la même classe depuis la Sixième.

– Vous êtes pensionnaire aussi ?

– Non, pas moi. J’habite à côté. Mes parents bossent à l’école, c’est pour ça qu’ils ont pu m’y faire rentrer… Sinon, j’aurais jamais pu. Beaucoup trop cher, cette école…

– Et Matteo y est bien ?

– Bah ça allait jusqu’à ce qu’il s’embrouille avec un super pote à lui, là, au début d’année, après les vacances de Noël. Il l’avait pas super bien vécu, alors, ses parents par-dessus, c’est chaud…

– Il y a longtemps qu’il prend ce traitement ?

– Ben, depuis qu’ils ont appris pour ses parents… Il est rentré à Paris, Il était pas bien, son grand-père l’a emmené chez ce psy, là,… Matteo m’a dit qu’il l’avait vu une demi-heure avec son grand-père et qu’il voulait absolument l’interner dans sa clinique, mais heureusement, son grand-père avait pas voulu. Mais du coup, il a fait une ordonnance de dingue…

– Alec m’avait dit que le traitement était assez lourd.

– Ouais et ça lui retourne complètement la tête… Sérieux, quand je l’ai revu, j’ai eu peur… Il a une gueule de déterré et il marche à trois à l’heure… Et il est plus déprimé qu’après sa euh… Quand il s’est pris la tête avec Ben en janvier… C’est pas censé guérir ces trucs-là, ces médocs ? »

Sig haussa les épaules. Il écoutait attentivement, remuant sa tasse. Il avait mis une grosse cuillère de miel dans son thé. Lou serrait la sienne entre ses mains, triste.

« En fait, ça dépend, mais non, de mon point de vue, ça ne guérit rien. C’est même aberrant de donner un traitement médicamenteux sans aucune thérapie, ni aucun suivi. Malheureusement, je connais beaucoup trop de médecins qui s’en contentent… Nous, on les évite au maximum et on préfère les traitements aux plantes. Ça nous vaut beaucoup de critiques, mais les résultats sont là… Et puis, les traitements plus classiques restent là si besoin. On n’est pas fermé complètement non plus.

– Ça marche, les plantes ?

– Ça marche pas mal, oui. Et ça a beaucoup moins d’effets secondaires que les traitements classiques. Sur des patients jeunes, on préfère.

– Ouais, c’est cool… Vous pourriez jeter un œil à ce qu’il prend ?

– J’y comptais. Il faudrait qu’Alec me montre l’ordonnance. C’est bizarre, s’il est sous traitement depuis quelques semaines, qu’il ait craqué comme ça. Après, si vous me dites que le psychiatre l’a vu une demi-heure il y a un petit moment, c’est possible que le traitement ne soit plus adapté…

– À condition qu’il l’ait été, grogna-t-elle avant de boire une gorgée.

– Ça, je ne peux pas en juger sans l’avoir vu. »

Il but aussi alors qu’elle reprenait, toujours grognonne :

« En tout cas, je suis contente qu’il soit ici. C’est une belle baraque, et puis Alec est cool. Je pourrais repartir tranquille.

– Vous restez jusque quand ?

– Il faudrait que je rentre dans la semaine… Je voulais vraiment être là pour les funérailles, j’ai pu venir parce que c’était les vacances, mais j’ai déjà loupé pas mal de cours, la rentrée c’était mercredi et j’ai quand même le bac en juin…

– Il paraît que ça doit se préparer un peu, sourit Sig.

– Ouais, c’est ce qu’on m’a dit, aussi…

– Et ça ira ?

– Ouais, ouais, ça ira.

– C’est gentil de la part de vos parents de vous avoir laissée venir si longtemps.

– C’est sacré, les amis, pour mes parents. Ils m’ont dit que le bac, je pourrais le repasser, alors que si je loupais le moment où Matteo avait besoin de moi, ça, je ne pourrais jamais le rattraper. »

Siegfried sourit et hocha la tête :

« Voilà qui est plein de bon sens. »

Il finit sa propre tasse et se leva pour aller la poser dans l’évier :

« Beaucoup trop de gens ont tendance à se tromper de priorité. Rater son bac, c’est gênant. Mais perdre un ami, un véritable ami, surtout à votre âge, c’est bien pire. »

Il avait dit ça avec une douceur un peu triste. Lou fronça un sourcil :

« C’est moi ou c’est du vécu ? »

Sig lui sourit à nouveau :

« J’ai laissé beaucoup de choses en Allemagne, beaucoup de gens, aussi, quand j’ai choisi Fred.

– Vous avez regretté ?

– Jamais. Et chaque matin, quand je me réveille dans ses bras, je sais que j’ai fait le bon choix.

– C’est bien, ça, sourit-elle.

– C’est plutôt sympa ! » approuva-t-il.

Lou finit son thé aussi et ils allèrent discrètement voir si Matteo dormait toujours. Aucun souci de ce côté, il était toujours en boule sous sa couette, tranquille. Respiration calme et régulière.

Ils retournèrent à la cuisine et ils y furent juste comme Alec arrivait avec sa mère et Fred.

« Welcome, les accueillit Sig.

– Ah, vous êtes là, dit Alec en entrant. Tout va bien ?

– Oui, oui. Matteo dort. Tout va bien.

– Super… Merci beaucoup, Sig.

– De rien, Alec. Vraiment, de rien. »

Fred alla faire un petit bisou à son amoureux en l’enlaçant, avant même d’enlever sa propre veste :

« Alors docteur, on fait des heures supp’ et on m’abandonne ?

– J’admets et je n’ai même pas honte, sourit Sig en passant ses bras autour de ses épaules.

– Tu me paieras ça très cher, roucoula le menuisier.

– Ce soir, promis. Ça s’est bien passé ?

– Aussi bien que possible, répondit Mariette en enlevant son manteau. On a filé avant la fin, ça a traîné et le traiteur ne va pas tarder. Tout va bien, Mademoiselle Lou ?

– Oui, oui, ne vous en faites pas. On s’est fait un petit thé,… Mais on a pas eu le temps de laver les tasses.

– Ce n’est pas grave. On verra la vaisselle ce soir ou demain, de toute façon… »

Alec avait enlevé son manteau et regarda l’heure.

« Bien. On est dans les temps…

– Vous aurez besoin d’aide ? demanda Fred.

– Normalement, ça ira. Ah, j’entends la camionnette… »

 

Chapitre 23 :

Alec fit un petit tour avec un plateau pour ramasser les verres vides sur le buffet. Tout s’était bien passé, les gens étaient pour la plupart déjà partis. Matteo était réveillé, mais il n’avait pas bougé de sa chambre. Lou l’y avait rejoint.

Alec jeta un œil à son patron assis sur un fauteuil qui parlait avec son bras droit, le fameux Édouard Malton, un quadragénaire brun « bling bling », très (trop) propre sur lui dans son costume de marque et Siegfried, ces deux derniers dans un grand canapé. L’assistante de direction, Laetitia Frajet, dans une robe hors de prix aussi, parlait chiffon parisien avec Isabelle et Joséphine, assises un peu plus loin. Alec ne les aimait pas plus qu’il n’aimait Jean-Paul Monsan, l’associé de Léon, un banquier qui était à l’origine du projet d’entrée en bourse et de délocalisation et qui n’avait pas daigné venir aux funérailles, car il était en déplacement il n’avait pas trop comprit où pour ses affaires.

Alec regarda l’heure. Il posa un instant son plateau de verres sales sur la table et rejoignit son patron. Il eut un sourire furtif en entendant la conversation. Il avait rarement vu Sig aussi glacial :

« … Dois-je comprendre que je suis complètement incompétent et ma clinique totalement pourrie ? »

Édouard ne savait pas trop où se mettre :

« Je ne me permettrais pas…

– C’est pourtant bien ce que j’ai entendu. Vous savez qu’il existe autre chose que Paris ?

– La clinique du docteur Lafoute est très réputée ! se défendit vivement Édouard.

– J’ai des patients de la France entière et largement au-delà.

– La Clinique des Roses n’a pas besoin de faire ses preuves, Édouard, intervint Léon avec un soupir. Et de toute façon, nous en avons déjà souvent parlé, Matteo ne veut pas retourner à Paris, il est très bien ici et il y restera aussi longtemps qu’il faudra pour qu’il aille mieux.

– Et il n’est pas perdu en cas de souci, intervint Alec, très calme. Je suis là, Siegfried n’est pas loin et il n’y a aucune raison que ça aille mal.

– Tout à fait, approuva Sig. L’important est que Matteo soit dans un cadre sécurisant et sécurisé et c’est le cas. Il n’y a donc pas à s’en faire.

– Sinon, pardonnez-moi, reprit Alec, mais j’aurais besoin de savoir si monsieur Édouard et mademoiselle Laetitia voulaient passer la nuit ici ?

– Oh non, nous avons un train ce soir… Vers 20 heures, je crois. Il faudra nous appeler un taxi, d’ailleurs.

– À quel gare est votre train ?

– Lyon Part-Dieu.

– D’accord… Je vous commanderais un taxi pour 18h30 et je ne vous compte pas pour le dîner, c’est noté…

– Louis voulait rester dîner, lui, je crois, dit Léon.

– Ah ? Bien, je vais essayer de le trouver pour voir ça avec lui, alors…

– Je crois qu’il est sorti fumer avec Fred, lui dit Sig.

– Bien, merci. »

Alec repartit et récupéra son plateau le ramener à la cuisine. Il se fit la réflexion que l’insistance d’Édouard pour faire interner Matteo dans cette fameuse clinique parisienne était très curieuse. Il avait des actions là-bas ou quoi ?

Il déposa la vaisselle sale et partit à la recherche de Bisson, le notaire des Ségard. Son cabinet gérait leur fortune et l’entreprise depuis toujours.

Il trouva effectivement le notaire, un petit bonhomme fin aux cheveux noirs, dans un joli costume sombre assez simple, occupé à fumer devant la maison avec Fred, Margot et le jeune Antoine.

« Est-ce que tout se passe bien, ici ? demanda le régisseur en s’approchant.

– Tout à fait ! répondit joyeusement Fred. Et de ton côté, ça va ?

– On tient bon ! Maître Bisson, je voulais savoir si vous vouliez rester pour dîner ?

– Oh oui, volontiers, si c’est possible ?

– Tout à fait, il n’y a aucun problème.

– C’est vrai que ça fait longtemps que je n’avais pas vu Léon, j’avais des choses à voir avec lui… Les circonstances ne s’y prêtent pas trop, mais il faudrait vraiment que nous puissions au moins prendre rendez-vous.

–Eh bien, vous pourrez profiter du dîner, vous serez tranquilles.

– Si ses deux sbires me laissent lui parler… soupira tristement le notaire.

– Ils seront repartis.

– Ah alors oui, nous serons tranquilles…

– Qui est-ce que vous appelez comme ça ? demanda Margot, amusé.

–Édouard Malton et Laetitia Farjet. Dans le club des petites vipères aux dents qui rayent le parquet, ils ont leur carte VIP, répondit le notaire avec un sourire.

– Ah ouais ? rigola Fred.

– Je les soupçonne d’avoir des envies inavouées de devenir calife à la place du calife… »

Alec eut un sourire et repartit. Il retourna au grand salon, où ses parents étaient en train de poser des gâteaux sur le buffet : cookies, muffins et brownies, pour accompagner le café et le thé. Pas grand monde ait faim, mais c’était bon pour le moral.

Alec alla voir où en étaient Lou et Matteo. Sans surprise, les deux jeunes gens bouquinaient sagement, l’un à côté de l’autre sur le lit, Matteo en tailleur et Lou allongée sur le ventre.

« Oui, Alec ? Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Matteo en levant le nez de son roman.

– Rien de particulier, Monsieur. Je passais m’assurer que tout allait bien et vous demandez si vous vouliez gouter ?

– Je veux bien, j’ai un peu faim…

– Voulez-vous venir au grand salon ou préférez-vous que je vous apporte ça ici ?… Il n’y a plus beaucoup de monde, mais c’est comme vous voulez.

– Il reste qui ?

– Votre famille, Siegfried et Fred, Maître Bisson, Édouard Malton, Laetitia Farjet et je crois que Monsieur Gavriel est encore là aussi avec son épouse…

– Qui est-ce, lui, déjà ?

– L’ancien directeur de la Manufacture, Monsieur. Il a pris sa retraite l’an dernier.

– C’est tout ? Tous les autres sont partis ?

– Tout à fait. mais ne vous sentez pas obligé ? Vous pouvez aussi rester tranquillement ici.

– Non mais… Je voulais remercier Siegfried,… »

Matteo glissa son marque-pages dans son livre pour le poser sur la table de nuit alors que Lou se redressait.

Ils regagnèrent tous trois le grand salon. Dès qu’il les vit, Léon se leva pour rejoindre Matteo. Le garçon lui jeta un regard inquiet, mais son grand-père ne fit que le serrer dans ses bras un instant avant de lui dire :

« Te voilà enfin qui sors de ton entre… Ça va ? Tu te sens mieux ?

– Oui, ça va… Merci, Grand Père. Désolé… Je… Je pensais que je tiendrais…

– Ce n’est pas grave. Je suis désolé de ne pas avoir que ça n’allait pas. »

Matteo sourit et hocha la tête.

« Ce n’est pas ta faute… Mais merci. »

Fred était rentré et venu s’asseoir près de Sig. Il avait passé un bras autour des frêles épaules du blond. Édouard était toujours près d’eux, puisque Léon y était aussi avant l’arrivée de Matteo. Le Parisien ne semblait pas très à l’aise. Sig et Fred eurent un sourire lorsqu’il se leva en bredouillant une excuse pour s’éloigner d’eux. Léon revint alors avec Matteo et Lou. Léon se remit dans son fauteuil et les deux jeunes gens s’assirent sur le canapé, près des deux amants. Fred retira son bras et glissa plus discrètement sa main dans celle de Sig, entre eux deux. Mariette distribuait thé et café. Alec alla préparer des chocolats pour Lou, Matteo et Sig qui avait envie d’en boire aussi.

« Alors, ça va mieux, Matteo ? demanda gentiment le psychiatre.

– Oui, oui, ça va… Merci beaucoup pour tout à l’heure, Docteur…

– De rien, Matteo. Vraiment, de rien. C’est mon devoir de médecin. Serment d’Hippocrate, tout ça.

– Le truc que vous jurez à la fin de vos études, là ?

– C’est ça, le truc qu’on jure à la fin de nos études… sourit Sig.

– Il est affiché dans son bureau, dit Fred avec un sourire aussi.

– Ah, vraiment ? s’étonna Léon. Je ne crois pas en avoir jamais vu chez aucun de mes médecins.

– J’y tenais, dit Sig. Les patients apprécient et à moi aussi, ça me fait du bien de l’avoir sous les yeux. »

Ils se mirent à parler de choses et d’autres, tranquillement. Lydia vint s’installer avec eux, très curieuse face à ce couple aussi évident que tranquille. Et la question fatidique ne tarda pas à tomber :

« … Et vous comptez vous marier ? »

Fred et Sig échangèrent un regard. Les manifestations faisaient rage dans le pays et les débats parlementaires s’éternisaient aux frais du contribuable, alors qu’il était évident que la loi allait passer… Probablement la seule promesse électorale que pourrait tenir le président.

« Il y a des chances… répondit laconiquement Fred ça. On attend que ce soit voté, mais il y a des chances…

– Vous vous êtes décidés pour qui portera la robe ? les taquina Alec en apportant les chocolats et les thés.

– Non, on pense qu’on va tirer à pile ou face, en fait, lui répondit Fred. Par contre, on sait qui portera l’autre…

– Ah ?

– Oui, Sig s’est fait mal à la hanche, il ne pourra pas.

– Oh, quelle tristesse, rigola Alec. J’aurais trouvé ça si mignon, toi dans une belle robe blanche, porté comme une pure demoiselle en fleurs dans les bras de ton mari… »

Tout le monde riait autour d’eux et Sig en remit une couche :

« Lui en « pure demoiselle », déjà, il y a un souci dans l’équation.

– Tout à fait, opina Fred. Je ne suis pas une demoiselle.

– Parce que tu es pur ?

–Un pur idiot, oui, d’après mon père. Ça compte ?

– Ah, ça se discute. »

Alec hocha la tête et reprit en se redressant, le monde étant servi :

« Bien. Vous faut-il autre chose ?

– Muffins aux noix de Pécan, sourit Sig.

– Ah oui, exact. Mais je ne crois pas qu’on en ait fait deux kilos…

– Je pourrais tolérer de ne pas les avoir en uns fois.

– Comme c’est aimable à toi.

– C’est quoi, cette histoire ? demanda Fred.

– Son paiement pour s’être occupé de Monsieur Matteo. »

Léon sourit :

« Je peux vous dédommager, Docteur, ce n’est pas un souci, au contraire ?

– Merci beaucoup, mais ne vous en faites pas. Les muffins m’iront très bien. »

 

Chapitre 24 :

Alec soupira en revenant à la cuisine avec la table roulante. Sa mère, qui préparait le grand plateau à fromages, le regarda :

« Tout va bien ?

– Niveau repas, pas de problème.

– Et niveau ambiance ? s’enquit son père en croisant les bras, grave.

– Tendu… Maître Bisson est parvenu à obtenir qu’ils prennent rendez-vous après le dîner, mais il n’arrivera jamais à convaincre Monsieur Ségard de renoncer à la délocalisation… Et il ne peut pas trop lui en parler ce soir… Enfin, il pourrait, mais devant toute la famille et le soir de l’enterrement de son fils, il n’osera pas.

– Tu t’occupes du fromage, mon chéri ? » demanda Mariette.

Yves hocha la tête et Alec et lui posèrent le plateau sur la table roulante. Puis, il partit.

Alec s’assit à la table et passa ses mains dans ses cheveux, les ébouriffant un peu :

« Putain, je sais pas quoi faire.

– Commence par rester poli ! » le gronda gentiment sa mère.

Il eut un petit rire, se redressa et croisa les bras avec un sourire en coin :

« Sérieusement, maman, on peut pas laisser faire ça !

– Et qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ? soupira-t-elle tristement.

– Tu le sais très bien ! s’écria-t-il. Et Maître Bisson serait avec nous !

– Ça suffirait ?

– Si la clause est activée, avec ses parts, on serait à 55 %. On pourrait tout arrêter !

– Ça prendrait des années de procès…

– Mais ça marcherait !… Et la Manufacture resterait en France, n’entrerait pas en bourse et on pourrait remettre les choses en place ! »

Mariette soupira tristement.

« Ce n’est pas notre rôle… »

Alec soupira aussi, mais lui avec colère :

« Si, bon sang !… Auguste n’aurait pas prévu ça, sinon !

– Mais est-ce que, déjà, c’est encore légal ? La loi a changé, tu sais… »

Alec grimaça et s’enfonça dans son siège. Argument recevable. Bon sang… il fit la moue.

« Il faut faire un point avec Maître Bisson, lui dit sa mère. Savoir où nous en sommes, ce qui est possible, si c’est encore possible.

– Mouais, admit-t-il. Mais si ça l’est, je ne pourrais pas rester sans rien faire, Maman. Au pire, ça bloquera la procédure en attendant… Ça nous fera gagner du temps.

– Il faut voir ce qui est possible, Alec, répéta gentiment Mariette en ébouriffant la tête blonde, le faisant rire. Fais les choses dans l’ordre. »

Alec et sa mère s’en tinrent là car Yves revint.

Alors que le notaire repartait, un peu plus tard, Alec le raccompagna à sa voiture. Ils parlèrent un moment et Alec avait très froid lorsqu’il rentra. Il souffla sur ses mains et les frotta.

Peut-être une lueur au bout du tunnel.

Il fit un ultime point avec ses parents avant d’aller dormir.

Comme prévu, Isabelle et son secrétaire avait filé dans l’après-midi, prétextant la route.

Restaient donc les cinq Baudouin, les trois Ségard, Lou et Julia. Paul, Joséphine, Margot et son petit Quentin devaient repartir tranquillement le dimanche. Lydia, par contre, souhaitait rester quelques jours de plus, comme Gwendoline et Julia. Lou avait pu négocier de ne rentrer que le mercredi. Léon, pour sa part, devait retourner à Paris au plus vite. Il repartirait le mardi, après son rendez-vous avec le notaire lundi

La nuit passa paisiblement.

Le dimanche matin, il faisait enfin beau.

Un radieux soleil presque printanier illuminait le ciel. Il faisait frais, mais c’en était fini les nuages lourds et oppressants.

Reposé, le petit Quentin se révéla bien moins timide, mais bien plus capricieux. Sa mère était visiblement incapable de gérer ça, ses grands-parents un peu plus, mais il suffisait manifestement qu’il pleure un peu fort pour qu’eux aussi soient dépassés.

Stratégie enfantine qui se révéla totalement inefficace face Alec et Mariette. Et pire, face à Matteo.

Car dès le petit déjeuner, il tenta un pleurnissage en règle pour avoir un chocolat chaud de sa marque habituelle. Sa mère lui expliqua que ce n’était pas possible, il augmenta le volume. Mariette lui dit que celui d’Alec était très bon, même chose.

Ni Lydia, ni Léon n’étaient là. Il y avait longtemps qu’ils avaient déjeuné.

Alec et sa mère échangèrent un regard et un soupir et se figèrent en entendant la voix froide de Matteo :

« On peut savoir ce qui se passe ? »

Quentin chougna :

« Je veux mon chocolaaaaat !… »

Matteo approcha, suivi de Lou qui bailla, et il demanda Alec et Mariette, sceptique :

« Panne sèche de cacao ?

– Du tout, lui répondit Alec. Monsieur Quentin ne veut pas d’autres marques que son ‘’agneau aux céréales’’ ».

L’enfant couinait toujours, certes un peu moins fort, et c’est vers lui que Matteo tourna son regard sceptique :

« Réclamer ce truc quand il peut avoir ton chocolat maison ? Et ben, c’est rien dire que c’est idiot. »

Lou opina du chef en croisant les bras.

« Enfin, soupira encore le garçon en venant s’asseoir. De toute façon, quand il n’y a pas, ça ne sert à rien de pleurer. Moi, je veux bien un roïboos et un jus de fruits, s’il vous plaît.

– Pas de souci, Monsieur, opina Alec. Et pour Mademoiselle Lou ?

– Moi, chocolat, sans souci. »

Alec hocha la tête avec un sourire, puis leva les yeux au ciel alors que Quentin se remettait à couiner plus fort. Mais ça tourna court lorsque Matteo reprit la parole, cinglant :

« C’est fini, oui ? On t’a dit qu’il n’y en avait pas. Ils ne vont pas te l’inventer. Pleurer ne sert à rien, à part nous énerver, donc, tu arrêtes ça tout de suite.

– Maiiiiis… Je voulais mon chocolat…

– Ouais, ben moi, je voulais pas que mes parents crèvent en mer. Mais dans la vie, on a pas toujours ce qu’on veut. Donc, tu prends ce qu’on te donne et tu arrêtes de pleurer pour le reste. »

Ce n’était rien de dire que la réplique du garçon avait jeté un froid.

Alec le regarda un instant avec une franche surprise, jusqu’à ce qu’une petite table de sa mère ne le fasse sursauter. Ils sortirent ensemble pour gagner la cuisine. Au bout de quelques pas, Mariette eut un petit rire :

« Et ben !… On dirait que Monsieur Matteo n’aime pas les enfants capricieux !

– Je te le confirme. Je me souviens, quand on a refait sa garde-robe à la Part-Dieu, il avait envoyé promener une bonne femme dans le gosse courait en hurlant dans le magasin… il lui avait demandé d’arrêter en lui expliquant qu’il avait mal la tête, le gosse avait été pleuré vers sa mère qui s’était ramenée… Elle avait commencé à lui chercher les noises, du genre pour qu’il se prenait et autre… Matteo lui avait expliqué qu’il avait mal à la tête et que ce n’était de toute façon pas très correct de laisser son gamin courir partout dans un commerce, et comme elle râlait encore, il lui a sorti que son fils était une des meilleurs pubs pour la contraception qu’il ait jamais vues. Ça l’avait bien calmé ! »

Mariette rit encore et il ajouta :

« Ça fait du bien de le voir comme ça, j’ai vraiment l’impression qu’il va mieux…

– Ça doit lui faire du bien être ici… Tu as pu montrer l’ordonnance à Siegfried ?

– Non, pas eu le temps. Ça a trop été la course, hier… Je le rappellerai dans la semaine. »

Un peu plus tard, Alec revenait dans la salle à manger pour servir Matteo et Lou. Le petit Quentin ne couinait plus, même boudait. Au moins, c’était silencieux. Matteo retint un bâillement :

« Merci, Alec. Où est Grand Père ?

– Monsieur Léon est parti se promener dans le parc avec Madame Lydia, Monsieur. Je crois qu’elle souhaitait lui parler de la restauration de la chapelle, répondit Alec en déposant le verre de jus de fruits et la théière et la tasse sur la table, devant lui.

Puis, il posa le mug fumant du chocolat chaud devant Lou qui lui sourit :

« Merci !

– Je vous en prie. Avez-vous tout ce qu’il vous faut ?

– Oui, merci, Alec, répondit Matteo.

– Tout va bien pour moi aussi ! » renchérit Lou.

Alec hocha la tête et regarda interrogativement Margot, qui finissait son café en face de Lou :

« Toujours rien pour Monsieur Quentin ?

– Apparemment non… » répondit-elle avec un haussement d’épaules alors que le petit garçon se renfrognait encore.

Alec n’insista pas et repartit. À midi, Quentin tenta de remettre ça en réclamant des frites à la place des haricots verts qui accompagnaient le rôti de bœuf. Mais il fut très vite recadré par le maître des lieux en personne, qui n’avait pas grand-chose à envier à son petit-fils en la matière.

Personne donc ne regretta le départ du garçonnet, dans l’après-midi.

Lorsqu’il vint voir où en était la petite troupe, vers 16 heures, Alec les trouva dans le grand salon en train de jouer sagement aux cartes. L’ambiance était joyeuse. Il demanda pour le principe si tout allait bien, prit les commandes pour le goûter et alla tranquillement préparer ce dernier.

La journée s’acheva ainsi très paisiblement.

Un soleil radieux brillait le lundi matin.

Lydia proposa d’aller se promener un peu à Lyon. Léon devait y aller pour son rendez-vous chez le notaire. Il proposa donc qu’ils mangent ensemble dans un bon restaurant, puis que les autres se promènent pendant son rendez-vous, il les rejoindrait après.

La petite troupe partit donc après le petit déjeuner, laissant la maison très curieusement calme. Alec et ses parents en profitèrent pour faire le ménage à fond dans les chambres, faire un gros plein de courses et enfin souffler un peu.

Alec et son père étaient dans le parc, nettoyant les branches tombées et les feuilles, lorsqu’ils entendirent les voitures revenir vers 17h30.

Comme le jour commençait à baisser, ils décidèrent d’arrêter là et de rentrer. Tout le monde était dans le hall. Mariette avait accueilli la petite famille et la débarrassait. Si Matteo était épuisé et Léon visiblement un peu fatigué lui aussi, tous étaient de très bonne humeur et ravi de leur journée, de leur visite au musée des Beaux-Arts en particulier.

Alec sourit et regarda son père :

« Petite douche ?

– Volontiers ! On a sué comme des veaux avec tout ça !

– Ouais, mais le plus gros est fait. Merci du coup de main.

– De rien, fiston ! Allez, dépêchons-nous. Après ça, il faudra aider ta mère pour le dîner. »

 

Chapitre 25 :

 

Alec rentra des courses en sifflotant, tout content de la douceur de ce matin d’avril. Il posa ses sacs dans le hall le temps d’enlever sa veste.

Matteo arriva du salon :

« Alec, c’est toi ?

– Oui, oui, je viens de revenir. Tout va bien ?

– Oui,… Tu as tout ce que tu voulais ?

– Tout à fait. Votre jeu, le mien et tout ce qu’il nous fallait pour ne pas mourir de faim de cette semaine.

– Super !

– Si vous me laissez ranger les produits frais et surgelés, je descends ma PS3 tout à l’heure.

– Merci !… »

Matteo lui sourit :

« Ça ne te gêne vraiment pas de me la prêter ?… Je peux m’en payer une, tu sais ?

– Il n’y a aucun problème. Je n’y joue pas en ce moment. N’hésitez pas si vous voulez que je prête d’autres jeux, d’ailleurs.

– Oui, merci. »

Alec reprit ses sacs et commença à prendre le chemin de la cuisine. Matteo le suivit :

« Tu veux de l’aide ?

– Non, ça ira… Merci.

– Dis, Grand Père a appelé…

– Ah ? Rien de grave, j’espère ?

– Non, non… Attends, je vais t’ouvrir les portes… »

Matteo précéda Alec dans le couloir pour lui servir de portier en continuant :

« Il venait juste prendre des nouvelles… Il avait l’air un peu inquiet de me savoir tout seul ici… »

Matteo ouvrit la porte de la cuisine. Alec le remercia et alla poser ses sacs sur la table :

« Merci… Mais je ne suis pas parti longtemps. Il y a eu un souci ?

– Non… Mais du coup, on a parlé un peu et on a réalisé que tu n’avais pas eu un jour à toi depuis que je suis là… Et que les funérailles t’avaient bien fatigué… Alors on se disait que ça fera serait bien que tu puisses souffler un peu… Mais Grand Père ne veut pas que je reste tout seul… »

Alec hocha la tête en rangeant les yaourts au frigo, puis les steaks et les légumes bio surgelés dans le congélateur, sous ce dernier. Il répondit :

« Ne vous en faites pas, depuis que nous sommes à nouveau tous les deux, ça va. J’ai pu me reposer.

– Oui, c’est ce que je lui dis… Que tes parents étaient encore restés presque cinq jours après que tout le monde soit parti et que ça allait… Mais bon, on s’est quand même dit que tu avais le droit de te prendre une journée ou une soirée quand tu voulais… C’est dans ton contrat d’ailleurs… Et puis bon quand même… T’es pas enchaîné ici… »

Alec sourit encore en sortant des pommes et des kiwis d’un sac.

« C’est très gentil, mais s’il ne veut pas que vous restiez seul, je vois mal comment nous pouvons faire.

– Justement, tu as une idée ?

– Vous n’avez plus vraiment l’âge que je cherche une nounou.

– Ben, non, ça non… Mais je me demandais si on avait un bon système d’alarme ?

– Oui, bien sûr. Il faudra d’ailleurs que je prennes le temps de vous expliquer en détail… Il est très efficace et appelle directement la police.

– Ah, c’est bien…

– Sinon… Je pense que je pourrais demander à mes parents de venir de temps en temps…

– Ca ne gênerait pas ? Ils sont à la retraite, quand même…

– Oh, une fois par-ci par-là, ça pourrait. Ils aiment bien revenir. Sinon… Hmmm… »

Alec réfléchit un moment en rangeant quelques conserves dans un placard.

« … Vous aimez les chiens ?

– Oh ?… Oui, bien sûr… »

Matteo croisa les bras et pencha la tête, souriant :

« Tu penses à des chiens de garde ?

– Ça vous plairait ?

– Oui ! Volontiers !… Mais ça va encore te faire du travail en plus ?

– Oh, je vais bientôt avoir deux chevaux à gérer… Alors quelques chiens… Le parc est grand, on a de la place… Un des garages est vide en plus, on peut en faire un abri pour à court terme… Ou bien le réaménager pour de bon…

– C’est quoi, les chiens auxquels tu penses ?

– Il y a un élevage de bergers d’Anatolie, pas loin. Vous voulez qu’on aille y faire un tour ?

– Ah, je connais pas, mais oui, volontiers !

– Je rappelerai votre grand-père pour voir avec lui. »

Alec avait fini de ranger ses courses. Il sourit encore le garçon :

« Je vais vous installer la PS3 et préparer le déjeuner. Nous irons à l’élevage après votre sieste, si vous voulez ?

– D’accord ! »

Alec hocha la tête et lui tendit un jeu vidéo :

« Et voilà BioShock Infinite !

– Merci beaucoup ! »

Matteo regarda le jeu avec de grands yeux brillants, tout content :

« Super !…

– J’ai vu de bonnes critiques.

– Tu voudras y jouer ?

– Volontiers, mais j’en ai déjà pas mal à finir… Mais à l’occasion, oui, je veux bien. »

Alec alla chercher la console et la brancha soigneusement au salon. Laissant Matteo s’amuser avec elle, il repartit à la cuisine préparer le déjeuner. Il mitonna avec soin une bonne poêlée de légumes colorés et un émincé de volaille. Il avait fait mariner toute la nuit la viande dans un subtil mélange huile, de sauce teriyaki et d’herbes diverses

Matteo se régala et remercia chaleureusement Alec avant d’aller se reposer.

Alec le regarda filer avec un soupir et alla faire la vaisselle. Presque dix jours qu’ils étaient à nouveau seuls… Il semblait à Alec que le jeune homme allait mieux. Leur petite routine avait repris. Matteo était toujours aussi sage et tranquille. Il partageait son temps entre ses lectures et la piscine et, depuis peu, il s’était remis aux jeux vidéo. Il avait en effet fait venir pas mal d’affaires de Paris, dont ses consoles portables, et Alec lui avait prêté quelques jeux. Lorsque le garçon lui avait parlé de BioShock Infinite, Alec lui avait proposé de lui prêter sa PS3 pour y jouer.

Alec lava les couverts et le reste en pensant qu’il avait hâte que Sig revienne du congrès où il avait dû partir un peu en catastrophe, pour remplacer au pied levé un collègue qui s’était cassé le bras. Fred le lui avait appris lorsque, le mardi suivant les funérailles, il avait appelé pour savoir si le psychiatre pouvait donner son avis sur l’ordonnance de Matteo. Le temps avait filé et Sig devait rentrer le surlendemain. Fred lui avait bien dit que son compagnon était navré et n’avait pas oublié Matteo.

L’ordonnance du jeune homme était de toute façon périmée et il restait à Alec assez de comprimés pour la semaine. Il ne mourait pas envie de rappeler le psy parisien. Il avait beaucoup plus confiance en Sig.

Sa vaisselle faite, Alec appela son patron pour savoir s’il est d’accord pour qu’ils adoptent quelques chiens. Le vieil homme se montra très enthousiaste.

« Si ça te convient ?… Je ne voudrais pas que tu te sentes forcé ?… Mais c’est vrai que ça me soulagerait de savoir qu’il y a des chiens de garde dans le parc… Avec tout ce qu’on entend en ce moment… La maison est quand même isolée… Même avec l’alarme, les policiers ne sont pas tout près…

– Il n’y a aucun souci. Honnêtement, j’y avais déjà pensé. Il n’y a jamais eu de problèmes par ici, mais il y a quand même des objets de valeur dans la maison. Et puis, j’aime bien les chiens.

– Des objets de valeur, oui… Sans compter la formule. »

Alec sourit. La fameuse forme formule de l’alliage qui faisait tourner la Manufacture depuis presque 150 ans… Elle était enfermée dans le coffre du de Léon Ségard.

« Combien de chiens voudriez-vous ? s’enquit Alec.

– Le parc est grand… Trois ou quatre serait le minimum… Tu pensais à quoi, comme chiens ?

– Des bergers d’Anatolie. Ce sont deux très grands chiens et de très bons gardiens. En Turquie, ils gardent très bien les habitations isolées des loups. Je pense que trois ou quatre bestioles de ce gabarit serait effectivement déjà pas mal.

– Je vois. Et bien, pas de problème. Renseigne toi, vois avec Matteo, tu rajouteras leur achat dans les frais et leur entretien dans les charges fixes. Je te laisse gérer.

– D’accord. »

Alec époussetait les vieilles statues d’Orient du grand salon, en écoutant Nighwish, lorsque Matteo revint de sa sieste.

Ils partirent sans trop tarder. Il faisait toujours très beau et très doux. L’élevage était une bonne demi-heure de route, dans un petit village paisible, perdu au milieu de grandes étendues de vigne.

Alex se gara paisiblement au bord de la route et ils descendirent. Un haut enclos entourait un domaine immense. Si on n’entendait des bruits, on entendait par contre très peu d’aboiements.

Alec sonna à l’interphone. Une voix les accueillit aimablement et leur ouvrit le portail. Ils entrèrent et se retrouvèrent dans une grande cour. Quelques chiens, surtout des jeunes, jouaient là. Quelques-uns les regardèrent sans approcher, à part un petit chiot qui boitillait.

Alors qu’Alec saluait la femme, un quadragénaire énergique et souriante, Matteo regarda cette grosse peluche le flairer, puis se dresser contre sa jambe remuant la queue.

Il serra la main de la patronne avant de s’accroupir pour caresser la petite tête toute douce, laissant Alec expliquer ce qu’ils faisaient là. Tout content, le chiot se redressa à nouveau, enfin essaya, et Matteo, amusé, le souleva dans ses bras, tout attendri.

« Et ben, t’es pas farouche, toi…

– Wif !! »

La patronne sourit :

« Ah, lui, si vous le voulez, c’est cadeau.

– Ah bon ? Pourquoi ?

– Ben, vous avez dû voir, il boîte. Malformation de la patte… On l’a pas fait euthanasier parce qu’il est très gentil et très intelligent, mais pour nous, il est invendable. »

Mattéo rigola en sentant une petite truffe froide sur sa joue, suivie d’un petit coup de langue. Alec sourit :

« Bien. Pas de souci pour celui-là, mais à la base, on n’en voulait plutôt des grands. »

 

Chapitre 26 :

« Caramel ?… Vous êtes sérieux ?

– Ben quoi ? »

Alec eut un petit rire et jeta un œil amusé au garçon assis à sa droite dans la voiture, le chiot sagement couché sur ses genoux, visiblement tout content. Matteo fit la moue :

« C’est mignon, non ? Et puis c’est sa couleur.

– Non, mais c’est votre chien, c’est vous qui décidez…

– Pourquoi tu te marres comme ça ?

– Non non, mais vous avez raison, c’est très mignon… Niveau férocité, on perd en crédibilité, mais c’est mignon… Ah, nous voilà au magasin.

– Tu es sûr qu’ils ont ce qu’il faut ?

– Oui, oui. Ils auront bien un panier et une laisse pour lui et on pourra prendre le reste pour les grands, pour avoir tout quand ils nous les amèneront.

– Ils ont dit la semaine prochaine, c’est ça ?

– Oui, lundi ou mardi selon la disponibilité du vétérinaire pour les certificats. »

Alec se gara devant une grande enseigne, dans un parking en gravier presque vide à cette heure-ci. C’était une grande surface de vente sous un plafond de verre, beaucoup de plantes, d’animaux et de matériel et de décoration pour jardins.

Matteo gardait le chiot dans ses bras, car ce dernier se serait sans doute mis à courir dans tous les sens. Il flairait l’air en regardant partout, tout excité.

« Venez, la partie animalerie est par là… »

Matteo suivit Alec à travers les plantes diverses et odorantes. Il éternua une fois ou deux, puis ils longèrent tout un mur d’aquariums où nageait une foultitude de poissons multicolores, avant d’arriver dans l’espace dédié aux chiens et aux chats.

« … On lui prend un grand panier tout de suite ? demanda Alec.

– On va le perdre dedans !

– On mettra des coussins en attendant qu’il grandisse, si vous voulez.

– Ah, pas bête. »

Matteo faillit lâcher le chiot qui remuait de plus en plus.

« Eh !… Sage, Caramel !

– Wif ! Wif !

– Je crois qu’il nous faut une laisse d’urgence… sourit Alec.

– Je crois aussi ! » opina Matteo avec un petit rire.

Ils trouvèrent ça sans mal dans un rayon un peu plus loin. Les voyant mettre tout de suite, mais péniblement, le collier au chiot qui sautillait en jappant joyeusement, un vendeur accourut, suspicieux :

«, Qu’est-ce que vous faites ?…

– On attache ce petit monstre avant qu’il ne démolisse la moitié du magasin, répondit Alec en attachant la laisse au collier.

– Eh, n’insulte pas mon chien ! protesta Matteo.

– Wif !… »

Alec se redressa alors que Matteo se penchait pour caresser la petite tête poilue :

« L’écoute pas, Caramel, t’es pas un petit monstre…

– Wif ? »

Alec sourit au vendeur :

« On va les payer, ne vous inquiétez pas. Mais il était vraiment intenable, là. »

Matteo prit la laisse que lui tendait Alec et se redressa aussi :

« Oui, désolé. Vous avez des jouets pour les chiots ?

– Ne commencez pas à trop le gâter, sourit encore Alec.

– Promis !… Mais il faut un truc pour ses dents, non ?… Et une balle ?

– Wif ! Wif !

– Tu vois, il est d’accord… »

Le vendeur regardait tour à tour les deux hommes, désormais dubitatif.

« … Oui… On a pas mal de choses… Venez voir… Vous venez de l’adopter, c’est ça ? Vous n’avez rien du tout ?

– C’est ça effectivement, opina Alec. Son ancienne patronne nous a filé un fond de croquettes pour qu’il ne meurre pas de faim trop vite, mais sinon, on a rien du tout, comme vous dites.

– D’accord. Ben venez voir… C’est là… »

Ils le suivirent dans un rayon voisin :

« Paniers, vous avez tout ça… C’est un berger d’Anatolie, à ce que je vois.

– Vous devez en voir passer pas mal, sourit encore Alec

– Oh ben oui, avec l’élevage à côté… D’ailleurs, je vous conseille un grand panier tout de suite. Ça grandit très vite, ça vous évitera de revenir tous les mois.

– Ça me va bien. Vous avez des paniers collectifs pour famille de chien ?… Non, parce qu’en fait, on n’en récupère aussi trois grands dans une semaine.

– Trois adultes ? Waouh, vous devez avoir de la place !

– On un grand parc. Mais ils auront un vieux garage pour eux.

– Alors, non, je n’ai pas de panier familial… Mais franchement, si vous avez un vieux matelas propre, ça le fait bien. Si vous voulez, on a des couvertures antiparasitaires… Vous en mettez une ou deux dessus et ça fait très bien l’affaire. Votre garage, il est bien sec ?

– Oui, oui. C’est là qu’il y a la chaudière. Et le sol est bétonné.

– Donc, sec et bien chaud. Non, sincèrement, matelas et couvertures, ça suffit.

– D’accord, c’est noté. »

Alec et Mateo prirent donc un panier pour Caramel, quelques couvertures, des écuelles, des laisses, colliers et muselières, quelques jouets et os à mâcher, des friandises et surtout des croquettes. Beaucoup de croquettes.

Alec fit encore un petit tour côté jardinerie, laissant Matteo, Caramel et le caddie faire la queue à la caisse. Lorsqu’il revint, avec quelques outils et des sachets de graines, Caramel était sagement assis aux pieds de Matteo et le regardait, intrigué, car le jeune homme avait un gros coup de barre et il semblait en train de s’endormir debout.

Il sursauta d’ailleurs lorsqu’Alec le rejoignit :

« Monsieur Matteo ? Tout va bien ? »

Le garçon mit quelque secondes à répondre, alors qu’à ses pieds, Caramel se levait en remuant la queue, tout content de le voir éveillé :

« Euh, oui pardon… Oui oui… Juste un gros coup de pompe… Tu as trouvé tes trucs ?

– Tout à fait. On aura de belles tomates cet été… Et plein d’autres choses. Ah, ça va être à nous ! »

Alec commença à poser les articles sur le comptoir en saluant la caissière :

« Bonjour ! Vous allez bien ?

– Ça va et vous ?… Tiens, vous avez des chiens, maintenant ?

– Bientôt. On se prépare. On a déjà un petit pour s’entraîner. »

Elle s’était levée pour biper les grands sacs et sourit en voyant le chiot qui sautillait autour de Matteo. Le garçon le laissait faire en essayant de suivre pour ne pas se retrouver emmêlé dans la laisse.

« Oh, qu’il est mignon ! C’est vraiment des peluches à cet âge-là. »

Matteo prit ladite peluche dans ses bras. Le chiot bâilla, le faisant bailler aussi.

« Eh bien, j’en connais deux qui ont fait une bonne sieste… » sourit encore Alec.

Et ça ne manqua pas. Dès leur retour au Domaine, Matteo alla dormir avec Caramel.

Alec, de son côté, alla commencer à faire du rangement dans l’ancien garage. L’endroit était propre, effectivement bien sec et chaud, mais encombré de pas mal de bazar.

En emmenant deux cartons à la cave, il songea qu’il devait y avoir de vieux matelas là-bas et alla vérifier. Il en avait deux grands, en assez bon état, dans des bâches en plastique très solide. Ça le ferait très bien…

Il remonta dans le garage. Il examina la porte. Elle était en bon état, bien hermétique. Il allait falloir la percer pour y faire une trappe, pour que les chiens puissent se déplacer à leur guise. Il réfléchissait à faire ça lui-même ou à demander à un pro lorsque Matteo le rejoignit avec le chiot.

Toujours aussi foufou, Caramel trotta vers Alec en jappant joyeusement.

« Et ben, on peut pas dire que son déménagement le traumatise beaucoup.

– Ça n’a pas l’air. Tant mieux !… C’est là que tu voulais les installer, alors ?

– Oui. Qu’en pensez-vous ?

– Bah ça serait bien, il y a de la place…

– Et avec une trappe, ils pourraient sortir du parc comme ils voudraient.

– Une chatière ?

– On dit chatière aussi pour les chiens ? »

Ils se regardèrent. Alec croisa les bras, sceptique. Matteo haussa les épaules.

Le lendemain, Alec finit d’aménager l’ancien garage et le jour suivant, il installa tranquillement la trappe. De son côté, Matteo partageait son temps entre son jeu vidéo et le dressage de Caramel.

Alec avait été un peu inquiet, mais à sa grande surprise et surtout son grand soulagement, le garçon était très ferme avec le chiot et bien décidé à ne pas en faire un toutou pourri gâté et intenable, ce qui, au vu de sa taille adulte, aurait pu être très dangereux.

Caramel avait quelques bases. Il était entre autres propre, ce qui était déjà bien. Il savait ce que voulait dire non et n’insistait pas.

Alec était aussi content, car Caramel faisait un peu bouger Matteo, qui l’accompagnait faire ses petits tours dans le parc quand le besoin s’en faisait sentir, en profitant pour l’habituer à la laisse.

Alec rentra en sifflotant, alla ranger ses outils dans la cave et remontait en se demandant ce qu’il pouvait faire à dîner lorsque son portable vibra. Il regarda en retenant un bâillement. Ah, texto de Sig :

« Salut. Me revoilà enfin revenu de Bordeaux. J’espère que ça va ? Est-ce que je te vois sur Skype ce soir ? Je voudrais enfin faire un point sur cette ordonnance ? »

Alec sourit et répondit sans attendre :

« Welcome back ! Aucun souci, j’y suis à 21 heures. Ça tombe bien, il me reste deux jours de médoc, là ! ^^’ À ce soir ! »

À l’heure dite, Alec se connecta tranquillement sur Skype pour y retrouver ses amis, qui étaient tous là et visiblement partis sur une partie endiablée de Counter Strike.

Alec se mit en spectateur pour pouvoir manger tranquillement en les regardant et Sig, dès que son avatar fut noblement tombé sous les balles de Jojo, annonça rester un spectateur aussi :

« J’ai un truc à voir avec Alec.

– Mais on vous rejoint vite, ajouta Alec.

– Tu peux me taper ça à part ?

– Yep ! »

Alec posa sa fourchette, ouvrit une nouvelle conversation privée entre lui et son germanique ami, se frotta les mains et prit l’ordonnance. Il n’avait pas tapé le troisième nom que Sig murmurait d’une voix blanche :

« Mein Gott… »

Son ton provoqua un bloc dans la conversation, tant il surprit ses amis. Puis Sig reprit plus vivement :

« Je te prends en PV, Alec. »

Vraiment aussi mal à l’aise qu’inquiet, Alec ne répondit pas l’habituelle blague, « oh oui prends-moi ». Il mit la conversation principale en pause et décrocha sans attendre lorsque son ami l’appela à part.

« … Ça va ?…

– Moi oui, mais je crois que je comprends beaucoup mieux l’état de ton protégé… Tu peux me lire le reste ?

– Juste lire ?

– Oui, oui. Je noterai si besoin.

– … OK… »

Alec énuméra les autres médicaments, la posologie, vraiment de plus en plus inquiet. Il y eut un long silence. Il finit par le rompre :

« Sig ? T’es encore là ?

– … Oui, oui…

– … C’est si dingue que ça ?

– T’imagine même pas. »

Il y eut encore un silence. Puis Sig soupira :

« Il a 19 ans, c’est ça ?

– Oui, oui.

– Vous êtes là demain matin ?

– Euh… Je devais aller au marché, mais si tu veux passer, je peux rester ?

– J’aimerais mieux que tu sois là.

– D’accord. Pas de souci. Tu n’auras qu’à sonner en partant, on saura que tu seras là un quart d’heure après.

– Ouais d’accord, on fait comme ça.

– On retourne avec les autres ?

– OK. »

 

Chapitre 27 :

Mattéo attendait un peu nerveusement, dans le salon, l’arrivée de Siegfried. Il regardait sans le voir un dessin animé bateau. Couché contre sa cuisse sur le canapé, Caramel sommeillait en remuant la queue.

Mattéo gratouillait dans la fourrure duveteuse sans trop s’en rendre compte. L’air d’Alec, inhabituellement grave, l’avait intrigué dès son réveil ; Lorsque le régisseur l’avait informé de la visite du psychiatre, il avait été surpris, mais maintenant, avec un peu de recul, il était inquiet.

Il avait confiance en Siegfried, n’ayant pas oublié sa gentillesse, plus encore que son professionnalisme, le jour des funérailles de ses parents. Il ne savait pas trop ce qui se passait, mais il espérait que ce n’était pas trop grave et que ça irait.

On frappa à la porte, le faisant sursauter. Alec entra et s’écarta pour laisser passer Siegfried.

Mattéo éteignit la télé et se leva lentement pour l’accueillir, notant son air sérieux, bien qu’aimable, quand ils se serrèrent la main, ce qui ne fut quand même pas vraiment pour le rassurer. Caramel leva la tête, curieux.

« Bonjour, Docteur.

– Bonjour, Mattéo. Désolé de me pointer comme ça…

– Il n’y a pas de mal… Ca me fait plaisir de vous voir. Alec m’a dit que vous vouliez me parler de mon traitement ?

– Oui, effectivement. J’ai enfin eu le temps de demander votre ordonnance à Alec hier soir et je voulais vraiment faire un point avec vous au plus vite.

– D’accord… Pas de souci… »

Il se rassit et fit signe à Siegfried qui contourna le canapé pour venir s’asseoir à sa droite, dans l’angle, à une distance respectable de lui. Alec resta debout derrière.

« Vous voulez boire quelque chose, Docteur ?

– Non, merci, c’est gentil. Alec, tu peux me donner l’ordonnance ?

– Oui, bien sûr. »

Alec sortit la feuille de sa poche arrière et la lui tendit. Siegfried la déplia avant de la relire rapidement, soupira et la pora devant Mattéo, sur la table basse.

« Mattéo… Je suis navré, mais à mon avis, ce traitement… »

Il soupira encore, cherchant ses mots, puis croisa les bras et secoua la tête :

« … C’est n’importe quoi… »

Mattéo fronça un sourcil alors que Caramel se levait et s’étirait en bâillant.

« Expliquez-vous, s’il vous plaît… »

Siegfried réfléchit encore un instant à comment expliquer ça, alors que le chiot sautait au sol pour venir vers lui et le flairer.

Le médecin se pencha pour désigner, sur la feuille ; une ligne, puis une autre :

« Ben, ces deux-là s’annulent, par exemple… Enfin, leurs potentiels effets bénéfiques, pas leurs effets secondaires… Celui-là n’est pas vraiment efficace… Et mélangé avec ça, ça a plutôt tendance à créer des symptômes d’angoisse et de paranoïa, surtout en cas de fort stress…

– Ma crise de spasmophilie ? s’enquit le garçon, sérieux.

– je ne peux pas jurer que vous n’en auriez pas eu une. Mais ça n’a pas pu aider. »

Siegfried croisa les bras à nouveau, s’adossant au canapé :

« Savez-vous quel diagnostic avait été établi ?

– Il avait parlé de dépression… Euh, dépression post-traumatique, je crois… Un truc comme ça.

– Ce psychiatre vous a reçu combien de fois ?

– Une seule.

– Combien de temps ?

– Max 1/2h…

– Et il ne vous a rien dit de faire d’aire que prendre ce traitement ? Aucune thérapie ? Aucun autre suivi ?

– Non non, juste ces médicaments. Enfin si, il voulait absolument m’interner dans sa clinique, soi-disant que j’avais besoin de repos dans un endroit coupé de tout pour reprendre pied… C’est pour ça que je suis venu ici… Mais il voulait pas… Je crois qu’il a rajouté quelques lignes à l’ordonnance quand on a refusé… »

Caramel se dressa sur le bord du canapé pour regarder Siegfried en remuant la queue. Le médecin sourit et caressa la petite tête poilue et Caramel leva le nez pour la flairer et essayer de lui donner un petit coup de langue, tout content.

« Salut, toi.

– Wif ! » répondit le chiot en remuant de plus belle la queue.

Il y eut un silence. Mattéo regardait l’ordonnance, l’air un peu perdu.

« Il ne faut pas vous en faire outre mesure pour votre santé. Si vous arrêtez tout ça au plus vite, ça sera sans conséquence. Vous ne l’aurez pas pris assez longtemps.

– D’accord… Merci mais… Mais vous pensez vraiment… ?… C’était quoi, ce traitement ? »

Le jeune homme prit la feuille d’une main un peu tremblante.

« Pour moi, au mieux, de l’incompétence.

– Et au pire ? »

Alec, toujours debout près de la porte, les mains dans le dos, regardait la scène, très grave, sourcils froncés.

« Sincèrement ? demanda Siegfried avec un soupir.

– Sincèrement.

– De la malveillance. »

Mattéo et Alec sursautèrent ensemble.

« On aurait voulu vous changer en zombie qu’on s’y serait pas pris autrement. »

Mattéo le regarda avec des yeux ronds :

« Pardon ?

– Il aurait fallu que vous le preniez encore un moment, sûrement deux ou trois mois, ou que vous augmentiez les doses, mais ça aurait pu avoir de sérieuses conséquences…

– Sérieux ?… Un zombie ? »

Alec croisa les bras, l’air cette fois aussi surpris que très inquiet. Siegfried semblait navré, il hocha la tête :

« Sérieux. Celui-là entre autre, reprit-il en tapotant une ligne, surtout couplé avec ces deux-là, ne doit pas être pris plus de deux mois, surtout à cette dose. Risque de vraie dépression avec crises paranoïaques. Il faut que vous l’arrêtiez immédiatement.

– Comme ça ? Ça risque rien ?

– Non, normalement non. Vous pouvez aussi arrêter celui-là, celui-là, et lui aussi. Par contre, celui-là crée une vraie dépendance. Il va falloir l’arrêter à petites doses, je vais vous refaire une ordonnance pour la version liquide, ça sera plus simple, vous baisserez goutte à goutte. Celui-ci, normalement, ne pose pas trop de souci, mais si jamais vous vous sentez mal, que vous faites une petite crise de tachycardie, il faudra aussi l’arrêter en baissant les doses progressivement.

– D’accord… »

Il y eut encore un silence, puis Siegfried reprit, calme et rassurant :

« Je vais être franc avec vous. L’arrêt brutal d’un traitement pareil va sans aucun doute vous secouer salement. Vous risquez vraiment de vous sentir très mal pendant dix-quinze jours. Il faudra tenir bon et garder en tête que c’est normal. Il faudra le temps nécessaire à votre organisme pour se sevrer.

– Mais vous, vous ne voulez rien ne donner ?

– Je verrais si vous avez vraiment besoin de médicaments une fois que vous serez sorti de ça. Alec, je te confie ça ? Tu m’appelles s’il y a le moindre souci.

– D’accord, Sig. Pas de souci, opina Alec. Tu dis deux semaines ?

– Dans ces eaux-là. Si ça dure plus, ou qu’il se sent vraiment trop mal avant, il faudra voir autre chose, mais il n’y a vraiment aucune raison qu’il faille. »

– c’est noté, opina encore Alec , avant d’ajouter en souriant gentiment à Mattéo : Ne craignez rien, Monsieur, je vais veiller sur vous. Préveniez-moi si vous vous sentez mal, surtout, je serai là, ne vous en faites pas ; »

Le garçon les regardait l’un l’autre avec de grands yeux, ne sachant pas trop s’il devait être rassuré ou pas. Il finit par hocher lentement la tête :

« Oui, Ok… merci. »

Dire que ce furent les deux plus longues semaines de leur vie serait presque un doux pléonasme.

Le sevrage fut loin d’être facile et pourtant, Mattéo tenait bon et faisait tout pour ne pas trop se plaindre, alors qu’il enchainait cette fois les insomnies et les crises d’angoisse. Rien à voir avec celle qu’il avait fait le jour des funérailles, elles étaient bien moins violentes et longues, mais bien plus fréquentes, surtout les premiers jours.

La présence de Caramel l’aidait à tenir. Le chiot était un excellent dérivatif, sûr et efficace. En s’occupant de lui, Mattéo parvenait la plupart du temps à cesser d’angoisser de broyer du noir. Il laissait à Alec le soin des trois grands chiens, arrivés entre temps, qui prenaient leurs marques sur leur nouveau territoire.

Alec était très vigilant et incroyablement patient, gardant son calme et sa douceur face à un jeune homme victime de sautes d’humeur parfois presque violentes, du fait de son mal-être. Alec écopait en silence et se défoulait sur Counter Strike ou LoL les soirs où c’était un peu dur. Sig passa trois fois pendant ce temps. Il assura que l’état de Mattéo était normal et évoluait favorablement, lentement certes, mais favorablement.

Et Mattéo le sentait bien, mais c’était long… Il était épuisé et à bout de nerfs, car même en sentant le mieux, c’était bien trop long pour lui.

Et puis, enfin, les crises de manquent s’espacèrent, comme les crises d’angoisse.

Et au bout au 17 jours, il se réveilla enfin après une nuit complète et sans cauchemars.

Lorsqu’il arriva à la salle à manger, Caramel sur le talons, il se sentait très fatigué, mais presque curieusement bien. Alec l’accueillit avec le sourire :

« Bonjour, Monsieur Mattéo. Comment vous sentez-vous, ce matin ?

– Ben pas mal… Je crois que j’ai enfin dormi… Il me semble…

– Ah, bonne nouvelle ! Vous avez faim ? Des nausées, ce matin ?

– Non, ça a l’air d’aller. Je vais voir…

– Asseyez-vous et profitez pendant que c’est chaud.

– Merci. »

Même si vidé par beaucoup de nuits bien trop courtes, Mattéo était de bien meilleure humeur, content de se sentir mieux.

Il mangea tranquillement, Caramel couché sous la table, à ses pieds.

Lorsqu’il revint pour débarrasser, Alec lui demanda, content de constater qu’il avait tout mangé :

« Est-ce que tout va bien ?

– Très bien, merci, Alec. Tu as été nourrir les chiens ?

– Non, pas encore. Vous voulez venir les voir ?

– Oui, volontiers ! »

Mattéo le regarda approcher avant de se lever, Caramel suivit le mouvement, et le garçon de bredouiller en regardant ailleurs :

« Désolé…

– De ? s’étonna Alec surpris.

– Ben, J’ai vraiment pas été sympa avec toi là ces deniers temps… Je m’excuse… »

Alec sourit. Il répondit gentiment en se retenant presque de tapoter son épaule :

« C’est vraiment très aimable à vous, Monsieur Mattéo. Vraiment. Mais il ne faut pas vous en faire, je ne vous en veux absolument pas. Vous étiez mal à cause du sevrage, c’est tout à fait normal que vous ayez été fatigué et stressé. Vous vous sentez mieux, alors, ce matin ?

– Oui, un peu… J’ai pas fait de cauchemars…

– c’est une très bonne nouvelle. Vous avez meilleure mine, je trouve. Le plus dur doit être passé.

– j’espère… »

Mattéo eut un petit sourire :

« J’espère vraiment. Et j’espère que ça va aller mieux après… Parce que c’était vraiment pas cool, ni le traitement, ni ça…

– Aucun sevrage n’est cool. »

Alec avait dit ça très naturellement, en commençant à débarrasser la table, posant les couverts sales sur son plateau. Mattéo le regarda, curieux :

« Tu parles d’expérience vécue ?

– Pas personnellement, mais au lycée, j’ai eu des potes qui prenaient des trucs illégaux et c’était plutôt moche.

– Ah ?… Au lycée, ça fumait un peu… Mais ça faisait plus pitié qu’autre chose…

– Ah ?

– Ben, voir des mecs complètement défoncés refaire le monde et donner de grandes leçons sur la vie, c’était assez ridicule. J’avoue, ça me faisait plutôt marrer. »

Alec souleva son plateau chargé en hochant la tête, souriant.

« je veux bien vous croire. Bien, je ramène ça à la cuisine et nous allons voir les fauves, si vous voulez ?

– Oui, super ! Je vais aller voir où ils sont et les faire revenir pendant ce temps.

– Parfait, merci. A tout de suite. »

 

Chapitre 28 :

Siegfried lisait tranquillement les derniers bilans de ses patients, en mangeant une pomme. Son bureau était tranquille, grande pièce éclairée à cette heure de la matinée par le soleil printanier, et silencieux, si on exceptait la petite musique qui sortait des enceintes de son ordinateur.

Il prit quelques notes et retint un bâillement. Il n’allait pas tarder à aller faire le tour des patients de la clinique, puis il mangerait un bout, ferait un point avec l’équipe de l’après-midi pour qu’ils prennent la suite sans problème et il pourrait enfin rentrer. Une petite sieste ne serait pas de trop, il s’était encore couché trop tard. Ses patients allaient bien se foutre de lui lorsqu’il leur avouerait qu’il avait traîné sur Counter Strike jusqu’à pas d’heure avec ses amis…

Il sourit à cette pensée. Des tournois de jeux vidéo étaient organisés régulièrement à la clinique, entre les patients ou entre les patients et le personnel. À la base, ni son associé, Nicolas Delorme, ni lui n’était censé y participer. Mais suite à la provocation d’un jeune homme que Sig connaissait bien pour essuyer régulièrement ces attaques homophobes, expression brutale d’un complexe avéré de sa propre virilité toute jeune, Sig avait accepté de relever son défi et l’avait littéralement explosé à Mario Kart. Le garçon l’avait extrêmement mal pris sur le coup, mais Nicolas, qui le suivait, avait su rebondir sur ça pour le faire réfléchir et finalement, ça avait plutôt aidé.

Depuis, Sig participait régulièrement aux tournois, en plus d’encadrer comme avant les sessions de jeux simples deux ou trois fois par semaine. Il maîtrisait aussi des jeux de rôle, plus épisodiquement, lorsqu’il avait des patients que ça pouvait aider.

Il s’étira avec un sourire. Ils avaient plutôt de bons résultats dans la clinique. Il avait fallu un moment pour que leur méthode soit acceptée, y compris de leur propre personnel, lorsqu’ils avaient pris la suite du père de Nicolas qui était plutôt vieille école. Il obtenait certes aussi de bons résultats, mais avec une approche bien plus lourde, en termes de médicaments notamment. Siegfried et Nicolas avaient eu beaucoup de mal à passer la clinique aux médecines douces et surtout à la phytothérapie. Mais ni l’un ni l’autre ne trouvait très indiqué de gaver des gens si jeunes de médicaments aux effets souvent très puissants et mal connus, surtout à long terme.

Mais le résultat était là… Alliés à une bonne thérapie et un soin très particulier à l’organisation des chambres, souvent double et parfois triple, les traitements doux faisaient le plus souvent l’affaire.

Sig ferma un dossier et ne put ouvrir le suivant, car son téléphone, posé près de lui sur le bureau, sonna. Il le prit et sourit encore. Que pouvait vouloir Alec à cette heure-ci ? Il décrocha sans attendre :

« Oui, Alec, bonjour ? »

Mais à sa grande surprise, ce ne fut pas la voix de son ami qui lui répondit :

« Euh, docteur Freund ?…

– Matteo ? C’est vous ?

– Oui… Euh… Bonjour, je ne vous dérange pas ?

– Non, non, du tout. Mais que se passe-t-il donc pour que vous m’appeliez avec le portable d’Alec ?

– Ben,… Rien de grave, rassurez-vous… Enfin, je ne pense pas. C’est juste qu’Alec a pris froid, qu’il a pas mal de fièvre et que je me demandais si vous connaissiez les coordonnées de son médecin ?… Je ne les ai pas trouvés dans son téléphone et je ne pense vraiment pas que ça vaille le coup d’appeler le 15… Mais bon, j’ai pas mon permis et ça m’embête quand même qu’il ne voit personne…

– Je suppose qu’il ne veut pas voir le docteur Augier ?

– C’est le médecin de Millors, c’est ça ?… Il a… Comment dire… Il a en effet clairement exprimé son refus de le voir… »

Siegfried entendit la voix d’Alec, une peu lointaine et effectivement pas très claire :

« Hors de question de filer 23 € à ce vieux con pour avoir du Doliprane !

– Reste poli, Alec ! Le rabroua Matteo.

– Ne vous en faites pas, Matteo, c’est une très vieille histoire entre lui et le docteur Augier, sourit encore Sig. Pouvez-vous me le passer, s’il vous plaît ?

– Oui, bien sûr… »

Un instant plus tard, Sig entendit Alec, cette fois bien plus près :

« Salut, Sig, désolé du dérangement…

– Il n’y a pas de souci, vieux frère. Alors, qu’est-ce que tu as foutu ?

– J’ai dû me choper un coup de chaud et froid hier… J’ai pas mal transpiré en déblayant les vieilles écuries et j’ai pas fait gaffe et voilà…

– Une méchante bactérie en a profité pour te sauter dessus sans sommation.

– C’est ça… Ou un virus… »

Alec toussa.

« Tu as de la fièvre ?

– Un bon 38,5.

– Courbatures ?

– Non, rien de spécial.

– Tu as le nez pris ?

– Oui, ça doit s’entendre d’ailleurs… Et sinus assez douloureux…

– D’accord. Toux grasse, à ce que j’entends aussi ?

– Tout à fait. »

Siegfried hocha la tête :

« Bon, ça n’a effectivement pas l’air méchant. Tiens-toi bien au chaud… Tu as pris quelque chose ?

– Non, non…

– Alors fais-toi un bon grog et sois sage. Je passe dans l’aprèm.

– Te dérange pas ?

– Ne t’en fais pas. J’accompagnerai Fred, il vient voir les écuries, non ?

– Ah oui, mince, c’est vrai…

– T’en fais pas pour ça non plus, on se débrouillera, on connaît le parc.

– Ouais, mais les chiens vous connaissent pas… Surtout, venez bien devant la maison et ne vous amusez pas aller dans le parc sans qu’on soit venu vous présenter.

– Ils sont si redoutables que ça ?

– Ben, oui et non, ils ne sont pas du tout agressifs, mais ça reste des chiens de garde et ils sont costauds… Enfin, vous verrez…

– On verra, comme tu dis. Bon, je vais prévenir Fred. Je finis à 14 heures, on devrait être vers 15-16 heures

– OK…

– Repose-toi bien d’ici là. Tu me repasses Matteo une seconde ?

– Merci compte sur moi. À toute l’heure. Monsieur Matteo ? »

Le jeune homme reprit le téléphone à Alec. Le régisseur était en robe de chambre, en tissus polaires sombres. Il était assis sur une chaise, à la cuisine, pâles, les traits tirés, mal rasé ébouriffé. Caramel était assis à ses pieds et le regardait. Matteo l’avait trouvé comme ça en se levant, essayant tant bien que mal de préparer son petit déjeuner. Il l’avait aussitôt sommé d’arrêter et de s’asseoir. Les négociations pour appeler un médecin avaient été âpres, mais Alec, une fois sa température prise et face à la sincère inquiétude du jeune homme, avait fini par accepter qu’il appelle Siegfried.

Matteo garda un œil sévère sur lui :

« Oui, Docteur ?

– Je vais passer cet après-midi avec Fred et je verrais notre malade de visu. N’hésitez surtout pas à appeler le 15 s’il y a un souci d’ici là. Mais à mon avis, ce n’est pas grave. Tenez-le au chaud, aidez-le à se faire un bon grog et repas légers à midi.

– D’accord. Pas de souci, je m’en charge. Merci, Docteur, à tout à l’heure.

– Je vous en prie. À tout à l’heure. »

Matteo regarda à nouveau Alec en raccrochant :

« Tu as intérêt à te reposer. Je ne veux rien te voir faire.

– Euh… Mais euh… et vous ?

– Quoi, et moi ?

– Vous pourrez vous débrouiller ? »

Alec toussa encore.

« Euh… Pardon ?

– Ben excusez-moi, mais votre père n’aurait pas été capable de cuire un œuf, alors…

– Ah ! » comprit enfin Matteo.

Il sourit :

« Oui, ne t’en fais pas. Je devrais pouvoir nous nourrir quelques jours. De toute façon, tu n’es pas complètement impotent, non ? Tu pourras bien me chapeauter !… D’ailleurs, tu vas commencer tout de suite ! Comment ça se prépare, un grog ? »

Alec sourit à son tour :

« Avec de l’eau, du rhum, du citron et du miel…

– D’accord ! »

Alec dormait, couché sur le canapé et sous un plaid, vers 15h30, lorsque Fred et Siegfried arrivèrent. Désormais, le portail était clos pour ne pas que les chiens risquent de filer. Matteo leur ouvrit de la maison, regarda par la fenêtre la voiture entrer et referma le portail pendant qu’ils approchaient. Il regarda Alec qui n’avait pas bronché. Il s’était endormi en le regardant jouer à la console, après le déjeuner. Matteo l’avait donc recouvert d’un plaid, n’ayant pas le cœur à le réveiller.

« Allez, viens, Caramel. » appela tout bas le jeune homme.

Le chiot le suivit, tout content, alors que des aboiements se faisaient entendre de dehors.

Trois grands bergers d’Anatolie, 80 cm au garrot, étaient devant la maison, surveillant ce véhicule inconnu avec attention. Ils n’étaient en rien agressifs. Les aboiements eux-mêmes n’étaient pas violents. Matteo sortit alors que Fred se risquait hors de la voiture.

« Éris, Cerbère, Hadès, sages. Tout va bien. »

Les aboiements avaient cessé et l’un des chiens rejoignit Matteo en remuant la queue alors que Caramel trottait vivement vers la voiture. Sig descendit à son tour.

Matteo se pencha pour caresser et flatter l’animal :

« C’est bien, Éris, c’est bien. »

Caramel chahutait dans tous les sens.

« Jolis chihuahuas, commenta Fred.

– J’allais le dire ! renchérit son compagnon alors que l’un des deux grands chiens venait le flairer poliment.

– Ça prend de la place, mais ils sont sympas, leur répondit Matteo en les rejoignant. Bienvenue !… Vous allez bien ?

– Oui, oui… répondit Fred en lui serrant la main. Tranquille. Alors, il paraît qu’Alec est malade ?

– Il dort sur le canapé… répondit Matteo. Il est tombé tout seul après son infu digestive. Bonjour, Docteur, et encore merci de passer, continua le jeune homme rend la main du psychiatre.

– Je vous en prie. »

Caramel trottait toujours joyeusement avec ses aînés et finit par les rejoindre.

« Et le petit, c’était le cadeau pour trois achetés ? » demanda Fred en s’accroupissant pour caresser la petite tête.

Matteo et Siegfried rirent, puis le garçon répondit :

« Presque ! Ils nous l’ont donné car il ne pouvait pas le vendre, il boîte.

– Il fait vraiment peluche à côté des autres. Comment il s’appelle ?

– Caramel.

– Éris, Cerbère, Hadès et Caramel ? » nota Sig, amusé, alors que Fred se relevait.

Caramel se remit à trotter, toujours tout fou. Éris s’était assise et Cerbère et Hadès flairaient la voiture.

« Ben, en fait, c’est parce que je l’ai appelé Caramel… Alec trouvait que ça ne faisait pas très féroce, alors on a cherché mieux pour eux… Enfin, moins mignon.

– Je vois, sourit encore Siegfried. Vous avez bonne mine. Ça va mieux ?

– Oui, et encore merci pour ça aussi. J’ai pu tout arrêter, enfin, sauf les gouttes, mais ça va. Je n’ai pas une crise de manque depuis huit jours. Je pense que c’est bon.

– Ça devrait et c’est tant mieux. Je vous préfère comme ça.

– Moi aussi ! »

 

Chapitre 29 :

Sig gagna tranquillement le grand salon sans se perdre. Il connaissait bien la grande maison, depuis le temps qu’ils y faisaient des soirées ou des après-midi jeux.
Il trouva, comme Matteo le lui avait dit, Alec endormi sur le canapé. La pièce était chaude et le malade bien couvert. Il sourit et eut presque mauvaise conscience de devoir le réveiller.
Il s’accroupit devant lui, posa son sac au sol et secoua doucement son épaule :
« Dring.
– Hmmm ?… »
Alec entrouvrit des yeux vagues et pétillants de fièvre.
« Allez, me force pas à te rouler une pelle, Dornröschen… [Belle au Bois Dormant, en allemand]
– Tout de suite, les menaces… »
Alec soupira et se redressa lentement en se frottant les yeux.
« Salut, Sig.
– Re, Alec. Et ben, tu dormais bien.
– Grave… »
Sig l’aida à s’asseoir et posa sa main sur son front.
« Tu es bien chaud…
– Hm.
– Je vais reprendre ta température… »
Alec le regarda sortir son matériel, thermomètre, stéthoscope, petite lampe etc.
« Genre, t’es un vrai docteur, en fait ?
–La psychiatrie n’est qu’une spécialisation, Alec. Et ce n’est pas la première fois que je t’ausculte…
– Ah bon ?…
– Non, mais tu t’en souviendras sûrement plus tard… Tire la langue ? »
Alec obéit. Sig regarda sa gorge.
« Bien enflé… Douloureux ? »
Alec opina.
« Le grog avait fait du bien ? demanda encore Sig en reposant sa petite lampe.
– Ouais, je toussais un peu moins… »
Sig continua tranquillement ses observations. Matteo les rejoignit à la fin de ces dernières. Il laissa le médecin achever avant de s’approcher :
« Alors, Docteur ?
– Un bon coup de froid, absolument rien de dramatique. Vous me le gardez au chaud et vous lui faites avaler des grogs. Je vais vous donner des cachets de plantes et on verra si ça traîne, mais à mon avis, dans quelques jours, il est sur pied. S’il est sage… Repos, repas légers, et tu te reposes, Alec. Pigé ?
– … Mais euh… »
Sig se releva et regarda Matteo :
« Appelez-nous si vous avez besoin de quelque chose. Il ne doit pas conduire tant qu’il aura de la fièvre.
– D’accord… Mais ça devrait aller, on a fait les courses avant-hier. On a des réserves.
– Parfait. Ça ira, Alec ? Tu ne serais pas mieux dans ton lit ?
– Non, ça ira… Fred n’est pas là ?…
– Je l’ai laissé dans les vieilles écuries pour qu’il regarde ce qu’il pouvait y faire. Il avait l’air de trouver que ce n’était pas en si mauvais état, répondit Matteo. Les chiens sont restés avec lui. Il a dit qu’il nous rejoindrait lorsqu’il aurait fini. Voulez-vous du café ou quelque chose en attendant, docteur ? Il reste des muffins d’hier, aussi.
– Oh, si vous me prenez par les sentiments… »
Lorsque Fred les rejoignit avec Caramel un peu plus tard, il les trouva donc au salon, tranquillement occupés à boire du thé, ou un grog pour Alec, en mangeant des muffins. Caramel trotta joyeusement jusque Matteo et se dressa contre sa jambe. Matteo lui sourit et le caressa avant de sourire à Fred :
« Asseyez-vous, je vous en prie. Vous voulez du thé ? Sinon, je peux vous faire un café.
– Le thé ira, merci. Salut, Alec. Tu tiens bon ?
– Je survivrai… répondit Alec en le regardant s’asseoir face à lui, à côté de sites. Enfin j’espère…
– Moi aussi, opina son vieil ami. Ça fera vraiment une épitaphe de merde… »
Matteo lui servit du thé et reprit :
« Caramel a été sage ?
– Tout à fait. Il est déjà très obéissant.
– Je suis sévère. Des fois, ça me fait mal au cœur moi-même… Mais il faut. Vu la masse qu’il risque de devenir, il faut vraiment bien l’éduquer.
– Vous avez raison, approuva Sig. Les grands ne posent pas de problème ?
– Non, ils ont été très bien dressés à l’élevage.
– Ils ont quel âge ? s’enquit Fred en prenant un muffin.
– Éris à presque deux ans et demi et Hadès et Cerbère 17 mois. Ce sont ses fils.
– Ils sont sympas… J’ai eu l’impression qu’il montait la garde devant l’écurie.
– C’est sûrement ce qu’ils faisaient. Quelle est votre diagnostic, alors ? » demanda Matteo en attrapant Caramel pour le poser à côté de lui sur le canapé.
Le chiot savait en descendre, mais ne pouvait pas, pas encore sûrement, y monter, à cause de sa patte. La grosse peluche bailla et se coucha à côté de Matteo. Alec buvait son grog en luttant pour ne pas se rendormir. Fred haussa les épaules :
« Ben, c’est pas si pire. Après, il faut vérifier mieux, mais je pense que les murs sont bons et que le toit doit être réparable. J’avais peur qu’il faille le refaire complètement, mais en fait non, il a l’air d’avoir bien tenu. Il y a une poutre bien abîmée là où il y a le trou, mais sinon, ça a l’air d’aller.
– Quand pourrez-vous en être sûr et nous établir un devis ?
– Dès que j’aurai fini la cuisine en cours, d’ici une quinzaine de jours.
– Parfait. Tenez-nous au courant, nous vous attendrons.
– Pas de souci.
– On vous doit quelque chose pour le déplacement ?
– Oh, non, je vous en prie.
– Et vous, Jocteur ?
– Non, moi les muffins, ça me suffit. »
Matteo sourit :
« J’espère que tous vos patients ne vous payent pas en muffins.
– Non, mais on fait jardiner et cuisiner nos ados… Et ça fait des choses intéressantes.
– Et bonnes aussi, j’espère ?
– C’est variables, mais globalement, ils s’en tirent bien.
– Les garçons s’y mettent sans souci ? demanda encore Matteo, curieux.
– Si vous saviez tout ce qu’on peut faire faire à un ado en lui sortant un ‘‘Si t’es pas capable de faire ça alors que même les filles y arrivent’’… »
Ils rirent tous les quatre
« Aussi facile que leur faire arrêter la clope en leur disant ça rend impuissant, ajouta Sig, les faisant encore rire.
– Ah, je ne savais pas ça ! dit Matteo, très amusé. C’est vrai ?
– Il y a eu quelques cas rarissimes, donc ce n’est pas vraiment un mensonge, répondit Sig. Mais ça marche tellement bien sur un ado… »
Fred et Sig partirent peu après. Matteo les raccompagna. Sig lui laissa les médicaments et les consignes : repos, diète, surveiller la fièvre et prendre de quoi la calmer si elle dépassait les 39,5, mais la laisser jouer son rôle en dessous de ça.
Matteo rentra une fois que le portail fut bien refermé, bénissant son grand-père qu’il soit électrique. Laissant les chiens vivre leur vie entre le parc et leur garage, il retourna au salon. Alec s’était rendormi, assis, mais vacillant et Caramel, resté sur le canapé, ne bougea même pas une oreille lorsqu’il revint. Il dormait très profondément, fatigué d’avoir batifolé avec ses aînés autour des écuries.
Matteo sourit et, laissant son chien tranquille, il s’approcha d’Alec et se pencha :
« Alec ? »
Le malade se réveilla en sursaut :
« Pardon ? »
Matteo eut un petit rire.
« Tu veux aller dans ta chambre un moment ?
– … Euh… Non, non, ça va…
– Menteur, tu dors debout… Enfin, assis. Tu serais mieux dans ton lit. Je peux me débrouiller, tu sais ?
– Bon… Une petite sieste rapide, alors…
– Ça te fera du bien. Tu veux que je t’aide à monter ?
– Je pense que je tiendrais debout, mais si vous pouvez juste m’accompagner au cas où…
– Pas de souci ! »
Alec se leva lentement, pas très sûr sur ses jambes, mais il parvint seul jusqu’à son lit. Ce qui n’avait pas empêché Matteo de le suivre et d’être très vigilant, surtout dans les escaliers.
Alec se coucha donc. Matteo voulait qu’il ait une bouteille d’eau près de lui. En trouvant un vide, il alla la remplir dans la petite salle de bain attenante. Puis, il revint dans la chambre. Alec sommeillait déjà.
Matteo laissa la bouteille près de lui, s’assura qu’il avait son téléphone portable et le téléphone interne de la maison à portée de main et il redescendit.
Caramel leva la tête, cette fois, lorsqu’il entra, bailla et se rendormit aussitôt.
Matteo se réinstalla tranquillement devant son jeu vidéo et reprit sa partie.
Il arrêta vers 17 heures pour aller faire faire ses petits besoins à Caramel dans le parc avant de rentrer, de verrouiller la porte d’entrée et de fermer les volets roulants du rez-de-chaussée. Alec les fermait plus tard d’habitude, mais Matteo se dit que ce serait fait.
Il remonta un instant en silence pour aller voir Alec, mais ce dernier dormait sans surprise encore.
Le jeune homme redescendit et alla dans la cuisine voir ce qu’il pouvait faire pour le dîner. Une petite soupe ? Il avait des pommes de terre, des carottes, une belle tranche de citrouille, des oignons…
Il fouilla jusqu’à trouver un très vieux livre de cuisine, de ces antiques pavés sans aucune illustration comme on en trouvait plus en librairie.
Il y trouva une recette de soupe de légumes correspondant à peu près ce qu’il avait comme ingrédients. Vu le temps de préparation et de cuisson, il décida de s’y mettre sans attendre.
Il apporta son ordinateur portable et lança une playlist sur YouTube pour se tenir compagnie.
Alec le trouva là, occupé à éplucher des légumes, Caramel couché à ses pieds, lorsqu’il redescendit un moment plus tard.
« Coucou, Alec !… Comment te sens-tu ?
– Bof… Je viens de ma reprendre ma température… 38,8… Qu’est-ce que vous faites ?
– Je prépare une soupe de légumes. Ça t’ira ?
– Oh oui… Très bien, merci… Mais là, vous en faites pour trois jours…
– Ah bon ? »
Matteo se gratta la tête, amusé :
« Oups !
– C’est pas grave. Au pire, ça se congèle très bien.
– Ah, tu me rassures !
– Je peux vous aider ?
– Non, ça ira. Tu te sens bien ? Tu n’as pas trop transpiré ?
– Ça reste gérable, je me doucherai avant de me coucher ce soir… »
Alec vint s’asseoir à la table alors que Matteo arrêtait YouTube.
« Qu’est-ce que vous regardiez ?
– Oh, je m’étais mis les vidéos du Joueur du Grenier pour me faire un bruit de fond… Tu connais ?
– Oh oui… opina Alec, souriant malgré ses traits tirés. C’est plutôt sympa. Et vous, vous connaissez Karim Debbache ?
– Ah oui, le nouveau truc là sur JeuVidéo.com, Crossed ? J’adore ! »

 

Chapitre 30 :

Matteo chantait tranquillement avec la radio, en dansant à moitié, le lendemain, en préparant le déjeuner.

« …All I wanted

All I needed

Is here in my hands

Words are very unecessary

They can only do harm… »

Caramel le regardait avec curiosité, sautillant un peu autour de lui, tout joyeux. Le jeune homme sortit le sel et le poivre d’un placard et sursauta lorsque le téléphone sonna. Cette sonnerie-là n’était pas l’interne. Matteo décrocha vite pour ne pas que ça dérange Alec.

« Oui, allô ? »

Il y eut un petit blanc au bout de la ligne.

«… Matteo ? »

Le garçon sourit :

« Oh ! Bonjour, Grand Père ! Ça va ?

– Oui, oui, ça va… Bonjour… »

Le vieil homme semblait surpris.

«… Et toi, ça va ? Tu es tout seul ?

– Non, non. Attends une seconde, s’il te plaît… »

Le jeune homme alla baisser la radio ainsi que le feu sous ses casseroles.

« Voilà, désolé, tu me prends en pleine cuisine… »

Il y eut un nouveau blanc, puis Léon Ségard reprit, sceptique :

« Que se passe-t-il ?… Alec te fait cuisiner ? »

Le ton était sévère et sec et Matteo eut un petit rire en coinçant le combiné entre son menton et son épaule pour secouer ses oignons dans leur poêle :

« Alec est au fond de son lit avec 40 de fièvre, Grand Père. C’est moi qui lui ai interdit d’en sortir, je peux me débrouiller quelques jours. »

Matteo remua les pommes de terre qui cuisaient dans leur eau, avant d’insister gentiment :

« Ne t’en fais pas.

– Tu ne veux pas appeler Yves et Mariette ? »

Le jeune homme rit encore et reprit le téléphone en main :

« Non, ça ira, Grand Père. Je ne vais pas les déranger pour ça, quand même ! Ils sont à la retraite.

– Bon, bon, comme tu veux… »

Matteo sourit et rit une nouvelle fois lorsque son grand-père soupira :

« Ça serait quand même plus simple s’il se décidait à se trouver une femme… »

Matteo répliqua, amusé :

« Laisse Alec tranquille, tu veux ! S’il veut rester vieux garçon, ça le regarde ! Ça me fera plus de muffins. Et puis, je sais cuisiner, moi. »

La pique était gentille et le vieil homme admit avec amusement aussi :

« Effectivement, c’est vrai que tu te débrouilles très bien là-dessus, bien mieux que moi. Est-ce que tu prépares ?

– Purée et bœuf aux oignons.

– Vous allez vous régaler.

– J’espère !… Et sinon, reprit Matteo en éteignant cette fois le feu sous les oignons, conscient que la conversation risquait de durer un peu, ça va bien, donc ? Tu voulais quelque chose de particulier ?

– Oui, prévenir que je venais passer quelques jours la semaine prochaine… Enfin, si c’est possible, du coup ? J’ai quelques rendez-vous avec Jean-Paul Santo, mais si Alec est malade, je peux prendre une chambre d’hôtel ? »

Matteo fronça les sourcils. L’idée que son grand-père passe à Lyon sans venir le voir ne lui plaisait pas du tout. Il avait le cœur serré rien que d’y penser. Il répondit donc vivement :

« Non !… Non, non, viens !… Tu ne vas pas payer une chambre d’hôtel pour ça ? Alex sera sur pied, et puis même s’il ne l’est pas, je suis là moi, je pourrais gérer, ne t’en fais pas !

– Tu es sûr ?

– Oui !… Oui, bien sûr. Tu seras quand même mieux ici… Et puis… Ça me fera plaisir de te voir un peu… »

Matteo avait dit cette dernière phrase un peu plus bas, comme s’il était un peu gêné.

« Bon, d’accord. Jean-Paul doit me repréciser la date exacte, je vous rappellerai.

– D’accord !… Aucun souci. »

Il y eut un petit silence avant que le vieil homme ne reprenne :

« Tu as l’air d’aller mieux ? Ça me fait plaisir.

– Oui, et moi donc !… Ça va maintenant, vraiment mieux. J’ai presque tout arrêté, et le dernier, je devrais d’ici 10 jours. Ça fait du bien !

– Tant mieux… Mais tout de même, heureusement que le docteur Freund a pu voir ça. C’est aberrant en y repensant de t’avoir donné un tel traitement… Et quand je pense qu’il voulait interner !… Je n’ose pas imaginer comment tu aurais pu finir. Édouard a beau dire que ce docteur est très réputé et que ce n’était sûrement pas aussi grave le docteur Freund ne ledit… J’avoue que je n’y crois pas trop, surtout en voyant à quelle vitesse tu es allé mieux dès que tu as arrêté tout ça. »

Matteo sourit :

« On pouvait pas savoir, Grand Père… Des gens pas compétents, il y en a partout. L’important, c’est que j’aille mieux.

– Oui, tu as raison. »

Le jeune homme et son aïeul parlèrent encore un peu, le garçon l’informant des dernières nouvelles, concernant l’écurie et les chiens. Puis il raccrocha, tout content, et se remit aux fourneaux.

Un peu plus tard, il monta tranquillement un plateau à Alec.

Le régisseur était dans son lit, comme attend devant sa télé, assis contre ces oreillers. Ses yeux brillants de fièvre regardèrent Matteo qui lui sourit :

« Comment te sens-tu ?

– … Pas top…

– Tu as faim ?

– Bof…

– Ben va falloir te forcer ! »

Matteo déposa son plateau sur le bureau le temps d’installer la petite table de lit au-dessus les cuisses d’Alec. Il va ensuite il posait le plateau. Dans l’assiette fumait un petit volcan de purée dont le cratère était plein de fines tranches de bœuf dorées et de lamelles d’oignons tout aussi appétissantes. Il avait aussi pris un yaourt et une pomme.

« … Merci… Ça a l’air très bon.

– De rien. Ça ira ? Tu as tout ce qu’il te faut ?

– … Oui… Je pense que oui…

– Parfait. Je te laisse, alors. Je vais manger en bas. Appelle s’il te quelque chose, OK ? Je reviens te débarrasser toute l’heure.

– Merci… »

Alec le regarda repartir avec un petit sourire. Il avait vraiment eu du mal à accepter de rester au lit au matin, mais Matteo avait une autorité insoupçonnée et son ton lorsqu’il lui avait ordonné de se reposer l’avait laissé pantois et il avait obéi sans plus réfléchir. Il était donc resté sagement allongé, ne se levant que pour se rincer rapidement et mettre un pyjama propre.

Matteo était passé plusieurs fois dans la matinée voir si tout allait bien et s’était occupé des chiens et du déjeuner tout seul comme un grand.

Alec prit la fourchette et goûta. La purée était faite maison. Il restait quelques petits morceaux malgré le soin évident avec lequel les pommes de terre avaient été écrasées. La viande était saisie juste à point et les oignons fondants. Le jeune homme était plutôt doué avec une spatule en main et Alec avait été aussi surpris que ravi de le découvrir.

Il se régala donc, se forçant un peu à finir tout de même, car il n’avait pas vraiment faim. Il s’était rendormi lorsque Matteo revint.

Le garçon sourit, attendri. Il enleva la petite table et la reposa au sol le plus silencieusement possible pour ne pas le réveiller. Il éteignit de même la télé avant de repartir sur la pointe des pieds avec la vaisselle sale.

Matteo fit la vaisselle tranquillement avant de faire lui-même une petite sieste. Il n’en faisait presque plus, son hypersomnie étant partie avec ses médicaments, mais il avait regardé la télé un peu tard la veille et il avait envie de reposer, n’ayant rien de spécial à faire.

Caramel se fit bien sûr un devoir de venir dormir avec lui.

Le lendemain, la fièvre était un peu tombée et Alec eut l’autorisation de sortir de son lit. Comme l’avant-veille cela dit, Matteo veilla à ce qu’il se repose et se chargea des repas et du reste.

Alec se laissa dorloter sans beaucoup résister, encore bien patraque. Matteo reprenait vraiment du poil de la bête de son côté et semblait bien trop content d’être actif et utile.

Sig et Fred repassèrent en fin d’après-midi, apportant des fruits frais. Prétexte un peu fallacieux, tant il était évident qu’ils étaient un peu inquiets et passaient surtout vérifier que tout allait bien.

Pas dupe, mais sincèrement touché par l’intention, Matteo leur offrit du thé avec plaisir, avec des biscuits secs, car lui-même n’avait pas fait de cookies ni rien d’autre. Le jeune homme avait en effet bien compris que si les deux hommes venaient vérifier l’état de santé de leur ville ami, ils n’étaient pas moins aussi inquiets pour lui et désireux de savoir s’il s’en sortait.

Ils passèrent un agréable moment au salon. Laissant Fred et Alec pour aller refaire du thé, Sig et Mateo se retrouvèrent en cuisine.

« Dites-moi, Matteo ? Je voulais vous demander si vous seriez d’accord pour faire un bilan sanguin. J’aurais voulu faire un point maintenant que vous avez arrêté votre traitement.

– Oh, oui, oui, si vous le jugez nécessaire… »

Le garçon remplissait la bouilloire et la remit à chauffer.

« Je préfèrerais. Au niveau des défenses immunitaires, votre petit cocktail a pu dérégler pas mal de choses…

– C’est vrai que je suis pas encore très en forme… Il y a un labo, dans le coin ?

– Oui, oui. À Givery, celui avec lequel on bosse est très bien. Je peux demander à ce qu’on vient nous faire la prise de sang ici, si vous voulez ? Pour ne pas attendre qu’Alec soit remis, vu que ça risque de prendre encore quelques jours ?

– Comme vous préférez, si vous pensez que c’est urgent ? s’enquit Matteo.

– Le plus tôt ferait le mieux. Je vais vous faire une ordonnance et je vous laisserai le numéro du cabinet d’infirmiers… ils viendront sans souci si vous les appelez de ma part.

– Ce serait gentil. »

Matteo sourit, Sig aussi. Le psychiatre reprit aimablement :

« Sinon, je voulais juste vous dire que, si vous souhaitiez que nous prenions rendez-vous pour faire un point plus poussé sur votre situation globale, n’hésitez surtout pas.

– Un bilan psy, genre ?

– Un truc comme ça. Vous avez quand même été un peu secoué, je crois, ces derniers temps.

– Pas faux…

– Donc, si vous avez besoin de parler un peu, de mettre un peu les choses à plat, je vous aiderais avec plaisir.

– C’est combien, la séance ?

– 36 €. »

Matteo le regarda, surpris :

« Sérieux ? Je croyais que ça coûtait un bras, les psys.

– Ça peut monter, mais moi, je pratique les tarifs de la sécu… Plus le tiers payant et tout ça… Je ne veux pas mettre mes patients dans le pétrin.

– Ah, c’est sympa de votre part. »

Sig haussa les épaules. La bouilloire sifflait et Matteo l’arrêta. Le médecin reprit :

« Je ne suis pas là pour mettre mes patients dans l’embarras, surtout financier, surtout en ce moment. Franchement, j’aimerais presque pouvoir faire moins cher, mais ça serait la fraude envers la sécu et ça, c’est hors de question. »

Matteo remplit la théière avec soin.

« Non, mais 36 €, je peux, y a pas de souci. Vous en faites pas… On prendra rendez-vous quand Alec ira mieux, si vous voulez ?

– C’est si vous voulez vous.

– Ben je veux bien. »

Matteo haussa les épaules :

« Je crois que vous avez raison, j’ai bien besoin de faire un peu le point sur quelques trucs… »

 

Chapitre 31 :

Alec était installé sur la table du jardin, prenant le soleil. Il nettoyait son fusil avec soin. Il l’avait démonté et vérifiait l’état des pièces. Maintenant qu’ils fermaient le portail à cause des chiens, il risquait moins d’avoir à s’en servir, car il y avait bien moins de risques qu’une bête sauvage ne déboule dans le parc. Mais il tenait tout de même à l’avoir en bon état sous la main.

Il entendit les chiens aboyer. Ah, ça devait être Sig. Il se leva et contourna la maison pour aller voir. Sur le seuil, Matteo était en train d’accueillir le psychiatre, Caramel sautillant joyeusement autour de ce dernier, et Alec s’en retourna discrètement sans les déranger.

Il était vraiment content que Matteo ait accepté que Sig s’occupe de lui. Il avait toute confiance en son ami pour aider son jeune patron. Matteo avait clairement besoin de faire un peu le point sur pas mal de trucs.

Matteo et le psychiatre s’installèrent dans le grand salon. Le jeune homme accepta de s’allonger sur un canapé, Sig s’asseyant dans l’angle, du côté de sa tête, amusé :

« Non, mais ça vraiment, vous n’êtes pas obligé… Si vous préférez rester assis… ?

– Non, non, couché, ça me va, y a pas de problème… »

Le garçon se redressa le temps d’attraper Caramel qui couinait au sol pour le poser sur son ventre. Le chiot s’installa en remuant la queue, tout content.

Sig sortit de quoi écrire en reprenant plus sérieusement, très doux :

« L’important, c’est que vous soyez bien installé. Donc, n’hésitez pas à changer de position.

– D’accord. »

Sig regarda sa montre et nota l’heure.

« Merci d’être venu, Docteur.

– De rien. Je ne reçois pas de patients extérieurs à la clinique et comme vous ne conduisez pas, c’est plus simple que ce soit moi qui vienne.

– C’est gentil quand même. »

Sic sourit :

« Commençons, voulez-vous… Une demi-heure, ça passe vite.

– D’accord… Euh… On commence comment ? »

Matteo jeta un œil à Sig, intrigué, et ce dernier sourit encore :

« Me resituer un peu qui vous êtes et où vous en êtes serait bien.

– Ah oui, pas bête… »

Matteo réfléchit un instant en se mettant à gratouiller la tête de Caramel.

« Bon alors… Matteo Ségard, 19 ans, lycéen… Enfin là plus trop… Mais formellement, je suis censé être en terminale… Terminale ES, au lycée Jules Verne, banlieue parisienne bien friquée…

– Vous étiez pensionnaire, je crois ?

– Ouais… Je rentrais un peu le week-end et surtout pendant les vacances.

– Pensionnaire depuis ?

– Oh, la sixième…

– Choix de votre part ?

– Non, pas vraiment. Grand Père était très occupé et n’avait pas assez de temps pour bien s’occuper de moi… Et le couple qui s’occupe de son hôtel particulier n’était pas trop pour non plus… Alors ça s’est fait comme ça.

– Vous n’avez pas été consulté ?

– Si, Grand Père m’a demandé… Mais ça m’allait… Je n’avais pas envie de rester avec les Frémont… Ils sont vraiment pas cool… Pas vraiment méchants… Mais… J’sais pas, c’est bizarre… »

Matteo grimaça sans finir.

« C’est le couple dont vous parlez ?

– Oh !… Oui, pardon. Ils s’occupent de Grand Père depuis qu’il est monté là-haut, après son divorce… 79, je crois, le divorce, et Grand Père est allé vivre là-bas un an ou deux après, il me semble… Parce que son ex avait la garde de mon père et qu’il voulait garder le contact avec lui… Du coup, il est allé vivre dans l’hôtel particulier qu’on a à Versailles. »

Matteo eut un sourire un rien goguenard en avouant :

« En vrai, c’est juste une belle maison ancienne… C’est vraiment beaucoup plus petit qu’ici et le jardin, ben c’est une petite cour avec 5 m² de gazon et un petit arbre…

– C’est un endroit que vous n’aimez pas ?

– Pas des masses… Déjà, elle est super sombre, cette baraque… Y’a pas assez de lumières… Et puis, sérieux, les Frémont, j’ai vraiment toujours eu l’impression de les faire chier… Quand Grand Père était là, ça allait, mais bon sang, le reste du temps, je pouvais pas oublier une petite voiture au salon sans les entendre se plaindre… Ah ça, ils ne m’ont jamais crié dessus, mais les soupirs et les remarques, j’en eu ma dose ! grogna le jeune homme.

– Quoi comme remarque ? le relança encore Sig.

– Qu’un garçon bien élevé, ça range ses affaires, et que ça fait pas de bruit, et que ça parle pas à table… Et que ça pleure pas… Même quand ça vient d’apprendre que ses parents ont disparu. »

Il y eut un long silence avant que Sig ne reprenne :

« Quel âge aviez-vous ?

– 10 ans.

– Comment ça s’est passé ? »

Matteo soupira en se remettant à gratouiller la tête de Caramel, qui se remit à remuer la queue. Il finit par répondre, son ton se faisant hésitant au fur et à mesure :

« J’étais dans la maison de Versailles, parce que justement, c’est Grand Père qui me gardait pendant le voyage… Il avait pris des vacances… On avait fait une belle balade dans les jardins du château, ce jour-là, j’étais content… Je jouais dans ma chambre, ou je lisais, je sais plus trop… j’étais sur mon lit, ça je m’en souviens, parce que Grand Père est entré et s’est assis à côté de moi. Il m’a expliqué qu’on n’avait plus de nouvelles du bateau de Papa et Maman depuis presque 10 jours, que ce n’était pas normal du tout et que les recherches ne donnaient rien. Que les gens qui cherchaient étaient très inquiets, parce que le signal GPS était perdu et qu’il y avait eu une très grosse tempête au même moment. Ils avaient très peur que le bateau ait coulé et que mes parents soient morts. »

Il y eut un silence. Sig était surpris, autant que navré :

« Il vous a vraiment dit ça comme ça ? Aussi brusquement ? »

Matteo haussa les épaules et renifla avant de répondre une voix définitivement peu sûre :

« Les gants, ça n’a jamais été son fort, à Grand Père… Et il ne voulait pas me mentir. »

Il y eut encore un silence.

«… J’avais vu Tarzan quelques mois avant, alors j’ai pas voulu y croire… »

Il renifla encore. Caramel leva la tête et couina. Matteo le caressa pour l’apaiser en continuant, triste :

« C’est idiot, n’est-ce pas… Se planquer derrière une belle histoire pour ne pas voir la vérité… »

Sig sourit, triste aussi, avant de lui répondre très gentiment :

« Un enfant fait ce qu’il peut avec la vérité, Matteo. Pas que les enfants, d’ailleurs, croyez-moi. Un être humain, quel qu’il soit, se protège toujours comme il peut d’un réel qui l’agresse.

Matteo soupira en passant les bras autour de son chien.

«… Je me suis qu’ils s’en étaient tiré… Qu’ils avaient trouvé une belle ile et qu’ils étaient installés… Un truc perdu et qu’on les retrouverait forcément un jour ou l’autre… »

Matteo retint un sanglot.

«… Je savais que c’était pas vrai… Mais juste…… Je voulais pas… »

Sig ne dit rien, le laissant se reprendre doucement. Matteo pleura un peu, essuya ses yeux avant de balbutier :

« … Désolé…

– Il n’y a pas de problème. »

Matteo inspira un grand coup.

«… Enfin bon… Donc, les Frémont… Pfff… Vraiment, j’en avais déjà ras le cul à l’époque, alors finalement, aller vivre avec des gens mon âge, ça ne pouvait pas être pire… Et c’était vrai, je me suis fait de supers potes… Une super amie, Lou… Mais vous la connaissez… Ça m’allait bien, c’était plutôt cool…

– Vous étiez combien par chambres ?

– Quatre au collège et deux au lycée.

– Ça se passait bien ?

– Ouais, ouais… Pas le paradis, mais ça allait… À part la toute fin, mais c’est un peu compliqué, on verra ça une autre fois. »

Sig sourit. Matteo s’était remis à gratouiller la tête de Caramel. Le chiot sommeillait.

Ne relevant donc pas cette volonté de repousser à plus tard un souci qu’il sentait lié au fameux pote dont lui avait parlé Lou, Sig reprit :

« Vous ne rentriez donc pas tous les week-ends ?

– Non… Un sur deux, des fois trois, ça dépendait de qui restait.

– Mais du coup, ça ne vous a pas trop éloigné de votre grand-père ?

– Ah non, pas du tout !… répondit vivement Matteo. On s’appelait souvent, et il venait manger avec moi quand il avait le temps… Grand Tatie aussi, d’ailleurs…

– Ah, votre grand-tante… Gwendoline, c’est ça ?

– Oui… J’allais souvent en vacances chez elles quand elles pouvaient… Elles sont vraiment cool, j’ai fait plein de voyages et visité des trucs supers avec elle ! »

Sig fronça un sourcil avant de comprendre le pluriel :

– Ah oui, votre grand-tante et son amie… Comment déjà… ?

– Julia.

– Julia, c’est ça… »

Sig nota un rapide arbre généalogique sur sa feuille :

« Comment s’appelaient vos parents, s’il vous plaît ?

– Stéphane et Ludivine. »

Sig hocha la tête.

« Du coup, à l’heure actuelle, votre grand-père et sa sœur sont votre seule famille proche… Je me trompe ?

– Non, non. La branche Baudouin, c’est des cousins éloignés… Je crois que ce sont les descendants de la sœur de mon arrière arrière-grand-père… Mais ça, on peut demander à Alec. Il le sait bien mieux que moi !

– Et vous n’avez pas d’affinité particulière avec eux ?

– Non, on ne se voit quasi pas et puis pas grand-chose à se dire… J’aime bien Lydia…Elle a une de ces patates, elle est super impressionnante !

– Resituez-moi ?

– Ben, une dame de 82 ans qui fait son footing tous les matins à six heures…

– Ah, je crois que je vois qui c’est. Et votre grand-mère ?

– Oh, elle… »

Matteo grogna avec humeur :

« Jamais là. Jamais été là. On se voyait à Noël et un peu pendant les vacances quand mes parents étaient encore vivants, mais depuis, néant, et là, vu la façon dont elle a fait chier aux funérailles, qu’elle aille se faire voir, c’est pas moi qui lui courrai après ! »

Sig nota ça et n’insista pas :

« Et du côté de votre mère ?

– Elle était fille unique… Sa mère est morte depuis un moment et comme son père n’était pas son vrai père, il est parti vivre sa vie, je sais même plus où il habite…

– Je vois… »

Siegfried nota tout ça et sourit encore :

« Je vois, je vois… Et niveau amical ?

– Ben, j’avais des potes, mais sans plus, à part Lou… Mais ça va, on se parle pas mal sur Internet… Et puis, elle est venue un bon moment… Ça m’a fait du bien qu’elle soit là.

– Vous êtes très proches ?

– Oui… Mais non, ce n’est pas ma petite copine, pour répondre à la question suivante. »

Sig opina du chef, amusé :

« J’avais compris, mais merci de confirmer. Célibataire, donc ?

– Oui… Célibataire.

– Et vous le vivez bien ? »

Matteo réfléchit une seconde et haussa les épaules avant de répondre :

« Pas mal. Faut vraiment mieux être seul que se taper un connard. »

Sig sourit sans relever le masculin et Mateo ne réalisa pas lui-même ce qu’il venait de dire. Le psychiatre n’insista pas là-dessus non plus. Ils verraient sûrement ça plus tard. Il fallait laisser le temps à la confiance de s’établir.

 

Chapitre 32 :

Alec remonta son fusil avec grand soin, le chargea et se fit un devoir d’aller dans le parc, près des écuries, poser deux grosses pommes de pin sur la barrière qui clôturait le grand pré pour vérifier que l’arme marchait bien.

Ce faisant, il se dit que le pré, laissé à l’abandon depuis très longtemps, avait bien besoin d’une bonne tonte, mais difficile vu la hauteur des herbes.

Pas envie d’y aller à la faux… Il allait emprunter quelques chèvres au voisin.

Il dégomma avec une précision plus qu’honorable les deux pommes de pin et posa le fusil vide contre son épaule.

Ouais. Bon plan les chèvres.

Entendant les chiens aboyer, il fronça les sourcils et se hâta vers la maison.

Une voiture était là et Alec eut un sourire en la reconnaissant.

Le patron venait d’arriver avec ses deux sbires. Et visiblement, ils n’osaient pas trop sortir. Alec avait prévenu Léon Ségard qui attendait donc et lui fit signe. Près de lui et à l’arrière, Laetitia et Édouard ne faisaient clairement pas les malins.

« Éris, Cerbère, Hadès, au pied. »

Les trois chiens se turent et le rejoignirent immédiatement. Il les caressa en les félicitant alors que les trois nouveaux venus descendaient enfin de la voiture.

« Bons chiens. Sages. »

Ségard s’approcha tranquillement :

« Eh bien, quel accueil !

– Bonjour, Monsieur, et bienvenue. Ne vous en faites pas, ils sont dressés pour nous alerter, pas pour attaquer.

– J’espère bien ! »

Les trois chiens le flairaient poliment. Lui les caressa :

« Belles bêtes. On est tranquille avec ça. »

Alec hocha la tête. Il n’avait pas perdu son sourire, profondément amusé par le fait qu’Édouard et Laetitia restent, prudemment de leur point de vue, peureusement du sien, à distance.

« Vous avez fait bonne route ? Demanda-t-il aimablement.

– Oh, sans souci. Pas fâché d’être arrivé !… Tout va bien, ici ? Le docteur Freund est là ? »

Le sourire d’Alec s’élargit. La petite voiture bleue sombre était sagement garée là, attendant son propriétaire.

« Oui, il est avec Monsieur Matteo. Il voulait faire un point avec lui. »

Ségard hocha la tête à son tour :

« Je vois. Comment va Matteo ?

– Très bien. Vous pourrez le constater par vous-même… »

Hadès s’approcha pour flairer Édouard qui se tendit nerveusement.

La porte d’entrée s’ouvrit, laissant passer Matteo qui se précipita vers le vieil homme, radieux :

« Grand Père ! »

Il lui sauta au cou, tout content, alors que Caramel suivait, intrigué, et Sig sortit tranquillement derrière eux, son sac à la main et sa veste renfilée. Il descendit les quelques marches, souriant paisiblement.

S’approchant et voyant Alec avec son fusil sur l’épaule, il n’y, goguenard :

« Houlà !… Tu pars en chasse ?

– Tout à fait, opina Alec, amusé.

– Rassure-moi, ce n’est pas avec ce fusil-là que ton grand-père chassait les nazis en 40 ?

– Si. Mais tu n’as rien à craindre, depuis, on a signé un armistice.

– Tu me rassures… Mais je vais y aller quand même, j’ai encore du boulot… Bonjour, Monsieur Ségard, continua le psychiatre dès que Matteo eut lâché son grand-père.

– Bonjour, Docteur, répondit gentiment Ségard en lui serrant la main. Vous allez bien ?

– Très bien, merci, et vous-même ?

– Ça va, ça va… Merci beaucoup du soin que vous portez à Matteo.

– De rien… Je vous en prie, c’est mon travail. Mais ne vous inquiétez pas, il va très bien, maintenant, et il n’y a aucune raison que ça change. »

Caramel sautillait autour de Matteo et son grand-père.

Sig les salua, salua les deux autres d’un signe de tête et Alec le raccompagna à sa voiture.

« On te revoit quand ?

– La semaine prochaine, mais motus. Matteo ne veut pas que son grand-père sache que je le suis.

– D’accord, pas de souci, j’ajoute ça à la liste des choses que je ne sais pas.

– Merci, je compte sur toi. »

Sig repartit sans attendre et Alec revint vers son patron que les deux autres avaient enfin rejoint. Matteo avait pris Caramel dans ses bras.

Alec sortit le bipeur de sa poche pour ouvrir le portail à Sig. Ségard caressa la petite tête duveteuse. Le chiot avait l’air tout content.

«… Oui, une déformation à sa patte arrière gauche… Mais ça va, ils ont juste dit de faire attention quand il grandira, là ça ne pose pas de souci. » expliquait Matteo.

Éris était couchée, Hadès et Cerbère flairaient la nouvelle voiture. Alec récupéra les clés de cette dernière et alla sortir les bagages du coffre pour les déposer dans l’entrée avant de retourner garer le véhicule à l’abri.

Il rentra, monta les bagages dans les chambres et lorsqu’il redescendit, il trouva sans surprise les quatre au petit salon.

Matteo parlait de Caramel avec joie, très fier de ses progrès. Son grand-père écoutait attentivement, très heureux de le voir si enthousiaste, et les deux autres semblaient, lui contrarié et elle profondément ennuyée.

Alec prit la commande de café et chocolat et il alla préparer ça à la cuisine.

Il revint un peu plus tard les servir. Matteo parlait cette fois de son nouveau jeu vidéo et Édouard tenait bon, mais Laetitia était le nez sur son smartphone.

« Ça me fait vraiment plaisir que tu veilles mieux… Tu as bien meilleure mine. » dit Ségard.

Alec déposa également un saladier de muffins fumants sur la table basse et se redressa :

« Ces messieurs-dame ont-ils besoin d’autre chose ?

– Pas moi ! lui répondit Matteo. Merci.

– Je vous en prie.

– De mon côté, tout va bien aussi, dit Ségard.

– Monsieur Édouard ? Mademoiselle Laetitia ?

– Euh… Oui oui ça va…

– Il n’y a pas beaucoup de réseau, ici… » grommela Laetitia.

Alec toussota pour camoufler son rire avant de répondre :

« La wi-fi est meilleure dans le grand salon. Pour le reste, je ne crois pas que l’architecte de cette maison avait pensé à ça.

– Ça passe quand même mieux avec un bon fil… » grogna Ségard.

Alec et Mateo échangèrent un rapide regard, pareillement amusés, alors que le vieil homme continuait de râler :

«… C’est n’importe quoi, tous ces trucs… Ça capte pas, ça a jamais de batterie, on sait même pas les effets de leurs ondes et au moindre souci électrique, il n’y a plus rien… Moi, de mon temps, les téléphones marchaient, même quand il y avait une panne de courant ! »

Alec se retira alors que les râleries partaient sur Internet, les mails qui disparaissaient on ne sait où, alors qu’une bonne lettre recommandée…

Et il n’entendit pas la suite.

Il préparait le dîner, un moment plus tard, lorsque Matteo le rejoignit :

« Alec ? Ça va ?

– Très bien, répondit Alec en reniflant, et vous ? »

Matteo s’approcha, intrigué :

« Grand Père voudrait le numéro de Frédéric, l’ami du docteur Freund, par rapport au devis pour l’écurie ? Il l’a perdu…

– Oh, bien sûr… »

Alec, qui coupait des oignons, se rinça les mains, s’essuya les yeux et prit son téléphone. Matteo lui sourit :

« Si terribles que ça, les oignons ?

–Assez costauds, oui… »

Alec prit le petit bloc-notes dont il se servait pour ses listes de courses, pour y marquer le numéro.

« Qu’est-ce que tu nous mijotes ? demanda encore Matteo.

– Pâtes avec saumon à la crème.

– Miam !

– Puis-je vous laisser apporter ceci à votre grand-père ? dit encore Alec en lui tendant le papier.

– Bien sûr !… »

Matteo le prit et sourit encore Alec :

« Ça ira ? Tu ne vas pas déprimer, à manger tout seul ? »

Suite à la grippe du régisseur, ils avaient effectivement tous deux pris l’habitude de manger ensemble. Ce que, bien sûr, Ségard ne devait surtout pas apprendre.

« Ne vous en faites pas, ça ira, j’ai l’habitude, lui répondit gentiment Alec.

– Tu vas aller sur Skype avec tes potes, avoue ?

– Exactement ! »

Matteo hocha la tête :

« Moi, je pense que je vais aller bouquiner de bonne heure… Pas super envie de supporter Édouard et Laetitia plus que le repas…

– Je vous comprends… Ils ne vous ont pas ennuyé, j’espère ?

– Ils n’osent pas, devant Grand Père… Mais ils ont encore dit que le docteur Freund avait exagéré et que le traitement ne devait pas être si terrible… »

Alec soupira.

« Ben voyons…

– Grand Père ne sait pas trop… Il est juste content que j’aille mieux. Je ne veux pas l’embêter plus que ça… Tant qu’il ne me renvoie pas là-bas, ça me va.

– Il n’y a aucune raison, mais j’aurais tendance à faire confiance à Sig. Vous m’avez vraiment l’air bien plus mieux comme ça. »

Matteo eut un petit rire :

« ‘’Bien plus mieux’’, carrément ?

– Carrément, sourit Alec.

– Je trouve aussi… Bon, je te laisse. À toute l’heure et bon courage !

– Merci. »

Alec se remit à ses oignons et fut donc vite à nouveau larmoyant. Il les mit à dorer, se rinça encore les mains avant de s’essuyer les yeux en grommelant.

Au dîner, il alla servir ça avec un bon vin blanc sec, après une entrée composée d’une petite salade d’endives aux noix.

Alors que Matteo se frottait les mains, tout content et se régalant d’avance, Laetitia soupira avec humeur :

« Ah, mais je ne peux pas manger ça !…

–Un souci ? s’enquit Ségard alors qu’Alec, occupé à lui servir du vin, se redressait en fronçant un sourcil.

–Non, mais c’est juste pas possible, j’ai un régime à tenir, moi, l’été arrive ! »

Matteo eut un petit rire alors que Ségard et Alec regardaient la jeune femme avec le même air sceptique. Laetitia, trop grosse ?… Certes, elle n’était pas squelettique, mais de là à vouloir maigrir ?

« Non mais hors de question que j’avale ça ! » pesta-t-elle encore.

Sa grimace de dégoût n’échappa à personne. Si Édouard arborait un air plutôt condescendant envers Alec, Matteo était lui très clairement moqueur et dit en se frottant encore les mains :

« Cool. Je mangerai le rab. »

Phrase qui arracha un petit sourire à Alec.

Cette femme buvait de l’alcool, n’avait absolument pas donné sa part de biscuits apéritifs aux chiens, avait pris plusieurs morceaux de pain avec sa salade et elle ne voulait pas de ses pâtes au saumon ?

Il se contenta de répondre avec une politesse froide :

« Il reste de la salade aux noix. Si vous le souhaitez, je peux y rajouter du thon ou du jambon et du fromage et vous l’apporter. »

Et là, ce fut Édouard qui lança :

« Non, mais si on avait voulu une salade à la con, on serait allé à McDo… »

Alec lui jeta un œil, puis à Laetitia lorsqu’elle ajouta après un petit rire :

« Sûr que si c’est pour ça, on y serait aussi bien servi. »

Matteo croisa les bras, mais n’eut pas le temps de les rembarrer, comme il en avait visiblement l’intention, car son grand-père soupira avec humeur :

« Si tu ne veux pas de ces pâtes, Laetitia, Alec ne va pas t’inventer la lune. Tu veux cette salade ou pas ?

– S’il n’y a que ça… » fit-elle avec dédain.

Alec hocha la tête et partit sans rien ajouter.

 

Chapitre 33 :

Le lendemain matin, une pluie diluvienne découragea un Alec un peu patraque d’aller à la boulangerie. D’autant plus qu’il restait du pain… Ne pouvant donc servir les habituelles viennoiseries à ses hôtes, il prépara des pancakes.

Il les servit à son patron tout d’abord, le premier levé.

« Et ben, quel temps… soupira ce dernier.

– Un temps à rester au coin du feu.

– Je vois que tu n’es pas sorti ?

– Oui, navré pour votre journal… Je suis encore fatigué, je ne me sentais pas à conduire par ce temps si tôt… Déjà que je vais devoir y aller pour midi…

– Tu es obligé ? »

Alec lui servit son café en hochant la tête.

« Oui, obligé, j’ai commandé plusieurs choses au marché, il faut bien que j’aille les chercher… J’espère que la pluie se calmera d’ici là… »

Ségard opina en tartinant un peu de confiture de fraises sur un pancake fumant :

« Confiture de ta mère ?

– Oui, de l’été dernier.

– Merveilleux… Tu as d’autres parfums ?

– Abricot là et celle-ci, gelée de groseilles.

– Parfait ! »

La pluie était un peu calmée, un peu plus tard, lorsque Matteo arriva, encore un peu humide de sa douche. Alec avait laissé les pancakes au chaud sous une cloche. Il vint rapidement lui servir son roïboos matinal.

« Bonjour, Alec !

– Bonjour, monsieur Matteo. Vous voilà bien matinal ? »

Il était à peine 8h30.

« Oui, comme je suis resté à lire hier soir, je me suis endormi tôt. Et j’ai super bien dormi !… »

Une fois Matteo servi, Alec se pencha pour caresser la tête de Caramel. C’était le petit rituel du matin : Matteo arrivait avec le chiot, s’asseyait à table, Caramel se couchait à ses pieds, Alec arrivait, servait Matteo, puis saluait la peluche toute contente.

Après avoir mangé, Matteo emmenait le chiot faire un petit tour dans le parc, après quoi ils nourrissaient les quatre chiens.

Matteo se régalait de pancakes à la gelée de groseilles lorsque Laetitia et Édouard arrivèrent. Alec alla immédiatement leur faire du café, soulagé qu’ils arrivent enfin, car il allait devoir y aller sous peu s’il ne voulait pas se mettre en retard.

Matteo regardait avec une suspicion certaine ses deux vis-à-vis lorsqu’Alec revint avec la cafetière. Le régisseur les servir sans attendre :

« Ces Messieur Dame ont-il bien dormi ?

– Mon lit était très dur… » soupira Laetitia.

Alec ne releva pas. Matteo eut un sourire :

« C’est meilleur pour le dos…

– De bons vieux matelas à ressorts… ajouta Alec en remplissant la tasse d’Édouard. Ils sont très bien entretenus. Faites-moi savoir s’ils grincent.

– Dis-moi, Alec, tu vas au marché, ce matin ? demanda Matteo.

– Tout à fait. Je pars dès que vous aurez fini de manger.

– Je peux venir ? Je voulais passer à la librairie ?

– Ah, panne de lecture ?

– C’est ça…

– Pas de souci, je vous y poserai à l’aller.

– Merci ! »

Alec commença à débarrasser tranquillement les couverts de Ségard et, voyant qu’il n’y avait presque plus de pancakes, demanda :

« Ces Messieurs Dame ont-ils assez mangé ? »

Il ne pensait pas mal, mais Laetitia répondit avec humeur :

« Non mais ça va, si on vous dérange, ‘faut le dire ! »

Alec la regarda un instant, fronçant un sourcil, avant de reprendre avec calme :

« Je reformule. Est-il nécessaire que je fasse plus de pancakes ? »

Il y eut un blanc. Matteo se demanda si Laetitia allait s’excuser de son agression injustifiée, mais ce ne fut pas le cas. Au contraire.

« Je vous ai dit que j’étais au régime ! aboya-t-elle. Déjà que vous ne me donnez même pas de confiture allégée !… D’où elles sortent, celle-là ?… Il n’y a aucune étiquette !…

– Sûrement de la sous-marque, vu la qualité… J’aurais préféré le sirop d’érable de McDo à ce niveau… » ricana Édouard.

Matteo les fixait avec stupéfaction. Alec avait frémi et les regardait avec froideur, mais il ne put rien répliquer car Ségard revint. Voyant la scène, il soupira :

« Bon sang, encore à traîner à table ? dit-il à ses deux employés. Dépêchez-vous un peu, nous avons du travail ! »

Puis il rejoignit Matteo et lui sourit :

« Bonjour, Matteo. Tu vas bien ?

– Bonjour, Grand Père… Oui, oui, ça va et toi ?… Tu as bien dormi ?

– Oui, bien. »

Ségard se pencha pour caresser Caramel. Le chiot se leva et lécha sa main, tout content.

« Je vais passer à la librairie avec Alec, tu veux quelque chose ?

– Oh, si tu me trouves un bon petit polar…

– D’accord. »

Ségard se redressa et reprit :

« Alec, est-il possible que nous mangions bien à midi pile ? Nous avons rendez-vous avec Jean-Paul Santon à 14h30 à Lyon et je ne veux surtout pas être en retard. »

Alec, qui s’était remis à débarrasser la table sans un mot, regarda sa montre, une vieille montre à gousset qu’il avait toujours dans la poche, attachée à une boucle de sa ceinture de pantalon. Il fit la moue :

« Ça ne devrait pas poser de problème.

– Parfait. »

Édouard et Laetitia avaient fini en quatrième vitesse leur café et pancakes. Ils se levèrent en chuchotant et filèrent. Ségard les suivit rapidement.

Alec se remit à la tâche, débarrassant les couverts des deux jeunes gens. Matteo finit son roïboos d’une traite, vraiment peiné. Il finit par demander, en se levant :

« Ça ira, Alec ? »

Alec le regarda sans comprendre. Matteo reprit :

« Elles sont supers bonnes, les confitures de ta mère… C’est vraiment des cons, ces deux-là… »

Alec sourit.

« Restez poli, monsieur Matteo.

– Non mais ça me gave…

– Restez poli tout de même. Vous êtes un Ségard. Ne vous abaissez pas à leur niveau. »

Matteo eut un petit rire.

« D’accord. Je vais vite fait sortir Caramel. Je t’attends dehors ?

– Oui, je vais juste rapporter ça à la cuisine et je vous rejoins. »

Matteo hocha la tête et alla enfiler sa veste. Puis, il ordonna à Caramel de s’asseoir. Le chiot obéit, tout content. Matteo lui mit sa laisse et ils sortirent. Il ne pleuvait plus.

Ils furent rapidement rejoints par Hadès et Éris. Cerbère les rejoignit plus tard avec un bâton dans la gueule.

Matteo lui lança deux fois avant qu’Alec n’arrive. Ils donnèrent à manger aux chiens, puis ils partirent.

Alec roulait prudemment sur la route mouillée. Matteo, assis près de lui, caressait Caramel d’une main, tenant fermement la laisse de l’autre.

« Dis, Alec… Ça ira, avec ces deux-là, sérieux ?

– Ne vous en faites pas, je survivrai. Ils ne restent pas si longtemps.

– Je vous les demandai à Grand Père s’il voulait aller au ciné ce soir ou demain… Mais je ne sais pas si c’est bien de te laisser seul avec eux ? »

Alec sourit et hocha la tête.

« Comme vous voulez, mais ne vous dérangez pas pour moi. Sincèrement. Ça fait un petit moment que vous n’avez pas vu votre grand-père, profitez-en.

– C’est gentil… »

Alec laissa Matteo à la librairie et fila. Le jeune homme entra avec le chiot, qui se mit à tirer sur la laisse en flairant, curieux.

« Bienvenue ! » lui cria Mina du fond de la boutique

Il sourit :

« Bonjour, Mina. Vous allez bien ? »

Elle revint vers lui avec une impressionnante pile de bébés dans les bras, qu’elle posa sur le comptoir avec un gros soupir soulagé.

« Bonjour, Matteo !… Ça va, merci. Ça bosse dur. Et vous, ça va ?… C’est à vous, cette peluche ?

– Oui, il s’appelle Caramel.

– Wif ?

– Bonjour, Caramel.

– Wif !

– C’est gênant qu’il soit là ? Je peux le laisser dehors ?

– Il est sage ? Il peut vous attendre sans broncher ?

– Oui, oui…

– Alors on peut tenter. »

Matteo hocha la tête et ordonna au chiot de se coucher et d’attendre. Caramel obéit sagement et s’installa dans le coin désigné.

« S’il bouge, vous lui dites non fermement, dit encore Matteo.

– D’accord ! »

Mais le chiot ne broncha pas, à part lorsqu’une dame, en le voyant, vint lui faire des caresses, toute attendrie.

Matteo dévalise une nouvelle fois la librairie, choisissant avec un soin tout particulier le roman policier pour son grand-père. Alors que Mina encaisser, il lui demanda :

« Dites, vous sauriez s’il y a une association quelque chose qui accepte les livres ? »

Elle le toisa en fronçant un sourcil, dubitative :

« Euh, quel livre pourquoi faire ?

– Oh, ben, je n’avais pas forcément envie de garder tout ce que je vous ai pris l’autre fois… Je sais qu’il y a des choses que je ne relirai pas… Alors bon, les garder pour que ça prenne la poussière, c’est moyen.

– Ah oui, pas bête. Ben, vous devriez demander à la bibliothèque. Je crois que acceptent les dons, et sinon, ils pourront sûrement renseigner.

– Ah oui, bonne idée…

– C’est entre l’école et la mairie.

– D’accord, merci beaucoup. »

Alec passa récupérer le jeune homme et ses piles de livres et de bandes dessinées un peu plus tard. Il prit lui-même quelques ouvrages, puis ils repartirent.

Alors qu’ils sortaient du village, Alec dit tranquillement :

« J’ai une dernière course affaire et nous rentrons.

– D’accord, comme tu veux. Tu as trouvé ce que tu voulais ?

– À un truc près… Je crois que ça va vous plaire. »

Il se remettait à pleuvoir lorsque qu’ils furent de retour au Domaine. Alec alla aussitôt préparer le déjeuner et Mateo emmena ses nouveaux achats dans sa chambre. Il les rangea et se dit qu’il allait falloir qu’il trie tout ça, pour voir ce qu’il pouvait donner.

À 11h55, il se rendit à la salle à manger, tout sourire. Ségard arriva avec ses deux sbires et ils s’assirent. Matteo montra à son grand-père le livre qui lui avait trouvé. Ségard le regarda, très intéressé, et le remercia. Alec arriva, souriant paisiblement. Il servit très tranquillement à Ségard et Matteo deux verrines :

« Verrines de macédoine de légumes pour vous… »

Il contourna la table pour déposer tout aussi paisiblement dans l’assiette d’Édouard et de Laetitia deux sacs en papier brun estampillés d’un gros M jaune :

« Et le menu Big Mac de monsieur Édouard et le menu salade allégée de mademoiselle Laetitia. »

Matteo avait explosé de rire et Ségard resta interdit alors qu’Alec continuait sur le même ton très posé :

« … Puisque ma cuisine n’est pas à votre goût, j’espère que ceci vous conviendra. »

Matteo ne parvenait pas à se reprendre et Édouard se dressa, furieux :

« Espèce de sale… commença-t-il.

– Un souci ? » le coupa posément Alec en soutenant son regard sans ciller.

Laetitia regarda Ségard et s’écria :

« Vous n’allez quand même pas nous laisser traiter comme ça ! »

Matteo s’essuya les yeux :

« Fallait pas insulter la confiture de sa mère ! » hoqueta-t-il, hilare.

Alec eut un sourire furtif. Édouard lui cria :

« Vous pouvez faire vos valises !

– Vous vous prenez pour mon patron ? »

Édouard regarda Ségard.

« Vous n’allez pas le garder après ça ?! s’étrangla-t-il.

– Oh, je pense que si. »

Ségard gloussa, amusé. Le rire de Matteo était contagieux.

« Navré, je tiens beaucoup trop à cette maison. »

Alec, qui s’était tourné vers lui, sourit.

« Pour le reste, continua Ségard, assis-toi et mange, Édouard. Et si ma table est mauvaise à ce point, vous êtes tout à fait libre d’aller manger ailleurs. »

Le vieil homme sourit à son tour Alec :

« Tu es bien le fils de ta mère. »

 

Chapitre 34 :

Matteo essuya ses yeux d’un revers de manche, encore à moitié hilare. À ses pieds, Caramel le regardait, curieux, se demandant bien ce qui se passait.

Alec revint un peu plus tard, l’air de rien, servir à son patron et son petit-fils deux burgers-frites maison. Matteo manqua de peu de repartir dans son fou rire. Édouard et Laetitia n’osaient pas la ramener, mais il était clair qu’ils n’en pensaient pas moins.

Prétextant des coups de fil à passer et le rendez-vous de l’après-midi à finir de préparer, ils filèrent dès leur McDo avalé, laissant les deux Ségard seuls.

Matteo gloussa encore et son grand-père soupira, amusé :

« Ne me dis pas que c’était ton idée ?

– Qu’il nous prépare un burger maison, oui, répondit le garçon entre deux frites, pas qu’il leur prenne un McDo. Mais j’ai trouvé qu’ils ne l’avaient pas volé !… Entre hier soir et ce matin, ils ont vraiment dépassé les bornes, tu ne trouves pas ?

– Il s’est passé quoi, ce matin ?

– Édouard a dit que la confiture devait être une sous-marque et qu’il aurait préféré le sirop d’érable de McDo. »

Ségard soupira.

« Bon sang, qu’il est pénible quand il s’y met…

– Ils travaillent bien, au moins ?

– Oui, Dieu merci. Lui et Laetitia font du bon boulot… Mais que veux-tu, ils sont un peu comme ta grand-mère, trop persuadés qu’il n’y a rien de bien en dehors de Paris…

– Tu n’en veux pas à Alec, alors ?

– Non, il n’y a pas de risque… Ils l’ont bien cherché, surtout s’ils ont insulté la confiture de sa mère. Vous êtes passés au McDo en rentrant, alors ?

–Oui, celui de l’Intermarché. Ils ont un drive, ça a été rapide… » répondit Matteo.

Il oublia de préciser que lui-même, déjà hilare dans la voiture, avait été jusqu’à demander s’ils ne leur restaient rien de la veille pour la commande. Ce qui lui avait valu un regard désapprobateur, mais clairement amusé, d’Alec.

« Ça va aller, ton rendez-vous avec la banque ?

– Il n’y a pas de raison, les choses avancent bien… Bon, les syndicats essayent de freiner, mais on ne peut pas vraiment leur en vouloir. Non, là où ça a bloqué, c’est que les Chinois voulaient absolument la formule et ça, c’est hors de question. Nous allons envoyer nos ingénieurs pour gérer ça. Quoi qu’on m’en dise, je sais très bien que les Chinois ne sont pas réputés pour le respect des brevets de leurs partenaires étrangers et je refuse de prendre le moindre risque. Nous serions dépouillés et c’est hors de question.

– La formule de l’alliage ? Elle est bien dans ton coffre ?

– Oui. Et les deux ingénieurs sont tenus au secret, j’ai toute confiance en eux. Henri et moi les avions recrutés avec soin.

– Henri ?

– Henri Gavriel, l’ancien directeur de l’usine. »

Matteo hocha la tête, puis demanda, curieux :

« Dis, Grand Père ?

– Oui ?

– Pourquoi tu as dit que tu tenais trop à cette maison, quand Édouard a voulu que tu vires Alec ?

– Ah, c’est vrai, tu ne dois pas être au courant. En fait, si je licenciais Alec, je devrais lui céder le domaine gratuitement. »

Matteo sursauta, les yeux ronds :

« Sérieux ? !

– Oui, c’est dans son contrat. Comme ça l’était dans celui de sa mère, d’ailleurs… Et de son grand-père. Avant, les statuts n’étaient pas les mêmes, mais c’était déjà le cas d’une autre façon. Ça remonte à Auguste, c’était dans son testament. En fait, les descendants d’Irène et Stanislas Nowak sont, par sa volonté, nos héritiers si jamais notre lignée s’éteint.

– C’est vrai ?

– Oui.

–Donc, si je meure, c’est Alec ton héritier ?

– Après Gwen à l’heure actuelle. Mais oui, ou ses héritiers à lui… Donc, ses parents ou les parents de sa mère.

– Ah, c’est bizarre… »

Matteo était intrigué. Il avait vidé son assiette. Il croisa les bras, dubitatif :

« Et ça remonte à Auguste ?

–Oui. Très probablement une simple volonté de sa part de s’assurer que cette famille ne se retrouve pas à la rue en cas de problème. Surtout une fois que la nôtre a été suffisamment riche…

– Et c’est encore valable ?

– Oui… Ça s’est transmis. C’est Maître Bisson qui gère tout ça.

– Ah, le notaire.

– Oui, notre notaire. C’est le même cabinet qui gère tout ça aussi, depuis Auguste.

– Ça rajeunit pas ! sourit le jeune homme.

– Non, mais ce sont des gens de confiance eux aussi. »

Alec revint pour débarrasser les assiettes et leur apporter le fromage.

– Est-ce que tout s’est bien passé ?… Ah, monsieur Édouard et mademoiselle Laetitia n’ont pas attendu le dessert ? ajouta-t-il avec un petit sourire innocent.

– Ça été très bien, oui, merci, Alec ! répondit Matteo. Bien meilleur que le McDo ! »

Alec toussota pour cacher son rire, ce que ne firent pas Mateo et son grand-père.

« Ces messieurs voudront-ils un café ?

– Oui, volontiers. »

Alec hocha la tête et fila. Matteo prit du brie et son grand-père du coulommiers. Le garçon demanda :

« Grand Père, ça te dirait un ciné, ce soir ? »

Ségard sourit.

« Tu voulais voir quelque chose ?

– Y a l’air d’avoir des films sympas, je peux regarder plus en détail ?

– Si tu veux, oui. Nous ne devrions pas rentrer trop tard. Renseigne-toi, nous verrons à notre retour.

– D’accord ! » opina le garçon, tout sourire.

Lorsqu’Alec revint le rapporter les desserts, des fondants au chocolat fumants, avec les cafés, Ségard lui dit :

« Matteo voulait que nous allions cinéma ce soir, Alec. Nous mangerons dehors, je suppose. Tu pourras t’occuper d’Édouard et Laetitia ?

– Sans souci, Monsieur, répondit aimablement Alec en opinant du chef.

– Je pense qu’ils ont compris la leçon.

– Oh, sinon, je connais un excellent kebab, Monsieur… »

Ils éclatèrent de rire tous les trois, puis Alec reprit plus calmement :

– Il n’y a aucun problème, Monsieur. Ne vous en faites pas.

– Je compte sur toi.

– Vous pouvez. »

Ségard alla rapidement rejoindre ses deux employés. Matteo traîna un peu dans la salle à manger, buvant tranquillement son café, alors qu’Alec débarrassait paisiblement.

« Alec, dis-moi ?

– Oui, Monsieur Matteo ?

– Si Grand Père te vire un jour, tu voudras bien me garder en locataire ? »

Alec sourit.

« Ça devrait pouvoir se faire…

– Je ne suis pas trop dur à vivre ? »

Alec eut un petit rire :

« Ça va, bien moins que d’autres personnes de ma connaissance… »

Il y eut un silence. Matteo se leva et s’étira. Puis, il regarda Alec et demanda :

« Tu ferais quoi, si ça arrivait ? »

Alec réfléchit un moment en empilant la vaisselle. Puis il répondit :

« Sûrement des chambres d’hôtes, je pense. Je ne sais pas faire grand-chose d’autre…

– Tu ferais un super maître d’hôtel !

– Merci. »

Matteo passa l’après-midi arranger et trier sa bibliothèque, pendant qu’Alec faisait du ménage.

Les aboiements des chiens attirèrent l’attention du régisseur vers 17h30. Il jeta un œil par la fenêtre. Ah, le patron était de retour.

Pas que grand monde d’autre ait le passe du portail, cela dit. Il songea d’ailleurs qu’il faudrait qu’il en laisse un à Fred en cas de souci, car son vieil ami habitait bien moins loin que ses parents.

Alec sortit rapidement et appela les chiens. Ceux-ci, qui flairait les nouveaux revenus, le rejoignit rapidement.

« Ils vont nous accueillir comme ça à chaque fois ? demanda Laetitia, pas vraiment rassurée.

– Non, ne craignez rien, lui répondit Alec en flattant Éris. C’est juste qu’ils ne vous connaissent pas encore bien. Mais je vous l’ai dit, ils ne sont pas dressés à l’attaque, juste à nous alerter. Enfin, autant que vous-même ne les agressez pas, bien sûr. »

Ségard rejoignit Alec :

« Ne rentre pas la voiture, je pense que Matteo et moi n’allons pas trop tarder.

– D’accord.

– Rien à signaler ?

– Rien du tout. Calme plat. Votre rendez-vous s’est bien passé ?

– Oui, oui, les choses avancent. Tranquillement, mais elles avancent. Nous passerons à la Manufacture demain, il y a des choses à voir avec la direction. »

Alec hocha la tête. Il serait bon que Ségard ne s’en tienne pas qu’à la direction… Mais dur de dire ça devant ses deux sbires. Il ne pensait pas que le sort des employés les intéressait beaucoup… Il se dit qu’il pourrait peut-être en parler à Matteo. Ça ne coûtait rien, après tout, la gestion de l’entreprise allait bien lui revenir un jour ou l’autre, d’autant que son grand-père n’était pas forcément si loin de la retraite.

Matteo, tout content de la soirée à venir, rejoignit son grand-père, qui ne prit que le temps de se changer, car il avait été à son rendez-vous en costard-cravate, avant qu’ils ne partent.

Matteo laissa Caramel à Alec. Le chiot couina un peu, mais c’était plus pour le principe. Alec lui fit un câlin et Caramel le suivit à la cuisine sans se faire prier, en remuant la queue.

Alec se mit à préparer le dîner sans attendre et le chiot se coucha paisiblement au pied de la table.

Un texto de Fred lui demanda si Sig et lui pouvaient passer. Il les invita à dîner et se mit à l’œuvre en chantonnant avec la radio.

 

Chapitre 35 :

Alec servit très courtoisement à Édouard et Laetitia un bon potage de légumes en entrée, précisant pour la demoiselle :

« La crème utilisée est végétale, votre régime.

– Ah euh… Merci.

– Je vous en prie. »

Alec posa le vent sur la table en ajoutant :

« Je vous ai fait un rôti de dindonneau avec des haricots vapeur et du riz, pour la suite.

– Et ben, moi qui craignais de remanger McDo… fit Édouard avec un sourire en coin.

– J’ai eu la flemme d’y repasser, répondit Alec, très aimable. Mais si vous voulez, je peux y retourner demain. »

Édouard eut un petit rire et le regarda un moment, un coude sur la table.

« Ça ira, merci… »

Il le regarda encore et reprit :

« Vous avez plutôt une sacrée paire de burnes pour un larbin… »

Alec lui jeta un œil et eut un sourire :

« Quelle vulgarité.

– Prenez-le comme un compliment… J’admire ce genre de choses. »

Dans la bouche d’un homme suintant le mépris par tous ses pores, cette phase était surréaliste.

« … Mais n’empêche, c’est quoi votre truc, avec le patron ? continua Édouard en se redressant et en croisant les bras.

– On l’a vu virer des gens pour moins que ça, ajouta Laetitia, qui remuait sa soupe.

– Mon arrière-grand-mère a changé les couches de Monsieur Léon et ma mère celle de Monsieur Matteo. Ma famille est au service des Ségard depuis 1854. »

Devant les yeux ronds des deux attablés, Alec ajouta avec un sourire profondément condescendant :

« Alors croyez-moi, il faut un peu plus que les cacas nerveux de deux petits parigots capricieux pour casser ça. Sur ce, je vous laisse déguster votre soupe, je vous apporterai le plat principal tout à l’heure. »

Il s’inclina et sortit.

Non mais oh, ils s’imaginaient quoi, ces deux-là !… Larbin, mon cul, ouais ! Vu ce qu’ils avaient l’air doués pour le léchage de pompes, Alec était persuadé que ce n’était définitivement pas lui qui rampait le plus dans cette maison.

Il rejoignit la cuisine où Fred et Sig, assis à table, buvaient des bières en apéro en mangeant des chips.

« Houlà, qu’est-ce qui se passe ? demanda Fred devant l’air de son vieil ami.

– Rien, juste les deux cons que je viens de recadrer.

– T’es sûr que la cyanure dans la soupe, ça n’aurait pas aidé ? »

Alec rit avec ses amis et prit sa propre bière pour aller avec un soupir s’appuyer au bord de l’évier.

« J’admets, ils ne me manqueraient pas.

– Ils repartent quand ? demanda Sig entre deux chips.

– Eux, vendredi. Ségard reste encore le week-end. »

Alec but une gorgée de bière puis la posa et se mit à préparer les assiettes des deux sous-fifres de son patron.

« Pas de cyanure, tu es sûr ? rigola Fred.

– Non, c’est illégal, je crois… »

Il sourit à ses vieux amis :

« Ça ira, vous pouvez attendre encore un peu ?

– Oui, oui, ne t’en fais pas, répondit Sig. Finis avec eux, comme ça, on sera tranquille derrière.

– Ouais, ouais, t’inquiète. » renchérit Fred en hochant la tête.

Alec hocha la tête et repartit donc débarrasser les assiettes de soupe et apporter les autres.

« Tout s’est bien passé ? demanda-t-il tranquillement en s’approchant.

– Oui, oui… Merci… » répondit Laetitia en enlevant précipitamment ses coudes de la table.

Alec fit mine de ne pas remarquer le regard que les deux s’échangèrent alors qu’il les servait.

« Euh… Excusez-nous, Alec mais euh… commença-t-elle, hésitante.

– Oui ? »

Alec la regarda, paisible, continuer, mais c’était un peu laborieux :

« Désolée… On est parti sur de mauvaises bases… On ne sait pas trop comment les choses fonctionnent en province… »

Comme si la politesse et le respect devaient être différents entre Paris et ici… songea Alec en retenant un sourire moqueur.

« … Enfin bon, on s’excuse et euh… Nous nous posions une question… »

Si vous excusez vous-même, tant mieux, mais ne comptez pas sur grand-chose de ma part, songea encore Alec, tant le manque de sincérité était palpable en face de lui.

« Je vous en prie ? » la relança-t-il posément.

« … En fait, on est un peu inquiet… Monsieur Ségard nous a dit que la fameuse formule de l’alliage était ici ? Dans le coffre-fort de son bureau ?

– C’est exact. »

Le nouvel échange de regards des deux larrons ne lui re–échappa pas.

« Ben, comment dire… Nous nous demandions si c’était bien prudent ?

– Les choses sont comme ça depuis l’ouverture de la Manufacture et ça n’a jamais été problématique, répondit platement Alec.

– Vous ne pensez pas qu’un coffre de banque serait plus indiqué ?

– Non, mais ce n’est de toute façon pas à moi d’en décider. »

Alec les toisait, impassible. Édouard vint en renfort :

« Mais euh, pouvez-vous au moins nous dire si tout est prévu en cas de problème ?

– Qu’entendez-vous par là ? s’enquit aimablement Alec.

– Si un incendie se déclarait, par exemple ?

– Le coffre ne peut pas être détruit de cette façon. Ce type de modèle a survécu à de multiples bombardements pendant la guerre. Il n’y a absolument rien à craindre de ce côté.

– Et si Monsieur Ségard venait à disparaître brutalement ?

– Il n’est pas le seul à connaître le code. Il n’est jamais arrivé qu’un Ségard meure brusquement, mais Maître Bisson, notre notaire, entre autres, possède le code du coffre.

– Entre autres ? releva Laetitia.

– Entre autres. Je l’ai aussi et le directeur de la Manufacture pourrait y avoir accès si nécessité. À savoir si les Ségard disparaissaient et nous également, Maître Bisson pourrait le lui remettre. »

Édouard fit la moue et Laetitia hocha la tête.

Alec conclut :

« Vous n’avez sincèrement pas à vous en faire pour ça. Les choses sont bien cadrées. Sur ce, mangez vite pendant que c’est chaud… Avez-vous tout ce qu’il vous faut ?

– Oui, merci. » répondit sèchement Édouard, visiblement un peu énervé.

Alec retourna à la cuisine. Décidément, il se demandait vraiment à quoi ils jouaient, ces deux-là. Ne même pas savoir tout ça ?…

Fred et Sig roucoulaient, les yeux dans les yeux, mains jointes au centre de la table, lorsqu’il arriva. Il rigola à leur sursaut.

« Je dérange ?

– Non, t’inquiète… lui répondit gentiment Sig avant de se pencher pour embrasser rapidement son compagnon qui sourit aussi.

Alec sourit également et remit la soupe à chauffer pour eux.

« Tu as été long, remarqua Fred en se redressant et en croisant les bras. Ils t’ont encore emmerdé ?

– Non, pas vraiment. Apparemment, ils étaient inquiets que la formule de l’alliage soit ici… Ils pensent qu’une banque serait plus sécurisée. »

Sig le regarda sans comprendre en reprenant des chips et Fred lui expliqua en reprenant sa bière :

« La formule de l’alliage avec lequel ils font leurs couteaux et tout le reste. C’est un truc ultrasecret et elle est ici.

– Ah, c’est vrai ?

– Oui, dans le coffre-fort du bureau, ajoute Alec en servant les assiettes de soupe et en le leur apportant.

– Merci !… Hmmm, Ça sent super bon !

– Tu ne manges pas ?

– Non, pas la soupe. Allez-y pendant que je leur rapporte le fromage, j’arrive… »

Un peu plus tard, Alec put enfin se mettre à table. Lui-même attaqua directement le plat qu’il servit sans attendre.

« La soupe était très bonne, tu n’en voulais vraiment pas ? s’étonna Ségard.

– Non, je l’aime bien, mais j’en ai assez mangé la semaine dernière. C’est celle que Matteo avait fait quand j’étais malade… On en avait congelé, il y en avait beaucoup trop. Je l’ai reprise en ajoutant un peu de crème de soja…

– Ben tu le féliciteras, elle était vraiment excellente ! »

Ils attaquèrent le rôti de dindonneau, viande juteuse et fondante, avec ses haricots fins et craquants et le riz délicieusement parfumé.

Au bout d’un moment, Alec demanda, en leur servant un peu de vin :

« Bons alors sinon, de quoi vouliez-vous me causer si urgemment ? »

Les deux amants se sourirent et Fred répondit :

« Sais-tu quel jour nous sommes ?

– Mardi.

– Bien. Plus précisément ?

– Euh… Le 23 avril 2013 ?… Enfin, selon le calendrier terrestre. Sur Zurgluk, on est le 316 smurfon, mais je pense qu’on s’en fout, plaisanta-t-il et Sig opina du chef, amusé, alors que Fred gloussait :

– Tout à fait, on s’en fout complètement. Tu n’as pas écouté les infos ?

– Non, pas eu le temps.

– Le mariage pour tous a été voté aujourd’hui.

– Oh, c’est vrai ?… Cool !… Enfin une bonne nouvelle ! sourit Alec, sincèrement content.

– C’est sûr ! »

Un silence suivit, que Sig finit par rompre avec un grand sourire :

« Et devine qui a débarqué à la Clinique avec une bague et un gros bouquet de fleurs pour me demander ma main dès qu’il l’a su ?

– Sérieux ? »

Sig opina sans perdre son grand sourire alors qu’Alec riait et que Fred haussait les épaules avec un sourire.

« Direct, avoua-t-il. J’ai chopé la bague et j’ai foncé chez la fleuriste avant de foncer à la Clinique.

– C’est meugnon…

– Oui, il m’a trouvé au milieu du parc, raconta Sig, et il s’est agenouillé devant moi pour me demander ma main sans sommation. Et je n’avais pas écouté les infos non plus. »

Alec gloussa encore, tout attendri, en imaginant la scène.

« Et tout le monde a applaudi… ajouta Fred en souriant avec tendresse. Et on s’est fait un gros bisou… dit-il encore en tendant le bras pour poser sa main sur celle de Sig, qui sourit aussi.

– Je pense que toute la Clinique va se foutre de moi pendant un bon moment… » soupira le psychiatre.

Fred caressa sa main, puis reprit pour Alec :

« Du coup… Veux-tu être mon témoin ?

– Tant que ce n’est pas le garant de ta bonne moralité… plaisanta encore Alec avant de hocher la tête en levant sa bière pour trinquer : Avec plaisir, vieux frère, et toutes mes félicitations !

– Merci ! » répondit Fred et ils trinquèrent tous trois.

 

Chapitre 36 :

« Félicitations pour votre mariage, Docteur ! »

Siegfried sourit en serrant la main de Matteo. Le garçon était venu l’accueillir dans le hall.

« Merci. Alec vous a déjà vendu la mèche ?

– Oui. Il était tout content ! »

Le jeune homme précédait le psychiatre, Caramel trottant autour d’eux en remuant la queue.

« Frédéric est venu avec moi, il va commencer à s’occuper de l’écurie.

– Je sais, j’ai vu la camionnette. Alec va lui donner un pass pour le portail, histoire qu’il puisse être autonome le temps des travaux.

– Ah, ce sera sympa pour lui, merci. »

Ils se réinstallèrent comme la fois précédente, Matteo couché sur le canapé, avec Caramel en mode bouillotte ventrale, et Siegfried assis non loin de sa tête.

« Alors, dit doucement le psychiatre en sortant son bloc-notes. Où en étions-nous restés ?

– Je n’en sais plus rien du tout…

– Bon, ben reprenons tranquillement, alors. Votre grand-père est reparti ? Son séjour s’est bien passé ?

– Oui, très bien !… Bon, il avait pas mal de boulot et les deux autres ne le lâchaient pas beaucoup, mais on a passé de très bons moments, on s’est fait une soirée pizza–ciné tranquille, c’était cool.

– Les deux autres, comme vous dites, ce sont ses deux employés ?

– Ouais.

– Vous ne les aimez pas ?

– La bimbo me gave et l’autre, j’ai pas digéré son psy… D’autant qu’il en remet une couche à chaque fois qu’on en reparle…

– Je vois.

– Je crois pas qu’ils m’aiment beaucoup non plus, cela dit. Match nul.

– Si votre grand-père est content d’eux, ça ne vous concerne pas plus que ça.

– Oui, oui… Oh, ça ne me prend pas plus la tête que ça… C’est juste que j’aime pas les chieurs et j’aime pas non plus qu’on agresse gratuitement les gens… Sérieux, Alec a été d’une patience avec eux… J’admire. À part le coup du McDo, il est resté super zen, je ne sais pas comment il a réussi ça…

– Vous lui avez demandé ? sourit Sig.

– Oui. »

Matteo eut un petit rire :

« Il a haussé les épaules en disant qu’il avait autre chose à faire de son énergie que de s’énerver après des choses ou des gens qui ne le méritaient pas. J’aimerais bien pouvoir faire ça !

– Oh, ça vient avec l’âge, ne vous en faites pas.

– Cool !

– Faut juste apprendre à laisser couler.

– OK, c’est noté ! Je vais m’entraîner ! »

Sig sourit :

« Bon courage !

– Merci ! »

Il y eut un petit silence, puis Sig reprit :

« Vous êtes content d’avoir vu votre grand-père, alors ?

– Oui !… Mais ça me va aussi qu’il soit reparti… J’aime bien tranquille ici.

– Vous profitez du calme ?

– Ouais… Ça fait du bien, soupira le garçon. Je me demande si je vais pas rester ici, en fait… Il doit bien y avoir un lycée dans le coin… Ou sinon par correspondance… Mais j’ai pas envie de retourner à Paris… D’autant que l’an prochain, mes potes seront plus là et Lou non plus, donc bof bof gros bof…

– Aucun ne risque de redoubler ?

– Aucune idée, mais comme je vous disais, je suis bien ici. J’ai vraiment pas envie de retourner à Paris…

– Vous ne vous sentez pas trop seul dans cette grande maison ?

– Ben, j’avais peur que oui, mais en fait non… Déjà, il y a Alec, mais vous savez, en vrai, je crois que je n’aime pas beaucoup les gens… Y en a des sympa hein, mais faut supporter un peu trop de cons pour en trouver… Alors quand j’en trouve, c’est cool… Mais j’ai un peu pas envie de courir après sans arrêt… J’avais des potes qui faisaient tout le temps tout pour plaire à tout le monde… Toujours à être d’accord sur tout… Et sur l’inverse de tout, selon avec qui ils étaient… C’est usant, moi ça m’emmerde… Déjà, du coup, on sait jamais ce qu’ils aiment vraiment et puis… En fait, on sait pas qui ils sont… »

Caramel d’ailleurs, faisant bailler de concert Sig et Mateo alors que le garçon caressait la tête du chiot qui se remit à remuer la queue.

« C’est bien avec celui-là, il en faut très peu pour le rendre heureux… soupira Mateo, attendri.

– Tant mieux. Vous avez l’air de beaucoup l’aimer ?

– J’avoue. Il m’a complètement fait craquer à venir tout seul à moi… Un vrai petit coup de foudre… répondit le jeune homme en souriant doucement.

– Comme quoi, ça arrive.

– Oui… Il m’a beaucoup aidé pendant ma cure de désintox, si vous me passez l’expression. J’avais pas mal de crises d’angoisse… C’était normal, vous aviez prévenu… Mais en me concentrant sur lui, ça passait.

– C’est une bonne chose. Les animaux sont d’excellents dérivatifs et les dérivatifs, c’est souvent salvateur pour les crises d’angoisse.

– Ouais… Enfin bon… Moi donc, j’essaye d’être moi et je baratine pas des merdes pour faire plaisir à tout le monde… Ça m’a valu pas mal de prises de tête… Mais ça fait un moment que j’ai compris que ça m’allait mieux quand même. J’aime pas mentir… Et puis, à quoi ça sert si les autres aiment quelqu’un qui n’est pas moi, en vrai ?

– Sage parole.

– … Ouais… Dites, Docteur… Jusqu’à quel point… »

Matteo grimaça, mal à l’aise.

« … Jusqu’à quel point ne pas dire les choses, c’est mentir ? »

Sig sourit et haussa les épaules :

« Vaste question… Ai-je droit à la calculette ? »

Matteo eut un petit rire.

« À vrai dire, c’est une question à laquelle il n’y a pas vraiment de réponse consensuelle. Je vais donc vous la retourner en la reformulant. À qui avez-vous le sentiment de mentir ? »

Il y eut un long silence avant que Matteo ne réponde enfin :

« A à peu près tout le monde. »

Sic attendit. Matteo soupira, puis se jeta Allo :

« En fait, moi aussi, je suis gay. »

Il attendit à son tour. Sig aussi, souriant toujours. Le garçon finit par reprendre prudemment :

« … Et à part Lou, deux potes, mon ex et vous, personne n’est au courant.

– C’est pas si mal.

– Ouais… Mais… J’ai peur… Et j’ose pas le dire aux gens qui comptent alors que c’est d’eux dont j’ai besoin… J’aurais vraiment besoin qu’ils le sachent, mais l’idée qu’ils me rejettent me terrifie… »

Sig soupira.

« J’imagine que vous savez très bien de quoi je parle…

– Oui. Mais là-dessus, je ne vais pas pouvoir vous aider, Matteo. C’est un choix que vous devez faire seul.

– Aucun conseil ?

– … Comment dire… »

Le psychiatre réfléchit un instant.

« … Il n’y a pas de bon conseil à vous donner. Je pourrai vous dire des milliers de choses. Qu’il n’est pas sain de vivre dans le mensonge. Que votre famille vous aime et vous comprendra, vous acceptera sûrement… Tout ce que je me suis dit il y a 15 ans, juste avant de tous les perdre. Bien sûr qu’il n’est pas sain de vivre dans le mensonge. Mais pourrez-vous supporter, dans votre état et votre situation actuelle, simplement de prendre le risque de tout perdre ?… Peut-être que ce n’est pas le bon moment. Pas encore. Peut-être que si. Mais la seule chose qui est sûre, c’est que cette décision doit venir de vous, quand vous le voudrez, quand vous vous sentirez prêt et personne n’a le droit de vous dire comment le faire et quand le faire. Ce choix doit être le vôtre, Matteo. Et comme pour beaucoup de choses dans la vie, personne ne doit vous l’imposer, car personne n’est vous. »

Il y eut encore un silence. Puis Matteo répondit, le regard perdu dans ses souvenirs :

« À Noël… À Noël j’ai failli tout dire à Grand Père. Je voulais… Mais je n’ai pas trouvé le bon moment… »

Il fit une pause, puis reprit :

« … Mais je voulais vraiment. Parce que j’aimais quelqu’un… Et que je voulais qu’il le sache… Je voulais partager mon bonheur avec lui. »

Il y eut un silence. Matteo renifla.

« J’étais heureux pour de vrai… Et juste à la rentrée des vacances, tout s’est fini. »

Sig se tut et attendit la suite.

« Ben et moi, on s’est connu en quatrième et on s’est mis ensemble en seconde… On était dans la même chambre et c’était bien… Et puis… Quand il est revenu en janvier… »

Matteo inspira un grand coup.

« … Il m’a dit qu’il s’était fait engueuler par ses parents parce qu’à Noël, il n’avait pas assez flirté avec la jolie demoiselle qu’ils voulaient, la fille de l’associé de son père ou je ne sais pas quoi… Et que du coup, pour qu’ils lui foutent la paix, il avait décidé de faire semblant d’avoir une copine… En gros, le programme pour lui, c’était de continuer à me sauter en douce dans la chambre et dès qu’on en sortirait, il deviendrait un gentil petit hétéro qui avait une relation tout à fait connue et reconnue avec la première pouffe qu’il choperait… Et le pire, c’est que quand je lui dis que ça n’allait pas être possible, il n’a pas compris. »

Il y eut encore un silence. Matteo renifla une nouvelle fois.

« Il n’a pas compris que je voulais qu’on soit ensemble pour de vrai… Que j’en avais déjà marre qu’on se cache avant, mais que là, nier ce qu’on était à ce point, c’était trop pour moi. Et puis quoi, j’étais pas sa poupée gonflable, merde !… Ah, il voulait tout, lui, mon cul et une meuf pour se la péter… ! s’emporta le jeune homme. Et il a pas compris que j’envoie chier… Et il est bien sorti avec la première pouffe qu’il a chopée et il m’a bien fait chier avec… Il savait bien que je ne pouvais rien faire. Parce que si ça se savait, moi aussi j’allais avoir des emmerdes… J’en pouvais plus… »

Il y eut encore un silence.

« Quand Grand Père a appelé pour me dire, pour mes parents… C’est horrible, mais j’ai été soulagé d’avoir un prétexte pour foutre le camp. Et c’est là que Ben a fait sa dernière connerie.

– Quoi ? le relança doucement Sig.

– Ben, il m’a accompagné au train avec sa chérie, Stella, Lou et deux autres.

– Et qu’est-ce qui s’est passé ?

– Il m’a dit qu’il avait hâte que je revienne, avec un gros clin d’œil qui voulait dire qu’il avait surtout hâte de me re-baiser à mon retour. Cet enfoiré m’a fait ça, au bras de sa copine, alors que je partais enterrer mes parents. Alors j’ai souri et j’ai dit à Stella : ‘’Prends soin de ce con et quand tu lui suceras les couilles, insiste bien sur la gauche, il adore ça. Et crois-moi, je sais de quoi je parle.’’. »

Sig sursauta et le regarda, aussi stupéfait qu’amusé malgré lui. Matteo haussa les épaules.

« Lou et les deux autres étaient morts de rire, Stella est restée conne trois secondes avant de sursauter et de repousser Ben avec un dégoût super clair et les portes du train se sont fermées. »

Matteo tourna la tête pour regarder Sig :

« C’était mesquin, hein ?

– Totalement. Mais franchement, très bien joué et pas volé pour lui. »

 

Chapitre 37 :

Alec avait accueilli Fred avec plaisir et lui avait donné le pass avec le mode d’emploi sans attendre, dès sa descente de voiture.

« Alors, un seul bouton… Quand c’est fermé, ça ouvre et quand c’est ouvert, ça ferme.

– Basique, mais efficace.

– Tout à fait. Les chiens te connaissent maintenant, ils ne devraient pas t’embêter, mais au pire, si tu as un doute, tu restes dans la voiture et tu m’appelles.

– D’accord ! »

Les deux hommes partirent à pied vers la vieille écurie dès que Fred eut pris son vieux sac élimé.

« Je vais prendre les mesures et tout, pour commencer, vérifier l’état des poutres pour de vrai et ça devrait déjà bien m’occuper pour aujourd’hui.

– Il y a des risques…

– Sinon, ça va, toi ?

– Tranquille. »

Ils arrivèrent. Éris et Cerbère les avaient suivis. Lui se coucha au soleil, à la porte, et elle entra avec les deux hommes.

Fred posa son sac au sol et regarda le lieu, poings sur les hanches.

« Ça m’a quand même l’air en assez bon état, à part le ytou.

– Ben vérifie et dis-nous. »

Le menuisier hocha la tête. Il s’accroupit pour sortir ses outils.

« Tu y verras assez ? J’ai une bonne grosse lampe de camping, sinon.

– Je dis pas non… Si elle peut rester ici le temps des travaux ? En cas de temps nuageux ou si je traîne un soir, ce sera utile, je pense.

– Je vais te la chercher tout de suite… Tu me dis il te faut autre chose, n’hésite pas.

– Du foie gras et du champagne ?

– Ça, c’est quand tu auras fini.

– Zut !

– Mais bien tenté.

– Merci.

– Tu auras peut-être une bière le soir si tu bosses bien.

– Cool !… Toi, tu sais motiver tes troupes ! »

Alec laissa son vieil ami le temps d’aller chercher la lampe en question. Elle fonctionnait à piles et avait une bonne autonomie. Il apporta tout de même des recharges au cas où.

Fred avait ramené son échelle dans l’intervalle et était grimpé voir ces poutres de plus près. Comme la fois précédente, mais ce coup-ci, il devait voir leur état très précisément.

Alec lui signala que la lampe était posée près de son sac. Fred le remercia et Alec le laissa travailler.

Les travaux durèrent trois semaines, Fred dût appeler un collègue à l’aide pour changer les poutres trop abîmées, refusant l’aide d’Alec pour des raisons d’assurance.

Matteo accepta les frais supplémentaires que ça impliquait sans broncher. Hors de question de prendre le risque que Fred ou son collègue se blessent, ou qu’une poutre ne tombe sur un cheval ou l’un d’eux parce qu’on l’aurait mal fixée.

Il était surpris, mais grâce à ça, tout fut fini en temps et en heure, pour l’arrivée des deux chevaux, à la fin du printemps.

Côté pré, les deux chèvres les trois moutons qu’Alec avait empruntés avaient très bien fait leur boulot, l’herbe avait retrouvé une hauteur tout à fait acceptable.

Bref, lorsque Gwendoline et Julia arrivèrent fin juin, Matteo fut tout content de leur montrer l’écurie rénovée et le grand pré fleuri.

Aussitôt lâchés dans ce dernier, les deux chevaux, le brun Markys et la grise Tipheane, se mirent rapidement à gambader, heureux de se dégourdir enfin les pattes après des heures de trajet.

Au bord du pré, Matteo, Gwen et Julia regardaient ça en souriant. Les chiens, qui les avaient suivis, regardaient ça aussi, curieux.

« Ils vont être tranquilles, ici… soupira Gwen. Tu pourras les monter un peu, Matteo ? Nous avons emmené tout leur équipement.

– Bien sûr ! Volontiers ! Ça me fera du bien, je m’encroûte un peu, ici.

– Tu pourras dire à Alec qu’il peut monter aussi, s’il veut, ça vous permettra de les sortir tous les deux ensemble.

– D’accord, je lui dirais. Il sait monter ?

– Il me semble que oui. Mais au pire, ça sera l’occasion de lui apprendre. »

Laissant les deux chevaux découvrir leur nouvel environnement, ils rentrèrent. Les chiens les raccompagnèrent à la porte avant de retourner observer les chevaux, décidément intrigués.

Les trois humains s’installèrent dans le petit salon avec Caramel, que Gwendoline couvrait de caresses, aussi attendrie qu’impressionnée par son obéissance.

Alec le rapporta rapidement des cafés et des cookies.

« Tout va bien ? s’enquit gentiment le régisseur.

– Tout va bien ! répondit Julia. Tu féliciteras ton ami de notre part, il a vraiment fait de l’excellent travail !

– Merci pour lui. Il était très satisfait du résultat, lui aussi.

– C’est décidément un homme très doué !

– Et très honnête, ajouta Matteo en prenant un cookie. Il m’a averti et demandé mon accord pour tous les dépassements de devis et tout a été facturé au centime près… Et impossible de lui laisser un pourboire, il a refusé…

– Vraiment ?

– Il a estimé que le fait que je le nourrisse tous les midis était suffsant, intervint Alec.

– Et il est d’accord pour refaire la charpente de la chapelle avec son collègue en août, dit encore Matteo. Grand Père était très content, il y tient beaucoup.

– Oh Oui, ça serait merveilleux ! »

Pas qu’il y ait des risques qu’elle resserve à court ou moyen terme, mais Léon Ségard y était très attaché et sa sœur également.

Julia opina du chef en prenant sa tasse :

« Bien, ça fait plaisir, tout ça. En tout cas, tu as l’air d’aller beaucoup mieux, Matteo.

– Oui, ça va ! »

Il était vrai que les deux femmes n’avaient pas pu revenir depuis les funérailles.

« Léon nous avait dit que l’arrêt de ton traitement t’avait remis d’aplomb, et il en était très heureux, mais effectivement, c’est impressionnant… continua Julia. On te retrouve !

– C’est tout de même effrayant de penser à ce que ces médicaments avaient fait de toi… Dieu sait ce que ça aurait pu te faire à plus long terme !… Heureusement que le compagnon de Frédéric a pu t’aider ! »

Matteo sourit et opina. Les deux femmes ne savaient pas, elle non plus, que Sig le suivait toujours.

« C’est un homme très compétent, lui aussi. » se contenta-t-il donc de répondre.

Alec n’ajouta rien, se contentant lui hocher la tête.

Laissant Matteo et les deux femmes, il repartit une nouvelle fois. Il devait encore ranger tout l’équipement des chevaux dans l’écurie.

Il fit ça tranquillement. Les chiens le rejoignirent, flairant tout ça avec curiosité. Puis, il retourna jeter un œil dans le pré, qui se trouvait juste à une dizaine de mètres de là.

La jument broutait et l’étalon galopait, visiblement vraiment content d’être là. Alec sourit. Bon… Il espérait que ces deux braves bêtes allaient pas être une trop lourde charge, mais s’il suffisait de les laisser gambader là, de les garder dans l’écurie quand le temps le nécessiterait et de les monter un peu pour que ça aille, ça serait largement gérable. Il faisait déjà bon, mais les nuits étaient une peu fraîches. Il faudrait peut-être les rentrer à l’écurie ce soir. Il verrait ce qu’en dirait leur patronne. Toute façon, les boxes étaient prêts à les accueillir.

Il rentra, Éris le suivant, mais Cerbère et Arès restèrent encore près des chevaux.

Les demoiselles restaient quelques jours normalement, le temps de s’assurer que les chevaux s’acclimateraient bien. Lui était content de les voir et Matteo aussi, comme toujours.

Alec rentra en bâillant. Pfff, fallait vraiment qu’il arrête les parties de CS jusqu’à point d’heure…

Il retourna au petit salon où les trois se trouvaient toujours, Caramel sagement couché aux pieds de Matteo.

Le chiot, qui avait bien grandi, leva la tête en l’entendant rentrer.

« Tout va toujours bien ? demanda-t-il en aimablement.

– Oui ! répondit Matteo. Dis, Grand Tatie a oublié son livre à Paris. Tu sais si la librairie est ouverte aujourd’hui ?

– Euh oui, oui oui. Elle ne m’a rien dit particulier… C’est le lundi qu’elle est fermée. Vous voulez que je vous conduise ?

– Non… Il faut que nous détachions le van de la voiture et ça ira, Matteo a dit qu’il savait où elle était. De toute façon, le van doit rester ici si besoin…

– D’accord, opina Alec. Je vais juste le mettre à l’abri avant de le détacher pour ne pas le traîner à la main, dans ce cas…

– Ça ira effectivement mieux comme ça. » reconnut Matteo avec un sourire.

 

Chapitre 38 :

Matteo regarda avec curiosité le magnifique immeuble ancien qui lui faisait face. Très beau. Il sonna à l’interphone après avoir bien vérifié le nom.

« Bonjour, cabinet Bisson et Associés, je vous écoute ? Dit une voix féminine aimable.

– Bonjour, Madame. Je suis Matteo Ségard. J’ai rendez-vous avec Maître Bisson à 15 heures.

– Oui, un instant.… Bienvenue, Monsieur Ségard. Vous êtes un peu en avance…

– Je sais, merci de vous en inquiéter. Je n’avais pas d’autres trains. Ce n’est pas grave, je peux attendre.

– Dans ce cas, entrez et montez, je vous en prie. C’est au troisième étage, porte centrale.

– D’accord, merci. À tout de suite ! »

Il poussa la lourde porte en bois à deux mains et entra dans le hall de l’immeuble. Il prit l’escalier et monta tranquillement. Il était de très bonne humeur.

Il sonna à la dite porte et entra quand elle s’ouvrit. Il se retrouva dans une belle pièce ancienne, avec quatre portes, deux à gauche et deux à droite d’une magnifique banque d’accueil avec une très belle et très classe quadragénaire blonde en tailleur.

« Monsieur Ségard ?

– Oui !… Bonjour, Madame.

– Soyez le bienvenu. Maître Bisson est averti de votre arrivée. Il finit son entretien et il vous recevra ensuite. Voulez-vous un thé ou un café en attendant ?

– Ah, un thé, je dis pas non. Merci.

– Je vous en prie. Il y a des chaises juste derrière vous, si vous souhaitez vous asseoir. Je vous apporte votre thé tout de suite.

– Merci ! »

Matteo s’assit sagement et sortit son livre de son sac à dos avant de poser ce dernier au sol.

La secrétaire mit de l’eau à chauffer et le regarda, amusée. Bien longtemps qu’elle n’avait pas vu ainsi jeune homme aux cheveux longs, avec un pantacourt, des baskets basses et un T-shirt ici. Rien d’étonnant vu la chaleur de ce mois de juillet, mais tout de même. Même s’il était propre et très bien élevé, ça changeait notablement des personnes que ses patrons recevaient ici.

Elle lui apporta bientôt son thé et le déposa sur la petite table basse, devant les chaises. Il lui sourit gentiment :

« Merci beaucoup !

– Je vous en prie. Vous voulez du sucre ?

– Non, merci. »

Elle retourna à son travail et lui se replongea dans son roman.

Une tasse vidée et quelques chapitres plus tard, trois quinquagénaires, dont un bien bedonnant, sortirent d’un des bureaux avec Maître Bisson. Matteo leva le nez de son livre, sourit, et mit tranquillement son marque-pages dans l’ouvrage avant de ranger ce dernier dans son sac et de se lever.

Maître Bisson avait raccompagné les trois hommes et vint vers lui, aimable :

« Bonjour, Matteo. Merci beaucoup de vous être déplacé. Tiens, Alec n’est pas avec vous ?

– Bonjour, Maître. De rien, je vous en prie. Et non, j’ai dû insister, mais il a accepté de me laisser venir en train. Il est très occupé par le mariage de ses amis, il n’avait pas vraiment pas le temps…

– Il l’aurait pris tout de même, sourit encore le notaire en lui montrant la porte de son bureau.

– C’est bien pour ça que j’ai dû insister ! opina joyeusement le garçon en le précédant. Je suis assez grand pour prendre le train, tout de même. Je n’allais pas le bloquer ici tout un après-midi !… Si encore, il avait eu quelque chose à faire à Lyon, mais même pas, alors que la salle de bal, là-bas, elle va pas se préparer toute seule ! »

Le notaire referma la porte derrière en opinant aussi du chef, amusé.

Le bureau était grand et un peu sombre. Une seule fenêtre, immense, éclairait la pièce de la droite, mais à cette heure-ci, pas de soleil de ce côté. Ça sentait le vieux papier et le cuir. Matteo s’assit en regardant les étagères encombrées et le bureau de bois verni, bien encombré aussi. Maître Bisson sortit un gros dossier et s’installa.

« Vous vouliez me voir pour la succession de mes parents, c’est ça ?

– Tout à fait ! J’ai enfin tous les éléments !… Ça a été du boulot. Mais comme c’est fait et que de votre côté, vous allez enfin mieux, je me suis dit qu’il était temps de régler ça.

– Vous avez bien eu raison, ça sera fait. »

Le notaire opina encore expliqua :

« Alors, de toute façon, il n’y a pas de mystère ni de suspense, vous êtes le seul héritier de vos parents. La loi oblige à attendre 10 ans pour qu’une personne disparue soit déclarée morte, les choses se seraient donc de toute façon déclenchées dans les mois à venir en ce qui vous concerne. J’avais donc déjà tout prévu, mais la découverte et l’authentification des corps nous a fait gagner un peu de temps.

– D’accord…

– Dans les faits, vous héritez donc de l’ensemble des biens de vos parents. Votre grand-père avait vendu la plupart des voitures de collection de votre père, à l’exception de sa Jaguar qu’il avait gardée pour vous. »

Matteo se dit qu’il allait peut-être falloir qu’il commence à envisager la possibilité de ne pas trop tarder à passer son permis. Éventuellement.

« Cet argent avait bien sûr été gardé pour vous. En plus de ça, il y avait aussi celui de la vente de l’appartement parisien de vos parents. Tout ça avait été placé et a bien poussé sur vos comptes.

– Houlà, à ce point ?

– Oh oui.

– Wahou.

– Et ce n’est que le début. Donc, je continue : on a aussi les deux assurances-vie de vos parents.

– Ah bon ? Ils avaient fait ça ?

– Oui… D’ailleurs, pour votre information, votre grand-père en a souscrit une lui aussi.

– Ah ?

– Tout à fait, il voulait être sûr que vous ne soyez pas dans le besoin s’il lui arrivait quoi que ce soit.

– Maintenant que vous me le dites, je crois que ça me dit quelque chose.

– Bref, concernant vos parents, elle s’élève à 500 000 € pour votre mère et 800 000 pour votre père. »

Matteo croisa les bras, réellement surpris. Il finit par dire.

« Ça fait pas mal de zéro…

– Je sais.

– Et je suis censé en faire quoi ?

– Aucune idée… Mais ce n’est pas urgent. Ne vous en faites pas.

– Mouais… »

Le garçon fit la moue et le notaire sourit, amusé :

« Non, mais sérieusement, rien d’urgent. Cet argent est bien placé et il ne va pas s’envoler.

– Et, c’est des déplacements réglo ?… Enfin, je veux dire, c’est des trucs cool ?… J’aimerais pas que mon argent engraisse trop de connards, vous voyez…

– Aucun risque, mais c’est très bien que ce soit la première chose qui vous vienne en tête.

– Ben, c’est important, non ?

– Si. Très. Mais je suis, moi aussi, très à cheval là-dessus.

– Cool, vous me rassurez.

– Ben, disons que c’est une question d’éthique et aussi de prudence. Investir dans du sérieux et du durable, c’est aussi plus sûr. »

Matteo sourit :

« Ça me va.

– Bien. Il faudra voir avec votre banquier, il y a de des chances qu’il veuille vous en parler et faire un point avec vous.

– Santo, c’est ça ? C’est aussi chez lui que sont nos comptes personnels, je crois ?

– Les comptes de l’entreprise et les vôtres, oui, tout est chez lui. »

Il y eut un silence, puis Matteo reprit :

« J’avoue que je ne l’aime pas des masses, celui-là. »

Un autre silence.

« Moi non plus, finit par reconnaître le notaire. Il est, disons… moins regardant que je le voudrais sur certains investissements ou certains partenariats.

– Ça risque quelque chose ?

– Non, tout est très bien assuré, au pire. Mais je trouve qu’il a les dents longues… Bref, si vous avez le moindre doute sur ses propositions, n’hésitez pas à m’en faire part.

–D’accord, c’est noté. »

Il y eut un nouveau silence, puis Matteo reprit, sourcils froncés, en croisant les bras :

« Il est encore digne de confiance, selon vous ? »

Maître Bisson soupira et regarda le garçon. Il mit un moment à répondre enfin :

« Mes impressions personnelles n’ont pas à…

–Oui ou non ? » le coupa Matteo.

Le notaire le regarda encore un moment et un sourire :

« Il n’a rien fait, jusqu’ici, qui puisse mettre en réel danger votre argent ou celui de l’entreprise.

– Mais ?

– Mais, admit le notaire, je vous l’ai dit, il a les dents longues et la délocalisation de l’entreprise est une chose qu’il veut avec, à mon sens, trop d’empressement, tout comme son entrée en bourse. Cette dernière n’était d’ailleurs absolument pas nécessaire à mes yeux. »

Matteo hocha la tête.

« Mais bon, votre grand-père lui fait confiance et je suis tenu de respecter ses décisions.

– Je vois… » Matteo fit la moue, puis soupira :

« Maître, nous n’avons jamais eu cette conversation, ne vous en faites pas. Mais s’il vous plaît, prévenez-moi si vous avez le moindre doute réel. »

Le notaire sourit à nouveau et hocha la tête :

« D’accord. Comptez sur moi. »

Matteo hocha la tête avec un sourire en coin, fermant les yeux un instant.

« Vous me rappelez votre père… » soupira encore le notaire.

Le sourire de Matteo se fit curieux :

« Mon père ?

– Oui. Il avait les dents très longues, lui aussi, mais quand il s’agissait de veiller à ce que personne ne nuise à son père, votre grand-père, et aux biens des Ségard en général, il était absolument redoutable. »

Le sourire du garçon s’élargit :

« Enfin quelque chose en commun avec lui…

– Vous en souvenez peu, j’imagine ?

– Presque pas. Il travaillait beaucoup. Trop.

– Ça, je crois savoir que c’est un trait commun à tous les Ségard. »

Matteo haussa un sourcil, intrigué :

« Vous croyez ?

– Si vous tenez de vos ancêtres, vous aurez sûrement des capacités de travail insoupçonnées qui se réveilleront quand il faudra. »

Matteo fit la moue à nouveau. Clair que jusqu’ici, il n’avait jamais eu besoin de vraiment faire d’efforts, ni pour l’école, ni pour rien. Il haussa les épaules et demanda :

« Autre chose, sinon ?

– J’y venais. Les comptes courants et d’épargne de vos parents et les biens meubles… »

Dans le train qui le ramenait, quelques heures plus tard, une question tournait en rond dans la tête de Matteo.

          Mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de tout ça ?

 

Chapitre 39 :

« Non, mais il est sérieux ?… »

Fred regardait Alec avec des yeux ronds, incrédules, tenant dans ses mains le chèque que lui avait fait Matteo.

La boutique de menuisier était tranquille, à cette heure de l’après-midi, et les deux hommes étaient seuls. Derrière son comptoir, Fred regarda encore le chèque et reprit :

« Non, mais je peux pas accepter, sérieusement, Alec ?

– C’est un acompte, Fred…

– Mais un acompte de cette somme pour un billard que je ne pourrais pas commencer avant cet automne ?… Franchement ? Qu’est-ce qui lui a pris ? »

Alec soupira et grimaça. Il finit par avouer :

« C’est de ma faute…

– Hein ?

– Ben, j’ai dû lui dire sans trop faire gaffe que le mariage allait vous coûter plus cher que prévu, et du coup, il a sûrement fait ça pour vous aider en douce… »

Il y eut un silence. Fred regarda encore le chèque et fit la moue.

« Tu crois ?

– Ben, je trouve son envie soudaine de billard dans le salon un peu trop soudaine, justement. Surtout qu’on en a un, bon, un vieux qui est au grenier et qu’il faudrait retaper, mais il serait encore en très bon état… Et puis, pour une envie si urgente, que ça ne lui pose aucun souci d’attendre cet automne, mais qu’il tienne absolument à te faire l’acompte tout de suite, c’est comment dire… Ça tombe vachement bien pour vos problèmes d’argent pour le mariage. »

Fred soupira en hochant la tête.

«… Il est sympa… finit-il par dire.

–Ouais. Et il a l’air d’avoir un talent certain pour faire des dons sans trop en avoir l’air…

–il y a des rumeurs, oui… C’est vrai qu’il veut aider à retaper les halles du marché ? »

Six vieux piliers de pierre soutenant un toit en tôle très ancien, sous lequel se tenaient le marché et diverses foires et fêtes du village. C’était surtout un endroit où les gens se retrouvaient simplement, un petit coin de vie sociale important pour le cœur de tout le monde.

Alec opina du chef :

« Ouais. Il m’a accompagné une fois ou deux et il a entendu que ça tombait en ruine, mais que c’était classé, donc que la mairie ne pouvait pas le raser, mais n’avait pas les moyens de le retaper non plus, donc il est en train d’essayer de voir s’il peut aider comment. »

Fred eut un sourire :

« Mais il fait ça pourquoi ?

– Il dit que l’argent, ça sert à être investi.

– Euh, oui, c’est une de ces et utilités, effectivement, mais là, on parle de ses fonds privés, non ?

– Si, mais même. Il dit que ça a assez dormi sur ses compter que ses banquiers en ont assez profité, qu’il est temps que ça profite à d’autres qui en ont plus besoin que lui et surtout qu’eux. »

Fred soupira en regardant encore une fois le chèque.

« Je suis pas vraiment en position de refuser… Mais préviens-le bien que je ne pourrais pas attaquer avant septembre.

– Il le sait, mais je lui redirai, ne t’en fais pas.

– Merci à lui. »

Alec sourit et hocha la tête :

« Ce sera transmis. »

Sentant son téléphone vibrer, le régisseur le sortit de sa poche et sourit.

« Tiens, quand on parle du loup… Il va falloir que je te laisse, j’ai deux courses à faire au lieu d’une.

– Pas de souci. Rien de grave ?

–Il a perdu son chargeur de DS et comme il part demain, il préfère que je lui en rachète un directement.

– Ah, il part où ?

– Nouméa pendant trois semaines. Sa grand-tante et son amie l’invitent. Ça leur a pris comme une envie de pisser…

– Sérieux ? rigola Fred. Le veinard !… Eh mais attends ! Il ne sera pas là pour le mariage, du coup ?

– Ben du coup non, effectivement. Mais bon, il n’était pas sûr de venir de toute façon. Il se demandait si c’était bien pour une thérapie d’aller au mariage son psy.

– Ah ouais, pas faux. »

Ils se serrèrent la main et Alec fila. Il reprit sa voiture et gagna la petite place où se trouvaient, côte à côte et dans cet ordre, l’école primaire, la mairie, la bibliothèque et la Poste, face à la maternelle, l’école de musique et la MJC.

Il alla sortir de son coffre un gros carton, qu’il prit pour entrer la bibliothèque.

Le bâtiment était petit et ancien et l’intérieur sentait le vieux papier. Pendant très longtemps, l’endroit avait été géré par un groupe de retraités bénévoles aussi énergiques et gentils qu’imcompétents. Depuis quelques années, la mairie avait enfin pu dégager un budget pour un vrai bibliothécaire qui encadrait un peu plus professionnellement tout ça. C’était toujours un peu folklorique, les retraités avaient eu beaucoup de mal à passer à l’informatique, mais on progressait.

C’était la responsable qui était là cet après-midi-là, une trentenaire à lunettes qui lui sourit :

« Bonjour, monsieur Varin !… Alors comme ça, deuxième livraison ? »

Alec posa le carton sur la table et haussa les épaules en lui serrant la main.

« Et oui. Si ça vous intéresse toujours ?

– Ben oui, volontiers !… Les livres étaient comme neufs et comme je vous l’avais dit, notre rayon science-fiction, fantaisy et bande dessinée est très très pauvre, donc, les dons de votre patron sont vraiment les bienvenus. Vous le remercierez encore, d’ailleurs. Je regrette qu’il ne vous accompagne pas… Déjà l’autre fois, vous étiez venu sans lui ?

– Je crois que Monsieur Matteo se complaît dans la discrétion, répondit Alec avec un sourire.

– Je vois, soupira-t-elle avec un sourire également. C’est dommage. Ce genre de choses est assez rare et mériterait d’être connue…

– Oui, mais non. »

La confidentialité du don faisait partie du deal. Elle hocha vivement la tête :

« Ne craignez rien ! Motus et bouche cousue ! Mais je trouve ça dommage, sincèrement.

– C’est à lui de voir ça. Mais il n’aime pas se mettre en avant.

– En tout cas, c’est un petit gars bien. Remerciez-le, vraiment.

– Ça sera fait, ne vous inquiétez pas. Je vous les laisse comme ça, vous vous débrouillez ?

– Aucun souci, je vous enverrai le bon de réception, comme l’autre fois.

– Je compte sur vous, merci. »

Alec lui serra encore la main et repartit.

Alors… se dit-t-il en se remettant au volant. Un petit tour à la galerie marchande d’Auchan pour le chargeur de DS… Ah, tant qu’il y était, il fallait racheter des ampoules pour la cave…

La route était calme et il n’en eut pas pour très longtemps. Lorsqu’il rentra, Matteo jouait avec les chiens devant la maison.

Il se gara et les rejoignit. Les chiens l’accueillirent joyeusement. Matteo lui sourit :

« Te voilà ! Ça a été ?

– Sans problème. Fred et la bibliothécaire se répandent en remerciements devant vous.

– Oh, sérieux ? Ils en ont foutu partout à ce point ? sourit le garçon, un peu surpris.

– Vous avez pas idée !

– Bah alors ?… C’est juste un acompte et 25 bouquins, y a pas de quoi en faire un flan…

– Disons que ce n’est pas si habituel.

–Ouais… »

Cerbère apporta un bâton au jeune homme qui le lança, pensif.

«… J’ai du mal à piger… Ça sert à quoi d’avoir de l’argent si c’est pour le laisser pourrir sur des comptes en banque ? »

Alec eut un petit rire avant de répondre :

« Est-ce que j’ai trois heures et droit à la calculatrice ? »

Matteo eut un petit rire à son tour.

« Non, ça ira. Si tu me faisais un bon dîner, plutôt ?

– Oui, ça vaudra mieux… J’ai toujours été nul en philo. Je suis bien meilleur en cuisine. »

Le lendemain, Alec accompagna le garçon jusqu’à la gare de la Part-Dieu, où un TGV allait le mener à Roissy. Gwendoline et Julia le retrouveraient là pour leur départ pour Nouméa.

Trois semaines de soleil… Les deux femmes avaient de longue date ce goût des voyages improvisés.

Alec accompagna Matteo jusqu’à sa place pour l’aider à mettre sa valise en hauteur au-dessus de lui, puis il lui souhaita un bon voyage et le laissa.

Il eut un petit pincement au cœur quand le train partit, mais rien qui dura. Il retourna tranquillement au parking et prit le chemin du retour.

You-ouh. Trois semaines de vacances !… Ça allait lui faire du bien.

Certes, il s’était habitué à la présence du garçon et leur cohabitation se passait à merveille. Mais avoir un peu d’air et de temps à lui ne serait pas malvenu.

Les chiens l’accueillirent avec joie. Caramel avait l’air un peu sceptique. Il tourna un peu autour de la voiture pour être sûr que Matteo n’y était pas, mais il suivit sans broncher Alec à l’intérieur quand le régisseur l’appela. Le chiot avait bien grandi et lui arrivait de dire désormais à mi-cuisse. Matteo n’avait pas pu l’emmener, ne lui ayant pas fait faire les vaccins nécessaires. Mais ce n’était pas un souci pour lui. Il savait qu’Alec prendrait soin de son chien.

 

Chapitre 40 :

Alec grogna en fronçant les sourcils :

« Putain, mais arrête de gigoter comme ça, Fred, je vais pas y arriver ! »

Il luttait avec la cravate bleue de son ami depuis cinq bonnes minutes.

« D-désolé, c’est nerveux… »

Alec leva un sourcil, goguenard :

« Frédéric Malort, excité comme une pucelle qui va se prendre son premier aller-retour, waouh, ça pour une surprise…

– Tu m’aides pas, là… »

Alec le regarda encore et pouffa. Fred grimaça en détournant les yeux et son ami ne tint plus et éclata de rire en le prenant dans ses bras. Il frotta son dos alors que Fred, contaminé, finissait par rire aussi. Ils s’étreignirent avec force. Quand Alec le repoussa, ce fut pour garder ses mains sur ses épaules et lui dire, amusé :

« Respire profondément, tout va bien se passer, tu ne vas pas à l’abattoir.

– T’es sûr ? sourit Fred.

– Oui, promis, rigola encore Alec.

– Non, parce que vu l’amabilité de la secrétaire quand on a été poser les bans… ?

– Ce n’est pas elle qui va s’occuper de vous aujourd’hui, c’est la maire.

– Ah oui, c’est vrai… »

La cravate enfin en place, Alec fit la moue en regardant son ami. Cravate bleue sombre, chemise bleue aussi, mais très pâle, juste assez colorée pour qu’on la distingue un peu du pantalon et de la veste blanche, en fait.

« Sérieux, j’ai l’air de quoi ?

– D’un heureux crétin fin prêt à aller se faire passer la corde au cou.

– Donc, je vais pas à l’abattoir, je vais à la potence ?

– T’as tout compris. »

Alec sourit encore. Lui avait un très beau costume anthracite. Le fait que ce soit le brun qui s’habille en blanc et le blond en noir était sympa, ses amis avaient eu une bonne idée pour le coup, tant tout le monde était habitués à l’inverse. Sig était coutumier des vêtements clairs et Fred des sombres.

Ils étaient dans le salon des fiancés, une pièce assez grande et normalement lumineuse, mais les persiennes étaient baissées, ce jour-là, car le soleil tapait fort. Sig arriva de la chambre, très beau aussi dans son costume donc noir avec une belle cravate carmin. Il sourit :

« Ca y est, tu as réussi à lui mettre sa cravate ? »

Alec hocha la tête en faisant la moue :

« Oui, ça y est, il est présentable.

Danke. »

Le psychiatre souriait doucement et s’approcha en tendant les mains. Fred le regardait avec tendresse, un doux sourire aux lèvres, et les prit dans les siennes.

« Tu es magnifique.

– J’allais te dire la même chose… »

Ils s’embrassèrent doucement.

« Prêt, Lieber ?

– Oh que oui. »

Ils vérifièrent qu’ils avaient tout et partirent. La mairie de Givery n’était pas très loin de leur appartement, situé au-dessus de la menuiserie, mais puisque Matteo avait prêté la Jaguar noire qu’il avait hérité de son père pour l’occasion, voiture qu’il avait fait ramener au Domaine, ils y allèrent avec.

« ‘Faudra vraiment qu’on le remercie… » soupira Sig.

Alec conduisait tranquillement. Cette voiture, c’était du bonheur. Belle, confortable et orgasmique à conduire…

« ‘Vous prenez pas la tête, ça lui faisait plaisir.

– Tu as eu des nouvelles ?

– Vite fait, un petit mail. Ils ont l’air de bien s’amuser, tous les trois. Ils ont bien bronzé.

– Il revient quand ?

– Fin de semaine, à part s’il reste encore un peu à Paris avec elles. Il savait pas encore. »

Ils arrivèrent. Il y avait déjà pas mal de monde, sur la place, la plupart à l’ombre, car il était 14h et que personne ne souhaitait jouer à la grillade.

La cérémonie débutait à 14h30. Laissant ses deux amis aller saluer les gens présents, Alec attrapa Mina, témoin de Sig, et entra avec elle dans la mairie pour vérifier que tout allait bien. Madame la maire était déjà là et leur assura qu’il n’y avait aucun problème.

Ils ressortirent, satisfaits, et rejoignirent les autres. Alec salua avec plaisir Jeff et Jojo, tous beaux aussi, et qui charrièrent Mina, car ça faisait des plombes qu’ils ne l’avaient pas vu en robe. Longue et belle, cette dernière était noire, aux manches longues et au bas évasé. Mina avait aussi un joli chignon tressé et s’était même maquillée.

« Ouais, ben vous savez bien que j’aime pas des masses me déguiser en fille…

– C’est con, ça te va bien. »

Jeff était un grand blond aux cheveux longs et Jojo un plus petit et plus rond châtain aux cheveux bouclés. Il y avait longtemps qu’ils ne vivaient plus dans le coin, mais ces deux vieux célibataires étaient, comme Alec et Mina, des vieux amis de Fred et ils n’auraient manqué son mariage pour rien au monde.

« Sinon, tout va bien, vous avez pas trop galérer pour la préparation ? demanda Jeff.

– Ca a été, répondit Alec. Les parents de Fred nous ont un peu fait suer, surtout sa mère qui a tenté d’imposer des invités et qui voulait commencer à tout contrôler… Fred l’a recadré direct, ça a été un peu violent.

– Sérieux ?

– Ah ben, dans la mesure où c’est lui et Sig qui payent tout, Fred lui a clairement dit qu’ils faisaient ça comme ils voulaient, qu’ils invitaient qui ils voulaient et que si ça lui allait pas, c’était pareil. Et comme apparemment, elle a tenté le chantage affectif, il m’a carrément dit qu’il lui avait sorti que dans la mesure où Sig avait perdu sa famille pour lui, il n’aurait aucun regret à perdre une partie de la sienne pour lui.

– Ah ouais, quand même !

– Ouais, ça a été un peu tendu, renchérit Mina en hochant la tête.

– Mais ça l’a calmée… Bon, du coup, on ne rencontrera pas le vieux grand-oncle homophobe qui s’amuse à parler de mademoiselle Siegfriette.

– Il devrait pas trop nous manquer… » soupira Jojo.

Un taxi s’arrêta devant la mairie et ils regardèrent ça, intrigués. Deux femmes en descendirent, une vieille dame très droite et digne et une trentenaire assez mince, blonde aux yeux clairs. Toutes deux étaient très joliment vêtues et tout aussi clairement un peu gênées. Le chauffeur de taxi sortit une grosse valise du son coffre.

Alors qu’ils se demandaient un peu qui elles étaient et ce qu’elles faisaient là, Sig, qui venait d’accueillir chaleureusement son vieil ami et second témoin, Nicolas Delorme, l’autre codirecteur de leur clinique, les vit et sursauta avant de rester stupéfait, les yeux ronds.

Fred était avec ses parents et sa tante et venait de confier à une petite cousine le petit panier contenant les flacons avec lesquels tout le monde devait faire des bulles de savon à la sortie de la cérémonie. La fillette était ravie et s’empressa de commencer à les distribuer à tout le monde, alors que Fred réalisait que son fiancé avançait en tremblant vers les nouvelles venues. Il regarda Alec qui haussa les épaules, les mains levées en signe d’ignorance. Fred fronça les sourcils et suivit Sig sans le rattraper.

La vieille dame paya le taxi alors que la jeune femme se mettait à trembler aussi, au bord des larmes. Et Sig eut un sanglot plus que visible avant de la prendre dans ses bras.

Fred croisa les bras, s’arrêtant à une distance respectueuse. Alec le rejoignit et lui murmura :

« Tu sais qui c’est ?

– Ben, non, pas vraiment… Enfin, je suppose que c’est sa sœur et sa grand-mère, ça collerait à ce que je sais d’elles et aux vieilles photos que j’ai pu voir, mais je les ai jamais rencontrées…

– Elles n’ont pas prévenu ?

– Non, il avait envoyé une invitation, mais on avait eu aucune réponse… »

La vieille dame les toisait avec suspicion et sursauta, se raidissant, lorsque Sig, ayant lâché la plus jeune, l’étreignit sans sommation. Fred et Alec échangèrent un regard attendri en la voyant se détendre et répondre finalement à l’étreinte avec un petit sourire doux. Alors que la blonde sortait un paquet de mouchoirs pour essuyer ses yeux et se moucher, Sig lâcha la dame, en larmes lui aussi, et Fred s’approcha enfin et demander avec douceur :

« Sig ? Ça va, mon cœur ?

Ja, ja… »

Sig essuya ses yeux et lui sourit en lui tendant la main :

« Désolé, je t’ai inquiété ?

– Pas vraiment, je me demandais juste ce qui se passait. » répondit Fred en la prenant.

Il le tira dans ses bras pour le serrer un instant :

« Mais si tu me dis que ça va, y a pas de problème. »

Sig sourit en l’étreignant avec un grand sourire, avant de le lâcher, ne gardant que sa main dans la sienne, pour lui présenter les deux nouvelles venues.

Il s’agissait bien de sa jeune sœur, Liesa, et de leur grand-mère paternelle, Romy. La plus jeune parlait un français un peu approximatif et la plus âgée un anglais correct. Elles étaient toujours un peu gênées et s’excusèrent. Elles avaient décidé de venir un peu à la dernière minute après avoir longuement hésité, craignant tant la réaction du reste de leur famille que celle de Sig lui-même, après toutes ces années. La carte d’invitation avait en effet provoqué la fureur des parents du fiancé, mais sa sœur, qui espérait depuis longtemps reprendre contact avec lui, avait pu la sauver d’une destruction assurée.

« … Mais vraiment, si tu ne veux pas, nous pouvons repartir… ?

– Non, je suis très heureux que vous soyez là… »

Le temps filait et il fut décidé qu’ils parleraient plus tard. Alec confia les deux Allemandes aux bons soins de Jeff qui avait quelques bases dans leur langue et Mina et lui durent les précéder à la mairie.

Tout le monde se tassa dans la petite salle. Alec, Mina, Nicolas et Antonin, le second témoin de Fred, qui était son cousin, restèrent debout avec Sig, devant le bureau de la maire, alors que le menuisier se laissait sagement conduire par la mère jusqu’au bureau.

La maire, une sexagénaire grisonnante, toute sourire, le regarda approcher et leur demanda de s’asseoir avec gentillesse. Son adjoint avait l’air un peu plus embarrassé.

Les quatre témoins s’assirent sur un banc, à côté d’eux.

La maire fit un petit speech plutôt amusant à coups de souvenirs pas trop honteux du petit Frédéric déjà plus occupé, enfant, à ramasser des bouts de bois pour fabriquer des trucs qu’à travailler à l’école. Elle était bien placé pour savoir, étant l’épouse d’un de ses anciens instituteurs qui, présent dans l’assistance hilare, confirma. Fred riait avec les autres et reconnut les faits, ajoutant quand même que ce brave homme avait été bien content qu’il ait été capable, à 9 ans, de réparer sommairement une fenêtre abîmée par un orage, ce qui lui avait permis de rester fermée jusqu’à ce qu’un menuisier ne vienne la réparer pour de vrai.

Le vieil homme reconnut les faits  à son tour.

La maire remercia ensuite Sig, et également Nicolas, d’ailleurs, de leur travail et du bien qu’ils avaient fait et faisaient, ayant aidé et parfois sauvé beaucoup de jeunes gens des environs. Et là aussi, elle savait de quoi elle parlait, mais elle n’en dit pas plus et Sig sourit et hocha la tête sans rien ajouter. Personne n’avait besoin de savoir que la nièce de cette femme était anorexique.

Après cela vint le moment fatidique, la lecture des textes de lois. Tout le monde se leva et Fred reprit la main de Sig.

« Art 212 : Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.

– Ca va, ça on gère, sourit Fred et Sig opina.

–  Art 213 : Les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille, ils pourvoient à l’éducation des enfants et préparent leur avenir, continua la maire avec amusement. Ça vous va aussi ?

– Ca devrait aller.

Ja. On est pas si immoraux et la direction, ça me connait. »

Ca rigolait dans l’assistance et la maire continua :

« Art 214 : Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. Toujours d’accord ?

– Tout à fait, ça on gère pas si mal aussi.

– Oui, Sig gère l’armoire à pharmacie et moi la boite à outils, ça respecte bien nos facultés respectives.

– Art 215 : Les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie.

– Zut, on peut plus découcher, alors ?

– Une fois de temps en temps en cas de force majeure, si l’autre est d’accord et en laissant un mot sur la table, répondit la maire, toujours goguenarde.

– Ah, ouf.

– Art 371-1 : L’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à la majorité ou l’émancipation de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon son âge et son degré de maturité. »

          Les deux hommes échangèrent un regard ému et amoureux alors que la maire se raclait la gorge et reprenait :

« Monsieur Siegfried Freund, consentez-vous à prendre pour époux monsieur Frédéric Malort, ici présent ?

– Oui.

– Monsieur Frédéric Malort, consentez-vous à prendre pour époux monsieur Siegfried Freund, ici présent ?

– Oui, et c’est pas trop tôt. »

Ils rirent encore et Alec apporta paisiblement les alliances, sur un petit coussin rouge. Les deux hommes se les passèrent l’un à l’autre sous les yeux émus de l’assistance et Fred n’essuya pas moins ses yeux que Sig avant qu’ils ne s’embrassent et ne s’étreignent avec force.. La mère de Fred était en larmes, tout comme la sœur de Sig.

La maire déclara avec entrain :

« Au nom de la loi, je déclare monsieur Siegfried Freund et monsieur Frédéric Malort unis par le mariage. »

Ca applaudit avec force et il y eut même quelques sifflements et cris de joie.

Un peu plus tard, les papiers dûment signés, les jeunes mariés quittaient la mairie sous une nuée de bulles multicolores.

 

Chapitre 41 :

Alec vint s’asseoir près de Fred qui faisait une petite pause après avoir dansé un moment. Ils trinquèrent, souriant, et Alec demanda :

« Ca va toujours ?

– Petit coup de pompe, mais ouais ouais, ça va… »

Il regardait, sur la piste, Sig danser avec sa sœur, tout sourire tous deux.

« On y va quand vous voulez, hein.

– Oui, oui, t’en fais pas… On y est pas encore. »

La soirée n’était de fait pas si avancée. Il avait été convenu que Fred et Sig dorment au Domaine, pour éviter un réveil intempestif, « tradition » dont ils se passeraient très bien. Matteo avait donné son accord avec plaisir. Du coup, la sœur et la grand-mère de Sig y avaient été invitées également, car le psychiatre avait refusé qu’elles aillent à l’hôtel, d’autant qu’il n’y avait pas masse dans les environs et qu’ils étaient assez chers. Alec n’avait pas fait d’histoire, il avait assez de chambre.

Fred rigola et lui donna un coup de coude :

« Tu fatigues déjà ? »

Alec en renversa une bonne partie de son verre sur sa chemise :

« Eh ! Calme tes ardeurs, monsieur l’heureux marié !

– Oups, désolé… répondit Fred, un peu trop amusé pour être vraiment sincère.

– Et non, je fatigue pas, je veux juste être sûr que l’info soit bien rentrée avant que tu sois complètement pété. » répondit Alec, amusé, en prenant une serviette en papier sur la table voisine pour s’essuyer.

Fred rit encore :

« Argument recevable ! »

Alec posa son verre et se leva :

« Bon, je vais rincer ça, je reviens.

– Fais donc ! »

Alec gagna les toilettes de la grande salle des fêtes, louée pour l’occasion, pour nettoyer sa chemise.

Il y avait déjà un moment qu’il avait laissé tomber la veste et la cravate. Le vin d’honneur, qui avait eu lieu sous les Halles du village, avait été très chaleureux et pas qu’au sens figuré. Le soleil cognait vraiment fort. Il n’y avait pas eu de souci, personne pour déranger, même s’ils n’avaient pas échappé à quelques blagues bien lourdingues de quelques personnes persuadés d’être originales et pas méchantes en parlant des mariés au féminin ou autres joyeusetés de ce type.

Puis, les invités avaient rejoint la salle des fêtes, en plus petit comité, pour la soirée et le buffet.

Alec enleva sa chemise et se mit à la rincer. Vu le temps, elle serait sèche assez vite…

« Oh, Alec à moitié à poil rien que pour moi, j’ai de la chance… »

Alec regarda qui avait dit ça et fronça un sourcil un instant avant de sourire finalement en reconnaissant le beau jeune homme brun et souriant, lui aussi, qui le regardait, appuyé contre le cadre de la porte. Un jeune cousin de Fred qu’il connaissait de longue date, mais n’avait pas vu depuis un moment.

« C’est toi, Ugo ?

– Et oui !

– Waouh, ça faisait un bail. Comment vas-tu ?

– Vachement mieux que quand tu m’as récupéré bourré, sur le point de me foutre en l’air et que tu m’as trainé chez Sig pour qu’il s’occupe de mon cas.

– Je vois ça. C’est plutôt une bonne nouvelle ! »

Alec essora sa chemise et eut un sourire en sentant Ugo caresser son dos, puis s’y blottir, l’enlaçant au passage.

« Dis donc toi, tu serais pas en train d’essayer de me chauffer, petit pervers ?

– Oups, ça se voit tant que ça ? rigola Ugo sans le lâcher.

– Un peu, j’avoue.

– Manquerais-je de subtilité ? rigola encore le garçon.

– Une bolinette.

– Hmmm… »

Il y eut un silence avant que le garçon ne reprenne d’une voix plus hésitante ;

« En fait, j’avais… J’avais un service à te demander… »

Alec attendit sagement, flairant sa chemise qui sentait encore un peu le vin. Il la rinça à nouveau alors qu’Ugo expliquait :

« Je pars pour les States dans une semaine… J’ai obtenu une bourse pour aller passer deux ans là-bas pour mes études…

– Félicitations.

– … Merci. … Je n’ai jamais vraiment pu te remercier… Pour ce que tu as fait…

– J’ai rien fait d’extraordinaire. » dit Alec en essorant à nouveau sa chemise.

Il sentit Ugo trembler dans son dos :

« Si. Tu m’as sauvé la vie, ce jour-là. J’étais vraiment parti pour en finir…

– Tu ne l’as pas fait.

– Parce que tu m’as arrêté.

– N’importe qui l’aurait fait.

– Pas le connard qui venait de me jeter…

– Un point pour toi, je reformule : n’importe quel être humain l’aurait fait. »

Ugo eut un petit rire.

« T’es gentil, Alec.

– Il parait.

– Je voudrais euh… J’aimerais beaucoup… »

Le garçon cherchait ses mots et Alec n’avait pas besoin de le voir pour le deviner rouge comme une pivoine.

« … J’ai jamais fait l’amour et j’aimerais bien euh… Avoir ça de moins à gérer là-bas… Alors, si tu voulais bien… »

Alec avait fermé les yeux un instant avec un sourire :

« Rappelle-moi, t’as quel âge ?

– 19…

– T’es sûr que c’est ce que tu veux ?

– Oui. »

Alec secoua sa chemise.

« Tu veux vraiment te donner à un mec que tu connais à peine pour ta première fois ?

– Tu vas me dire qu’il faut que j’attende le mariage ?

– Non, aucun risque. Mais je veux pas que tu te sentes obligé au nom de je sais pas quel devoir de reconnaissance à la con. Tu ne me dois rien. »

Ugo le lâcha alors qu’il se retournait pour le regarder. Rien de dire que ce garçon était bandant. Et Alec n’avait rien contre les coups d’un soir, même avec des personnes bien plus jeunes que lui, tant qu’elles étaient consentantes, majeures et à peu près vaccinées.

« Je sais… Et c’est pas pour ça… J’ai confiance en toi. Vraiment. Je suis pas amoureux de toi, je sais que tu l’es pas de moi non plus. Ce serait juste pour cette fois… Je te jure qu’il n’y aura rien après… Mais je voudrais simplement… Te donner ça avant de partir… »

Alec eut un soupir en renfilant sa chemise :

« Tes parents sont au courant ?

– Mes parents ne veulent rien voir. À chaque fois que j’ai essayé de leur en parler, ils ont fait genre j’entends rien ou on verra plus tard… Je leur dirais rien, de toute façon, j’ai pas envie qu’ils le sachent…

– Bon. »

Alec caressa la tête et la joue du garçon :

« Par contre, hors de question qu’on fasse ça ici et maintenant. »

Le garçon rougit alors qu’Alec se penchait pour lui murmurer à l’oreille :

« Parce que tu mérites bien mieux pour débuter qu’un coup tiré dans des chiottes…

– Ah euh… Oui…

– Donc, on va trouver un prétexte pour que tu viennes avec nous au Domaine… Et on règlera ça dans mon lit. »

Ugo sourit, soulagé :

« Merci…

– Tu me remercieras après. Par contre, je veux ta parole que si tu changes d’avis, tu me le diras. Y a aucun souci si tu ne veux plus, parce qu’il faut vraiment que tu le sentes.

– Promis ! opina vivement le garçon.

– T’as ton permis ?

– Euh… Oui ?

– Parfait, alors bois pas trop, ça sera facile d’argumenter que tu nous accompagnes pour ramener la deuxième voiture, comme ça. Et puis crois-moi, tu profiteras mieux si t’as les idées claires. »

Ils retournèrent dans la salle, tranquillement, et Ugo alla danser alors qu’Alec rejoignait Fred qui n’avait pas bougé.

« Ca y est, tout propre ?

– Ca fera pour la fin de la soirée… Ton mari danse toujours avec sa sœur ?

– Ah ben 15 ans à rattraper.

– C’est vraiment super qu’elles soient venues…

– Ouais. Sérieux, j’aurais jamais cru… Ils avaient jamais répondu à aucun de ses courriers, aucune de ses cartes de vœux, rien…

– De bon catho bien réac’, hein…

– Ben de base, il parait même qu’ils lui en voulaient d’avoir fait psychiatrie…

– Ah ?

– Ouais parce que c’était n’importe quoi, les psys c’est des escrocs, les dépressifs ils ont qu’à bouger leur cul, les anorexiques se mettre à bouffer, les boulimiques se mettre à la diète, tout ça tout ça… Et les vrais fous dangereux, camisole dans un coin et c’est plié.

– Ah ouais quand même…

– Ca doit être cool de vivre dans un monde si simple.

– Grave, tu sais quelle planète c’est ? Je veux bien y aller…

– Je demanderai. »

Il y eut un silence, puis Alec reprit, l’air de rien :

« Dis donc, j’ai croisé Ugo aux WC, c’est un beau petit mec, maintenant.

– Ouais, t’as vu ça ? Il va vraiment mieux, ça fait plaisir… Ca faisait un moment que tu l’avais pas vu, non ?

– Ben depuis que je l’avais chopé sur le pont pour le traîner chez ton homme… Ca fait quoi, trois-quatre ans ?

– Truc comme ça… Mais ça va, là. Il part aux États-Unis, je sais pas s’il t’a dit ?

– Oui, vite fait.

– Ca va lui faire du bien, c’est toujours assez tendu avec ses parents… C’est des sacrés autruches. Couper un moment, ça va leur permettre de réfléchir un peu.

– Ca peut aider. »

Alec soupira. Il ne savait pas trop s’il pouvait dire à son vieil ami ce que lui avait demandé son jeune cousin. Fred soupira aussi :

« On a quand même du cul que nos parents à nous nous aient pas fait chier avec ça…

– Grave.

– C’est con que les tiens aient pas pu rester ce soir…

– Ah ben papa arrêterait 5 minutes de se péter le dos aussi… Déjà cool qu’on les ai vus au vin d’honneur…

– Ouais, il a fait quoi encore ?

– Oh ben encore le toit, je crois…

– ‘Faudrait qu’on se prenne un WE pour aller le refaire une fois pour toutes…

– Ouais. ‘Faudrait.

– Mais pas ce WE.

– Nan. Pas ce WE… »

Un peu plus tard, Sig vint chercher son mari, c’était l’heure de couper le gâteau et d’ouvrir les cadeaux.

Ils accomplirent la première tâche dans la bonne humeur, distribuant les parts de fraisier, de forêt noire ou de tarte au citron meringué avec talent. Même Alec ne trouva rien à y redire. Puis, pendant que les invités mangeaient, ils se firent un devoir d’ouvrir et lire les cartes qu’on leur avait laissé dans l’urne prévue à cet effet.

N’ayant pas besoin de rien de précis, les deux hommes avaient juste demandé un petit coup de main financier pour le voyage de noces qu’ils voulaient se payer. Les petits mots étaient sympathiques et tout se passa bien jusqu’au moment qu’Alec attendait, celui où ils ouvrirent l’enveloppe qu’il avait glissé dans l’urne de la part de Matteo. Comme il l’avait promis à son jeune patron, il filma ça avec soin et la tête que firent les deux jeunes mariées valait vraiment d’être immortalisé.

Il eut du mal à ne pas trop trembler en se retenant de rire alors que les deux hommes le regardaient, séchés. Il se défendit vivement :

« Je n’y suis pour rien ! Promis ! »

Fred et Sig pensaient pouvoir partir quatre ou cinq jours en Italie ou en Espagne…

Matteo leur offrait une croisière de dix jours en Méditerranée.

« Toutes mes félicitations pour vos noces. Je m’excuse de ne pas être parmi vous et j’espère que ceci vous aidera à me pardonner. ^^ Profitez bien de la fête et du reste ! Bien amicalement, Matteo Ségard »

Fred finit par secouer la tête avec un soupir, finalement amusé :

« Ton petit patron est un grand malade, Alec !

– Un gentil grand malade, le corrigea Sig. Et surtout quelqu’un de très généreux. »

Un peu plus tard, ce fut la fontaine de champagne et ce dernier coula donc à flot. Sig et Fred se firent un devoir de faire un tour pour trinquer avec un peu tiout lem onde, et arrivé à Alec, ils lui dirent :

« A la santé de Matteo aussi.

– Merci pour lui. Il m’a envoyé un texto de félicitations pour vous, regardez… »

Alec leur montra une photo de Matteo, Gwen et Julia portant un toast à la petite table d’un bar de plage. Le message disait :

« Tous nos vœux pour cette belle journée. »

 

Chapitre 42 :

Ugo se réveilla tranquillement et soupira sans ouvrir les yeux. Émergeant paisiblement, il enfonça son visage dans le gros oreiller moelleux qu’Alec lui avait fourni en s’étirant, tout sourire.

Waouh.

Sa plus grande peur, désormais, allait être de ne pas réussir à trouver un amant capable de lui faire prendre son pied autant qu’Alec l’avait fait. Pas qu’il soit tombé raide dingue de lui entre deux orgasmes et que ça lui ait fait renoncer à ses études outre-Atlantique, mais bon sang… Waouh.

Cette idée le fit rire tout seul et il finit par ouvrir les yeux.

Sans surprise, il faisait grand jour et il était seul dans le lit. Il se redressa sans grande énergie, prit son portable sur la table de nuit pour regarder l’heure : 10h37. Bon, ça faisait une petite nuit, mais rien d’insurmontable, surtout à son âge.

          Et puis, ce qu’il avait vécu était quand même vachement plus intéressant que dormir !!

Il se leva lentement, en se disant qu’il n’avait pas mal, plus une sensation un peu bizarre, inhabituelle, mais pas vraiment douloureuse. Il fallait dire qu’Alec l’avait préparé très longuement et avec un soin plus qu’appréciable.

Il ramassa ses vêtements, sourit en voyant qu’Alec lui avait sorti un t-shirt propre et alla quand même se rincer un petit coup avant de s’habiller et de redescendre.

Il ne se perdit pas trop et finit par entendre des voix. Se guidant à elles, il arriva dans le grand salon et de là, sur la terrasse où une table avait été dressée et où les jeunes mariés déjeunaient tranquillement au soleil avec la grand-mère et la sœur de Siegfried. Les chiens étaient là aussi et Caramel l’accueillit joyeusement.

« Ah, ben le voilà ! le salua Fred. Tu voies, Alec, pas besoin de seau d’eau, finalement.

– Tant mieux, c’est pénible à faire sécher, les matelas. »

Alec se leva :

« Salut Ugo ! Bien dormi ? Qu’est-ce que tu prends ?

– Bonjour… Très bien, merci, et si t’as un petit café, ça m’ira très bien.

– Je vais te préparer ça, assis-toi. »

Ugo obéit alors qu’Alec rentrait, Caramel sur les talons.

Si Fred et Sig se doutaient de quelque chose, ils ne dirent rien, se contentant de remercier le jeune homme d’avoir ramené la 2e voiture. La petite troupe déjeuna dans la bonne humeur et se prépara tranquillement avant de rejoindre tout le monde à la salle des fêtes toujours louée pour y finir les restes et profiter encore d’un peu de temps tous ensembles.

Ce fut une très agréable journée et si les deux Allemandes durent repartir assez tôt dans l’après-midi, ce ne fut pas sans avoir promis à Sig de ne plus jamais se reperdre de vue ainsi.

Il était près de 19h lorsqu’ils finirent de tout ranger. Il restait les mariés, les parents de Fred, Alec, Mina, Jeff et Jojo. Alec invita tout ce petit monde à faire un barbecue au Domaine, ce qu’ils acceptèrent volontiers.

Ils s’installèrent donc sur la terrasse, ombragée à cette heure-là. Alec et Fred s’occupèrent de sortir et d’allumer le barbecue pendant que les autres préparaient sagement les brochettes sur la table.

La mère de Fred, voulant donner les chutes de viande aux chiens, fut très surprise de constater que ses derniers n’y touchaient pas et qu’ils ne la mangèrent que quand Alec en personne les y autorisa.

« Eh ben ! Ça, c’est des chiens bien dressés ! lâcha Jeff, impressionné aussi.

– Ce sont des chiens de garde, lui répondit Alec. Il ne faut pas qu’ils acceptent à manger de n’importe qui, les droguer ou les empoisonner serait très facile. Bon, je vous laisse un instant, il faut que j’aille voir si les chevaux vont bien.

– Ooooh, je peux venir ? demanda Mina. Depuis le temps que tu en parles ! »

Finalement, à part Fred et son père, tout le monde vint voir les chevaux.

Ces deux derniers étaient dans leur pré. La jument broutait tranquillement et le mâle vint voir les visiteurs, trottant. Il avait l’air un peu énervé. Alec expliqua à ses amis qu’il n’avait pas pu le sortir de la semaine, à cause des orages et de la préparation du mariage.

« Il est habitué aux balades… Ils le sortaient pas mal là où ils étaient. »

Il flatta le cheval et lui promit qu’ils feraient une longue promenade le lendemain.

La soirée fut très sympathique. Vers 23h, Alec les laissa rentrer avant d’aller se coucher lui-même, aussi content que fatigué de son WE.

Le lendemain, il fit comme promis une très longue promenade avec le cheval. Sa compagne était plus casanière. Son pré lui suffisait.

La semaine passa sans heurts. Il profita d’être encore seul pour bien s’occuper de son potager, faire du rangement à la cave, reteindre quelques vieux meubles, bref, il s’occupa sagement.

Matteo l’appela le vendredi soir. Ils étaient bien rentrés en France, tout allait bien.

« Ça a été super !

– Content de vous retrouver en si bonne forme.

– Merci ! Tout va bien, de ton côté ?

– Très bien.

– Grand-Tatie et Julia voulaient savoir si elles pouvaient rentrer avec moi pour venir passer leurs vacances au Domaine ?

– Oh, oui bien sûr, sans problème. Quand pensez-vous arriver ?

– On se laisse jusqu’à dimanche pour nous remettre du décalage horaire. Si ça te va, on arrive lundi ?

– Sans problème, répéta Alec. Vraiment, comme vous voulez.

– Bon, ben lundi, alors. On te rappellera pour te dire l’heure du train.

– D’accord.

– Sinon, ça va, toi ? Tu as pu bien te reposer, aussi ?

– Oui oui, ne vous en faites pas. Je vais bien, les chiens vont bien, les chevaux vont bien, les tomates et les fraises vont bien et je crois que même les araignées de la cave se portent comme un charme. »

Matteo rit doucement :

« Ah, ben si même les araignées vont bien, on est sauvé !

– N’est-ce pas. »

Ils rirent tous deux et Matteo reprit gentiment :

« Bon, ben je t’embête pas plus, Alec. On te redira pour le train ! Bon weekend en attendant !

– A vous aussi, reposez-vous bien. »

Alec raccrocha. Il était à la cuisine, en train de préparer son dîner, et il regarda Caramel, couché non loin de lui.

« Ton maître va bientôt revenir, Caramel. »

Caramel le regarda et remua la queue, et Alec aurait été bien incapable de dire s’il était juste content qu’il lui ait parlé ou s’il l’avait compris.

Il était 15h27, le lundi suivant, lorsque le TGV entra en gare à la Part-Dieu. Alec attendait sur le quai avec un chariot pour les valises et Caramel en laisse. Le chien était assis sagement, un peu nerveux de tout ce monde et tout ce bruit. Il regardait autour de lui et flairait l’air. Alec le tint fermement lorsque le train arriva, car le bruit lui fit peur. Il se leva brusquement et aurait sans doute filé sans demander son reste s’il avait pu. Il couina et Alec s’accroupit pour le caresser, rassurant :

« Ça va, ça va, sage. »

Le train s’immobilisa et les portes s’ouvrirent. Alec s’approcha de celle d’où devaient logiquement descendre les voyageurs et un cri lui indiqua que c’était la bonne :

« Carameeeeeeel !!! »

Alec sourit et se permit de lâcher le grand chiot qui lui aurait sans doute arraché la laisse des mains dans le cas contraire, de toute façon.

Il rejoignit plus tranquillement un Matteo radieux, accroupi pour serrer son chien dans ses bras, et salua aimablement Gwendoline et Julia :

« Mesdames, c’est un plaisir de vous voir. Soyez les bienvenues, le voyage s’est bien passé ? »

Il commença à poser les valises sur le chariot. Matteo continuait à câliner un Caramel fou de joie :

« Oui tu m’as trop manqué aussi… »

Julia rigolait et Gwendoline répondit :

« Oui, oui, très bien… Tout s’est parfaitement bien passé. Et ici, tout va bien, parait-il ? »

Alec opina du chef :

« Très bien. À part votre cheval qui boude un peu parce que tout seul, je ne le promène pas assez à son gout. Votre présence va palier ça un moment, j’imagine. »

Matteo se releva enfin, radieux et la laisse bien en main.

« Bonjour, Alec ! C’est gentil d’être venu avec lui !

– Je vous en prie. »

Ils repartirent. Alec les guida jusqu’à la voiture qui attendait sur le parking, en plein soleil, mais Dieu merci, elle était climatisée. Matteo monta à l’arrière avec sa grand-tante et Caramel, qui se coucha à moitié entre eux, à moitié sur les genoux du jeune homme, Julia à l’avant et Alec prit le volant.

La route se fit sans encombre. Les trois autres chiens furent très heureux de revoir Matteo aussi.

Alec les laissa se poser et leur fit un bon dîner qu’ils purent manger sur la terrasse. Salade du jardin avec de bonnes brochettes à la viande marinée. Puisqu’il les faisait au barbecue près d’eux, il se fit invité à manger sa part en leur compagnie, ce qu’il accepta sans trop se faire prier. Ils lui racontèrent leur voyage et lui montrèrent pas mal de photos. Lui leur raconta le mariage et leur montra la vidéo de l’ouverture de l’enveloppe, qui fit bien rire Matteo.

« Tu sais s’ils sont déjà partis ?

– Oui, comme ils avaient pris trois semaines après le mariage, ils sont partis vendredi. Ils étaient vraiment très heureux. Je pense qu’ils vont vous ramener un beau cadeau.

– Oh, c’est pas pour ça que je leur ai offert ça…

– Je sais, mais ils ont le droit d’être reconnaissants. »

Alec les laissa aller se poser devant un film pendant qu’il débarrassait la table et rangeait le barbecue.

La vie reprit ainsi paisiblement son cours au Domaine.

Matteo était cette fois vraiment guéri, définitivement débarrassé de ses médicaments et retapé par son voyage. Alec était très heureux de le voir comme ça et Gwendoline et Julia lui avouèrent qu’elles l’avaient enfin retrouvée.

Léon Ségard passa quelques jours, rapidement, toujours aussi pris.

Lou avait eu son bac et se vit invitée à passer quelques semaines là avant d’attaquer la fac. Elle arriva fin juillet.

Matteo se fit un plaisir de lui apprendre à monter à cheval pour qu’ils puissent aller se promener tous les deux.

Alec surveilla ça de loin, les laissant faire. Elle se débrouillait bien et Matteo prit tout le temps nécessaire, dans le pré, avant d’aller se promener dehors avec elle.

Les deux jeunes gens s’entendaient toujours aussi bien, aussi bien entre eux qu’avec lui. D’ailleurs, il ne se passa pas longtemps avant qu’elle ne refasse une razzia dans sa bibliothèque. Alec la laissa faire, amusé. Il se demandait si Matteo lisait aussi les yaoi qu’elle lui empruntait. Mais sans doute pas, il y avait peu de jeune homme que ça intéressait. La plupart étaient dégoutés rien qu’à la jaquette. Il s’estimait plutôt heureux que Matteo ne l’ait pas repoussé, lui, d’en avoir.

Il était loin de se douter que si, si, Matteo les lisait aussi et avec une grande attention.

Bref, l’été passa ainsi très sereinement.

Léon Ségard repassa en aout, désireux de voir avec son petit-fils ce que ce dernier désirait faire, car la rentrée approchait.

Ils firent un point, un soir au dîner. Ils étaient dans la salle à manger cette fois, car il y avait de l’orage dans l’air.

Matteo ne souhaitait pas retourner au pensionnat. Suite aux soucis qu’il avait eus là-bas, Ben n’avait pas eu son bas et y serait encore. Matteo ne pouvait pas le dire comme ça à son grand-père, mais il parvint à lui faire comprendre qu’il ne voulait pas y retourner.

« Soit, si tu veux… Mais je ne sais pas trop ce qu’il y a comme lycée par ici…

– Sinon, je pensais prendre des cours par correspondance ?

– Ah, oui, c’est aussi une solution… Mais tu ne vas pas te sentir trop seul ?

– Je pense pas… Je suis bien, ici, tu sais. Et puis au pire, un lycée, ça peut s’intégrer en cours d’année… »

Alec revint à ce moment leur apporter le fromage. Léon lui demanda :

« Ah, Alec… Tu sais ce qu’il y a comme bons lycées, dans le coin ?

– Grand Père ! grogna Matteo, sourcils froncés.

– Non, mais c’est juste au cas où, ne t’en fais pas…

– Euh, j’ai plutôt de bons souvenirs du mien.. Mais bon, depuis le temps, ça a pu changer… répondit Alec. Je me renseignerai, si vous voulez…

– Merci. Et sinon, Matteo voulait prendre des cours par correspondance ?

– Oh, ça, sans problème… sourit Alec. Si vous voulez, il y a même une prof retraitée qui fait des cours particuliers, dans le coin. Je ne sais plus trop les matières, mais elle pourrait peut-être vous chapeauter ? »

Matteo fit la moue. Pas qu’il ait très envie d’être malmené par une vieille acariâtre, mais d’un autre côté, ça lui fournirait un cadre pour le forcer à travailler.

Son grand-père venait de se dire la même chose et hocha la tête :

« Ça me paraitrait un bon compromis. »

Matteo hocha la tête à son tour :

« Oui, on peut essayer… »

 

Chapitre 43 :

« ‘Commence à sérieusement me peser sur les valseuses le banquier… » grogna Alec dans sa barbe en retournant dans sa cuisine, furieux.
Il serrait les poings et claqua presque la porte en rentrant dans la pièce.
Il se massa les tempes pour se reprendre un peu et réfléchit un instant, ses mains jointes devant son visage. Il prit son téléphone en inspirant un coup.
Il n’avait pas raccroché, un moment plus tard, lorsque la porte de la cuisine s’ouvrit alors que Matteo criait :
« NON, Caramel ! »
Le grand chiot se tapit et couina, alors que le garçon continuait aussi strictement :
« On ouvre pas les portes comme ça, on attend ! »
Le voyant, Alec, grave, dit à son invisible interlocuteur :
« On va faire comme ça, je vous rappellerai. Merci. Bonne journée. »
Il raccrocha et se tourna vers Matteo qui le regarda, ennuyé :
« Vraiment désolé… Il est intenable depuis qu’il sait ouvrir les portes…
– Ce n’est pas grave, soupira Alec. Il faut juste le dresser là-dessus. Il est très intelligent, ça ne devrait pas être un souci longtemps. Puis-je quoi que ce soit pour vous ? demanda-t-il ensuite sans grande énergie.
– Oui, enfin dis-moi ? La dame vient cet après-midi, je voulais savoir si on pouvait s’installer sur la terrasse ? Il fait beau, ça serait plus sympa qu’être enfermé au salon, pour un premier contact ?
– Effectivement.
– Mais bon, je sais que la table est sale à cause de l’orage, donc je ne sais pas si tu as le temps de la nettoyer ?
– Ça peut se faire, à quelle heure vient-elle, rappelez-moi ? »
Matteo croisa les bras :
« Ça ne va pas, Alec ? »
Le régisseur le regarda un instant, surpris, puis eut un sourire gêné :
« Toutes mes excuses…
– Hein ? sursauta Matteo.
– Je n’ai pas à laisser mes émotions transparaître devant vous, je suis désolé. Je vais m’occuper de la table, bien sûr, ne vous inquiétez pas. C’est une bonne idée de vous rencontrer sur la terrasse, ça sera moins formel. »
Matteo fronça les sourcils :
« Alec, tu n’as pas à t’excuser d’être un humain doué de sentiments et tu n’as pas répondu à ma question. »
Le régisseur se raidit, comme pris en faute.
« … Euh…
– Qu’est-ce qui ne va pas ? » répéta fermement le jeune homme.
Caramel, entré derrière lui tout penaud, se redressa et couina, se demandant ce qui se passait.
« Je euh… Je suis navré… En fait… Je ne sais pas trop si vous euh… » bredouilla Alec.
Il se gratta la tête :
« Disons que votre grand-père vient de prendre une décision que je désapprouve totalement… Mais que ce n’est pas censé être vraiment mon problème… Et que je ne sais même pas si vous-même êtes au courant… Donc bon… »
Matteo releva un sourcil :
« De quoi ?
– Ben euh…
– Alec ! soupira Matteo en levant les yeux au Ciel et refronçant son deuxième sourcil.
– Il veut changer de notaire… »
Matteo sursauta et le regarda avec des yeux ronds :
« Quoi ?!… Pourquoi ?
– Il semblerait que ce soit sur demande de votre banquier qui juge qu’il tente de freiner la délocalisation et le reste… »
Matteo fronça à nouveau les sourcils et réfléchit un moment. Il regarda Alec rapidement et hocha la tête :
« Je vais voir, tu m’inquiètes… Je te laisse gérer la table ?
– Oui, je vais la laver…
– Merci. »
Alec regarda le garçon repartir, surpris. Bon… Si jamais il pouvait intervenir… ? Ca ne pouvait probablement pas nuire ?
Matteo repensait à ce que lui avait dit le notaire et cette histoire ne lui disait rien de bon.
Il toqua à la porte du bureau de son grand-père et sursauta en entendant :
« Quoi ?! »
Il entra prudemment :
« Euh, ça va, Grand Père ?
– Oh ! Pardon, Matteo…
– Décidément, c’est quoi ce bazar ? rigola presque le jeune homme en le rejoignant. Tu t’es pris le chou avec Alec pour de vrai ?
– Oh, tu es au courant…
– Ah ben vu la tête qu’il faisait… C’est quoi, cette histoire avec le notaire ? »
Léon Ségard fronça les sourcils :
« Qu’est-ce qu’il t’a…
– STOP ! »
Au tour du vieil homme de sursauter alors que son petit-fils croisait à nouveau les bras et jetait plus que fermement :
« On commence pas, Alec n’a rien dit du tout, à part que le banquier t’avait demandé de changer de notaire. Il n’a en rien essayé de m’influencer et merci de considérer que j’ai de toute façon mon propre cerveau qui marche très bien. Je redemande : c’est quoi, cette histoire ? Maître Bisson m’a paru tout à fait honnête et fiable. Son cabinet gère nos affaires depuis un siècle et demi. Alors qu’est-ce qui se passe pour que comme ça pouf, ça n’aille plus au point de changer ?
– …
– Grand Père… »
Matteo vint s’asseoir et reprit plus doucement :
« Grand Père, excuse-moi d’être rude, mais je ne t’ai jamais vu aussi fatigué et aussi stressé ? Je suis inquiet pour de vrai. Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu te mets une telle pression, ou qui te la met ? C’est si vital de délocaliser l’usine si vite ? On est dans le rouge à ce point ?… S’il y a besoin de mon héritage…
– Non ! » répondit le vieil homme dans un sursaut.
Il regarda son petit-fils, intrigué :
« Non, rien à voir, nous n’avons jamais été dans le rouge…
– Ben alors pourquoi tu veux délocaliser ?…
– Je ne voulais pas, à la base. Mais c’est la condition que la banque a mis pour l’entrée en bourse.
– Ah. Et tu pouvais pas lui dire non ?
– Jean-Paul Monsan a 35% des parts de l’entreprise, comme moi. C’est un très vieil associé, sa banque nous a toujours été fidèle.
– Je vois pas le rapport mais OK. Sa banque, OK. Mais lui ?
– Quoi, lui ? »
Matteo grimaça. Il finit par dire :
« Il a l’air bien pressé. Est-il vraiment prudent ?
– Qui t’a dit ça ?
– Grand Père, encore une fois, j’ai mon propre cerveau. Et pardonne-moi, mais j’aurais plus tendance à faire confiance à un notaire qui me conseille la prudence qu’à un banquier pressé. Surtout quand le premier a fait l’effort de venir aux funérailles de mes parents alors que ton très vieil associé…
– Il était en déplacement !
– Même pas une couronne de fleurs ?
– …
– Grand Père… Je sais que c’est un peu abrupt, mais… Est-ce que tu pourrais m’expliquer ce qui se passe, comment ça marche ?
– Ça t’intéresse ?
– Ben… Je te l’ai dit, tu m’inquiètes… Tu vas sur tes 69 ans, quand même… Il est peut-être temps que tu lèves un peu le pied ? »
Cette fois, Léon Ségard sourit :
« Ne t’en fais pas, ça va. Je suis bien secondé. Je te l’ai déjà dit, Édouard et Laetitia font du bon travail.
– Ce n’est pas ça que je te demande. Si je peux t’aider ? Après tout, je dois prendre ta suite, non ? Il serait peut-être temps que je m’y mette ?
– Est-ce vraiment ce que tu veux ? »
Il y eut un silence pendant lequel le garçon regarda son aïeul, clignant des yeux, intrigué :
« Comment ça ?
– Matteo, la délocalisation et l’entrée en bourse vont permettre la mise en place d’une rente confortable qui t’est principalement destinée. Je veux que tu fasses ce que tu veux et ce qui te plaît. Que tu profites de ta vie sans avoir à gérer tout ça. Des personnes compétentes peuvent le gérer pour toi, les personnes avec qui je travaille, ou d’autres après eux. Ce ne sont pas des choses dont tu es obligé de t’occuper. »
Matteo cligna encore des yeux. Il n’avait pas vu les choses sous cet angle. Il avait toujours été évident pour lui qu’il devrait un jour reprendre la gestion de l’entreprise… Certes, il avait regardé ça de loin, mais il avait l’envie sincère de s’y mettre désormais.
Son grand-père lui paraissait vraiment vieilli d’un coup. Il avait été choqué et surpris lorsqu’il était revenu. Il ne l’avait pas pourtant pas perdu de vu si longtemps ? Était-ce la chaleur de l’été, la fatigue, ou l’âge qui le rattrapait ? Il était vraiment inquiet et ça l’avait fait réfléchir. Il était peut-être temps qu’il prenne ses responsabilités ?
Il avait hésité plusieurs jours, mais cette histoire avec le notaire l’avait décidé.
« Tu veux dire quel lorsque tu prendras ta retraite, je ne devrais pas obligatoirement prendre ta suite ?
– Exactement.
– Ah.
– Tu as l’air surpris ?
– Euh, ben oui. C’est pas comme si on gérait pas ça nous-même depuis le début, je me trompe ?
– Non, mais les temps changent. »
Matteo réfléchit un instant, puis grimaça avant de regarder à nouveau son grand-père :
« Est-ce que c’est… Parce que tu penses… que je n’y arriverais pas ?
– Non ! »
Léon Ségard eut un petit rire :
« Bien sûr que tu en serais capable ! Tu manques d’expérience et il faudrait te former, mais tu en es parfaitement capable ! D’ailleurs, si vraiment tu le veux, rien ne t’en empêchera.
– Ah… »
Matteo se sentit soulagé.
« Je voulais t’éviter d’y être forcé, mais si tu veux reprendre les rennes, il n’y a pas de souci.
– Ben, je sais pas trop, là… Mais laisser ça à des étrangers, ça me branche pas trop non plus, en fait… C’est quand même notre patrimoine familial… C’est important. J’ai pas envie que ça devienne n’importe quoi… C’est pour ça que je me demande si changer de notaire, c’est une bonne idée ?
– Jean-Paul en a de très bons.
– Admettons, mais ça va prendre du temps, de changer, non ?
– Un peu, mais comme il dit, après, nous serons tranquilles. »
Matteo restait sceptique. Il tenta d’autres arguments, mais la décision de son grand-père était prise et ça lui laissait un goût amer. Il y avait vraiment des choses bizarres dans cette affaire…
Lorsqu’ils allèrent déjeuner, la table les attendait et Alec semblait tout à fait égal à lui-même. Il les servit et si Matteo lui vit très clairement trembler lorsque son grand-père lui demanda d’aller poster dès l’après-midi, et en recommandé, le courrier pour signifier au notaire la fin de leur collaboration, mais il hocha la tête sans dire.
Matteo avait vraiment mal au cœur. Il avait l’impression de trahir le notaire… Il se dit qu’il faudrait qu’il l’appelle…
Alec se rendit donc au village. Plus tard, lorsque la vieille professeure en retraite, une sexagénaire toute ronde et joviale, vint pour voir avec Matteo et son grand-père ce qu’elle pouvait pour le jeune homme, il leur servit posément café et cookies avant d’aller travailler dans le parc. Les orages et le vent avaient abimé pas mal d’arbres. Il passa un bon moment à ramasser des branches cassées.
Il en brûlait une partie lorsque Matteo le rejoignit :
« Alec ? Ça va ?
– Oui, oui… »
Le régisseur secoua son feu.
« Ça va… Ne vous approchez pas trop… »
Matteo le regarda. Alec était en débardeur, en sueur, ce qui était loin d’être un spectacle désagréable. Pourtant, le garçon se sentait toujours mal et n’en profita pas tant que si ça n’avait pas été le cas.
« Je suis désolé de ne pas avoir réussi à faire changer Grand Père d’avis…
– Ce n’est pas grave. Merci d’avoir essayé. »
Alec secoua encore son feu.
« Ça s’est bien passé avec Mme Bougon ?
– Oh ! Oui, elle est sympa ! C’est une ancienne prof à toi, il parait ?
– Il parait, oui. Mais ça me rajeunit pas… »

 

Chapitre 44 :

Alec essuya son front avec son bras et releva la tête pour regarder Fred, sur son échelle, au-dessus de lui. La restauration du toit de la chapelle avançait bien, il était content.

Il tint l’échelle quand Fred descendit. Le menuisier était content aussi, il regarda son œuvre avec un sourire, les poings sur les hanches :

« Ben c’est pas mal comme ça. »

Alec hocha la tête.

« Ouais, beau boulot. La charpente est nickel.

– Ouais, reste les tuiles à mettre, mais on verra demain. Je vais juste vérifier que la bâche tient bien dehors et ça sera bon pour aujourd’hui !

– Oui chef ! »

Ils sortirent tous deux alors qu’Alec soupirait en étirant ses bras :

« Cela dit, il n’y a pas de vent et ils n’annoncent pas de pluie cette nuit ni demain, donc ça devrait aller.

– Tout à fait, mais dans le doute, ça coute rien de bien protéger. ‘Manquerait plus qu’un oiseau ne pose là cette nuit !

– Oh, un petit nid dans ta charpente toute neuve, ça serait meugnon !

– Ben voyons, c’est toi qui le déloges ? »

Alec sourit. Fred détestait déranger des nids, ça lui brisait le cœur à chaque fois.

La vérification faite, les deux hommes retournèrent à la maison, à la cuisine, pour y être accueilli par Caramel et, sans surprise, Matteo n’était pas loin.

« Ah ? s’exclame le jeune homme, occupé à presser des citrons à la table. Vous revoilà déjà ? Je voulais vous apporter une citronnade. Tout va bien ? »

Les deux travailleurs échangèrent un regard et Alex répondit :

« Oui, tout est bon pour aujourd’hui. Il ne reste que les tuiles à remettre en place, nous ferons ça demain. Et merci euh… C’est gentil… La citronnade… »

Matteo sourit, amusé :

« De rien, c’est bien le moins que je puisse faire puisque je n’ai pas pu vous aider.

– Monsieur Matteo… commença Alec en levant les yeux au Ciel.

– C’était très gentil d’essayer, mais vous faire vraiment mal n’aurait servi à rien. » le coupa gentiment Fred.

Matteo fit la moue, mais ne répliqua rien. Il avait voulu les aider au début, mais n’avait réussi qu’à se faire mal au bras. Rien de grave, mais il avait préféré renoncer, car il avait bien vu que ça avait beaucoup inquiété Alec.

Du coup, il s’était contenté de suivre le chantier de loin, veillant à ce que les deux travailleurs fassent des pauses régulières en leur apportant donc régulièrement à boire et à manger. Il s’occupait même de préparer les repas du midi pour qu’Alec soit tranquille.

Certes, ça n’avait duré qu’une dizaine de jours, et au fond de lui, Alec était plutôt amusé et attendri de ce coup de main inattendu. Mais comme toujours, il culpabilisait de le faire travailler et avait dû lui faire jurer dix fois de ne pas en souffler mot à son grand-père.

Matteo versa le jus des citrons dans une carafe en disant, joyeux :

« Super ! Grand Père sera tout content de la voir toute neuve quand il viendra la semaine prochaine ! Et tout ça pile à temps avant les pluies d’automne !! Vous avez été super !! »

Les deux travailleurs échangèrent un regard, souriants. Octobre approchait et si septembre avait été clément, ça n’allait pas durer. Du coup, le chantier avait été classé urgent, retardant le billard. Fred était content que la pluie ne les ait pas retardé et d’avoir pu finir tout ça proprement et dans les délais.

Matteo ajouta un peu de sucre et de l’eau.

« Ah, Siegfried a appelé, dit-il. Il pense être là vers 19h. Ça vous laisse une heure pour vous préparer, si vous voulez prendre une douche ? »

Alec retint une petite grimace alors que Fred hochait la tête :

« Ça ne fera pas de mal… Mina sera là vers 19h30-20h, elle, c’est ça ?

– Aux dernières nouvelles, confirma Matteo. Elle ferme à 19h et elle vient après. »

Voyant Alec grommeler, Fred retint un gloussement et l’entraina :

« Bon, on va se doucher, mettez le citron au frais, on le boira après !

– D’accord ! » répondit gentiment Matteo.

Les deux hommes partirent. Fred récupéra son sac quand ils passèrent dans le hall, il avait des vêtements propres dedans. Alors qu’ils montaient, Alec grognait toujours et son vieil ami rigola.

« Putain, c’est pas drôle, Fred ! s’écria le régisseur.

– Ah moi je trouve que si.

– Quelle mouche l’a piqué, ton homme, de l’inviter ?

– Je ne sais pas, mais le connaissant, ce n’est pas innocent. »

Alec grogna encore. Fred haussa les épaules :

« Allez, zen, c’est juste un JDR…

– Ouais, ben j’aime jouer avec mes potes, pas avec mon patron…

– Tu t’expliqueras avec Sig… Mais je croyais qu’il t’avait demandé si ça te gênait ?

– Après avoir proposé à Matteo, donc je n’ai pas pu dire non…

– Ah. Oups. »

Alec le précéda dans son appartement, puis sous la douche. Il était contrarié. Sig l’avait pris de cours et il se doutait bien, connaissant l’intelligence du psychiatre, que ce dernier n’avait rien fait par hasard.

Tout en se rinçant rapidement, il restait grognon.

Organiser un jeu de rôle ici ne le dérangeait pas, ils l’avaient fait plusieurs fois. Sig était un master exceptionnel et ses parties de L’Appel de Cthulhu étaient aussi flippantes qu’inoubliables. Ils jouaient régulièrement, Fred, Mina et lui, c’était toujours de bons moments, de ceux qui faisaient leur amitié.

Pas qu’intégrer un autre joueur soit un souci, Jojo et Jeff, par exemple, quand ils étaient dans le coin, s’incorporaient naturellement à l’équipe. D’ailleurs, sur le papier, Matteo était plutôt un garçon ouvert et il allait sûrement bien s’insérer dans le jeu. Mais bon sang… Ça restait le petit-fils de son employeur et son futur patron !!

Jouer ainsi avec la distance qu’il devait garder devenait vraiment de plus en plus pénible pour lui.

Matteo était un jeune homme aimable, gentil, prévenant et avoir envie de le fréquenter plus avant, simplement de mieux le connaître, était naturel. Ses amis ne s’y étaient d’ailleurs pas trompés. Mais ça le mettait, lui, dans une position aussi ambiguë que désagréable. Matteo ne pouvait pas et surtout, ne devait pas, devenir son ami. Non seulement, ça aurait trahi la confiance que son grand-père, qui restait son employeur, lui portait, mais surtout, ça allait complètement fausser la donne le jour où lui deviendrait son employeur…

Alec sortit de la douche et laissa Fred y aller. Il alla dans sa chambre s’habiller pour la soirée.

Bon sang, mais qu’est-ce qui avait pris Sig de proposer à Matteo de jouer avec eux, sérieusement…

Les deux hommes redescendirent bientôt et retournèrent à la cuisine. Matteo n’y était plus et la citronnade attendait sagement dans le frigo. Fred s’assit à la table et laissa Alec le servir, puis le regarda sortir du frigo les pâtes et les garnitures pour faire des pizzas pour le soir. Il avait tout prédécoupé, parmesan, jambon, chorizo, oignons, poivrons, tomates, tout ça, et sa rapidité ne manquait jamais de surprendre, même son plus vieil ami.

« Je vais commencer à les faire cuire, froid ça ira pour manger en jeu…

– Sois pas si nerveux…

– J’aimerais bien ! »

Fred soupira :

« C’est quoi ton problème ? C’est juste un gamin sympa qui va jouer avec nous.

– … »

Alec soupira en saupoudrant la pâte enduite de coulis de tomates. C’était si difficile à expliquer… Si clair pour lui et si indicible…

« On est plus au XIXe, Alec…

– C’est pas si simple, Fred.

– On dira rien à son grand-père, t’en fais pas…

– Je sais, c’est pas vraiment ça le problème.

– T’as l’impression de le trahir à ce point ? Sérieux vieux, c’est juste un JDR… »

Alec grimaça. Le four était chaud, il enfourna la première pizza.

« Matteo va devenir mon patron, Fred. Et si on se rapproche trop avant ça, ça va être la merde, c’est tout.

– Oui, c’est ce que je dis, on est plus au XIXe, Alec, entretenir des rapports amicaux avec son boss, ça peut se faire. »

Alec grimace encore, sombre. Vu ce qu’il préparait, il ne pouvait pas devenir ami avec Matteo.

Si seulement il n’y avait pas eu la manufacture et sa délocalisation entre eux… Peut-être qu’il aurait pu. Mais là, ce qu’il s’apprêtait à faire allait bousculer trop de choses…

Il secoua la tête et se reprit. Après tout, Matteo n’avait rien à voir avec ça… C’était entre lui et Léon Ségard que les choses allaient devoir se jouer. Même s’il allait se retrouver en porte-à-faux entre eux, Matteo n’avait pas à souffrir de cette histoire outre-mesure.

« Alec ? »

Le régisseur sourit à son vieil ami. Même lui n’était au courant de rien… Et ça risquait de sacrément le surprendre.

On toqua à la porte de la cuisine et Matteo entra avec Sig. Ils gloussaient tous deux. Alec fit la bise à son ami et Fred se leva, tout sourire, pour aller étreindre son mari et lui faire un gros bisou de bienvenue. Le psychiatre répondit avec plaisir et Matteo rejoignit Alec :

« Tout va bien, tu as besoin d’aide ?

– Ça va, je vous remercie. Ça cuit. Tranquille. Il va falloir commencer à sortir les biscuits apéro et les chips… Si ça vous amuse, ils sont dans le placard, je vais aller chercher les boissons à la cave.

– D’accord !

– Bien, je vous laisse voir ça, alors. »

Fred accompagna Alec pour l’aider. Ils revinrent avec quelques bouteilles de jus de fruits et un pack de bières. Sig et Matteo étaient en train de parler de quel type de personnage pouvait jouer le jeune homme, tout en vidant les paquets de biscuits dans des bols et des saladiers.

« … Oui, j’ai des personnages tout prêts, mais ça n’est pas forcément le plus intéressant ?

– Bah, comme vous voulez… J’ai jamais joué, alors je ne sais pas trop ?

– Ben si ça vous dit, on peut regarder ça avant que Mina arrive ? »

Sig regarda Alec :

« Tu voulais qu’on s’installe où ?

– Dans le petit salon, si ça vous va ? Ça sera plus confortable que la table de la salle à manger, non ?… Et puis niveau ambiance, on est pas mal.

– J’approuve ce choix, opina Fred.

– Ça me parait bien aussi, sourit Matteo.

– Itou, valida Sig. Bien, venez alors, continua-t-il pour le jeune homme, on va aller se poser pour voir ça. »

C’est Fred qui alla ouvrir à Mina, un peu plus tard, car Alec était toujours dans ses pizzas. Caramel, resté dehors avec les autres, en profita pour rentrer.

Ils rejoignirent la cuisine, Mina y embrassa Alec, puis ils partirent tous trois, les bras chargés de boissons et de nourritures, pour rejoindre le petit salon où Sig finissait juste d’expliquer les règles à Matteo.

Tout le monde s’installa, Alec sur un fauteuil, Mina à côté de Matteo sur le canapé, Fred sur un autre fauteuil dès qu’il eut encore fait un petit bisou à son chéri, ce qui fit glousser Alec et Mina fit semblant de râler :

« Bon, ils nous lâchent avec leur bonheur à la guimauve, les jeunes mariés ? Ça devient vraiment collant, là ! »

Sig, sur le dernier fauteuil, lui tira la langue :

« Arrête ou je t’enlève des pex !

– Essaye et je retiens ta commande en otage six mois !

– Houlà, ça commence bien… rigola Alec. Je sers quoi à boire à qui ?

– Jus d’abricot ! dit Sig.

– Ah, le meujeu retombe dans son vice, rigola encore Mina avant de faire un clin d’œil à Matteo : Il est corruptible au jus d’abricot, note, ça peut servir.

– Je note ! » sourit Matteo.

Il avait été un peu surpris, lorsque son psychiatre lui avait proposé de venir jouer avec eux, un peu gêné aussi, et il avait eu peur de déranger, mais il se sentait finalement assez bien. Alec avait l’air plus mal à l’aise.

« Bien, commença tranquillement Sig en prenant le grand verre que lui tendait Alec, première règle ?

– Le meujeu a toujours raison, récitèrent en chœur et avec le même amusement Alec, Fred et Mina.

– Deuxième règle ?

– En cas d’erreur du meujeu, se référer à la première règle.

– Parfait.

– Mais le meujeu n’est pas incorruptible, ajouta Fred.

– Tout à fait. Alors commençons. Messieurs-dames, je vous laisse vous présenter.

– Alors, commença Mina, moi je suis Elie Vondenrosen, archéologue à l’université de Londres. Physiquement, imagine Lara Croft, dit-elle à Matteo sans même se rendre compte qu’elle l’avait tutoyé.

– Joséphine Brown, continua Fred alors que Matteo notait sur un coin de sa feuille de perso. Moi je suis une étudiante type poupée Barbie blonde, pétée de thunes qui étudie avec Elie et le professeur Smith. »

Matteo sourit, amusé, et nota aussi.

« Et moi, je suis le professeur Alister Smith, continua Alec, un petit quinquagénaire tout chétif, mais éminent archéologue.

– D’accord, opina le garçon. Moi je m’appelle Abraham Sheppart et je suis un étudiant américain qui vient de débarquer.

– Bien, reprit Sig. Si tout le monde est paré, nous allons commencer. »

Les quatre joueurs opinèrent de concert et le maître de jeu sourit :

« Vous êtes donc tranquillement à l’université, c’est un jour comme les autres, Alister est à la bibliothèque, Joséphine le colle, comme toujours, toi, Abraham, tu te balades dans le campus, encore un peu perdu… »

Fred lance un regard de midinette papillonnant à Alec qui ne fait mine de rien et Matteo se retient de rire. Pas Mina.

« … Elie, tu es à ton bureau lorsque le secrétaire t’apporte un colis qui arrive visiblement d’Égypte, de ton vieil ami le professeur Gluks, dont tu étais sans nouvelle depuis des semaines… »

 

Chapitre 45 :

« … Bien, on continue dès que Mattéo aura réussi à reprendre son calme… » dit Sig, amusé.

Ce qui n’eut bien sûr pour seule conséquence que de faire redoubler le fou-rire du garçon.

Il fallait dire, à la décharge du garçon, que Fred jouait incroyablement bien la jeune bimbo écervelée obsédée par l’idée de réussir à séduire son professeur et qu’Alec n’était pas moins doué pour jouer le dit-professeur, un brave homme tellement passionné par son travail qu’il ne remarquait jamais les tentatives d’approches pourtant plus que claires de la dite-bimbo. Ce qui était déjà très drôle et l’avait déjà beaucoup amusé pendant tout le début de la partie.

Mais un évènement imprévu du scénar, sous la forme d’un objet magique imprudemment saisi par le personnage de Fred, avait fait s’inverser leurs deux personnalités. Fred et Alec avaient maudit Sig en vain… Et c’était donc désormais le vieux professeur qui se retrouvait à draguer lourdement la demoiselle devenue bien plus prude, ce que les deux hommes jouaient toujours aussi bien et qui faisait mourir de rire Mina et Matteo. Sig s’amusait bien aussi.

Mattéo finit par se calmer et s’essuya les yeux :

« Désolé !

– Pas grave, l’endorphine, c’est très bon pour la santé, lui répondit gentiment Sig, manquant de le faire éclater de rire à nouveau. Bien, reprit le meujeu, vous êtes donc à l’entrée du temple. Il fait nuit, plutôt froid, puisque vous êtes aux portes du désert. Que faites-vous ?

– Ben, logiquement, il faudrait qu’on rentre… répondit Alec et Fred opina en retenant un bâillement.

– Ben ouais, approuva Mattéo. Maintenant qu’on est là…

– D’accord… »

Sig guida avec un talent de conteur indéniable ses quatre joueurs dans les dédales d’un vieux temple égyptien en ruines, perdu au bord du désert, infesté de momies, serpents et autres créatures pas très aimables. Ils parvinrent, non sans mal, à trouver la salle centrale où se trouvait la statue maudite et à la détruire, ce qui eut pour effet collatéral de rendre leurs personnalités de base aux deux persos de Fred et Alec, et le vieux professeur de s’excuser platement des obscénités qu’il avait dites à son étudiante blasée d’avoir laissé passer une telle opportunité.

Sig les ramena gentiment chez eux à Londres avant de déclarer la partie finie pour cette nuit-là. Il était près de 4h du matin.

« Bien. Vous avez vaincu la malédiction du temple et récupéré le spectre du pharaon… Avec lequel vous savez donc désormais qu’il ne faut pas jouer. Vous allez pouvoir l’étudier tranquillement et vous remettre de vos émotions. »

Fred et Alec se tapèrent joyeusement la main :

« Ah on est bon quand même ! »

Sig hocha la tête, souriant :

« Vous vous en êtes bien sortis. »

Mattéo s’endormait, souriant aussi. Alec, en se levant, lui dit gentiment d’aller se coucher, qu’il allait ranger. Les autres approuvèrent et le garçon les salua avant de filer. Mina, Sig et Fred aidèrent Alec à ramener la vaisselle sale à la cuisine et à ramasser les cadavres des boissons et des snacks au salon avant de repartir, très content de leur soirée.

Alec alla se coucher sans trop tarder. Il se réveilla bien plus tard que d’habitude, mais sans grande surprise, Mattéo dormait encore.

Alec alla nourrir les chiens, affamés vu l’heure qu’il était. Il eut la surprise de trouver Caramel dans le hall quand il y revint. Le jeune chien essayait visiblement de sortir, mais la porte d’entrée n’était pas, Dieu merci, de celles qu’il arrivait à ouvrir. Alec le laissa sortir pour qu’il aille faire ses besoins. Puis, il le nourrit également.

Il faisait la vaisselle tranquillement, le chien couché sur le carrelage non loin de lui, quand Mattéo arriva en bâillant. Caramel se leva d’un bond pour le rejoindre joyeusement, mais eut l’intelligence de ne pas lui sauter au cou. Matteo tapota sa tête d’une main molle et Alec lui sourit :

« Roïboos, Monsieur Mattéo ?

– Moui… ‘Erci… » bâilla encore le jeune homme.

Mattéo s’assit sans grande énergie à la table. Caramel vint se coucher à ses pieds. Alec s’essuya les mains et le servit :

« Voilà ! À la vanille.

– Merci…

– Ca va, vous avez bien dormi ?

– Ouais, ouais… Désolé de vous avoir lâchés comme ça, vous avez bien fini ?

– Oh, oui… On a juste rangé vite fait, ne vous en faites pas. Tout le monde était bien content, en tout cas.

– Oui, c’était très sympa !! C’est vraiment gentil de m’avoir laissé jouer avec vous. »

Alec retourna à sa vaisselle :

« De rien, vous remercierez Sig. Ca vous va de sauter votre petit-déj et qu’on mange vers 13h ?

– C’est quelle heure ?

– Midi vingt.

– Ah ouais, quand même…

– Bah, ça vous fait à peine vos huit heures de sommeil.

– Pas faux… Et oui, je vais juste boire ça et manger à 13h, ça ira.

– Parfait. »

Les deux hommes n’avaient pas perdu leur habitude de manger ensemble à la cuisine quand ils étaient seuls le midi. Le soir, comme Mattéo était souvent devant la télé, ils mangeaient chacun de leur côté la plupart du temps. Ceci, bien sûr, dans le plus grand secret.

Comme Mattéo buvait son roïboos vanille en tentant de connecter quelques neurones, Alec finit sa vaisselle et lui demanda :

« Vous pourrez rappeler votre grand-père pour confirmer quand il vient ?

– Oh ! Oui, bien sûr… La semaine prochaine, non ? Mais il n’avait pas encore la date du rendez-vous… Je verrai ça cet aprem…

– Il avait l’air fatigué quand je l’ai eu… »

Mattéo soupira et reposa sa tasse sur la table, soudain grave. Un peu surpris de ce silence soudain, Alec se tourna pour le regarder alors qu’il s’essuyait les mains. Le garçon avait froncé les sourcils et finit par dire :

« Je suis vraiment inquiet… »

Il releva la tête vers Alec :

« J’ai vraiment peur qu’il soit à bout… Il bosse trop, c’est plus de son âge… Il stresse trop aussi, et c’est pas les allers-retours entre Paris et Lyon qui l’aident… Il pourrait pas bouger un peu son cul, ce banquier, au lieu de le faire courir comme ça ?

– Hélas… Il parlait de venir en train, cette fois, ça serait bien.

– Oui, ça serait déjà ça. »

Le garçon reprit sa tasse avec un nouveau soupir. Caramel se releva pour venir poser sa tête sur ses cuisses en couinant, alarmé de le sentir triste. Mattéo sourit et caressa la tête velue. Le chien se mit à remuer la queue. Alec croisa les bras :

« Je pense que nous devrions vraiment essayer de le convaincre de prendre des vacances ici et le surveiller pour qu’il se repose vraiment.

– Ca serait bien. On lui choure son portable et tu filtres le fixe !

– Pas de souci. »

Ils échangèrent un sourire. Alec alla ouvrir le frigo :

« C’est vrai qu’il stresse trop, mais je pense vraiment que ni ses assistants, ni son banquier ne l’aident vraiment à ce niveau…

– Tu parles ! Je suis sûr qu’ils ne pensent qu’au pognon qu’ils vont se faire avec l’entrée en bourse !

– Ca, ça ne fait malheureusement guère de doute… Ni Édouard, ni Laetitia, ni même ce cher banquier ne me semblent voir beaucoup plus loin que ça…

– Il faut vraiment que je reparle à Grand Père… Rien n’urge, bon sang, ils n’ont qu’à attendre… On est pas à la rue… Il peut prendre son temps.

– Il faudrait vraiment qu’il puisse déjà se reposer un bon coup… »

Alec n’espérait plus faire changer le vieil homme d’avis, mais il était malgré tout sincèrement inquiet pour lui. Il l’avait vraiment trouvé exténué au téléphone.

Il sortit des œufs et divers légumes du frigo avant de le refermer. Il posa le tout sur la table et alla sortir des oignons d’un placard.

« Ça vous dit une espèce d’omelette aux légumes pour ce midi à 13h ?

– Très bien ! Ne te casse pas la tête !

– Ca ira… »

Alec s’assit et coupa un poivron vert, trois tomates, deux courgettes, un gros oignon, qu’il mit à cuire dans une grande poêle. Mattéo finit son roïboos et se leva lentement :

« Je vais appeler Grand Tatie… À nous deux, on pourra peut-être le convaincre de s’arrêter un peu…

– Ca me parait une bonne idée… Invitez-la aussi, si vous voulez… »

Mattéo hocha la tête et sortit, Caramel sur les talons. Il retourna dans sa chambre, ouvrit la fenêtre pour aérer et prit son téléphone pour appeler sa grand-tante. Il s’assit au bord du lit en attendant que ça décroche.

« Allo ?

– Coucou, Julia !

– Oh, Mattéo ! Bonjour ! Comment vas-tu ? »

L’amie de Gwendoline avait l’air très heureuse de l’entendre.

« Ça va, merci, et vous ?

– Ca va ! Tu voulais parler à Gwen ? Elle est sortie ?

– Oh, oui, mais si tu es là… Je voulais savoir si vous aviez vu Grand Père ces temps-ci ?

– Ah, oui… »

Le ton était plus grave.

« Oui, nous avons dîné ensemble il y a une dizaine de jours…

– Et euh, comment vous l’avez trouvé ? »

Elle soupira :

« … Fatigué, vraiment très fatigué. Et très stressé, aussi. Il n’a pas voulu trop en parler, il a dit qu’il gérait… Gwen est inquiète… Elle n’a pas osé t’appeler…

– Il a appelé, il va venir la semaine prochaine… Mais on l’a trouvé pas bien du tout, on s’inquiète… On voulait lui dire de prendre des vacances…

– Ca serait bien. Il faut qu’il lève le pied… En plus, l’automne arrive, ce n’est pas une saison qu’il faut attaquer sur les genoux…

– Ouais, c’est clair… Bon, donc, c’était pas une impression… Merci, on va essayer le garder un peu au calme ici… Si ces assistants et son banquier veulent bien le lâcher un peu…

– Ah, ces trois sangsues ! Ne te prive pas pour les envoyer promener de notre part ! »

Mattéo eut un petit rire :

« Promis ! On va filtrer les appels !!

– On compte sur vous ! »

Le garçon se mit au garde-à-vous, amusé :

« Oui m’dame !! Promis !! »

Ils rirent tous deux.

« Et toi, quoi de neuf ? demanda-t-elle ensuite. Ça se passe bien, tes cours à domicile ?

– Oui, très bien ! Mme Bougon est très sympa, j’apprends plein de trucs avec elle. Bon, on a un peu de mal à se concentrer sur les leçons, mais c’est super intéressant.

– Ah, c’est bien aussi. Profite bien !! C’est les meilleurs profs, ceux qui t’embarquent !

– Oui ! »

Ils parlèrent encore un peu, puis Mattéo la laissa et retourna à la cuisine. Alec était en train de mettre la table. Mattéo lui sourit :

« Tu veux un coup de main ?

– Non, non, c’est bon. Asseyez-vous. J’allais lancer l’omelette. »

Caramel se coucha et bâilla. Mattéo s’assit et le regarda en lui expliquant rapidement ce que lui avait dit Julia. Alec l’écouta attentivement et lorsqu’il vint le servir, ce fut en soupirant :

« Donc, ce n’était pas une impression, il est vraiment mal…

– Oui, elles sont inquiètes aussi.

– Je me demande si… » pensa tout haut Alec avant de s’interrompre.

Mattéo regardait le contenu de son assiette avec gourmandise. Mais, intrigué, il releva le nez vers Alec :

« Quoi ?

– Rien, rien… Je euh… »

Il grimaça :

« J’espère juste que la fatigue n’est pas la cause de certaines des décisions de votre grand-père…

– Oh… »

Mattéo resta surpris un instant, quand il comprit ce que sous-entendant son régisseur.

« … Oh, bon sang… Il faut vraiment que je lui parle… Il ne manquerait plus qu’ils en aient profité… Déjà le coup du notaire, c’était vraiment chelou, quand j’y repense… »

Alec eut un sourire en se servant et en s’asseyant à son tour :

« C’est vrai, c’était chelou, comme vous dites… Je me demande où ça en est. »

 

Chapitre 46 :

Alec ouvrit la porte à Ernestine Bougon qui se hâta de rentrer au sec. Dehors, il pleuvait dru, depuis le matin, et le ciel était bas et sombre. 

La vieille dame, petite et ronde, se dépêcha de poser sa sacoche pour replier son parapluie et sourit au régisseur :

“Bouh, quel temps ! … Bonjour, Alec.

– Bonjour, madame. Soyez la bienvenue. Monsieur Mattéo vous attend au petit salon, j’ai fait du feu. Voudrez-vous un thé ou un café ?”

Mme Bougon enleva son joli petit chapeau et le tendit à Alec qui le prit et attendit qu’elle enlève aussi son élégant trench-coat ocre pâle. Elle trouva son hôte un peu pâlichon.

“Oh, volontiers, un petit café, opina-t-elle en le lui tendant. Comment ça va, ici ?”

Eris, Hadès et Cerbère, autorisés à rester à l’intérieur à cause de la pluie, vinrent flairer la nouvelle arrivante poliment, mais, comme ils la connaissaient, ils se contentèrent de ça. Hadès remua la queue quand elle le caressa. Alec soupira :

“Tout doux… Monsieur Léon est arrivé pour midi, nous avons réussi à le convaincre de prendre dix jours de vrais congés, mais ça attendra demain qu’il ait eu son rendez-vous à la banque et là, il est parti à la Manufacture, il avait je ne sais pas quoi à y voir d’urgent, justement avant son rendez-vous avec le banquier… Monsieur Mattéo est vraiment très inquiet… Vous allez vous en rendre compte, il faut dire que son grand-père n’a vraiment pas l’air bien… Le trajet l’avait épuisé, il est tout de même venu en voiture de Paris, et il n’y a pas eu moyen de le convaincre de me laisser le conduire à Millors cet après-midi… J’espère qu’avec cette pluie, il ne va pas avoir de souci sur la route…

– Houlà oui, c’est que ça tombe fort !… Enfin, malheureusement, il est grand, vous ne pouvez pas vous contenter de le gronder pour le faire obéir… Même s’il le mériterait bien, vu l’état dans lequel il met Mattéo !… Il m’en avait déjà parlé l’autre jour, il avait peur que son grand-père fasse un burn-out…

– J’en ai peur aussi, j’avoue. Bon, allez-y vite, il vous attend. Je vous apporte votre café tout de suite.

– Oui, oui, j’y vais. Ne te presse pas, je peux attendre un peu.”

La vieille dame partit de son pas vif et Alec la regarda disparaître avec un sourire, suivie d’Hadès. Quelle énergie, tout de même. Il espérait qu’elle allait réussir à changer un peu les idées à Mattéo.

Il alla dans sa cuisine, Eris sur les talons. Cerbère bâilla et les suivit après s’être ébroué.

Alec prépara le café. Il était vraiment inquiet. Malgré tout ce qu’il reprochait à son patron, il s’en faisait sincèrement. Il espérait vraiment réussir à le convaincre d’aller voir un médecin pendant son séjour. Il était prêt à demander à Sig de passer innocemment un après-midi pour avoir un avis et l’y inciter s’il le pensait nécessaire.

Il apporta le café à Mme Bougon dès qu’il fut prêt, encore suivi des deux chiens. Elle était encore en train de sortir ses feuilles et ses livres de sa sacoche en cuir brun usée, assise sur un fauteuil, racontant joyeusement à son élève qu’elle avait croisé, en venant, une petite famille de canards pataugeant dans une grande flaque au bord de la route. Mattéo n’avait effectivement pas l’air au mieux de sa forme, installé sur le sofa, Caramel couché à moitié sur lui, sa tête sur ses cuisses. Il avait un petit sourire malgré tout.

Hadès s’était couché devant le feu et Cerbère vint s’installer près de lui.

Alec posa la tasse sur la table basse, à côté des papiers, et demanda en se redressant :

“Vous faut-il autre chose ? … Monsieur Mattéo, vous voulez quelque chose ?

– Je veux bien que tu me fasses un thé, s’il te plaît. Et tu nous prépares des muffins pour la pause de 16h ?

– Avec plaisir, j’ai racheté des noix de pécan.

– Oh, magnifique, j’ai hâte !! s’exclama Mme Bougon en tapotant ses mains, toute sourire.

– Merci.” répondit plus simplement Mattéo.

Alec hocha la tête et repartit avec Eris.

Il s’occupa du thé, puis alla faire du ménage, la poussière dans le grand salon et la bibliothèque. Dieu que ce temps était pénible… Un vrai temps de rentrée, froid et pluvieux, mais la chaleur avait pris fin un peu brutalement. Il espérait que ça n’allait pas durer et qu’ils auraient encore quelques beaux jours avant l’automne.

Il était presque 15h30 lorsqu’il retourna à la cuisine pour se mettre aux muffins. Il n’eut que le temps de sortir les ingrédients qu’on sonna au portail. Il se demanda un instant si son patron avait oublié son pass, mais ce n’était pas possible. Il alla voir le visiophone et reconnut avec surprise Siegfried. Il lui ouvrit et un instant plus tard, il l’accueillait à la porte, avec la chienne.

Le psychiatre entra rapidement, n’ayant pas de parapluie. Alec rigola et lui fit la bise en posant sa main sur son épaule :

“Ben qu’est-ce que tu fous là, docteur ? T’avais pas rendez-vous avec Mattéo, tu sais bien que son grand-père est là…

– Je passais. Je me suis dit que j’allais venir saluer ton patron et prendre des nouvelles.”

Alec prit sa veste :

“C’est gentil.

– Non, normal. Entre nous, vous aviez vraiment pas l’air bien la dernière fois que je suis venu et comme avec la présence de monsieur Ségard, je ne vais pas pouvoir voir Mattéo pendant dix jours, je préférais passer quand même vérifier que ça allait.

– Mattéo est avec Mme Bougon, ça devrait aller. Monsieur Léon a accepté de prendre des vacances, mais il doit d’abord aller à Lyon voir son banquier demain…”

Alec pendit la veste de son ami près de celle de l’enseignante. Ils allèrent ensuite à la cuisine et Sig s’assit à la table. Alec lui servit un café et se remit à ses muffins. Eris se coucha près d’eux. Alec expliqua la situation à son hôte improvisé qui l’écouta avec sérieux.

“Et avec le notaire, ça en est où ? Enfin si tu peux en parler…”

Alec eut un sourire :

“Mattéo t’en avait parlé ?

– Oui, ça l’avait beaucoup travaillé.

– Je vois… Pour te répondre, je n’en sais rien… Je peux juste te dire que je n’ai pas eu de nouvelles… Mais vu le boxon, il y en a de toute façon pour un moment…

– J’imagine. 150 ans de paperasses, c’est ça ?

– En gros, oui. Personnelles et professionnelles… Je ne sais pas si monsieur Léon voulait tout transférer ou juste les dossiers de l’entreprise, mais dans tous les cas, c’est du boulot.

– C’est triste, quand même, de mettre fin à une si longue collaboration…

– M’en parle pas, j’en suis malade…”

Alec finit sa préparation et alluma le four.

“En tout cas, il parait que c’est de pire en pire à la Manufacture… reprit Sig.

– Si seulement il pouvait s’en rendre compte cet après-midi et recadrer les choses…”

Alec avait soupiré ça sans y croire. Il ne comprenait pas que son patron laisse faire ça… Le nouveau directeur et sa clique continuaient visiblement leur politique de harcèlement moral et plusieurs employés avaient déjà démissionné. Et combien d’autres allaient y être poussés, à condition de parvenir à éviter la dépression ou le burn-out ?

Alec n’allait pas tarder à jouer sa dernière carte, mais il en était navré d’avance… Il en avait parlé avec Maître Bisson, il pouvait encore l’y aider.

Il enfourna les muffins et régla la minuterie du four. Pendant que ça cuisait, il lava tous les ustensiles avec soin, puis prépara du thé, parlant de tout et rien avec son ami. Il sortit ensuite les muffins tous chauds, en garda un peu pour eux, servit les autres dans un plat, posa ce dernier et le thé et deux tasses sur un grand plateau et apporta ce dernier au petit salon.

“Voilà le goûter, dit-il gentiment en entrant.

– Merci !” lui répondit joyeusement Mme Bougon.

Mattéo souriait aussi, il regarda Alec :

“Merci, ça sent bon.”

Mme Bougon ramassa un peu ses affaires pour lui laisser la place de poser les tasses et les muffins. Alec s’exécuta tranquillement.

“Tout va bien ?

– Très bien, on parlait d’avenir !… répondit-elle.

– Je voulais son avis sur la formation que je pouvais suivre pour reprendre l’entreprise, expliqua Mattéo.

– Oh, c’est très bien d’y penser… Mais il faudrait déjà que vous ayez votre bac.

– Oui, on va y travailler dur ! dit encore Mme Bougon.

– Dis, Alec, tu n’as pas eu de nouvelles de Grand-Père ? demanda ensuite Mattéo, l’air anxieux. Il devrait être rentré, non ?”

Alec soupira, réalisant qu’effectivement, Ségard n’était pas censé en avoir pour si longtemps. Il sourit à Mattéo inquiet, se voulant rassurant :

“Non, il n’a pas appelé, mais ne vous en faites pas, il a dû en avoir pour plus longtemps qu’il pensait… Après tout, ça faisait des mois qu’il n’y était pas allé…

– Ah oui, tu as raison… Ça doit être ça…”

Alec hocha la tête. Il raviva le feu et remit du bois avant de repartir.

Il rejoignit Sig à la cuisine et s’installa pour manger les muffins restants en sa compagnie en buvant aussi un petit thé.

Sig se proposait de partir après ça, ne voulant pas déranger Mattéo pendant son cours particulier, ni spécialement attendre la fin de ce dernier, lorsqu’on sonna à nouveau au portail.

Alec fronça les sourcils et alla répondre, pris d’un très mauvais pressentiment.

“Oui ?

– Euh, lui répondit une voix qu’il reconnut sans l’identifier tout de suite, monsieur Varin ?…

– Oui ?

– Gendarmerie de Millors, vous pouvez nous ouvrir ?

– Commandant Tyrelon ?

– Euh oui…

– Euh, je vous ouvre, oui…”

Alec appuya sur le bouton et échangea un regard grave avec Sig. Alarmée, Eris se leva et les regarda l’un l’autre.

Il pleuvait toujours et Alec, Sig et la chienne rejoignirent le hall et y furent juste comme on frappait. Alec se hâta d’ouvrir, laissant rentrer deux gendarmes, un quinquagénaire las et bedonnant et un plus jeune qui avait l’air en colère. Eris les flaira et Alec leur serra machinalement la main :

“Mes respects, Commandant…

– Bonjour, Varin, répondit le plus âgé avant de froncer un sourcil : Tiens, qu’est-ce que vous faites là, Docteur ? demanda-t-il ensuite à Sig.

– Je rendais visite à un ami.” répondit le psychiatre en leur serrant aussi la main.

Alec comme Sig avaient remarqué que, si la poigne du commandant était franche et ferme, celle de son acolyte était forcée, sèche et trop rapide.

“Ah, d’accord.

– Que pouvons-nous pour vous ?” demanda ensuite Alec.

Il le sentait vraiment mal…

“Qu’est-ce qui se passe ?” demanda très nerveusement Mattéo en arrivant, précédé par les chiens et suivi de Mme Bougon qui fronçait les sourcils.

Les gendarmes les regardèrent, puis les chiens qui approchaient rapidement, plus curieux qu’agressifs, mais impressionnants vu leur taille, puis à nouveau Mattéo qui venait et demanda d’une voix tremblante :

“Qui êtes-vous ? Qu’est-ce qu’il y a ?”

Le plus âgé des gendarmes le regarda avec tristesse, alors que l’autre ne semblait pas décolérer. Il s’avança à la rencontre du garçon pour lui serrer la main :

“Commandant Tyrelon, je suis en charge de la gendarmerie de Millors. Vous devez être Mattéo Ségard ?

– Oui…?”

Le garçon lui serra la main et, le voyant mal à l’aise, balbutia :

“Il est arrivé quelque chose à Grand-Père…?”

Le gendarme grimaça et Alec et Sig échangèrent un nouveau regard, certains cette fois que c’était vraiment grave. Alec s’approcha et l’autre regard qu’il échangea avec Mme Bougon ne l’aida pas à se rassurer. La si souriante retraitée était aussi inhabituellement grave.

“Je euh… Je suis navré, monsieur Ségard, reprit enfin Tyrelon. Votre grand-père est décédé tout à l’heure…”

Mattéo se mit à trembler, pétrifié, les yeux écarquillés d’horreur, et finit par bredouiller :

“Non…? Grand-Père…? Mais qu’est-ce que…”

Alors que Tyrelon cherchait ses mots, désireux de trouver la meilleure formulation pour ménager Mattéo, son acolyte cracha :

“Un de ses employés en a eu marre de se faire traiter comme de la merde.”

Mattéo sursauta et le regarda, stupéfait, comme les autres, alors que son supérieur se tournait pour crier :

“Non mais ça va pas, Saret !

– Quoi, c’est la vérité ! explosa le jeune gendarme. Ce mec allait envoyer 200 familles à la rue ! Sans négociation, en essayant d’en poussant le max à la démission avant pour payer le moins de frais de licenciement possible ! Et…

– LA FERME !” le coupa violemment le commandant.

Mattéo ne dut qu’à un réflexe salvateur d’Alec de ne pas s’écrouler sur le sol. Ses jambes l’avaient lâché et il plaqua ses mains sur son visage alors que des larmes commençaient à couler de ses yeux toujours écarquillés :

“Non… Non… Grand-Père…”

Tyrelon rejoignit son subordonné, furieux, alors que Sig soupirait avec un sourire froid en coin :

“Mes félicitations pour votre tact, monsieur…”

Mme Bougon s’approcha aussi alors que Caramel venait vers son maître en couinant. Eris, Hadès et Cerbère, eux, regardaient Saret et visiblement, les trois chiens avaient parfaitement compris qu’il était une source de problème.

“On sait tous ce qui se passe à la Manufacture, Saret, et ça ne donnait le droit à personne de tuer monsieur Ségard avec…

– SILENCE !!!”

L’ordre de Mme Bougon fit à nouveau sursauter tout le monde. Elle rejoignit les gendarmes en trois pas et continua d’un ton qui ne tolérait aucune réplique :

“Je vous interdis de continuer ça devant Mattéo ! Alec, emmène-le ailleurs tout de suite !

– Euh… D’accord…”

Alec souleva sans traîner son jeune patron pour le transporter dans le grand salon. Sig les suivit et Caramel également, alors que la professeur continuait pour les gendarmes :

“Non, mais, ça ne va pas, la tête ! Annoncer ça comme ça à un garçon de 19 ans qui a déjà perdu ses parents ! La mort de la quasi-seule famille qu’il avait, le grand-père qui s’occupe de lui depuis dix ans ! Vous croyez quoi ? qQe c’est le démolir lui qui changera quoi que ce soit à ce qui se passe à la Manufacture !”

Saret tremblait, toujours à moitié furieux, mais n’osa pas répliquer. Mme Bougon croisa les bras et les regarda froidement. Tyrelon reprit avec un soupir :

“Désolé, mais ça nous touche tous de près… Et Saret encore plus… C’est son cousin, le gars qui a tué Ségard…”

Mme Bougon regarda le jeune gendarme qui détourna les yeux en jurant entre ses dents :

“Quoi ?

– On ne sait pas encore trop ce qui s’est passé… Apparemment, il a essayé de lui parler, mais Ségard n’a pas voulu, alors il a pris un tuyau et l’a frappé à la tête… Je le connais, ce gars… C’est une crème, pour de vrai… C’est incompréhensible qu’il ait fait ça…

– Il en pouvait plus, c’est tout, grogna Saret, plus triste que furieux cette fois. Personne n’en peut plus… Pourquoi il a fait ça, Ségard… On traite pas un chien comme ils traitent leurs employés, là-bas…”

FIN de la première partie.

A suivre ICI !!

(226 commentaires)

    1. @Pouika : Désoléééééééée !!!…. Allez courage, il est entre de bonnes mains (et de bons bras), ‘faut pas t’en faire !! Bonne semaine 🙂 !!

  1. merci pour ce 45ème chapitre, mais ici ne n’est pas pluas Matheo ?
    “Ils parlèrent encore un peu, puis Alec la laissa et retourna à la cuisine. ”

    démence sénile, Alzheimer ?

    1. @Pouika : Le jeu de rôle est une activité ludique et conviviale consistant à se réunir pour jouer des rôles, donc. En gros, on se place dans un univers fictif (ici, l’univers de Lovecraft donc fantastique-horreur), quelqu’un fait le maitre de jeu ou meujeu (ici, Sig), c’est à dire raconte une histoire, les autres jouent les personnages principaux de l’histoire pour faire avancer celle-ci. Voilà voilà. J’espère être claire, c’est jamais facile à expliquer aux néophytes… Sinon merci de suivre et bonne semaine !!

  2. Bonjour, je suis un petit raton malicieux, attiré par l’odeur alléchante de ta fic sur N.6.
    J’ai lu Héritage juste après, et c’est juste trop bien ! J’adore ton style d’écriture, tu veux bien me le prêter ?

    1. @Raccoon : Elle sent encore quelque chose, la fanfic, depuis le temps ? ^^’ Sinon merci beaucoup et euh, non je prête pas, mais avec du boulot, tu peux sûrement y arriver aussi 🙂 !!

  3. Merci pour ce 39ème chapitre, je ne pourrais pas aller Dijon, c’est loin … je suis déconnecter des grandes villes, et avec le travail, c’est encore moins de vacances

  4. Ah ben en effet, ça fait une sacrée suite de 0 pour Matteo! Mais il lui reste encore quelques chapitres pour trouver quoi en faire 🙂

  5. Ah en effet, ça a pas du jouer en faveur de Ben, cette réplique! (Enfin de toute façon, Matteo a trouvé bien mieux en revenant chez son grand-père :3)

    1. @Leloir : Moui, sûr que ça l’a pas aidé, ce con. mais il l’avait bien cherché, et effectivement, Matteo a trouvé mieux, même si ça va être long ! 😉

  6. Ah ils vont se marier je m y attendais pas , je suis trop contente pour eux ? Sinon je me demandais si ces questions des “soufifres” vont avoir une incidence après ?

      1. @Oaléria : Merci pour eux et oui, oui, les questions des deux sbires n’étaient innocentes, on en recausera 🙂 !!

  7. Tsss, y en a deux qui sont un peu trop curieux … (vraiment, le cyanure c’était pas possible? Même un tout petit peu?)
    Oh quelle bonne nouvelle pour le mariage! *applaudit* Maintenant on veut y assister :p

    1. @Leloir : Moui, un peu trop curieux, tu peux le dire. (Non j’ai vérifié, c’est bien illégal). Et merci pour eux et oui, oui, le mariage vous y passerez surement… 🙂 ! Bonne semaine !

  8. Roooooh ! Fred et Sieg sont trop mignons !!!! Mais Alec alors ? Il est trop calme et détaché… on le croirait asexué à force… pffff… pas drôle…

    1. @Lessa : T’en fais pas… Alec est un être sexué et y a pas de souci de fonctionnement à ce niveau… ^^ Et il est calme, mais pas détaché. Il est juste poli, lui. :p

  9. Mais c’est qu’il a l’air de plus en plus attaché à Alec, le ptit Matteo 🙂 (Vivement que les deux râleurs s’en aillent, qu’ils aient enfin la paix!)

  10. C’était drôle et puis ils vont le regretter de pas avoir mangé la cuisine d’Alec sans râler. Là par contre peut être que je me trompe mais je flaire des problèmes à venir. En tout cas merci pour le chapitre 34

    1. @Oaléria : Merci, oui un peu d’humour ça nuit jamais 😉 Et oui, des ennuis, il va y en avoir… Sinon on va s’ennuyer :p !! Merci de suivre 🙂 !

  11. Oh oui c’est bien le fils de sa mère ! Pas de souci !

    J’imagine trop la réaction de sa mère quand il lui racontera la scène ! Elle va fulminer contre les deux abrutis et serrer son fils dans ses bras toute fière en disant : “c’est bien mon fils ça !” XD

      1. @Pouika : 😉 De rien, merci de suivre. Nowak/Dandre/Varin c’est la famille d’Alec. Se référer à l’arbre généalogique du chapitre 18 :).

  12. Oh, de nouveaux personnages contre lesquels gronder! (Et qui empêchent Alec et Matteo de rester seuls en tête a tête durant de longues journées è___é)
    Merci pour ce chapitre!

  13. Mercipour ce chapitre 32 ! On avance entre Alec et MAtteo !

    D’ailleurs Mat’ rencontrera-t-il les autres amis ‘Alec (et nous aussi par la même occasion ?)

  14. Tu as vraiment besoin des deux, je veux dire on peut très bien ne se débarrasser que d’un en attendant que l’aure ait servi, et aussi mine de rien Matteo et Alec se rapprochent. Merci pour le chapitre

    1. @Oaléria : Oui, désolée, j’ai besoin des deux. :p Mais ne t’en fais pas, ils en auront pour leur compte niark niark niark ! Merci de suivre et bonne semaine !

  15. C’est qu’il en a des choses sur le coeur, Matteo! Et très intéressant, ce lapsus. Ça donne envie d’en savoir plus (si Sig ne nous surprend pas en train de tout écouter!)
    Merci pour ce chapitre 🙂

    1. @Leloir : Ouais, y a du passif. La disparition de ses parents, c’est pas sa seule casserole à Matteo. Mais il est sur la bonne pente !! ^^ Merci de suivre !

    1. @Leloir : Certes. Après les thérapies, c’est confidentiel. Je sais pas si Sig sera d’accord pour que vous écoutiez ! Il est très à cheval sur le secret médical ! ^^

  16. Ah, je ne suis pas la seule personne à mettre des vidéos en bruit de fond quand je cuisine!
    C’est sympas de voir ces deux là se rapprocher petit à petit, on se demande vraiment comment ça va tourner après 🙂

    1. @Leloir : Ben moi même me mets souvent des trucs en fond quand je bosse ou autre pour me tenir compagnie… ^^’
      Et pour la suite ben, tu verras bien nyark nyark… :p

  17. Inquiétant le traitement de Mattéo … heureusement qu’il s’en remet!
    Et c’est au tour d’Alec d’être bichonné :3
    Bonne semaine!

    1. @Leloir : Yep… Pour avoir dû prendre ce type de médocs un moment dans le temps, y en a vraiment des redoutables et des très chauds à arrêter (le goutte à goutte c’est du vécu). Mais effectivement, on s’en remet. Vive la phyto… ^^

      Sinon oui, Alec se laisse dorloter hi hi hi.

      Bonne semaine 🙂 !!

  18. Merci pour ce chapitre 27, Enfin la réponse pour le traitement, le médecin aurait-il voulu enfermé un riche dans son hosto pour l’argent

    1. @Pouika : Eh eh eh ça faisait longtemps un petit cliffhanger pas vrai ^^ ! Oui, je l’aime bien Caramel. Il était pas du tout prévu, il a vraiment débarqué par surprise, mais je l’aime bien ! ^^

  19. Ah, le petit couple qui s’occupe du chien, c’est mignon ! (quoi, commment ça c’est pas encore un couple?) Sig est inquiétant, ça fait peur pour Matteo ><
    Merci pour ce chapitre, et bonne semaine!

    1. @Leloir : Oui, un peu de douceur dans ce monde de brutes… ^^’ Et oui, c’est pas encore un couple. :p Sig est inquiétant mais t’en fais pas, il assure !! ^^ Bonne semaine à toi !!

  20. Ça avance petit à petit :3 (Courage petit Matteo, c’est fini l’enterrement!)
    C’est sympas de parler un peu du contexte, avec le passage de la loi 🙂 Tu comptes en reparler?
    Merci pour ce chapitre!

    1. @Leloir : Moui moui on progresse, lentement mais sûrement 🙂 ! J’avoue ne pas trop avoir prémédité le contexte, puisque si l’histoire commence en 2013, c’est parce j’ai simplement commencé à l’écrire en 2012 (le 2 septembre à 15h42 d’ailleurs pour être exacte si j’en crois mon cahier, lol). Mais finalement c’est pas mal, ça ancre dans le concret et ouais, on en reparlera 😉 ! Merci de suivre !

    1. @Pouika : Merci de suivre. Alors, oui, je sais en gros où je vais, après, l’itinéraire est encore un peu vague et donc j’avance au feeling… ^^ Je connais la destination, mais je trace le chemin au fur et à mesure en quelque sorte. ^^ En général, ça fait de belles balades.

  21. Le chapitre fait mal pour Matteo :/ Courage petit bonhomme, ça ira mieux après! (Y a même un joli jeune homme pour veiller sur toi !)
    Merci pour ce chapitre 🙂

    1. @Leloir : Ouais, j’ai galéré à l’écrire, mais il fallait bien passer par là… Ca ira effectivement mieux par la suite !! Merci de suivre 🙂 !!

  22. MErci pour le chapitre 21 !

    Désolé je n’ai pas encore eu le temps de jeter un oeil à ta nouvelle d’halloween … je m’y attèlerait, mais un peu plus tard, je suis un peu prise pour toute la lire d’un coup

  23. Eh ben, elle se fait remarquer Isabelle! Elle me semble un peu caricaturale, mais elle remplie bien son rôle.
    La dernière réplique est frappante, bien trouvé! 🙂

    1. @Leloir : Oui, j’avoue, j’ai pas fait dans le finesse. Mais comme tu dis, c’est le rôle qui veut ça :p !!
      Merci et à bientôt pour la suite 🙂 !

    1. @Pouika : De rien, merci de suivre. Oui, Alec avait un peu oublié devant quoi étaient rangé la série hi hi hi… Ben faut bien que les choses avancent un peu hein 😉 !!

  24. L’histoire autour de Matteo s’éclaircie! Même si on se demande quel genre de “très bon ami” était Ben :3
    Merci pour ce chapitre!

    1. @Leloir : Alors j’admets, la relation Ben/Matteo n’est pas l’intrigue la plus obscure du récit… ^^ Si tu recoupes les infos que Lou donne ici avec la conversation qu’elle et Matteo ont eu sur skip plus tôt dans l’histoire, ça doit même être quasi limpide.
      De rien, merci à toi de suivre !!

  25. Petie question tu as écris ” D’autant que ça mange, à cet âge-là, renchérit avec amusement Mariette. Je me souviens d’Alec… Un vrai bouton !” tu voulais pas plutôt dire glouton
    et ici “Un peu avant cette triste histoire, Matteo m’avait dit qu’il s’était discuté avec un très bon ami à lui, au lycée.” c’est pas plutôt disputé, ça aurait plus de sens ?

    Sinon merci ! on avance d’un grand pas je trouve dans ce chapitre !

    1. @Pouika : Alors pour le premier, c’est encore ce fichu dragon qui m’a mal entendu, mais pour le second, je pense que je plaide coupable, j’ai toujours plus ou moins confondu les deux… ^^’ merci beaucoup donc 🙂 !

      Et merci aussi de suivre, là on commence à attaquer le début de l’intrigue… 🙂

  26. On ne parle pas d’elle très longtemps, mais la mère de Matteo a quelque chose de touchant 🙂 Va lui falloir du courage, au petio!
    Merci pour ce chapitre ^^

    1. @Pouika : De rien, merci de suivre 🙂 ! Et contente que ça t’ait plu, mais ça m’avait vraiment fait passer un bon moment ^^ !

  27. Tiens, ça donne envie de voir Alec en colère, du coup, pour voir ce que ça donne :3
    Petite question en passant, tu as beaucoup d’avance par rapport à ce qui est déjà posté?
    Merci pour ce chapitre, et bonne semaine!

    1. @Leloir : Ca arrivera sûrement. 😉
      Sinon, ben conne je disais, non là j’ai plus d’avance… Priez pour moi… Surtout avec l’anniv du site qui arrive !! ^^’
      Bonne semaine 🙂 !

  28. Ahhh c’est tout gentil de sa part, il lui a remonté une grande bibliothèque pour mettre ses livres. Tu crois qu’il aura encore de la place pour mettre “le chant des drows”?

    1. @Pouika : Yep, il dort trop…
      Sinon hmmmmmm le film est licencié, mais si tu t’es procuré un dvd, tout à fait légalement, tu es tout à fait en droit d’aller par exemple sur Goldenkai pour récupérer une copie… Mais seulement si tu as acheté hein bien sûr… On est d’accord… *sifflement innocent*
      Bonne semaine 🙂 !

  29. Ah, encore un nouveau personnage :3 La conversation entre Lou et Mateo m’a bien fait marrer, surtout l’histoire de beaux garçons enchaînés dans la cave!
    Merci pour ce chapitre 🙂

    1. @Leloir : Yep, là on a presque fait le tour, il reste deux personnages parmi les principaux, mais le tour est fait… Ouais, je me suis bien marrée à l’écrire aussi ce dialogue. ^^
      Bonne semaine !

  30. Matteo avec un regard hésitant après la conversation avec son grand père … Il n’aurait pas quelque chose à lui avouer, par hasard ? 🙂
    Sinon, ils sont sympatiques ces nouveaux personnages!
    Bonne semaine, et merci pour ce chapitre ^^

    1. @Leloir : Naaaaaaaaaaan qu’est-ce qui tu fais penser ça… ^^ Merci, Fred et Sig, je les aime bien aussi et vous allez beaucoup les revoir. 🙂
      Bonne semaine et merci de suivre !

  31. J’ai deviné la suite : ils vont mettre le wifi dans toute la maison tous ensemble ???!!!!
    lol

    ça s’annonce super bien

    bonne semaine biz

    1. @Amakay : Raaaah mais non dévoile pas toute l’intrigue ^^ ! …
      Hmmm, non rassure-toi, ça va être un chouia plus compliqué que ça.
      Ca s’écrit comme ça “chouia”…?…
      Bref, merci et bonne semaine 🙂 !

      1. Désolé de t’enquiquiner , mais quand tu poste tes news tu mets “Héritage 5” par exemple est-ce que avant ou après les 9étoiles ********* tu pourrais rajouter le chiffres ? je me suis mélanger les pinceaux ?

        1. @Pouika : Hmmmmmm chais pas t’as été sage ? ^^
          Ok je chapitre, vu comme ça promet d’être long de toute façon, ‘faut mieux… 🙂

  32. C’est toujours aussi intéressant! Les personnages sont agréable à suivre, je trouve, on a vite fait de lire sans voir les lignes défiler 🙂
    Bonne semaine!

    1. @Leloir : Merci. L’intrigue commence à être bien posée; les principaux enjeux sont lancés, il vous manque encore quelques persos importants, mais ils arrivent. 🙂
      Merci de suivre et bonne semaine 🙂 !

  33. … marre de ces cliffhangers et de devoir attendre encore et encore…

    Veux la suite de suite ! Allez !!!! File moi toute l’histoire d’un coup !!!!

    *yeux de Bambi éploré* Steuplééééééééééééé !!!!!!

    1. @Armelle : Hmmmmmmmmm… Nan. ^^
      Mais ça fait plaisir que tu veuilles la suite ! :p
      Non mais c’est vrai je peux pas vous pondre un roman par semaine moi là non plus… Faut que je dorme un peu quand même. ^^’

      1. *vient de lire le chap 7 et trépigne sur place*
        La suite ! La suite ! La suite !!!!!
        Hâte de voir la réaction de Lou quand elle verra Alec ^^ Elle va baver hein ? XD

        1. @Armelle : Trépigne pas trop, tu vas faire monter ta fièvre… Allez hop, un grog et au lit !! ^^
          Sinon euh, ouais possible… On verra… :p !!

  34. Je voudrais bien un Alec pour me faire la cuisine moi… Et j’ai envie de tester ses recettes aussi… Tu pourrais m’en envoyer une ou deux ? (et le cuisto avec XD)
    Vivement la suite ^^ Je les aime bien tous les deux ^^

    1. @Armelle : Oui, moi aussi j’aimerais bien un cuistot de ce genre à la maison… Moi qui ne sais jamais quoi me faire à manger… ^^’
      Sinon, non, je ne m’inspire pas de recettes précises, donc, je ne peux pas t’en filer. :p
      c’est cool que tu aimes bien les héros… Ca tombe bien 🙂 !

      1. ça je le savais déjà que tu savais pas quoi te faire à manger XD, d’ailleurs j’espère que tu as fini de manger à cette heure-ci ?! Et puis… soit tu vas écrire la suite soit tu RIP ! File de cet ordi ! XD bonne nuit !

  35. Merci pour ce chapitre, c’est toujours aussi agréable de suivre ces deux là! Et c’est sympas toutes ces références qu’on trouve quand on lit :3
    Bonne semaine!

    1. @Pouika : Non, pas exactement. Il a été diagnostiqué dépressif et fait de l’hypersomnie. Mais en vrai c’est pas si simple… Mais on en reparlera 🙂 ! Merci de suivre et bonne semaine à toi !

  36. Matteo m’intrigue, j’ai bien envie d’en apprendre un peu plus sur lui 🙂 (Et je veux goûter la cuisine d’Alec, aussi!)
    Bonne semaine ^^

    1. @Pouika : Ben de rien… Comme je le disais, si ça devient trop pénible, j’essayerai de chapitrer, ‘faudra me dire. ^^

  37. Pour l’instant, l’histoire me plait bien! On rencontre des personnages intéressants, et la situation se met en place peu à peu, j’ai bien envie de voir comment tout ça va évoluer ^^
    Bonne semaine!

    1. @Leloir : Les bases et les principaux persos sont posés, là. 🙂 Merci de suivre et contente que ça te plaise. Bonne semaine 🙂 !

    1. @Pouika : AFK = Away From Keyboard = loin de clavier = raccourci de gamer pour signifier qu’il n’est plus en jeu, devenu une expression geek pour dire qu’on est plus là. 🙂

  38. Alors euh… que dire… ?

    Histoire super géniale ^^ J’adore les persos, surtout le petit majordome, pas si petit que ça XD.

    Bien sûr, je veux la suite pour hier ^^ !

    Mais en attendant Ninou… RIP !!!!

    1. @Armelle : C’est bien, ça se voit pas du tout que t’as déjà eu une partie de la suite, toi… ^^’ Pour hier euuuuh ça va pas être possible… Oui, oui, je sais, je fais pas d’efforts… ^^

      1. Moi ? J’ai pas eu la suite ! Je vois pas du tout ce que tu veux dire ! *sifflote innocemment… ou pas…*

        Et tu devrais faire plus d’efforts ! Pense à ton lectorat !

        *sors le fouet*

        Allez RIP et ensuite au boulot !!!!! XD

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