Sushi & Vodka – Une Histoire de Famille 5

Ceci est une petite nouvelle pour fêter les sept ans du site !

Synopsis : Nous retrouvons notre petite famille préférée en vacances !! Mais des visiteurs imprévus vont perturber leur été…

Pour les nouveaux venus, n’hésitez pas à aller lire les quatre nouvelles précédentes, sous peine de gros spoils si vous les lisez après celle-là !!

Ca commençait ici et ça continuait ici,  ici et ici !

 

Sushi et Vodka

Une Histoire de Famille 5

Nouvelle de Ninou Cyrico

 

Un vent glacial soufflait sur la vieille forteresse de pierres, perdue dans la toundra, loin de tout et de tous.

L’antique bâtiment se dressait avec moins de majesté que par le passé. Il était d’ailleurs en partie en ruines et pourtant, il inspirait encore la peur à des kilomètres à la ronde, tant les légendes et les rumeurs étaient encore vivaces dans les villages qui vivaient aux alentours.

Le jour ne se lèverait pas avant quelques heures sur ces terres du nord du monde et pourtant, la journée avait déjà commencé. Et le maître était ce matin-là d’une humeur exécrable… Ses rugissements retentissaient dans tout le bâtiment. Tous se cachaient, car tous savaient que lorsque le Maître était furieux, quiconque croisait sa route pouvait y laisser sa vie.

Le cavalier qui arrivait dans la cour, lui, stoppa son cheval et en descendit souplement.

C’était un grand homme à la silhouette élancée, recouvert de bien des couches de vêtements et fourrures et dont on n’apercevait à cette heure que les yeux fins, bleu-vert, entre la chapka et le col haut de son manteau entouré d’une écharpe épaisse.

Une vieille servante voûtée vint vers lui avec une torche :

« Seigneur Yulian, où étiez-vous !! Le maître hurle et vous cherche !

– Oh, vraiment… soupira-t-il avec une certaine lassitude. Que se passe-t-il ?

– Je l’ignore, Seigneur…»

Yulian soupira encore en entrant dans le bâtiment. La vieille le suivit en boitillant un peu. Il monta l’escalier monumental sans frémir, indifférent aux quelques personnes qu’il croisait et qui fuyaient, alors que la voix tonitruante du maître des lieux se faisait entendre.

Il n’avait effectivement pas l’air très joyeux. Rien de si inhabituel, cela dit.

Yulian grommela en arrivant sur le palier désert et enleva sa chapka et son écharpe, découvrant de courts cheveux argentés et un visage fin et racé. Il laissa ça et son épais manteau à la vieille servante avant d’entrer dans la pièce qui lui faisait face par une entrée qui avait eu une double porte magnifique, fut un temps.

La pièce elle-même avait été une salle de réception de toute beauté…

Restait une grande pièce quasi vide et lugubre, aux murs couverts de pans de tapisseries sales et déchirés, avec une grande table branlante et tout au fond, une espèce d’esplanade avec un trône de pierre.

Yulian s’approcha sans ciller du grand homme trapu et un peu gros qui éructait, furieux, un sabre à la main, ruant de coups de pieds un pauvre serviteur tombé au sol. Yulian posa un genou à terre devant lui et baissa la tête :

« Prince Léonti, que ton nom soit honoré et craint et ta gloire éternelle. »

Il releva la tête et posa son coude sur son genou alors que l’homme s’était immobilisé et le fixait, toujours furieux.

« On m’a dit que tu m’avais demandé, Père. Ton humble fils peut-il quoi que ce soit pour te servir ? »

Le grand homme se tourna vers lui et le serviteur fila sans demander son reste. Un cadavre informa Yulian qu’un autre n’avait pas eu cette chance. Il soupira encore avant de regarder à nouveau son père qui s’écria :

« Où étais-tu !! Il y a des heures que je t’appelle !!

La nuit était froide et j’ai été me réchauffer auprès des belles du village de l’est… Je rentre à l’instant. Je te supplie de me pardonner, jamais je n’aurais quitté le palais si j’avais su que tu pourrais avoir besoin de moi. »

Léonti gronda, puis alla avec humeur à la table se servir du mauvais vin dans une coupe usée. Yulian se releva et croisa ses mains dans son dos, attendant. Léonti but un peu, tremblant tant qu’il en renversa, avant de le regarder à nouveau pour s’écrier :

« Anya s’est échappée cette nuit ! »

Yulian resta impassible alors que son père continuait en s’agitant en tout sens, fou de rage :

« Cette chienne n’était plus dans sa cellule, ce matin ! Et personne n’a rien vu, rien entendu, bien sûr !! Elle a dû ensorceler ses gardes ! Raaah !!! Comment a-t-elle osé !! »

Un autre garçon arriva, un jeune adolescent aux cheveux blonds épais et mi-longs, aux yeux verts froids, qui s’agenouilla au sol à son tour, à la droite de Yulian, sans un mot.

« … Je ne tolèrerai pas qu’une maudite femelle, une engeance des marais, me ridiculise ainsi ! Jamais il ne sera dit qu’une des femmes du grand prince Léonti a osé le défier ! Jamais ! »

Le garçon se releva. Yulian lui jeta un œil sans rien dire.

Derrière eux, quelques autres pointaient un nez timide et apeuré. Puis, une grande femme, dans une longue et épaisse robe rouge, entra. Elle marcha dignement, ses deux mains sur son ventre rond, jusqu’à s’arrêter à quelques mètres de Léonti, sur la gauche, sans  rien dire. Yulian la salua d’un signe de tête, mais elle, très droite, l’ignora.

Léonti pointa un doigt tremblant vers Yulian :

« Jamais, tu entends ? Mon honneur a été souillé !

– Qu’attends-tu de moi ? demanda Yulian, lui toujours parfaitement calme.

Ramène-moi sa tête ! Poursuis-la, jusqu’au bout du monde s’il le faut, et use de tous les moyens, de tous les pouvoirs qu’il faudra, mais n’aie aucun repos avant d’avoir lavé mon nom et de m’avoir vengé ! »

Yulian s’inclina, un poing sur le cœur :

« Il en sera fait selon tes ordres, Père. Je vais faire mes bagages immédiatement.

– Kirill t’accompagne. »

Le jeune homme resta impassible alors que Yulian sursautait, sincèrement surpris, avant de le regarder :

« Pardon ?

– Il sera bon pour lui qu’il quitte enfin ce palais et voit un peu le monde. Et face aux pouvoirs d’Anya, vous ne serez pas trop de deux. C’est un ordre, Yulian. Ton frère t’accompagne. »

Yulian eut une petite moue dubitative avant de s’incliner à nouveau :

« Il en sera fait selon tes ordres.

– Tu peux disposer. »

Yulian hocha la tête et sortit sans attendre.

Il n’eut pas un regard pour ses autres frères tapis là, haineux ou apeurés.

Dans la salle, la femme prit la parole :

« Mon seigneur a pris la bonne décision. Il est impossible que son nom puisse être ainsi humilié. Anya doit payer son affront.

– Ah, Zoya, soupira Léonti en allant s’assoir sur le trône. Dire qu’elle a été comme toi… »

Zoya pinça les lèvres, furieuse, mais ne dit rien. Léonti regarda Kirill, qui n’avait pas bougé, droit.

« Kirill, profite de ce voyage pour apprendre. Et surtout, n’oublie pas mes ordres. Si la main de Yulian ne peut accomplir son devoir, s’il se révèle faible face à Anya et ne peut la frapper, tu sais ce qu’il te restera à faire.

– Si la main de mon frère ne peut t’obéir, la mienne te ramènera deux têtes. »

Zoya sourit, un rien cruelle, tout comme Léonti qui éclata de rire.

Kirill s’inclina et partit sans un mot de plus.

*********

Gael atterrit encore par terre et se dit que le sol était décidément trop dur.

« Focus, Gael. »

Il se souffla et se redressa sur ses bras, pour regarder Yuuki, debout, qui le toisait avec un sourcil froncé, son sabre en bambou dans la main droite, la gauche posée sur sa hanche.

Non loin de là, Pao Wuang, en pause avec Guillaume, avachis sur le banc, murmura : 

« Elle fait vraiment pas rire quand elle s’y met… »

Il faisait chaud dans le gymnase, mais rien d’anormal pour un début de juillet, et la Japonaise ne portait donc qu’une brassière et un pantalon de survêt noirs replié sur ses mollets. Elle avait enlevé ses lunettes, comme à chaque entraînement, et un bandeau retenait ses cheveux indisciplinés, toujours mi-longs.

La jeune femme avait intégré assez facilement le club d’arts martiaux du village, en tant que kendoka. Elle n’était pas très douée pour enseigner, car elle était exagérément stricte, ayant elle-même été entraînée avec bien trop de rigueur, pour ne pas dire de brutalité, et elle avait du mal à s’en défaire. Gael et Guillaume encaissaient, la connaissant assez, désormais, pour savoir l’arrêter, et lui permettant ainsi de s’adoucir un peu.

Seuls Pao et la petite famille étaient au courant du passé masculin de Yuuki, qui serait bientôt de l’histoire ancienne. Car la Fédération française de kendo, poussée par sa championne Pauline Martizet, était très intéressée pour intégrer la Japonaise et pour ce faire, faisait pression sur qui de droit pour que son changement de sexe soit très vite reconnu, tout comme elle couinait pour qu’elle demande la nationalité française. Yuuki n’avait pas encore vraiment décidé d’intégrer l’équipe de France, car elle restait très attachée au Japon. Mais elle devait bien admettre que ce dernier, depuis son départ, n’avait rien fait pour la retenir et qu’à côté de ça, Pauline s’était révélée vraiment sympathique et motivante.

Yuuki avait reçu la première visite de son homologue avec une certaine gène, au mois de septembre précédent. Pauline était une petite gonzesse un peu ronde, avec une courte tresse blonde ébouriffée. Yuuki ne savait pas trop ce qu’elles auraient à se dire, mais ça s’était très bien passé. Pauline était sincèrement navrée pour elle, mais tout aussi sincèrement heureuse de la revoir et de constater qu’elle allait mieux. Elle avait vraiment insisté pour qu’elle reprenne et l’avait même suppliée de croiser le sabre avec elle. Yuuki s’était prêté au jeu avec un certain amusement, curieuse, en fait, de voir où elle en était et aussi de jauger le niveau de la Française… Qu’elle avait battue avec facilité.

Yuuki était plutôt sereine et avait, en vérité, bien repris gout au kendo après avoir combattu le troll. Elle avait donc aussi repris les entraînements avec Gael et Guillaume, chez eux tout d’abord, puis au club quand ce dernier avait repris, en octobre, et là, ils profitaient des dernières heures du stage d’été. La jeune femme n’avait perdu qu’un peu de muscle, dû à l’arrêt de la testostérone, mais elle n’avait rien perdu en technique et pas tant en force brute. Restait sa voix, qui demeurerait irrémédiablement un peu trop grave, tout comme sa carrure resterait masculine. Mais elle semblait s’y être faite.

Bref, Yuuki restait digne du vice-champion du monde qu’elle avait été.

Gael se releva et inspira un grand coup en faisant tourner le sabre en bois dans sa main, avant de se remettre en garde.

Guillaume et lui n’étaient déjà pas des débutants à la base, mais sous la tutelle de la Japonaise, ils avaient fait des progrès fulgurants. A peu près autant qu’elle au corps à corps sous la leur…

Le ciel se couvrait un peu, après une journée caniculaire, lorsqu’ils rentrèrent tous trois à la maison, en fin d’après-midi.

Tsume et Phil les attendaient sagement devant la télé. En chaleur, le loup préférait éviter les entraînements et s’était fait porter pâle pour le stage d’été. Il était trop nerveux et facilement agressif dans ces périodes-là. A la maison, dans un contexte familier, ça allait, mais dans le contexte d’art martial, il risquait de s’emballer. Et il était beaucoup trop fort pour se le permettre.

Il se leva du canapé quand il entendit le portail et fut dans l’entrée juste comme Gael entrait, la porte étant ouverte.

« Okaeri.

Tadaima !! » répondirent en chœur les sportifs.

Yami, le corbeau, dormait sur les genoux de Phil qui le prit pour le poser délicatement à côté avant de se lever à son tour. L’oiseau ne broncha même pas.

« Tout va bien, ici ? demanda Guillaume.

Oui, oui, répondit Tsume. Tranquille. On s’est tenus au frais… On a préparé des brochettes et un gros taboulé pour ce soir… »

Phil les avait rejoints, tout sourire :

« Coucou !! »

Le petit bonhomme vint joyeusement passer ses bras autour de la taille de son frère pour son petit câlin rituel du soir. Gael gloussa et le serra doucement :

« Coucou, toi ! Ça va ?

Oui !… »

Le petit bonhomme leva le nez vers son grand frère :

« Dis, dis, tu pourras regarder mon cahier de vacances pour corriger ?

Bien sûr ! Va le chercher, si tu veux, on va regarder tout de suite, avant de manger.

D’accord ! »

Phil partit en courant et Guillaume sourit, comme les autres. Yuuki posa son sabre en bambou dans l’entrée et dit :

« Johann et Lena, pas là ?

Non, pas encore… répondit Tsume. Johann devrait pas tarder, mais Lena, comme d’habitude, on verra… »

Guillaume soupira :

« Elle est en vacances dans trois jours… Je pense qu’elle va dormir pendant une semaine… Au moins… »

Ils eurent un petit rire.

La doctoresse était au bout du rouleau et attendait ses congés avec impatience. Même avec trois médecins, le cabinet du village était perpétuellement débordé. Il fallait dire que Lena et le vieux docteur Georges avaient eu beaucoup de mal à faire admettre à une bonne partie de leur patientèle que leur nouveau collègue était un homme compétent, à l’arrivée de ce dernier, l’été précédent. Ça commençait à peine à aller mieux. Et il allait bien falloir, puisque c’était lui et Georges qui allaient devoir gérer pendant un mois.

Pause longue, mais nécessaire à la jeune femme qui bossait 6 jours par semaine et de 7h à 19 ou 20h, en moyenne, le reste de l’année.

Il était d’ailleurs 19h un peu passé lorsque Lena revint et elle resta à discuter encore quelques minutes, au portail, avec l’homme qui l’avait raccompagnée, puisqu’il s’agissait du voisin des Dalo et de son collègue, le docteur Abdallah Tabib, réfugié syrien installé là depuis presque un an avec son épouse Layla, sa jeune soeur Messaouda et sa fille, Radidja.

Les entendant de la terrasse où il préparait le barbecue, Guillaume les rejoignit tranquillement.

« … Non, mais ne t’en fais pas, je m’en chargerai, disait Abdallah.

C’est sympa. On regarde son dossier demain ?

Bien sûr, pas de problème. Oh, salut, Guillaume.

Bonsoir, bonsoir… Presque rentrés de bonne heure, dites donc, remarqua l’historien en serrant la main du Syrien.

Les gens commencent à partir en vacances, on a presque un peu moins de patients, lui répondit Lena.

Oh, merveilleux ! Comment ça va, Abdallah ?

Bien, merci. Et merci pour la perceuse, n’hésite pas à passer la récupérer, on a fini.

D’accord, noté. »

Abdallah les salua et partit tranquillement. Guillaume attrapa Lena pour la tirer dans ses bras et couina en faisant la moue :

« Et mon bisou du soir ?…»

Elle rigola et se dressa sur la pointe des pieds pour l’embrasser :

« Bonsoir, mon chéri.

– Salut. » répondit-il en souriant aussi.

Ils retournèrent sur la terrasse tous deux. Elle posa son sac au sol et s’assit sur une chaise de la table de plastique blanc qui se trouvait là. Elle s’étira avec un gros soupir alors que lui retournait au barbecue. Il reprit où il en était, à savoir faire chauffer les braises. Il avait versé le charbon et mis du petit bois pour allumer. Entendant Lena bâiller, il eut un petit rire à son tour et lui jeta un oeil par dessus son épaule :

« J’en connais une qui va faire un gros dodo !!!

Hmmm, grave ! répondit-elle en croisant ses bras sur la table pour poser sa tête dessus. Et toi, ça va ? Bien fini, le stage ?

Ouais, tranquille. On a bien sué !! Yuuki nous a envoyés par terre pas mal de fois au kendo, on a fait pareil au kung-fu, une journée normale, quoi. »

Il mit le feu et le regarda prendre tranquillement.

« Ça va, au cabinet, ils arriveront à gérer sans toi ?

– Bien obligés, je les ai prévenus, surtout Georges. Il a déconné, ça le regarde, mais là, il va assumer. Hors de question que je sois obligée de revenir pour les aider à cause des caprices de ces vieux racistes. Il a voulu entrer dans leur jeu, je lui ai dit que c’était une erreur, qu’il se démerde. »

Guillaume eut un sourire. Ça, il en était bien conscient lui aussi.

L’arrivée de la petite famille syrienne avait déclenché un tollé assez incroyable dans le village, surtout chez beaucoup de retraités et de personnes, âgées ou pas, trop perméables aux reportages de TF1 ou BFMTV. Accusée avant même leur arrivée de tout un tas de choses pas claires et pas beaucoup plus cohérentes, elle avait cependant pu compter sur le soutien quasi immédiat et depuis indéfectible des Dalo & Co. Guillaume ne niait pas avoir fait un petit sondage mental des nouveaux venus, tout comme Gael avait lu leurs auras, mais c’était pratiquement un réflexe chez le premier quand il rencontrait quelqu’un et un pouvoir naturel, désormais aussi normal pour lui que de respirer, pour le second. Et ne sentant rien de particulier chez leurs nouveaux voisins, à part un traumatisme bien normal pour des réfugiés de guerre, ils les avaient accueillis avec sympathie et bienveillance.

Abdallah était un homme intelligent, calme et bien conscient des tensions que pouvait créer leur présence. Et pour cause : étant le seul d’eux quatre à parler français à leur arrivée, il en avait assez entendu de bien trop de gens pour n’avoir aucun doute sur ce qu’on pouvait penser d’eux, sans compter le fait qu’il avait géré toute la partie administrative, et même avec l’aide d’associations et d’assistantes sociales, obtenir le statut de réfugiés avait été une sacrée galère.

Layla, son épouse, n’était dépourvue ni de beauté ni d’intelligence, mais elle était plus jeune, issue d’un milieu rural très traditionaliste qui l’avait formatée avec une rigueur religieuse indiscutable dans son rôle d’épouse pieuse et soumise. Ajoutez à ça les traumatismes de la guerre comme du voyage, vous obtiendrez une personne n’ayant que trop peu de confiance en elle et en les autres. Ça aurait paru paradoxal à beaucoup de braves Franchouillards, mais ce n’était pas à cause d’un époux islamiste et tyrannique qu’elle continuait de porter le voile et se montrait si introvertie. La jeune femme de 27 ans (Abdallah en avait 32) commençait à peine à parler français et avait réellement peiné à s’intégrer. Abdallah l’y poussait pourtant, bien plus conscient qu’elle ne l’était du fait qu’ils ne pourraient peut-être jamais rentrer, ce qu’elle espérait encore de tout cœur.

Layla se méfiait de Lena, un peu par jalousie de la voir si proche de son mari, qui s’était très vite bien entendu avec elle, en toute camaraderie, et surtout car elle la jugeait bien trop libérée, pour ne pas dire dévergondée. Sa relation affichée et hors-mariage avec Guillaume l’avait beaucoup choquée, et elle ne comprenait toujours pas que ça ne dérange pas plus de monde. Exactement comme la relation de Gael et Tsume, d’ailleurs. Si elle avait mieux parlé français, elle aurait su que si, si, ça dérangeait beaucoup de monde.

Et la surprise avait été aussi grande que générale lorsque la jeune Syrienne s’était finalement liée d’amitié avec Yuuki, qui ne parlait pas mieux français qu’elle à ce moment-là et n’était pas vraiment plus intégrée.

Personne ne savait d’ailleurs trop comment ça avait commencé. Sans doute les deux femmes, qui restaient souvent seules chez elles, surtout une fois la rentrée faite, s’étaient-elles trouvées plusieurs fois ensemble au marché. Toujours est-il qu’elles avaient rapidement pris l’habitude de faire les courses et la cuisine ensemble, car Layla ne conduisait pas et Yuuki lui avait proposé de l’emmener quand elle y allait. Layla avait bien sûr demandé l’accord d’Abdallah qui avait accepté, heureux de s’en décharger, vu les journées de travail qu’il avait, tout autant que de constater que son épouse avait enfin trouvé une amie. Ce qui avait eu pour dommage collatéral que Layla parlait désormais un peu japonais et Yuuki autant d’arabe.

Il était depuis coutumier de les trouver ensemble l’après-midi, le plus souvent dans le salon des Dalo, Yuuki jouant du koto ou lisant et Layla lisant aussi ou faisant des travaux de couture ou de broderie, le tout devant un bon thé, vert au riz soufflé ou noir à la menthe, accompagné de dorayaki ou de pâtisseries arabes selon les jours.

C’était là que Tsume et Messaouda, la jeune sœur d’Abdallah âgée de 17 ans, les trouvaient lorsqu’ils revenaient des cours particuliers qu’ils prenaient, après avoir été chercher la petite Radidja et Phil à l’école primaire.

Radidja était un peu plus âgée que Phil, mais elle s’était retrouvée dans sa classe à la  rentrée, au CP, donc, alors même qu’elle ne parlait encore que deux ou trois mots de français. Ça avait été très compliqué de convaincre sa mère de la laisser aller, sans voile, dans une école mixte. Mais puisqu’il n’y avait pas le choix, elle avait fini par céder. Layla demeurait très inquiète au début, par forcément à tort quand on connaissait cette petite école de campagne tranquille, avec peu d’élèves, tenue par des instituteurs un peu âgés, bien calés dans leur routine et paniqués dès qu’un élève sortait un peu du lot. Leur vision de ce qu’était un élève « difficile » aurait fait hurler de rire les 3/4 de leurs collègues, mais l’arrivée de cette petite demoiselle sur laquelle on projetait déjà bien trop de fantasmes, haineux ou condescendants, s’annonçait compliquée.

La fillette s’était retrouvée isolée le jour de la rentrée, les autres enfants se connaissaient déjà et beaucoup, soit n’avaient pas grand-chose à faire de la nouvelle, soit parfois, avaient tristement entendu leurs parents parler d’elle et les siens comme de sales bougnoules, d’islamistes venus voler leur argent ou leur travail, quand certains ne racontaient pas carrément que c’était une famille de terroristes. Et c’était donc là que, de façon assez surprenante quand on connaissait sa misanthropie habituelle, Phil avait décidé de son propre chef d’aller vers elle pour ne pas la laisser seule.

Un peu méfiante, tant à cause de qu’elle avait pu vivre que de sa mère, qui lui avait déjà inculqué une certaine peur des garçons, et surtout très timide, Radidija avait cependant assez vite jugé ce garçon-là sympathique. Même si elle ne parlait pas français, lui la comprenait étonnamment bien aux yeux du personnel enseignant. Guillaume, Gael et Lena pensaient que leur petit bonhomme devait aussi avoir une certaine empathie pour les humains.

La question s’était d’ailleurs posée de savoir si son désintérêt fréquent pour ses semblables n’était pas en fin de compte une façon pour lui de se protéger de leurs émotions. Celles des animaux étaient souvent bien moins violentes.

L’année s’était passée assez paisiblement pour les enfants et la petite fille parlait désormais un français correct et le lisait et l’écrivait tout aussi correctement, tout comme l’arabe d’ailleurs, que sa tante Messaouda s’était fait un devoir de lui apprendre, tout comme elle l’avait d’ailleurs appris à Layla dès qu’elle l’avait pu. Car contrairement à sa belle-sœur, Messaouda était une jeune fille, certes assez timide vu de France, mais bien plus vive d’esprit, bien moins formatée, et surtout bien plus décidée à se prendre en main et à faire des études pour devenir médecin, comme son frère. Le tout un peu grâce à celui-ci, d’ailleurs, qui la poussait dans cette voie, tout comme il essayait de pousser Layla à déployer ses ailes.

La vieille dame qui donnait des cours de français à Tsume était partie en maison de retraite, mais une autre avait pris le relais, plus jeune, plus dynamique et surtout, elle ne se limitait pas au français. Tsume continuait donc à suivre ses leçons avec assiduité, et Messaouda l’avait rejoint peu de temps après son arrivée, désireuse, avec, donc, la bénédiction de son frère, d’apprendre le français tout comme de se mettre à niveau afin d’intégrer rapidement le lycée. Mathilde, ancienne institutrice touche-à-tout aussi énergique que passionnée par tout ce qu’elle pouvait découvrir, était toute contente d’avoir deux élèves. Elle se faisait payer une bouchée de pain, ayant une bonne retraite et vivant comme un devoir le fait d’aider de jeunes étrangers. Elle faisait d’ailleurs un peu de soutien scolaire à l’occasion pour des enfants en difficulté. Elle mettait donc poliment ses deux élèves dehors à  l’heure de la sortie de l’école, les accompagnant quand elle le devait pour aller chercher « ses petits » alors qu’eux allaient chercher les leurs.

Messaouda n’avait pas été longue à laisser tomber le voile, avec la bénédiction d’Abdallah et à la grande horreur de Layla. Cette dernière voyait en plus d’un très mauvais oeil qu’un garçon suive les mêmes cours, dans la même maison, que sa jeune belle-sœur. A sa décharge, elle avait eu beaucoup de mal à comprendre à quel point Tsume ne risquait pas de faire de mal à Messaouda. Cette dernière avait d’ailleurs été méfiante un moment. Au début, elle refusait fermement qu’il l’accompagne et la raccompagne, ce qui était d’autant plus idiot qu’ils faisaient exactement le même trajet.

Tsume ne s’en formalisait pas, se contentant de veiller sur elle de loin, car il craignait que des villageois ne finissent pas s’en prendre à elle. Ça n’avait pas loupé, mais, heureusement pour elle et comble de malchance pour les agresseurs, il avait fallu qu’ils agissent un jour de septembre où Gael, finissant plus tôt au lycée, était venu chercher son loup en voiture en en revenant. Messaouda avait refusé de monter avec eux deux pour faire le trajet jusqu’à l’école primaire, mais, à pied, coupant par des petites rues de village dans laquelle la voiture ne passait pas, elle était aussi rapide qu’eux et c’est au détour d’un virage, à deux rues de l’école, que les deux jeunes gens avaient vu les habituels écervelés encerclant la jeune fille. S’approchant et les entendant lui expliquer leur désir de lui apprendre la vie tant il était dommage qu’une jolie fille comme elle loupe ça, Gael et Tsume avaient échangé un regard et le jeune homme arrêté sa voiture près d’eux pour en descendre sans attendre :

« Vous foutez quoi, là ? » avait-il demandé sans plus de préambule.

Messaouda, dos au mur et serrant son sac dans ses bras, ne comprenait pas grand-chose à ce que racontaient ces garçons, mais avait peu de doutes sur leurs intentions. Elle avait regardé avec autant d’inquiétude Gael et Tsume, pas très sûre des leurs.

Alors que deux des quatre crétins échangeaient un regard inquiet, un autre grogna et le dernier se tourna vers les nouveaux venus :

« Tiens, les deux tarlouzes ! Qu’est-ce qu’il y a, vous voulez participer ?

– Non, désolé, Messaouda est pas vraiment notre type de mec et puis on se suffit, tous les deux. Par contre, si vous pouviez la laisser tranquille, ça serait une bonne idée, parce que j’ai pas super envie d’être à la bourre à l’école, en fait, et elle non plus, je pense… »  

Le jeune excité s’avança vers Gael :

« Qu’est-ce t’en sais, de ce qu’elle veut ! Elle nous a pas dit non !

Elle comprend pas ce que vous dites et tu le sais très bien, pauvre con. Maintenant vous avez le choix, vous foutez le camp et vous l’oubliez et on vous oublie aussi, ou vous insistez et vous vous expliquerez avec les gendarmes… Je pense qu’ils se feront un plaisir de vous expliquer le mot ‘’consentement’’. »

Tsume eut un sourire quand Gael ajouta avec un sourire en coin lui-même en croisant les bras :

« On sait que quatre syllabes, c’est un peu trop pour vous, mais bon… »

Le troisième grondait toujours, mais l’un des deux autres s’était approché du quatrième :

« Laisse tomber, Lionel, on ferait mieux d’y aller…

Qu’est-ce t’as, Ludo, elles te font peur, les deux tarlouzes ?!

T’es con ou quoi ? Je m’entraîne avec eux, je te rappelle, et t’as clairement pas le niveau, aucun de nous, même à quatre ! »

Tsume ricana et Gael eut un autre sourire en coin :

« Tu ferais bien de l’écouter, Lionel, avant qu’on vous fasse une démo. »

Ludo et le deuxième, Benoit, avaient réussi à entraîner Lionel et le grognant Nicolas. Tsume avait rejoint Messaouda. Elle regardait les quatre s’éloigner, toujours inquiète, avant de regarder le Japonais sans vraiment perdre son regard inquiet.

« Ça va ? » lui demanda-t-il.

Elle comprenait au moins ça et bredouilla :

« …Oui…?… »

Gael décroisa les bras avec un sourire soulagé :

« Faudra prévenir Abdallah, qu’il lui explique… Bon, on y va ? On va vraiment être en retard à l’école, là. Radidja et Phil vont nous attendre… »

Messaouda n’était montée dans la voiture qu’avec une réticence flagrante, mais puisqu’ils l’avaient menée à l’école primaire sans détour, sans geste ni propos déplacé, elle s’était un peu détendue. Gael les avait ramenées chez elles sans plus traîner et ce n’était qu’en sortant du véhicule, lorsque Tsume l’avait saluée en lui disant « A demain. », qu’elle leur avait enfin souri en répondant la même chose.

Et dès le lendemain, ils faisaient les trajets ensemble. Et dès que, quelques semaines plus tard, Layla et Yuuki avaient commencé à passer leurs après-midis ensemble, eux-mêmes s’étaient joint à elles, avec les enfants, pour faire leurs devoirs tous ensemble.

Guillaume avait pris ça bien et se joignait volontiers à la troupe lorsqu’il était là, tout comme Gael et Johann, d’ailleurs. Layla, Messaouda et Radidja partaient en général vers 18 ou 19h.

Layla avait eu un peu de mal avec la présence d’hommes dans ces moments. Tout comme elle avait eu beaucoup de mal aux repas communs, lorsque Guillaume les avait invités à manger, dès leur arrivée, pour la fêter. Un repas mixte était réellement choquant pour elle, le fait que ce soit Gael et Tsume qui aient cuisiné et fait le service aussi. Et puis, autant elle avait tout de suite trouvé Yuuki très convenable, pudique et posée, autant elle avait tout aussi vite jugé Lena avec sévérité. Et elle avait vraiment mis un moment à comprendre la nature de la relation de Gael et Tsume… Il avait en fait fallu qu’Abdallah lui explique.

Il ne savait pas trop s’il devait rire ou pleurer, le lendemain, quand il avait raconté ça à Lena, alors qu’ils avaient réussi à trouver deux minutes pour se boire un café, juste avant qu’elle ne parte faire les visites à domicile.

« … Et elle a réagi comment ?

Ben, en fait, pas si mal… Et au moins, j’espère qu’elle a compris que Messaouda ne craignait rien en leur compagnie… »

Lena avait hoché la tête avec un sourire :

« Tant mieux. Mais dis voir, toi, ça ne t’a pas gêné ? »

Il avait haussé les épaules avant d’avouer :

« J’ai fait mes études ici, je te l’avais dit… »

Lena avait à nouveau hoché la tête. Ce n’était pas par hasard qu’Abdallah avait tout fait pour que sa famille vienne en France.

« … J’avais quelques camarades de ce bord, en Cité U. Tu m’aurais connu à l’époque, j’ai eu un peu plus de mal à m’y faire. Mais bon, avec le recul, ils ne font de mal à personne… Et puis, très sincèrement, moi aussi, ça m’arrange de savoir que Messaouda n’a rien à craindre d’eux. »

Si Lena avait accueilli Abdallah à bras ouverts, soulagée d’avoir enfin un troisième médecin dans le village, le vieux Georges avait été un peu plus réservé. Pas vraiment ni méchant ni rebuté, mais clairement dubitatif. Lui, au moins, n’avait pas remis en cause les compétences du nouveau venu, contrairement à une partie de la patientèle.

La règle établie était la suivante, et ce depuis l’arrivée de Lena : un des médecins faisait les visites à domicile, le matin, alors que l’autre gardait le cabinet pour les visites sans rendez-vous, avec l’assistance de la fidèle et increvable Jacqueline Valet, secrétaire médicale efficace. Les deux restaient au cabinet pour les rendez-vous, l’après-midi. Avec l’arrivée d’Abdallah, deux médecins gardaient le cabinet le matin, mais du coup, ils étaient trois l’après-midi, pour pas beaucoup plus de rendez-vous, ce qui permettait d’en avoir un de dispo plus facilement en cas d’urgence, à domicile ou pas, et aussi de pouvoir en dépêcher un, un après-midi par semaine, à la maison de retraite locale, Les Charmes des Sources, sans que l’autre se retrouve noyé au cabinet.

Ça, c’était la théorie, qui avait eu un peu de mal à devenir pratique. La faute à des patients qui avaient tout simplement refusé qu’Abdallah s’occupe d’eux.

Patients minoritaires, mais qui avaient réussi à venir à bout de la patience de Lena en quelques semaines.

C’était en effet début octobre, alors qu’une épidémie de gastro assez violente avait frappé le village, que la doctoresse, en revenant de sa tournée matinale, s’était faite alpaguer par la grand-mère Gordiflot, outrée d’attendre depuis deux heures, et elle n’était visiblement pas la seule. Il était plus de 14h alors que la tournée devait se finir vers 11h. Lena avait froncé les sourcils et regardé la secrétaire :

« Jacqueline, il y a un souci ? »

La salle d’attente n’était pas si pleine, et avec ses deux collègues, il était devenu rare d’attendre tant. Jacqueline Valet, paisible quinquagénaire à lunettes, aux cheveux désormais plus gris que noirs, avait soupiré et répondu :

« Le docteur Ligendre a dû partir d’urgence pour une crise cardiaque aux Charmes.

Euh, OK, et ?

Eh bien, madame Gordiflot a refusé à deux reprises que le docteur Tabib s’occupe d’elle, donc, elle attend. »

Lena avait jeté un oeil aussi sombre que las à la vieille dame qui avait protesté :

« Quoi, j’exige d’être soignée par un vrai médecin et pas par ce… Cet Arabe sorti d’on ne sait où !

C’est vrai, ça ! avait aussi râlé une autre patiente. Comment vous avez pu accepter ça ! Confier nos vies à un réfugié…

C’est vrai, c’est scandaleux, avait renchéri madame Gordiflot. Je n’ai vraiment pas que ça à faire, je veux mon ordonnance, maintenant que vous êtes là… »

Un autre jour, Lena se serait peut-être contentée de leur rire au nez. Pas celui-là. Elle avait explosé.

« Je ne suis pas à votre service, madame ! Non mais c’est quoi, cette merde ?! Vous vous croyez où, là ? Vous avez lu le panneau, sur la porte et dans la salle d’attente ? Ici, vous êtes pris en charge par le médecin présent, POINT ! Si ça vous va pas, libre à vous d’aller vous faire soigner ailleurs ! Surtout quand c’est venir nous emmerder pour une ordonnance qui ne sert à rien d’autre qu’à calmer la vieille hypocondriaque que vous êtes et qui va très bien ! En tout cas, moi, je vais vous dire un truc très simple : je suis debout depuis 6h du mat’, en visite depuis 7 et j’ai pas eu deux putains de minutes pour me poser depuis, j’ai même pas pu aller pisser, alors je vais prendre ma pause comme prévu, prendre le temps de manger et après, j’ai assez de rendez-vous pour m’occuper. Alors, soit vous acceptez gentiment que le docteur Tabib s’occupe de vous, soit vous poireautez jusqu’à ce qu’on ait un trou, si vous avez que ça à faire ! Et pour votre info, il est diplômé de l’université de Caen, qui est juste une des meilleures de France ! »

La porte de la salle de pause avait claqué et un silence plus qu’éloquent avait suivi.

Lorsque Lena était revenue, 1/2h plus tard à peine, l’autre patiente qui avait râlé n’était plus là, mais madame Gordiflot, si. Jacqueline avait souri à la doctoresse quand elle l’avait rejoint et lui avait dit tout bas :

« Votre rendez-vous de 14h30 est là. »

Et Lena avait vu avec une satisfaction certaine la seconde râleuse sortir du bureau d’Abdallah qui l’avait gentiment raccompagnée :

« Du repos, surtout, et prenez bien vos cachets. »

Avant de rejoindre à son tour le bureau :

« Bonjour, Lena. Ça va ?

Ouais, mieux après manger, sans grande surprise. Tu as eu le temps, toi ?

Pas encore.

Le docteur Ligendre arrive, il a appelé, était intervenu Jacqueline. Vous pourrez sûrement vous arrêter un peu quand il sera là. »

Georges Ligendre avait été très ennuyé de la situation. Il avait reçu madame Gordiflot sans attendre, puis avait tenté de justifier les craintes des patients qui refusaient de voir Abdallah. Lena n’avait rien lâché et le vieux médecin avait donc pris sur lui de gérer cette patientèle-là. Lena lui avait assez dit que c’était une mauvaise idée, et les quelques congés qu’elle avait pris entre temps l’avaient confirmé, mais il n’en démordait pas et les quelques patients irréductibles non plus. L’été allait être compliqué…

Mais ce n’était pas le problème de Lena.

*********

« Fait chôôôôôôôôôô »

Les gémissements de Gael firent glousser Guillaume et Tsume. Johann, occupé à jouer sur la console près d’eux, soupira, amusé :

« Je crois qu’on est en canicule.

Ah, c’est pour ça… »

Les quatre hommes, en caleçon, suaient en chœur dans le salon, Guillaume sur un fauteuil, Johann sur un autre et les amoureux sur le canapé, pas trop serrés.

« J’en reviens pas que Yuuki et Phil aient eu envie d’aller se balader dans la forêt cet aprem… soupira Guillaume.

D’un autre côté, il doit y faire bon… remarqua Johann en tapotant frénétiquement la touche B de sa manette.

Pas le courage d’aller jusque là… gémit Gael.

Grave, la simple idée de bouger de canap’ me liquéfie… souffla Guillaume.

Va falloir pourtant, la bouteille est vide…

Argh… »

Tsume rit encore et se leva lentement, s’appuyant sur l’accoudoir du canapé :

« J’y vais.

Merci ! » lui répondirent les autres en chœur.

Le loup retourna à la cuisine avec la bouteille vide, la remplit, la mit au frigo, à la place d’une autre qu’il prit et ramena au salon. Il la posa sur la table basse et demanda :

« Quelqu’un veut une glace, tant que je suis debout ? »

Trois mains se levèrent, sans grande surprise.

Tsume rigola et repartit à la cuisine. Chemin faisant, il croisa Lena qui redescendait de l’étage où elle avait fait la sieste. La doctoresse était en brassière et short.

« Bien dormi ?

Ouais ouais

Tu veux une glace ?

Ah ouais, merci ! »

Elle rejoignit le salon où elle s’assit sans sommation sur les genoux de Guillaume, qui tenta de protester de façon d’autant moins crédible qu’il éclata de rire :

« Eh mais non non non !!! Il fait trop chaud pour les câlins, là !

Désolée, Professeur, y a que cinq places dans ton salon et il y a un fauve sur le troisième fauteuil ! »

Méphisto avait à peine bougé une oreille. Gael riait aussi et Johann lui fit un clin d’oeil : 

« Non mais on a compris que tu voulais juste le faire suer pour avoir une excuse pour le traîner sous la douche, Lena !

Damned, je suis découverte ! »

Gael repartit dans un fou rire et Tsume revint avec les glaces :

« Y a plus que chocolat-caramel, il faut racheter.

Ça ira pour aujourd’hui. »

La petite bande finissait ses barres de glucides congelées lorsque Phil et Yuuki revinrent de leur balade forestière. La Japonaise était grave et le petit bonhomme se précipita vers son oncle :

« Tonton, Tonton ! Il y a un lutin qui a un message pour toi ! »

Guillaume se redressa sans grande énergie, surpris et vaguement inquiet :

« De quoi ? »

Il était assez rare qu’un membre du Petit Peuple juge nécessaire de s’adresser à lui, mais pour estimer le problème assez grave pour lui faire passer un message par son neveu, c’est que ça devait être sérieux.

Phil vint s’appuyer sur l’accoudoir du fauteuil :

« Il y a quelque chose dans la forêt, mais ils ne savent pas quoi, personne n’est arrivé à le voir pour de vrai. Ils entendent une voix qui chante, une voix de dame, très jolie, dans une langue qu’ils ne connaissent pas. Ça fait quelques nuits, ils ont très peur, mais personne n’a été blessé. »

Yuuki prit la bouteille et en vida la moitié alors que Phil continuait :

« Et j’ai demandé à des animaux, mais ils ne savent pas plus. Ils disent qu’il y a une dame qui chante, aussi, mais personne ose approcher. »

Yuuki reposa la bouteille :

« Nous avons rien vu, nous, en tout cas. La forêt, elle avait l’air normale… Très calme, demo, avec la chaleur…

Merci à vous deux de l’info… »

Guillaume fit la moue et échangea un regard avec Lena :

« Voilà qui est fort bizarre.

Tu m’ôtes les mots de la bouche.

Je vote pour un petit tour dans la forêt cette nuit.

J’allais te le proposer. »

Tsume finit la bouteille en disant aux promeneurs qu’il leur avait gardé des glaces. Ils allèrent les chercher alors que Gael soupirait :

« Tu penses que c’est encore un truc chelou qui vient du Second Monde ?

Ça serait l’explication la plus simple, mais je vois pas quoi, ni comment. Le Petit Peuple connait les êtres qui y vivent, normalement… Je ne vois pas trop ce qui pourrait en sortir sans qu’ils sachent ce que c’est, sans compter cette histoire de langue…

Y a qu’une façon de savoir, c’est aller voir. » dit Tsume.

Méphisto bâilla profondément, faisant bâiller tous les humains présents. Puis Guillaume soupira :

« OK, mais on verra ça cette nuit… »

Il ajouta :

« Si ça fait quelques jours et que personne n’a été blessé, c’est que, quelle que soit la créature à qui appartient cette voix, elle n’est pas agressive. Donc, on fera ça au frais… »

*********

La sonnerie du téléphone réveilla Guillaume beaucoup trop tôt à son goût et il grogna donc en conséquence.

Il se redressa en marmonnant des paroles inintelligibles à propos de gens bien trop matinaux pour un mois de juillet et tendit le bras pour attraper l’appareil. Il fronça les sourcils en voyant le nom et jura avant de s’asseoir, de décrocher et de dire d’une voix enraillée par le sommeil :

« Respect au Conseil…?

Respect au Gardien. »

Reconnaissant la voix féminine, grave et douce, qui l’avait salué, Guillaume sourit sans vraiment perdre son inquiétude.

« Bonjour, Magdala.

Bonjour, Guillaume.

Que puis-je pour toi, si tôt ?

‘’Si tôt’’ ? rit-elle. Il est presque 13h, tu sais…

Oui, ben 13h du matin, c’est tôt ! rit-il aussi et Lena remua dans le lit pour venir se blottir contre lui dans un demi-sommeil.

Bon, si tu veux… Il est forcément tôt quelque part dans le monde, j’imagine.

Tout à fait.

Tu as fait la java toute la nuit ?

Même pas, on était dans la forêt… Le Petit Peuple et les animaux nous avaient averti qu’une créature non-identifiée rodait depuis quelques jours, enfin quelques nuits… On a cherché, on l’a affectivement entendue chanter, mais impossible de lui mettre la main dessus. On l’a sentie tout près plusieurs fois, Gael l’a même aperçue, mais rien à faire.

Oh, je vois… Eh bien, mon coup de fil a peut-être un rapport.

Ah ? »

Guillaume fit la moue et l’écouta :

« Nous avons reçu hier la visite de deux voyageurs de l’Est à la recherche d’une créature apparemment dangereuse qui se serait échappée de chez eux il y a quelques semaines.

Quoi, comme créature ?

Une vieille roussalka, d’après leurs dires. Tu vois ce que c’est ?

Euuuuh… Je crois, je vérifierai. Quel rapport avec moi ?

Ils pensent qu’elle cherche une Porte.

Si loin de chez elle ?

Si loin ou pas, n’oublie pas qu’il ne reste plus tant de Portes en Occident… La tienne semble être la plus proche de l’endroit d’où elle vient.

Ah oui, exact… C’est vrai que vu comme ça, ça se tient.

Bref, il est possible que ces hommes viennent te voir.

Et il est possible aussi que la créature non-identifiée soit celle qu’ils cherchent.

Du coup, oui. Et soyez prudents, ils ont bien insisté sur le fait qu’elle était dangereuse. N’hésite pas à nous appeler si tu as besoin de renfort. »

Guillaume soupira encore en passant sa main dans ses cheveux :

« D’accord. Merci, Magdala. Autre chose ?

Oui ! On voulait faire le barbecue le 12 août, cette année, ça vous irait ?

Euh, je crois que oui, il faudra regarder…

Vous serez revenus du Japon ?

Largement, oui, puisqu’on y va pas. Enfin, Tsume devait y aller seul avec Yuuki, mais on attend de voir. Vu la chaleur là-bas, leur grand-mère les a presque autorisés à ne pas y aller cette année… »

Si la France souffrait d’une canicule féroce, ce n’était rien à côté de celle qui frappait le Japon cet été-là. L’archipel s’était mis en catastrophe naturelle et on y comptait les morts par dizaines.

« Donc, oui, on sera là.

Parfait ! On ferait ça chez Jérémie et Jessica ?

Cool. Je note et je te confirme.

Merci ! Bon allez, je t’embête pas plus. Finis bien de te réveiller. »

Il rit encore, la salua et raccrocha. Puis se laissa retomber dans le lit et Lena rit aussi en se blottissant cette fois contre son flanc.

« Salut, beau blond.

Bonjour, mademoiselle. »

Il y eut un petit silence, puis elle reprit :

« Quelle heure il est ?

D’après Magdala, presque 13h.

Qu’est-ce qu’elle voulait ?

Nous dire que le barbec est prévu pour le 12 août.

Cool. Et ? »

Il lui expliqua le reste et elle demanda :

« Roussaquoi ?

Rousssalka. Tu connais pas ?

Non. Combien ça a de pattes, ce truc-là ?

Deux, je crois… ‘Faut que je vérifie, je suis plus doué en mythologie japonaise… Je crois que c’est un peu l’équivalent russe, enfin slave des sirènes ou des naïades de chez nous… Des créatures de l’eau…

Mais pourquoi elle chercherait une Porte ici ?

Parce que si elle vient de l’est de la Russie ou par là, c’est la plus proche. Celle de St-Petersbourg a été détruite dans les années 30 quand le Kremlin s’est mis à les chercher, et celle de Prague en 43, pour ne pas que les Nazis la trouvent… Il y a celle d’ici et une en Bretagne, une au Portugal, une dans les Cyclades… Une en Angleterre ou en Ecosse et je crois que celle d’Irlande a été détruite aussi par des ultras cathos au début du XIXe siècle…

Il y en a tant que ça, de Portes, par ici ? Il n’y en a que deux ou trois connues en Amérique, je crois…

Et au moins deux en Afrique, et on estime au minimum trois ou quatre en Asie, mais sans garantie, car ils sont très secrets, là-dessus.

Tu penses qu’il y en a une au Japon ?

Possible… C’est vrai que leur façon de passer du monde des hommes au monde des yokai pourrait le laisser croire. Mais bon… Ça n’est pas le problème pour le moment. »

Il se tourna pour embrasser rapidement sa douce et reprit :

« Pour le moment, on a une peut-être une roussalka prétendument dangereuse à attraper… »

Ils se redressèrent tous les deux.

« Tu as un doute ? »

Il sourit en sortant du lit et en se penchant pour ramasser son caleçon :

« Qu’en penses-tu ?

Qu’effectivement, elle est bien discrète et froussarde pour une créature dangereuse. 

On est d’accord… »

Elle se leva aussi et enfila un t-shirt trop large et un caleçon. Ils descendirent tranquillement.

Johann, qui ne s’était pas joint à eux la nuit précédente, car il gardait Phil, était à la cuisine, en train de manger avec le petit garçon. Attablés dans un angle de la table, ils s’étaient visiblement préparés du melon avec du jambon cru et une salade de riz avec du thon et des tomates.

« Ah, ben quand même ! » les salua le jeune homme avec amusement.

Phil rit aussi et Johann reprit :

« Alors nous, on est levé depuis 8-9h, alors on vous a pas attendu pour le déjeuner, hein.

Vous avez bien fait… répondit Lena avec un hochement de tête en s’asseyant.

Vous avez vu les autres ? demanda Guillaume en allant allumer la cafetière.

Yuuki se douche et on a pas vu Gael et Tsume, répondit Phil. Vous êtes rentrés tard ?

Vers 3 ou 4h, je crois, enfin je crois que c’est vers 3 ou 4h qu’on a décidé de laisser tomber… Le temps qu’on rentre, le jour pointait…

Et donc, bredouilles ? »

Guillaume alla regarder dans le frigo alors que Lena répondait :

« Oui et non… On a bien entendu une créature chanter dans une langue chelou, Gael a senti son aura et l’a aperçue, plusieurs membres du Petit Peuple nous ont confirmé qu’elle était là depuis trois jours, mais pas moyen de lui mettre la main dessus.

Ca te dit, un ‘tit brunch, ma chérie que j’aime ?

Tant que c’est toi qui cuisines, mon chéri d’amour… »

Ils rirent tous quatre alors que Guillaume sortait des œufs, du bacon et des tomates.

« Par contre, j’ai reçu un coup de fil de Magdala ce matin…

Magdala… répéta Johann en s’accoudant à la table. Ah oui, la sorcière du Conseil, là, la compagne du Polonais ? La petite brune toute ronde ?

Oui, la compagne de Wenceslas.

Qu’est-ce qu’elle voulait ? »

Un Gael tout ensuqué arriva en traînant les pieds. Il s’assit à la table en grommelant et Guillaume sortit paisiblement quelques ingrédients en plus.

« Barbec le 12. Mais aussi et surtout, deux gars sont passés les voir hier. Ils cherchaient une vieille roussalka et ça pourrait être la créature de la forêt.

C’est quoi ça ta roussatruc ? » bâilla Gael.

Son oncle lui apporta un grand mug de café. Mais il ne put pas répondre, car Johann le prit de vitesse, le nez sur son smartphone :

« ‘’Dans la mythologie slave, les roussalki (pluriel du russe : roussalka) sont des êtres fantastiques, proches des naïades ou sirènes de l’Antiquité, des fées, ondines, succubes ou dames blanches du Moyen Âge occidental. Presque toujours au pluriel dans la tradition populaire, le personnage est devenu un singulier dans la littérature (roussalka) et l’opéra (voir la Roussalka d’Antonín Dvořák)...’’ »

Tous le regardèrent avec surprise et Gael gloussa :

« Merci, Wikipédia. »

Johann lui tira la langue et Gael reprit en prenant sa tasse :

« Moi, ce que j’ai vu, c’est une silhouette blanche, assise sur un tronc renversé, qui brillait… Une femme, peut-être une jeune fille, avec des cheveux immenses qui flottaient autour d’elle… Mais elle a disparu en un clin d’œil.

L’article dit qu’elle peut se changer en petit animal ou en poisson.

Si on doit passer au crible tous les petits animaux de la forêt, ça promet du sport ! soupira Lena.

Donc, ça peut changer d’apparence ? demanda Gael.

Oui, apparemment… » dit Johann en lui tendant le téléphone.

Gael le prit et lut à son tour.

Guillaume avait mis la poêle à chauffer et y cassa les œufs. Puis, pendant qu’ils cuisaient, il coupa du pain pour le mettre à toaster.

« Et ces deux gars, c’est qui ?

Pas plus d’infos… Ils la cherchaient parce qu’elle se serait enfuie de chez eux et elle serait dangereuse…

Enfuie d’où ? demanda Phil. Pourquoi ? Elle était prisonnière, la roussalka ?

Ben on leur demandera, s’ils se pointent… »

Yuuki arriva, encore un peu humide, en débardeur et pantacourt amples. Elle sourit en voyant tout le monde :

« Ohayô minnasan. » [Bonjour, tout le monde.]

Elle s’assit alors qu’ils lui répondaient avec plus ou moins d’énergie. Elle refusa poliment lorsque Guillaume lui demanda si elle voulait des œufs, elle était levée depuis midi vingt et avait déjà mangé.

« On remet ça cette nuit ? » demanda Guillaume en servant les œufs et son bacon grillé à Gael, Lena et lui-même.

Gael vida sa tasse et hocha la tête :

« Ouais. Et qu’est-ce qu’on fait des deux gars qui la cherchent ?

On verra s’ils se pointent et ce qu’ils veulent. Et surtout, il faut qu’on sache ce et qui elle est, ce qu’elle fait là, pourquoi elle s’est enfuie et ce qu’elle veut.

Qu’est-ce qui te fait croire que c’est eux les méchants ? demanda Johann.

Je tente ! répondit Gael en levant une main, les faisant rire. ‘’On peut même, si on réussit à l’attraper, en marier une, à la condition de parvenir à lui passer la croix autour du cou. Cependant, elle repartira nécessairement à la fête suivante des roussalki (la semaine Roussalnaïa). »

Encore merci, Wikipédia ! gloussa Johann.

Et si elle a été emprisonnée, elle n’a pas pu repartir. Elle cherche peut-être juste une Porte pour rentrer chez elle, comprit Lena alors que Guillaume posait les assiettes devant Gael, puis elle et la sienne à côté, avant de s’asseoir près d’elle.

Bon, alors merci Wiki, mais je vais quand même faire d’autres recherches, sourit Guillaume.

Dans tes vieux gros livres tout poussiéreux ?

C’est ça. »

Phil avait fini de manger, Johann aussi. Le garçon se leva pour débarrasser leurs couverts en disant :

« Allez-y tranquille, on continuera les Il était une fois avec Phil…

Vous en êtes où ? demanda Lena.

On a fini La Vie, on est à la Renaissance sur L’Homme, répondit Phil.

Ou on s’entraînera pour vous poutrer à Mario Kart !! dit encore Johann.

Ouais !! » approuva joyeusement Phil.

Les deux compères se tapèrent dans la main et Yuuki se releva :

« Je vais m’échauffer pour ce soir…

Euh, en pleine chaleur, tu es sûre ? » sursauta Guillaume.

Elle lui sourit, amusée :

« J’ai connu bien pire à la saison des pluies… »

Elle partit tranquillement, les laissant stupéfaits.

« Elle est pas humaine, c’est pas possible… lâcha Johann.

Un titre de vice-champion du monde, ça s’obtient pas en boudant quand il fait trop chaud… » remarqua Lena.

La journée se poursuivit aussi chaudement que tranquillement.

Il était 21h30 et la nuit tombait lorsqu’ils repartirent dans la forêt.

*********

« Fait encore bien chôôôôôôô » chantonna Gael, tenant son sabre à deux mains au travers de ses épaules.

Près de lui, sous sa forme de loup, Tsume flairait l’air et le sol avec soin et Yuuki, son sabre dans sa main, suivait, sur ses gardes.

Ils étaient tous les trois ensemble d’un côté de la forêt, Guillaume et Lena d’un autre. Tout était très calme, trop presque. A cette heure-ci, les animaux et les oiseaux nocturnes auraient dû commencer à sortir et se faire entendre. Or, tous étaient étonnamment discrets.

Yuuki les arrêta soudain et ils tendirent l’oreille. La voix se faisait entendre, lointaine. Le chant était doux. Ils se regardèrent et hochèrent la tête. Ils repartirent lentement, soucieux de ne pas faire de bruit.

Le plan était simple : tenter d’encercler la créature pour la capturer, voir qui elle était et ce qu’elle voulait et selon, l’emmener dans le Second Monde ou pas. Pour le moment, Guillaume ne les avait pas prévenus.

Ils ralentirent et s’accroupirent alors que le chant se faisait tout proche.

Dans une clairière éclairée par la lune, ils virent, tous trois cette fois, la silhouette mince d’une belle femme, blanche et étincelante, aux cheveux argentés immenses flottant autour d’elle. Elle marchait, ou voletait peut-être, et sa voix douce et ensorcelante était aussi belle qu’angoissante dans le silence des bois.

Les trois spectateurs restèrent un instant subjugués, puis ils se reprirent et échangèrent quelques signes. Gael envoya un texto à Guillaume et Lena, pendant que Tsume partait sur sa gauche et Yuuki sur sa droite. Ça allait être très délicat d’attraper la créature sans son oncle et sa compagne, mais ils ne pouvaient pas prendre le risque de la laisser encore filer.

Gael se releva lentement pour mieux voir, restant caché derrière un arbre, respirant profondément pour garder son calme. Ils ignoraient tout de la puissance de cet être… Il espérait que ça allait rester gérable…

Il s’apprêtait à s’élancer lorsqu’un cri retentit, le faisant sursauter.

« ANYA ! »

Il vit, stupéfait, un garçon qui devait avoir à peu près son âge, blond aux cheveux mi-longs et épais, vêtu d’un survet’ crasseux et d’un sweat à capuche pas beaucoup plus neuf, et qui regardait la créature avec une colère bien visible. Gael jura entre ses dents alors que cette dernière, ayant cessé de chanter, se retournait et il blêmit en la voyant devenir en une seconde une vieille femme ronde et voûtée aux seins pendants, hideuse et elle gronda sourdement alors même que ses ongles devenaient de longues griffes visiblement acérées.

« Bordel de merde… » murmura Gael, blafard.

Le jeune inconnu ne sembla pas s’en émouvoir outre-mesure et dégaina sans ciller l’épée qu’il tenait avant de se précipiter sur elle avec un cri qui se voulait sûrement viril et impressionnant… Mais sa lame heurta celle de Yuuki qui s’était interposée en un éclair et qui cria :

« Tsume ! Shitagatte ! » [Suis-la !]

La créature avait filé et Gael entendit plus qu’il ne le vit son loup bondir à sa poursuite. Lui resta prêt à dégainer son arme, s’approchant de Yuuki qui retenait visiblement sans effort le blondinet fou de rage. Il parlait une langue qu’aucun d’eux ne comprenait, mais ne devait pas être très poli. Gael surveillait, à la lueur de la lune, se demandant bien qui était ce type, mais Yuuki le maîtrisait avec calme, il préféra donc ne pas s’en mêler. Ça risquait de perturber son amie plus que de l’aider.

Yuuki finit par envoyer le garçon voler avec force et il roula par terre en laissant échapper son épée. Yuuki ne baissa pas sa garde et resta à distance alors que Guillaume et Lena arrivaient en courant :

« Eh ! … Ça va ? »

Gael les regarda :

« Alors euh… Joker ? »

Le garçon se relevait en les agonisant d’injures, du moins le supposèrent-ils, et son aura n’annonçait rien de bon. Guillaume s’avança pour tirer Yuuki derrière lui alors que Lena et Gael se mettaient en garde.

Et ils restèrent tous les quatre stupéfaits, les yeux ronds, lorsqu’ils le virent décoller du sol pour voler s’écraser avec violence contre un arbre.

Un silence plus qu’éloquent suivit, interrompu par un soupir :

« Kirill… »

Ils virent alors sortir de sous les arbres un autre homme, plus grand et aussi bien plus élégant, et aux cheveux plus courts, argentés, qui approcha d’eux et s’inclina pour déclarer avec un accent léger :

« J’imagine que j’ai là le Gardien de ces lieux. Je vous prie d’excuser mon jeune frère, continua-t-il en se redressant, souriant aimablement. Il n’est pas encore très au fait des règles de ce monde… »

Il portait un grand sac qu’il laissa tomber au sol. Gael et Lena échangèrent un regard inquiet. Yuuki restait sur ses gardes et Guillaume aussi. Le garçon se releva encore en s’écriant, fou de rage :

« Yulian ! Chto »

Le nouveau venu soupira encore et eut un petit geste, comme s’il chassait une mouche, et le garçon alla se réécraser contre un autre arbre. Gael grimaça malgré lui.

« Je disais donc… Toutes mes excuses. Je ne voudrais surtout pas de souci avec vous. »

Guillaume fit la moue, les poings sur les hanches :

« A qui ai-je l’honneur ?

Je m’appelle Yulian et ce jeune idiot est mon frère, Kirill… »

Le dit Kirill fit un troisième vol plané lorsqu’il tenta de se jeter sur Yulian qui continua, l’air de rien :

« Nous avons été envoyés par notre père, le prince Léonti de Nichego, à la poursuite d’une créature qui lui a échappé. Le Conseil de Lyon vous a-t-il averti ?

Euh… Oui oui »

Tsume revint, toujours sous sa forme de loup, faisant sursauter Kirill qui se relevait encore et froncer un sourcil circonspect à Yulian. Gael se précipita :

« Tsu ! Tu vas bien ?…

Wouf »

Le grand loup s’ébroua vivement avant de reprendre sa forme hybride :

« Ça va, oui, mais elle a filé, j’ai perdu sa trace… »

Soulagé quand même de le revoir entier, Gael l’étreignit et Tsume sourit en répondant avec tendresse, faisant sourire tout le monde, sauf Kirill, décidément de sale humeur, qui s’épousseta en grognant avant de rejoindre enfin Yulian qui lui jeta un œil aussi rapide que sévère.

« Vous connaissez cette créature ? » demanda Guillaume en croisant les bras.

Yuuki rengaina son sabre, mais ce n’était pas un souci quand on savait à quelle vitesse elle pouvait le dégainer.

« Oui, répondit Yulian, toujours aimable. Elle s’appelle Anya. C’est une ancienne épouse de notre père qui a perdu la raison et que nous devions garder enfermée… Une roussalka très âgée, donc très puissante, qui s’est enfuie il y a de ça deux mois, environ. Nous la pistons depuis lors… Ça a été un long voyage, mais j’espère y mettre un terme ici. »

Guillaume le regarda un moment avant d’hocher la tête :

« Bien. Et vous êtes censés en faire quoi ? »

Yulian haussa innocemment les épaules :

« Ma foi, ce n’était pas formellement tranché… »

Kirill sursauta et serra les poings :

« Chto…! »

Gael se rapprocha, tenant Tsume par la main. Et ils sursautèrent tous deux comme Lena, Yuuki et Guillaume car, à défaut de l’envoyer encore contre un arbre, Yulian leva un œil exaspéré au ciel et une courte épée noire se matérialisa dans un nuage sombre dans sa main droite, épée qui se retrouva contre la gorge de Kirill, le tout en un battement de cils.

Yulian se tourna vers son frère pour lui parler très fermement dans une langue inconnue de tous. Les yeux de Guillaume virèrent un instant au rouge, ce que personne ne vit dans la pénombre, mais que Gael sentit. Mais ça ne fit que passer. Tous avaient vu Kirill se tendre et il semblait enfin calmé lorsque Yulian se tourna à nouveau vers eux pour reprendre avec un sourire :

« Vous êtes le seul maître ici, nous ne voudrions pas aller contre votre autorité.

Hm, hm. »

Le Gardien soupira à son tour :

« Où logez-vous ?

Nulle part, pour le moment… Nous venions justement nous présenter à vous lorsque nous avons senti son aura… Nous avons souhaité vérifier et Kirill m’a semé alors que je demandais à un hibou de nous renseigner… Je vous prie d’accepter mes excuses, encore une fois. Je n’aurais pas permis cette attaque si j’avais été présent.

Hm, hm… »

Guillaume hocha la tête :

« Bien, je crois qu’elle a filé pour cette nuit… Il y a un hôtel un peu plus loin, c’est sur notre chemin, si vous voulez. On peut y entrer 24h/24. Reposez-vous pour le moment et passez demain. Nous ferons un point. Je m’appelle Guillaume Dalo. Vous saurez me retrouver, j’imagine.

Ça ne devrait pas poser de problème. Merci pour l’info et volontiers, nous ne connaissons pas du tout le coin. »

Yulian ramassa son sac et le groupe repartit, sortit des bois un peu plus animés, pour retrouver la route. Le petit hôtel du coin se trouvait à l’entrée Est du village. Saluant Guillaume et les siens, Yulian et Kirill restèrent devant l’hôtel. Il suffisait effectivement d’une carte bleue pour prendre une clé, ce que Yulian fit sans attendre sous l’oeil suspicieux de son jeune frère. 

Ce dernier n’avait pas desserré les dents du trajet. Ce n’est qu’une fois qu’ils furent seuls dans la chambre qu’il explosa :

« A quoi est-ce que tu joues, bon sang ! As-tu oublié les ordres de Père ! »

Yulian venait de poser le sac et il se laissa tomber sur un des deux lits jumeaux sans s’émouvoir alors que Kirill continuait :

« Nous devons tuer Anya ! Ramener sa tête à Père !…

Je sais.

Et tu laisserais cet homme te dicter des ordres ?! »

Yulian soupira encore et se redressa pour s’asseoir sur son lit :

« Kirill, pitié. Je te l’ai déjà expliqué mille fois, le monde est vaste et Père n’est pas un dieu tout puissant ! Il n’a aucune autorité ici, il n’en a aucune hors de Nichego et les Gardiens sont seuls maîtres sur leurs terres. Nous ne pouvons pas nous permettre d’aller ouvertement contre cet homme. Si nous voulons arriver à nos fins, il va falloir agir avec discrétion, avec finesse, et pas en fonçant comme un idiot, comme tu l’as fait tout à l’heure ! Le Gardien est puissant et ses compagnons le sont tout autant. Il faut vraiment que nous soyons prudents ! Tu me dois obéissance et je ne te laisserai pas tout foutre en l’air parce que tu es incapable de te contrôler et de respecter un minimum de règles ! »

Kirill gronda et Yulian se releva :

« Je vais me laver. Repose-toi, en attendant. Il y a à manger dans le sac. »

Yulian entra dans la minuscule salle de bain et soupira.

Il passa ses mains sur son visage en inspirant un grand coup, fermant les yeux.

La partie allait être plus que serrée pour lui.

*********

 « Qu’est-ce que tu en dis ? » demanda Lena à Guillaume sur le chemin du retour.

L’historien haussa les épaules, dubitatif :

« Ben j’avoue que je ne sais pas trop…

– Drôle de duo, les frangins, là, en tout cas. » remarqua Gael.

Le jeune homme portait à nouveau son sabre à travers de ses épaules, bras mollement appuyés dessus.

« Tu as un avis là-dessus ? le relança Guillaume.

– Le grand a une aura bizarre… En partie masquée par magie, je pense, j’ai pas vraiment réussi à la lire…

– Il m’a semblé étrange aussi, intervint Tsume.

– Hn, opina Yuuki.

– Celle du petit était basique, un concentré de colère et de frustration.

– Yulian est très clairement le plus dangereux des deux, je pense, soupira Lena.

– Le plus puissant, en tout cas, confirma Guillaume. Tu as raison, Gael, il doit avec un sort qui le masque, je n’ai pas pu lire en lui non plus. Et j’ai appelé Akh, mais il n’a pas pu sentir grand-chose non plus. Dans tous les cas, il va falloir être prudent. Je pense qu’ils savent très bien ce qu’ils veulent et le fait qu’ils le cachent ne m’inspire rien de bon…

– Il faut qu’on la chope avant eux, alors ?

– Ouais, ça me parait clair… »

Ils rentrèrent se reposer et la nuit finit tranquillement.

Il était presque 10h et Yuuki accordait sagement son koto, au salon, lorsqu’on sonna au portail. La jeune femme portait un yukata très léger, vert pâle avec les fleurs de cerisier brodées. Elle était seule, car Guillaume et Lena dormaient encore et les garçons étaient partis accompagner Phil et Radidja au centre aéré. Ils devaient aussi faire des courses.

Elle se leva lentement, posa son instrument et alla voir par la fenêtre. Elle fronça un sourcil en reconnaissant les deux voyageurs, l’aîné se tenant droit, l’air un peu fatigué, et le plus jeune, à côté, faisant la tête, les mains dans les poches.

Yuuki sortit et descendit pour les accueillir. Regardant ses pieds pour ne pas s’empierger dans son yukata avec ses sandales, elle ne releva la tête qu’en arrivant vers eux. Pour les voir aussi surpris l’un que l’autre et elle-même fronça à nouveau un sourcil, se demandant ce qu’ils avaient.

Ils venaient juste de réaliser tout les deux qu’elle était une femme, ce que ni l’un ni l’autre n’avaient compris la nuit précédente, dans la pénombre de la forêt. Yulian toussa pour étouffer son rire alors que Kirill se renfrognait encore plus en grommelant.

« Bonjour, les salua-t-elle poliment.

– Bonjour, répondit aimablement Yulian, souriant. Comment allez-vous ?

– Bien, merci. Vous venez voir Guillaume, je suppose.

– Si c’est possible, oui, mais nous ne voulons pas déranger ?

– Il y a pas souci, je pense, mais il dort encore. Entrez, s’il vous plaît, je vais aller le chercher. »

Elle ouvrit le portail et les précéda poliment au salon où elle les pria de s’asseoir avant de monter réveiller Guillaume. En s’approchant de la porte cependant, elle entendit des bruits signifiant très clairement que le Gardien et sa compagne étaient occupés. Elle soupira et se dit qu’elle reviendrait voir un peu plus tard. Elle redescendit donc, un peu ennuyée, et retourna au salon où Yulian se marrait doucement et où Kirill grondait, tous deux assis sur le canapé. Yuuki leur annonça qu’elle allait faire du thé et partit à la cuisine.

Dans le salon, Yulian ne se calmait pas vraiment et Kirill finit par s’écrier, furieux :

« Arrête ça !! »

Le rire de Yulian redoubla et il avait à peine repris son calme lorsque Yuuki revint avec un plateau. La voyant froncer un sourcil, car elle avait laissé son koto sur la table basse, il prit délicatement l’instrument pour dégager la place. Elle le remercia en le posant, puis les servit délicatement avant de se rasseoir elle-même, de se servir et de reprendre le koto.

« Merci beaucoup. » lui dit gentiment Yulian.

Elle regarda ailleurs, un peu gênée :

« Je vous en prie…

– Puis-je vous demander votre nom ? Nous n’avons pas été présentés ?

– Oh, pardon. Je m’appelle Yuuki Fukuro. Vous, c’est Yulian, c’est ça ?

– Tout à fait et le jeune homme que vous avez si admirablement envoyé voler cette nuit est mon jeune frère, Kirill.

– Enchantée, dit Yuuki à ce dernier qui avait jeté un œil assassin à Yulian.

– Grml. »

Yuuki posa le koto sur ses genoux et répondit :

« C’est normal… Il est très jeune pour pouvoir me battre. »

Yulian la regarda sans comprendre et elle ajouta avec un petit sourire :

« J’ai hmmm… un très bon niveau au sabre.

– Oh, je serai ravi de voir ça. »

Yuuki le regarda sans perdre son petit sourire et prit sa tasse :

« J’espère que le thé vous convient.

– Oh, pardon. Je vais vous dire ça tout de suite… »

Il prit sa tasse et gouta, puis fit la moue et remarqua :

« Oh, du thé vert ?… Ça faisait longtemps que je n’en avais pas bu… »

Yuuki vida le sienne et la reposa avant de se lever :

« Pardonnez-moi, je vais voir où en est Guillaume… »

Elle sortit et Yulian vida sa tasse avant de regarder son frère toujours bougon :

« Tu devrais goûter, c’est très bon. »

Kirill grogna.

« Voyons, Kirill, tu ne vas quand même pas bouder toute la journée parce que tu as été battu par une femme ? »

Yulian gloussa encore :

« Allons, on a tous des jours sans, tu t’en remettras… Ça veut juste dire que tu as encore beaucoup à apprendre et ce n’est pas anormal à ton âge. »

Yuuki revint, cette fois avec un Guillaume pas très réveillé et en short et débardeur. Kirill le considéra avec suspicion et Yulian avec amusement lorsqu’il s’assit sur un fauteuil. Yuuki alla préparer du café.

« Navré de vous avoir réveillé, dit aimablement Yulian.

– Bah, il était temps… Bien dormi, dans votre hôtel ?

– Ma foi, très confortable en comparaison des nuits dans la steppe ou même dans les trains…

– Le voyage a été long ?

– Fastidieux. J’en ai connu de bien plus longs. Surtout lorsque qu’on les faisait à cheval… Mais c’est bien lointain.

– Ah, c’est pour ça… pensa tout haut Guillaume.

– Quoi donc ? s’enquit Yulian.

– Je trouvais votre français un peu vieillot. Quand est-ce que vous l’avez appris ?

– J’ai voyagé plusieurs fois dans votre pays. La première fois, je ne sais plus trop l’année… Vous aviez encore un roi, si ça vous aide… J’accompagnais une ambassade du tsar, Piotr Alekseïevitch Romanov. Il voulait voir toute l’Europe… Il n’est pas venu dans votre pays, mais nous étions quelques-uns à en avoir profité pour y passer, nous. J’y suis revenu des années plus tard, par exemple au moment où justement, votre peuple renversait votre roi… Plus tard, j’y suis repassé pendant un voyage plus vaste, un peu avant la Grande Guerre… »

Guillaume hocha la tête :

« Et vous revoilà ici à la poursuite d’une sirène en fuite. La France doit vous paraître bien changée.

– Bah, pas plus que le reste du monde… Les choses vont vite, mais ce qui les rend intéressantes, vous ne trouvez pas ? »

Guillaume haussa les épaules :

« Je vous le dirais si j’atteins votre grand âge un jour. Mais je doute que vous soyez vraiment venu pour parler de ça.

– De fait. Mais nous ne sommes pas si pressés, nous pouvons bien faire connaissance. »

Yuuki apporta deux grands mugs de café, elle en donna un à Guillaume et posa le second sur la table basse, près de la théière. Il la remercia, elle se rassit et reprit son koto. Elle se remit à l’accorder avec soin. Lena arriva, elle aussi en short et débardeur, et s’assit sur le dernier fauteuil en saluant tout le monde. Elle prit son mug et croisa les jambes.

Kirill avait piqué un fard et détourné les yeux, choqué, alors que Yulian hochait la tête, plus appréciateur, et que Guillaume avait un petit sourire devant la gêne du garçon.

« Votre frère est bien silencieux, remarqua le Gardien. Il parle français ?

– Je l’ai ensorcelé pour qu’il le comprenne et qu’il soit compris, mais rien de plus.

– Pratique, sourit Lena.

– Tout à fait. Madame ? »

Lena but une gorgée avant de répondre :

« Elena Tessier, Magister de l’Ordre de Mu. J’ignore si ça vous parle ?

– Tout à fait et c’est un honneur. Votre fils et le loup ne sont pas là ? »

Guillaume, Lena et Yuuki le regardèrent avec la même surprise et il répondit à leur question muette :

« Les deux jeunes gens qui étaient avec vous cette nuit ?

– Ah. Gael. Il s’agit de mon neveu, pas de mon fils.

– Oh, mes excuses.

– Et le loup, comme vous dites, s’appelle Tsume et c’est son compagnon et le cousin de Yuuki.

– Ils sont partis faire des courses, intervint posément cette dernière en jouant quelques notes.

– Je vois, opina Yulian. J’ignorais qu’il existait encore des métamorphes, pour tout vous dire. Surtout par ici.

– Tsume vient du Japon.

– Ah, d’accord. »

Il y eut un silence pendant lequel Guillaume et Lena finirent leurs mugs. Yuuki s’était mise à jouer doucement, un doux sourire aux lèvres. La musique était douce et apaisante, rendant l’atmosphère un peu étrange. Puis, le Gardien reprit :

« Bien. Que pouvez-vous nous dire de cette roussalka, alors ? »

Kirill lui jeta un œil sombre et Yulian le regarda un moment avant de répondre :

« Pas grand-chose de plus que ce que je vous ai dit cette nuit. Anya est une très vieille créature, très puissante.

– Hm hm. Une ancienne épouse de votre père, oui oui. Mais les roussalki ne sont pas censées rester dans notre monde au-delà d’une certaine durée. Pourquoi est-elle restée ?

– L’amour… Jusqu’à ce qu’elle en perde la raison.

– Et même à ce moment-là, vous n’avez pas pensé à la ramener chez elle ? Les siens auraient sûrement pu la soigner.

– Cette décision ne m’est pas revenue. Et notre père est intransigeant lorsqu’il ordonne.

– Que devez-vous faire à cette Anya ? »

Il y eut un silence, encore. Kirill se renfrogna et Yulian finit par hausser les épaules :

« Être sûrs qu’elle ne nuise pas serait un minimum. »

Encore une façon de ne pas répondre, se dit Guillaume.

« Que nous proposez-vous ? » continua Yulian.

Guillaume haussa les épaules :

« Il faut agir avant qu’elle ne soit vue ou qu’elle ne blesse quelqu’un, il n’y a pas de souci là-dessus. Vous disiez qu’elle était dangereuse ?

– Je vous l’ai dit, elle est puissante. Même si son instinct l’a menée ici, qui sait comment elle pourrait réagir, perdue dans un pays inconnu, à une époque où elle ne comprend plus rien… »

Kirill prit enfin sa tasse, uniquement parce qu’il avait soif.

« Si c’est bien une Porte qu’elle cherche, répondit Lena, ça peut vouloir dire qu’elle souhaite juste rentrer chez elle.

– Si c’est le cas, lui faire franchir serait sûrement le plus simple pour nous, rebondit Guillaume. Le plus sûr et le plus rapide, aussi, d’ailleurs. Le roi du territoire du Second Monde qui est là est un être sage, il saurait prendre soin d’elle et pourrait sans doute la renvoyer chez elle. »

Kirill trembla, mais il semblait avoir enfin compris qu’il ne devait pas la ramener. Yulian regarda un moment Guillaume, encore. Impénétrable, il finit par répondre avec un petit haussement d’épaules :

« Vous êtes seul maître ici. »

Guillaume eut un sourire :

« Tout à fait. C’est aimable à vous de le respecter. »

Yulian leva une main apaisante :

« Il n’y a pas de soucis là-dessus. Je connais les lois. »

Il ajouta cependant :

« Nous vous saurions cependant gré d’accepter notre aide pour les recherches dans la forêt. 

– Elle sera la bienvenue et je vous en remercie. »

Guillaume s’étira et Méphisto, le grand chat noir aux longs poils et son fils Samael, fin chat gris tigré noir, arrivèrent sur ses entrefaites. Si Samael vint poliment se frotter aux jambes de tout le monde, Méphisto, lui, regarda les deux inconnus avec suspicion et sauta sur l’accoudoir du canapé, à côté de Yulian :

« Maou ?

Privet, kot. »

Il tendit la main et la laissa se faire flairer poliment avant de caresser la petite tête.

« Maou. »

Yulian sourit doucement.

« Nous nous remettrons aux recherches ce soir, à la nuit tombée. J’espère qu’il n’y aura pas de problèmes dans la journée… » soupira Guillaume.

Lena rigola :

« Vu la chaleur qu’ils annoncent encore, ça m’étonnerait qu’il y ait beaucoup de promeneurs dans la journée…

– De ce point de vue, on est tranquille, sourit Guillaume. Bien, ben si vous voulez rester avec nous en attendant, messieurs ? »

Yulian et Kirill le regardèrent, pareillement surpris, et l’aîné bredouilla :

« Euh, ma foi, volontiers… Pas comme si on avait autre chose à faire… »

Le plus jeune grogna, mais ne dit rien.

Tsume, Gael et Johann les trouvèrent donc au salon, devisant tranquillement, à part Yuuki qui jouait toujours du koto et Kirill qui faisait toujours la tête, lorsqu’ils revinrent des courses, en fin de matinée.

Yuuki lâcha le koto pour aller les aider à les ranger et voir avec eux ce qu’ils pouvaient préparer pour midi, et Yulian la suivit des yeux avec un petit sourire, avant de dire :

« Quelle surprise de découvrir une jeune femme si réservée et discrète à la place de la combattante de la nuit dernière… »

Samael s’était installé sur les genoux du grand homme qui le caressait d’une main.

Lena sourit et Guillaume répondit :

« Yuuki n’aime pas particulièrement se mettre en avant, à part avec un sabre à la main…

– Elle nous a dit avoir un très bon niveau.

– Son humilité habituelle…

– Elle est si forte que ça ? » insista Yulian, intrigué.

Il avait un peu de mal à concevoir qu’une femme puisse réellement se battre si bien. Sur le coup, il l’avait prise pour un homme et ça ne l’avait pas choqué, mais depuis qu’il savait qu’elle était une femme, il était vraiment surpris.

« Elle a été vice-championne du monde au kendo, si ça vous parle… lui répondit Lena.

– Euh… Non, je ne vois pas trop ?

– Eh bien, sur toutes les personnes du monde qui font des concours de combat au sabre, expliqua la doctoresse, elle a été deuxième il y a quelques années. »

Comprenant cette fois, Yulian eut une moue impressionnée alors que Kirill restait les yeux ronds.

« Voilà qui est aussi surprenant qu’inattendu… »

Guillaume sourit alors que Lena demandait, amusée :

« Je vois que vous n’avez pas l’habitude de voir une femme avec un sabre ?

– C’est un fait, mais je sais que sur ces choses aussi, le monde a beaucoup changé. Seriez-vous une combattante vous-même ?

– Non, magie pure dans mon cas et j’essaye d’éviter de trop blesser, c’est contraire à mon serment d’Hypocrate.

– Oh, vous êtes médecin ? »

Yuuki revint :

« Gomen, on propose un barbecue avec les garçons ? On aura plus de place sur la terrasse ?

– Il y a assez à cuire ? demanda Guillaume.

– Il y a boeuf et poulet et saumon et sardines… énuméra la Japonaise en comptant sur ses doigts. Et avec il y a chips et salade et tomates…

– Ben ça me parait très bien. »

Les autres approuvèrent. Yulian remercia fort aimablement Yuuki qui hocha la tête avec un sourire avant de repartir.

La matinée s’acheva ainsi paisiblement. Yulian se fit un devoir d’aider Guillaume à allumer le barbecue, Kirill restant, toujours taciturne, assis à la table près d’eux. Le repas se déroula dans une bonne ambiance, à l’ombre, Gael et Johann faisant quelques tentatives d’approches auprès du garçon qui se contentait de leur jeter des regards sombres, sans grand résultat pour ce qui était de les faire le laisser tranquille. Quelques abeilles de la ruche sauvage vinrent voler près d’eux par curiosité et si quelques guêpes firent de même, ces dernières se contentèrent poliment de la coupelle d’eau sucrée posée sur la table à leur attention.

L’après-midi était lourd et des violents orages étaient annoncés pour la fin de la journée, compromettant les plans de recherche de la roussalka. Kirill se vit invité à se joindre au trio de jeunes gens pour jouer à la console, parce qu’un Mario Kart, c’était, selon le dit trio, bien plus marrant à quatre. Suspicieux, mais piqué dans son orgueil par un Johann goguenard, Kirill accepta le défi et se révéla plutôt doué, si on considérait qu’il ignorait jusqu’à l’existence des consoles de jeu quelques semaines auparavant. Mais la jeunesse sait s’adapter et, ses compagnons de jeu n’étant pas sadiques et lui épargnant pas mal de peaux de bananes, carapaces de tortue et autres coups fourrés, il s’en tira tout à fait honorablement.

Pendant ce temps, Yulian, Guillaume et Lena causaient magie et médecine, restés sur la terrasse. Yuuki, pour sa part, se reposa un moment et se réveilla juste à temps pour aller chercher Phil et Radidja au centre aéré.

Elle avertit les garçons qu’elle y allait et sortit. Elle passa prendre Layla et elles partirent tranquillement, à pied, ce n’était pas si loin et ça faisait marcher un peu. Le ciel s’assombrissait et le vent se faisait de plus en plus sentir. Les deux femmes arrivèrent et un petit attroupement les intrigua. Une femme s’en détacha pour les rejoindre en les voyant, visiblement amusée. C’était Juliette, la mère d’une paire de faux jumeaux intrépides avec laquelle Phil et Radidja s’entendaient plutôt bien.

« Bonjour ! Ça va ? »

Yuuki et Layla lui sourirent.

« Ça va, répondit la Japonaise et Layla hocha la tête. Et vous ?

– Oh, super ! Une journée sans les petits, j’en ai profité pour passer deux heures à me faire pouponner chez l’esthéticienne, ça fait un bien fou !! ‘Faudra que je vous donne son adresse, si vous voulez, elle est adorable !!

– Oh, pourquoi pas… »

 Juliette reprit avec amusement :

« Eh, vous savez pas la dernière de la bande de Lionel !

– Ces petits idiots ? sourit Yuuki. Ils ont encore vu un loup géant ? »

Le groupe était connu dans le village et, même si leurs parents s’en défendaient, tous savaient que les quatre ados, qui ne brillaient ni par leur intelligence ni par leur civisme, étaient souvent en première ligne quand il s’agissait de faire une connerie. Tsume s’était parfois amusé, quand il les trouvait à picoler en pleine nuit, à les poursuivre un peu sous sa forme de loup, à son grand amusement et à celui de Gael, et au grand désespoir de Guillaume. Les rumeurs sur le loup noir géant qui rodait autour du village revenaient de temps en temps. Heureusement, pas grand monde ne croyait ces jeunes gens connus pour leurs frasques et leur consommation d’alcool, voire de chichon.

« Non, un fantôme, cette fois ! Figurez-vous que ces imbéciles ont été dans la forêt pour picoler, tout à l’heure ! Non seulement il y a en a un qui a fait un malaise, à boire comme un idiot en pleine chaleur, mais en prime, ils prétendent avoir été attaqués par une vieille femme hideuse avec des ongles d’un mètre ! »

Yuuki parvint à se composer un parfait sourire moqueur alors que Layla soupirait en levant les yeux au ciel.

« Eh bien, ils manquent pas d’imagination… »

La conversation en resta là, car les enfants arrivèrent. Les jumeaux surexcités coururent vers leur mère et Phil et Radidja suivaient, un peu plus calmes. Les grondements célestes incitèrent tout le monde à ne pas traîner et Yuuki, Layla, Phil et Radidja reprirent sans attendre le chemin de la maison. Les premières gouttes tombaient lorsqu’ils arrivèrent. Layla et Yuuki ne prirent que le temps de se mettre d’accord sur l’heure à laquelle elles se rejoindraient pour aller au marché, le lendemain, avant de rentrer.

Comme les quatre fiers conducteurs de karts étaient occupés à reprendre des forces à la cuisine, Kirill découvrant les cookies et la pâte à tartiner au chocolat avec un intérêt notable, Yuuki leur laissa Phil et alla sans plus attendre rejoindre Guillaume, Lena et Yulian, maintenant installés dans le bureau de Guillaume, pour leur raconter les mésaventures de la petite bande de proto-délinquants.

Un silence suivit son récit, que Lena finit par rompre :

« Ouais, aucune chance que ça soit un hasard…

– Là, non, même bourrés, ils n’ont pas pu inventer ça… » confirma Guillaume.

Debout près de sa bibliothèque, le Gardien croisa ses bras, grave. Assise sur son bureau, Lena fit la moue et, installé lui sur le fauteuil, Yulian haussa les épaules :

« Si ces jeunes gens étaient vraiment ivres, il est plus que probable qu’ils lui aient juste fait peur… C’est une chance qu’elle n’en ait pas réellement blessé un… Mais nous savons maintenant qu’elle peut vraiment être agressive et comme je vous l’ai dit, elle est puissante… »

Le fracas de la foudre toute proche les fit tous sursauter. La pluie était désormais diluvienne et Lena soupira en regardant dehors :

« Si ça ne se calme pas vite, ça sera foutu pour cette nuit… »

Ça ne se calma pas et, après une soirée à attendre et espérer une accalmie, ils abandonnèrent vers 23h. Il pleuvait toujours et la météo n’annonçait aucun répit avant le matin.

Alors que Gael proposait de ramener les deux voyageurs à leur hôtel en voiture, Johann et Lena échangèrent un regard et leur demandèrent s’ils souhaitaient plutôt dormir chez eux. Même si l’hospitalité était une règle ancienne entre sorciers, Yulian et Kirill furent encore surpris, mais l’aîné n’osa pas refuser.

Il fut rapidement décidé que les quatre grands ados allaient donc aller dormir dans l’autre maison, laissant les adultes et Phil tranquilles. Kirill n’était pas très emballé, mais lui non plus n’osa pas refuser. Ils partirent rapidement.

*********

Lorsque Yulian se réveilla, la première chose qu’il se dit fut qu’il avait très bien dormi, la seconde que tout était silencieux et qu’il devait donc être tôt, et la troisième que ce n’était pas grave et qu’il allait se lever quand même, n’aimant pas particulièrement traîner au lit, en tout cas pas quand il y était seul.

Il se leva donc et s’étira, plutôt tranquille. Il avait dormi nu et ramassa paisiblement son boxer et son pantalon, ça irait pour le moment. Son  corps était bardé de nombreuses cicatrices, témoignant d’une vie longue et pas de tout repos. Il regarda par la fenêtre, vit que le ciel était bien dégagé, ce qui le fit sourire, et un mouvement en bas attira son regard. Il avisa avec surprise, puis intérêt, Yuuki, en brassière et pantacourt ample, qui travaillait posément ses katas, avec son sabre.

Elle était grave et concentrée, ses mouvements fluides, amples et puissants. Il fut impressionné. Cette femme était bien loin des plantureuses blondes qu’il avait coutume de fréquenter chez lui. Elle était plus petite, bien moins pulpeuse et tout simplement bien plus androgyne. Sans même parler du fait qu’elle savait manier une arme. Mais il émanait d’elle une force paisible et une puissance sereine tout à fait inédites pour lui, la rendant au moins fort intéressante, au mieux très attrayante. Sans cette histoire, il aurait été tenté de prolonger son séjour.

Il se décolla de la fenêtre et sortit de la chambre de Gael et Tsume, où il avait dormi. Il descendit au rez de chaussée. Tout était vraiment calme. Il supposa qu’il était vraiment tôt.

Il espérait que les choses seraient réglées dans la nuit, cette fois. Si tout se passait comme il l’espérait, il n’aurait même pas besoin d’intervenir pour que ça se passe comme il le voulait. Il allait devoir surveiller Kirill de près pour être certain que ce jeune idiot ne fasse pas tout échouer, mais à ce (gros) détail près, tout irait bien. Il n’y avait vraiment aucune raison que ça tourne mal…

 Comme il n’y avait personne en bas, il rejoignit l’arrière, le jardin, où Yuuki s’entraînait toujours sagement. L’avisant qui sortait sur la terrasse, elle s’interrompit et lui applaudit en approchant, tout sourire :

« Bravo, vous êtes très douée ! »

Yuuki le contempla un instant, puis eut un sourire un rien narquois :

« Et vous ? »

Il haussa innocemment les épaules :

« Oh, je me débrouille… Rien d’anormal à mon âge… »

Il y eut un silence et il ajouta :

« J’ai été entraîné à la dure, mais à l’époque, c’était une question de survie… De nos jours, penser que c’est devenu un simple sport est un peu triste… »

Yuuki se demandait très sincèrement si elle devait se sentir insultée ou pas. Elle ne pensait pas que Yulian pensait à mal, il n’avait franchement pas l’air assez méchant pour ça, mais il semblait tout de même la juger avec un poil trop de condescendance à son goût. Sport ou pas, elle avait aussi été entraînée à la dure et d’ailleurs, si elle n’avait pas autant de cicatrices que lui, ce n’était probablement que parce qu’elle ne vivait pas depuis aussi longtemps.

Elle eut à nouveau un sourire en coin et tendit son sabre vers lui :

« Et si vous montriez ça ? »

Il resta surpris, clignant des yeux un instant. Puis il sourit aussi :

« Je m’en voudrais de vous blesser ?

– Il faut déjà y arriver.

– Bon, si vous insistez… »

Il tendit ses bras et ses mains furent comme masquées un instant par une brume sombre avant que n’apparaissent dans chacune d’elle un court sabre noir à lame courbé. Yuuki avait haussé un sourcil dubitatif, puis admit en se mettent en garde :

« Pratique.

– N’est-ce pas. »

Elle hocha la tête :

« Me faites pas injure de retenir vos coups.

– Comme il vous plaira. »

Le bruit des lames s’entrechoquant, par la fenêtre ouverte, acheva de réveiller Guillaume qui était occupé à se rendormir tranquillement. Il grommela et enfouit son visage dans l’oreiller. Son cerveau embrumé finit cependant par identifier ce qu’il entendait et il se redressa sur ses bras, vaguement inquiet. Qui se battait dans son jardin…?

Comme la fenêtre de sa chambre ne donnait pas sur l’arrière, il ne pouvait pas voir. Il enfila donc rapidement et silencieusement son short, pour ne pas réveiller Lena profondément endormie à ses côtés, et descendit tout aussi rapidement. Lorsqu’il arriva sur la terrasse, il resta stupéfait. Il fronça les sourcils et se retint d’intervenir à la dernière minute, comprenant, malgré la force des coups échangés, que les deux adversaires ne faisaient que s’amuser.

Car c’était bien de ça qu’il s’agissait et il croisa donc les bras pour rester appuyé au cadre de la porte avec un petit sourire. Il n’avait jamais vu Yuuki se donner vraiment à fond et, même s’il s’en doutait un peu, Yulian était aussi d’un niveau hors du commun. Les coups, contre-coups et parades s’enchaînaient donc à une vitesse qu’il peinait à suivre et quand on savait que le katana de Yuuki pouvait couper une feuille d’arbre portée par le vent, et il ne pensait pas que les lames de Yulian étaient moins aiguisées, il était très heureux que ce combat ait lieu entre deux combattants expérimentés et parfaitement maîtres de leurs armes.

Ce dont Guillaume eut confirmation lorsqu’un des sabres stoppa sa course à quelques millimètres de la gorge de Yuuki qui ne para qu’à la dernière seconde. La Japonaise ne cillait pas et si elle restait très concentrée, il était évident qu’elle se faisait vraiment plaisir.

Un instant plus tard, une des deux lames vola pour tournoyer quelques secondes avant de se ficher dans le sol. Mais ni Yulian ni Yuuki n’y firent attention et ils continuèrent leur duel sans faillir jusqu’à ce qu’enfin, ils ne s’immobilisent à la même seconde, la lame de Yuuki sous la gorge de Yulian et celle de Yulian sous la gorge de Yuuki.

Guillaume se dit qu’il était temps d’intervenir et il fit ça poliment en se mettant à applaudir. Les deux adversaires rirent ensemble avant de s’écarter. Yuuki s’inclina poliment :

« Merci beaucoup. »

Yulian l’imita tout aussi poliment :

« Merci à vous. »

Guillaume les rejoignit alors que Yulian tendait la main vers sa seconde lame qui s’arracha du sol pour y revenir. Puis les deux petits sabres noirs disparurent comme ils étaient apparus.

« Ben alors, en voilà du bazar dès le matin ! Quitte à vous lever si tôt, vous auriez au moins pu aller nous chercher des croissants ! »

Ils éclatèrent de rire lorsque Yuuki répondit très calmement :

« Ils sont dans cuisine. »

Ils y allèrent donc et Guillaume invita les deux sportifs à s’asseoir pendant qu’il faisait du café. Un gros sachet de viennoiseries et quelques baguettes encore tièdes étaient posés là. Guillaume sortit des mugs, du beurre, de la confiture, des cuillères et des couteaux. Il cherchait le sucre lorsque Yulian s’accouda à la table, regardant Yuuki fendre une demie baguette en deux pour se faire deux longues tartines qu’elle se mit à beurrer tranquillement.

« Yuuki et son grand amour, la baguette toute fraîche… » gloussa Guillaume et la Japonaise lui tira la langue.

Yulian sourit en se redressant :

« Je ne peux que l’approuver, votre pain reste vraiment exceptionnel…

– Et ici en plus, c’est du vrai bon fait maison par notre boulanger, lui dit Guillaume avant d’ouvrir la fenêtre à Yami qui frappait. Salut, toi. Tu as faim aussi ?

– Crôa ! »

Ils furent rejoints par Lena et Phil, puis les chats qui vinrent voir ce qui se passait, réclamant aussi leur petit-déjeuner. Il fallut assez peu de temps à Phil, qui ne l’avait pas particulièrement remarqué la veille au soir, pour réaliser que Yulian, lui aussi, parlait aux animaux, puisque ceux-ci lui répondaient. Intrigués, mais vite contents, le petit garçon et lui se mirent vite à parler, l’enfant tout content d’avoir une grande personne qui partageait son pouvoir et Yulian plutôt amusé, tout autant que sincèrement bienveillant.

Eux finissaient leur petit-déjeuner lorsque les garçons arrivèrent, Kirill visiblement furieux et les autres à moitié hilares. Yulian échangea un regard intrigué avec Guillaume et Lena, alors que Phil avait bondi pour se jeter sur son frère avec sa vivacité coutumière quand il s’agissait de l’accueillir.

Gael le reçut avec un grand sourire en saluant tout le monde et Johann et Tsume explosèrent de rire lorsqu’il continua :

« Il reste de quoi manger pour nous ? Kiki a super faim ? »

Kirill rugit :

« M’appelle pas comme ça !! »

Le sort qui faisait que Kirill comprenait le français et qu’on le comprenait était assez curieux à l’oreille, mais fonctionnait très bien. Gael lui fit un pied de nez en chantonnant :

« T’as perdu, je t’appelle comme je veux ! »

Yulian fit la moue alors que les quatre jeunes gens s’asseyaient.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Gael répondit tranquillement :

« On va dire que Kiki a encore de gros progrès à faire au corps à corps. »

Le regard sombre du blond n’intimida pas Gael qui prit un croissant avec un grand sourire.

Devant l’air dubitatif des adultes, Johann se dévoua pour expliquer mieux :

« Kirill et Gael ont parié lequel se battait le mieux, sans arme ni magie, et c’est Gael qui a gagné.

– Ah, je vois, sourit Yulian. C’est vrai qu’à l’épée et à l’arc, il est très doué, mais moins au corps à corps… »

Kirill grogna.

 Mais pour tout aussi furieux qu’il soit, le jeune homme était honnête et donc, bien obligé d’accepter sa défaite. Il avait bien trop d’honneur pour le nier ou tenter d’attaquer Gael de façon déloyale. Il passa donc la journée à foudroyer Gael du regard, sans grand résultat pour ce qui fut de le faire cesser son surnom.

Gael, pour sa part, ne le faisait pas par méchanceté. Il était juste content d’avoir enfin fait prendre un peu vie à ce garçon bougon, silencieux et curieusement « anachronique ».

C’était un peu bizarre pour lui de s’imaginer que ce jeune voyageur avait débarqué là en sortant d’un château perdu dans la steppe et hors du monde et de toute modernité. Kirill n’avait jamais mis le nez dehors de ça, au contraire de son aîné qui avait beaucoup voyagé et depuis très longtemps. Yulian était bien plus au fait des nouvelles technologies. Mais pas vraiment meilleur à Mario Kart.

La journée fila assez paisiblement, comme la veille. L’après-midi se passa sur une partie de Monopoly d’un côté, surtout destinée à apprendre un peu à Phil à compter, et une partie de tarots de l’autre.

Le dîner fut convivial et Kirill eut même un petit sourire une fois ou deux.

Puis la nuit commença à tomber et ils se préparèrent.

Johann et Phil s’installèrent tranquillement devant la télé et les autres partirent.

Guillaume et Lena s’étaient mis d’accord, la nuit précédente, pour garder à l’oeil les deux frères en qui ils n’avaient malgré tout que moyennement confiance. Dans la journée, ils avaient pu prendre les autres à part pour les briefer. Deux groupes allaient être fait, et au repas, Yulian avait validé l’idée.

Guillaume avait donc décidé de garder Kirill et Yulian avec lui, Lena et Yuuki, qui sauraient l’aider à les maîtriser si besoin. Gael et Tsume formeraient l’autre groupe.

Le plan consistait, comme l’avant-veille, à encercler la roussalka pour essayer de lui parler et la conduire à la Porte si c’était bien ce qu’elle voulait. Yulian avait validé ça aussi, mais le regard noir de son frère n’avait échappé à personne.

Ils se séparèrent rapidement à l’entrée des bois et avancèrent en silence.

La nuit était encore chaude, lourde et la forêt silencieuse, trop calme, comme l’avant-veille.

Guillaume fit attention à ne pas marcher en tête un moment, voulant garder Yulian et Kirill dans son champ de vision. Lena faisait de même et c’était donc Yuuki qui était devant, avançant prudemment et sans un bruit.

Elle tendit le bras pour les stopper soudain et ils obéirent. Au loin, droit devant eux, la voix inimitable d’Anya se faisait entendre. Guillaume envoya rapidement un message à Gael et ils repartirent, plus discrets encore.

Kirill fit apparaître son épée dans sa main, le visage fermé, ce qui lui valut un regard sombre de son frère. Yuuki remarqua la chose aussi, elle de façon neutre, et nota l’information, comme Lena et Guillaume, plus méfiants.

Et ça ne manqua pas : il suffit que leur attention soit détournée une seconde par un hululement proche qui les fit sursauter pour que le garçon se volatilise. Guillaume jura et allait s’élancer, mais Yulian le retint :

« Je m’en occupe.

– … Vous êtes sûr ?

– Oui. »

Les yeux bleu-vert semblaient un peu tristes. Yulian regarda Guillaume avec un sourire triste, lui aussi :

« Prenez soin d’elle, s’il vous plaît. »

Il partit à la poursuite de Kirill sans attendre de réponse. Lena et Guillaume le regardèrent filer, aussi dubitatifs l’un que l’autre. Yuuki les ramena au présent en murmurant :

« Il faut aller… Elle s’éloigne… »

Elle était penchée contre un arbre et regardait en direction de la voix qui, effectivement, se faisant plus lointaine. Elle tourna la tête vers ses amis :

« Iku ! »

Guillaume hocha la tête et eux aussi filèrent.

Kirill avait filé pour contourner les arbres par la droite, espérant ainsi semer les autres, s’il leur prenait l’envie de le poursuivre.

Il s’arrêta, un peu essoufflé, pour écouter, et jura dans ses dents. Anya s’éloignait, il devait faire vite.

Il allait repartir lorsque la voix de Yulian le figea :

« Pas un pas de plus, petit frère. »

Il se tourna lentement pour regarder son aîné, qui le toisait avec calme, à quelques pas de là. Kirill trembla, sentant sa colère revenir, et cria :

« Tu comptes vraiment désobéir à Père, les laisser l’emmener dans le Second Monde ?! La laisser s’en tirer ? Tu comptes vraiment te plier à la volonté de cet homme ?! »

Le grand homme aux cheveux d’argent ricana, indifférent à l’épée brandie par son vis-à-vis :

« Comme si c’était de ça qu’il s’agissait… »

Les deux lames noires apparurent dans les mains de Yulian.

« Ne me force pas à te faire du mal, Kirill. Tu sais que tu n’as pas la moindre chance face à moi.

– Mais qu’est-ce qui te prend, à la fin, alors que nous touchons au but !!

– Effectivement, je touche au but. Et je ne vais certainement pas te laisser tout gâcher maintenant. »

L’adolescent le regarda, incrédule, baissant un instant son épée :

« Qu’est-ce que tu veux dire… ? »

Yulian eut encore un sourire moqueur :

« Que je n’ai pas libérée Anya, que je ne me suis pas fait suer à l’escorter ici, pour te laisser la tuer à deux pas de sa vraie liberté. »

Il tendit un de ces lames vers Kirill sans plus un sourire, cette fois :

« Et ne crois pas que j’hésiterai une seule seconde entre sa vie et la tienne. »

Le garçon gronda, furieux, brandissant à nouveau son arme :

« Quoi !… C’est toi qui l’as libérée ?!

– Et je n’en reviens toujours pas que personne n’y ait pensé… Vous savez tous qui elle est. Père en pense ce qu’il veut, je n’allais pas la laisser là une heure de plus… »

Kirill rugit en se jetant sur lui. Yulian para sans mal et se pencha pour le regarder dans les yeux :

« Et toi, pourquoi tu obéis comme un chien à notre père ? Comment peux-tu accepter ça après ce qu’il a fait à ta mère ? »

Kirill recula, tremblant :

« De quoi est-ce que tu parles ! Il n’a fait qu’appliquer les lois ! Tu sais le sort qui attendent les femmes adultères ! »

A nouveau, Yulian eut un sourire :

« Ben voyons. Ce que tu peux être naïf…

– Qu’est-ce que tu veux dire ? »

Kirill avait froncé les sourcils.

« Que ces lois qu’il clame universelles ne sont que les siennes. Qu’il les dicte et les applique comme ça lui chante. Que son épouse est toujours une traîtresse adultère dès qu’elle n’est plus assez fraîche à son goût, toutes, depuis toujours ! Qu’est-ce que tu crois ? Tu avais deux ans, mais moi, je m’en souviens ! Ta mère pendue après avoir donné naissance à une fille de trop, alors que cette maudite putain de Zoya avait tourné la tête à notre père !… Tu ne t’ais jamais demandé pourquoi nous n’avions aucune sœur, Kirill ? Parce qu’il les a toutes, toujours, tuées à leur naissance, parce qu’il est hors de question qu’il ait autre chose que des fils ! La seule raison pour laquelle Anya n’est pas morte, c’est parce qu’à l’époque, tuer une roussalka aurait déclenché la fureur du Conseil de St-Pétersbourg et des représailles sanglantes des peuples du Second Monde ! Alors il l’a enfermée en prétendant qu’elle avait disparu, jusqu’à ce qu’elle en devienne folle ! … Et bien sûr, dès qu’il a su qu’elle s’était enfuie, il n’a eu en tête que de la tuer, fou qu’il est, lui aussi, perdu dans ses délires et ses rêves d’un monde mort et qui ne reviendra pas ! »

Kirill tremblait :

« Tu mens !

– Non, je ne mens pas !… Après tout ce temps, après tout ce que je t’ai montré, tu n’as pas encore compris ?! »

Yulian semblait plus triste que furieux :

« Nichigo est un cimetière ! Notre père un fou sanguinaire, dément, qui croit encore à la Sainte Russie, au retour des tsars !… Sa Russie n’existe plus ! Son monde n’existe plus ! Je ne comprends même pas pourquoi le Conseil le tolère encore, si ce n’est parce qu’ils l’ont oublié !… Il y a des siècles que je vois tout s’écrouler… »

Il soupira, désespéré :

« Tout ça n’a plus aucun sens… »

Kirill tremblait toujours, fou de rage, incapable de comprendre, de croire ce qu’il venait d’entendre.

« Tu mens… »

Il cria à nouveau en se jetant sur Yulian, qui para à nouveau ses attaques furieuses sans peine, avant de répliquer un coup puissant en pleine poitrine, avec le plat d’un de ses sabres, envoyant le garçon s’écraser contre un arbre. Il tomba au sol, le souffle coupé.

Yulian le regarda avec une tristesse sincère, s’approcha de lui, donna un coup de pied pour éloigner l’épée et s’accroupit pour poser une de ses lames contre la gorge de Kirill. Une goutte de sang perla.

« Ne te mêle plus de ça jusqu’à ce que ça soit fini. Je te jure que je n’hésiterai pas entre elle et toi. »

Il se releva et partit sans attendre.

*********

Guillaume et Lena regardèrent, dans la clairière, la créature qui chantait doucement au clair de lune. Sa voix était extraordinairement belle. Elle-même était loin d’être repoussante. Ils étaient cachés derrière un arbre, avec Yuuki qui la regardait aussi, accroupie près d’eux.

Ils savaient que Tsume et Gael étaient de l’autre côté, mais tous hésitaient à intervenir. Ils ne doutaient pas de parvenir à la maîtriser à eux cinq, ils craignaient juste de la blesser, ou que l’un d’eux le soit.

Guillaume s’apprêtait à faire appel à Akh, espérant qu’il puisse, lui, approcher la roussalka sans l’apeurer, lorsqu’une autre voix, masculine, elle, se joignit à celle de la créature, les faisant tous sursauter, elle y compris, qui s’interrompit, interloquée, avant de se lever, tremblante, ses immenses cheveux argentés flottant autour d’elle dans un spectacle aussi magnifique que surréaliste.

Les spectateurs regardèrent, incrédules, Yulian qui sortit du couvert des arbres pour s’avancer très lentement vers elle, les mains levées, bien visibles, et sans cesser de chanter.

Sa voix, à lui aussi, était superbe. Anya restait immobile et le fixait. Ses griffes poussèrent, mais elle ne se transforma pas plus.

Yulian approchait toujours de la même façon. Il jeta un œil dans la direction des trois spectateurs, qui se demandaient ce qu’il faisait, s’il essayait sincèrement de l’approcher pour la calmer ou pour la frapper par surprise ?

Il s’arrêta au premier mouvement de recul de la roussalka. Il cessa de chanter, inspira, puis se mit à parler doucement. Sans rien comprendre à ce qu’ils disaient, les autres entendaient sa voix trembler et son corps ne tremblait pas moins. Il fit un pas lent, sans cesser de parler. Elle gronda, mais il en fit un second. Elle gronda plus fort, levant ses griffes, mais il en fit un troisième. Il était presqu’assez proche pour la toucher. Il hésita. Elle grondait.

Un bruit imprévu les fit sursauter et elle voulut s’enfuir, mais Yulian parvint à saisir son bras et la tira pour la serrer dans ses bras, tombant à genoux tous deux. Elle cria et essaya de se dégager, mais en vain. Il l’enlaçait avec autant de force que de douceur, lui parlant à nouveau.

Guillaume et Lena échangèrent un regard et approchèrent lentement. Yuuki les suivit, mais resta à distance. Gael et Tsume préférèrent rester cachés.

Le Gardien et sa compagne restèrent à distance et Guillaume prit soin de parler bas et doucement lorsqu’il demanda :

« Ça va, Yulian ? »

Yulian tremblait toujours et tourna la tête pour leur dire, le souffle court :

« Ça va… Ne lui faites pas de mal, elle a eu peur, elle n’a pas fait exprès… »

 Lena blêmit la première en voyant le sang. Elle s’approcha lentement, grave :

« Yulian…

– … Elle n’a pas fait exprès… répéta-t-il.

– Je sais… »

Anya tremblait, gémissante, ses beaux yeux bleu-vert exorbités. Elle était véritablement terrorisée, prisonnière des bras forts de Yulian. Il était évident qu’elle n’avait pas volontairement planté ses griffes dans son abdomen.

Lena grimaça en s’accroupissant lentement :

« Je sais, mais là, je crois qu’il faut vous emmener d’urgence à l’hôpital…

– … Elle ne vous suivra pas sans moi… J’ai essayé de lui expliquer… Mais elle a peur… Il faut qu’elle passe la Porte, vite… »

Lena grimaça, mais Guillaume approcha à son tour.

« Elle n’est pas loin. Vous pouvez vous lever ? Ça ira ? »

Yulian hocha la tête, sans la lâcher, lui parlant à nouveau doucement. Anya, effrayée, regardait Lena et Guillaume, qui échangèrent un regard. Lena approcha lentement sa main et posa ses doigts sur le front de la roussalka qui poussa un petit cri avant de s’apaiser en une seconde.

« Voilà… Bon, ça ne va pas durer très longtemps, donc il faut faire vite…

– On va faire vite, alors. » dit Guillaume.

 Il laissa Lena relever doucement Anya, qui tremblait toujours, mais se laissa faire, et aida Yulian à se remettre sur des jambes flageolantes. Il tenait sa main gauche sur son ventre. La plaie ne semblait pas trop saigner. Yuuki s’approcha et vint d’autorité prendre le bras droit de Yulian pour le passer autour de ses épaules. Yulian la regarda avec surprise, mais la laissa faire.

Ils partirent rapidement, enfin aussi rapidement que possible, Guillaume en tête, Lena et une Anya toujours tremblante suivant, avant Yuuki et Yulian. Anya se tournait régulièrement pour regarder Yulian qui lui répétait les mêmes mots qu’eux seuls comprenaient. Guillaume expliqua en chemin :

« Je suis le seul à avoir le droit de passer la Porte sans prévenir, alors je vais l’emmener seul… Ne craignez rien, je vous l’ai dit, le roi Vrial est un être sage et bienveillant, je n’ai aucun doute sur le fait qu’il prendra soin d’elle… »

Ils arrivèrent dans une autre clairière, en haut d’une petite pente, et en son centre se trouvait un gros tas de pierres noires et de bouts de bois sombre. Guillaume se hâta devant lui et tendit sa main au-dessus :

« Gardiens des Passages, Veilleurs des Mondes, que ma voix vous parvienne et que cette Porte s’ouvre. C’est moi, Guillaume, Gardien de Premier Monde, qui le demande. »

Il recula d’un pas alors que les pierres et les morceaux de bois bougeaient pour s’emboiter les unes dans les autres et un instant plus tard, une haute porte se dressait. Guillaume inspira un coup avant de se tourner et de tendre doucement la main vers Anya.

A nouveau, elle trembla et regarda Yulian, qui tenait bon, même s’il pesait de plus en plus lourd sur l’épaule de Yuuki, et qui lui sourit encore et lui fit signe d’y aller. Elle sembla vouloir qu’il suive et il dénia avant de murmurer autre chose. Elle frémit et regarda à nouveau Guillaume.

Pas très rassurée, à peine confiante, la roussalka prit la main tendue dans la sienne, tremblante, et Guillaume l’entraîna doucement vers la Porte qu’il ouvrit. Ils la franchirent tous deux. Il faisait nuit aussi de l’autre côté, visiblement, car les trois restants ne virent rien.

La Porte se referma.

Yulian s’écroula sur le sol sans que Yuuki ne parvienne à le retenir. Elle ne put qu’amortir la chute et le garda dans ses bras comme elle put. Lena jura et s’accroupit immédiatement. Il était à bout de souffle. Elle sortit son téléphone pour mieux regarder la plaie et soupira à nouveau en secouant la tête :

« Ça va, ça ira, et mon cul c’est du poulet…

– Eeh ? » sursauta Yuuki, interloquée.

Lena eut un petit rire malgré elle :

« C’est une expression, t’en fais pas… »

La blessure n’était pas très belle et surtout, elle était très profonde. Dans son mouvement de panique, Anya avait violemment planté ses longues griffes. Ne sachant avec quoi compresser la plaie, Lena vit avec surprise Yuuki retirer son t-shirt, restant en brassière, pour s’en servir. Lena appela Gael, Tsume pourrait porter le blessé jusqu’à la route où une ambulance pourrait le récupérer. Le jeune homme approuva l’idée :

« On arrive. »

Ils firent vite et arrivèrent avec Kirill qu’ils avaient retrouvés un peu plus tôt. Ce dernier ne dit rien, regardant son aîné blessé avec un soupir. Anya avait réussi à s’enfuir avec l’aide de Yulian.

Était-ce vraiment une mauvaise chose ?

*********

  Yuuki et Lena avaient accompagné Yulian à l’hôpital, alors que les garçons attendaient Guillaume. Tsume les rejoignit dans la clairière dès que l’ambulance fut partie.

Kirill et Gael s’étaient assis près de la Porte, silencieux. Le loup revint. Il avait pris sa forme animale pour revenir plus vite, mais reprit sa forme hybride en approchant.

« C’est OK, Lena dit que ça va aller…

– Elle a refait son sort de ‘’tout est normal’’ aux ambulanciers ? demanda Gael en lui tendant la main.

Hn. » opina le loup en la prenant, avant de s’asseoir à côté de lui.

Kirill avait replié ses jambes devant lui, ses bras autour. Gael eut une petite grimace et tapota son épaule :

« Tu t’en fais pas, hein ? Il va s’en tirer…

Je sais. »

La réponse avait été claire et il continua en relevant un peu la tête :

« Je ne m’inquiète pas… Je me demandais juste quoi faire… »

Tsume passa son bras autour des épaules de Gael.

Autour d’eux, la forêt était un peu plus bruyante, comme si les animaux, enfin, sortaient et qu’elle reprenait vie.

Un moment silencieux passa, juste troublé par ces bruits naturels, avant que Guillaume ne revienne. Il franchit la Porte et se tourna, lui faisant face, retendit la main et elle s’écroula, redevenant le tas informe de pierres et de bois.

Il rejoignit ensuite les garçons qui s’étaient levés.

« Tout va bien ? demanda-t-il.

– Yep, on t’attendait, lui répondit Gael. Les filles ont accompagné Yulian. Lena disait que ça allait.

– D’accord. Je vais attendre qu’elle me rappelle. On se rentre ?

– Yep ! »

Ils repartirent tous quatre.

« Et toi, ça a été ? demanda Gael.

– Oui, oui, très bien… Le roi Vrial n’a pas fait de souci pour me recevoir et son épouse était là aussi. Elle a accepté tout de suite de s’occuper d’Anya et elle parlait une langue qu’elle comprenait. C’est une personne très bonne et douce, je n’ai aucun doute sur le fait qu’elle prendra soin d’elle… »

Il y eut un silence, puis Guillaume jeta un œil à Kirill, silencieux à ses côtés. Mais le garçon ne dit rien, regardant où il mettait les pieds, dans la pénombre.

« Bref, c’est réglé. »

Sentant son téléphone vibrer, Guillaume le sortit de sa poche et décrocha :

« Oui, beauté ?…  … D’accord, je vois. … Oui ?… Oh, ben prenez un taxi, dans ce cas ?… … Non, mais ça ira plus vite, parce qu’on est pas encore sorti de la forêt, nous, alors le temps qu’on rentre, qu’on sorte la voiture et qu’on arrive… … Oui, voilà. D’accord. … A tout à l’heure. Bizoux. »

*********

Yulian se réveilla dans une petite chambre aux murs clairs. Un rayon de soleil traversait la fenêtre, à sa gauche, devant un fauteuil. Il y avait une porte à droite et une armoire et une petite table en face, contre le mur du fond.

Il referma les yeux en essayant de se souvenir et les larmes montèrent lorsque ce fut le cas. Il posa des mains tremblantes sur son visage en retenant un sanglot.

Il avait réussi. Dieux, faites que ce soit vrai…

Il se rendormit et fut réveillé par une infirmière venue faire quelques soins, puis deux médecins venant faire un point. Les antidouleurs étaient puissants et lui un peu perdu. Il comprit qu’officiellement, il avait été blessé par une fenêtre brisée… Comme il se doutait que ses amis s’étaient arrangés pour que personne ne se pose trop de question, c’était sûrement l’explication la plus rationnelle qu’ils avaient trouvée.

Il se rendormit encore, mangea un peu quand on lui apporta un plateau, se rendormit une nouvelle fois et lorsqu’il se réveilla, cette fois, ce fut pour sursauter en voyant une personne assise à sa droite.

Il se redressa vivement avant de grimacer de douleur, et Yuuki, qui lisait sagement, vêtu d’un yukata gris avec des broderies argentées, sursauta aussi et laissa tomber le livre pour se précipiter et l’aider à se rallonger :

« Doucement… »

Il se laissa faire :

« Désolée… Vous m’avez surpris… »

Elle sourit, gênée :

« C’est pas grave. Lena et Guillaume parlent avec docteurs. Comment vous allez ?

– Pas si mal, j’imagine… »

Il posa machinalement sa main sur son ventre :

« Merci beaucoup pour cette nuit.

– De rien. C’est normal. »

Il eut un sourire.

« Je crois que je n’ai pas vraiment été habitué à ce type de normalité… »

Yuuki le regarda un instant, puis sourit :

« Vous parlez français compliqué pour moi…

– Oh. Toutes mes excuses… »

Lena et Guillaume arrivèrent.

Se réjouissant de voir Yulian réveillé, ils se trouvèrent de quoi s’asseoir pour parler un peu. Lena prit le fauteuil et Guillaume se posa sur la table.

« Merci infiniment de votre aide, commença Yulian.

– De rien, répondit Guillaume. Mais pas merci à vous de ne pas avoir joué franc jeu… »

Yulian grimaça, mais pas de douleur, cette fois.

« Désolé… Je ne suis pas très doué pour faire confiance…

– On a vu, répondit Lena.

– Et puis, je ne voulais pas non plus que Kirill comprenne ce que je voulais faire… »

Guillaume soupira :

« Ça, je peux comprendre. Mais ce que je ne comprends pas, par contre, c’est comment un tel truc a pu arriver. Vous deviez la tuer, c’est ça ?

– Oui.

– Comment votre propre père a-t-il pu vous envoyer tuer votre propre mère ? »

Il y eut un silence.

Yulian n’était pas vraiment surpris qu’ils aient compris. Il savait qu’il ressemblait beaucoup à Anya, et les voir ensemble la nuit dernière avait déjà dû être révélateur, sans compter que lui, blessé, n’avait plus pu masquer son aura bien longtemps et là aussi, le lien n’avait pas dû être dur à faire entre les deux.

« Ce n’est pas le genre de détail qui le préoccupe… »

Yulian soupira, las.

« Un fils doit obéir. Surtout son fils aîné. J’étais le seul assez puissant pour avoir une chance de réussir.

– Il vous a collé Kirill pour vous surveiller ?

– Peut-être. Mais je ne pense pas… S’il avait eu un vrai doute, il m’aurait tué… Ça avait peu d’importance. Je l’aime bien, ce petit idiot. Je me suis dit que ça lui ferait du bien de voyager un peu… Je ne risquais rien face à lui. »

Il continua, rendu bavard par l’épuisement :

« Je suis né il y a des siècles dans un palais merveilleux… Ma mère était une créature fabuleuse dont mon père était fou amoureux… Ils gardaient tous deux la Porte du Nord, tout allait bien… Et puis… Le Tsar a décidé que cette Porte devait être sienne… Il a fait jaillir une ville entière là où elle était pour la garder… Mon père s’est retrouvé dans un palais perdu dans les steppes… Parfois, la cour passait y chasser… Ce n’était pas si loin de St-Pétersbourg… Nous avions une belle pension, beaucoup de terre ; nous menions encore grand train… Et puis, ma mère s’est lassée… Elle voulait rentrer chez elle… Ils se disputaient et moi comme un lâche, j’ai préféré voyager… Un jour en rentrant, j’ai trouvé mon père avec une nouvelle épouse… Ma mère s’était soi-disant retirée de son plein gré… Il l’avait fait enfermer dans une prison qui est devenue de plus en plus sordide au fil du temps… Elle n’osait pas se révolter, elle avait peur qu’il s’en prenne à moi… Et lui passait d’épouse en épouse, leur promettant monts et merveilles avant de les jeter dès qu’il s’en lassait… J’allais la voir, je lui ramenais des souvenirs, je lui racontais mes voyages… J’essayais de ne pas voir qu’elle perdait la raison… Et puis la Grand Guerre a éclaté, les tsars sont morts, et nous… On nous a oubliés. »

Il y eut un silence avant qu’il ne reprenne d’une voix tremblante :

« La dernière fois que je suis rentré de voyage… Elle ne m’a pas reconnu. »

Il retenait ses larmes avec peine.

« Je n’ai pas pu le supporter… Je me suis maudit, j’ai maudit mon père, j’ai maudit les dieux… Et puis, j’ai décidé que ça devait cesser. Je suis aller la voir, une nuit. J’ai envouté les gardes pour qu’ils ne se rendent compte de rien. J’ai ouvert sa cellule, gravé dans son esprit le chemin pour qu’elle vienne ici, rejoindre la Porte la plus proche existante à ma connaissance… J’allais prétexter un nouveau voyage pour la suivre quand mon père me l’a ordonné… Et vous connaissez la suite. »

Il y eut encore un silence. Yuuki semblait navrée, ce qu’elle avait compris suffisant à sincèrement la peiner. Lena n’était pas moins émue et Guillaume hocha gravement la tête :

« Vous demeurez mes hôtes et mes protégés aussi longtemps que ça sera nécessaire. Que pensez-vous faire, maintenant ?

– Aucune idée. A part que je ne meurs pas d’envie de rentrer… Je vais prendre le temps de me remettre, et puis on verra…

– Rien ne presse. Votre mère est entre les mains de la reine Layana, qui m’a promis de veiller sur elle. Si vous le souhaitez, je peux leur demander de vous donner un droit de passage pour aller la voir.

– Vous pensez qu’ils accepteraient ? sursauta Yulian, surpris.

– Vous êtes par essence en partie de leur monde… Traditionnellement, les hybrides ne sont pas malvenus là-bas. Et puis, ça coûte rien de demander… »

Ils laissèrent le blessé un peu plus tard.

Ils rentrèrent à la maison, où les garçons jouaient sagement à la console.

Kirill était étrangement calme, curieusement apaisé. Il râlait pour le principe quand Gael l’appelait Kiki, mais il était bien moins grognon, bien moins colérique.

Le lendemain, il demanda à aller voir Yulian avec Guillaume et Yuuki les accompagna.

Le garçon resta un instant à parler au médecin alors que la Japonaise entrait dans la chambre.

Yulian lui sourit. Il était un peu moins pâle que la veille.

« Bonjour, Yuuki. »

Elle sourit aussi :

« Bonjour. Ça va ?

– Tout doux… »

Il lui tendit la main et elle la prit machinalement avant de piquer un far, pétrifiée, car elle ne s’attendait pas du tout à ce qu’il lui fasse un baise-main.

Lui la regarda, amusé :

« Je suis très heureux de vous voir.

Eetooo… Arigatô… » [Euuuh… Merci…] balbutia-t-elle.

Elle dégagea sa main et s’assit, encore toute rose et toute gênée, et Yulian la regardait, attendri.

Vraiment charmante.

Guillaume arriva avec Kirill qui eut un petit sourire en voyant son frère :

« Salut. »

Il s’approcha et inspira un grand coup :

« Je suis venu te remercier pour tout et te dire au revoir. »

Il était droit, ferme et calme lorsqu’il continua alors que Yulian le regardait avec surprise :

« Je rentre à Nichego.

– Quoi ?!

– J’ai appelé notre contact à l’ambassade, il va me faire rapatrier.

– Kirill… »

Yulain était stupéfait. Il tendit le bras pour saisir la main de son jeune frère dans la sienne qui tremblait :

« Ne fais pas ça, Kirill, il va te tuer…

– C’est un risque que j’accepte.

– Tu n’es pas obligé !

– Si. Je me dois à notre père. Quel que soit l’homme qu’il est, je crois en les valeurs qu’il m’a données. La loyauté en est une. Et puis… »

Le garçon hésita avant d’ajouter :

  « Je veux lui parler. Je veux savoir… Pour ma mère et pour les autres… »

Il sourit malgré son émotion palpable :

« Je lui dirais que tu es mort, tu n’as rien à craindre. »

Kirill posa un genou à terre en prenant la main de son frère dans les siennes :

« Prince Yulian, mon aîné et mentor, merci de tout ce que tu m’as appris et du soin que tu as pris de moi malgré tout. Je te promets d’être digne de tes enseignements. Je prierai pour toi. »

Il releva la tête et sourit :

« Garde-moi aussi dans tes prières.

– Kirill… Je t’en supplie… bredouilla Yulian, les larmes aux yeux, posant sa seconde main sur celles de son frère. N’y retourne pas… Il va te tuer… »

Kirill se releva sans perdre son sourire :

« J’espère te revoir bientôt. »

Il libéra ses mains, s’inclina et sortit. Guillaume le suivit, sourcils froncés, n’ayant pas compris l’échange, mais désireux de savoir ce qu’il en était. Yulian retomba sur ses oreillers, sans vraiment parvenir à retenir ses larmes.

« Il va vraiment te tuer… »

Alarmée, Yuuki, même si elle n’avait rien compris non plus, le regardait, nacrée. Elle se leva pour venir s’asseoir au bord du lit et prit doucement sa main.

Il renifla et elle lui sourit. Il essaya de respirer profondément pour se reprendre, un peu honteux de se retrouver en larmes devant elle, mais elle souriait.

« Ça va aller… »

Il resta silencieux. Son père était une brute… Il espéra de toute son âme qu’il aurait encore assez de cœur pour épargner son jeune fils…

Guillaume revint peu après. Yuuki n’avait pas bougé. Yulian était calmé, mais triste.

« Votre frère m’a fait part de sa décision de rentrer auprès de votre père.

– Oui…

– Je doute que ça soit une bonne idée.

– Ce n’est pas une bonne idée. Mais c’est son choix… »

Yulian soupira et regarda le Gardien :

« C’est la première fois que je le vois parler de sa propre voix, décider de son propre chef. Je ne suis personne pour m’opposer à ça. C’est à ça que j’ai travaillé, après tout… Lui donner un libre-arbitre. »

Le blessé sourit :

« Je regrette presque d’y être enfin parvenu… »

*********

Il faisait beau, chaud, et l’ambiance était excellente.

Le jardin était grand, en partie ombragé, il y avait une grande piscine.

Jérémie et Jessica, son épouse, étaient des hôtes attentifs et adorables. Phil s’entendait bien avec leurs jumelles et leur grand chien. Jérémie et Guillaume s’occupaient de barbec’ avec Wenceslas, c’est-à-dire buvaient des bières en veillant que les braises restent chaudes.

Lena, Jessica, Magdala profitaient de la piscine avec Johann et Gael, Tsume bronzait et Yuuki, elle, était sortie de l’eau depuis un moment et était attablée avec Yulian et Eliana, la doyenne du Conseil, une increvable mamie de 76 ans qui courrait encore 10 km tous les matins. Ils parlaient de tout et rien, mais surtout magie, très paisiblement.

Yulian s’était bien remis. Son sang mi-humain aidait. Les capacités de régénération des êtres du Second Monde n’étaient plus à démontrer. Il était encore un peu las, mais rien que du repos ne pourrait régler.

« Je suis vraiment heureuse d’apprendre que votre mère va mieux, disait Eliana, sincère.

– Oui, ça a été un vrai soulagement pour moi… » reconnut Yulian.

Il avait pu aller la voir et elle semblait l’avoir reconnu. Elle avait souri, en tout cas. Elle n’avait plus peur de lui.

Guillaume cria :

« Saucisses prêtes dans cinq minutes !! »

Les baigneurs commencèrent à sortir et Wenceslas vint s’asseoir, bien guilleret. Il trinqua avec sa bouteille et demanda à Yulian :

« Guillaume me disait que vous cherchiez du boulot ?

– Oh… Ce n’est pas urgent, mais oui, il va bien falloir que je m’occupe et que je gagne un peu ma vie…

– J’ai peut-être un truc, si ça vous dit… J’ai entendu dire qu’ils cherchaient quelqu’un lisant le russe ancien à la bibliothèque de l’ENS… Ils ont récupéré tout un fond ancien qui serait arrivé à Lyon avec des Russes expatriés à la Révolution d’Octobre et personne ne sait trop lire ça… A priori, il y aurait beaucoup d’ouvrages ésotériques, du coup ça intéresse pas mal les Conseils, vous pensez bien… Faudrait juste cataloguer un peu tout ça proprement… »

Yulian hocha la tête :

« Pourquoi pas. Ça devrait être dans mes cordes… Le russe ancien, je l’ai assez pratiqué, et les ordinateurs ne me font pas trop peur… »

Phil et les jumelles vinrent s’asseoir, tout affamés d’avoir couru toute la matinée, et cela mit fin à la conversation.

Tout le monde passa à table dans la joie et la bonne humeur.

Gael et Johann se battirent farouchement pour la dernière saucisse et comme Johann la gagna au chifoumi, Tsume se fit un devoir de prendre son chéri dans ses bras pour le consoler de cette horrible perte. La présence des enfants retint les personnes tentées de dire à Gael qu’il se consolerait avec la saucisse de Tsume, ce qui valait mieux.

Il était tard lorsqu’ils rentrèrent, car ils étaient restés dîner aussi.

Yulian s’était installé chez Johann et Lena en attendant de voir. Il y était bien.

C’était un peu étrange pour lui, qui avait vécu des siècles en solitaire, de s’être trouvé une famille d’accueil de cette façon. De quoi lui faire penser que tout n’était pas bon à jeter dans ce monde…

Ce soir-là, il se coucha satisfait, content de cette nouvelle vie, de cette chance qui lui était accordée.

Il se demanda si Kirill allait bien. Il l’espérait de tout cœur. Il aurait bien voulu qu’il reste, qu’il profite lui aussi de cette chance.

Il songea avec une petite pointe de nostalgie à la steppe natale qu’il ne reverrait jamais. Puis au sourire un peu incertain de sa mère, enfin libre. Et la nostalgie s’envola.

Tout commençait pour lui. Une vie qui avait enfin un sens.

 

Fin… jusqu’à la prochaine fois !! 🙂

(8 commentaires)

  1. ouiiiiiiiiiiiiiinnnnn Yuriooooooooo !!! Pardon Kirill ^^
    Enfin bref, comme d’habitude, j’adore les aventures de cette petite famille qui n’en finit pas de s’agrandir ^^ Jusqu’où vas-tu aller ?
    J’ai hâte de lire la suite !
    Merci pour cette histoire et bon courage pour la prochaine !
    Bises

    1. @Armelle : Oups, je m’ai fait griller. ^^
      Ben là on est à peu près bon, à part si ma muse part en sucette… ^^’
      Merci de suivre 🙂 !!

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